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Full text of "Histoire littéraire de la France"

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HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE 


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HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE 

OUVRAGE 

COMMENCÉ  PAR  DES   RELIGIEUX  BÉ\ÉDICTI>S 

DK  LA  CONGRÉGATIO>  DE  SAINT-MAUR 

ET    CONTINUÉ 

PAR  DES  MEMBRES  DE   L'INSTITUT 

(acadkmik  des  inscriptions  et  belles-letthes) 


TOME  XXXIII 

SUITE  DU  QUATORZIÈME  SIÈCLE 


PARIS 
IMPRIMERIE  NATIONALE 


MDCCCCVI 


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Ami  H3TTLI 


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AVERTISSEMENT. 


Le  tome  XXXIII  marque  un  progrès  notable  dans  l'histoire  litté- 
raire du  XIV*  siècle.  Les  auteurs  les  plus  récents  dont  nous  avons 
traité  en  notre  précédent  volume,  Gilles  Aicelin,  archevêque  de 
Rouen,  et  Guillaume  Baufet,  évêque  de  Paris,  moururent  en  1 3i 8 
et  i3i9.  Présentement  nous  atteignons  l'année  1838  avec  Jean 
de  Jandun.  Nous  ne  voulons  pas  dire  que  nous  ne  reviendrons  pas 
en  arrière  dans  un  des  prochains  volumes.  Un  classement  purement 
chronologique  est  impossible.  Pour  beaucou]>  d'écrivains  les  dates 
précises,  et  particulièrement  la  date  de  la  mort,  font  défaut.  Et 
cette  lacune,  que  nous  avons  souvent  à  regretter  en  rédigeant  la 
notice  d'écrivains  connus,  est  constante  lorsf[u'il  s'agit  des  auteurs 
anonymes,  qui  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreux.  La  littérature 
en  langue  vulgaire,  qui  occupe  une  place  si  considérable  dans  nos 
derniers  volumes,  est,  en  majeure  partie,  l'œuvre  d'écrivains  qui 
n'ont  pas  jugé  à  propos  de  se  faire  connaître,  et  que  nous  ne  pou- 
vons dater  qu'assez  vaguement.  D'ailleurs  nous  serons  de  plus  en 
plus  amenés  à  rédiger  des  notices  collectives  sur  des  écrits  d'un 
même  genre  qui,  pris  isolément,  n'offrent  qu'un  assez  faible  intérêt, 
tandis  que,  groupés,  ils  peuvent  donner  lieu  à  des  conclusions 
générales  d'une  certaine  portée.  C'est  ce  que  nous  avons  fait  dans 
le  tome  XXXII  pour  des  chroniques  monastiques  d'un  certain 
type;  c'est  ce  que  nous  tentons  dans  le  présent  volume  pour  les 
coutumiers  noraiands,  œuvres  d'époques  diverses,  dont  il  n'eût 


a. 


IV  AVERTISSEMENT. 

guère  été  possible  d'établir  les  ra])ports  vi\  des  notices  séparées, 
et  pour  les  innombrables  vies  de  saints  traduites  en  prose  fran- 
çaise an  cours  du  xiii"  siècle  el  au  commencement  du  XIV^  Il 
est  assez  indifférent  que  des  notices  de  ce  genre,  où  il  n'est 
guère  question  que  d'écrits  non  datés,  soient  placées  à  un  en- 
droit on  à  un  autre. 

Dans  le  tome  XXXIIÏ,  comme  dans  les  précédents,  on  trouvera 
(pielques  suppléments  au\  tomes  relatifs  au  xiii'  siècle.  Le  plus 
considérable  est  l'article  que  nous  avons  consacré  aux  légendes 
hagiograj)]nques  en  vers,  qui  est  rédigé  en  une  forme  inaccou- 
tumée. Ce  n'esl  pas  proprement  une  notice  :  c'est  une  sèche  biblio- 
graphie eu  or(h'e  alphabétique.  La  raison  pour  laquelle  nous  avons 
cru  devoir  nous  écarter  de  notre  méthode  habituelle  est  celle-ci  : 
les  légendes  en  vers,  toutes  traduites  ou  imitées  de  compositions 
latines,  foisonnent  dans  notre  littérature  du  xii®  au  xv'^  siècle.  Nous 
en  avons  relevé  plus  de  deux  cents,  et  nous  n'osons  afhrmer  que 
notre  énumération  soit  complète.  Entre  ces  poèmes  il  en  est  plu- 
sieurs qui  ont  été  composés  à  une  époque  à  laquelle  nous  ne 
sommes  pas  encore  arrivés  :  nous  les  signalons  à  nos  successeurs; 
mais  la  pluj)art  appartiennent  à  une  période,  maintenant  close, 
de  ÏHistoire  littéraire,  et  bien  peu  cependant  ont  obtenu  de  nos  de- 
vanciers les  notices  auxquelles  ils  avaient  droit.  Nous  avons  voulu 
qu'ils  eussent  au  moins  une  mention  dans  notre  œuvre,  et,  sans 
leur  consacrer  des  articles  qui  ne  seraient  plus  à  leur  place,  nous 
avons  cru  tlevoirfoiu'nirdes  indications  bibliogra|)hiques  qui  seront 
utiles  aux  personnes  qui  voudront  en  entreprendre  f  étude. 

On  remarquera  une  innovation  dans  la  disposition  matérielle  de 
ce  volume.  À  partir  du  présent  tome,  nous  supprimons  les  man- 
chettes, rejetant  en  note,  suivant  l'usage  le  plus  généralement 
adopté  de  nos  jours,  les  ren\ois  aux  ouvrages  cités.  D'où  résulte  un 


AVKRTISSK^[K^T.  v 

double  avantage.  D'une  pari,  nous  élargissons  la  juslidcation,  cl, 
d'autre  part,  les  renvois,  formulés  d'une  façon  souvent  trop  breAc, 
lorsqu'ils  étaient  placés  dans  la  marge,  ont  pu  être  donnés  d'un(> 
façon  assez  complète  pour  nous  permettre  de  supprimer  la  lahle 
des  ouvrages  cités,  qui,  jusqu'ici,  a  occupé  dans  nos  volumes  une 
j)iace  considérable. 

Les  auteurs  de  ce  trente-troisième  volume  de  ÏHisloirc  llllcralre 
(le  la  France,  membres  de  l'institul  (  Vcadémie  des  inscriptions  el 
l)elles-lettres),  sont  désignés  à  la  fin  de  chaque  article  par  les 
initiales  de  leurs  noms  : 

B.  H.  Barthélémy  HvinÉvir. 

G.  P.  Gaston  Paris. 

L.  1).  LÉoi'or.i)  Dkijsli;. 

P.  M.  Pall  Mkver,  édili-iir. 

P.  V.  Pall  \ iollet. 

N.  V.  Noël  Valois. 


i  /  ■)  I 


NOTICE 


SUR 


GASTON   PARIS, 

V\    DES    AUTEURS    DES    TOMES    XXVIU    X  XXXIJI 
DE  VaiSTOIBS  LITTÉBAISE  DE  t,A  FRAlfCE. 

(moi,tlk5mai«.9o3.)  '""  ■*^f^'itu'^\\ / 


I 


-*- I   IfU/Bl  II     -iriliKIOI    it'^.jl 

.,,.,.11;,  Yi   :,.<  .  ..r.>  ^|, 

Élu  membre  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  le  12  mai  1870, 
Gaston  Paris  fut  bientôt  attaché  comme  membre  adjoint  à  la  Commission  de  {'Histoire 
littéraire ^^\  dont  il  devint  membre  titulaire  en  1881,  à  la  mort  de  son  père.  Pen- 
dant vingt-six  ans  il  a  collaboré  activement  à  notre  œuvre  comrnùne ,  traitant  de 
préférence,  comme  avait  fait  Paulin  Paris,  des  sujets  de  littérature  française.  Lies 
notices  que  nous  lui  devons  étaient,  lorsqu'elles  parurent,  fort  en  avance  sur  l'état 
des  connaissances  d'alors;  actuellement  encore,  malgré  les  rapides  progrès  qui  ont 
été  accomplis  dans  le  domaine  de  l'ancienne  littérature  française ,  ses  articles  nous 
donnent,  sur  presque  tous  les  points,  le  dernier  état  de  la  science. 

Mais,  avant  d'énumérer  et  d'apprécier  les  notices  que  G.  Paris  a  données  à  YHis- 
toire  littéraire,  il  convient  de  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les  écrits  par  lesquels  il  s'était 
fait  connaître  avant  son  entrée  dans  notre  Académie,  et  sur  les  directions  variées 
dans  lesquelles  s'exerça  son  activité  scientifique.  '        ' 

Doué  d'une  intelligence  nette  et  vive ,  d'une  mémoire  tenace ,  d'une  rare  puissance 
de  travail,  capable  en  outre  de  s'intéresser  aux  sujets  Tés  pïiis  variés ,  G.  'Paris  eût 
brillé  au  premier  rang,  à  quelque  branche  d'étude  qu'il  se  fût  voué!  Et,  en  faîtj'îï 
ne  s'est  pas  occupé  seulement  des  langues  et  des  littératures  romanes ,  à  l'étude  dés- 
quelles  il  s'était  attaché  par  devoir  autant  que  par  goût  :  il  a  publié  des  travaux  sur 
la  littérature  latine  du  moyen  âge ,  il  a  fait  des  excursions  sur  le  domaine  de  l'his- 
toire pure ,  il  a  écrit  des  articles  de  critique  sur  la  littérature  moderne ,  et  partout  il  a 
montré  la  même  supériorité  que  dans  les  sujets  auxquels  il  s'appliquait  ordinairement! 

'1"'Il'y  prit  séance  le  1 3  juillet  1877. 


MU  NOTICE   SI  H   CVS'I'ON    l>\IUS. 

C'est  que  notre  coiil'rère  axail  roinnit'iirf'  par  tics  (''tudes  très  gi-nérales ,  et,  si  la 
pliitologie  du  moyeu  âge  était  devenue  son  domaine  préféié,  celui  où  il  devait  fain- 
M's  dérouvertes  les  plus  importantes,  il  ne  s'était  pas  renfermé  dans  les  limitis 
l'Iroites  d'une  science  spéciale  et  n'avait  jamais  cessé  de  s'intéresser  aux  progrès  (|ui 
se  manifestaient  en  d'autres  branches  de  l'érudition. 

Vprès  de  solides  études  au  collège  Rolliii,  son  père  l'envoya  l'n  Allemagne,  sur- 
tout en  vue  d'apprendre  l'allemand.  H  y  passa  près  de  deu\  ans  (i856-i858).  Il  se 
lit  inscrire  d'abord  à  l'Université  de  Bonn,  ([uil  abandonna  après  deux  semestres 
parce  cju'il  n'y  avait  pas  assez  cl'occasions  d*-  parler  allemand ,  et  se  rendit  <i  (îottingue , 
où  il  se  trouva,  selon  son  désir,  dans  un  milieu 'plus  exclusivement  germanique.  Ce 
séjour  ••Il  Allemagne  eut,  sur  la  formation  de  ses  idées  plutôt  que  sur  la  direction 
de  ses  études,  une  influence  considérable.  Ce  n'est  pas  là  qu'il  prit  le  goût  de  la  philo- 
logie romane:  il  l'avait  déjà,  et,  pour  l'acquérir,  il  n'avait  pas  eu  besoin  de  sortii' 
de  chez  lui.  D'ailleurs,  à  cette  époque,  l'enseignement  scientifique  des  langues  et  des 
littératures  modernes  commençait  à  peine  à  s'organiser  en  Allemagne.  En  fail. 
à  (îottingue,  il  suivit  de  préférence  des  cours  de  grec  cl  d'ancien  allemand.  Mais, 
vivant  de  la  vie  des  étudiants  allemands,  il  eut  l'idée  d'un  genre  d'enseignement  qui, 
alors,  n'existait  pas  en  France.  11  vit  <les  pidfesseurs  faisant  des  cours  techniques,  ce 
qui  n'était  guère  l'usage  dans  nos  Facultés  des  lettres,  se  mettant  en  rapport  avec 
leurs  élèves ,  s'efforçant  de  leur  doimer  une  instniction  vraiment  supérieure  et  surtoul 
de  les  préparer  à  faire  à  leur  tour  des  travaux  originaux.  C'est  ainsi  que,  bien  avant 
la  réforme  des  Facultés  commencée  par  Duruy,  il  était  arrivé  à  concevoir  le  haut 
enseignement  sous  la  forme  qu'il  avait  dans  les  Universités  allemandes. 

De  retour  en  France ,  il  se  fit  inscrire  à  l'Ecole  des  chartes ,  où  il  trouva  un  sys- 
tème d'études  qui ,  à  ceitains  égards ,  se  rapprochait  de  celui  qui  avait  ses  préférences , 
en  ce  qu'il  tendait  surtout  à  donner  aux  élèves  l'habitude  de  la  recherche  personnelle 
et  des  travaux  de  première  main.  L'Ecole  tles  chartes  n'était  jjoint  alors  ce  qu'elle 
est  devenue  depuis.  Il  y  avait  moins  de  chaires  qu'aujourd'hui;  les  leçons  étaient,  en 
général,  plutôt  pratiques  que  méthodiques.  Quelques  enseignements,  cependant, 
faisaient  exception,  notamment  celui  de  J.  Quicherat,  dont  toutes  les  parties  s'en- 
chainaient  selon  une  logique  rigoureuse,  et  ({ui,  par  sa  forme  surtout,  exerça  sur 
(î.  Paris  une  réelle  influence.  En  somme,  on  exigeait  des  jeunes  gens  moins  de  travail , 
mais  on  leur  laissait  plus  de  liberté.  Il  sortait  peut-être  de  l'école  plus  d'élèves  mé- 
diocres qu'aujourd'hui ,  mais  les  étudiants  laborieux  et  bien  doués  y  trouvaient  ce- 
pendant une  direction  sufllsante.  Les  homnu's  dune  intelligence  supérieure  n'ont  pas 
besoin  qu'on  leur  inculque  toutes  les  connaissances  qu'ils  devront  posséder  un  jour  : 
il  sufïit  qu'on  leur  indique  la  manière  de  les  acquérir.  C'est  à  l'Ecole  des  chartes  fpie 


NOTICE  SUR  (lASTON  PARIS.  i% 

G.  Paris  orienta  définitivement  ses  études  vers  les  langues  et  les  littératures  romanes 
du  moyen  âge.  Et  il  n'est  pas  douteux  que  l'enseignement  de  cette  école ,  où  il  se 
maintint  toujours  parmi  les  premiers ,  ail  contribué  pour  une  grande  part  à  déve- 
lopper chez  lui  l'esprit  critique.  Sa  thèse  [Etude  sur  le  rôle  de  l'accent  latin  dans  la 
langue  française) ,  soutenue  en  janvier  1862  et  imprimée  la  même  année,  est  un  ou- 
vrage demeuré  classique,  qui  obtint  les  suffrages,  non  seidement  de  ses  maîtres, 
mais  aussi  de  Diez,  le  fondateur  de  la  philologie  romane,  k  qui  il  l'avait  dédiée (•'. 
Dans  sa  dédicace,  il  se  déclarait  «  l'un  de  ses  disciples  »;  et  il  fêtait  en  effet,  comme 
le  furent  tous  ceux  qui  se  sont  appli([ués  à  l'étude  scientifique  des  langues  romanes. 
Mais  c'est  surtout  depuis  son  retoui-  d'Allemagne  (pi'il  l'était  devenu.  C'est  alors  qu'il 
avait  étudié  à  fond,  dans  la  seconde  édition,  la  Giummaire  des  langues  romanes, 
qu'il  devait  traduire  plus  tard  en  entier  d'après  la  troisième'*',  et  dont,  par  avance, 
en  i863,  il  publia  en  français  l'introduction.  i* 

Pour  fétude  dogmaticpie  et  historique  du  français,  G.  Paris  n'avait  guère  de  de- 
vanciers en  France.  L'Histoire  de  la  formation  de  la  langue  française  d'Ampère  était 
ime  œuvre  superficielle  qui  n'avait  d'original  que  ses  erreurs.  Le  volumineux  ou\Tage 
de  Chevallet ,  beaucoup  plus  récent  (1 853-1 858),  était  un  livre  mort-né.  G.  Paris  prit 
poui"  point  de  départ  l'état  de  la  science  tel  qu'il  résultait  des  travaux  de  Uiez.  Il  n'en 
était  pas  de  même  pour  les  recherches  d'histoire  littéraire.  Là  il  suivit,  avec  liberté  et 
originalité  toutefois,  la  tradition  paternelle.  Paulin  Paris  occupait,  depuis  i853,  au 
Collège  de  France,  la  seule  chaire  de  langue  et  littérature  française  du  moyen  âge 
qui  existât  en  ce  temps ,  et ,  depuis  1 83 1 ,  date  de  son  édition  de  Berte  aux  grands  pieds , 
avait  consacré  une  longue  série  de  travaux  à  des  recherches  sur  fancienne  littéra- 
ture française  dont  la  matière  lui  était  fournie  par  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque 
nationale,  où  il  était  conservateur  adjoint.  G.  Paris  a  reconnu  en  termes  touchants, 
dans  la  dédicace  de  son  Histoire  poétigue  de  Charlemagne,  la  dette  de  r<!Connaissance 
qu'il  avait  contractée  envers  son  jîère,  qui,  par  ses  entretiens,  l'avait  de  bonne  heure 
familiarisé  avec  la  vieille  épopée  française,  et  dont  la  riche  bibliothèque  lui  fut  d'un 
si  précieux  secours.  Mais  il  doit  être  bien  entendu  qu'il  s'agit  ici  d'une  influence  gé- 
nérale et  non  d'une  direction.  Bien  que  voués  aux  mêmes  études,  le  père  et  le  fds 
différaient  du  tout  au  tout  pour  la  méthode  de  travail,  la  manière  d'exposer  les  faits 
et  l'appréciation  générale  des  œuvres.  Paulin  Paris,  esprit  essentiellement  littéraire, 
s'attachait  surtout  à  mettre  en  relief,  quelquefois  avec  un  peu  trop  de  complaisance, 

'■'  Voir  le  compte  rendu  qu'en  a  fait  Die/.,  mier  en  collaboration  avec  Aug.  Brachet,  les 

Jahrbachf.  romaniscke  u.  englUche  Lilerular,  V  deux  autres  avec  M.  Morel-Falio.  —  Un  volume 

(i864),  4o6.  de  supplément  avait  été  annoncé,  qui  ne  fut 

'"'    1874-1876,  trois  volumes  in-8°,  le  pre-  jamais  rédigé. 

HIST.   LITTÉR. WXIII.  h 


X,  NOTICE  SUR  GASTON   PARIS. 

la  valeur  esthétique  des  écrits  qu'il  publiait  ou  analysait;  les  œuvres  qui  n'avaient  pas 
ce  genre  de  mérite  l'intéressaient  peu ,  et  il  les  négligeait  volontiers.  L'étude  de  la 
langue,  la  comparaison  des  textes,  la  recherche  des  origines  d'une  légende  ou  de  ses 
transformations,  en  un  mot,  tout  ce  qui  était  pure  érudition,  avait  pour  lui  peu  d'at- 
trait. Son  fds ,  au  contraire ,  sans  être  le  moins  du  monde  indifférent  au  mérite  litté- 
raire, savait  se  placer  à  des  points  de  vue  plus  variés  et  abordait  l'examen  des  œuvres 
du  moyen  âge  avec  plus  de  méthode  et  une  idée  plus  nette  des  questions  à  traiteri . 

Pourvu  du  diplôme  de  l'Ecole  des  chartes  et ,  peu  de  mois  après ,  de  la  licence  en 
droit,  G.  Paris  se  donna  tout  entier  aux  recherches  qui  devaient  aboutir  à  {'Histoire 
poétique  de  Chaiiemagne,  publiée  comme  thèse  de  doctorat  es  lettres  à  la  fin  de 
l'année  1 865.  Lorsque,  après  quarante  ans,  on  relit  cet  ouvrage  avec  la  connaissance 
des  progrès  réalisés  depuis  sa  publication ,  on  constate  assurément  que ,  sur  beaucoup 
de  points ,  nos  informations  sont  plus  complètes  et  plus  sûres ,  et  que  certaines  des 
hypothèses  émises  par  le  jeune  auteur  n'ont  pas  été  confirmées.  Mais  on  remarque 
aussi  que,  bien  souvent,  le  progrès  est  dû  à  quelque  travail  plus  récent  de  G.  Paris 
lui-même,  et  en  maint  autre  cas,  les  recherches  nouvelles  qui  ont  précisé  nos  connais- 
sances sur  des  sujets  étudiés  dans  ïHistoire  poétique  ont  eu  pour  point  de  départ  une 
conjecture  ou  une  observation  incidente  de  G.  Paris.  Par  sa  manière  claire  et  pré- 
cise de  poser  les  questions  il  indiquait  lui-même  ce  qu'il  y  avait  à  faire  pour  contrôler 
ses  conclusions.  Peu  de  livres  ont  eu  sur  le  développement  ultérieur  des  études  une 
influence  aussi  grande,  et  il  n'est  pas  exagéré  de  dire  que  la  valeur  exceptionnelle 
de  cette  œuvre  d'un  homme  de  vingt-cinq  ans  apparaît  plus  visiblement  aujourd'hui 
qu'au  temps  où  elle  fut  publiée.  La  décision  avec  laquelle  Paris  avait  résolu  des  ques- 
tions embrouillées,  la  clarté  qu'il  avait  su  répandre  sur  des  sujets  obscurs  dissimu- 
laient bien  des  diflicultés  que  les  discussions  ultérieures  ont  fait  pleinement  apparaître. 
Ceux  qui  ne  l'ont  pas  vu  à  l'œuvre  et  n'ont  pas  été  témoins  de  la  promptitude  avec 
laquelle  il  embrassait  toutes  les  parties  d'un  sujet,  coordonnait  les  faits  et  voyait  les 
rapports  qui  les  unissaient,  auront  peine  à  croire  que  la  composition  de  ce  livre  de 
plus  de  cinq  cents  pages,  tout  en  discussions  et  en  comparaisons  de  textes,  n'exigea 
guère  plus  d'une  année. 

''••Tandis  que  s'imprimait  ÏHistoire  poétique  de  Cliarleniagne ,  une  entreprise  se  pré- 
pai'ait  à  laquelle  on  avait  demandé  à  G.  Paris  de  s'associer,  et  qui  devait  absorber, 
pendant  plusieurs  années,  la  meilleure  part  de  son  activité.  Cette  entreprise,  qui 
tient  une  place  importante  dans  l'histoire  de  l'érudition  française  du  xix'  siècle,  ce 
fut  la  Revue  critique  d'histoire  et  de  littérature,  dont  le  premier  numéro  parut  le  6  jan- 
vier 1 866 ,  et  qui  avait  pour  directeurs ,  outre  G.  Paris,  trois  de  ses  ami.s,  Charles  Mo- 
re! ,  Hermann  Zotenberg  et  l'auteur  de  la  présente  notice.  A  cette  époque  l'état  de  la 


NOTICE  SUR  GASTON  PARIS.  xi 

critique  en  France ,  du  moins  en  ce  qxd  concerne  l'histoire ,  l'archéologie ,  la  philo- 
logie ,  était  naisérable.  L'érudition  étrangère  était  presqxie  ignorée ,  et ,  pour  les  livres 
publiés  chez  nous,  les  comptes  rendus  qui  paraissaient  dans  nos  revues  étaient, 
en  grande  majorité,  de  banales  annonces  ou  des  articles  de  complaisance.  La  critique 
sérieuse,  lorsqu'elle  se  manifestait  sous  la  plume  d'un  homme  compétent,  avait  trop 
souvent  le  caractère  d'attaques  personnelles.  L' Athenœum  français  (i85a-i856), 
puis  la  Correspondance  littéraire  (i856-i865),  qui  avaient  cherché  à  introduire  chez 
nous  des  habitudes  plus  scientifiques,  avaient  dû  cesser  leur  publication  après 
tpielques  années,  faute  d'un  appui  suffisant  de  la  part  du  public.  En  somme,  il 
n'existait  en  France  aucun  organe  pour  une  critique  indépendante  et  ennemie  de 
toute  personnalité.  La  Revue  critiifue  voulut  être  cet  organe.  Le  propectus,  rédigé 
par  G.  Paris,  disait  :  rq 

Le  point  auquel  les  rédacteurs  tiennent  le  plus  est  l'abstexition  de  toute  personnalité.  Le  livre 
seul  est  l'objet  de  la  critique;  l'auteur  pour  elle  n'existe  pas.  On  écartera  avec  la  même  sévérité 
la  camaraderie  et  l'hostilité  systématique ,  pour  ne  tenir  compte  que  des  seuls  intérêts  de  la  science. 
Une  des  plus  grandes  conquêtes  de  notre  époque  est  l'introduction  dans  les  recherches  historiques 
de  méthodes  rigoureuses  et  sûres.  La  rédaction  s'appliquera  à  propager  ces  méthodes ,  dont  l'igno- 
rance rend  souvent  incomplets  et  pénibles  les  travaux  les  plus  consciencieux. 

Cette  idée  de  la  méthode  applicable  aux  travaux  variés  de  l'érudition  revient 
souvent  dans  les  écrits  de  G.  Paris.  Elle  est  devenue  banale  maintenant;  elle  ne 
l'était  pas  en  1 866.  Tous  ceux  qui  avaient  à  cœur  le  relèvement  de  la  science  fran- 
çaise apportèrent  leur  concours  à  la  Revue  critique,  et  parmi  les  collaborateurs  de  la 
])remière  heure  on  voit  figurer  les  noms  de  savants  qui  étaient  déjà  ou  qui  devinrent 
plus  tard  des  maîtres.  Mais  leur  nombre  était  fort  limité,  et  les  fondateurs  du  recueil 
durent  faire  de  grands  efforts  pour  ne  pas  rester  trop  au-dessous  de  la  tâche  qu'ils 
avaient  assumée.  Et  c'est  alors  qu'on  put  admirer  la  variété  de  connaissances  que 
[wssédait  G.  Paris  et  sa  rare  puissance  de  travail.  Les  nombreux  articles  qu'il  écrivit 
dans  les  premiers  volvunes  de  la  Revue  critique  n'avaient  pas  trait  seulement  à  la  philo- 
logie romane  :  les  publications  relatives  à  cette  branche  d'études  étaient  rares  à  cette 
époque.  Il  rendait  compte  de  livres  d'histoire,  même  moderne,  d'ouvrages  sur  la 
littérature  française  de  l'époque  classique,  ou  sur  les  littératures  étrangères.  Lorsque 
G.  Paris,  déjà  absorbé  par  les  exigences  de  l'enseignement''^,  donnait  ainsi  une  par- 
tie de  son  temps  à  des  travaux  fugitifs  qui  le  détournaient  de  ses  études  propres ,  il 

'"'  G.  Paris  professa  au  Collège  de  France  remplaçant  de  son  père,  puis  de  nouveau  en 
pendant   l'année  scolaire  1866-1867  comme         1869.  Il  devint  professeur  titulaire  en  1872. 

h. 


SOI  NOTICE  SUR  GASTON   PARIS. 

se  conformait  à  une  haute  conception  de  son  rôle  de  critique;  il  voulait  contribuer, 
dans  la  mesure  di^  ses  moyens,  à  relever  le  niveau  scientifique  de  son  {jaysen  faisant 
connaître  en  France  un  mouvement  d'érudition  et,  plus  encore,  des  méthodes  dont, 
chez  nous,  on  tenait  trop  peu  de  compte.  C'était  sa  manière  d'entendre  le  patriotisme. 
Ce  n'était  pas  celle  de  tout  le  monde,  et  beaucoup,  en  ce  temps,  furent  choqués  des 
tendances  d'une  revue  où  il  leur  paraissait  que  les  travaux  des  savants  nationaux 
étaient  systématiquement  critiqués  avec  sévérité ,  tandis  que  ceux  des  savants  étran- 
g;ers  étaient  loués  et  recommandés.  Il  n'y  avait  pourtant  là  rien  de  systématique.  Mai.s 
il  est  des  cas  où  il  faut  savoir  se  résigner  à  avoir  contre  soi  la  masse  des  incompé- 
tents. Lorsque ,  après  une  interruption  d'une  année ,  causée  par  la  guerre ,  la  Revue 
rritinuc  reprit  sa  publication,  les  directeurs  purent  écrire,  dans  l'avertissement  im- 
primé en  tête  du  numéro  du  i"  septembre  1871*": 

L'oeuvre  que  nous  avions  entreprise  ne  nous  seiublail  pas  dépoui-vue  d'utilité  :  nous 

croyons  que  si,  dans  toutes  les  branches  de  l'activilé  nationale,  on  avait  fait  ce  que  nous  avons 
tenté  dans  notre  humble  sphère ,  on  aurait  évité  les  désastres  qui  viennent  de  frapper  la  France. 

Les  comptes  rendus  publiés  par  Gaston  Paris  dans  la  Revue  critique  méritent  d'occu- 
per dans  son  œuvre  une  place  importante.  On  y  trouve  déjà  en  germe  beaucoup  des 
idées  qu'il  développa  plus  tard.  Ce  qui  frappe  surtout,  ce  n'est  pas  tant  sa  précoce 
érudition  que  la  sûreté  avec  laquelle  il  savait  poser  les  questions,  l'ordre  et  la  clarté 
qu'il  mettait  dans  l'exposé  et  la  discussion  des  idées  d'autrui.  Dès  lors  son  esprit 
possédait  les  qualités  éminentes  qu'il  appliqua  par  la  suite  à  de  plus  grands  sujets. 

G.  Paris  continua  à  prendre  part  à  la  direction  de  la  Revue  rn</(/i/f  jusqu'en  1 887, 
mais,  à  partir  de  1873,  ses  articles  se  firent  de  plus  en  plus  rares,  un  nouveau 
recueil,  mieux  adapté  à  ses  études,  la  Romania,  ayant,  à  partir  de  cette  date  et 
jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  réclamé  tous  ses  soins. 

De  toutes  les  œuvres  auxquelles  G.  Paris  attacha  son  nom,  la  Rnmania  est  certai- 
nement celle  qui  lui  tint  le  plus  à  cœur  et  à  laquelle  il  s'est  donné  le  plus  complète- 
ment. Jusqu'à  l'époque  où  fut  fondée  cette  revue ,  spécialement  destinée  aux  études 
romanes,  les  riires  travaux  qui  paraissaient  en  France  dans  ce  domaine  étaient  dis- 
persés entre  plusieurs  recueils  à  compétence  variée  :  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des 
chartes,  où  G.Paris  écrivit  plusieurs  mémoires  (i863,  i864,  1866),  le  Bulletin 
du  Bibitophile,  qui  eut  aussi  sa  collaboration  intermittente'*',  les  Mémoires  de  la 

'''  Numéros    roiiipiémentaires    de    l'année         deux  importants  articles  sur  l'histoire  de  l'or- 

1870,  p.  Ii3.  thographe  française.  Depuis,  en  diverses  occa- 

.*''  C'est  là  notamment  qu'il  |)ublia,  en  i8(>8,         sions,  G.  Paris  s'est  occupé  de  cette  question. 


NOTfCE  SUR  GASTON  PARIS.  xm 

Société  de  linguistique,  fondée  en  1866,  où  il  inséra  quelques  étyniologies ,  lii 
Revue  des  langues  romanes,  publiée  depuis  1870  à  Montpellier,  qui  était  l'un  des 
organes  préférés  de  la  poésie  dialectale  du  Midi  de  la  France ,  et  qui ,  par  suite ,  ne 
pouvait  accorder  à  l'éiiidition  qu'une  place  restreinte.  Le  recueil  périodique  qui  cor- 
respondait le  mieux  à  l'objet  que  se  proposait  la  Romania  était  allemand.  C'était  le 
Jahrbach  fiir  mmanische  and  englische  Literatar,  publié  à  Berlin  depuis  iS'ig,  qui 
faisait  une  large  partauv  langues  et  aux  littératures  romanes  pendant  le  moyen  âge. 
Plusieurs  de  nos  compatriotes  y  publiaient  des  articles  en  français.  G.  Paris,  encore 
sur  les  bancs  de  l'Kcole  des  chartes,  lui  adressait  des  revues  annuelles  de  la  litté- 
rature française.  Il  y  appréciait  ï Amour,  de  Michelet,  Fanny,  d'Ernest  Feydeau,  des 
pièces  de  Mario  Uchard,  d'Kmile  Augier  et  d'Alexandre  Dumas  fds,  le  Roman  d'an 
jeune  homme  pauvre,  de  Feuillet,  la  Légende  des  siècles,  de  V.  ilugo,  la  Mireille,  de 
Mistral,  divers  poèmes  de  Laprade,  d'Autran  et  d'autres  maintenant  un  peu  oubliés. 
Ses  jugements  sont  ceux  d'un  homme  d^•  sens,  à  idées  plutôt  conservatrices,  et  qu'on 
n'aurait  pas  cru  si  jeune.  Il  est  curieux  de  comparer  le  jugement  assez  banal  et  super- 
ficiel qu'il  portait  sur  Mistral  en  1 860 ,  avec  l'étude  profondément  fouillée  et  presque 
enthousiaste  qu'il  consacra  trente-quatre  ans  plus  tard  au  même  poète*".  Le  Jahrbach 
renferme  aussi  deux  articles  de  G.  Paris  (1861  et  1870)  qui  concernent  la  philo- 
logie française.  Mais  ce  recueil,  peu  répandu  chez  nous,  qui  d'ailleurs  embrassait 
trop  de  matières,  eu  égard  à  l'espace  qu'il  mettait  à  la  disposition  de  ses  colla- 
borateurs, ne  pouvait  exercer  aucune  influence  sur  le  développement  des  études 
romanes  en  France.  Aussi,  dès  que  l'avenir  de  la  Revue  critique  panit  assuré,  l'idée 
vint  naturellement  à  G.  Paris  et  à  un  de  ses  compagnons  d'études  de  fonder  en  France 
une  revue  spéciale  pour  les  langues  et  les  littératures  romanes  pendant  le  moyen  âge, 
la  France  occupant  naturellement  la  première  place ,  comme  ayant  la  littérature  la 
plus  considérable  et  la  moins  connue.  La  guerre  ne  permit  pas  que  ce  dessein  fût  réa- 
lisé aussi  tôt  qu'on  l'eût  désiré;  toutefois,  au  commenceiTient  de  l'année  187a,  le 
nouveau  périodique  paraissait  sous  le  nom  de  Romania,  qui  lui  avait  été  donné  pour 
en  faire  en  quelque  sorte  le  pendant  de  la  Germania,  périodique  consacré  aux  études 
germaniques  qui  paraissait  à  Vienne  depuis  i855.  L'article  de  début,  par  G.  Paris, 
était  intitulé  Romani,  Romania,  et  exposait  en  quels  sens  ces  deux  vocables  avaient 
été  employés  à  la  fin  de  l'Empire  romain  et  au  commencement  du  moyen  âge.  C'était 
à  la  fois  l'explication  du  titre  adopté  et  une  digne  introduction  à  l'œuvre  qu'on 
avait  en  vue. 

C'est  dans  la  Romania  que  Paris  a  publié  ses  travaux  les  plus  originaux  sur  la  lin- 

''*  Dans  la  Revue  de  Paris  (1894),  article  reproduit  dans  Penseurs  et  poêles  (  189G). 


xiT  NOTICE  SUR  GASTON  PARIS. 

guistique  française  et  sur  notre  ancienne  littérature.  Sans  entrer  dans  une  énuméra- 
lion  qui  ne  serait  pas  ici  à  sa  place'*',  on  peut  citer,  pour  la  linguistique,  son  étude 
sur  l'o  fermé  en  français  (  i  88 1  ) ,  et  de  nombreuses  recherches  étymologiques  publiées 
à  diverses  époques;  pour  la  littérature,  ses  mémoires  sur  la  Chanson  du  Pèlerinage 
de  Charlemagne  à  Jérusalem  (1880)  où  il  refaisait  et  complétait  un  chapitre  de 
l'Histoire  poétique  de  Charlemagne,  sur  les  Romans  de  la  Table  ronde,  et  en  parti- 
culier sur  Lancelot  du  Lac  {1S81,  1 883),  sur  Henri  de  Valenciennes  (1890),  sur 
Martin  Le  Franc  (1887),  sur  Villon  (1887,  1901  ),  etc.  Il  ypublia  aussi  des  textes 
littéraires  d'une  réelle  importance  :  les  nouvelles  éditions  de  la  Vie  de  saint  Léger  et 
delà  Passion  du  manuscrit  de  Clermont-Ferrand  (1872,  1873),  YHistoria  Daretis 
Phrygii  de  origine  Francorum,  interpolée  dans  certains  manuscrits  du  chroniqueur 
connu  sous  le  nom  de  Frédégaire  (1874)1  des  lais  inédits  (1879),  le  Carmen  de 
proditione  Guenonis  (1882),  le  Donneides  Amants  (1896),  etc. 

La  Romania  n'avait  pas  été  fondée  uniquement  pour  être  un  recueil  de  disserta- 
tions et  de  textes.  Elle  avait  aussi  pour  but  de  faire  connaître  par  des  comptes 
rendus  critiques  tout  ce  qui  paraissait  de  nouveau  dans  le  domaine  de  la  philologie 
romane.  A  l'origine,  cette  tâche  put  être  accomplie  sans  trop  de  difficultés;  les  publi- 
cations de  documents,  les  livres,  les  dissertations  sur  tel  ou  tel  point  de  philologie 
romane  n'étaient  pas  tellement  nombreux  qu'il  ne  fût  possible  de  les  lire  et  de  les 
analyser.  Mais  peu  à  peu,  à  mesure  que  de  nouvelles  chaires  de  langues  romanes 
furent  créées,  en  Allemagne,  en  Italie,  en  Amérique,  la  production  devint  si  abon- 
dante qu'il  fut  impossible  de  tout  signaler.  Et  cependant,  telle  était  l'importance  que 
G.  Paris  attachait  à  cette  partie  du  programme  de  la  Romania ,  que  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie 
il  consacra  la  plus  grande  partie  des  loisirs  que  lui  laissait  l'accomplissement  de  ses 
devoirs  professionnels  à  rendre  compte ,  soit  en  des  articles  étendus ,  soit  sous  forme 
de  notices  succinctes,  des  publications  nouvelles.  Il  y  excellait.  Il  voyait  rapidement 
et  juste,  dégageant  avec  sfireté  ce  qu'il  y  avait  de  neuf  dans  l'ouvrage  examiné,  in- 
diquant brièvement  les  défauts  de  la  mise  en  œuvre  et  les  lacunes.  Dans  ses  critiques, 
les  questions  de  méthode  tenaient  toujours  la  première  place.  A  cet  égard,  ses 
comptes  rendus  étaient  comme  un  prolongement  de  son  enseignement.  On  a  pu 
regretter  que  le  temps  passé  à  faire  connaître  les  œuvres  d'autrui ,  à  les  rectifier,  à 
les  compléter,  n'ait  pas  été  employé  à  des  études  plus  personnelles;  cependant  il 
faut  reconnaître  que  certains  de  ces  articles  critiques  ont  la  valeur  de  mémoires  ori- 
ginaux et  qu'ils  l'ont  amené  à  exprimer  ses  idées  sur  maints  sujets  qu'il  n'eût  sans 
doute  pas  abordés,  si  foccasion  ne  lui  en  avait  pas  été  offerte. 

'''  On  peut  d'ailleurs  recourir  à  la  Bi6/ioyra-         190^    par  deux  de    ses   élèves,  MM.   Bédier 
phie  des  travaux  de  Gaston  Paris   publiée  en         et  Roques. 


NOTICE  SUR   GASTOiN   PARIS. 


XV 


Après  la  Romaiiia,  c'est  ÏHistoire  littéraire  qui  renferme  le  plus  grand  nombre  des 
monographies  consacrées  pai'  G.  Paris  à  notre  ancienne  littérature.  Ici  son  choix 
était  moins  libre.  Beaucoup  des  notices  qu'il  eût  aimé  à  rédiger  avaient  été  faites 
par  ses  devanciers,  et  les  matières  dont  il  eut  à  s'occuper  n'étaient  pas  toujours  celles 
qui  avaient  poui'  lui  le  plus  d'attrait.  C'est  là  une  condition  à  laquelle  doivent  se 
soumettre  tous  ceux  qui  collaborent  à  notre  œuvre  commune.  G.  Paris,  toutefois, 
avait  une  prépiu^ation  générale  qui  lui  permettait  de  traiter  d'une  façon  nouvelle 
et  intéressante  les  sujets  en  apparence  les  plus  ingrats.  Notre  tome  XXVIII  (1881) 
contient  de  lui  cinq  notices  sur  des  écrits  appartenant  à  des  genres  bien  dilférents  : 
le  Manuel  de  péchés  de  William  de  V\  addington ,  traité  de  théologie  à  l'usage  des 
laïques ,  qui  eut  en  Angleterre  le  plus  grand  succès  ;  la  Bible  en  vers  français  de  Macé 
de  La  Charité;  les  poèmes  de  Galien  et  de  Lohier  et  Malarl,  tous  deux  appartenant 
à  l'épopée  carolingienne ,  le  second  perdu  en  original ,  mais  conservé  par  une  ver- 
sion allemande;  le  Roman  du  Châtelain  de  Couci.  Ces  notices  pourraient  maintenant 
être  corrigées  et  complétées  sur  certains  points ,  sans  toutefois  que  les  conclusions  en 
fussent  modifiées.  Il  faut  dire  que  G.  Paris  a  lui-même  indiqué  en  diverses  occa- 
sions les  corrections  et  modifications  que  le  progrès  des  études  permet  d'y  intro- 
duire "'. 


'''  Ainsi,  lorsque  G.  Paris  écrivit  son  ar- 
ticle sur  Galien,  on  ne  connaissait  ce  poème 
que  par  deux  rédactions  en  prose,  tpi  du 
reste  permettaient  de  se  former  une  idée  assez 
exacte  de  l'original.  Depuis,  cet  original  a  été 
retrouvé,  et  G.  Paris  lui  a  consacré  une  notice 
qui  a  paru  dans  la  Romania ,  XII ,  1  et  suiv.  — 
Au  sujet  de  Macé  de  La  Charité,  nous  avons 
trouvé  ,d  ans  les  papiers  de  G.  Paris ,  une  courte 
note  qu'il  se  proposait  d'insérer  parmi  les  addi- 
tions et  corrections  du  tome  XXIX,  mais  qui 
toutefois  n'y  a  pas  pris  place.  La  voici  : 

P.  208  et  suiv.  Il  existe  à  Tours  un  second 
manuscrit  de  l'œuvre  de  Macé  de  La  Charité,  que 
nous  ne  connaissions  pas  quand  nous  avons  fait  la 
notice  de  cet  écrivain ,  et  sur  leqiiel  on  peut  voir 
des  renseignements  dans  l'ouvrage  de  M.  Bonnard 
Les  traductions  de  la  Bible  en  vers  franrais  au 
mojen  âge  (Paris,  i884),  p.  67-81.  Au  lieu  du  mot 
puitei.  qui  nous  était  incompréhensible  (p.  ni), 
le  manuscrit  de  Tours  porte  Bedes,  ce  qui  indique 
que  le  commentaire  biblique  de  Bède  a  été  une  des 


principales  sources  de  Macé;  toutefois,  comme  l'a 
montré  M.  Bonnard,  ce  n'a  pas  été  à  beaucoup 
près  sa  source  unique.  —  G.  P. 

G.  Paris  avait  également  rédigé  un  court 
supplément  à  son  article  sur  le  Châtelain  de 
Couci.  Nous  croyons  devoir  l'insérer  ici  : 

P.  367  et  suiv.  M.  Fath,  dans  l'introduction 
qu'il  a  mise  à  sa  nouvelle  édition  des  chansons  du 
châtelain  de  (x)uci  (Heidelberg,  i883),  a  fait  va- 
loir divers  arguments  pour  établir  que  l'auteur  de 
ces  chansons  était,  non  pas  Renaud  I,  mais  Gui, 
mort  en  i  3o3  pendant  la  quatrième  croisade.  Ces 
arguments  sont  d'inégale  valeur,  mais  il  en  est  un 
que  nous  avons  maintenant  tout  lieu  de  croire  dé- 
cisif. Une  chanson  du  châtelain  est,  comme  nous 
l'avons  dit,  citée  dans  le  roman  de  Guillaumr  dr 
Dôle.  Or  ce  roman,  dont  nous  n'avions  pu  indiquer 
la  date  qu'approximativement,  a  dû  être  écrit, 
comme  le  dit  M.  Fath ,  avant  1218,  ou  plus  pr/^- 
cisément,  comme  le  montrera  M.  Servois,  qui  en 
prépare  une  édition,  vers  12 u  :  il  est  donc  im- 
possible qu'une  chanson  de   Renaud,   qui   ne  fut 


\V1 


NOTJCE   SUR  GASTON    PVRIS. 


Dans  le  tome  XXIX  (1881)  il  publia,  outre  la  notice  sur  son  père'",  un  long 
article  sur  «  Chrestien  Legouais  et  autres  traducteurs  et  imitateurs  «l'Ovide»®.  Il 
prit  aussi  part  à  la  rédaction  du  vaste  article  sur  Raimon  IjuH  ,  qui  occupe  plus  de 
la  moitié  de  ce  volume  et  qui  est  l'œuvre  collective  de  la  Commission. 

Le  tome  XXX  (  1 888  )  est  celui  auquel  G.  Paris  a  fourni  la  plus  forte  contribution. 
Sous  le  titie  de  «  Romans  en  vers  de  la  Table  ronde  »,  il  y  étudia ,  en  une  série  d'articles , 
lous  les  romans  en  vers  français  ou  provençaux  qui  se  rattachent  do  près  ou  de 
loin  au  cycle  d'Arthur  ou  à  celui  de  Tristan ,  divisant  sa  matière  en  quatre  séries  : 
r  les  poèmes  relatifs  à  Tristan  ;  a°  les  poèmes  de  Chrestien  de  Troyes  ;  3"  les  romans 
épisodiques,  notamment  ceux  relatifs  à  Gauvain ;  4°  les  romans  biographiques,  ran- 
gés dans  l'ordre  alphabétique  des  titres.  Entre  ces  poèmes,  plusieurs  avaient  déjà  été 
l'objet  de  notices,  dans  nos  tomes  X'Và  XXII.  Mais  on  conçoit  cpie  des  articles  com- 
posés dans  la  première  moitié  du  xix' siècle,  sur  des  sujets  que  la  critique  n'avait  pas 
encore  débrouillés,  devaient  paraître  très  arriérés.  On  poui  lait  même  dire  que  la  plu- 
part des  notices  contenues  dans  nos  anciens  volumes ,  si  on  les  envisage  du  point  de 
vue  où  sont  arrivées  les  recherches  sur  le  moyen  âge  littéraire,  seraient  à  refaire. 
Hauréau  le  pensait ,  et  il  ne  manquait  pas  l'occasion  de  rectifier  ou  de  compléter 
l'œuvre  de  nos  devanciers.  Il  eût  voulu  aller  plus  loin  et  consacrer  une  partie  de 
notre  publication  à  de  véritables  suppléments  aux  anciennes  notices.  G.  Paris  n'était 
pas  éloigné  de  partager  ce  sentiment,  sans  se  dissimuler  que  si  on  entreprenait  de 
mettre  au  courant  de  nos  connaissances  actuelles  des  travaux  vieux  de  plus  d'un 
demi-siècle,  c'était  une  portion  considérable  de  notre  œuvre  qu'il  faudiait  récrire.  La 


l'IiÂlcInin.  loiil  jcuni:  encore,  qu'en  U07,  ail  <^té 
«vlèhre  en  m 2;  d'ailleurs  il  est  certain  que  l'au- 
Icur  lie  ces  chansons  fit  le  pèlerinage  d'outre-mcr, 
ce  qui  ne  parait  pas  a\oir  <'l*i  le  cas  pour  Renaud. 
Il  faut  donc,  suivant  toute  prohahilité ,  regarder 
Goi  de  ('x>uci ,  châtelain  de  Couci ,  comme  l'auteur 
des  chansons  qui  passèrent  de  lionne  heure  pour 
les  meilleures  de  leur  genre.  [Cf.  une  noie  de 
(t.  Paris,  dans  la  Romaiiia,  XIU,  485.] 

La  légou'Jc  qui  fait  le  fond  du  roman  de  Jako- 
mon  Sakesep  a,  depuis  la  publication  de  cet  or- 
licle,  clé  relrouïée  dans  l'Inde,  et  elle  a  probable- 
ment une  origine  asiatique.  Voyez  llnmunin,  l.  \II, 
p.  35g.  —  (r.  P. 

Nous  pouvons  ajouter  encore  «|u'il  existe 
en    néerlaii'Inis    une    imilalion    très   libre  du 


('luUehiin  de  Couci,  dont  il  nous  est  parvenu 
quelques  fragments  qui  ont  été  publiés  i\  Leyde 
en  1887.  G.  Paris  en  a  rendu  compte  dans  la 
Romuniu,  XVII,  456  et  suiv. 

"•  Cette  notice  est  tout  à  fait  différente  de 
celle  qu'il  publia  dans  la  liomunia,  t.  \I. 

''•'  H  faut  noter  en  passant  que  l'attribution 
de  YOvide  moralisé  à  un  écrivain  nommé 
Chrestien  Lcgouais  est  le  résultat  d'une  erreur 
que  notre  confrère  M.  Thomas  a  expliquée  et 
rectifiée  dans  un  article  de  la  Roniania,  XXII, 
371.  (i.  Paris  admit  la  rectification,  elle  nom 
de  Chrestien  Legouais  disparut  de  la  3"  édi- 
tion de  sa  lAuéralure  française,  au  moyen  âge. 
Cf.  ce  qu'il  a  écrit  à  ce  propos  dans  le  Jour- 
nul  (les  Savants,  1902,  p.  ugS. 


NOTICE   SUR  GASTON   PARIS.  wii 

Commission  refusa,  avec  raison ,  d'entrer  dans  cette  voie ,  persuadée  que  le  progrès 
des  études  est  incessant,  qu'il  n'est  jamais  permis  de  déclarer  close  la  période  des 
découvertes,  et  que,  à  revenir  constamment  sur  le  passé,  nous  retarderions,  sans 
beaucoup  de  profit,  l'avancement  de  notre  œuvie.  G.  Paris  le  comprit,  et  il  sut  garder 
une  juste  mesure  dans  la  rédaction  des  compléments  qu'il  Ht  aux  articles  de  nos  de- 
vanciers sur  les  Romans  de  la  Table  ronde.  Il  se  borna  le  plus  souvent  à  rectifier  des 
dates ,  à  signaler  des  éditions  et  des  travaux  récents ,  à  formuler  brièvement  les  con- 
clusions nouvelles  que  comportait  l'état  de  nos  connaissances.  Et  comme,  dans  nos 
études,  rien  n'est  définitif,  s'il  avait  pu,  dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  reviser  ce 
qu'il  écrivait  il  y  a  vingt-cinq  ans,  il  y  eût  trouvé  assurément  matière  à  correction  '". 
'  Les  suppléments  à  d'anciennes  notices  de  Y  Histoire  littéraire  ne  forment,  du  reste, 
(fue  la  moindre  partie  du  travail  considérable  que  G.  Paris  a  consacré  aux  romans 
du  cycle  d'Arthiu*  dans  notre  tome  trentième.  Un  bon  nombre  des  poèmes  dont  il 
traite,  et  entre  lesquels  plusieurs  remontent  au  xii°  siècle,  étaient  restés  inconnus  à 
nos  devanciers.  Cei'tains  même  n'existent  plus  sous  leur  forme  française,  et  notre 
confrère  a  dû  les  retrouver  dans  des  versions  flamandes,  anglaises  ou  allemandes: 
c'est  le  mérite  de  G.  Paris  de  les  avoir  en  quelque  sorte  restitués  à  notre  littératui'e. 
Notre  tome  XXXI  (iSgS)  contient  un  long  article  de  G.  .Paris  sur  Girart 
d'Amiens,  rimeur  prolixe  qui,  vers  la  fin  du  xiii'  siècle,  composa  trois  poèmes  sans 
valeur  poétique,  mais  intéressants  toutefois  par  les  questions  qu'ils  soulèvent:  les 
romans  d'Escanor,  de  Méliacin ,  et  une  longue  chanson  de  geste  intitulée  «  Charle- 
«  magne  ».  Etudiant  Méliacin,  notre  confrère  a  résolu  une  question  qui,  jusqu'alors, 
avait  été  mal  posée,  celle  du  rapport  de  ce  poème  avec  le  Cléomadès  d'Adenet.  Pour 
le  Charlemagne ,  il  n'avait  qu'à  compléter  par  de  nouvelles  observations  ce  qu'il  en 
avait  dit  vingt-cinq  ans  plus  tôt  dans  son  Histoire  poétique  de  Charlemagne.  Il  collabora, 
avec  Renan,  à  l'article  sur  le  Livre  de  Sidrac,  ouvrage  singulier  dont  l'origine  est 
encore  assez  obscure,  et  il  reniania  une  notice  rédigée  par  son  père  sur  Jehan 
Maillart,  auteur  du  Roman  du  Comte  d'Anjou.      mnoiV  i;i  Bup  "i 

i>  t^iii^l  bi'b  rt(«p  xiiii5jviion  eli»!  »b  xiiahu  , 

'■'  Ainsi  il  eût  certainement  modifié  la  (laie  lui-même,  dans  sa  Littératare  française  au 
qu'il  assigna,  p.  a 2,  au  roman  de  Tristan  par  moyen  âge  (3*  éd.), 8 56,  a  rectifié  son  opinion 
Béroul.  Il  ne  le  croyait  pas  plus  récent  que  première  sur  ce  point.  De  même  pour  la  Veii- 
1  i5o.  Mais  on  admet  maintenant  qu'une  par-  ijeance  de  Ragaidel  :  G.  Paris  (p.  46-47)  tenait 
tie  seulement  du  poème  est  de  Béroul ,  et  que  <pe  le  Raoul ,  auteur  de  ce  roman ,  est  dis- 
celte partie  même  ne  peut  guère  être  anté-  tinct  de  Raoul  de  Houdenc,  auteur  de  JV/eraHjfis 
rieure  à  1170  environ,  le  reste  étant  encore  et  d'autres  poèmes.  Mais  il  se  rangea  depuis 
moins  ancien;  voir  l'édition  de  M.  Muret  (So-  à  l'opinion  de  ceux  qui  identifient  ces  deux 
ciéto  des  anciens  textes ,  igoS,  p.  cxiv);  Pari»  ïiaoal  [Bomimia,  XXIX,  117-118). 

HIST.  LITTÉR.  XXXlll.  C 


xviii  NOTICE   SUR  GASTON   PARIS. 

Dans  le  tome  XXXII,  nous  relevons  deux  notices  de  tout  premier  ordre,  l'une 
sur  le  Roman  de  Fauve! ,  dont  on  ne  possède  jusqu'à  présent  qu'une  édition  médiocre , 
faite  il  y  a  quarante  ans  d'après  un  manuscrit  incomplet,  et  l'autre  sur  Jean  de  Join- 
ville.  Celle-ci,  qui,  publiée  à  part,  formerait  un  livre  de  moyenne  étendue,  est  une 
étude  aj)profondie  sur  le  célèbre  historien.  Toutes  les  questions,  souvent  fort  com- 
plexes', tnn  se  rattachent  à  la  composition  des  mémoires  du  fidèle  compagnon  d»- 
saint  Louis,  à  la  date  des  éléments  divers  dont  ils  se  composent,  à  leur  transmission, 
sont  élucidées  avec  une  critique  supérieure.  Nul  autre  que  G.  Paris  n'aurait  réussi  à 
présenter  tant  d'idées  nouvelles  sur  un  sujet  qui  avait  suscité  de  si  nombreux  travaux. 

Le  tome  XXXIII,  que  nous  publions  actuellement,  était  en  cours  d'impression 
lorsque  nous  avons  perdu  notre  bien  regretté  collaborateur.  Il  avait  pu,  cependant, 
corriger  les  épreuves  de  sa  notice  sur  Raimond  de  Béziers,  traducteur  médiocre  et 
compilateur  malhabile  d'écrits  que  nous  possédons  presque  tous  sous  leur  forme 
originale.  Jusqu'ici  l'œuvre  de  cet  écrivain  avait  été  mal  appréciée ,  et  on  lui  avait 
attribué  une  importance  (pi'elle  n'avait  pas.  On  peut  dire  que  dans  cette  notice  ont 
été  résolues  pour  la  première  fois  les  questions  embrouillées  qui  se  rattachent  au 
rôle  joué  par  Raimond  de  Béziers  dans  la  transmission  du  vieux  recueil  de  contes 
indiens  auquel  les  Arabes  ont  donné  le  titre  de  kaiilah  et  Dimnali. 

L'Histoire  littéraire  et  la  Romania  ne  sont  pas  les  seuls  recueils  où  G.  Paris  ait 
publié  des  travaux  originaux  de  recherches  et  de  critique.  Sa  collaboration  au  Journal 
(les  Savants,  dont  il  devint  en  i884  l'un  des  rédacteurs  attitrés,  ne  doit  pas  être 
passée  sous  silence.  Nous  ne  pouvons  énumérer  ici  les  nombreux  articles  qu'il  y 
publia,  et  qui  témoignent,  par  leur  variété,  de  sa  vaste  compétence  et  de  sa  curiosité 
sans  cesse  en  éveil  :  les  vieilles  traductions  latines  de  la  Bible,  les  chants  populaires, 
la  transrnission  des  fables  depuis  l'antiquité  jusqu'à  une  époque  avancée  du  moyen 
âge,  les  recueils  de  contes  l'intéressent  autant  que  notre  vieille  littérature  française. 
G.  Paris  aimait  à  écrire  dans  le  Journal  des  Savants.  Il  s'y  sentait  plus  à  l'aise  que  nulle 
part  ailleurs,  même  qu'à  la  Romania,  où  il  avait  pour  lecteurs  des  spécialistes  plus 
curieux  de  faits  nouveaux  que  d'idées  générales ,  et  où  de  longs  développements  n'au- 
raient pu  trouver  place.  Le  Journal  des  Savants  lui  laissait  plus  de  liberté.  A  l'occasion 
d'une  publication  récente  il  pouvait  développer  largement  ses  vues  sur  le  sujet,  re- 
prendre à  nouveau  des  questions  maintes  fois  débattues,  risquer  d'ir)génieuises  con- 
jectures, refaire  en  quelcjue  sorte  le  livTe  dont  il  rendait  compte.  Aussi  éprouva-t-il 
une  véritable  aflliction  quand  il  apprit  que  ce  recueil,  vénérable  par  son  antiquité, 
était  menacé  de  mort  prochaine  par  le  retrait  de  la  subvention  de  l'Etat  qui  le  fai- 
sait vivre.  11  lui  sembla  qu'un  organe  essentiel^  sa  vie  littéraii-e  allait  lui  manquer. 
L'Institut  se  devait,  pet>$ait-il,  de  ne  pas  laisser  disparaître  uo  recueil  auquel  il  était 

.111/,-  !  M  .Tfîm 


NOTICE   SUR  GASTON  PARIS.  xrx 

associé  par  une  longue  tradition.  11  fit  des  efforts  inouïs  pour  en  prolonger  la  précaire 
existence.  Atteint  déjà  de  la  maladie  qui  devait  l'emporter  à  bref  terme,  il  assuma 
la  direction  du  journal  en  péril.  Personne  ne  la  lui  disputa.  A  force  de  démarches 
il  obtint  les  subsides  nécessaires  pour  le  remettre  à  flot.  11  rédigea  un  plan  de  ré- 
forme, il  s'assura  de  nouveaux  collaborateurs,  et  c'est,  en  somme,  grâce  à  lui  qu'une 
nouvelle  série  du  Journal  des  Savants,  revenu  à  la  vie,  parut  à  partir  du  mois  de  jan- 
vier 1 9o3.  Le  premier  numéro  contient  une  histoire  du  Journal,  depuis  sa  fondation 
en  i665,  par  son  nouveau  directeur.  G.  Paris  avait  cru  devoir  placer  ce  préambule 
en  tête  de  la  nouvelle  série  du  recueil  qui ,  pendant  plusieurs  mois ,  lui  avait  causé 
maints  soucis  et  l'avait  détourné  de  ses  travaux  habituels.  Ce  fut  son  dernier  effort. 
Si  variées  qu'aient  été  les  connaissances  de  G.  Paris ,  si  nombreux  que  soient  les 
sujets  dont  il  s'est  occupé,  c'était  pourtant  vers  nos  vieux  écrivains,  vers  l'histoire  de 
notre  langue,  que  convergeaient  toutes  ses  études.  Cette  prédilection  n'était  pas  seule- 
ment un  goût  d'érudit,  c'était  l'une  des  façons  dont  se  manifestait  l'amour  profond  et 
éclaii'é  qu'il  portait  à  son  pays.  Il  lui  pesait  de  voir  les  œuvres  les  plus  caractéristiques 
du  vieil  esprit  irançais  ignorées  et  dédaignées  en  France,  tandis  qu'elles  étaient 
publiées ,  étudiées ,  appréciées  à  leur  valeur  par  des  savants  étrangers.  D  en  souffrait , 
et  il  ne  le  cachait  pas.  Ainsi ,  dans  le  premier  discours  qu'il  prononça  comme  pré- 
sident de  la  Société  des  anciens  textes  français  "\  il  disait  : 

La  Société  des  anciens  textes  français  est  une  œuvre  nationale;  elle  a  pour  but  de  mieux  faire 
connaître  la  vieille  France;  elle  veut  que  l'Allemagne  ne  soit  plus  le  pays  d'Kurope  où  il  s'imprime 
le  plus  de  monuments  de  notre  langue  et  de  notre  littérature  d'autrefois;  elle  veut  faire  revivre 
le  simple  langage,  les  rôves  héroïques,  les  joyeux  rires,  les  vieilles  mœurs  de  nos  pères.  Elle  a 
besoin  de  l'appui  de  tous  ceux  qui  comprennent  l'importance  de  la  tradition ,  de  tous  ceux  qui 
savent  que  la  piété  envers  les  aïeux  est  le  plus  fort  ciment  d'une  nation,  de  tous  ceux  qui  sont 
jaloux  du  rang  intellectuel  et  scientifique  de  notre  pays  entre  les  autres  peuples,  de  tous  ceux 
(|ui  aiment  dans  tous  les  siècles  de  son  histoire  cette  France  douce  pour  laquelle  on  savait  déjà  si 
bien  mourir  à  Roncevaux,  et  ce  bel  français  que  Chrestien  de  Troyes,  sous  Louis  le  Jeune,  avait 
si  bien  mi»  en  oeuvre  qu'on  croyait  alors  qu'il  n'avait  rien  laissé  à  glaner  après  lui  et  qu'on  ne 
pourrait  jamais  bien  écrire  qu'en  l'imitant. 

Il  avait  pris  une  grande  part  à  la  fondation  de  cette  société  '**,  pour  laquelle  il  avait 
conçu  des  espérances  qui  ne  se  sont  pas  entièrement  réalisées.  Il  aurait  voulu  que 
grâce  à  elle  la  France  devînt  le  centre,  sinon  unique,  du  moins  le  plus  actif  de  la 
publication  des  anciens  monuments  de  notre  langue  et  de  notre  littérature.  Il  ne  tint 

'"'  Bulletin  de  la  Société  des  anciens   textes  '*'  Voir  le  Bulletin  de  la  Société ,  année  1 88 1 

français,  année  1877,  P-  ^^-  P-  79- 


\v 


NOTICE   SUR  (; ASTON   PARIS. 


pas  à  lui  qu'il  n'en  fût  ainsi.  Jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  G.  Paris  fut .  pour  ainsi  dire , 
l'àiue  de  la  Société  des  anciens  textes  français.  Non  seulement  il  y  publia .  soit  seul , 
soit  avec  d'autres,  une  quinzaine  de  volumes,  mais,  en  qualité  de  commissaire  res- 
])onsable,  il  collabora  elTectivement  à  bien  des  éditions  qui  ne  portent  pas  son  nom 
et  qui  pourtant  lui  doivent  beaucoup. 

Mais  l'œuvre  principale  de  sa  vie  fut  l'enseignement.  Il  entra  dans  le  professorat 
officiel'"  en  1866,  époque  où  il  remplaça  son  père  au  Collège  de  France  pendant 
une  année.  En  187a,  Paulin  Paris  ayant  pris  sa  retraite,  il  fut  nommé  professeur 
titulaire  et  professa  sans  interruption  jusqu'au  moment  —  peu  de  semaines  avant 
sa  mort —  où  la  maladie  le  terrassa.  En  1867  il  avait  fait  un  cours,  sur  l'histoire. 
de  la  langue  française,  dans  une  salle  voisine  de  la  Sorbonne,  la  salle  Gerson,  où 
Duruy  avait  installé  un  certain  nombre  de  cours  libres  ayant  en  général  un  caractère 
érudit.  En  1868  fut  londée  l'École  des  Hautes  Etudes  où  G.  Paris  fut  appelé  dès 
l'origine  en  qualité  de  répétiteur,  et  où  il  devint  bientôt  directeur  d'études.  Il  devait 
plus  tard ,  à  la  mort  de  Léon  Renier  (  i  88 5  ) ,  être  nommé  président  d'une  des  sections 
de  cette  école,  situation  qu'il  conserva  jusqu'au  moment  où  il  fut  nommé  administra- 
teur du  Collège  de  France  (  1 896).  On  s'étonne  à  bon  droit  qu'il  ait  pu  mener  de  front 
ces  deux  enseignements  et  en  même  temps  conduire  à  bonne  fm  ses  nombreuses 
publications,  d'autant  plus  que  la  faiblesse  de  sa  vue  lui  interdisait  à  peu  près 
complètement  le  travail  du  soir.  Il  y  parvint  cependant ,  grâce  à  une  rare  puissance 
de  travail  aidée  d'une  excellente  mémoire.  Il  ne  manque  pas  de  savants  qui  ont  donné 
journellement  à  félude  plus  d'heures  que  lui  :  on  n'en  trouverait  guère  dont  le  labeur 
ait  été  aussi  intense  et  aussi  fécond.  Il  faut  dire  aussi  que  plusieurs  des  publications  de 
G.  Paris  sont  sorties  de  son  enseignement.  C'est  ainsi  que  son  édition  de  la  Vie  de  saini 
Alexis,  qui  lui  valut  le  premier  prix  Gobert  en  1872  ,  avait  été  préparée  dans  ses 
leçons  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes.  Le  long  mémoire  sur  les  poèmes  français  du  cycle 
de  la  Gageure ,  publié  après  sa  mort  '^',  a  été  tiré  des  notes  d'un  cours  professé  au  Collège 
de  France  par  G.  Paris  dans  les  dernières  années  de  sa  vie.  Ces  notes,  que  notre 
confrère  se  proposait,  selon  toute  probabilité,  de  faire  entrer  dans  une  série  de  notices 
sur  les  romans  d'aventures,  pour  Y  Histoire  littéraire,  étaient  suffisamment  rédigées 
pour  qu'il  ait  été  possible,  moyennant  quelques  retouches,  de  les  publier.  Malheureu- 
sement c'était  un  cas  exceptionnel,  et  la  plupart  des  notes  qui  servaient  à  G.  Paris 
d'aide-mémoire  pour  ses  leçons  sont  trop  incomplètes  pour  qu'on  puisse  songer  ii 
les  imprimer. 

'  '  Il  avait  «li'Jn,  on  i8()i,  |)iiis  vn  i865-i8<>6,  fait  dos  conférences  lilléraires  dans  des  coiirjs 
privés.  —  '■''>  Uommiia ,  XWII  (igoS),  48i-55i. 


NOTICE   SUR  GASTON  PARTS.  xx. 

L'enseignement  de  G.  Paris  fut  singulièrement  fécond.  On  venait'  de  loin  pour 
iecouter  au  Collège  de  France  ou  à  l'Ecole  des  Hautes  Etudes.  Bon  nombre  des 
professeurs  qui  actuellement  enseignent  les  langues  romanes  en  Allemagne,  en 
Suisse,  en  Hollande,  en  Suède,  en  Finlande,  aux  Etats-Unis,  s'honorent  d'avoir  été 
ses  élèves  et  lui  ont  témoigné  leur  reconnaissance  de  maintes  façons'".  Mais  il  est 
pénible  de  constater  qu'en  France  même  sa  parole  trouva  moins  d'écho.  Non  que  les 
honneurs  et  les  distinctions  de  tout  genre  lui  aient  manqué.  Le  gouvernement  et 
les  académies  ne  méconnurent  pas  ses  mérites.  Mais  il  put  regretter  plus  d'une  fois 
de  n'avoir  pas  plus  d'élèves  français.  Il  en  eut  assurément,  et  plusieurs  d'entre  eux 
sont,  à  leur  tour,  devenus  des  maîtres,  mais  bien  souvent  il  vit  avec  peine,  en  par- 
courant la  liste  des  auditeurs  admis  à  suivre  ses  leçons  de  l'École  des  Hautes  Etudes, 
que  la  plupart  étaient  des  étudiants  étrangers.  Car,  s'il  travaillait  pour  la  science  qui 
ne  connaît  pas  les  frontières  d'Etats,  il  croyait  aussi  travailler  pour  son  pays,  dont  il 
aurait  voulu  faire  admirer  le  passé  glorieux  par  un  plus  grand  nombre  de  Français. 

Pendant  les  vingt-cinq  premières  années  de  sa  vie  scientifique  G.  Paris  avait  réservé 
toute  son  activité  à  des  travaux  destinés  à  un  public  érudit ,  par  conséquent  restreint. 
Il  vint  un  moment  où  il  voulut  aussi  faire  œuvre  de  vulgarisateur,  et  il  s'y  montra 
supérieur,  car  ce  cpi'il  rendait  accessible  au  grand  public,  c'étaient  surtout  ses  propres 
idées.  L'aisance  avec  latfuelle  il  embrassait  d'un  coup  d'œil  toutes  les  parties  d'un 
vaste  sujet,  subordonnant  les  faits  à  des  idées  générales  et  les  classant  selon  un 
ordre  logique,  le  rendait  particulièrement  apte  à  rédiger  ces  résumés  qui  marquent, 
pour  un  temps  plus  ou  moins  long,  l'état  de  la  science.  Il  conçut  le  projet  d'un 
«Manuel  d'ancien  français»  comprenant  :  i°  un  résumé  de  la  littérature  française 
du  XI*  au  \iv'  siècle;  ■2°  une  grammaire  de  la  langue  française  pendant  la  même  pé- 
riode; 3°  un  lexique  de  l'ancien  français;  k"  un  choix  de  textes.  De  ces  quatre  parties 
une  seule  fut  exécutée  :  La  littérature  française  au  nuryen  âge  parut  en  1888  et  eut 
assez  de  succès  pour  qu'une  nouvelle  édition  dût  être  publiée  l'année  suivante'*'.  C'est 
un  exposé  très  condensé,  plein  de  faits  et  d'idées,  qui  s'étend  jusqu'à  l'avènement  des 
Valois.  Toutes  les  parties  en  sont  justement  proportionnées  et  parfaitement  coordon- 
nées. La  concision  toutefois  y  est  poussée  au  point  d'en  rendre  la  lecture  parfois  fati- 
gante. De  la  grammaire  qui  devait  suivre  une  partie  fut  rédigée  par  G.  Paris  dans 
les  dernières  années  de  sa  vie,  mais  ce  travail  est  trop  peu  avancé  pour  qu'il  soit 
possible  de  le  publier. 

•  'f*^  Citons  notamment  le  Recueil  de  mémoires  in-8°,  a()o  pag^es.  La  lettre  imprimée  en  tète 

philologiques  présenlé  à  M.  Gaston  Paris  par  ses  de  ce  recueil  est  suivie  de  vingt  signatures. 
élèves  suédois  le  9  août  1889  à  Foccasion  de  sou  '"'   La  troisième,  en  partie  préparée  par  Taii- 

cinquanlième  anniversaire  (Stockholm,    1889),  tem-,  vient  de  paraître  (iC)o5). 


XXII  NOTICE   SUR  GASTON    l'AlilS. 

En  1901  il  avait  composé,  sur  un  plan  tout  différent,  un  îiutre  préx:is  de  la  litté- 
rature française,  où  l'histoire,  littéraire  de  notre  pays  est  conduite  jusqu'à  la  fin  du 
w"  siècle.  Cet  ouvrage,  plus  élémentaire  que  le  précédent,  et  dépourvu  de  tout  appa- 
reil d'érudition,  parut  d'abord  (à  la  fin  de  1902)  en  traduction  anglaise  dans  une 
série  de  ces  résumés  que  les  Anglais  appellent  primers.  On  vient  d'en  publier,  à  Paris, 
l'original  français  augmenté  de  quelques  notes '".  l'u^  . 

Gomme  tous  ceux  que  passionne  la  recherche  originale  et  qui  voient  suuvrir 
devant  eux  des  horizons  pour  ainsi  dire  illimités,  G.  Paris  avait  formé  bien  des  pro- 
jets qu'il  ne  put  réaliser.  Très  jeune  encore  il  avait  soumis  au  Comité  des  travaux 
historiques  le  plan  d'une  publication  des  anciens  glossaires  latins-français  dont  les 
manuscrits  sont  conservés  dans  nos  bibliothèques,  et  qu'il  voulait  faire  de  concert 
avec  un  de  ses  amis '2^.  H  y  travailla  pendant  quelque  temps,  fit  faire  quelques 
copies,  qu'il  n'utilisa  pas,  et  lut  bientôt  absorbé  par  d'autres  soins.  Il  avait  promis  à 
la  Société  des  anciens  textes  français  une  édition,  avec  introductions  et  conuneiir 
taires,  des  plus  anciens  monuments  de  la  langue  française,  pour  joindi'e  au  recueil 
des  fac-similés  de  ces  monuments  que  la  Société  avait  publié  en  1875.  Il  rédigea 
une  partie  de  ce  travail,  en  publia  même  un  fragment'",  mais  d'autres  travaux  récla- 
mèrent son  attention,  et  l'ouvrage  demeura  interrompu.  Il  n'a  pas  non  plus  tromé 
le  temps  d'écrire  le  volume  d'introduction  qui  devait  prendre  place  en  tête  de  son 
édition  des  Mirax;les  de  Notre-Dame '^"^  Il  avait  conçu  bien  d'autres  projets,  dont  la 
trace  se  trouve  dans  ses  papiers.  Sans  doute  il  en  eût  réalisé  quelques-uns,  s'il  ne. 
nous  avait  été  ravi  en  pleine  vigueur  intellectuelle.  Mais  ce  qu'il  a  fait  suffirait  à 
illustrer  une  vie  plus  longue  que  la  sienne. 

La  nouvelle  de  sa  mort  retentit  douleureusement  par  tout  le  monde  savant,  sans 
distinction  de  nationalités.  Les  témoignages  de  sympathie  et  de  regret  qui  affluèrent 
au  Collège  de  France  le  jour  de  ses  obsèques  en  sont  la  preuve.  Nulle  part  le  coup 
qui  le  frappa  ne  fut  ressenti  plus  vivement  qu'à  la  Commission  de  l'Histoire  littéraire, 
où  il  ne  compta  jamais  que  des  amis,  et  où  deux  de  ses  collègues  étaient  ses  contem- 
porains et  avaient  été  ses  condisciples.  Autant  que  d'autre* ,  nous  avons  pu  apprécier, 
dans  nos  conférences  périodiques,  la  justesse  de  son  jugement  et  la  variété  de  ses 

'"'   Esquisse  historique  de  la  littérature  fran-  dans  sa  séance  du  7  décembre  1868  {liev,  de* 

çaise  au  moyen  âye  depuis  les  origines  jusqu'à  la  Soc.  sav.,  4*  série,  IX,   io5). 

(in  du  X y'  siècle.  Paris,  A.  Colin.  '''  Dans  \a  Miscellaneadifdologia  elinguiitica 

'*'  Voir  le  rapport  de  Rathery  sur  cette  pro-  publiée  en  mémoire  de  Gaix  et  de  Canelio  (Flo- 

position.  Revue  des  Sociétés  savantes,  li'  série,  rence,  1886),  p.  77-89. 

\  {1869),  453.  Le  projet  de  publication  avait  ''>  Société     des    anciens    textes    français, 

été  soumis  au  Ck>mité  des  travaux  historiques  1876-1890,  huit  volumes. 


NOTICE  SUR  GASTON  PARIS.  xxik 

connaissances ,  mais  plus  que  personne  nous  avons  été  en  position  de  connaître  le 
dévouement  aux  œuvres  faites  en  collaboration  qui  était  l'un  des  traits  dominants  de 
son  caractère.  En  toute  occasion  il  faisait  passer  l'intérêt  commun  avant  son  propre 
intérêt.  li  a  fait  ses  cours  jusqu'à  la  dernière  limite  de  ses  forces ,  jusqu'au  moment 
où  sa  faiblesse  croissante  le  réduisit  au  silence.  11  a  donné  largement  son  temps  et 
son  intelligence  aux  travaux  collectifs  des  nombreux  conseils  ou  comités  dont  il  fai- 
sait partie ,  assistant  régulièrement  aux  séances ,  prenant  une  part  active  aux  dis- 
cussions, acceptant  de  bonne  grâce  ,  sans  toutefois  les  solliciter,  les  cbarges  qu'on  lui 
imposait ,  qu'il  s'agit  des  fonctions  absorbantes  de  commissaire  responsable  pour  des 
publications  érudites ,  de  rapports  à  faire ,  de  thèses  à  examiner,  de  discours  à  pro- 
noncer en  des  séances  solennelles.  Il  nous  semble  le  voir  encore,  pendant  les  der- 
nières semaines  de  sa  vie ,  gravissant  péniblement  les  étages  qui  conduisent  à  la  salle 
réservée  à  la  Commission  de  l'Histoire  littéraire,  arrivant  essoufflé  à  sa  place  accou- 
tumée, et,  après  queltpies  instants  de  repos,  prenant  part  à  nos  travaux  avec  son 
habituelle  lucidité  d'esprit  *".  On  sait  assez  que  G.  Paris  avait  toutes  les  qualités  qui 
font  le  vrai  savant  ;  le  trait  qu'il  nous  plaît  de  relever  ici ,  c'est  son  dévouement 
absolu  au  devoir  professionnel. 

P.  M. 


'''  La  dernière  séance  de  la  Commission    à    laquelle  G.   Paris  assista  est  celle  du   a3  jan- 
vier 1903. 


HISTOIRE 

LITTÉRAIRE 

DE  LA  FRANCE. 


MAITRE   JEAN   D'ANTIOCHE, 

TRADUCTEUR, 

ET 

FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE, 

HOSPITALIER. 


La  littérature  devait  tenir  une  place  assez  secondaire  dans  les  occu- 
pations des  Hospitaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  C'est  une  raison 
pour  étudier  avec  une  attention  particulière  les  écrits  qui  ont  été 
composés  dans  les  maisons  de  l'ordre,  soit  par  des  frères,  soit  par 
des  clercs  attachés  au  service  des  frères. 

Nous  réunirons  dans  un  même  article  l'examen  de  plusieurs  ou- 
vrages que  l'ordre  de  l'Hôpital  peut  revendiquer  et  dont  les  auteurs, 
frère  Guillaume  de  Saint-Etienne  et  maître  Jean  d'Antioche,  ont 
pris  soin  de  se  faire  connaître.  M.  Delaville  Le  Rouk  et  M.  Ch.  Kohler*'' 
ont  déjà  donné  quelques  détails  sur  Guillaume  de  Saint-Etienne;  mais 
aucun  bibliographe ,  aucun  historien, n'a  mentionné  Jean  d'Antioche, 
bien  que  cet  auteur  nous  ait  laissé  deux  ouvrages  assez  remarquables  : 
une  traduction  de  la  Rhétorique  de  Cicéron  et  une  traduction  des 
Otia  imperialia  de  Gervais  de  Tilbury. 

JNous  commencerons  par  examiner  les  oeuvres  de  Jean  d'Antioche. 

'''  C'est  à   M.  Charles  Kohler   que  nous  devons   la  rédaction  de  la  préface  du  tome  V  des 
Historiens  occidentaux  des  Croisades. 

TOME  XXXIII.  1 


2  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

I 

MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE. 

Ce  que  nous  savons  de  la  vie  de  maître  Jean  d'Antioche  se  réduit 
à  quelques  indications  consignées  au  commencement  et  à  la  fin  de 
sa  version  de  la  Rhétorique.  Nous  y  trouvons,  expressément  mention- 
nés, le  nom  du  traducteur,  celui  du  frère  de  l'Hôpital  qui  fit  entre- 
prendre le  travail,  et  la  date  à  laquelle  le  travail  fut  exécuté. 

Voici  ce  que  porte  le  manuscrit  du  Musée  Condé  (n"  690)  qui 
nous  a  transmis  la  traduction  de  la  Rhétorique  de  Cicéron  et  qui  pa- 
raît avoir  été  copié  vers  la  fin  du  xiii*  siècle. 

1°  Au  commencement  de  la  table  par  laquelle  s'ouvre  le  volume 
(fol.  1)  : 

Ci  comense  le  prologue  que  maistre  Johan  d'Antliioche  fist. 

Ci  comense  Rettorique  de  Marc  Tulles  Cyceron,  laquel  maistre  Johan  d'Anthioche 
translata  de  latin  en  romans,  a  la  requeste  de  frère  Guillaume,  frère  de  l'ospital  de 
Saint  Johan  de  Jherusalem,  l'an  de  l'incarnation  m.  et  ce.  lxxxii  "'. 

2°  Dans  la  rubrique  du  prologue  (fol.  6  v°)  : 
Ci  comense  le  prologue  que  maistre  Johan ,  translateor  de  Rettorique,  fist. 

3°  A  la  fin  du  prologue  (fol.  12  v°)  : 

Ensi  poez  vos  veyr  et  comprendre  briement  en  mémoire  par  quele  ordenance 
ce  livre  contient  toute  l'art  de  rethorique,  laquele  art  je  Johan  d'Anthioche,  que  l'en 
apele  de  Harens,  ai  translatée  dou  latin  en  franceis  et  vulgalizée,  a  l'onor  et  a  la  re- 
queste del  honest  home  et  relegious  frère  Guillaume  de  Saint  Estiene,  frère  de  la 
sainte  maison  de  l'ospital  de  Saint  Johan  de  Jherusalem.  Ce  fu  fait  en  Acre,  l'an  de 
fincarnacion  Nostre  Sèignor  Jhesu  Crist,  m.  ce.  lxxxii'*'. 

li"  Dans  la  rubrique  mise  en  tête  de  la  traduction  (fol.  1 3)  : 

Ci  comense  Rettorique  de  Marc  Tulles  Cyceron,  laquel  maistre  Johan  d'Anthioche 
translata  de  latin  en  romans,  a  la  requeste  de  frère  G.,  de  l'ospital  de  Saint  Johan 
de  Jérusalem,  l'an  de  l'incarnation  m.  cc.lxxxfi. 


'"'  Le  ms.  porte  :  «  m.  et  ccc.  lxxxii  ».  C'est  la  —  La  ville  d'Acre  tomba  au  pouvoir  des  Inû- 

une  faute  évidente,  que  Je  relieur  a  reproduite  dèles  en  1291. 

en  mettant  ce  titre  au  dos  du  volume  :•  Recto-  '*'  Ici  encore,  le  copiste  s'est  trompé  en 

rique  de  Cicéron  par  Jean  d'Antioche.  i38a.  »  inscrivant  la  date  :  «  m.cc.lxxim. 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  3 

5°  Dans  le  dernier  paragraphe  du  petit  traité  de  logique  que 
maître  Jean  d'Antioche  a  joint  à  sa  traduction  (fol.  i64)  : 

Frère  Guillaume,  par  cest  escrit  poez  avoir  gênerai  conoissance  de  l'argumen- 
tacion  de  logique,  et  auques  eniprès  savoir  des  leus,  se  vos  esludiez  curiousement. 

De  ces  textes  il  résulte  que  maître  Jean  d'Antioche  résidait  à  Saint- 
Jean-d'Acre  en  1282  et  qu'il  devait  être  un  des  prêtres  attachés  à 
l'hôpital  de  Saint-Jean  de  Jérusalem.  Quant  à  frère  Guillaume  de 
Saint-Etienne,  qui  lui  fit  entreprendre  la  traduction  de  la  Rhétorique, 
c'était  un  frère  hospitalier,  auquel  des  charges  importantes  de  l'ordre 
ont  été  confiées  et  dont  nous  aurons  à  faire  connaître  la  vie  et  les  tra- 
vaux dans  la  seconde  partie  de  cette  notice. 

Ce  que  Jean  d'Antioche  appelle  la  Rhétorique  de  Gicéron  est  la 
réunion  de  deux  traités  bien  distincts,  le  traité  en  deux  livres  intitulé 
De  Invenlione,  et  le  traité  en  quatre  livres  intitulé  Rhetorica  adHeren- 
nium,  qui,  comme  on  le  sait,  n'est  pas  de  Gicéron.  Le  premier  était 
connu  au  moyen  âge  sous  la  dénomination  de  Rhetorica  vêtus,  le  second 
sous  celle  de  Rhetorica  nova.  On  trouve  ces  deux  ouvrages  juxtaposés, 
copiés  l'un  à  la  suite  de  l'autre ,  dans  beaucoup  de  manuscrits  de  la 
fin  du  XII*  siècle  ou  du  commencement  du  xiii*^^).  L'habitude  de  les 
réunir  est  attestée  par  un  article  de  la  Riblionomie  de  Richard  de 
Fournival  ; 

Ejusdem  (Marci  Tullii  Ciceronis)  liber  priorum  ihetoricorum  et  item posteriorum 
ad  Herennium,  in  uno  volumine,  cujus  signum  est  littera  C'^>. 


'*'  Voici  en  quels  termesles  deux  Rhétoriques 
sont  désignées  dans  plusieurs  anciens  catalo- 
gues, du  XI'  au  xin"  siècle  : 

Biljliothèque  de  Corbic  :  «  287.  Tullius,  se- 
«  cunda  rethorica.  —  uSS.  Utraque  rethorica. 
• —  289.  Prima.  —  290.  Utraque  rethorica. — 
«  292.  Rethorica  secunda.  »  Delisle,  Le  Cabinet 
des  manuscrits,  t.  II,  p.  44o. 

Bibliothèque  de  la  cathédrale  du  Puy  :  «  36. 
«  Cicero  de  rethoricis ,  divisus  duobus  libris.  » 
Ibid. ,  p.  444- 

Bibliothèque  de  Saint-Amand:  «  174.  Retho- 
«  rica  Ciceronis  de  Inventione.  —  176.  Retho- 
«  rica  Ciceronis  ad  Herennium.  »  Ihid. ,  p.  454. 

Bibliothèque  de  Cluni  :  «  49 1 .  Volumen  in 
«  quo  continentur  utreque rhetorice  Ciceronis.  » 
Ihid.,  p.  478. 

Bibliothèque    indéterminée    de  la  fin  du 


xn*  siècle  :  «  i3.  Rethoricam  utramque.  «Ibid., 
p.  5i  1. 

Bibliothèque  de  Saint -Pons  de  Tomières  : 
«290.  De  rethorica  sunt  quinque  volumina  et 
«  dicuntur  libri  rethoricarum ,  et  quodlibet 
«  eorum  incipit  :  Sepe  et  in  multum. —  Item  est 
•  aliud  volumen  quod  dicitur  liber  Marci  Tullii 
«ad  Herennium  de  rhetorica.  »  Ibid.,  p.  649. 

La  table  mise  en  tète  de  la  traduction  de 
maître  Jean  d'Antioche  contient  un  article 
ainsi  conçu  : 

«  Ci  comense  le  tiers  livre  qui  est  apelé  Ret- 
«  torique  novele  que  Ciceron  fist  a  Herenni.  • 

Jean  d'Antioche  lui-même ,  à  la  fin  du  pro- 
logue ,  distingue  «  la  vielle  art  »  de  «  la  novele  ». 
Notices  et  extraits  des  manuscrits,  t.  XXXVI,  p.  1 7. 

'*'  Delisle ,  Le  Cabinet  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  nationale,  t.  II,  p.  525. 


4  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

Maître  Jean  d'Antioche  a  fondu  les  deux  Rhétoriques  en  un  seul 
corps  d'ouvrage,  qu'il  a  intitulé  «  Rettorique  de  Marc  Tulles  Gyce- 
«  ron  » ,  et  divisé  en  six  livres  ,  les  deux  premiers  répondant  aux  deux 
livres  du  De  Inventione,  et  les  quatre  autres  (III-VI)  aux  quatre  livres 
du  traité  Ad  Herennium.  Il  a  partagé  le  tout  en  206  chapitres,  formant 
une  série  unique  et  numérotés  i-ccvi ,  les  cotes  ii-xxxvii  affectées  au 
livre  I,  les  cotes  xxxviii-lxxv  au  livre  II,  les  cotes  lxxvi-lxxxxii  au 
livre  III,  les  cotes  lxxxxiii-cxix  au  livre  IV,  les  cotes  cxx-cxxxiii  au 
livre  V  et  les  cotes  cxxxiiii-cciiii  au  livre  VI. 

Le  traducteur  n'a  pas,  dans  le  cours  de  son  œuvre,  tenu  compte 
du  système  auquel  il  s'était  arrêté  en  fondant  ensemble  les  deux  traités 
et  en  faisant  des  quatre  livres  des  Rhetorica  ad  Herennium  les  livres  III, 
IV,  V  et  VI  de  sa  traduction  de  la  Retorujae  de  Marc  Tulle  Ciceron. 

Au  commencement  du  livre  III  Ad  Herennium,  l'auteur  annonce 
à  Herennius  le  prochain  achèvement  d'un  quatrième  livre  consa- 
cré à  l'élocution  :  «  De  elocutione  in  quarto  libro  conscribere  malui- 
«  mus,  quem,  ut  arbitrer,  tibi  librum  celeriter  absolutum  mit- 
«temus.  .  .  »  Dans  la  traduction,  le  livre  relatif  à  l'élocution  est  le 
sixième,  ce  qui  n'a  pas  empêché  le  traducteur  de  findiquer  ici 
(fol.  n3)  comme  étant  le  quatrième  :  «  Si  amames  meaus  a  escrire 
«  de  li  au  quart  livre,  lequel  livre  nos  te  parferons  tost  a  l'aye  de 
«  Deu ...    » 

De  même,  au  commencement  de  ce  livre  relatif  à  l'élocution 
(fol.  127  v°),  voulant  rappeler  l'annonce  que  l'auteur  en  avait  faite 
au  début  du  livre  III  Ad  Herennium,  il  renvoie  dans  les  termes  sui- 
vants à  ce  livre  III,  dont  il  avait  fait  le  livre  V  :  «  Si  com  est  dessus  dit 
«  au  tiers  livre.  .  .  ». 

Jean  d'Antioche  a  placé,  au  commencement  et  à  la  fin  de  sa  tra- 
duction, trois  chapitres,  auxquels  il  a  assigné  les  numéros  i,  ccv  et 
ccvi;  ce  sont  des  compositions  originales,  tout  à  fait  étrangères  à 
l'œuvre  :  elles  servent  de  prologue  et  d'annexés  à  la  traduction  de  la 
Rhétorique. 

Dans  le  prologue,  l'auteur  expose  l'origine,  le  caractère  et  les  divi- 
sions de  la  philosophie,  en  s' attachant  à  fixer  la  place  que  la  rhéto- 
rique occupe  dans  l'ensemble  des  connaissances  humaines.  En  voici 
le  résumé  : 

Dieu  a  tout  créé  el  a  répandu  ses  bontés  sur  toutes  les  créatures. 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  5 

particulièrement  sur  les  créatures  raisonnables  et  intelligentes.  La 
plus  belle  faculté  dont  il  doua  celles-ci  fut  le  libre  arbitre,  qui  établit 
leur  supériorité  sur  toutes  les  autres,  puisque  «  en  tout  leu  cil  qui  est 
«  franc  doit  surmonter  celui  qui  est  serf».  Les  deux  créatures  privilé- 
giées, l'ange  et  l'homme,  abusèrent  de  leur  libre  arbitre.  Les  anges 
qui  avaient  failli  ne  purent  ni  se  repentir  ni  réparer  leur  faute. 
L'homme  aussi  fut  déchu,  il  «perdi  la  perfection  et  l'entérine 
«lumière  de  conoissance  que  Dex  li  avoit  donée»;  mais,  comme  sa 
nature  comporte  le  repentir,  et  qu'il  avait  subi  les  entraînements  du 
diable ,  Dieu  le  traita  avec  miséricorde  et  lui  procura  le  moyen  de  se 
relever.  Le  souverain  père  des  clartés  lui  rendit  la  clarté  de  science  et 
de  savoir,  sans  laquelle  «  l'umaine  créature  seroit  estée  come  beste 
«  et  eust  menée  vie  de  beste  ». 

Quand  il  plut  à  la  miséricorde  divine  de  restituer  au  lignage  hu- 
main cette  clarté  de  science  et  de  savoir,  l'esprit  de  quelques  anciens 
sages  se  réveilla  et  leur  suggéra  le  désir  de  rechercher  les  causes  et 
les  raisons  des  choses  visibles  et  invisibles.  L'aide  de  Dieu  soutenait 
les  philosophes  dans  l'accomplissement  de  la  tâche  qu'ils  s'étaient 
donnée;  mais  ce  ne  fut  pas  «  sanz  grant  travail  et  sanz  maintes  veil- 
«  lées  et  sanz  maintes  gehunes  »  qu'ils  atteignirent  le  but;  pour  mieux 
éclairer  l'âme,  il  fallut  amaigrir  le  corps,  «  et  ensi  covient  autresi  faire 
«  tout  home  qui  veaut  bien  estudier,  non  pas  entendre  a  la  goule  et 
«  a  emplir  le  ventre  ». 

Ce  qui  frappa  d'abord  les  philosophes,  ce  fut  «le  continuel  move- 
«  ment  dou  ciel  et  des  estoiles  et  des  autres  merveilles  qu'ils  veoient 
«en  l'air».  Ils  réussirent  à  s'en  rendre  compte  et  à  remonter  à  la 
cause  des  causes,  c'est-à-dire  à  Dieu.  Cette  découverte  se  fit  en  Egypte, 
au  dire  d'Arislote,  dans  son  livre  de  Métaphysique.  La  philosophie, 
par  des  progrès  successifs,  atteignit  le  plus  haut  degré  de  perfection 
au  temps  de  Socrate,  de  Platon  et  d'Aristote. 

L'auteur,  après  avoir  ainsi  expliqué  l'origine  de  la  philosophie,  en 
donne  une  définition  :  «  Philosophie  est  certaine  conoissance  des 
«choses  devines  et  humaines,  aveuques  estudiement  de  bone  vie.» 
Il  indique  ensuite  les  ditférents  genres  de  philosophie:  naturelle,  mo- 
rale et  rationnelle.  De  plus,  suivant  que  la  philosophie  s'applique  à 
l'âme  ou  au  corps,  elle  est  théorique  ou  pratique.  La  philosophie 
théorique  a   un  caractère  spéculatif;  c'est  la  «science  de  veyr  et 


6  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

M  de  regarder  soutilement  les  choses  visibles  et  nient  visibles  »,  tandis 
que  la  philosophie  pratique  est  «  science  d'ovrer  les  choses  proposées 
«  et  nécessaires  au  governement  de  l'umain  lignage  ». 

La  philosophie  théorique  se  divise  en  trois  parties:  naturelle, 
mathématique  et  divine.  La  division  mathématique  comprend  quatre 
sciences  :  la  géométrie,  l'arithmétique,  la  musique  et  l'astronomie. 

La  philosophie  pratique  se  divise  également  en  trois  parties  : 
morale,  dispensative  et  civile;  la  morale,  dont  l'institution  est  attri- 
buée à  Socrate ,  enseigne  les  vertus  qui  doivent  servir  de  règle  à  la 
conduite  des  hommes  :  prudence,  justice,  force  et  tempérance;  la 
science  dispensative,  ou  économique,  apprend  à  gouverner  la  mai- 
son ;  la  science  civile  ou  politique  a  pour  objet  le  profit  et  le  gouver- 
nement de  la  cité. 

Dans  la  science  civile  ou  politique,  il  faut  distinguer  trois  parties  : 
la  mécanique,  le  droit  et  la  «sermocinale».  La  mécanique  est  la 
science  des  métiers  et  de  toute  œuvre  de  main,  comme  orfèvrerie, 
charpenterie  et  maçonnerie.  Les  philosophes,  tout  en  l'enseignant, 
la  dédaignèrent  et  l'appelèrent  mécanique,  c'est-à-dire  adultérine  par 
rapport  à  «  la  raisonable  science  »  ;  celle-ci,  qui  comprend  la  philo- 
sophie naturelle,  rationnelle  et  morale,  constitue  la  science  liloérale 
ou  franche,  ainsi  dénommée  parce  que  «les  franches  gens»  sont 
seuls  à  l'étudier  et  qu'elle  affranchit  des  soucis  de  la  vie  ceux  qui  la 
cultivent.  —  Le  droit,  à  proprement  parler  le  droit  civil,  repose  sur  la 
raison  divine  et  sur  la  raison  humaine.  —  Quant  à  la  science  «  sermo- 
«cinale»,  c'est  la  science  de  raisonner  et  de  bien  parler;  elle  com- 
prend la  grammaire,  la  logique  et  la  rhétorique.  Grammaire  apprend 
à  parler  correctement;  logique,  à  parler  sans  fausseté  et  à  discerner 
le  vrai  du  faux;  rhétorique,  à  parler  avec  élégance  et  agrément.  On 
ne  peut  bien  parler  sans  posséder  ces  trois  sciences,  qui  sont  comme 
entrelacées  et  dont  les  règles  ont  été  posées  par  Priscien  pour  la 
grammaire,  par  Aristote  pour  la  logique  et  par  Cicéron  pour  la  rhé- 
torique. 

L'art  de  rhétorique  fut  créé  par  les  Grecs,  et  les  trois  principaux 
maîtres  qui  en  établirent  les  principes  furent  Gorgias,  Aristote  et 
Hermagoras.  Cicéron  et  Quintilien  le  firent  passer  chez  les  Latins; 
mais  Cicéron  en  est  resté  le  maître  le  plus  autorisé,  grâce  au  livre 
qu'il  lui  a  consacré  et  qu'il  a  composé  pour  apprendre  la  rhétorique 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  7 

à  Herennius  et  pour  mettre  tous  les  Latins  à  même  d'en  profiter.  On 
en  peut  retirer  de  grands  avantages,  et  qui  posséderait  cet  art  à  fond 
n'aurait  à  redouter  aucune  créature  humaine. 

La  rhétorique  a  sa  source  dans  la  raison  civile,  dans  la  politique. 
Suivant  l'application  qu'on  en  fait,  elle  est  démonstrative,  délibéra- 
tive  ou  judiciaire,  et  il  y  faut  distinguer  cinq  parties:  l'invention, 
l'ordonnance,  l'élocution,  la  mémoire  et  le  débit.  Quant  aux  parties 
de  «l'instrument,»  elles  sont  au  nombre  de  six:  exorde,  narration, 
division,  confirmation,  réfutation  et  conclusion. 

La  dernière  page  du  prologue  nous  offre  une  indication  sommaire 
des  différentes  parties  de  l'ouvrage,  divisé,  comme  on  l'a  déjà  vu,  en 
six  livres,  dont  deux  contiennent  «la  vielle  art,  et  les  quatre  la  no- 
«  vêle  » . 

Dans  le  premier  des  appendices  placés  à  la  fin  de  la  traduction, 
maître  Jean  d'Antioche,  après  avoir  expliqué  les  raisons  qui  l'avaient 
décidé  à  traduire  littéralement  les  écrits  de  Cicéron,  expose  ses  idées 
sur  les  règles  à  observer  pour  rendre  en  français  un  livre  latin. 

Deux  motifs  l'ont  déterminé  à  suivre  pas  à  pas  le  texte  de  Cicéron  : 
d'une  part,  ce  texte  a  plus  d'autorité,  et  c'est  à  lui  qu'on  doit  s'en 
rapporter  dans  les  discussions;  d'autre  part,  il  ne  fallait  pas  s'exposer 
à  être  accusé  de  présomption  et  d'orgueil,  en  altérant  par  des  sup- 
pressions ou  des  changements  le  style  d'un  maître  tel  que  Cicéron, 
«  qui  fu  tant  grant  philosophe  et  de  tant  grant  renom.  Por  cestes  deus 
«  raisons  donques  dessus  dites,  porsiut  le  translatour  la  manière  don 
«  tracter  de  l'auctor  a  son  pooir  et  au  plus  près  qu'il  pot.  Mais  il  ne 
«  pot  mie  porsivre  l'auctor  en  la  manière  dou  parler.  Car  la  manière 
«  dou  parler  au  latin  n'est  pas  semblable  generaument  a  celé  dou' 
«  François,  ne  les  proprietez  des  paroles,  ne  les  raisons  d'ordener  les 
«  araisonemenz,  et  les  diz  dou  latin  ne  sont  pas  semblables  a  celés  dou 
«françois,  et  ce  est  comunaument  en  toute  lengue.  Quar  chascune 
«  lengue  si  a  ses  proprietez  et  sa  manière  de  parler;  et  por  ce  nul 
«  translateour  o  interpreteor  ne  porroit  jamais  bien  translater  d'une 
«  lengue  a  autre  s'il  ne  s'enformast  a  la  manière  et  as  proprietez  de  celé 
«  lengue  en  qui  il  translate.  Por  laquel  chose  il  covint  au  translateor 
«de  ceste  science  de  translater  aucune  fois  parole  por  parole,  et 
«  aucune  fois  et  plus  sovent  sentence  por  sentence;  et  aucune  fois,  por 
«la  grant  oscurté  de  la  sentence,  li  covint  il  sozjoindre  et  acreistre. 


8  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

«  Autresi  H  covint  en  aucun  leu  en  l'elocucion  de  changier  el  muer 
«  exemples  por  la  discordance  de  letres  et  de  sillabes  qu'il  trova  entre 
«les  deus  lengues.  Quiconques  donques  lira  ce  livre  ou  l'esludiera 
«ne  soit  pas  presumpcieuz  de  reprendre  riens  desporvehuement, 
«  affronte  avant  bien  ententivement  les  deus  letres  dou  latin  et  dou 
«François,  et  examine  bien  les  deus  sentences  par  bon  entendement 
«  et  sain,  et  preigne  garde  diligemment  selonc  la  grant  force  de  l'art, 
«si  l'en  le  peut  meauz  faire  sauvant  la  manière  dou  tracter  de  l'auc- 
«  tour.  Et  quant  il  aura  tout  ce  fait,  s'il  a  bone  raison  et  saine  de  re- 
"  prendre,  si  peut  reprendre  hardiement.  Quar  maintes  fois  avient 
«qu'a  bouche  malade  douce  viande  semble  amere,  et  qui  a  maies 
«  lanternes  sovent  se  trabuche  en  voie.  » 

Le  second  appendice  n'est  autre  chose  qu'un  traité  élémentaire  de 
logique ,  d'après  les  règles  d'Aristote. 

Maître  Jean  d'Antioche,  sachant  combien  la  rhétorique  a  besoin  de 
s'appuyer  sur  la  logique,  a  cru  utile  de  compléter  la  traduction  des 
deux  Rhétoriques  par  quelques  pages  destinées  à  faire  connaître  la 
logique  à  ceux  qui  ne  peuvent  savoir  cette  science,  faute  d'avoir 
fréquenté  les  écoles  dans  lesquelles  on  l'enseigne  :  «  Ici  parole  de 
«l'argumentacion  de  logique,  jDor  faire  la  conoistre  a  ceaus  qui  celé 
«  science  ne  peuent  savoir.  » 

Le  rédacteur  de  ce  résumé,  qui  n'occupe  pas  plus  de  douze  co- 
lonnes, commence  par  définir  la  proposition,  la  question,  la  conclu- 
sion et  l'argument.  La  proposition  est  l'affirmation  d'un  fait;  la 
question  est  une  proposition  mise  en  doute;   la  conclusion  est  une 

I)roposition  dont  on  a  donné  la  preuve  ;  l'argument  est  la  raison  par 
aquelle  est  démontrée  la  vérité  ou  la  fausseté  d'une  proposition  ;  l'ar- 
gumentation est  le  développement  de  l'argument. 

Il  y  a  deux  modes  d'argumentation  :  l'un  par  syllogisme,  l'autre  par 
«  entremene»,  c'est-à-dire  par  induction.  Suit  une  définition  du  syl- 
logisme, avec  accompagnement  d'exemples,  puis  la  distinction  du 
syllogisme  «predicatif»  et  du  syllogisme  conditionnel.  L'entremcne 
consiste  à  passer  du  particulier  au  général.  Il  y  a  cette  différence  entre 
le  syllogisme  et  l'entremène  que  le  premier  aboutit  toujours  à  une 
conclusion  absolument  vraie  si  les  prémisses  sont  exactes,  tandis  que 
le  second  ne  conduit  pas  toujours  à  une  conclusion  certaine.  H  y  a  en- 
core deux  procédés  d'argumentation  :  l'enthymème  et  l'exemple.  L'en- 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  9 

thymème  est  en  réalité  un  syllogisme  abrégé,  dont  un  membre  reste 
sous-entendu.  L'exemple  est  analogue  à  l'entremène,  mais  il  conclut 
simplement  d'un  fait  particulier  à  un  autre  fait  particulier,  et  non 
pas,  comme  l'entremène,  du  particulier  au  général. 

En  résumé,  tous  les  raisonnements  reposent  sur  le  syllogisme, 
qui  est  comme  mère  et  fontaine  de  toute  l'argumentation  de  logique. 

Parfois  la  preuve  de  l'argument  du  syllogisme  est  faible  et  a  besoin 
d'un  appui.  Cet  appui  est  ce  qu'en  logique  on  appelle  lieu:  «leu  en 
«  logique  est  apelé  siège  de  l'argument.  »  Tantôt  le  lieu  est  tiré  de  l'ar- 
gument, tantôt  il  est  pris  en  dehors.  Là  s'arrête  l'auteur,  sans  entrer 
dans  les  détails  que  comporterait  la  question  des  lieux  ;  «  mais,  dit-il, 
«  trop  scroit  soutil  chose  et  longue  a  dire  cornent  et  trop  ennuiouse 
«  a  home  qui  ne  seit  de  logique  ». 

Pour  faire  apprécier  le  stvle  de  maître  Jean  d'Antioche,  nous  ne 
pouvons  mieux  faire  que  de  reproduire  la  traduction  d'un  chapitre 
de  la  Rhétorique,  et  nous  avons  choisi  celui  par  lequel  s'ouvre  le 
second  livre  du  De  Inventione  : 

II,  1.  Jadis,  quanl  les  Crotoniciens,  icele  nacion  de  gent,  florissoient  de  toutes 
habondances  et  estoient  en  Italie  au  comencemenl  ou  entre  les  premerains  contez  et 
tenus  por  beneurez,  il  vostrent  enrechir  de  nobles  paintures  le  temple  de  la  déece 
Junone,  qu'il  cultivoient  et  honoroient  trop  religiousement. 

En  celui  tens  y  avoit  il  un  noble  paintour,  qui  avoit  nom  Eradeoten  ("  Zeuxin ,  qui 
estoil  tenu  por  le  plus  surmontant  et  le  meillor  de  toz  les  autres  paintors.  Cestui 
aloierent  il  par  grant  pris,  et  il  lor  painst  au  temple  ce  que  il  voloient,  et  plusours 
autres  tables  aveuques,  desquelz  une  grant  partie  est  remese  trusques  a  nostre  mé- 
moire por  la  religion  et  la  révérence  dou  temple. 

Et  por  ce  qu'il  voloit  que  une  ymaige  mue  contenist  en  soi  surmontant  beauté 
de  forme  feraenine,.si  dist  qu'il  voloit  paindre  l'ydel  ou  l'ymage  d'Elene.  Les  Cro- 
toniciens l'oyrent  volentiers,  por  ce  que  il  aveient  entendu  qu'a  paindre  cors  de 
feme  trop  valoit  il  meaus  et  pooit  plus  de  tous  autres.  Et  si  pencerent  ausi  que ,  se  en 
aucunes  des  manières  de  son  mestier  estoit  plus  poestif  d'ovrer  et  meaus  entreme- 
tant,  que  en  celé  se  travaiileroit  il  moût  curiousement  de  noblement  ovrer,  et  laisse- 
roit  en  celi  temple  une  noble  euvre  qui  li  seroit  en  mémoire  ;  ne  il  ne  furent  pas 
deceus  en  ior  cuidance. 

Quar  tout  maintenant  le  devant  dit  Eradeoten  Zeuxin  lor  qxiist  et  demanda  s'il 
en  avoient  point  de  bien  bêles  virgenes,  et  cil  le  menèrent  erranment  en  la  palestre. 
(Palestre'^'  si  estoit  apelé  et  est  encores  un  leu  establi  a  hanter  les  esforcemens  des 

'''  Il  faut  lire  :  Eracleoleii.  —  '*'  Ce  qui  est  imprimé  ici  entre  parenthèses  est  la  traduction 
d'une  glose  intercalée  dans  le  texte  de  Cicéron. 

TOME  xxxiii.  a 


10  MAÎTRE  JEAN  DANTIOCHE 

cors ,  si  come  a  luitier  et  a  geter  pierre  et  a  user  force  de  bras  et  He  cors ,  et  tout  leu 
qui  est  escole  de  si  faites  choses  peut  estre  ensi  apelé.  Ou  palestre  si  peut  estre  apelé 
autresi  icy  en  droites  escole  [s]  de  science.  Ueuques  donques  en  l'escole  ou  de 
sciences  ou  d'autres  hantemens,  corn  est  dessus  dit,  fu  mené  le  paintour),  et  li  mous- 
rerent  moût  de  beaus  enfans  et  richement  dignes. 

Quar  un  tens  fu  que  les  Crotoniciens  surmontoient  moût  tout  autre  gent  de  forces 
et  de  dignilez  des  cors.  Et  soventes  fois  raporterent  il  a  maison  les  très  honestes 
victoires  de  l'estrif  et  de  l'aatine  de  ceaus  geus  que  l'on  faisoit  por  la  gloire  des 
cyteyens. 

Quant  le  paintour  donques  ot  veues  les  bêles  formes  et  les  beaus  cors  des  enfans 
qui  estoient  en  celé  escole,  et  moût  ententivement  se  merveillast  de  lor  beauté,  cil 

11  distrent  :  «  Les  suers  de  ces  enfans  que  lu  vois  sont  chiez  nos,  et  par  ces  pues  tu 
«  regarder  de  quel  beauté  celés  sont.  » — «  Bailliez  moi  donques,  fist  il,  je  vos  pri  et 
«  requier,  de  cestes  virges  que  vos  dites  les  très  bêles,  que  je  puisse  translater  vérité 
"  de  vif  exemple  de  creatm'e  en  merveillous  ymage,  et  si  paindrai  ce  que  je  vos  ai 
«  promis.  » 

Adonques  les  Crotoniciens,  par  comun  conseil,  amenèrent  ensemble  toutes  les 
bêles  virgenes  en  un  leu,  et  douèrent  pooir  au  paintour  d'eslire  celés  qu'il  vodroit, 
et  il  en  eslut  cinc.  Les  noms  de  celés  cinc  moût  de  poètes  mistrent  en  mémoire, 
por  ce  qu'eles  furent  esprovées  de  beauté  et  loées  par  le  jugement  de  celui  qui  de 
beauté  devoit  estre  jugierres  verai. 

Sine  en  eslut  il,  quar  il  ne  cuida  pas  qu'il  peust  trover  soufizaument  en  un  soûl 
cors  toutes  les  choses  que  il  querroit  a  plaine  beauté.  Quar,  en  les  sengles  choses  et 
simples,  riens  n'en  aorna  nature  ni  ne  fist  parfaite  de  toutes  ses  parties;  ele  donc  a 
un  aucune  chose  de  bien  et  li  ajouste  aveuc  aucun  mahaing  ou  domage,  autressi 
come,  se  ele  otreast  toutes  les  choses  a  un,  n'en  eust  puis  que  doner  as  autres. 

II,  2.  Celé  meisme  raison  regardâmes  nos,  quant  ce  nos  vint  en  volenté  d'escrivre 
l'art  de  dire ,  et  ne  proposâmes  pas  un  soûl  exemple  qu'il  nos  covenist  de  nécessité 
dire  de  ses  parties,  en  quelque  gênerai  manière  de  l'art  eles  fiicent;  mais  assem- 
blâmes tous  les  escrivains  qui  de  cest  art  en  parlèrent  en  un  leu ,  et  cuillimes  ce 
qu'il  nos  fu  avis  que  chascun  eust  meaus  comandé  et  plus  profitablement,  et  ensi 
avons  dit  et  fait  de  divers  engins  chascunes  choses  très  surmontans  et  très  dignes. 
Quar  il  ne  nos  fu  pas  avis  que  cil  qui  sont  dignes  de  nom  et  de  mémoire  en  cest  en- 
droit deysent  toutes  choses  clerement  et  très  bien,  et  toute  voies  en  distrent  il  [au- 
cune] chose  moût  bien. 

Por  laquel  chose,  ce  semble  folie  de  départir  des  bien  diz  d'aucun  et  de  laissier 
ses  bons  enseignemens  por  aucun  sien  vice,  ou  d'ensivre  ses  vices  por  aucun  bon 
comandement  qu'il  auroit  dit.  Se  es  autres  estudes  les  homes  vosissent  eslire  de 
maintes  choses  aucune  très  profitable  chose,  et  amassent  meaus  ce  faire  que  qu'il 
s'adonassent  a  une  soûle  chose  certaine,  il  ne  feroient  pas  faute,  qu'il  la  lor  covenist 
desfendre  por  greignor  faute ,  ne  il  ne  parcever[er]oient  es  vices  tant  curiousement ,  et 
de  chose  qu'il  ne  sevent  ne  s'en  passeréent  mie  aucune  fois  plus  legierement. 

Et  se  la  science  de  cest  art  et  de  painture  fust  esté  ygal  en  nos  et  en  cel  maistre 
paintor  desus  dit,  ceste  nostreeuvre  nos  resplendiroit  encores  plus  par  aventure  en 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  11 

sa  manière  que  cil  ne  feroit  en  sa  painlure.  Quar  nos  avons  eu  pooir  de  eslirc  de 
greignor  abondance  d'exemples  que  cil  nen  ot.  H  pot  eslire  d'une  cyté  et  de  celui 
nombre  des  virges  qui  estoient  adonques,  mais  tuitcii  quiconques  furent  qui  de  cest 
art  en  parièrent,  et  qui  premiers  l'encomencierent  ou  darreniers  jusques  a  ce  tens 
d'ores  nos  furent  en  pooir  et  en  abondance  d'eslire  ce  qu'il  nos  plaisoit  d'eaus. 

Et  le  soverain  philozophe  Aristot  aiina  et  mist  ensemble  en  un  leu  tous  les  an- 
ciens escrivains  de  cest  art  venant  jusques  a  celui  prince  et  maistre  troveor  Tysyas , 
et  les  comandemens  de  chascun  d'eaus  par  nom ,  lesquelz  comandemens  il  avoient 
conquis  et  fais  par  grant  cure,  escrist  il  ensemble  moût  veablement.et  les  esclarcist 
et  les  desnoa  dilizaument.  Et  en  expondre  les,  en  tant  valut  il  meaus  de  ceaus  qui 
ies  avoient  trovez ,  par  soeftié  et  brieftance  de  dire ,  que  nul  home  qui  les  leust  ne 
peusl  conoistre  de  lor  livres  que  cil  comandemens  eussent  esté  onques  lor. 

Mais  trestuit  cil  qui  veulent  entendre  ce  que  ceaus  coniandent  a  cestui  retornent 
ausi  come  a  un  principal  troveor  et  moût  plus  profitable  esclarzisseour.  Et  cestui  si 
nos  mist  apertement  au  myleu  soi  meismes,  et  tous  ceaus  qui  devant  li  avoient 
esté,  que  par  li  nos  peussiens  conoistre  et  soi  meisme  et  tous  les  autres.  Ceaus  qui 
de  ce  devant  dit  philosophe  descendirent,  tout  soit  ce  qu'il  estudieront  moût  es  très 
grans  parties  de  philosophie,  et  moût  y  consumèrent  de  paine,  com  cil  avoit  fait 
cui  doctrine  il  ensivoient,  toutevoies  nos  laissierent  il  moût  de  comandemens  de 
l'art  de  dire. 

Autres  comandeours  encores  et  maistres  de  dire  eissirent  d'une  autre  fontaine, 
qui  autresi  aidèrent  moût  a  dire  au  profit  de  cest  art.  Quar  en  celui  meisme  tens 
que  Aristot  fu,  il  y  ot  un  grant  rethorien  et  noble  qui  avoit  nom  Socrates.  L'art  que 
cestui  laissa  nos  ne  trovons  pas,  mais  bien  trovons  moinz  comandemens  de  l'art  de 
ces  desciples  et  de  ceaus  qui  erraument  de  ceste  descipline  sont  eissus. 

II,  3.  L'une  de  cestes  deus  fontaines  dessus  dites  repairoit  moût  en  philosophie,  et 
toutevoies  ele  y  metoit  moût  grant  cure  en  cest  art  de  rethorique.  Mais  fautre  si  estoit 
toute  ententive  et  occupée  en  l'estudiement  et  les  comandemens  de  rethorique.  De 
cestes  deus  escoles,  ausi  come  de  deus  diverses  maibnées,  les  darreniers  qui  vin- 
drent  après  concuillirent  toutes  les  choses  qui  profitablement  lor  sambloient  estre 
dites  et  des  uns  et  des  autres,  et  afaitéement  a  lor  maistries  et  a  lor  ars,  et  forgie- 
rent  ensemble  un  material  comencement  et  gênerai  manière  de  toute  l'art.  Nos  si 
avons  aiinez  trestous  et  mis  ensemble  et  ceaus  qui  sont  devant  diz  et  les  autres 
dessus  motis,  tant  com  nos  pomes  et  dou  nostre  aveuques  meismes  nos  aucune 
chose  en  comun. 

Et  si  celés  choses  qui  sont  exponues  et  mises  en  ces  livres,  tant  com  eles  furent 
curiousement  a  eslire,  tant  ont  esté  studiousement  esleues,  certes  il  ne  devroit 
point  peser  ne  nos  ne  autres  de  nostre  uizouze  cure  et  de  nostre  soutillance. 

Mais  s'il  est  avis  que  nos  ayons  par  aucune  foleance  trespassé  le  comande- 
ment d'aucun,  ou  que  nos  ne  l'avons  pas  ensiut  assez  soufizaument  et  bien,  et  aucun 
le  nos  moustre  et  nos  enseigne,  nos  changerons  legierement  et  volentiers  la  sen- 
tence. Quar  ce  n'est  pas  laide  chose  de  poi  conoistre;  mais  de  parceverer  folement 
et  longuement  en  poi  conoistre  ou  en  mesconoistre  seroit  laide  chose,  por  ce 
que  l'un ,  ce  est  le  poi  conoistre ,  si   avient  proprement  de  la  comune  feblesse  et 


12  MAÎTRE  JEAN  DANTIOCHE 

la   fragilité   humaine;  mais  l'autre  en   avient   dou    vice  et   de  la  mauvaistié   de 
chascun. 

Por  laque!  chose  nos  dirons  chascune  chose  sans  nule  afferniance,  querant  en- 
semble et  encerchant  doutousement  que  ce  n'aviegne  de  nos  que,  tandis  com  nos 
vodrions  qu'il  semblast  que  nos  aions  ceste  petite  chose  assez  parfaitement  escrite 
et  profitablenienl ,  que  nos  ne  perdons  icele  chose  qui  est  trop  grant,  ce  est  que 
nos  n'assentons  a  dire  aucune  chose  folement  et  orgueillousement  ;  mais  ceste  chose 
porsivrons  nos  estudiousement  en  ce  tens  d'ores  et  en  toute  nostre  vie,  tant  come 
le  pooir  que  Dex  nos  a  doné  porra  soufrir.  Désormais,  qu'il  ne  soit  avis  que  nostre 
araisonement  voise  plus  loinz,  si  dirons  des  autres  choses  qui  sont  a  comander 
et  a  dire. 

On  trouvera  de  plus  longs  extraits  de  la  traduction  de  Jean  d'An- 
tioche  dans  les  Notices  et  extraits  des  manuscrits  '"'. 

Les  matières  traitéesdans  le  De  Inventione et  dans  les  \i\res  Ad  Heren- 
nium  rendent  assez  difficile  la  traduction  de  ces  ouvrages.  C'est  une 
tache  devant  laquelle  on  a  longtemps  reculé,  même  dans  les  temps 
modernes:  A.-A.-J.  Liez,  quand  il  publia  en  1823  la  seconde  édi- 
tion de  sa  traduction  du  De  Inventione,  se  félicitait  «  d'avoir  achevé  le 
«premier  une  entreprise  qui  jusqu'alors  avait  elTrayé  les  plus  har- 
xdis»'^',  et  J.-V.  Le  Clerc,  après  avoir  traduit  en  182  1  la  Rhétorique 
Ad  Herennium  et  avoir  revu  avec  le  plus  grand  soin  cette  traduction 
en  1827,  déclarait  que  ce  travail  lui  avait  présenté  «  de  grandes  diffi- 
cultés ..  '^'. 

11  a  fallu  beaucoup  de  hardiesse  au  clerc  qui,  vers  la  fin  du 
XIII*  siècle,  conçut  le  projet  de  mettre  en  français  des  écrits  remplis 
de  termes  dont  l'équivalent  n'existait  pas  encore  dans  la  langue  vul- 
gaire, à  part  toutefois  les  extraits  que  Brunetto  Latini  en  a  insérés  au 
livre  III  de  son  Trésor.  Aussi  devons-nous  admirer  le  courage  de  Jean 
d'Antioche,  qui  s'est  chargé  d'un  travail  aussi  ingrat  et  qui  l'a  ac- 
compli loin  de  tout  foyer  littéraire,  au  milieu  d'une  société  menacée 
chaque  jour  par  les  incursions  d'un  ennemi  redoutable,  dans  une 
ville  qui,  dix  ans  plus  tard,  allait  tomber  au  pouvoir  des  infidèles. 
C'est  à  peine  si,  à  la  même  époque,  dans  les  pays  de  l'Europe  où  la 
culture  des  lettres  était  le  plus  en  honneur,  on  songeait  à  faire 
passer  en  français   les  œuvres  classiques  de  l'antiquité  latine.  Un 

'"'  T.  XXXVI,  p.  ai  i-a65.  biiées  par  J.-V.  Le  Clerc,  seconde  édition,  t.  Il , 

'''  Préface   mise  en  t*te  du  Ùe  Inventione.         p.  5. 
dans  les  Œuvres   complètes    de   Cicéron.    pu-  '''  /6Ù2.,  t.  I,  partie  H,  p.  33. 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  13 

siècle  devait  s'écouler  avant  que  des  écrits  de  Gicéron  fussent  mis 
en  France  à  la  portée  des  laïques  peu  familiarisés  avec  le  latin.  Il 
n'y  avait  pas  une  seule  page  de  cet  auteur  traduite  en  français  dans 
la  librairie  de  Charles  V.  C'est  à  Louis  le  Bon,  duc  de  Bourbon,  ou 
à  Jean,  duc  de  Berri,  que  revient  l'honneur  d'avoir  provoqué  la 
traduction  des  deux  traités  de  la  Vieillesse  et  de  l'Amitié,  qu'il  était, 
d'ailleurs,  beaucoup  plus  facile  d'interpréter  que  les  traités  de  rhéto- 
rique. 

En  1282,  quand  l'aurore  de  l'humanisme  ne  commençait  à  luire 
ni  en  France  ni  en  Italie,  c'est  merveille  qu'il  se  soit  rencontré  sur  les 
rivages  delà  Syrie  un  manuscrit  des  deux  Rhétoriques,  et  il  est  bien 
permis  de  supposer  que  le  texte  de  ce  manuscrit  était  incorrect  en  plus 
d'un  endroit.  La  tache  du  traducteur  était  donc  doublement  malaisée, 
et  nous  ne  devons  pas  être  étonnés  si,  dans  plus  d'un  passage,  la  tra- 
duction de  Jean  d'Antioche  laisse  à  désirer.  Les  imperfections  ne  tar- 
dèrent pas  à  en  être  reconnues.  Peu  de  temps  après  la  transcrip- 
tion du  beau  volume  qui  nous  a  transmis  la  traduction  de  la 
Rhétorique,  la  version  de  maître  Jean  d'Antioche,  telle  qu'elle  se 
trouvait  dans  cet  exemplaire,  fut  attentivement  revue.  Des  points 
presque  imperceptibles  furent  mis  sous  les  syllabes,  les  mots  et  les 
phrases  à  supprimer  ou  à  modifier,  et  de  meilleures  leçons  furent 
inscrites,  en  caractères  très  fins,  sur  les  marges  ou  dans  les  interlignes. 
Nous  devons  donner  quelques  exemples  de  ces  corrections. 

Un  assez  grand  nombre  d'exponctions  portent  simplement  sur  les 
mots  surabondants  qui  ne  répondaient  pas  au  texte.  Ainsi,  dans 
les  exemples  qui  suivent,  les  mots  imprimés  en  caractères  italiques 
doivent  être  tenus  pour  non  avenus  : 

Fol.  i3,  col.  2.  Quant  je  bien  recors  par  les  amonicions  des  letres  et  par  les 
ancienes  ystoires  les  choses  qui  par  ancieneté  sont  esloignées  de  nostre  mémoire  et 
ostées,  je  trais  et  entens  que  mointes  cytez  sont  ordenées  et  estabiies,  et  plusors 
batailles  sont  restainles  et  rapaisées [De  Inv.,  I,  11.) 

Fol.  i3  v°.  Quar  il  fu  jadis  un  tens  que  les  homes  aloient  vagant  comunaument 
as  chans  en  manière  de  bestes,  et  multeplioient  lor  vie  par  vivre  bestial ,  quausi 
corne  bestes  sauvages  desmesuréement  et  par  fierté  vivaient.  (I,  n.) 

Jean  d'Antioche  avait  traduit  conjecturalis  par  «  provable  ».  A  ce  der- 
nier mot  le  correcteur  a  substitué  le  mot«  conjetural  »(fol.  i8,  20,  55v° 
et  61).  — Ratiocinatio  avait  été  rendu  par  «la  provable  raison»;  le 


14  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

correcteur  a  remplacé  ce  terme  par  «  le  raisonable  demostrement  » 
(fol.  3'i,  3a  v°,  33,  34,  36  v°,  77,  78  et  79). 

En  parlant  d'Herm agoras,  Cicéron '''  s'exprime  ainsi  :  Nam  satis 
in  ea  videtar  ex  antiquis  artibus  ingeniose  et  diliçjenter  electas  res  collocasse, 
et  non  nihil  ipse  (juocjue  novi  protulisse.  Verum  oratori  minimum  est  de  arte 
loqui,  cjuod  hic  fecit;  multo  maximum  ex  arte  dicere,  quod  eum  minime 
potuisse  omnes  videmus.  Jean  d'Antioche  a  pris  le  mot  novi  pour  le  parfait 
du  verbe  noscere,  au  lieu  d'y  voir  le  génitif  de  novnm,  ce  qui  l'a  em- 
pêché de  comprendre  la  phrase.  Il  a  ainsi  rendu  tout  ce  passage  : 
«  Quar  acés  est  il  avis  qu'il  ait  en  li  mises  engignousement  et  dilizau- 
«  ment  choses  esleues  des  ancienes  ars,  et  aucune  chose  a  il  pronon- 
«  ciée  et  dite  que  je  meisme  conois,  mais  trop  est  poi  au  reltorien  a 
«parler  de  l'art,  ce  que  il  fist;  nous  veons  que  moût  trop  greignor 
«  chose  est  a  dire  de  l'art  que  il  ne  pot  dire.  »  Le  correcteur  a  sup- 
primé les  mots  M  que  je  meisme  conois  »,  et  a  modifié  comme  il  suit  la 
dernière  phrase  :  «  mais  trop  est  poi  au  rettorien  a  parler  de  l'art, 
M  laquel  chose  il  fist,  mais  moût  greignor  chose  a  dire  par  art,  laquai 
M  chose  nos  veons  qu'il  ne  pot  »*^l 

Jean  d'Antioche  a  rendu  comme  il  suit  un  passage  du  cliapitre  xiv 
du  premier  livre  du  De  Inventione  : 

Nam. . .  non  ut quidque  dicendum  primum.  Non  pas  que  l'on  doieen  tel  manière  avertir 

ita  primum  animadvertendum  videtur  :  ideo  et  aparcevoir  ce  qui  est  premièrement  dit  corne 
quod  illa  qua;  prima  dicuntur,  si  vehementer  quant  qui  est  a  dire  après;  mais  porce  que,  se 
velis  congruere  et  cohaerere  cum  causa ,  ex  eis  les  choses  que  sont  dites  premièrement  ne  se 
ducas  oportet  qu»  post  dicenda  sunt.  Quare  contiegnent  mie  covenablement  aveuques  la 
quum  judicatio  et  ea  quœ  ad  judicationem  cause ,  ou  qu'eles  soient  dites  randonousement, 
oportet  inveniri  argumenta  diligenter  erunt  pregnient  afaitement  et  atemprance  de  cestes 
artiiicio  reperta  ,  cura  et  cogitatione  pertrac-  choses  que  puis  après  sont  a  dire.  Les  argumen» 
tata,  tuni  denique  ordinanda;  sunt  cetera?  par-  qu'i  covient  trover  meismement  a  la  judicacion 
tes  orationis.  Hae  partes  sex  esse  omnino  nobis  seront  trovez  dilizaumenl  par  artefice  et  seront 
videntur  :  exordium ....  atraitez  par  cure  et  par  pencée ,  et  por  ce  que 

l'argumentacion  si  est  l'euvre  et  le  despliement 
de  Targument,  si  ordenerons  de  ses  parties. 
Les  parties  donques  de  l'argumentacion  sont 
cestes  qui  vienent  après,  et  sont  vi  sans  plus, 
si  com  il  nos  est  avis  +.  Li  exordium,  ce  est  a 
dire  comencement  ...'*' 

Le  correcteur  a  trouvé  cette  traduction  peu  satisfaisante.  11  a  pré- 
venu que  tout  le  passage  était  à  réformer  :  «  D'isi  (c'est-à-dire  depuis 

(')  De  Invenlione.  I,  vi.  —  o  FoL  i6  du  m».  —  <*'  Fol.  20. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE. 


15 


les  mots  «Non  pas)  jusques  a  la  crois  tele  +,  qui  est  decoste  l'ele 
«d'açur  (la  croix  tracée  à  côté  de  l'initiale  bleue  des  mots  «  Li  exor- 
£?i«m»),  couvent  «amender».  Voici  la  rédaction  qu'il  proposait  de 
substituer  aux.  phrases  condamnées  : 

Car  ne  senble  si  cstre  primerement  a  consire  ce  que  l'en  doit  primerement 
dire,  ensi  com  il  primerement  doit  estre  dit,  et  se  les  choses  qui  sont  avant  dites 
volés  foirt  engluer  et  ajoster  a  la  cause,  il  couvera  que  de  celés  qui  seront  prime- 
rement dile[s]  amenés  cales  qui  seront  a  dire,  por  laquel  chose,  lors  que  la  judica- 
cion  et  les  argumens,  le[s]qués  apartenent  a  trover  a  judicacion,  seront  trovés  par 
diligent  artifice  et  traites  en  l'apensement  et  en  evre,  adont  doit  l'en  ordener  les 
autres  parties  de  l'araisonement,  lesquels  nos  resenblent  estre  vi. 

Nous  avons  une  remarque  du  même  genre  à  présenter  pour  un 
passage  du  chapitre  xli  du  même  livre,  que  Jean  d'Antioche  avait 
ainsi  traduit  : 


...  Si  qui  aut  assumptionem  aliquando 
toUi  putent  aut  proposilionem.  Qua;  si  quid 
habet  probabile  aut  necessarium ,  quoquo  modo 
commoveat  auditorem  necesse  est.  Quod  si 
solum  spectaretur,  ac  nihil  quo  pacto  tracta- 
retur  id  quod  excitatum  esset  refeiret  :  ne- 
quaquam  tantum  inter  sutnmos  oratores  et 
médiocres  interesse  existimaretur.    [De  Inv., 

I,  XLI.) 


...  Se  aucun  cuide  que  proposicion  ou 
aucune  prise  puisse  estre  ostée,  qui  a  aucune 
chose  provable  ou  nécessaire  cornent  que  i'an- 
ditor  soit  esmeu,  il  est  mestier;  que  se  il  regar- 
doit  seulement  l'argument,  nule  riens  ne  ra- 
conteroit  ou  ne  diroit  par  qui  celé  chose  fust 
atraitée  que  seroit  porpencée  ;  et  nequedent  il 
ne  seroit  ausi  prisié  tant  ne  quant  qu'il  fust 
entre  soverains  rettoriens  et  meens  '''. 


L'auteur  de  la  revision  a  exponctué  tout  ce  passage,  depuis  les 
mots  «que  proposition  »  jusqu'aux  mots  «et  meens».  En  interligne, 
au-dessus  des  premiers  et  des  derniers  mots  exponctués,  il  a  tracé  la 
note:  «  Faus  jusque  ci.»  Dans  la  marge,  en  regard  de  la  version 
condamnée,  il  a  écrit  la  version  qu'il  trouvait  à  propos  de  substituer 
à  la  leçon  condamnée,  et  en  tête  de  cette  nouvelle  version,  qui  va  être 
reproduite,  il  a  tracé  le  mot  «verai»  par  opposition  à  l'épithète 
«  faus  »  par  laquelle  il  avait  condamné  la  traduction  primitive  : 

[Se  aucun  cuide]  ou  la  proposicion  ou  la  prise  poer  estre  ostée  aucune  fois, 
laquele  a  aucune  chose  provable  o  necesaire,  mestier  est  qu'il  esmeuve  en  quelque 
mainere  l'auditor,  car  selon  regardast  solement  l'argument,  et  il  ne  fust  diference, 
quel  mainere  l'en  atraitast ,  en  disant  la  chose  pensée ,  ne  cuideroit  l'en  mie  qui 
fust  tel  diference  entre  les  soverains  retorians  et  les  means. 


<■>  Fol.  36. 


16  MAÎTRE  JEAN  DANTIOCHE 

La  même  note  «  Faus  jusque  ci  »  a  été  misesurun  membre  de  phrase 
du  chapitre  xxix  du  second  livre  : 

Et  quant  toutes  ies  autres  choses  aient  esté  ensi,  ceste  chose  est  provable  que  ce 
ne  (ist  il  pas  por  aucune  coulpe  d'aulrui.  (Foi.  65). 

C'est  ainsi  que  Jean  d'Antioche  avait  cru  pouvoir  traduire  cette 
phrase  de  Gicéron  : 

Et  cum  cetera  vita  magis  hoc  fuisse  consentaneum  quam  quod  propter  altcrius 
culpam  non  fecerit. 

Le  correcteur  a  été  mieux  inspiré  en  substituant  celte  leçon  : 

Et  avereit  esté  plus  concordant  a  sa  pasée  vie  que  ce  qu'il  remest  de  faire  par 
achaison  d'autrui.  (Fol.  65). 

Un  passage  qui  a  fort  embarrassé  le  traducteur,  c'est  la  citation 
que  Gicéron  a  empruntée  au  discours  de  Gurion  pour  Fulvius^'^  : 
Ut  Cnrio  pro  Fulvio  :  h'emo  potest  uno  aspectu  neque  prœteriens 
in  amorem  incidere,  Jean  d'Antioche  a  confondu  le  nom  de  Curio 
avec  le  verbe  curro,  et  il  a  Injîuvio  au  lieu  de  fulvio.  De  là  cette  bizarre 
traduction  :  «  Si  come  nos  corons  por  le  flum  ou  par  le  flum  :  Nul 
«  home  ne  peut  chayr  en  amor  par  un  soûl  regarl  ne  solement  en 
M  trespassant.  »  Le  correcteur  a  cru  pouvoir  lire  :  ut  Curio  Projlaio,  et 
il  a  traduit  :  «  Si  come  dist  Curio  a  Profluio.  » 

Çà  et  là  sont  semées  des  gloses  pour  expliquer  les  mots  dont  le 
sens  pouvait  embarrasser,  par  exemple  : 

Les  enfans  :  orne  qui  ne  set  jjarler.  (Fol.  i/i.) 

Qui  est  mis  en  dit  et  en  estrif  :  Au  dit  doit  l'en  entendre  la  deliberative  a  laquele 
nen  a  content  se  tous  sont  en  concorde.  —  L'estrif  est  entendu  par  la  judicial 
et  par  la  demostrative.  (Fol.  i  6  v°.) 

Se  la  personne  est  tele  que  seit  aferable  de  tel  colpe  ou  non.  —  Si  com  qui 
acusoit  un  home  de  manjer  char  d'autre,  laquele  chose  est  contre  nature. 
(Fol.  a/i.) 

Ce  est  cpie,  dites  cestes  choses,  entende  que  le  parlement  est  compli.  —  Nos 
sons  en  concorde  que  le  fis  ocist  la  mère,  ma  ce  est  en  débat  se  il  le  fist  a  drit  o  a 
tort.  (Fol.  25.) 

Ausi  comme  se  aucun  vosist  faire  o  dire  comparaison  de  la  mauvesté  de  Gai  Grag 

<•'  De  Inv..  I,  XLMi.  M»,  fol.  87  v*. 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  17 

a  cele  de  Caleline  ;  car  Gai  Grag  vost  gaster  une  cité,  c'est  Rome,  et  Cateline  tout 
le  monde.  (Fol.  28  v°.) 

Nuire  et  profiter  sont  11  contraires  choses  :  ma  le  leu  est  pris  par  le  contraire 
dou  senblabie;  car  il  a  senblance  a  l'un  et  a  l'autre  de  ce  qui  se  seut  faire. 
(Fol.  29  v°.) 

Tralacion  est  quant  se  fait  de  totes  les  parties  ;  ce  est  douteus  de  la  peine  et  des 
autres  parties.  —  Muance  si  est  lors  que  n'est  de  toutes  les  parties.  (Fol.  5y  v°.) 

Ce  est  de  la  vcraie  amistance,  de  laquele  il  parle  au  livre  de  Leli,  qui  est 
aquise  por  lui  meisme.  (Fol.  82  v".) 

Selon  toute  apparence,  ces  gloses  sont  la  traduction  de  gloses  la- 
tines contenues  dans  l'exemplaire  d'après  lequel  la  traduction  a  été 
faite  à  Saint-Jean-d'Acre. 

Les  gloses  sont  parfois  passées  dans  le  texte.  Ainsi  la  première 
ligne  du  livre  IV  à  Herennius  :  Quoniam  in  hoc  libro,  C.  Herenni, 
de  elocudone  conscripsimus ,  s'est  allongée  comme  il  suit  dans  la 
traduction  de  Jean  d'Antioche  :  «Nos  avons  escrit  en  ce  livre,  o 
«  Herenni,  de  l'elocucion ,  [qui  est  la  sinqueime  partie  deRethorique, 
«  si  coni  est  dessus  dit  au  tiers  livre]  »  *''. 

Le  travail  de  Jean  d'Antioche  sur  la  Rhétorique  de  Cicéron  ne  paraît 
pas  avoir  eu  grand  succès.  L'exemplaire  du  Musée  Condé  est  le  seul 
qui  soit  parvenu  à  notre  connaissance.  Le  caractère  de  l'écriture'^' 
nous  porte  à  croire  qu'il  a  pu  être  copié  dans  un  établissement  fran- 
çais de  l'Orient  latin,  peut-être  à  Saint-Jean-d'Acre,  sous  les  yeux 
du  traducteur.  Au  xv"  siècle,  il  fut  recueilli  par  Antoine  de  Ghourse, 
chambellan  de  Louis  XI,  dont  les  livres  passèrent,  au  siècle  sui- 
vant, dans  la  bibliothèque  du  connétable  de  Montmorency. 

La  traduction  de  la  Rhétorique  de  Cicéron  n'est  pas  le  seul  ouvrage 
de  Jean  d'Antioche  qui  nous  soit  parvenu.  Nous  n'hésitons  pas  à  lui 
attribuer  une  traduction  du  livre  de  Gervais  de  Tilbury  intitulé  Otia 
imperialia.  Une  traduction  de  cet  ouvrage  figure  sans  nom  d'auteur 
sur  le  catalogue  de  la  librairie  du  Louvre  '^'  : 

Item  le  Livre  des  Oisivetez  des  emperreres,  et  parle  des  Merveilles  du  monde; 

''*  Fol.  127  v°.  article    220    de    l'inventaire    de    i4i3;    ar- 

'"'  Deux  pages  du  manuscrit  ont  été  repro-  ticle  igS  de  l'inventaire  de  idad,  publié  par 

duites  en  héliogravure  dans  le  tome  XXXVI  M.  Douët  d'Arcq.  —  Article  776  de  l'édition 

des  Notices  et  extraits  des  manuscrits.  imprimée  dans  le  Cabinet  des  manuscrits,  t.  III, 

'*>  Article    916    de  l'inventaire  de  i4ii  ;  p.  i5o. 

TOME  xxxui.  3 


18  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

escripte  de  menue  lettre  bastarde  en  françois,  a  deux  colombes;  commençant  au 
I  foeillet  cleulz  et  qaelconqac  chose,  et  ou  derrenier  et  la  devocion;  couvert  de  cuir 
blanc,  a  deux  fermoirs  de  cuivre. 

Barrois  avait  recueilli  dans  sa  bibliothèque  un  exemplaire  du  Livre 
des  Oisivetés  des  Empereurs,  qu'il  supposait  avoir  fait  partie  de  la 
librairie  du  Louvre  et  qui,  suivant  lui,  répondait  à  l'article  d'inven- 
taire ci-dessus  rapporté,  et  c'était  pour  rappeler  la  prétendue  royale 
origine  de  son  volume  que  cet  amateur,  dépourvu  de  toute  critique, 
avait  fait  dorer  sur  les  plats  les  armes  de  Charles  V.  Mais  l'exemplaire 
de  Barrois,  aujourd'hui  encore  chez  le  comte  d'Ashburnbam,  n'est 
point  celui  qui  est  enregistré  sur  le  catalogue  de  la  librairie  du 
Louvre  :  les  premiers  mots  qu'on  y  lit  en  tête  du  second  feuillet  de 
la  table  sont  des  mentions,  et  ceux  du  second  feuillet  du  texte  sont 
voult  estre  mis,  ce  qui  ne  s'accorde  pas  avec  l'indication  donnée  par 
l'article  de  l'ancien  catalogue  qui  vient  d'être  rapporté. 

L'exemplaire  du  Livre  des  Oisivetés  des  Empereurs,  n°  1 9  du  fonds 
Barrois,  est  un  volume  in-folio,  de  286  feuillets,  orné  de  nombreuses 

Eeintures  et  datant  du  xiv^  siècle  ;  outre  l'ouvrage  de  Gervais  de  Til- 
ury,  il  contient  «  la  Division  frère  Odoric  des  Merveilles  de  la  Terre 
«Sainte».  Le  titre  mis  en  tête  du  manuscrit  est  ainsi  conçu  :  «Ci 
«commence  le  Livre  des  Oisivetezdes  emperieres,  translaté  de  latin 
«  en  françois  par  Jehan  du  Vignay,  frère  de  Hautpas.  »  On  lit  à  la  fin  : 
M  Ci  fenist  le  Livre  des  Merveilles  du  Monde.  » 

Nul  doute  que  cette  traduction  de  l'ouvrage  de  Gervais  de  Tilbury 
ait  été  rédigée  par  Jean  du  Vignai ,  comme  Barrois  l'a  annoncé  dans 
sa  Bibliothècjue  protypographicjue *^' . 

Mais  Jean  du  Vignai  n'est  pas  le  premier  traducteur  qui  se  soit 
exercé  sur  le  livre  de  Gervais  de  Tilbury.  Un  exemplaire  des  Oisivetés 
des  Empereurs  conservé  à  la  Bibliothèque  nationale ,  n°  9 1 1 3  du  fonds 
français,  se  termine  par  une  souscription  ainsi  conçue  :  «  Cy  finist  le 
«livre  de  la  complexion  de  maystre  Gervaise,  que  maystre  Harent 
«  d'Anthioche  translata  de  latin  en  françois.  »  Rien  ne  nous  autorise  à 
suspecter  l'exactitude  de  la  souscription  qui  vient  d'être  rapportée, 
et  nous  n'hésitons  pas  à  attribuer  cette  traduction  des  Oisivetés  des 

'''  P.   3o    de  l'index    alphabétique.    C'est        çaise  des  Otia  imperialia  comme  exécutée  en 

Erobablement    d'après   cette    indication   que         li-j^-WoirLicbrechU  Des  Gcrvasias  von  TUbary 
iebrecht  a  mentionné  une  traduction  fran-         Ofta  imperia/ia  (  i856,  gr.  in-8°),  p.  vu. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE, 


19 


empereurs'''  à  maître  Jean  d'Antioche.  L'auteur  qui,  dans  la  tra- 
duction de  la  Rhétorique  de  Gicéron,  s'est  appelé  maître  Jean  d'An- 
tioche, surnommé  de  Harent,  doit  être  celui  que  le  manuscrit  91 1 3 
désigne  par  le  nom  de  Harent  d'Antioche. 

L'exemplaire  de  la  Bibliothèque  nationale  est  une  assez  médiocre 
copie  sur  papier  du  xv*  siècle.  L'ouvrage  nous  y  est  présenté  avec 
cette  rubrique  initiale  :  «  Cy  commence  le  livre  translaté  en  françoys 
«  que  maistre  Gervays  de  Celesbiere  fist  en  latin ,  qui  est  appelle  le 
«  livre  de  Grant  delict,  »  Une  note  du  xvi*  siècle,  qui  a  été  fixée  en  tête 
du  volume,  le  désigne  par  les  mots  :  «  Le  Passe  temps  impérial.  » 

La  traduction  n'a  rien  de  remarquable.  Nous  en  reproduisons  un 
chapitre'^'  pour  donner  une  idée  du  style.  Nous  avons  choisi  le  pas- 
sage relatif  au  séjour  que  Gervais  de  Tilbury  lit  à  Naples  vers  la  fin 
du  mois  de  juin  1 189,  et  aux  légendes  qu'il  recueillit  dans  cette  ville 
sur  la  puissance  magique  attribuée  à  Virgile  : 


,  .  .  Encore  y  a  une  merveilie  a  Naples ,  que  je  ne  savoye  point  quant  l'adventure 
me  advint.  Car,  ce  moy  mesme  ne  eusse  esté  en  péril ,  a  payne  le  pourroye  croire 
qui  le  me  diroit.  Il  advint,  l'an  que  Acre  futassegie,  que  j'estoye  en  Salerne,  et 
fut  environ  la  saint  Jehan,  et  ungmyen  cousin  vint  a  moy,  que  j'amoye  bien,  et 
en  jeunesse  aveons  esté  en  i'escoHe  ensemble,  et  depuis  aveons  demouré  en  la  court 
du  roy  d'Engleterre ,  dont  j'estoye  bien  lyé  et  avoye  grant  joye  de  sa  venue,  et  aussi 
pour  certaines  nouvelles  qu'il  ni'avoit  apportées  de  mes  amys.  Ce  fut  Philippe,  le 
filz  du  Patris  *^'  le  noble  conte  de  Salesbiere,  par  qui  la  seigneurie  de  Salesbiere 
eschey  et  vint  au  roy  d'Engleterre  par  mariage.  Use  hastoit  moult  de  passer  oultre, 
mays  par  prière  je  le  retins  et  le  acompaigné  jusques  a  la  cité  de  Nolane  '*'  on  je 
demouroye  lors'*'  par  le  commandement  du  roy  Guilliaume  de  Cecille'*',  pour 
eschiver  les  perilz  du  chemin  de  Palerme  et  aussi  la  chaleur  d'esté'^'.  Quant  nous 
eusmez  séjourné  ung  peu  de  temps  a  Nolane,  nous  pensasmez  que  par  la  mer  de 
Naples  on  pourroit  trouver  plus  tost  passage  et  a  moins  de  despens  que  par  ailleurs. 


'•'  Voici  les  premiers  mots  des  deux  traduc- 
tions :  Jkax  du  Vignai  :  «A  son  très  excellent 
«  seigneur  Octon  le  quart  empere  ire  romain.  .  .  » 
—  Harext  d'Antioche  :  «A  très  religieux, 
«  hault  et  puissant  messire  Olhes  le  quart,  em- 
«  pereur  des  Romains  et  tousjours  en  accroisse- 
«  ment,  Gervaise  Je  Celesbiere,  par  voslre  di- 
«  gnité  mareschal  du  royaulme  d  Arle ,  humble 
■  dévot  et  féal ,  salut ,  victoyre  et  paix  dedens 
«  et  dehors.  Cy  parle  de  la  comparaison  de 
«  roy  et  de  prestre  et  de  leur  dignité.  Empereur 
«  en  accroissement  il  y  a  deux  choses ...» 


'*'  Ms.  français  91 13,  fol.  196.  Le  texte  latin 
correspondant,  dont  nous  aurons  à  citer  quel- 
ques passages ,  se  trouve  dans  les  Monam.  Gerni'. 
hist.,  Scriptores,  t.  XXVII,  p.  385. 

'^'  Filias  Patricii  olim  illastris  coiintis  Sares- 
herieiisis. 

'*'  Ad  civitatem  Nolanam. 

'''  Le  ms.  porte  :  demouroie,  et  lors  par. 

'*'  Guillaume  II ,  mort  le  16  novembre 
1189. 

'''  Ob  declinandos  Panormitanos  tumullus  ac 
fervores  eeslivos. 

3. 


20  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

Sy  fcismez  tant  que  nous  veinsmez  en  Naples,  et  fusmes  habergés  chiez  maistre 
Jehan"',  i'arcediacie  de  Naples,  qui  estoit  noble  homme  de  lignage  et  de  science,  et 
avoit  esté  mon  auditeur  en  droit  canon  a  Boulongne.  Il  nous  receut  a  grant  joye 
quant  il  sceut  pour  quoy  nous  y  estions  venus,  et,  tant  comme  il  appresta  a  mangier, 
il  vint  avec  nous  a  la  mer.  Et  tantost  alasmez  en  la  ville  besongner.  pour  faire  ce 
povu"  quoy  nous  estions  la  venus,  et  feismez  tantost  tout  nostre  fait,  et  mieulx  que 
nous  ne  cuydions  faire,  et  fusmez  prestz  de  partir  au  premier  bon  vent,  et 
retournasmez  en  nostre  hostellerie  et  comraençasmez  a  parler  comment  en  si  pou 
d'heure  nous  adveons  sy  bien  faite  toute  nostre  besongne,  et  nous  en  estions  tous 
esmerveillés.  Et  lors  nostre  hoste  nous  demanda  par  quelle  porte  nous  estions  <2' 
entrés  en  la  ville,  et  nous  luy  dismez;  et  lors  il  nous  dit  que  c'estoit  pour  quoy  il 
nous  estoit  si  bien  advenu  de  nostre  besongne.  Et  nous  demanda  encores  par  quel 
endroit  de  la  porte  nous  estions  entrés,  a  destre  ou  a  senestre;  et  nous  luy  respon- 
dismez  que  a  l'entrée  de  la  porte  nous  voulions  entrer  a  senestre,  mays  ung  asne 
chargé  de  huche  nous  en  destourna,  car  il  avoit  empeschié  ceste  coste,  et  entrasmez 
par  la  partie  désire.  «  Or  alons ,  nous  dit  l'arcediacre ,  a  celle  porte ,  et  verrez  des  mer- 
«  veilles  que  Virgille  fist  en  ceste  cité.  Il  nous  a  laissé  merveilleuse  remembrance  de 
«  luy  en  ceste  porte.  »  Et  en  celle  porte  nous  monstra  une  teste  de  beau  marbre 
bien  entaillée,  et  avoit  une  chiere  joyeuse  et  bien  ryant.  Et  en  la  senestre  part  en  la 
paroyt  y  avoit  une  aultre  teste  d'autre  marbre  moult  bien  fourmé[e] ,  mays  elle  avoit 
aultre  semblant  trop  contraire  de  celle  de  la  destre  partie,  car  elle  avoit  une  chiere 
toute  plourant  et  courroucée,  ainsi  comme  d'homme  qui  auroit  trop  grant  dom- 
mage et  maie  adventure.  Et  quant  nous  eusmes  veu  ces  deux  chieres  ainsy  con- 
traires de  façon  l'une  de  l'autre,  l'arcediacre  nous  dit  que  leurs  diverses  figures 
estoient  contraires  aux  adventures  a  tous  ceulx  qui  entroient  par  celle  porte,  mays 
que  on  ne  feust  de  cel  endroit,  pourveu  de  décliner  plus  a  destre  que  a  senestre'"; 
car  tous  ceulx  qui  entroient  en  Naples  par  celle  porte  de  la  partie  destre  tousjours  es- 
plo[to]ient  bien  de  tout  ce  qu'ilz  y  avoient  a  faire,  et  bien  leur  venoient  toutes  leurs 
besongnez,  et  avoient  bonne  prospérité  et  bon  amendement,  et  quiconcques  entroit 
devers  la  senestre  partie  tousjours  aloient  decheans  de  leurs  besongnes  et  estoient 
meschans  et  maleureux  de  tout  ce  que  ilzy  avoient  a  faire,  et  que  tousjours  se  trou- 
voient  au  dessoubz.  Et  pour  ce ,  nous  dit  l'arcediacre  que  pour  ce  que  l'asne  nous 
avoit  destourbé,  et  que  nous  estions  entrés  par  la  destre  part,  il  nous  estoit  sy  bien 
pris  de  nostre  besongne  que  nous  aveons  faicte  tout  a  nostre  gré.  Ceste  merveille 
aveons  nous  amentué  pour  ce  que  on  se  doit  esmerveiller  de  l'art  de  matematique 
de  Virgile,  non  pas  que  nous  voulons  louer  l'oppinion  des  Saduceoiz  qui  mettent 
toutes  les  choses  en  Dieu  et  au  marbre,  c'est  a  dire  en  destinée  et  en  fortune,  car 
ce  seroit  faulceté  et  grant  erreur  et  contre  l'Escripture,  qui  dit  :  «  Sire  Dieu,  toutes 
«choses  sont  mises  en  ta  voulenté,  et  n'est  nul  qui  puisse  venir  contre  ta  vou- 
.  lente  t*'.  » 

'''  In  hotpitio . .  .  Johannis  PinnateUL  sive  ad  sinistram  ex  indastria  orocurafa.    sed 

'*'  Estoient.  Ms.,  ici  et  plus  bas.  sicutfatalia  snnl ,  fato  eventaique  committantiir. 

'''  Dummodo  nalla  fiât  declinatio  ad  dextram  '*'  Esther,  XIIF,  g. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE.  21 

Nous  n'avons  relevé  qu'un  passage  où  le  traducteur  se  soit  mis 
en  scène.  C'est  dans  le  chapitre  intitulé  en  lâtin  De  phantasiis  noctnrnis 
opiniones,  à  propos  des  prières  (oraisons  et  versets  des  offices  de  saint 
Jean-Baptiste,  de  saint  Jean  l'Évangéliste  et  de  saint  Antoine),  que 
Gervais  de  Tilbury  conseille  de  réciter  en  se  couchant  quand  on  veul 
se  mettre  à  l'abri  des  cauchemars  et  des  mauvais  rêves.  Jean  d'An- 
tioche  s'abstient  de  traduire  ces  oraisons  et  ces  versets,  parce  que, 
suivant  lui,  la  foi  aveugle  est  la  plus  méritoire  : 

Je  ne  vous  expose  pas  en  françoys  ces  oraysons  et  ces  versés ,  ce  dit  le  transla- 
teur, pour  ce  que  telle  chose  requiert  foy,  et  tant  comme  la  foy  est  communément 
plus  couverte,  et  mesmement  en  celles  choses,  elle  vault  plus  et  est  plus  ferme  *^'. 

Nous  ne  savons  pas  si  Jean  du  Vignai  aurait  eu  les  mêmes  scru- 
pules, lui  qui  traduisait  en  français  «  les  epistres  et  les  euvangiles  de 
«tout  l'an,  selonc  l'ordenance  du  missel  a  l'usage  de  Paris '^*  ».  Dans 
tous  les  cas,  Jean  du  Vignai  connaissait  assez  bien  la  géographie  de 
la  France  pour  être  à  même  de  traduire  exactement  le  nom  latin  des 
évêchés  les  plus  célèbres  du  royaume.  A  cet  égard,  l'auteur  de  la  tra- 
duction des  Oisivetés  des  empereurs  a  fait  preuve  de  la  plus  étonnante 
ignorance  quand  il  a  traduit  comme  il  suit  le  chapitre  relatif  aux 
provinces  et  aux  villes  de  la  France '^^  : 

L'arcevesque  de  Lyon  est  le  premier  chief  de  France  ou  le  premier  siège  de 
France ,  et  a  dessoubz  luy  l'evesque  de  Mascon ,  celluy  de  Eduens  ou  d'Edoe ,  l'evesque 
de  Challon  et  celluy  de  Lengres.  L'arcevesque  de  Rayns  a  dessoubz  luy  l'evesque 
de  Soissons,  de  Chalons,  de  Cambray,  de  Doay'*',  deMorinence,  d'Arras ,  d'Amiens , 
de  Noyon,  de  Silvanence  '5',  de  Beauvays  et  l'evesque  de  Laon.  L'arcevesque  de 
Sens  a  ses'*'  evesques  dessoubz  luy,  c'est  assavoir  l'evesque  de  Paris,  de  Chartres, 
d'Orléans,  de  Nevers,  de  Troyes,  de  Meaux.  L'arcevesque  de  Tours  a  dessoubz 
luy  l'evesque  de  Redone  C',  d'Anjou,  de  Nentes,  de  Corisopience,  de  Vendosme, 
de  Briençon ,  de  Briosence,  de  Tegrorene,  de  Leonence  '*'  et  de  Dol.  L'arcevesque 
de  Roen  a  dessoubz  luy  l'evesque  d'Evreux.Avranches,  Lisieux , Baieux ,  Costences, 

'''  Ms.  français  91 13,  foi.  261.  nuscrit  français  sous  des  formes  très  altérées. 

<*'  Plusieurs  manuscrits  de  cette  traduction  '*'   Tornacensem. 

sont  indiqués  par  S.  Berger,  La  Bihle  française,  '''  Silvanectensem. 

p.  2a5.  '"'  Sans  doute  pour  sept.  Le  nom  d'Auxerre 

'''  Ms.  français  guS,  fol.  99.  Le  texte  ori-  a  été  omis  dans  i'énumération. 
ginal  de  ce  chapitre  est  pubfié  dans  Monum  '''  Rcdoiiensem. 

Germ.  Aù/or.jScriptoreî,  t.  XXVII,  p.  375.  Nous  '">   Corisopitensem,,     Venetensem,    Madovien- 

mettons  en   note   la   leçon  latine   correspon-  sem,  Briocensem,  Tregoreiisem ,   Leonensem.  — 

dant  aux  noms  qui  se  présentent  dans  le  ma-  Ce  mot  Macloviensem  n'a  pas  été  traduit. 


22 


MAITRE  JEAN  D'ANTIOCHE 


Sagience  et  Lizionence  '".  L'arcevesque  de  Bourges  a  dessoiibz  luy  l'evesque  de 
Cleremont,  de  Caours,  de  Lymoges,  d'Albigoys ''^'.  L'evesque  du  Puy  est  du  pape. 
L'arcevesque  de  Bordeaux  a  dessoubz  luy  l'evesque  de  Potiers,  d'Angoulaime , 
d'Agenes'^',  et  est  le  pays  de  Gascongne '*',  L'arcevesque  de  Nerbonne  a  dessoubz 
luy  l'evesque  de  Carcassonne,  de  Beziers,  de  Grâce'*',  de  Tolouse,  de  Magaionne. 
de  Mente'*'.  L'arcevesque  de  Vienne  souloit  tenir  ung  des  greigneiirs  sièges  de 
France,  sy  comme  il  contient  l'escripture  de  la  monnoie  qui  dit  ainsi  :  le  siège 
DE  VIENNE  LE  TRES  GRANT  SIEGE  DE  FRANCE.  .  .  Les  cveschiés  qui  sont  soubz  iceliuy 
siège  s'ensuyvent,  premier  l'evesque  de  Valence,  de  Valerians '^',  de  Viene '*',  de 
Greno  '"',  de  Maurienne ,  de  Genève .  .  .  En  Gascongne  a  encores  deux  arceveschiés  : 
l'arcevesque  Axican  et  l'arcevesque  d'Arle.  L'arcevesque  Axican  "*"  a  dessoubz 
luy  l'evesque  Aqueus,  de  Lectore,  de  Vescbi,  de  Consuraneus,  de  Bigorre,  de 
Daxunce,  de  Dolere,  de  Lacurance,  de  Bayone'"';  l'arcevesque  d'Arle  de  Bour- 
gongne  a  soubz  luy  l'evesque  de  Marseille,  d'Avignon,  d'Orenge"^',  de  Tricastre, 
de  Carpentras,  de  Salon''".  .  . 

II 


GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE. 

Après  avoir  analysé  les  deux  œuvres  auxquelles  le  nom  de  maître 
Jean  d'Antioche  restera  attaché,  il  est  juste  de  faire  connaître  le 
frère  hospitalier  Guillaume  de  Saint-Etienne,  à  l'initiative  et  aux 
encouragements  duquel  est  due  la  plus  importante  de  ces  œuvres. 

Nous  ignorons  l'origine  de  Guillaume  de  Saint-Etienne,  qui  est 
appelé  Guillaume  de  Saint-Estiene,  de  Saint-Esteine  ou  de  Saint- 
Esteven  dans  les  documents  contemporains'^'''.  M.  Delaville  Le  Roulx 
lui  a  donné  le  surnom  de  S.  Stephano,  supposant  qu'il  était  Italien, 


'"'  L'ordre  respectif  des  évêchés  de  la  pro- 
vince de  Rouen  a  été  interverti;  le  nom 
d'Evreux  a  été  oublié.  Lisieux  figure  à  la  fois 
sous  la  forme  régulière  et  sous  la  forme  Lizio- 
nence. Le  traducteur  ne  savait  pas  que  Sagien- 
sis  désignait  Séez. 

'*'  Le  traducteur  a  omis  les  noms  de  Rodez  et 
de  Mende. 

''>  Deux  évêchés  de  la  province  de  Bor- 
deaux sont  omis  :  Saintes  et  Périlleux. 

'*'  La  note  et  est  le  pays  de  Gascongne  est 
rattachée  dans  le  texte  latin  au  nom  de  Nar- 
bonne. 

'*'  Agathensem.  —  Ce  nom  est  suivi  dans  le 
texte  latin  du  mot  Lodovcnsem. 

'*'  Le  nom  Mente  s'est  glissé  ici  par  erreur 


à  la  place  de  ces  trois  noms  :  Nemausensem , 
Ucelensem,  Elenensem. 

'''    Vivanensem. 

'*'    Diensem. 

'*'    Gratianopolitensem. 

'"'  Auxilanus. 

'"'  Aqaensem{Dax),Lectorensem,  episcopatum 
Convenarum ,  Consoranensem ,  Bigorrensem ,  Ada- 
rensem.  Olorensem,  Lascurensem .  Basalensem, 
Baionensem. 

<"'  Ici  omission  de  deux  noms  :  Vasionensem, 
CavalHcemem. 

'"'   Tolonensem. 

'"'  Les  Statuts  de  tordre  de  l'Hôpitalde  Saint- 
Jean  de  Jérusalem,  p.  8.  (Extr.  de  la  Bibliotk. 
de  l'École  des  chartes,  année  1887,  t.  XLVIII.) 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE.  23 

parce  qu'il  a  résidé  un  moment  en  Lombardie  et  qu'il  pouvait  appar- 
tenir à  la  même  famille  qu'un  Daniel  de  Saint-Etienne,  connu  pour 
avoir  été  en  1 3 1 5  lieutenant  du  visiteur  général  de  Lombardie  '''. 
Ces  raisons  ne  nous  ont  point  convaincus,  et  nous  avons  conservé  la 
forme  française  du  nom  comme  nous  la  trouvons  dans  les  anciens 
manuscrits  '^*. 

La  première  date  certaine  à  laquelle  nous  rencontrons  le  nom  de 
Guillaume  de  Saint-Etienne  est  celle  de  1282  :  elle  nous  est  fournie 
par  les  passages  de  la  Rhétorique  de  Cicéron  qui  ont  été  transcrits  un 
peu  plus  haut.  Guillaume  devait  alors  résider  à  Saint-Jean-d'Acre. 
Un  peu  plus  tard,  il  passa  en  Europe  et  séjourna  quelque  temps 
dans  le  Prieuré  de  Lombardie.  Ce  fut  là,  selon  toute  apparence, 
qu'il  ébaucha  un  premier  recueil  des  statuts  de  l'ordre  de  Saint-Jean 
de  Jérusalem,  ou  du  moins  qu'il  en  rassembla  les  premiers  éléments. 

Pour  préparer  son  travail ,  il  avait  sous  les  yeux  des  documents  ori- 
ginaux que  lui  avait  communiqués  frère  Bernard  du  Chemin,  tréso- 
rier de  l'ordre ,  et  qui  devaient  disparaître  en  1291,  quand  la  ville  de 
Saint-Jean-d'Acre  tomba  au  pouvoir  des  infidèles.  Ces  circonstances 
sont  expliquées  dans  le  passage  suivant  de  la  compilation  de  Guil- 
laume de  Saint-Etienne  que  nous  a  conservée  le  ms.  français  60^9 
de  la  Bibliothèque  nationale  : 

Se  sont  les  ordenemens  desus  escris,  si  come  la  régie  et  les  autres  ordenenaens 
je  vis  et  tins  en  mes  mains,  bulles  de  plomb,  ce  est  assavoir  la  règle,  si  come 
vous  lavé  [s]  oye  devant ,  qui  estoit  bullée  de  la  bulle  apostolial ,  et  de  l'apostoille  Lu- 
cius,  et  estoit  en  latin,  et  puis  la  feis  translater  et  mètre  en  francès,  si  come  est 
dite  et  translatée  devant  le  co[n]trescrit  en  latin.  Quant  je  parti  dou  priouré  de 

t'i  VoicHesdeux  mentions  de  Daniel  de  Saint-  «honorable  maistre  del  hospital  et  dou  co- 
Etienne  que  nous  offre  un  recueil  de  statuts  «  vent .  .  —  Gestes  choses  furent  ordenées  pour 
des  Hospitaliers  conservé  à  la  Bibliothèque  «  les  desus  dis  frères  en  le  chapitre  gênerai  cele- 
nationale,  n°  1978  du  fonds  français  :  «  bré  pour  leur  en  le  Chaison  de  Saint  Pierre 
Fol.  1  o.  •  Cestui  livre  fist  faire  frère  Daniel  «  Concavie  en  la  cité  de  Ast ,  en  l'an  Nostre  Sein- 
«de  Saint  Estiene ,  de  l'ordre  de  l'ospital  de  «gnor  m.  ccc.  xx,  cum  le  consentiment  des 
«Saint  Jean  de  Jérusalem.»  u  proudes  homes  frères  qui  al  dit  chapitle  es- 
Fol.  i4.  «  Ordoné  fu  pour  li  religious  frère  «  toient.  •  —  Une  église  de  S.  Pietro  in  Concia- 
«  Albert  de  Caloç  et  frère  de  {sic)  Daniel  de  via  existe  encore  dans  un  faubourg  d'Asti. 
«  Saint  &tephen,  de  la  sainte  maison  de  l'ospital  '''  Les  éditeurs  du  Recueil  des  historiens  de» 
«  de  Saint  Johan  de  Jérusalem ,  leuc  tenent  en  croisades  [Historiens  occidentaux ,  t.  V,  p.  cxxi) 
«  le  priora  de  Lombardie  pour  le  vénérable  frère  ont  adopté  la  forme  Guillaume  de  Saint-Estève. 
«Philip  de  Gragnana  de  la  susdite  maison.  Us  n'ont  pas  osé  se  prononcer  sur  la  question 
«  leuc  tenent  et  visitaour  gênerai  del  reverens  de  savoir  si  ce  personnage  était  Français  ou 
•  home  mon  segnour  frère  Foulch  de  Villaret,  Italien. 


24  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

Lombardie,  demora  la  les  autres  choses  ensi  avant.  C'est  le  privilège  que  maistre 
Jobert  fit  de  pain  blanc,  et  les  autres  ordenations  que  il  fist;  et  celés  qui  vienent 
après  de  maistre  Rogier  de  Molix;  et  puis  la  reoordation  dou  Margat  atresi,  je  vis 
et  tins  et  oys  proprement  por  faire  cont[r]escrire ,  et  cstoit  buUée  de  la  bulle  de 
plomb  dou  nom  de  maistre  Aufons,  lesquels  je  fis  contrescrire  autresi  en  latin,  et 
[quant]  ce  lièvre  fu  compilé,  je  avèe  le  dit  cont[r]escrit ,  qui  proprement  fu  pris  desous 
la  bulle  de  maistre  Aufons,  et  l'avoie  en  Chipre.  Gestes  choses  ay  ci  dit  por  ce  que 
ladite  règle  qui  estoit  huilée  de  la  bulle  de  l'apostoly,  et  les  autres  choses  que 
estoient  soutes  [sic)  la  bulle  de  maistre  Aufons  furent  perdues  a  la  perte  d'Acre, 
si  que  au  jor  que  cest  livre  fut  compilé  nous  non  avions  règle  huilée  dou  pape,  ne 
les  choses  desus  escrites  recordées  et  confermées  au  Margat  non  avions  nous  sous 
nule  bulle.  Et  por  ce  que  elles  ne  fussent  mises  en  obli  par  négligence,  ou  que 
autre  error  non  fust  per  aucuns  escris  descordahles  des  escris  qui  les  frères  ont,  ay 
je  dit  la  ou  la  vérité  seroit  trovée.  Et  qui  le  eusse'"  la  règle  conl[r]escrite  sous  la 
bulle  dou  pape  et  les  ordenemens  desus  dis  huilés  sous  la  bulle  de  maistre  Aufons, 
je  trais  a  testimoingne  frère  Bernart  qui  estoit  tresourier  au  jour  et  avoit  la  dite 
règle  et  escrit  fait  au  Margat  en  sa  garde,  qui  les  presta  por  faire  contre  escrire. 
Meismes  as  diz  escritz  fais  au  Margat  conteoit  la  règle ,  laquai  règle  et  tous  les 
escritz  desus  ditz  estoient  en  une  chartre  huilée  souz  la  bulle  de  plomb  au  nom  dou 
dit  maistre  Aufons  '^*. 

Guillaume  de  Saint-Etienne  devint  commandeur  de  l'ordre  de 
Saint- Jean  dans  l'île  de  Chypre.  Il  était  investi  de  cette  dignité  en 
1296  quand  il  mit  la  dernière  main  à  la  grande  compilation  dont 
nous  allons  bientôt  avoir  à  parler.  Il  est  encore  qualifié  commandeur 
de  Chypre  à  deux  endroits  de  la  correspondance  à  laquelle  donna 
lieu  la  convocation  d'un  chapitre  général  qui  devait  se  tenir  le 
1"  août  i3oo  à  Avignon  *■''.  On  peut  lui  attribuer  les  lettres  qui 
furent  écrites  à  ce  sujet,  et  en  tête  desquelles  son  nom  figure  avec  ceux 
de  frère  Simon  Le  Rat,  maréchal,  de  l'hospitalier  frère  Raimond  de 
Belluac,  du  trésorier  frère  Bernard  du  Chemin  et  de  famiral  Fouque 
de  Villaret.  Guillaume  cessa,  en  i3o3,  d'êtreàlatêtedela  commanderie 
de  Chypre.  11  fut  remplacé  par  frère  Simon  Le  Rat,  dans  le  chapitre 
général  que  maître  Guillaume  de  Villaret  tint  en  1 3o3  ''''.  A  partir  de 
cette  date ,  nous  perdons  sa  trace. 

'•' Le  sens  paraît  exiger  :   Et  que  je  eusse.  <•'  «Frère    Simon    Le  Rat,  qui  avoit  esté 

'*'  Ms.  français  6049,  fol.  a4o  v°.  mareschal  l'année  passée  et  fu  fait  comandor 

'''  «Le  comandor  de   Chipre,  frère   Guil-  de  Chipre  a  cei  chapitre.»  Ms.  français  60/19, 

iaume  de  Saint  Esteine.  •  Ms.  français  6049,  fol.  aoo  v°  et  aoi.  La  date  de  ce  chapitre, 

fol.   i44  V.  —  a  Frère  Guillaume  de  Sainte  i3o3, est  formellement  indiquée  au  fol.  199  V* 

E^teven ,  comandor  de  Chipre.  »  Ibid. ,  fol.  1 76.  du  même  manuscrit. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTlENNE.  25 

GuiHaume  de  Saint-Etienne  s'est  surtout  fait  connaître  parles  tra- 
vaux qu'ii  a  exécutés  sur  les  statuts  et  l'histoire  de  l'ordre  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem.  C'est  à  lui  qu'il  faut  attribuer  la  première  codifi- 
cation des  statuts,  représentée  par  le  ms.  4852  du  Vatican,  à  la  fin 
duquel  (fol.  i4o  v")  le  scribe  a  tracé  ces  mots  à  l'encre  rouge  :  «Ce 
«livre  fist  escrire  frère  Guillaume  de  Saint  Estiene,  frère  de  l'ospi- 
«  tal  de  Saint  Johan  de  Jérusalem.  »  Dans  ce  volume  se  trouvent  réunis 
la  Règle  de  Raimond  du  Pui,  le  privilège  du  grand  maître  Joubert 
relatif  au  pain  blanc  à  fournir  aux  malades,  un  règlement  du  service 
divin  et  du  cérémonial  religieux,  les  constitutions  du  grand  maître 
Roger  de  Molins,  différents  statuts  promulgués  au  cours  du  xiii*  siècle 
et  une  rédaction  des  Esgarts,  c'est-à-dire  des  décisions  disciplinaires 
prises  pour  punir  les  fautes  et  prévenir  les  abus  *'*. 

Une  compilation  beaucoup  plus  étendue  et  d'une  importance  his- 
torique et  littéraire  beaucoup  plus  grande  remplit  le  ms.  français  6049 
de  la  Bibliothèque  nationale.  Le  nom  de  l'auteur  se  lit  dans  une  note 
mise  en  marge  du  fol.  217  v°  :  «  Ci  comencent  li  autre  mandament  del 
«  iievre  que  compila  frère  Guillem  de  Saint-Estenne  »,  et  plus  expres- 
sément encore  dans"  un  avant-propos  copié  au  fol.  217  :  «  Cest 
«lièvre  fist  frère  Guillaume  de  Saint  Estenne,  adonc  comandor  de 
«  Chipre.  »  La  rédaction  fut  achevée  au  mois  de  septembre  1296  dans 
l'île  de  Chypre;  c'est  ce  qui  est  formellement  énoncé  à  la  fin  de  l'ou- 
vrage :  «laquel  fu  complie  en  Chipre,  l'an  de  l'incarnation  Nostre 
«  Seigneur  m.  ce.  xc.  vi  ^^*  ». 

La  compilation  de  Guillaume  de  Saint-Etienne  se  divise  en  deux 
livres  distincts. 

Le  premier  livre  est,  à  proprement  parler,  un  recueil  de  docu- 
ments propres  à  faire  connaître  l'ordre  de  l'Hôpital  et  les  principes 
d'après  lesquels  il  était  ou  devait  être  administré.  H  se  compose  des 
morceaux  suivants,  qui,  pour  la  plupart,  avaient  d'abord  été  écrits 
en  latin,  mais  que  le  compilateur  a  mis,  ou  plutôt  a  fait  mettre,  en 
français,  pour  être  mieux  compris  : 

'"'  Dekville  Le  Roulx ,  Les  statuts  de  l'ordre  M.    Paul    Le   Cacheux,   membre   de   l'École 

de  l'Hôpilal  de  Saint-Jean  de  Jérusalem ,  p.  7-9  française  de  Rome.  Voir  aussi  la  préface  du 

{extrait  de  lu  Bibliothèciue  de  l'Ecole  des  chartes,  tome  \  des  Historiens    occidentaux    des    Croi- 

1887,  t.  XLVIII).  Une  notice  sur  le  manuscrit  sades,  p.  cxxi. 
du    Vatican    nous   a   été   communiquée   par  '*'  Ms.  français  6049 ,  fol.  298. 

TOME  XXXIII.  4 


26  MAITRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

r  (fol.  2).  «  Ce  sunt  H  miracle  que  Nostre  Sires  Dieus  Jhesu  Crist  fist  en  Jheru- 
«salem,  pour  establir  e  pour  bastir  la  sainte  mayson  de  Saynt  Johan  de  Jlieru- 
«  salcm.  »  —  Ce  texte  a  été  publié  par  M.  Delaville  Le  Roulx'^'  et  par  les  éditeurs 
du  Recueil  des  historiens  occidentau.v  des  croLmdes^^K 

2°  (fol.  1  1  ).  Règle  de  Raimond  du  Pui,  confirmée  par  le  pape  Boniface  VIII. 

3'  (foi.  17  V).  Liste  (les  pénitences  (afflictions)  et  des  jeûnes  imposés  aux  Hos- 
pitaliers. 

6°  (fol.  2  1  ).  Code  disciplinaire,  connu  sous  le  titre  de  «  Usance  des  égards  ». 

5°  (fol.  42).  Privilèges  et  établissements  arrêtés  dans  les  chapitres  de  l'ordre. 
Le  recueil  débute  par  la  prétendue  charte  de  Godefroi  de  Bouillon,  dont  il  sera 
question  plus  loin.  A  la  suite  viennent  la  confirmation  de  la  règle  de  Raimond  du 
Pui  par  le  pape  Lucius  III,  la  constitution  du  grand  maître  Joubert  pour  le  pain 
des  malades  et  le  texte  des  statuts  ou  établissements  promulgués  jusques  et  y  com- 
pris ceux  du  chapitre  célébré  à  Limassol  au  mois  de  novembre  i3oà.  Les  cinq 
derniers  articles  de  la  collection,  se  rapportant  aux  chapitres  des  années  i3oo- 
i3o4,  ont  été  ajoutés  après  coup;  celui  de  l'année  i3o^  n'est  même  pas  men- 
tionné dans  la  table  qui  est  en  tête  du  recueil.  M.  Delaville  Le  Roulx  a  fait  ou 
doit  faire  entrer  ces  établissements  dans  le  Cartalaire  général  de  Fordre  des  Hospita- 
liers de  Saint- Jean  de  Jérusalem  '^'. 

6*  (fol.  1  2  I  ).  Coutumes  observées  sur  des  points  dont  il  n'est  point  question 
dans  les  établissements  des  chapitres  :  «  Ci  comence  et  dit  de  la  obédience  que  les 
«frères  doivent  tenir  et  faire,  et  les  usances  et  les  congiés  dou  maistre,  et  les 
«autres  choses  qui  sunt  escrites  en  cest  lièvre,  tout  soit  que  cestes  usances  n'en 
«  soient  ordenées  par  chapitre,  mes  les  prodes  homes  de  la  maison  ont  volu  escrire 
«  si  con  il  est  usé  et  costumé  en  nostre  maison.  »  Ce  morceau  a  été  publié  par  M.  De- 
laville Le  Roulx  dans  son  Cartulaire  '*'. 

7°  (fol.  \lfi  v°).  Catalogue  des  maîtres  de  l'Hôpital,  s'arrêtant  au  nom  de 
Guillaume  de  Villaret. 

8°  (fol.  1/14).  Correspondance  se  rattachant  au  projet  que  Guillaume  de  Villaret, 
maître  de  l'ordre,  avait  formé  de  tenir  un  chapitre  général  à  Avignon  le 
i"août   i3oo.   Cette  correspondance  a  été  publiée  par  M.  Delaville  Le  Roulx'". 

9"  (fol.  i83  v°).  Conseil  du  roi  Charles  II  de  Sicile  pour  reconquérir  la  Terre 
Sainte.  Ce  mémoire  semble  avoir  été  rédigé  sous  le  pontificat  de  Nicolas  IV;  il  a 
été  analysé  par  M.  Delaville  Le  Roulx '^'. 

10°  (fol.  190).  Observations  ayant  principalement  trait  à  la  condition  des  indivi- 
dus qui  étaient  admis  dans  l'ordre  en  qualité  de  confrères. 

'"'  De  prima  origine  Hospitalariorum  Hieroso-  '''  T.  Il,  p.  536-56 1. 

(ymitanoriim  (Paris,  i885,  in-8'),  p.  97.  O   Cartalaire  des  Hospitaliers,  t.  III,  p.  766 

'''  T.  V,  p.  4 1 1 .  et  suivantes. 

'*'  Les  parties    déjà    publiées  se   trouvent  '*'  La  France  en  Orient  au  xir' siècle,  t.  I, 

dans  le  tome  1,  p.  339-340,  345347  et  42  5  p.   16-19    {Bibliothèque  de    l'École  des  liaates 

4^9;    dans  le  tome  II,  p.  3i-4i,  et   dans   le  étades,  fascicule  44  )• — Ce  mémoire  porte  pour 

tome  III,  p.  43,  75,    118,    186,  336,  368,  titre,  au  bout  du  fol.  i83  v"  du  manuscrit  : 

45o,  5a8,  608,  638,  65o,  673  et  810.  «Ce  est  le  coseill  del  roy  Karles.  » 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  27 

1  1°  (fol.  1  9  I  v°).  «  Ici  est  escrit  cornent  et  en  quel  jours  nous  devons  faire  afflic- 
«  lions.  .  .  »  Ces  remarques  complètent  ce  qui  se  trouve  sur  le  même  sujet  au 
fol.  1 7  v°  du  manuscrit. 

12°  (fol.  igA).  Recueil  d'«esgarts»,  c'est-à-dire  de  décisions  prises  par  les  di- 
gnitaires de  l'ordre  sur  des  points  qui  n'avaient  été  prévus  ni  pai'  la  règle  ni  par  les 
établissements  des  chapitres.  Ces  décisions  datent  des  années  i3oi-i3o3;  elles  ont 
dû  être  ajoutées  après  coup  dans  la  compilation  de  Guillaume  de  Saint-Etienne, 
qui  fut  terminée  en  i  296. 

1 3°  (fol.  2  1 5  v°).  Supplément  au  recueil  des  Usances. 

Là  s'arrête  le  premier  livre  de  la  compilation.  Dans  le  second, 
l'auteur  s'est  proposé  de  mieux  faire  connaître  l'histoire  de  l'ordre 
de  l'Hôpital  et  de  développer  les  principes  généraux  de  droit  d'après 
lesquels  devaient  être  résolues  les  questions  douteuses.  Le  second 
livre  comprend  donc  une  partie  historique  et  une  partie  juridique. 
En  tête  (fol.  217)  se  lit  une  sorte  d'avant-propos,  où  sont  sommaire- 
ment exposés  les  rapports  qui  rattachent  les  deux  livres  l'un  à  l'autre. 
Vient  ensuite  (fol.  220  v°)  un  prologue,  où  sont  indiqués  les  cir- 
constances dans  lesquelles  l'auteur  se  mit  à  l'œuvre  et  le  but  qu'il 
avait  en  vue.  Un  jour  qu'il  se  laissait  aller  à  des  pensées  d'inquiétude 
et  de  découragement,  il  se  ressaisit  au  souvenir  du  passage  où  saint 
Augustin  combat  cette  disposition  d'esprit,  en  recommandant  la  prière 
et  la  lecture.  «Et  lors,  dit-il,  si  comme  rosée  devant  le  soleil  s'éva- 
«  nouit,  en  telle  manière  ces  diverses  pensées  s'évanouirent  de  mon 
«  courage,  me  laissant  en  sûreté  de  repos.  » 

La  partie  historique  du  second  livre  fait  souvent  double  emploi 
avec  le  premier,  qui  contient  tous  les  textes  relatifs  à  l'organisation 
et  aux  développements  de  l'ordre  des  Hospitaliers;  toutefois  il  con- 
vient de  faire  remarquer  que,  dans  le  premier  livre,  Guillaume  de 
Saint-Etienne  s'est  généralement  borné  à  reproduire  les  documents, 
tandis  que,  dans  le  second,  il  les  combine  et  les  apprécie.  C'est  ainsi 
qu'après  avoir  exposé  les  vraies  origines  de  la  maison  de  l'Hôpital 
conformément  aux  «  histoires  autorisables  » ,  il  fait  allusion  à  des  ori- 
gines fabuleuses,  en  termes  qui  dénotent  un  véritable  esprit  de  cri- 
tique et  un  remarquable  amour  de  la  vérité  : 

Et  ensi  fu  comenciée  [nostre  maison],  selonc  ce  que  l'e[n]  trueuve  as  estories, 
lequels  estoires  sont  receues  et  creues  de  tous  et  par  tous  auctorizables.  Aucun  plus 
ancien  comensament  est  dist,  qui  fut  dou  tens  Melchiar,  mes  ne  est  pas  trové  en 

li. 


28  MAÎTRE  JEAN  DANTIOCHE 

leus'"  actorisables ;  mes  je  esme  que  questeors,  por  mieaus  gaaigiiier,  troverent 
celés  clioses.  Car,  par  vérité  et  selonc  l'estoire  de  ia  Bible,  de  celui  tens  en  sa  que 
ceaus  dien[t],  lu  Jherusalem  destrute  et  dou  tout  deshabitée,  que  persones  ne  ha- 
bitoient,  et  le  saint  sépulcre  Nostre  Sires  fu  lors  tout  debrisiés,  lequel  estoit  tous 
entiers  perciés  en  la  roche.  Et  que  ce  soit  voirs  que  il  fu  depeciés,  est  encoire 
au  jour  d'ui  apparant.  Ores  laissons  la  vanité  et  tenons  la  vérité,  car  glorifiement  de 
mensonges  desplait  a  Dyeu»'''. 

Les  éditeurs  du  Recueil  des  historiens  occidentaux  des  croisades,  qui 
ont  publié  ce  morceau  sous  le  titre  de  Comment  la  sainte  maison  de 
l'hospital  de  Saint  Johan  de  Jérusalem  commença^^\  en  ont  bien  défini  le 
caractère  et  montré  la  valeur  : 

L'auteur,  disent-ils ''',  commence  par  exposer  avec  détails  les  circonstances  dans 
lesquelles  l'hôpital  fut  bâti  par  les  marchands  italiens.  Il  n'indique  pas  clairemen  t 
la  source  de  son  récit;  mais,  en  disant qu  il  a  puisé  ses  renseignements  «  as  estoires  , 
«  lequels  estoires  sont  receues  et  creues  de  tous  et  par  tous  auclorizables  »,  il  nous 
permet  de  conjecturer  qu'il  s'est  servi  de  l'une  des  histoires  des  croisades  univer- 
sellement connues  de  son  temps,  et  très  probablement  de  celle  de  Guillaume  de 
Tyr,  avec  laquelle  son  récit  offre  de  nombreux  points  de  contact.  Il  a  pu  l;i  con- 
sulter, nous  semblc-t-il,  dans  la  traduction  française,  dont  il  se  rapproche  un  peu 
plus  que  de  l'original  latin  et  qu'il  cile  d'ailleurs  formellement  en  un  passage  sous 
le  titre  de  «  Livre  du  conquest  »,  par  lequel  on  la  désignait  au  moyen  âge. 

Il  ne  l'a  pas  toutefois  suivie  d'une  façon  servile  ni  d'une  façon  exclusive.  Bien 
qu'en  général  son  récit  soit  plus  bref,  il  a  cependant  amplifié  certains  passages  de 
l'archevêque  de  Tyr,  en  y  ajoutant  des  réflexions  ou  des  explications  que  lui  a  pro- 
bablement fournies  sa  seule  imagination.  Outre  ces  différences,  dont  il  n'y  a  pas 
lieu  de  s'occuper  autrement,  son  œuvre  présente  certaines  particularités  qu'il  est 
intéressant  de  noter.  Guillaume  de  Saint-Estève  ne  désigne  pas  la  ville  d'Amalfi 
comme  le  lieu  d'origine  des  marchands  fondateurs  de  fhôpital  et  se  borne  à  dire 
que  ces  marchands  étaient  des  Italiens.  II  nous  apprend  que  les  fondateurs  étaient 
au  nombre  de  cinquante,  tandis  que  Guillaume  de  Tyr  n'articule  aucun  chiffre. 
Guillaume  de  Tyr  distingue  nettement  la  fondation  préalable  d'un  monastère  dédié 
à  la  Vierge,  où  furent  appelés  des  moines  italiens,  et  l'établissement  subséquent, 
fait  par  ces  moines,  d'un  hôpital-auberge,  pour  tous  les  pèlerins.  Guillaume  de 
Saint-Estève  attribue  aux  marchands  la  fondation  simultanée  du  monastère  et  de 

•''  Le  ms.  porte  coae  en  leac  actorisables.  Turin  et  le  ms.  33 a3  de  Vienne.  —  Une  pre- 

'''   Ms.  français  60^9 ,  fol.  a 23  v".  —  Histo-  mière  édition  en  avait  été  donnée  en  188.Î  par 

riens  occidentaux  des  croisades,  t.  V,  p.  /ia4.  M.  Delaviile  Le  Roulx,  dans  l'appendice  de  sa 

''*  Historiens  occidentaux  des  croisades ,  t.  V,  thèse  De primaorigine  Hospitalarioram  Hieroio- 

p.  422-457.  d'après  les  mss.  français  6o4n  et  lymitanoram,  p.  119. 

1978  de  la  Bibl.  nat. ,  le  ms.  3i36  du  Vati-  <''  Hiitonens  occidentaux  des  croisades,  t.  V, 

can,  le  ms.  français  i,v-45  de  l'Université  de  p.  cxxn. 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  29 

l'hôpital.  Guillaume  de  Tyr  ne  dit  pas  à  quel  ordre  appartenaient  les  moines; 
Guillaume  de  Saint-Estève  spécifie  que  c'étaient  des  moines  noirs,  c'est-à-dire, 
semble-t-il,  des  Bénédictins.  Le  premier  affirme  que  l'hôpital  fut  placé  sous  f invo- 
cation de  saint  Jean  THospitalier  ou  f  Aumônier,  patriarche  d'Alexandrie,  illustre 
par  sa  charité;  le  second  combat  celte  affirmation,  et  soutient  f  opinion  que  la 
maison  fut  consacrée  à  saint  Jean-Baptiste,  le  Précurseur. 

Nous  pouvons  citer  un  exemple  du  scrupule  avec  lequel  travaillait 
Guillaume  de  Saint-Etienne.  Des  articles  additionnels  avaient  été 
ajoutés  après  coup  aux  Etablissements  du  Margat;  Guillaume  les  a 
compris  dans  son  recueil,  mais  il  les  a  laissés  à  part,  en  prévenant 
expressément  qu'ils  ne  faisaient  point  partie  du  texte  primitif.  Voici 
ce  que  porte  le  ms.  ôo/ig  de  Paris,  folio  76  : 

Geste  est  la  elecion  deu  maistre,  ensi  com  elle  fu  ordenée  au  tens  de maistre  Joan 
de  Villiers  et  au  tens  de  maistre  Guillaume  de  Vilarct,  au  chapitre  qui  fu  tenus  a 
Marseilh,  et  i|ui  fu  après  cassée  au  tens  deu  desus  dit  maistre  Guillaume  de  Vi- 
laret,  le  premier  chapitre  que  il  tint  desa  mer,  et  au  tiers'^'  chapitres  fu  recon- 
fermée,  et  nous  l'avons  mise  près  de  ceste  autre  qui  fu  faite  au  Margat.  Je'^'  sur  ce 
que  ceste  eleccion  ne  est  pas  de  l'establiment  dou  Margat. 

Dans  le  ms.  4862  du  Vatican,  les  additions  faites  après  coup  à  la 
Règle  de  Raimond  du  Pui  sont  soigneusement  distinguées.  Nous  y 
lisons  sur  la  marge  du  folio  3  v"  : 

Gestes  choses  qui  sont  escrites  en  manière  de  glose  en  ce  livre,  tant  com  la 
règle  tient,  ajousta  maistre  Amfos  a  la  dite  règle,  selonc  qu'il  contient  a  son  escrit 
fait  au  Margat. 

Guillaume  a  été  moins  bien  inspiré  quand  il  a  cédé  au  désir  de 
faire  intervenir  Godefroi  de  Bouillon  dans  la  fondation  de  l'ordre  de 
l'Hôpital.  Ayant  rencontré  une  charte '^^  émanée  de  Godefroi  111,  duc 
de  Lothier,  en  11 83,  il  en  a  fait  entrer  dans  sa  compilation'*^  une 
version  française  qu'il  a  intitulée  :  «  Ci  comence  le  privilège  que  le 
«duc  Godofroy  de  Bulon  fist  a  l'ospital  en  Jherusalem,  par  lequel 

'''  Le  manuscrit  porte  et  autres  chapitres,  '''  Le  texte  original  de  cette  charte,  en 
mais  au  passage  correspondant  de  la  table  latin,  est  publié  dans  le  Cartulaire  de  M.  De- 
mise  en  tête  du  recueil  (fol.  45  v°)  on  lit  :  et  laville  Le  Roulx,  t.  I,  p.  437,  n°  649.  —  Voir 
au  tiers  chapitle.  aussi  Historiens  occidentaux  des  croisades,  t.  V, 

*''  Passage  corrompu;  on  pourrait  proposer  p.  426. 
ja  soit  au  lieu  de  je  sur.  <*'  Ms.  français  6049 1  f**^*  ^^" 


30  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

«  sont  testimoignés  moût  de  biens  espirituels  estre  heu  fais  en  nostre 
«  maison  en  Jherusalem ,  et  par  lequel  est  testimoigné  que  le  patron 
«de  nostre  maison  est  saint  Johan  Baptiste.  »  Mais  il  a  dû,  lui  ou  un 
collaborateur,  éprouver  un  certain  embarras  en  constatant  que  la 
pièce  était  datée  de  l'année  de  l'incarnation  ii83  et  de  la  prise 
de  Jérusalem  84-  Ce  synchronisme  avait  été  conservé,  et  il  a  fallu 
pratiquer  un  grattage  pour  permettre  de  lire  à  cet  endroit  :  «  en 
«l'an  de  l'incarnacion  Nostre  Seignor  m  c,  en  l'an  de  la  prise  de 
«Jherusalem  i»,  leçon  qui  s'accordait  assez  bien  avec  l'attribution 
de  la  charte  à  Godefroi  de  Bouillon ''^ 

Quand  l'occasion  s'en  présente,  Guillaume  exprime  ses  idées  per- 
sonnelles sur  l'administration  de  l'ordre  auquel  il  appartenait.  Il  ré- 
prouve le  cumul  des  fonctions  et  soutient  que  le  rôle  du  maître  doit 
se  réduire  à  une  direction  et  une  surveillance  générale,  sans  immixtion 
dans  le  détail  des  affaires  : 

Deus  offices  ensemble  ne  doivent  estre  bailliés  a  une  persone,  combien  qu'eie 
soit  exercitée.  Car  ausi  con  la  [di]versité  des  membres  et  divers  offices  garde  la  force 
de  cors  et  li  donc  beauté,  autresi  la  diversité  des  persones  establies  par  divers  offices 
garde  la  force  et  l'onor  de  sainte  Glise,  et  autresi  con  ce  est  laide  chose  en  cors 
d'ome  que  l'un  membre  face  l'office  a  l'autre,  est  il  laide  cbose  se  chascims  des 
offices  de  sainte  Glise  ne  est  baillié  a  une  persone;  et,  por  ce  que  nostre  religion 
est  un  cors  fil  de  sainte  Glise,  et  ausi  que  saint  Gregori  parole  a  lotes  religions  de- 
sous  le  vocable  de  sainte  Glise,  fu  il  droit  que  nostre  religion  enseguist  les  ma- 
nières de  sa  mère  sainte  Glise  et  les  comandemens  et  doctrines  de  seint  Piere  et 
des  apostols.  Por  quoy  en  nostre  religion,  qui  est  un  cors,  fu  ordené  divers  membres 
pour  le  sauvement  et  acroissement  dou  dit  cors,  dont  le  maistre  fu  le  chief,  qui 
est  le  premier  office  ordené  au  sauvament  et  au  croissement  de  nostre  religion. 
Après  sont  ordenés  les  autres  ordenes  diversement,  selonc  que  les  parties  dou  cors, 
por  le  porlexion  douquel  tous  les  autres  sont  adresciés,  [et] est  le  nostre  maistre  le 
chief,  par  quoy  tous  les  officiais  doint  estre  proveus  et  adreisciés..  .  . 

.  .  .Tote  le  nave  generalmcnt  doent  estre  a  la  proveence  dou  nouchier  et  par  lui 
adrecée.  Ue  quoy  Tullus  dit,  au  lièvre  de  Rectorique,  que  celle  nave  parfait  très 
bien  son  cours  qui  use  de  très  sachant '^'  governeor,  atresi  generalment  toute  nostre 

'■'  Le   ms.    français    1978    nous   offre,    au  La  date  est  ainsi  exprimée,  dans  le  ms.  1978, 

foi.  ao.^  v°,  une  copie  de  la  même  charte  dont  fol.  2o4  v"  :  «  En  l'an  de  l'incarnaciou  Nostre 

le  texte  a  reçu  de  nouvelles  modifications  pour  •  Seignor  m  x(;  vni ,  en  l'an  de  la  prise  de  Jeru- 

rendre  moins  invraisemblable  l'attribution   à  «  salem  mi.  xxxiii  (sic).» 

Godefroi  de  Bouillon.  L'auteur  de  la  charte  s'y  '''  Le  copiste  a  écrit  :  de  trcschanl  governeor. 

appelle:   «Je,    Godefroy   de   Buillon,  par   la  Voici  le  texte  de  Cicéron  (De //iDcnf.,  I,  xxxiv): 

•  grâce  de  Dieu  duc  de  Lohercnne.  .  .  »,  tandis  Nain  navis  oplime  cursam  conficit  eu  quee  scirn- 
que  le  ms.   6049   porte:  «Je,  Godefroy,  per  (ktimo  ^aiernafore  a<itar.  La  traduction  de  Jean 

•  la  grâce  de  T)yeu  duc  de  Loherengne.  .  .  ».  d'Anlioche  porte  de  très  sachant. 


I 


ET  FRERE  GUILLAUME  DE  SAINT-ETIENNE.  31 

religion  est  e  doit  estre  a  la  proveance  don  maistre  et  par  luy  ad[r]escée.  Car,  si 
corne  le  nochier'"  doit  regarder  le  timon  et  les  autres  officiaus  de  la  nave  se  il  font 
bien  lor  office,  non  mie  que  il  use  de  mener  le  timon,  ne  de  tirer  les  cordes,  de 
monter  a  la  voille,  mas  que  soulement  en  regardant  et  comandant  que  soit  bien 
feite  cliascune  chose  profitablement,  et  ceaus  qui  ne  sevent  enseignier  discrètement 
et  tel  conseill  mètre  a  chascun  que  riens  ne  demore  a  estre  bien  feit  au  profit  et  a 
sauvement  de  la  nave,  ce  meismes  est  de  nostre  maistre  :  car  ne  apertient  asson 
office  entremetre  soi  do  governement  des  soveirans  offices,  mais  que  en  porveant 
les  et  en  comandant  que  chascun  officiai  soit  euros  et  face  son  office  selonc  que 
droit  est  et  que  requiert  la  nature  de  chascun  office  et  des  choses  et  de  tens.  .  .>^'. 

Après  avoir  lu  ces  observations,  on  ne  s'étonnera  pas  de  nous  voir 
attribuer  à  Guillaume  de  Saint-Etienne  la  rédaction  d'une  lettre  qui 
fut  écrite  à  Limassol,  le  3  avril  1296,  au  nom  des  frères  du  «  co- 
«  vent»,  et  adressée  à  Guillaume  de  Villaret,  au  moment  où  celui-ci 
venait  d'être  élu  maître  de  l'ordre  (26  mars  1296).  On  signalait  dans 
cette  lettre '^^  les  abus  auxquels  avait  donné  lieu  la  mauvaise  adminis- 
tration de  quelques  maîtres,  et  on  insistait  sur  la  nécessité  d'observer 
rigoureusement  «  les  bons  establimens  et  usages  et  les  bons  ordena- 
«  mens  de  nostre  maison,  par  lesquels  nostre  orde  a  estée  m'entenuee 
«  et  governée  et  acreue  au  tens  passé,  et  par  lesquels  les  frères  prodes 
«homes  de  nostre  religion  ont  esté  honorés,  et  les  defaillans  ou  er- 
«  rans  chestiés  » . 

Dans  tous  les  cas,  Guillaume  s'est  approprié  les  observations  con- 
tenues dans  la  lettre,  et  il  a  tenu  à  l'insérer  textuellement  dans  son  re- 
cueil pour  deux  motifs  :  il  fallait  rappeler  aux  maîtres  que  les  actes 
répréhensibles  ne  passent  pas  inaperçus  et  que  les  auteurs  de  ces  actes 
en  portent  la  responsabilité;  il  fallait  aussi  montrer  aux  frères  (les 
«prodes  homes  dou  covent»)  qu'ils  doivent  avertir  les  maîtres  des 
fautes  à  éviter  ou  à  réparer  : 

Je  ay  mise  et  escripte  ceste  letre  yci  por  11  achaisons  :  l'une  que  les  maistres 
cuident  que,  si  con  sunt  recitées  les  descovenebletés  descuvertes '*'  d'aucuns  mais- 
tres trespassés,  que  ausi  sera  fait  des  ior,  se  il  les  font  nulles  descoveignables ,  et 
por  ce,  se  en  eaus  a  vertus,  ils  eschiverunt  ces  choses  qui  ont  esté  et  sunt  a  grant 
blasme  des  autres  maistres  et  doimigables  as  armes  de  aus.  L'autre  acheson  est  que  les 

C  Le  ms.  porte  ici  le  nechir.  La  forme  non-  texte  de  ce  document  a  été  publié  par  M.  Dé- 
crier se  lit  plus  haut.  laviUe  Le   Roulx ,  Cartulaire  des  Hospitaliers , 
'')   Ms.  français  60/I9,  foL  261  v°.  t.  III,  p.  681,  n»  A3 10. 
'''  Ms.  français  60^9,  fol.  262-254.  —  Le  '*'  Le  ms.  porte  :  des  euuenes. 


32  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

prodes  homes  dou  covent  aient  exemple  de  raostrer  as  maistres  les  defautes  desquels 
il  se  doi[ven]t  garder,  et  grant  charité  *''  est  chose  deiie  a  eaus  sera  se"'',  lors  que  les 
defautes  seront  faites  par  les  maistres,  ne  les  lieisent  enveiliir,  mas  tant  tost  le  dient 
et  le  fiicent  emender.  Car  ceaus  que  les  meus  soffrent  et  passent  taisiblement 
seront  puni  devant  Dieu,  et  qui  les  reprent  selonc  dehue  manière  eu  auront  bon 
mérite  de  Dieu.  Donques  por  les  ii  achaisons  desus  dites  je  [ay]  cestes  letres  icy 
recitées'". 

Il  est  temps  d'arriver  à  l'analyse  de  la  partie  juridique  de  la  com- 
pilation. Elle  occupe  les  feuillets  265-296  du  manuscrit,  et  l'auteur 
l'a  subdivisée  en  trois  sections. 

Dans  la  première  sont  passées  en  revue  les  différentes  espèces  de 
droit  :  le  droit  de  nature,  qui,  conformément  à  la  doctrine  de  Gicé- 
ron,  comporte  six  distinctions,  suivant  que  ce  droit  a  pour  source  re- 
ligion, pitié,  grâce,  vengeance,  révérence  ou  vérité  (fol.  266  v")'*';  le 
droit  de  coutume,  qui  est  admis  par  tous  sans  être  consigné  dans 
les  lois  (fol.  267  v°)  ;  et  le  droit  des  lois,  à  propos  duquel  l'auteur 
cite  différentes  lois  (fol.  270  v°)  et  parle  des  lois  de  l'Eglise,  c'est-à- 
dire  des  canons  (fol.  271).  Il  recherche  ensuite  l'origine  des  diffé- 
rents droits  et  indique  les  rapports  qu'ils  ont  les  uns  avec  les  autres 
(fol.  272). 

La  seconde  section  a  pour  objet  les  jugements  (fol.  277),  l'applica- 
tion qui  doit  être  faite  du  droit  et  la  façon  de  juger  dans  l'ordre  des 
Hospitaliers  (fol.  279  v°),  les  qualités  du  juge  (fol.  280  v°)  et  la  pé- 
nalité (fol.  2  83). 

La  troisième  est  consacrée  à  des  considérations  sur  le  juste  et 
l'injuste  (fol.  287  v°). 

Guillaume  de  Saint-Etienne  a  résumé  lui-même  les  questions  dont 
il  s'est  occupé  : 

Ci  dit  brisesment  {sic)  les  choses  qui  sont  estées  tractées  en  cestui  lièvre  et  les  con- 
ditions des  choses. 

J'en  rent  grâces  a  la  seinte  Trinité,  par  qui  adresoement  est  compli  ce  que  pro- 
pensai au  comensament  de  cest  lièvre ,  ce  fu  a  deveer  [sic)  et  ensueire  la  tierce  partie  de 
la  doutrine  que  le  lièvre  saint  Augustin  fait  as  religious,  laquele  je  ci  esleus  ouvrer  en 

'"'  Quant  clarité  et  chose.  Ms.  lopinio,  sed  qnœdain  innata  vis  nfferat,  ut  re- 

'*'  Carc.  faite?  « ligionetn ,  pietatem ,  gratiam ,  vindicationem , 

''1  Ms.  français  6049,  fol.  354  V*.  «  observantiam  ,    veritatem.  »    De    Inventione, 

"'  ■  Nalura;  quidem  jus  esse  quod  nobis  non  II,  xxii. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAlNT-ÉTIENNE.  33 

escrivant  par  laquele  euvre  escriple  peut  estre  seiie  le  comensanient  de  nostre 
maison  en  Jhcrusalem ,  et  a  plusors  biens  espiriluels  et  temporels  estre  fais  en  ele,  et 
peut  estre  entendu  cornent  et  par  quel  achaisonla  dite  maison  vient  en  emendement, 
et  ausi  des  maistres  cornent  furent  les  uns  après  les  autres  jusques  en  nostre  tens, 
et  les  manieires  de  lors  escris  que  al  tens  de  chascim  d'eaus  fuient  ordenés  por  or- 
denement  et  adreisement  de  la  religion  de  ceaus  escris  qui  nos  semblent  estre 
dignes  en  perpétuel  mémoire;  et  plusors  autres  manières  de  chose,  selonc  que  chas- 
cune  manière  par  soi  recorroit,  ilequessont  demostrées"'  etsoffisament  escriptes  se- 
lonc nostre  avis.  Et  ensi  est  compile  la  premire  partie  de  cest  lièvre,  laquel  au  co- 
moncemcnt  fu  devisée  en  ii  parties. 

De  ce  Hieismes. 

Mais  [en]  le  segonde  partie  dou  lièvre  fu  promis  a  dire  de  manières  de  drois  por 
estre  conçu  en  nostre  religion.  Car  nostre  règle  fait  de  lui  mention  ;  dont  fu  il  dit  de 
droit  estre  parti  en  ii  manières  gênerais,  ce  est  de  droit  de  nature  et  de  droit  de 
meurs,  et  fu  mostrée  lur  defenilion  de  quel  le  droit  de  meurs  est  veu  estre  en  ii  par- 
ties, ce  est  en  loy  et  en  coustume,  par  quoi  est  mostré  ui  manières  de  droit,  dont  la 
première  est  le  droit  de  nature,  le  segonde  droit  de  costume,  la  tierce  droit  de  loy. 
Et  Tulles  le  devise  en  cestes  meismes  manieires  en  Rectoricque ,  et  espont  par  mem- 
bres ceaus  qu'il  covient.  Autresi  est  enseigné  por  quoi  les  costitutions  de  sainte  Yglise 
sont  apellés  quant  [par]  nos  meismes  se  dist  quels  est  l'oflice  des  lois  et  por  quoi 
furent  lois  trovées,  et  encores  fu  dit  de  la  naisence  dou  droit  naturel  et  des  autres 
de  lor  comensament ,  dont  il  fut  mostré  que  furent  li  premiers  establimens  des 
lois  et  fu  mostré  les  premiers  establimens  des  loys,  et  fu  mostré  la  dillerence  dou 
droit  naturel  et  des  autres,  et  que  encontre'^'  droit  naturel  costume  ne  le  vaut,  ne 
leuc  ne  a  contre  raison  o  vérité.  Totes  ces  choses '''  contient  le  premier  membre. 

De  ce  meismes. 

Et  le  segont  membre  qui  fu  mis  au  segont  leu  est  dit  jugement,  dont  illucques 
fu  dit.  Ne  est  legiere  chose  juger  o  done[r]  sentense  por  quoi  se  dit  totes  maniresde 
loys  ou  de  costitution  ou  de  costume,  et  quelconques  droit  escrit  o  non  escrit  re- 
gardent a  droit  sentencier  o  justement  ouvrer,  et  se  dit  que  de  ce  soffit  a  chascun 
juge  savoir  selonc  sa  manière,  et  se  distincte  en  ce  lur  leu  d'aucuns  autres  choses 
assés  covenables  de  justise  et  de  injustise.  Qui  fu  mis  le  derrain  membre  fu  li  tiers 
devisé  en  la  segonde  partie  de  cest  lièvre,  par  quel  membre  peut  estre  entendu  en 
quoy  justise  se  desemble  des  autres  vertus  morals,  et  quel  chose  est  justise  et  injus- 
tise, et  averconoissance  d'eaus  generalmentetparticularment.etquoi  [en]  juste  chose 
légale  est  terminée  par  la  loy,  et  encore  est  mostré  a  quel  fin  est  establie  aucune 
chose  par  la  loy,  et  quel  chose  soit  justise  lestise  [sic)  légale  et  sa  condetion,  et  quel 
est  justise  particulière  que  est  partie  de  tote  vertu,  et  sont  monstrées  aucunes  parties 
de  la  justise  particuleire ,  et  tôt  a  la  fin  est  dit  quel  est  moyen  de  justise. 

Et  ensi  par  le  grâce  de  Jhesu  Crist  sont  terminées  les  ii  parties  qui  sont  le  com- 
pliment de  cest  lièvre,  loquel  nos  apelons  Salterian,  car,  si  com  est  la  loy  que  traite 

'"'  Sont  de  nostre  dans  le  ms.  —  '*'  Qui  encors  droit  dans  le  ms.  —  '''   Totes  ches  contient.  Ms. 

HIST.  LITTÉR.  XXXIII.  5 


34 


MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 


de  pliisors  et  diverses  choses  por  ce  est  apelee  Saterian ,  ausi  se  livre ,  por  qu'il 
parole  de  plusors  et  diverses  choses,  apellons  nos  Saterian,  lequel  fu  compii  en 
Chipre  l'an  de  l'incarnation  Nostre  Seignor  m.cc.xc.vi,  dou  mois  de  setembre.  Deo 
gratias  "'. 

De  la  dernière  phrase  de  cet  épilogue  il  résulte  que  Guillaume  de 
Saint-Etienne  entendait  donner  à  sa  compilation  le  titre  de  Saterian. 
L'idée  de  cette  dénomination  lui  avait  été  suggérée  par  le  terme  de 
lex  Saturiana,  qu'il  avait  vu  employer  pour  désigner  les  lois  portant 
sur  des  sujets  divers,  et  à  propos  desquelles  il  s'exprime  ailleurs*^' 
dans  les  termes  suivants:  «  Autres  lois  sont  qui  [ont]  lor  propre  nom, 
«si  come  est  celé  qui  [est]  apelée  Sateriane;  et  sont  ensi  apelées  por 
«  ce  que  [elles]  parlent  de  plusors  choses  ensemble  et  diverses,  » 

Par  plusieurs  des  passages  que  nous  avons  rapportés  on  a  pu  voir 
que  Guillaume  de  Saint-Etienne  aime  à  invoquer  le  témoignage  des 
auteurs  qu'il  avait  lus. 

Les  Pères  de  l'Église  auxquels  il  a  fait  des  emprunts  sont  saint  Au- 
gustin '^',  saint  Cyprien  f''^,  saint  Grégoire  '^',  saint  Isidore'*'  et  saint 
Jérôme'^'.  A  la  citation  il  joint  parfois  un  commentaire. 

Voici  comment  il  développe  l'opinion  de  saint  Grégoire  sur  l'abus 
que  les  chefs  peuvent  faire  de  leur  pouvoir  : 

De  quoi  saint  Grégoire  dit  :  «  Li  soumis  doivent  estre  amonesté  che  nis  subjès**' 
«  que  il  ne  doivent  et  ne  covint  por  ce  que  il  ne  soient  constraint  de  honorei-  les  vices 
«  as  homes  quant  il  vuelent  estre  plus  surmis  que  mestier  n'en  est.  »  Et  note  que  il 
ne  les  apele  pas  governors,  ceaus  qui  usent  des  vices,  mais  homes.  Et  saches  que  au 
[go]vernor  est  vice  tout  ce  qui  est  comandé  ou  fait  par  lui  dehors  de  bons  establi- 
mens  ou  bons  usages.  Et  encore  seint  Grégoire  dit  en  autre  leuc  :  «  Celui  si  tost  '"'  la 


''*  Ms.  français  60^9,  fol.  396. 
'*'  M»,  français  6049,  fol.  270  v°. 
'*'  i  Et    de    ce   disi     saint    Augustin .  .  .  • 
(fol.  373).  —  «Oyons  que  seint  Augustin.  .  . 

•  dit  de  ce.  . .  ■>  (374  v").  —  «Saint  Augustins 

•  dit  que  le  mesfait. . .  »  (374  v").  —  «Saint  Au 

•  gustin  dit  au  lièvre  du  baptisme .  .  .  «(375  v°). 
:— «Saint  Augustin  dit.  .  .  «(378).  —  «Et  ce  dit 

•  saint  Augustin  au  premier  lièvre  de  la  Cité  » 
(  386).  —  «  A[u]  livre  de  la  bataille  des  vices  et 

•  vertus  dit. . .  »  (a86). 

'*'  •  Seionc  ia  sentence  saint  Giprian ...» 
(fol.  376  V*).  —  «Saint  Cipriain...  dit  de  ce  • 
374  V). 


'*'  «  Saint  Grégoire  dit  de  ce.  .  .  •(fol.374v*). 
—  «  Veons  sur  ce  le  dit  de  saint  Grégoire , .  .  • 
(376  y").  —  «  De  quoi  saint  Grégoire 
dist . .  .  »(a78).  — «Et  saint  Grégoire  dit.  .  .  » 
(286  V). 

'*'  «  Ysidres  enseigne  quel  chose  soit  canon  • 
(fol.  271).  —  «Et  ce  testimoigne  saint  Ysi- 
«dres...»  (fol.  371  v°).  —  «Ysidres  dit» 
(fol.  378.) 

'')  «  Ensivant  la  mention  de  saint  Jérôme. . .  ». 
(fol.  348). 

'')  Le  sens  est  :  «que  tout  sujets  qu'ils  sont, 
«ils  ne  doivent». 

'''  C'est-à-dire  «  enlève  ». 


» 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAlNT-ÉTIENNE.  35 

«  poesté  de  lier  et  deslier  qui  use  a  sa  volonté,  non  pas  selonc  les  usages  as  subjès.  » 
Encores  dist  eu  Registre  :  «  Cil  désert  a  perdre  son  privilège  qui  use  malament  de 
«  la  poesté  que  li  est  autroiée"'.  • 

Guillaume  invoque  l'autorité  du  Décret  de  Gratien^^dont  ii  traduit 
ainsi  les  premières  lignes  : 

Le  Décret  dit  au  comensament  que  lumain  lignaige  est  governé  par  droit  de 
meurs,  et  dit  que  droit  de  nature  est  celui  qui  est  contenu  en  la  loy  et  en  l'avengile; 
por  quoy  il  est  comandé  a  chascun  que  il  lace  a  atre  ce  qu'il  veaut  [que]  l'en  face  a 
lui,  et  défient  que  l'en  ne  ITace  a  autre  que  il  veaut  que  l'en  ne  face  a  lui*^'. 

C'est  probablement  du  Décret  que  sont  tirées  les  citations  de  dé- 
crétales  de  «  li  apostoile  Nicholas  »  **l 

Guillaume  de  Saint-Etienne  connaissait  donc  assez  bien  l'ancienne 
littérature  ecclésiastique  ;  il  était  moins  familier  avec  l'antiquité  pro- 
fane. Cicéron  est  le  seul  auteur  classique  qu'il  semble  avoir  étudié.  Il 
le  tenait  en  grande  estime,  à  ce  point  que,  voulant  mettre  ses  con- 
frères en  garde  contre  le  danger  d'élire  des  dignitaires  incapables,  il 
leur  avait  adressé  cette  recommandation  : 

Por  eschiver  donques  cels  perills,  aies  tous  jours  en  vous  pensées,  a  l'élection, 
de  la  paor  de  Dyeu  et  dou  monde,  ensivant  la  mention  de  saint  Jérôme  et  les 
paroles  de  Salamon  et  l'auctorité  de  Tulles  '*'. 

On  comprend  qu'avec  ces  goûts  il  ait  encouragé  Jean  d'Antioche 
à  traduire  les  deux  Rhétoriques.  11  a,  d'ailleurs,  plus  que  personne 
profité  de  cette  traduction,  dont  il  s'est  approprié  nombre  de  pas- 
sages. Plusieurs  chapitres  du  Saterian  ne  sont  qu'une  paraphrase  du 
De  Inventione.  Nous  citerons  comme  exemple  les  pages  consacrées  à 
définir  et  à  expliquer  les  différentes  espèces  de  droit;  L'auteur  y  suit 
pas  à  pas  un  morceau  du  second  livre  du  De  Inventione  : 

Disons'*'  encoir  plus  clerement  de  ceste  division  de  droit,  et  ce  sera  selonc  '"' 
Tulles,  qui  dit  en  son  lièvre  de  Rectorique,  la  ou  il  dit  de  la  manieire  de  drois, 
qu'il  y  a  droit  de  nature  et  droit  de  costume  et  droit  de  loy,  dont  il  dit  :  si'*'  adcdn 

(')  Ms.  français  6049,  fol.  264  v°.  !•)  Ms.  français  6049,  fol.  248. 

<')  «Les  noms  de  ceaus  trove  l'en  en  escrit  '*'  Ms.  6049,  fol.  266  v°. 

-  au  Décret  «  (fol.  274).  <''  Le  ms.  porte  de  lonc. 

Foi.  265  v°.  (•)  Nous  metlons  en  petites  capitales  ce  qui 

''1  FoL  274  v"  et  275.  est  emprunté  à  Cicéron. 


36  MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE 

ou  PLUSORS  DOUTENT,  EN  UNE  OU  EN  AUTRE  RAISON  QUI  PORROIT  AVENIR  "',  COMENT  LE 
DROIT  EN  EST,  SI  REGARDE  DE  QUEL  CHOSE  LE  DROIT  PERMAINT,  et  dit  qu'il  est  aSSavoir 
que  LE  COMENSEMENT  DE  DROIT  VIENT  DE  NATURE,  ET  SEMHLE  Qu'aCUNES  CHOSES  SONT  QUI  ^^' 
DE  LA  RAISON  DOU  PROFIT,  QUI  EST  CLER  [ou]  OBSCUR,  SONT  PARVENUES  EN  ACOSTUMANCE, 
PUIS    APRÈS   SONT    ESPROVEES  DE   COSTUME   OU  DE    VERITE,   ET  SONT  VEUES  PROFITABLES.  SI 

8UNT  AFERMÉES  PAR  LOY;  et  dit  que  ce  est  droit  de  costume.  Par  le  dit  de  Tuiles 
peut  l'en  clerement  entendre  que  le  droit  de  costume,  ce  est  des  meurs,  si  a  pris 
et  prent  comensament  de  nature  ;  mais  par  l'usage  et  la  raison  dou  profit  coneu 
par  l'acostuniance  est  creu  et  venu  en  costume,  ce  est  vodrent  et  vullent  et  usent 
ensi  de  celé  costume,  puis  après  par  l'acostumance  et  par  la  vérité  estoit  es- 
provée  chose  profitable,  et  ensi  les  aflermoient  par  escrit  qui  est  dit  loy.  Ensi  est 
manifest  que  la  costume  est  partie  en  deus  drois  :  droit  escrist  et  non  escrit  :  le 
droit  escrit,  que  desus  est  dit  costititions  ou  establiniens.  Tulles  apele  loy,  et  le 
droit  non  escrit  apelle  per  le  meisme  gênerai  nom,  ce  est  costume.  Dont  clere 
chose  est  coment  droit  est  parti  en  trois  manières  desus  dites,  dont  la  premire 
partie  est  droit  de  nature,  puis  droit  de  costume,  et  droit  de  loy.  Disom  encores 
de  chascun  manière  de  droit  per  soy,  et  premièrement  dou  naturel. 

Tulles  dit  que  ill  resemble  que  droit  naturel  si  est  ce  qui  nos  resort  et  vient 

PER   UNE  VERTU    NATUREL,  NON    PAS    SELONC    OPINION    OU    CUIDANCE,    lequel    TulicS    part 

cestui  droit  en  vi  parties,  c'est  assavoir  en  religion,  pitié  '*',  gracie,  vengement,  ré- 
vérence, VÉRITÉ. 

Tulles  apelle  religion  un  reliahent  de  corage  et  de  cuer'*'  en  la  paor  de  Dieu 

ET   EN  '^'   son    saint  SACRIFICE  ET  SA    SAINTITÉ  ET  QUANT   QUE  A    LUI    APARTIENT.  De   CCStui 

droit,  lequel  est  en  la  timor  de  Dieu,  furent  esmeu  ceausprodes  homes  qui  comen- 
cerent  nostre  maison  en  la  manière  que  vos  avés  oy  devant  ;  et  aulresi  de  la  se- 
conde partie  qui  vient  après  furent  esmeus,  laquel Tulle  apelle  pitié,  quar  pitié,  ce 

dit  Tulle,    NOUS  AMONESTE    que    nos   gardons   DEVOTAMENT    office    VERS    NOSTRE    PAÏS    o 

VERS  NOUS  PERES,  ET  NOS  MEiREs,  ET  cosiNS  ET  PROCHANS,  et  ce  meismcs  dit  fen  al 
preusmc,  especialment  malades  ou  besoignos;  quar  office  est  une  chose  deue  natu- 
relment,  non  pas  ou  cil  (sic)  ordenement  humain.  Tulles  dit  que  l;i  tierce  partie  de 
droit  naturel  est  apelle  grâce,  laquel  est  une  chose  qui  doit  estre  tenue  et  gardée  en 

LA  MEMOIRE    ET    AU  REGUERREd[on]eMENT  '*'  d'oFFICE   ET    DE   HONOR  ET  DE  AMISTANCE.  De 

celui  droit  fu  esmeu  en  partie  la  chaliphe  qu'il  otroia  la  proieire  que  ceaus  H 
firent  qui  comencerent  nostre  maison  et  qui  estoient  environ  luy. 

Le  quart  droit  naturel,  que  Tulles  iipelle  vengement''',  si  est  par  cui  en  défen- 
dent ou  EN  VENJANT  NOS  EN  OSTONS  '*' OU  REBOTONS  DE  NOS  FORCE,  INJURES  ET  OTRAGES  , 
ET  DES  NOSTRES  ET  DE  CEAUS   QUI   NOUS  DOIVENT   ESTRE  CHIERS,  ET  PAR  CUI    NOS   PUNISONS 

<■'  Avoir  dans   le  ms.    6049.    Ici   et  dans  <*>  Ms.  de.  Dieu. 

Êlusieur.'<  des  passage»  qui  suivent,  nous  réfa-  '''  Ms.  et  de  son. 

lissons  les  bonnes  leçons  à  l'aide  du  texte  de  '•'  Ms.  en  la  manière  et  au  régir  et  au  ordenc- 

Jean  d'Antioche.  ment. 

'*'  Ms.  semble  qui  soient  de  la  raison.  <''  Ms.  vegement. 

'''  Dan»  le  ms  6049,  ici  et  plus  bas,  le  mol  '*'  Ms.  nosstons. 
pitié  est  remplacé  par  le  mot  partie. 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE.  37 

LES  péchiez'".  Par  cestui  droit  furent  ordenés  les  lerrons  estre  pendus,  et  les  autres 
tormens  divers  selonc  les  divers  mesfais. 

La  quinte  partie  de  droit  naturel,  que  Tulles  apelle  révérence,  si  est  par  lequele 

NOS  DEVONS  HONORER  ET  CULTIVER  TOUS  CEAUS  QUI  VALENT  MEADS  DE  NOUS,  ET  SUNT  DE  PLUS 

d'aage  ou  par  SENS  OU  pARHONORS  OU  PAR  AUCUNE  DIGNITE.  Par  cestui  di'oit  sunl  honoré 
ceaus  qui  ont  les  prelations,  les  baillies  par  les  régions  et  cités  et  les  offices  reli- 
gions, et  ces  qui  sont  sachant  en  sciences,  ou  ceaus  qui  sunt  plains  de  grant 
descretions  ou  ont  aucune  noble  vertu  ou  sont  de  grant  lignage  ou  sont  moût 
anciens,  et  teles  choses  semblnbles. 

La  vi'  partie  de  droit  naturel  Tulles  apelle  vérité,  par  laquel  l'en  aide  et  con- 
seille  QUE   RIEN    ne    se    KACE    AUTREMENT  QUE    SERA    CONFERMÉ,   CC    eSt    esproé ,   OU    QUE 

ne  SOIT  FAITE  OU  QUE  NE  SOIT  A  FAIRE.  Par  ccstui  droit  sont  mises  ariers  toutes  men- 
songes et  tous  faus  testimoing  et  toutes  choses  faites  ou  dites  contre  vérité  et  contre 
raison. 

Et  en  cestes  vi  parties  Tulles  divise  le  droit  naturel. 

Tuiles  dit  que  droit  de  costume  si  est,  se  guide  l'en,  cele  chose  que  l'ancieneté ''" 
A  CONPROVÉE  PAR  LA  '"  VOLONTE  DE  TOUS  SENS  LOY,  cc  est  quB  de  celc  cbosc  uc  y  a 
escrit.  En  cest   androit  si  doit  l'en  entendre  que  aucun  droit  sont  qui  sont  ja 

CERTENS  par  ANCIENETÉ  ,  EN  LAQUELE  MANIERE '*'  MAINS  AUTRES  Y  A  DONT  LE  GREIGNOR 
PARTIE   LES  JUGE  OU   LES  SOVEIRAINS  ONT  ACOSTUMÉ   COMANDER   AUCUNES   CHOSES,  si  COme , 

clorre  les  portes  de  la  cité  et  mètre  garde  de  nuit  par  les  rues,  et  autres  choses  que 
les  pretors  seulent  comander,  ensi  come  en  nostre  religion  le  maistre  comande 
venir  seur  semaine  les  frères  dou  covent  au  chapitre,  ou  les  sages  frères  a  acunes 
choses  conseillier,  ou  les  frères  venir  en  partie  ou  tous,  ou  amonester  aucune 
chose,  ou  comander  ou  faire  défense  ou  autre,  si  come  se  le  mareschal  comande 
l'aiguë  ou  le  gait,  ou  aler  au  forrage,  en  ces  comandemens  et  semblables  qui  sont 
usés  d'ancieneté  solement'^'  sans  que  se  soit  establit  par  escrit. 

Et    AUCUNES   MANIERES    SONT    DE     DROIT    QUI    SONT  JA    FAIS    CERTEINS  PAR  ACOSTUMANCE. 

Geste  manière  si  a  m  membres  :  covenant  et  jugé  et  égal. 

COVENANT  EST  TELE  CHOSE  QUI  EST  ENCOVENANCÉE  '*'  ET  PLEVIE  ENTRE  AUCUNS, 
LAQUEL  CHOSE  EST  TANT  TENUE  POR  JUSTE  ET  POR  DROICTUAIRE  '^'  QUE  l'eN  DIT  QUE  ELLE 
VAUT  MEAUS  DE  DROIT. 

Covenant  est  devisé  en  ii  parties,  escrit  et  non  escrit.  Car  cele  chose  est  cove- 
nant laquele  est  covenue  **'  et  ordenée,  aucune  fois  entre'"  aucuns  que  il  gar- 
deront ou  tendront  cele  chose,  laquel  est  covenue  ou  ordenée  par  aucun  escrit 
ou  loi,  si  come  composicions ,  compaignes  et  certenetés  et  trives,  et  autres  tels 
choses;  et  meismes,  si  come  qui  donast  a  un  orfèvre  ou  argentier  laborer  que  aûst 


<■'  Ms.  pechaors.  (•)  Ms.  covinacée. 

'''  Ms.  a  latienere.  O  Ms.  droictuaire.  Le  texte  de  .lean  d'An- 

''>  Ms.  par  sa  volonté.  tioche  porte  droiluriere. 
'*'  Ms.  en  la  manière.  W  Ms.  covenie. 

'''  La  bonne  leçon  doit  être  sael  en  mander,  '''  Ms.  centre. 

ou  l'équivalent. 


38  MAÎTRE  JEAN  DANTIOCHE 

comunal  compaignie  a  alcun  autre,  l'en  la  porroit  demander  de  son  compaignom; 
ou  autre  covinant  ensi  :  a  Tu  me  feras  une  espée,  et  je  donarai  c  scz»;  car  lele  co- 
venence  est  a  tenir  par  la  loy  escripte,  ce  le  comande.  Et  en  nostre  religion  est  tel 
en  droit  entendu  de  Irere  a  frère  le  congié  dou  balli.  Car  ce  deus  frères  covenan- 
sent  de  chaiigier  lor  harnois  ou  lors  chevaus,  après  l'acort  des  deus  covient  a  ce 
ferme  le  congié  dou  bailli,  lequel  congié  est  es  frères  come  la  loy  enlre  les  séculiers. 
Autres  covenant  es[t]  fait  seulement  de  le  volenté  des  gens  sens  escrii  e  sens  testi- 
moing  et  sens  constreignement  de  loi,  ci  come  aucune  fois  avient  en  fait  d'armes 
quant  deux  ou  trois  ou  plus  s'eniredient  :  «Tenons  nos  ensemble,  ne  nos  partons 
«  en  la  batnile  les  uns  des  autres  se  par  comandement  ne  est.  »  Autresi  de  toute 
convention  ou  acort  solement  en  paroles  d'un  antre  aucun  d'aucunne  cose  faire 
ensemble,  mais  qu'i  n'i  ait  mal ,  elle  doit  estre  ausi  ferme  come  loi'^l 

La  jugée  est  douquel  est  establie  avant  la  sentence  d'aucun  ou  d'aucuns''^',  si 
come  celui  droit  douquel  sentence  est  donée  dou  séant  de  prince  ou  de  juge,  un  ou 
plusors,  qui  ont  poesté  ou  actorité  de  ce,  ce  est  de  feire  les  jugeraens.  si  come  d'un 
l[e]ire  '"  qui  est  se[n]tencié,  que  de  tel  peine  soit  puni  qui  emblera  ou  qui  fera  murtre 
ou  autre  méfait.  Et  en  nostre  religion  :  «Soit  en  tel  justice  por  tel  defaute,  car 
t  ensi  a  esté  jugié.  »  Dont  en  ceste  partie  sovent  avient  que  les  duis  juges  donent 
de  un  meisme  fait  et  semblable'*'  diverses  sentences,  si  come  en  nostre  religion, 
as  esgars,  aucun  dira  :  »A  tel  esgart  fu  donée  sentence,  que  le  frère  qui  vint 
«desobedient  d'outre  mer,  que  il  recovra[s]t  l'abit  desamer;  ausi  doit  l'en  faire  de 
«  cestui;  »  mais  aucun  autre  dira  :  «  Et  a  tel  autre  esgart'*'  fu  doué  sentence  que  il 
i<  retornast  a  recovrer  son  linblt  la  ou  il  l'avoit  laissé;  »  ou  ensi  aucun  dira  :  «Tel  so- 
«  verain  refusa  tenir  esgart  a  tel  frère;  »  et  un  autre  dira  :  «  Et  tel  autre  li  tint  ;  »  — 
Autre  frère:  «Ou  a  tel  chapitre,  sens  estre  rapeilé  tal  bailli,  fu  fait  un  autre  bailli 
I. en  celle  bailie,  o  non  fu  fait  null  bailli,  mais  seulement  li  fut  tolue»;  et  l'autre 
dira  :  «  En  '^'  tel  autre  chapitre  fu  rapelé  le  bailli  de  celé  meisme  baillie  sens 
«  perdre  la  baillie,  jusques  ill  vint  en  la  présence  des  prodes  homes  et  dou  cha- 
«  pitre  gênerai.  »  Et  por  ce,  si  come  est  dit  des  choses  desus  dites,  porroit  il  estre  de 
plusors  autres  en  tel  manière,  por  ce  que  les  choses  poent  diversement  de  une 
meisme  chose  et  de  une  semblance  estre  jugés  diversement,  les  uns  contrairient  les 
unes,  les  autres  contrairient  les  autres.  Et  lors,  quant'''  se  avient,  doit  estre 
faite  comparicion  :  l'en  comparera  les'*' juges  de  l'une  sentence  avecceaus  de  l'autre  : 
ce  est  qui  furent  ces  qui  jugèrent  le  recovercr  l'abit  desa  mer  a  reaus  qui  vin- 
drent  desobedient,  ou  qui  firent  cel  esgart,  et  qui  furent  cil  qui  donerent  sen- 
tence que  il  tornast  querre  le  la  ou  il  l'avoit  leissié.  Et  autres!  les  choses  jugées'", 
les  nombrez  des  choses  jugées,  les  tens  et  les  achaisons.  Ce  est  comparer  juges 
avecque  juges,  les  nombres  des  choses  avecques  les  nombres  des  tens,  les  achoi- 


'"'  Ms.  come  lui.  (•>  Le  raot  esgart  est  répété  dans  le  ms. 

'*>  Jadicatnmdcquojamantesententiaalicajus  '*'  Ms.  Et. 

aat  aliquonim  constitutiim  est.  O  Qaant  est  répété  dans  le  ms. 

<'>  D'un  larron.  !•)  Ms.  comparables. 

''*  Ms.  semblables.  (•)  Ms.  gujées. 


l 


ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  SAINT-ÉTIENNE.  39 

sons  '"  avec  les  achoisons.  Et  ensi  seront  trovées  les  meiliors  se[n]tences  et  les 
meillors  juges,  et  les  plus  grant  nombre  des  jugemenlz  donés,  et  les  plus  covei- 
nables  achozsons.  Car  aucunes  conditions  de  tens  ou  de  achoisons  font  honeste'^'  la 
chose  qui  n'est  rasonable,  et  de  ces  choses  est  a  outroier  as  plus  discrès  juges  et  as 
no[m]bres  des  choses  plus  justes  et  as  tens  et  [as]  achoisons'^'  plus  honestes  et 
plus  profitables  et  plus  nescessaires. 

L'iGAL  SI  EST  QUI  EST  iGALABLE  EN  TOUTES  '*'  CHOSES,  OU  peut  cstre  apcUé  droituricr 
et  bon,  si  come  non  faire  a  autre  ce  que  l'en  ne  veaut  que  l'en  face  a  lui,  lequel 
droit  est  veu  por  tenir  a  vérité,  ce  est  que  il  est  fait  et  establi  par  aucune  véri- 
table non  mie  par  fainfe  achoison,  mais  par  discrétion  et  par  un  corage  et  por 
conseil,  et  est  trové  estre  profitable  a  tous,  si  come  quant  l'ome  a  lx  ans,  d'iieuc 
en  avant  est  quite  dou  servise,  ou  se  il  est  malade,  et  de  ce  covient  establir  novel 
droit  0  par  cestui  droit  l'en  peut  proposer'^'  et  dire  aucune  chose,  laquale  fust 
honeste  ou  profitable,  et  soit  a  plusors  covenable  chose  proposer  et  trover,  ce 
est  a  chascun  qui  est  a  ce  covenable  et  selonc  le  pris  penser  et  mètre  avant  por'^' 
establir  droit  ygal  ou  droiturier  et  bon  a  la  semblance  de  un  des  desus  diz,  si 
come  en  nostre  chapitre  l'en  peut  dire  aucune  chose  de  adresament  ou  qui  soit''" 
comun  profit. 

Le  DROIT  DES  LOIS**',  cc  dit  Tulles,  est  ce  qui  est  establi  et  confermé  par  coman- 
DEMENT  AU  PUEBLE,  en  qui  li  ainnés  ou  les  mainnés  gens  ont  establi  aucunes  choses. 
Encores  dit  Tulles  que  les  drois  qui  sunt  selonc  les  lois  covendra  conoistre.  Des 
lois  les  unes  lois  sont  nomées  de  ceaus  qui  les  firent,  si  come  celés  as  consules, 
dont  ill  i  est  la  loi  Juliane,  la  Tribuniaine,  la  Corneliane,  et  ensi  de  plusors  autres, 
qui  sont  nomées  selonc  le  nom  de  ceaus  qui  les  firent.  Autres  lois  sont  qui  [ont]  lor 
popre  nom,  si  come  est  celé  qui  [est]  apelée  Sateriane,  et  sont  ensi  apelées  por  ce 
que  parlent  de  plusois  choses  ensemble  ei  diverses.  Encores  y  a  autre  lois  qui  a  nom 
Rodiane,  qui  fut  trovée  en  l'isle  de  Rodes,  dont  ele  retient  son  nom,  et  tracte  de 
marchandies. Toutes  ces  speces  sont  parties  de  lois  séculiers,  desquels  lois  covendra 
estre  coneu  les  drois  des  lois  qui  sont  apelés  legiptimes. 

Sembla[ble]ment  en  nostre  religion  le  droit,  si  com  est  coneu  des  lois  desus  dites, 
est  il  coneu  de  nos  estab[l]issemens  desquels  nous  devons  user,  et  por  ce  sont 
nécessaire  assavoir,  come  chose  qui  contient  lor  drois  en  partie.  Et  por  ce  que  les 
unes  costitutions  sont  cilaines  et  sont  apelees  drois  citiens,  les  autres  apartien[en]t  a 
sainte  Glise  ;  assavoir  est  de  celés  costitutions  qui  partienent  a  sainte  Glise  cornent 
seront''''  apelées. 

Le  ms.  français  6049,  qui  nous  a  transmis  l'ouvrage  de  Guil- 
laume de  Saint-Etienne,  augmenté  de  plusieurs  morceaux  un  peu 

'''  Le  ms.  porte  achoisens,  ici  et  deux  mots             '*'  Ms.  propenser,  ici  et  à  la  ligne  suivante, 

plus  loin.  (»)  Ms.  pro. 

'*'  Ms.  font  homes  de  la  chose.  ^')  Ms.  sont. 

'''  Ms.  achoises.  <»1  Ms.  les  dois. 

'*'    Ms.  est  igables  entre  ces.  '')  Ms.  selonc. 


ko    MAÎTRE  JEAN  D'ANTIOCHE  ET  FRÈRE  GUILLAUME  DE  S^-ÉTIENNE. 

plus  récents  ''\  doit  avoir  été  copié  vers  le  milieu  du  xiv*  siècle. 
Les  extraits  qu'il  nous  a  fournis  montrent  combien  il  est  incorrect. 

Il  serait  injuste  de  faire  retomber  sur  l'auteur  la  responsabilité  de 
ces  incorrections;  mais  il  faut  bien  reconnaître  que  le  plan  de  l'ou- 
vrage est  mal  conçu,  qu'il  y  règne  de  la  confusion,  qu'il  y  a  des  re- 
dites et  que  le  raisonnement  est  parfois  difficile  à  suivre. 

Malgré  tout,  l'ouvrage  qu'il  nous  a  laissé  est  remarquable  à  plus 
d'un  titre  :  il  abonde  en  renseignements  précieux  pour  l'histoire  de 
l'Orient  latin.  L'auteur  connaissait  à  fond  l'organisation  de  l'ordre 
auquel  il  appartenait;  il  a  dû  exercer  une  réelle  influence  sur  les 
assemblées  au  milieu  desquelles  il  a  siégé.  Ses  écrits  dénotent  un 
esprit  curieux  et  cultivé,  un  profond  amour  de  la  justice  et  de  la 
vérité.  Le  seul  fait  d'avoir  provoqué,  à  la  fin  du  xiii*  siècle,  une  tra- 
duction française  de  la  Rhétorique  de  Cicéron  nous  autorisait,  d'ail- 
leurs, à  inscrire  le  nom  de  Guillaume  de  Saint-Etienne,  à  côté  de 
celui  de  Jean  d'Antioche,  dans  les  Annales  littéraires  de  la  France. 


'"'  Les  principales  additions  portent  sur  les 
morceaux  suivants  : 

Etablissement  relatif  à  des  prérogatives  du 
maréchal  de  l'ordre  et  à  l'obligation  de  n'élire 
pour  maitre  qu'un  frère  chevalier  d'une  nais- 
sance légitime  (fol.  398); 

Note»  sur  les  types  des  bulles  de  plomb  et 
les  sceaux  de  cire  employés  par  les  dignitaires 


L.  D. 

de  l'ordre  (fol.  398).  Morceau  très  curieux 
pour  la  sigillographie  ; 

Liste  des  dignitaires  de  l'ordre  (fol.  299); 

Etablissements  des  chapitres  généraux  tenus 
à  Rhodes  le  a  a  avril  i3ii  (fol.  3oo)  et  à 
Montpellier  le  a^  octobre  i33o  (fol.  3oi); 

Records  de  diflérents  usages  de  l'ordre 
(fol  3o4  V). 


LES   COUTUMIERS   DE  NORMANDIE. 


PRÉAMBULE. 

Une  étude  générale  des  textes  du  moyen  âge  qui  se  rattachent  au 
droit  normand  devrait  comprendre,  outre  les  œuvres  qui  ont  été 
composées  dans  la  province  même  de  Normandie,  les  coutumes  des 
divers  pays  où  les  Normands  ont  établi  leur  domination  et  porté  en 
même  temps  leur  droit  et  leurs  usages.  L'Angleterre,  le  royaume  des 
Deux-Siciles,  la  principauté  de  Tarente  et  celle  d'Antioche  devraient 
donc  être  passés  en  revue,  si  nous  prétendions  donner  ici  un  essai 
consacré  à  l'ensemble  des  monuments  juridiques  qui  intéressent  le 
droit  normand.  Un  pareil  travail  ne  serait  pas  sans  intérêt  pour  l'his- 
toire du  droit  normand  proprement  dit,  car  tel  principe  juridique 
qui  n'a  pas  été  dégagé  au  xiii"  siècle  par  les  auteurs  normands 
en  Normandie  est,  au  contraire,  nettement  formulé  dans  certaines 
coutumes  siciliennes  ou  dans  les  Assises  d'Antioche,  en  sorte  que  ces 
derniers  textes  jettent  parfois  une  lumière  très  vive  sur  certaines 
parties  obscures  du  droit  de  la  Normandie  '''.  Mais  notre  plan  ne 
saurait  être  aussi  vaste.  Nous  nous  proposons  d'étudier  exclusivement 
les  oeuvres  du  xiii*  siècle  ou  du  commencement  du  xiv*  qui  appar- 
tiennent à  la  province  de  Normandie. 

Parmi  les  textes  antérieurs  à  la  période  qui  va  nous  occuper, 
nous  citerons  un  seul  document,  parce  qu'il  se  rapproche  sensi- 
blement, par  sa  nature  même,  des  textes  postérieurs  :  c'est  un  re- 
cord des  droits,  plus  particulièrement  des  droits  de  justice  appar- 
tenant au  duc  de  Normandie.  Ce  record  fut  provoqué,  vers  la  fin 
du  XI"  siècle,  par  les  deux  fils  aînés  du  Conquérant,  Robert  Courte- 
Heuse,  duc  de  Normandie,  et  Guillaume  le  Roux,  roi  d'Angleterre'^'  : 

'■'  Cf.  H.  Brunner,  Der   Todtentheil  in  ger-  '*'  D.  Martene  l'a  publié  en  1717.  En  voici 

manischen  Rechten,  dans  Zeitschriji  der Savigny-  l'iiicipit:  Hec  estjusticia  qaamrex  Willelmus ,  qui 
Slijlung  fur  Rechisgeschichte ,  t.  XIX,  Germa-  regniim  Angtie  acqaisivit,  habuit  in  Normannia, 
nistische  Abtheilung,  Weimar,    1898,   p.   110,         et  hic  scripta  est  sicut  Robertus  cornes  Normannie 

et   Willelmus  rex  Anglie ,  filii  ejus  et  heredes 


Il  I,  112. 

HIST.  UTTÉR. 


42  LES  COUTUMIEUS  DE  NOilMANDIE. 

à  la  requête  de  ces  deux  princes,  les  évêques  et  les  barons  rendirent 
témoignage  des  droits  qui  compétaient  à  Guillaume  le  Bâtarrl ,  et  qui, 
par  conséquent,  appartenaient  de  même  à  ses  ayants  cause.  Nous  re- 
marquons notamment  que  tout  sujet  du  prince  relève  de  sa  justice,  et 
non  de  celle  des  barons,  dès  qu'il  est  requis  pour  l'ost,  et  encore  huit 
jours  après  le  licenciement  (art.  2);  que  les  barons  normands  ne 
peuvent  édifier  aucune  forteresse  ou  château  fort  (art.  3).  Ces  pres- 
criptions prouvent  que  les  ducs  de  Normandie,  comme  plus  tard  les 
rois  d'Angleterre,  avaient  en  leur  main  un  baronnagearmé  qu'ils  vou- 
laient soumis  et  discipliné.  Le  droit  de  battre  monnaie  est  égale- 
ment très  restreint  et  réglementé  :  Nulli  licmt  in  Normannia  monetam 
jacere  extra  monetarios  domns  Rothoinafjensis  et  Baiocensis  (art.  10). 
D'autres  prescriptions  se  rattachent  aux  réglementations  diverses  qui 
s'élaborèrent  alors  en  vue  d'adoucir  la  guerre  privée.  La  justice  ap- 
partient de  ce  chef  au  duc.  Les  recordeurs  ont  soin  d'ajouter  que 
leur  énumération  des  droits  du  duc  n'est  pas  complète,  car  il  ne 
faut  pas  qu'une  omission  de  leur  part  puisse  nuire  au  prince  :  Hec 
aiitem  que  superius  scripta  sunt  (jiiia  mcujis  necessaria  snnt.  Remanet  aii- 
tem  multum  extra  hoc  scriptnm  dejusticia  monde  et  reliquis  justicns  ISor- 
mannie  (art,  11]. 

Ainsi,  c'est  le  soin  des  intérêts  du  duc  qui  inspira,  en  Normandie, 
dès  la  fin  du  xi"  siècle ,  la  première  petite  rédaction  de  droit  coutu- 
mier.  C'est  aussi  par  l'énumération  des  droits  du  duc  que  s'ouvre 
l'important  ouvrage  qu'un  anonyme  composa  au  milieu  du  xiii*  siècle, 
ouvrage  que  nous  appelons  le  Grand  Goutumier  normand  et  que 
nous  étudierons  avec  soin  dans  le  présent  travail. 

Cette  étude  comprendra  deux  parties,  dont  voici  l'indication  : 

1.  Traités  de  droit  normand  : 

1°  Le  Très  ancien  Goutumier;  2"  le  Grand  Goutumier'";  3"  deux 
Consultations  sur  la  coutume  de  Normandie. 

predicti  rc^is ,  fecenint  recordari  et    sciibi  per  In  Bibl.  nat.   i597  B.  et  au  \atican,  dans  le 

episcopo.i  et  baroiies  suos ,  eadem  die  xv.  kulenéis  ms.  Ottoboni,   2964,  fol.    i33  v".  Cf.  Tardif. 

augusti.  Et  hec  est  jasticia  domini  Normannie ,  Siimmu  de  legibiis,  p.  lui,  noie  /|. 
qutxl,   etc.  (  Ex  nis.  S.  Michaeiis  in   Pcriciilo  '''  Dans  l'édition  du  texte  latin  donnée  |) 

Maris  ;  aujourd'hui  Avranches,  149.  —  I).  Mar-  M.  Tardif,  le  titre  est  :  Sitmmu  de  legibus  iVo 

tene.  Thésaurus  noms,  f.   IV,  col.    117-120.)  manni'c  l'n  cnn'rt /rtic«/i.  Nous  conservons  la  dé 

Ce  texte  »c  trouve  aussi  dans  le  ms.  latin  de  signation  habituelle  et  comme  consacrée. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 
II,  Recueils  de  jurisprudence  normande  : 


43 


1°  Diverses  compilations  d'arrêts  de  l'Échiquier  de  1207  à  12  43; 
2°  un  recueil  intitulé  :  Arresta  communia  de  Scacario  (1276-1290), 
et  un  petit  recueil  allant  de  1291  à  1  '^9^;  3°  les  Assises  de  Normandie. 


I.    —    TRAITES    DE    DROIT    NORMAND. 


1.  TRES  ANCIEN  COUTUMIER  DE  NORMANDIE. 

Ce  n'est  pas  sans  hésitation  que  nous  adoptons  ici  cette  rubrique  : 
Très  ancien  Coutumier.  Il  serait  plus  exact  de  dire  :  deux  Très  anciens 
Goutumiers.  Nous  maintenons  cependant  celte  désignation  tradition- 
nelle qu'a  acceptée  aussi  le  dernier  éditeur,  M.  Tardif ''^  Aussi  bien, 
ces  deux  Très  anciens  Goutumiers,  rédigés  primitivement  en  latin,  ont 
été  réunis  en  un  seul  dans  une  traduction  française  qui  date  du 
xiii'  siècle  et  confondus  dans  les  annotations  latines  d'un  manuscrit 
du  Grand  Coutumier  en  français.  De  cette  double  circonstance  est  née, 
pour  les  modernes,  l'illusion  d'un  Coutumier  unique  :  illusion  à  la- 


<"'  Manuscrits  :  Lat.  iioSa.  Ce  manuscrit, 
du  commencement duxiv' siècle,  contient, entre 
outres  documents,  le  texte  français  du  Grand 
Coutumier.  On  a  intercalé  dans  ce  texte  français 
de  très  nombreux  fragments  latins  de  notre  Très 
ancien  Coutumier.  —  Lat.  1 8368.  Ce  manuscrit, 
de  la  fin  du  xiii*  siècle,  contient,  à  la  suite  du 
Grand  Coutumier  (texte  latin ,  fol.  8g  r'- 1  oo  v°  ) , 
la  seconde  partie  du  texte  latin  du  Très  ancien 
Coutumier  (chap.  i.xvi  àxci).  Aucun  titre,  ni  au 
commencement,  ni  à  la  fin.  - —  Lat.  4653, 
fol.  62  v"-'73  r°.  La  section  de  ce  manuscrit  (c'est 
un  recueil  factice)  qui  contient,  avec  le  Grand 
Coutumier  et  d'autres  compilations,  la  seconde 
partie  de  notre  Très  ancien  Coutumier  (texte 
latin)  a  été  écrite  en  i43o.  Cette  copie  du 
XV'  siècle  parait  dériver  d'un  manuscrit  très 
correct.  M.  Tardif  a  pris  le  ms.  lat.  4653 
comme  hase  de  l'édition  de  la  seconde  partie 
du  (Coutumier.  Aucun  titre,  ni  au  commence- 
ment, ni  à  la  fin;  aucune  rubrique  en  tète  des 
chapitres.  —  Vatican,  fonds  Otioboni ,  2964, 


fol.  io6-i3i,fin  du  XIII*  siècle  (cf.  la  descrip- 
tion de  ce  ms.  par  Auvray,  dans  Bibl.  de  l'Ecole 
des  chartes,  t.  XLIX,  p.  635-637).  ^''^  manu- 
scrit contient  seulement  la  première  partie  du 
Très  ancien  Coutiunier.  Nous  en  devons  la  col- 
lation à  l'obligeance  du  W.  P.  Van  Ortroy.  Notre 
texte  est  ici  intitulé  :  Antiqua  consuetudo  Nor- 
mannie.  —  Sainte-Geneviève,  1743  (anc.  F. f., 
in-4°,  3),  fol.  193-255.  Ce  manuscrit,  qui  con- 
tient, outre  le  texte  français  du  Très  ancien 
Coutumier  (  texte  tronqué  au  commencement  et 
à  la  fin),  le  Grand  Coutumier  et  d'autres  textes 
de  droit  normand ,  semble  avoir  été  écrit,  sui- 
vant M.  Tardif,  vers  1 290. 

Le  texte  français  a  été  édité  par  Marnier  dans 
Etablissements  et  coutumes,  assises  et  arrêts  de 
l' Echiquier  de  Normandie ,  Paris,  1839;  le  texte 
latin,  par  Warnkœnig  et  Stein,  Franzôsische 
Staat.i-  und  liechtsfjeschichte,  Basel,  i848,  Ur- 
kiindenbuch;  par  J.  Tardif,  Coulamiers  de  Nor- 
mandie, i"  partie,  Le  Très  ancien  Coutumier, 
texte  latin,  llouen,  1881. 

6. 


44  LES  COUÏUMIERS  DE  NORMANDIE. 

quelle  l'édition  du  texte  français  par  Marnier  et  celle  du  texte  latin 
par  Warnkœnig  ont  donné  une  très  sérieuse  consistance. 

Deux  historiens,  MM.  Brunner  et  Tardif,  qui  n'avaient  pu  con- 
sulter tous  les  manuscrits  latins,  se  sont  donné  beaucoup  de  mal, 
depuis  une  trentaine  d'années,  pour  distinguer  les  deux  parties  du 
Très  ancien  Coutumier  de  Normandie  ou,  mieux,  pour  distinguer  deux 
Coutumiers  dans  le  Très  ancien  Coutumier  '').  Les  résultats  obtenus 
par  ces  deux  savants''^'  font  grand  honneur  à  leur  clairvoyance.  Mais 
ces  efforts  de  critique  étaient  quasi  inutiles,  car  les  deux  Coutu- 
miers existent  isolément  dans  les  manuscrits.  La  dualité  de  l'œuvre 
n'a  donc  pas  besoin  d'être  démontrée.  Elle  se  révèle  direclemeut. 
M.  Brunner  plaçait  la  coupure  au  chapitre  lxxiii;  M.  Tardif  l'a  mise 
au  chapitre  lxvi.  Cette  dernière  place  est  la  bonne. 

Il  y  a  pout-être  quelque  intérêt  rétrospectif,  pour  l'histoire  de  la 
critique,  à  faire  connaître  très  sommairement  les  raisons  excellentes 
qui  avaient  conduit  à  reconnaître  dans  le  Très  ancien  Coutumier  deux 
œuvres  distinctes. 

Les  mêmes  matières  sont  traitées  deux  fois  dans  le  Très  ancien  Cou- 
tumier, savoir  :  les  partages  entre  frères,  aux  chapitres  viii  et  lxxxiii; 
les  donations  en  aumône,  aux  chapitres  lvii  et  lxxxix;  les  droits  de 
relief,  aux  chapitres  xlvii,  $  i,  2,  et  lxxxiv,  $  i;  le  régime  des 
biens  entre  époux  [marUagiiim  et  dos),  aux  chapitres  v  et  lxxix,  $  5; 
les  essoines,  aux  chapitres  xlii  et  lxxxii;  le  duel  judiciaire,  aux  cha- 
pitres XLi  et  LXXXIII  ;  le  patronage  des  églises,  aux  chapitres  viii  et 
lAXxiii.  Ces  doubles  chapitres  constituent,  la  plupart  du  temps,  des 
répétitions  inutiles  et  que  rien  ne  justifie. 

Il  y  a  même  çà  et  là  désaccord  complet  de  doctrine  entre  les  deux 
parties  de  notre  traité.  Ainsi  le  chapitre  v.  De  dotaliciis,  S  7,  reconnaît 
en  principe  la  compétence  des  tribunaux  laïques  dans  les  questions 
de  douaire;  le  chapitre  lxxïx.  De  dotibus,  $  11,  ne  reconnaît  leur 
couipétence  qu'en  matière  de  douaire  immobilier. 

Nous  n'épuisons  pas  la  série  de  ces  observations,  devenues  aujour- 
d'hui superflues. 

'"'   Pour  simplilier  nos  citations,   nous  ren-  fol(fCsyitem,  Kxcurs  ûlur  dit:  ùlleren    iiormuimi- 

verrons  toujours  à  la  série  unique  des  cliapitres  schen  Conlainrs ,  Leipzig,  1869;  Tardif,  Le  Très 

de  cette  édition.  ancien   Couliimier  de  Normandie,    texte    latin, 

<*'  Brunner,    Dus    Ani/lonormannisclie    Eri-  Rouen,  1881. 


I 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  45 

Le  début  réel  du  second  Coutumier  est  étrange  et  bien  moins  na- 
turel que  celui  qu'avait  proposé  M.  Brunner^'*  sans  avoir  étudié  les 
manuscrits.  Ce  savant  plaçait,  en  effet,  la  coupure  au  chapitre  lxxiii, 
qui  a  tout  à  fait  l'apparence  d'une  entrée  en  matière,  d'un  préambule  : 
Prias  tractundam  est  de  possessione  (jiiam  de  proprietate.  Mais  les  manu- 
scrits lat.  4653  et  lat.  i8368,  qui  ne  nous  ont  transmis  que  le 
second  Coutumier,  commencent  plus  haut,  au  chapitre  lxvi,  Jurea 
regalis;  et  le  manuscrit  Ottoboni  2964 ,  qui  ne  nous  a  transmis  que  la 
première  partie,  finit  avec  le  chapitre  lxv.  C'est  donc  avec  toute 
raison  que  M.  Tardif  a  placé  la  coupure  à  ce  chapitre  lxvi  qui 
ouvre  la  seconde  partie  du  Très  ancien  Coutumier,  Ces  chapitres  lxvi 
à  Lxxii  contiennent  trois  documents  officiels  qui  ne  sont  point 
fœuvre  du  rédacteur,  à  savoir  :  une  enquête  ou  jurée;  une  ordon- 
nance de  Henri  I*';un  mandement  de  Richard  Cœur  de  Lion;  ces  actes 
sont  comme  plaqués  en  tête  de  l'œuvre  de  notre  jurisconsulte.  Celui-ci 
expose  son  plan  au  chapitre  lxxiii.  11  traitera,  dit-il,  des  questions 
possessoires  avant  de  passer  au  pétitoire;  il  ne  s'écartera  de  ce  sys- 
tème qu'en  ce  qui  concerne  les  questions  de  patronage  des  églises. 
Telle  est,  en  effet,  l'économie  générale  de  la  seconde  partie;  le  vaste 
ensemble  que  l'auteur  groupe  sous  l'étiquette  possession  («  requenois- 
«  sans  possessoires  »;  règles  sur  la  capacité  du  mineur;  douaire  et  dot) 
est  passé  en  revue  avant  les  questions  de  propriété,  à  l'occasion  des- 
quelles interviennent  quelques  notions  sur  la  procédure.  Une  seule 
matière,  le  patronage  des  églises,  est  réunie  aux  questions  posses- 
soires, qu'il  s'agisse  du  possessoire  ou  du  pétitoire.  H  serait,  à 
première  vue,  bien  naturel  d'ouvrir  la  seconde  partie  avec  ce  cha- 
pitre LXXIII  qui  en  donne  le  résumé  et  le  plan.  M.  Brunner,  n'ayant 
pas  les  manuscrits  sous  les  yeux,  ne  pouvait  imaginer  une  solution 
plus  satisfaisante.  Et  même  nous  admettrions  volontiers  qu'origi- 
nairement le  chapitre  lxxiii  fut,  en  effet,  le  début  du  traité,  les  cha- 
pitres Lxvi  à  Lxxii  étant  venus  plus  tard,  soit  par  le  fait  de  l'auteur 
lui-même,  soit  par  le  fait  de  quelque  copiste  ou  de  quelque  reviseur, 
se  plaquer  en  tête  de  l'œuvre. 

Nous  avons  parlé  d'un  texte  latin  primitif  et  d'une  traduction  fran- 
çaise. Il  est  temps  de  justifier  cette  assertion. 

'  '  M.  Brunner  a  donné  au  second  Coutumier  le  titre  de  Tractatus  de  brevibus,  à  cause  des  nom- 
breux brefs  qui  y  sont  contenus  :  à  notre  connaissance ,  aucun  manuscrit  ne  porte  ce  titre. 


/i6  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Il  existe  un  seul  manuscrit  français  du  Très  ancien  Goutumier,  et  ce 
manuscrit  est  incomplet.  Le  texte  français  (dans  lequel  les  deux 
parties  du  Goutumier  se  suivent  sans  arrêt  ni  distinction)  pré- 
sente tous  les  caractères  d'une  traduction.  Le  travail  du  traducteur 
se  révèle  par  certaines  méprises  très  significatives.  Nous  en  cite- 
rons trois.  Un  certain  R.  de  Sig[illo]  et  un  certain  Ni(i[eUus] ,  Eliensis 
episcoims,  figurent  dans  le  texte  latin  comme  témoins  au  pied  d'une 
ordonnance  de  Henri  I"  sur  la  trêve  de  Dieu  :  l'auteur  du  texte  fran- 
çais n'a  pas  retrouvé  les  vrais  noms,  qui  sont  R.  du  Seel  et  ]\eel,  évêque 
d'ElY(t  1 169).  11  a,  pour  l'un  de  ces  deux  mots,  calqué  la  forme  latine, 
probablement  abrégée  de  l'exemplaire  qu'il  avait  sous  les  yeux,  et  mis 
R.de  Si(ji.;  pour  l'autre,  il  a,  au  contraire,  interprété  à  faux  son  texte  : 
il  avait  sous  les  yeux  Ni.  ou  Nig.  :  il  a  complété  Nicolas  au  lieu  de  tra- 
duire Neel.  Un  certain  Guillaume  Patri  (+11 7^),  qui  nous  est  connu 
par  d'autres  voies,  figure  comme  témoin  dans  le  texte  d'une  jurée 
ou  enquête  par  laquelle  s'ouvre  la  seconde  partie  du  Très  ancien  Gou- 
tumier (chap.  Lxvi).  Le  latin  porte  Pairie;  que  trouvons-nous  dans 
le  texte  français?  Guillaume  del  Païs.  Il  est  clair  que  l'auteur  du  texte 
français  avait  sous  les  yeux  un  manuscrit  où  il  a  lu  Guillelmus  Patrie 
au  lieu  de  Guillelmus  Patrie. ;\e  traducteur  maladroit  se  trahit  donc, 
sans  aucun  doute  possible.  Il  faut  ajouter  que  l'hypothèse  d'une  ré- 
daction française  primitive,  à  l'époque  où  se  place  la  composition  de 
nos  Goutumiers  (commencement  du  xiii'  siècle),  serait  en  elle-même 
fort  peu  vraisemblable. 

Le  texte  latin  suivi  par  le  traducteur  français  était,  çà  et  là ,  meilleur 
que  celui  qui  nous  est  parvenu.  Nous  nous  contenterons  d'un  exemple. 
La  fin  de  la  formule  prononcée  par  le  demandeur  dans  une  action 
en  revendication  (chap.  lxxxv,  De  difforc.  hered.,  2)  est  ainsi  con- 
çue dans  le  texte  français  :  //  est  prest  de  prover  en  une  eure  de  jor,  a 
l'esgart  de  la  cort  (édit.  Marnier,  p.  74).  Ges.  mots  a  l'esgart  de  la  cort 
correspondent  à  la  formule  secundum  considerationem  curie,  par  laquelle 
les  parties  terminent  tous  leurs  dires  en  justice.  Gependant  le  texte 
latin  qui  nous  est  parvenu  porte  ici  :  paratus  est  probare  una  hora  diei 
secundum  consuetudinem  patrie,  et  non  secundum  considerationem  curie. 
il  est  évident  que  le  traducteur  du  xiii'  siècle  avait  sous  les  yeux  un 
meilleur  texte  latin  que  celui  de  nos  manuscrits  :  secundum  consuetudi- 
nem patrie  est  une  mauvaise  copie  de  secundum  considerationem  curie,  que 


LES  COUTUMIERS  DE  NORIVIANDIE.  47 

le  dernier  éditeur  a  très  légitimement  substitué  à  la  leçon  secnndwn 
consiietudinem  patrie. 

La  traduction  française  a  été  faite,  pour  la  première  partie  du 
Très  ancien  Goutumier,  sur  un  texte  latin  beaucoup  plus  complet  que 
ceux  qu'a  connus  le  dernier  éditeur.  Ce  texte  latin  était  très  voisin  de 
celui  qui  nous  a  été  conservé  par  le  manuscrit  du  Vatican,  fonds 
Ottoboni,  n°  296^.  Nous  reviendrons  sur  ce  manuscrit  et  nous  re- 
lèverons les  leçons  les  plus  importantes  entre  celles  qu'il  nous  a  con- 
servées. 

Nous  voudrions  maintenant  déterminer  dans  la  mesure  du  pos- 
sible l'âge  des  deux  parties  du  Très  ancien  Goutumier,  et  donner  de 
chacune  de  ces  parties  une  idée  sommaire. 

M.  Tardif  a  fort  bien  établi  ^'^  que  la  première  partie  a  été  rédigée  : 
avant  1207,  car,  à  dater  du  statut  de  Gi sors  d'octobre  1207,  les  con- 
testations relatives  au  droit  de  patronage  furent  soumises  à  une  pro- 
cédure toute  spéciale  que  notre  auteur  ignore  complètement;  avant 
1  2o4 ,  car,  à  cette  date,  Philippe  Auguste,  qui  venait  de  conquérir  la 
Normandie,  décida  qu'en  cas  de  duel  judiciaire  le  vaincu,  quel  qu'il 
fût,  demandeur  ou  défendeur,  subirait  toujours  une  peine  corporelle, 
tandis  qu'antérieurement  le  défendeur  seul  encourait  cette  peine,  s'il 
succombait  :  cette  modification  au  système  ancien  est,  elle  aussi,  com- 
plètement ignorée  de  notre  auteur. 

Quand  on  veut  serrer  de  plus  près  le  problème,  des  considérations 
diverses  se  présentent.  Voici  celles  qui  ont  séduit  le  dernier  éditeur. 

L'anonyme  cite  comme  indication  chronologique  l'époque  d'une 
guerre  qui  durait  quand  le  roi  Richard  était  en  possession  de  la  terre, 
Ricardo  rege  possidente.  Il  résulte  de  cette  mention  qu'au  moment  où 
il  écrit,  la  seule  guerre  qui  ait  eu  lieu  sous  le  roi  Richard,  de  1 194 
à  1  196,  est  finie,  et,  en  outre,  que  Richard  n'est  plus  «  en  possession 
«de  la  terre  »  :  ce  roi  est  mort  le  6  avril  1 19g.  D'autre  part,  il  y  a 
lieu  de  croire  que  notre  texte  a  été  rédigé  du  vivant  du  sénéchal 
Guillaume  Fils-Raoul,  le  seul  qui  y  soit  mentionné.  Or  ce  sénéchal 
est  mort  le  9  juin  1200.  M.  Tardif  en  conclut  que  cette  première 
partie  a  été  rédigée  dans  les  derniers  mois  de  1199  ou  les  pre- 
miers de  1  200. 

'''  Le  Très  ancien  CoiUumier,  texte  lutin,  p.  i.xvii. 


/i8  LES  COUTCMIERS  DE  NORMANDIE. 

Cette  date  1 199-1200  ne  va  pas  toutefois  sans  certaines  fliffîcultés. 
En  eflet,  le  meilleur  manuscrit  du  Très  ancien  Coutumier,  inannscrit 
que  le  dernier  éditeur  n'a  pas  connu,  contient  ce  passage  suggestif 
(chap.  LXiv,  S  3)  :  Si  (juis  de  infdelitate  approbatns  fûerit ,  eum  in  prisio- 
nem  mittet  [senescallus],  donec  ille  qui  diix  est  eum  liherahit,  scilicet  rex 
AnijUe  vel  Gallie.  Si  l'auteur  du  Très  ancien  Coutumier  a  commenté 
lui-même  le  mot  dux  par  cette  apposition  scilicet  rex  Anglie  vel  Gallie, 
il  faut  admettre  qu'il  écrivait  en  i2o3-i2o4,  au  temps  même  de  la 
conquête  de  la  Normandie  par  Philippe  Auguste,  ou  du  moins  que, 
cette  année-là,  il  retouchait  son  œuvre.  Les  autres  manuscrits  lalins 
ont  ici  une  leçon  différente  :  ils  portent  scilicet  rex  Gallie  au  lieu  de 
scilicet  rex  Anglie  vel  Gallie.  De  même  la  traduction  française  :  «  Li 
«senechaus  fu  coreciez,  si  commenda  que  H  sergent  le  duc,  qui 
«  doivent  lealment  mener  le  pueple,  n'acusent  pas  les  gens  deslealment. 
«  Et  se  aucuns  est  atai[n]z  de  tel  deslealté,  il  soit  mis  en  prison,  tant 
«  que  cil  qui  est  dus  le  délivre,  ce  est  li  rois  de  Frnnce'^^K  »  11  est  bien 
évident  qu'un  auteur  pour  qui  le  duc  de  Normandie  ne  serait  autre 
que  le  roi  de  France  écrivait  après  la  conquête  de  Philippe  Au- 
guste (1  2o4).  Cette  observation  n'a  pas  échappé  à  M.  Tardif,  qui  croit 
la  rédaction  du  Coutumier  antérieure  à  la  conquête.  11  a  pris  ici  une 
résolution  radicale.  Il  a  corrigé  le  texte  et  imprimé,  malgré  f  autorité 
des  manuscrits  :  donec  dux  eum  liherahit,  reléguant  en  note  la  leçon 
fournie  par  le  seul  manuscrit  latin  qu'il  ait  connu  pour  ce  passage,  et 
par  le  manuscrit  français,  leçon  qu'il  considère,  avec  quelques 
autres  sur  lesquelles  nous  n'insistons  pas,  comme  une  addition  ou 
correction  au  texte  primitif.  Il  fait  observer  ici  que  «  femploi  de 
«  l'expression  rex  Galliœ  indique  une  explication  ajoutée  après  coup  ». 
Celte  observation  ne  nous  paraît  pas,  en  soi,  très  juste ''^^.  L'expression 
rex  Galliœ  est  d'un  auteur  qui  ne  connaît  pas  les  usages  de  la  diplo- 
matique latine  de  nos  rois,  ou  qui  délibérément  ne  veut  pas  em- 
ployer le  style  des  diplômes,  et  traduit  mol  à  mot  en  latin  l'expres- 
sion roi  de  France,  au  lieu  de  dire  rex  Francorum.  Mais  cette  ignorance 
(si  toutefois  cette  expression  trahit  l'ignorance  de  l'écrivain)  convient 
tout  aussi  bien  à  l'auteur  du  traité  qu'à  un  reviseur  quelconque.  En 
soi,  cette  tournure  ne  dénote  pas  une  addition.  Elle  ne  nous  surprend 

'"'  Mnrnier,  p.   47.   Bibl.  Sainle-Geneviève ,  ms.    1743,  fol.   226   v°.  —  '*'    Tardif,  p.   56, 
note  4> 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  49 

nullement  chez  un  Normand,  qui  passe  ou  qui  vient  de  passer  de  la 
domination  du  duc  de  Normandie,  roi  d'Angleterre,  sous  celle  du 
roi  de  France,  dont  il  n'a  peut-être  jamais  vu  un  seul  diplôme.  Aussi 
bien  la  même  expression  ou  une  expression  analogue  a  été  employée 
par  l'auteur  de  la  seconde  partie  du  Très  ancien  Coutumier  :  celui-ci 
parle  d'une  constitutio  Pliihppi  régis  Francie  (un  manuscrit  porte  :  régis 
GalUe  vel  Francie '^^^].  Quant  à  nous,  il  ne  nous  paraît  pas  impossible 
que  la  leçon  du  manuscrit  de  Rome  soit  authentique.  Notre  anonyme 
aurait,  en  ce  cas,  rédigé  ou  retouché  son  œuvre  en  1208-120^.  Nous 
n'alhrmons  rien;  car  assurément  celte  petite  explication,  scilicet  etc., 
peut  aussi  avoir  été  ajoutée  par  un  tiers.  En  tout  cas,  la  leçon  rex 
Anglie  vel  Gallie  est  évidemment  antérieure  à  la  leçon  rex  Gallie.  ,).,•( 
..  Le  plan  de  cette  première  partie  a  été  exposé  par  M.  Joseph  Tardif. 
Nous  ne  sommes  pas,  il  est  vrai,  très  assurés  que  cette  qualification 
de  plan  soit  parlaitement  justifiée.  Il  y  a,  ce  semble,  beaucoup  d'aban- 
don et  de  laisser-aller  chez  notre  auteur.  «  Il  a  rapproché  générale- 
«ment,  écrit  M.  Tardif,  les  matières  de  même  nature,  de  manière  à 
«les  grouper  sous  les  quatre  chefs  suivants  :  droit  privé;  — procé- 
«  dure;  —  droit  pénal;  —  compétence  des  justices  seigneuriales.  Dans 
«deux  cas  seulement,  il  s'est  départi  de  cette  règle;  la  première  de 
«1  ces  exceptions  se  rapporte  au  relief  et  aux  aides  chevels,  qui  sont 
«placés  au  milieu  des  matières  pénales;  et  la  seconde,  aux  donations 
«  en  pure  aumône,  qui  se  trouvent  rejetées  après  le  droit  criminel *^l  ♦ 
On  pourrait,  à  notre  sens,  multiplier  ces  exceptions,  et  ce  à  tel  point 
que  l'ordre  entrevu  disparaîtrait  en  grande  partie.  C'est  ainsi  que  trois 
chapitres,  sur  les  partages  entre  frères,  sur  les  ventes  de  bois,  sur 
les  droits  résultant  de  certaines  donations  immobilières  (chap.  xxxii 
à  xxxiv),  ainsi  que  plusieurs  chapitres  consacrés  à  la  procédure 
(chap.XLii,  XLiii) ,  au  parage  (chap.  xlv),  à  la  théorie  de  la  garantie 
(chap.  XLvn),  sont  comme  jetés  au  hasard  parmi  le  droit  criminel. 

Il  ne  faut  peut-être  pas  nous  trop  appliquer  à  prêter  à  ces  vieux 
auteurs  des  préoccupations  de  bonne  composition  littéraire  qui  leur 
sont  si  souvent  étrangères. 

On  a  remarqué  que  l'ordre  suivi  par  Glanville  dans  son  Tractatns 
de  legibus  se  rapproche  un  peu  de  la  série  de  matières  adoptée  par 


(') 


Ctiap.  Lxxiii,  S  1;  édit.  Tardif,  p.  70  et  note  1.  —  '-'  Ibid.,  p.  lx. 

UIST.   I.ITTÉR.   —  XWIII. 


50  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

notre  auteur  :  «Le  droit  pénal  est  rejeté  à  la  fin  dans  les  deux 
«  traités,  qui  présentent,  en  outre,  plusieurs  ressemblances  do  dé- 
M  tail.  Le  rédacteur  de  la  première  partie  du  Très  ancien  Coutumier 
«fait  passer,  comme  Glanville,  les  requenoissants  de  propriété 
«avant  ceux  qui  sont  relatifs  à  la  possession.  Les  deux  auteurs 
«  traitent  successivement  de  l'aide  de  relief  et  des  aides  chevels.  Enfin , 
«  dans  le  Très  ancien  Coutumier  comme  dans  leTractatiis  de  legibus,  la 
«  théorie  de  la  garantie  précède  le  passage  relatif  à  la  quotité  du 
«  relief ''l  »  Le  Grand  Coutumier,  rédigé  en  Normandie  au  milieu  du 
xiii"  siècle,  rapproche  aussi  le  relief  et  les  aides  chevels ''^^.  Cela  tient 
à  ce  que  la  quotité  de  l'aide  chevel  se  mesurait  sur  la  quotité  du 
relief  :  elle  était  de  la  moitié  du  relief,  au  temps  de  notre  anonyme; 
de  la  moitié,  dans  certains  fiefs,  du  tiers  dans  d'autres,  au  temps 
du  Grand  Coutumier.  L'une  de  ces  deux  matières  appelait  l'autre. 
Elles  se  suivaient  tout  naturellement.  Nous  ne  saurions  mentionner 
ce  chapitre  des  aides  chevels  (xlviii,  De  tribus  auxiliis)  sans  faire 
observer,  en  passant,  que  le  paragraphe  i"  de  ce  chapitre  a  peut- 
être  été  mutilé.  Dans  le  texte  qui  nous  est  parvenu,  on  ne  mentionne 
que  deux  cas  donnant  lieu  à  cette  aide  :  la  promotion  du  fils  aîné  du 
seigneur  à  la  dignité  de  chevalier,  le  mariage  de  sa  fille  aînée  ;  mais  1p 
Grand  Coutumier  mentionne  en  troisième  lieu  le  rachat  du  seigneur 
fait  prisonnier  [captns  prn  giierra  ducis  Noimannie)  ^'''K  Nous  admet- 
trions assez  volontiers  que  ce  troisième  cas  a  été  tout  simplement  omis 
par  quelque  erreur  de  scribe  dans  le  texte  de  notre  anonyme.  En 
effet,  le  titre  de  ce  chapitre.  De  tribus  an:x:iliis'''^\  suppose  un  texte  phis 
complet  qui  ne  nous  est  pas  parvenu.  Le  paragraphe  incomplet  que 
nous  visons  se  termine  ainsi  :  similiter  defilia  snaprimofjemta  marilanda. 
On  s'explique  fort  bien  qu'une  petite  phrase  se  terminant  en  -ando, 
comme  serait,  par  exemple,  celle-ci  :  et  de  corpore  domini  ab  hostium 

ducis  Normannie  prisonia  liberando,  ait  pu  être  omise  par  un  copiste, 

/ 1/  I  '  '  •  1 1  1  !( |(|(,  .[1. i 

>''  Tardif,  Le  Très  ancien  Coutumier  de  Sor-  dif,  /><■  Très  ancien  Coutumier  de  Normandie , 

mandiv ,  p.  i.\,  i.xi.  p.  lx.                           i!'i    II! 

On  peut  rapprocher  :  i°  Glanville,  Trrictotii.''  '*'  Samma  de   legibat,   chap.   xxxiil.  S  3; 

de  legihus,  liv.  Xll ,  Xill  ;   Très   ancien   Coutu-  édit.  Tardif,  p.  m. 

nrier,  clinp.  xi.vii,  xtvin;  '"^  Summa  de   hf/ibas,   cliap.    xxxm,  S   :!  : 

1°  (ilanvillc,  liv.  IX,  8,  $  1,2;  Très  ancien  p.  1 10-111. 

f  oHtHiiii'er,  ciinp.  XLVi,  xi.vii;  <''   Dans    le   manuscrit  de   Rome,    le    litre 

y  (iianville,   iiv.    IX,   /j,  $1,  •<  :   .1.  Tar-  est  :  De  «mxi7io  mi/iVic 


LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE.  51 

les  deux  désinences  -anda  et  -ando  s'étant  confondues  sous  son  regard. 
Nous  devons  ajouter  toutefois  que,  dans  les  Assisiœ  Normanniœ,  qui 
connaissent  aussi  trois  anxilia,  le  troisième  anxiliinn  ou  aide  n'est  pas 
le  rachat  du  seigneur  fait  prisonnier,  mais  Yexercitm  re(jis''^\  et  que, 
dans  le  manuscrit  français,  le  litre  est  simplement  :  D'aides. ^ 

Notre  traité  paraît  avoir  été  rédigé  dans  le  voisinage  d'Evreux  : 
les  faits  qui  y  sont  incidemment  relatés  se  passent  dans  les  environs 
de  cette  ville,  et  la  plupart  des  personnages  qui  y  sont  mentionnés, 
Gilbert  de  Vascœuil,  Roger  de  Saint-André,  Etienne  de  Saint-Luc, 
appartiennent  à  cette  région  de  la  Normandie,  comme  l'a  remarqué 
le  dernier  éditeur'^).  Un  passage  du  chapitre  xv,  S3,  qui,  par  suite 
d'un  bourdon,  a  été  omis  dans  les  manuscrits  latins  autres  que  le 
manuscrit  de  Rome,  mais  qui  est  représenté  dans  le  manuscrit  fran- 
çais, mentionne  la  banlieue,  banleucain,  et  signale  une  différence  de 
procédure  très  curieuse,  suivant  qu'un  délit  de  coups  et  blessures  a 
été  commis  en  dehoi's  ou  dans  les  limites  de  la  banlieue.  Il  ne  nous 
paraît  pas  vraisemblable  que  l'auteur  ait  prétendu  ici  généraliser  et 
parler  de  toute  ville  normande  et  de  toute  banlieue.  C'est  probable- 
ment la  banlieue  d'Evreux  qu'il  a  en  vue.  Voici  ce  S  3,  complété  par 
le  manuscrit  de  Rome  : 

Si  vero  aliquis  in  chimino  vuineratus  fuerit,  per  manuum  bcllum  sanguinem 
suum  probiire  polerit  vel  per  aiium  qui  cum  iilo  videril  malefactum  ;  vuineratus 
vel  ejus  advcrsarius  deiiberabit  se  per  jusjurandum  juxta  legcm  patrie.  Et  si  aliijais 
vulnerativi  [fuerit]  infra  banleacam,  malejactorjusticiabit  se  per  jnrationcm  suam  xiriii. 
secundiim  leyem  patrie. 

Que  nous  apprend  sur  son  propre  compte  notre  anonyme,  ou 
plutôt  que  nous  laisse-t-il  deviner?  Il  résulte  de  divers  passages  de 
celte  partie  du  Très  ancien  Coutumier  que  l'auteur  assistait  souvent 
aux  sessions  de  l'Echiquier  ou  des  Assises.  H  relate  certaines  circon- 
stances, narre  certains  détails  d'audience,  qui  révèlent  un  témoin.  Il 
déclare  d'ailleurs  avoir  assisté  aux  débats  qui  s'élevèrent  entre  l'arche- 
vêque de  Rouen  et  le  sénéchal  Guillaume  Fils-Raoul '^^.  Son  admiration 
pour  Guillaume  Fils-Raoul  «  et  la  manière  dont  il  paraît  connaître 

'''   Assisiœ   Nonnaniiite,    dans    Wamkœnig  '*'  Tard\(,  LcTrès  ancien  Coatiimier, p. lwkv. 

et  Stein,  Franz.  Staats-  und  Rechtfgesckickte,  <''  /6irf.,  cliap.  i,xi,Sa;  l.xii  ,S  a  ;  lxtt,  S  a  ; 

t.  Il,  Urkitndenbuch ,  p.  58.  LVil,  Sa.  '■"'  ' 


52  LES  COIJTIJMIERS  DE  NORMANDIE. 

«  tous  les  faits  qui  le  concernent  permettent  de  supposer,  écrit 
«M.  Tardif,  qu'il  était  attaché  à  ce  sénéchal  en  qualité  de  clerc*''». 
Clerc,  notre  anonyme  Jetait  assurément.  Mais  son  dévouement  à 
l'Église  est  tel  que,  si  nous  en  faisions  avec  M.  Tardif  un  employé 
de  second  ordre,  nous  rattacherions  peut-être  à  l'un  des  seigneurs 
ecclésiastiques  qui  fréquentaient  l'Échiquier  ou  les  Assises.  Chose 
singulière,  en  eftét,  ce  rédacteur  d'un  livre  de  droit  civil  et  coutumier 
trahit  l'homme  d'Émise.  Il  a  de  l'homme  d'Eglise,  comme  nous  le 
verrons,  la  charité,  la  bonté  d'àme;  il  en  a  aussi  la  finesse  et  l'habileté. 
H  ne  semble  pas  ignorer  le  droit  canon.  L'influence  de  ce  droit  est 
sensible  dans  la  théorie  de  la  nouvelle  dessaisine.  L'auteur  s'en  inspire 
en  foi'mulant  ce  principe  :  «  Nus  n'ost  desvestir  home  d'aucune  chose 
«  fors  par  l'ordre  des  jugemenz.  »  Il  a  peu  ou  point  étudié  le  droit 
lomain  dans  les  textes  originaux,  et  il  n'emploie  que  bien  rarement 
des  expressions  qui  rappellent  la  terminologie  des  jurisconsultes  clas- 
siques'-'. Sa  langue  ne  manque  pas,  çà  et  là,  d'une  certaine  recherche: 
Sicnt  prediximus  per  juratores  de  vicineto,  idtimi  Amjusti  coynoscetur 
saisina  *'^'.  Quis  eorum  de  terra  illa  ultimam  hahnerit  saisinam  ''*'.  Il  se  plaît 
aux  antithèses  :  Servientes  ducis  (fui  fideliter  dehent  regerc  populum,  vos 
infideliter  non  accusent'^^K  L'expression  recjere  popalam,  qui  revient  plu- 
sieurs fois  sous  sa  plume,  peut  être,  comme  l'a  fait  remarquer 
M.  Tardif,  une  réminiscence  d'un  vers  de  Virgile '*''.  Nous  ajou- 
terons :  ou  d'iin  verset  de  saint  Matthieu'''. 

Ce  lettré,  je  le  répète,  doit  être  clerc,  non  seulement  parce 
qu'il  a  quelque  connaissance  du  droit  canon,  mais  aussi  parce 
qu'il  est  très  dévoué  à  l'Église  et  parce  qu'il  explique  par  les  plus 
habiles  et  les  plus  ingénieux  détours  certaines  concessions  qu'elle 
s'est  vue  obligée  de  faire.  Voici  les  passages  qui  nous  inspirent  ces 
réflexions.  Au  chapitre  xviii,  le  jurisconsulte  prévoit  le  cas  où 
une  personne  a  donné  une  terre  en  gage  à  un  curé.  Le  successeur 
de  ce  curé  veut  retenir  l'objet  engagé  sous  prétexte  qu'il  appartient  à 
son  église.  De  là  un  débat  entre  celui  qui  a  donné  la  terre  en  gage 
el  l'ayant  cause  du  créancier  gagiste,  débat  qui  est  vidé  par  le  «  reque- 

*''  Tardil',     Le     Très     iiiicwii  Coutumier,  '*' Oiap.  xvi,  S  4;  p.  18. 

p.  LSXM.  '''  Cfaap.  i.MV,  S  3  ;  cliap.  xix,  S  1. 

l'I  lU. .  p.  l.xxxi V.  W  Viiffile,  /En. ,  VI .  v.  85 1 . 

W  Chap.  XVI,  S  5;  p.  18.  '"  Matthieu,  il,  fi. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  53 

«  noissant  de  fieu  ou  d'aumosne  »,  c'esl-à-dire  par  l'enquête  auprès  des 
voisins  sur  la  question  de  savoir  si  le  bien  contesté  est  un  fiel  ou  une 
terre  aumonée.  Si  le  curé  succombe,  il  tombe  en  n)erci  de  tous  ses 
«  cateus  »,  «  se  il  a  rien  en  fiel  lai  »,  51  aliquid  m  feodo  laico  habuerit;  on 
ajoute  :  Sed  laica  justicia  non  extendat  manam  snam  in  elemosinam  pres- 
hilen,  nec  in  res  ipsius  ecclesiasticas.  «  Mes  la  laie  justice  ne  metra  pas 
«la  main  en  Taumone  au  provoire,  ne  es  choses  qui  apartiennent 
«  a  l'iglise'''.  »  Ainsi  l'auteur,  après  avoir  rendu  au  pouvoir  civil  ce  qui 
lui  appartient,  revendique  les  droits  du  clergé  et  proteste  contre  les 
atteintes  que  les  justices  laïques  pourraient  porter  aux  prérogatives 
de  l'Eglise.  Au  chapitre  lvii,  g  2,  notre  auteur  revient  sur  cette 
question  qui  paraît  l'avoir  beaucoup  préoccupé.  Il  aborde  une  autre 
face  (le  ce  débat,  probablement  assez  fréquent.  Il  suppose  qu'un  ma- 
lade a  donné  une  terre  en  aumône  à  féglise,  en  présence  du  curé  et 
de  deux  ou  trois  voisins,  l'ensemble  du  voisinage  ignorant,  d'ailleurs, 
celte  disposition.  Ce  donateur  ou  testateur  est  mort;  son  lils  reven- 
dique le  bien  donné  et  demande  le  «  requenoissantde  fié  ou  aumosne  », 
c'est-à-dire  fenquête  auprès  des  voisins  [vicinelum).  Qu'arrivera-t-il 
si  le  groupe  des  voisins  déclare  par  serment  qu'il  ne  sait  pas  :  qnando 
eciainjaratum  vicinetuni  se  J'aciat  nesciens  ?  La  solution  très  ferme  que 
donne  ici  notre  jurisconsulte  est  notable  :  en  ce  cas,  c'est  la  cour 
d'Eglise  qui  statuera,  hoc  diffinitnm  erit  in  ecclesiastica  caria  et  non  in 
laica.  Cette  solution  est  celle  de  notre  anonyme,  non  pas  la  solution 
commune  et  acceptée  de  tous,  car  il  a  très  souvent  vu  cette  question 
de  compétence  débattue  entre  l'archevêque  de  Rouen  et  le  sénéchal 
Guillaume  Fils-Raoul  :  Tameu  mnltociens  inter  dominum  Rothomagensem 
archepiscopum  et  Willelmum  senescallnm  [placitum]  inde  audivimus. 
Aussi  bien  cette  n)atière  était,  en  Normandie  et  en  Angleterre,  l'objet 
de  discussions  sans  fin  :  elle  est  abordée  dans  un  article  des  fameuses 
constitutions  de  Clarendon,  en  1  i64'^^. 

Ce  genre  d'affaires  tient  au  cœur  de  notre  jurisconsulte.  H  y  revient 
une  troisième  fois,  au  paragraphe  suivant  (chap.  lvii, S 3),  pour  en- 

«yfardif,  p.  Lxxxni.  cf.     Gliadwyck    Healey,    Somer.<ptshirc    picus . 

<*i  Constitiiiioiis  de  Clarendon,   art.  9,  dans  p.  i.xvi  :  désignation  insuflTisante,  car  eUe  pour- 

Stubbs,  Select  charters,  Oxford,  1876,  p.  iSg.  rait  légitimement  s'applicpier  à  bien  d'autres 

—  Ce  genre  de  procès  est  appelé  assez  souvent,  affaires    (exemple     d'un    autre    plaid    Utriim 

en  Angleterre,  l'assise  Ufrnm  {utrnm  icnementtim  dans  le  Très  ancien  Coutumier,  ch.  i.xxxvi,  De 

Htpertinemadeleenwsinam  .nveadlaicumfeodiim),  feodo  et  vadio,  $  i). 


5/1  LES  COLTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

visager  une  espèce  un  peu  dilTércnte,  dans  laquelle,  suivant  lui,  la  cour 
d'Église  sera  compétente  à  l'exclusion  de  toute  enquête  par  le  voisi- 
nage. Un  individu  a  donné  à  une  église  une  terre  en  aumône.  Cette 
donation  a  été  faite  par-devant  des  évêques,  des  clercs  et  des  laïques, 
ces  derniers  peu  nombreux  [plaribus  clericis  et  paucis  laicis).  Or  voici 
que,  dans  l'année  même  de  la  donation,  le  laïque  donateur  ou  son 
héritier  veut  enlever  ce  bien  à  l'église  par  la  voie  d'un  «  requenois- 
«  santde  fié  ou  d'aumosne  ».  Cette  espèce  semble  bien,  à  première  vue, 
analogue  à  celles  dont  l'auteur  s'est  occupé  au  chapitre  xviii  et  au 
paragraphe  i"  du  chapitre  lvii.  Mais,  très  dévoué  à  l'Eglise,  notre 
anonyme  aperçoit  ici  la  possibilité  d'établir  une  distinction  :  la  pré- 
sence des  évêques  et  d'une  majorité  de  clercs  assistant  à  la  donation 
exclut  à  ses  yeux  la  procédure  d'enquête  auprès  des  voisins  :  Reco- 
gnitionem  non  habebil,  quia  vicmetam  de  donations  nihil  scit,  sed  per 
fidèle  testimonium  episcopi  et  eorum  qui  donationi  affuerunt  donationis  Veri- 
tas requiratur.  Ainsi,  en  ce  cas,  point  d'enquête  auprès  des  voisins. 
Un  laïque  ferait  ici  observer  à  notre  jurisconsulte  qu'il  résout  la 
question  paria  question.  S'il  y  a  eu  donation  en  aumône  par-<levant  une 
certaine  catégorie  de  témoins,  il  n'y  aura  pas  «  requenoissant  de  fié  ou 
M  d'aumosne  »  ;  ce  sont  ces  témoins  spéciaux  qui  décideront  eux-mêmes. 
Mais  leur  solution  est  par  avance  certaine.  Pour  déterminer  par  quelle 
procédure  on  statuera  sur  le  fond,  vous  commencez  par  résoudre  le 
fond  lui-même.  Vous  savez  qu'il  y  a  eu  donation  en  aumône,  et  pour- 
tant c'est  ce  point  qu'il  s'agit  de  trancher''^.  Ce  trait  ne  révèle-t-il  pas 
un  clerc,  qui,  par  état,  est  favorable  à  fhypothèse  d'un  bien  aumône  ? 
Notre  jurisconsulte  clerc  est  d'ailleurs  bien  armé.  Il  ne  manquera  pas 
d'invoquer  à  l'appui  de  sa  thèse  les  termes  d'un  accord  singulièrement 
favorable  à  l'Eglise  qui  fut  conclu,  vers  1 190,  entre  l'archevêque  de 
Rouen  et  le  sénéchal  de  Normandie  :  Item.  Nulla  fiet  rccognitio  in 
fora  seculari  super  possessione  quam  vin  religwsi  vel  quecumque  ecclesias- 
tice  persone  xx  annis  vel  amplius  possederinl.  Similiter  nulla  fiet  recognitio 
si  caria  vel  aho  modo  eleemosinatam.  esse  possessionem  probare  poterint,  sed 

'')  Dans  une  défense  du  même  genre  opposée  et  ehmosina,  S  3;  édit.  Tardif,  p.  296)  :  cette 

parla  partieadverse,leGrandCoutumii>radmet  solution  du  Grand  Coulumier  est  conforme  à 

précisément  une  enquête;  ce  qui  est  très  lo-  une  décision  de  l'Ecliiquier  de  iai8  (L.  De- 

gi(|ue.  Si  cette  enquête  est  favorable ,  l'affaire  lisle ,    Recae'U    dfs   juifvmcnls    tL:    l'Echiquier, 

tera     portée    devant    le   juge    ecclésiastique  \\°  :iio ,  dtins  Notices  et  extraits  des  manuscrits , 

[Summadv  le<jibiu ,  chap.  lxv.  De  brevi  defeudo  t.  XX,  a*  partie). 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  55 

ad  ecclesiasticos  judices  remit tentnr^^K  La  solution  préconisée  par  notre 
jurisconsulte  n'est,  à  le  bien  prendre,  autre  chose  que  l'interprétation 
forcée  de  ces  mots  élastiques,  alio  modo. 

Qui  encore,  sinon  un  clerc,  a  pu  se  préoccuper  de  cette  question 
piquante  :  les  hommes  qui  dépendent  des  églises  peuvent-ils  faire  des 
dons  en  aumône?  Voici  l'intérêt  de  ce  petit  problème.  Un  don  en 
aumône  constitue,  au  profit  de  l'église,  une  terre  libre  de  redevances 
et,  par  conséquent,  appauvrit  le  seigneur  de  qui  relève  le  bien 
aumône.  Supposez  que  ce  suzerain  soit  lui-même  une  église  :  cette 
église  subira-t-elle  cet  appauvrissement,  cet  amoindrissement?  Notre 
anonyme  ne  l'admet  pas  :  Homines  vero  episcoporum  vel  abbatum  vel 
alicujus  ccclesie  nnllam  possnnt  dare  terram  in  elemostnam,  nisi  infraannum 
alicai  vendatur''^^  Nous  n'entendons  point  critiquer  la  justesse  de  cette 
solution.  Mais  nous  estimons  qu'un  clerc  et  non  un  laïque  a  sou- 
levé ce  problème  juridique,  qui  n'a  d'intérêt  que  pour  l'Eglise. 

Au  chapitre  vu,  S  7,  notre  auteur  constate  que  les  tribunaux  sécu- 
liers statuent  sur  les  questions  de  douaire  ou  de  mariage  [maritagium]  ; 
mais  il  a  soin  de  faire  remarquer  que  cet  arrangement  a  été  pris  à  la 
suite  d'une  concession  de  l'Eglise,  ecclesiastica  curia  concedente,  et  que, 
si  l'affaire  donne  lieu  à  la  constatation  d'un  délit,  si  in  malicia  sua  con- 
viai fuerint  in  laica  curia,  l'Eglise  redevient  compétente  pour  infliger  la 
peine  encourue,  c'est-à-dire,  le  plus  souvent,  pour  percevoir  une 
somme  d'argent  :  In  ecclesiastica  curia  satisfacere  tenentur,  per  consli- 
tutam  pecuniam  vel  corpons  penitenciam  castiqati. 

(leci  nous  conduit  à  signaler  les  curieux  passages  dans  lesquels 
notre  anonyme,  avec  une  finesse  toute  normande,  donne,  à  sa  ma- 
nière, les  raisonsdes  choses  :  ces  raisons,  souvent  artificielles,  toujours 
ingénieuses,  véritables  explications  de  diplomate,  ont  pour  objet 
de  présenter  les  faits  sous  la  couleur  la  plus  avantageuse.  Il  est  mani- 
feste, par  exemple,  que  l'attribution  aux  cours  sécuhères  des  causes  de 
douaire  ou  de  maritagium  est  une  grave  défaite  pour  TÉglise.  Non  seu- 
lement cette  défaite  est  atténuée  par  les  passages  que  nous  venons  de 
relever,  mais  elle  est  encore  expliquée.  On  a  voulu,  déclare  le  juris- 
consulte normand,  éviter  aux  plaideurs  les  lenteurs  des  appels  ecclé- 
siastiques :  appel  de  l'archidiacre  à  l'évêque;  de  l'évêque  à  TarcheT 

'''  RaclulCus  de  Uiceto ,  ymn^inw  Aistonncffm ,  '^'  Le  Très  ancien  Coiitumii-r  de  Nonnandic, 

édit.  W  .  Stubbs .  t.  H ,  p.  H-.  texte  latin .  chap.  lvii  ,  S  5  ;  édit.  Tardif,  p.  48. 


56  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

vêquc;  de  l'archevêque  au  Souverain  Pontife.  Dans  un  autre  passage 
(cliap.  II,  S  i),  notre  anonyme  s'occupe  des  excommunications  et 
reconnaît  que  les  comtes,  barons,  chevaliers  faisant  partie  de  la  maison 
du  duc  de  Normandie  ou  les  sergents  du  duc  ne  peuvent  être  excom- 
muniés à  l'insu  du  duc  ou  du  sénéchal,  duce  vel  ejus  capitali  justicia 
nesciente.  Il  est  clair  que  cette  concession  a  été  arrachée  à  l'Eglise  par 
le  pouvoir  civil,  qui,  de  cette  manière,  se  ménage  dans  une  foule  de 
cas  l'impunité;  ceux  que  l'Eglise  serait  si  souvent  tentée  d'excom- 
munier se  trouvent  couverts  par  la  puissante  protection  du  duc  qu'ils 
représentent.  Mais  cette  explication  toute  simple  aurait  le  grave  dé- 
faut d'avouer  la  défaite  et  la  faiblesse  de  l'Eglise.  Celle  du  juris- 
consulte est  tout  autre  et  bien  plus  élégante  :  Non  enim  bonum  est 
principem  et  dominum  terre  cnm  excominanicatis  coinmunicare.  De  la  sorte 
tout  est  sauvegardé,  et  même,  ainsi  présentée,  cette  restriction  aux 
droits  de  l'Église  ne  semble  avoir  d'autre  but  que  d'assurer  l'observa- 
tion des  lois  de  l'Eglise. 

C'est  peut-être  dans  le  chapitre  consacré  au  droit  de  garde  féodale 
(chap.  xi)  que  notre  auteur  a  poussé  le  plus  loin  ce  talent  viaimenl 
trompeur;  il  est  allé  jusqu'à  donner  le  change  sur  le  fond  même  du 
droit.  Son  bon  naturel  l'a  inspiré.  Il  ne  s'agit  plus  ici  des  droits  de 
l'Eglise,  mais  de  la  protection  des  orphelins,  auxquels  l'anonyme  s'in- 
téresse pour  eux-mêmes,  avec  affection ,  avec  cœur,  comme  en  général 
aux  pauvres  et  aux  faibles  '*'.  La  garde  féodale,  constituée  dans  l'intérêt 
du  suzerain,  s'explique  par  la  fragilité  primitive  des  tenures  féodales. 
A  forigine,  le  fief  revenait  au  suzerain  à  la  mort  du  vassal.  Au  xii*  et 
au  XIII*  siècle '^\  le  vassal  mort,  son  fils  mineur  ne  perdait  plus  le  fiel, 
mais  il  était  privé  des  revenus  du  fief  qui  appartenaient  au  suzerain, 
celui-ci  ayant  seulement  à  pourvoir  aux  dépenses  et  à  l'entretien  de 
l'orphelin.  Cette  situation  est  très  dure  pour  l'orphelin.  L'anonyme 
imagine  les  raisons  les  plus  singulières  pour  expliquer  cette  garde 
féodale.  Que  si  nous  cherchons  sa  doctrine  sur  l'attribution  des  revenus 
du  fief,  nous  ne  rencontrons  d'autre  formule  que  celle-ci  :  Et  exitns 
terre  eorum  ponent  in  provectum  ipsorum  parvaloriim^^^ ;  ce  qui  parait,  à 
première  vue,  tout  à  fait  contraire  au  système  que  nous  venons  d'ex- 
poser. Mais,  en  y  regardant  de  près,  nous  découvrons  ici  l'ingénieux 

'■'  Cl)ap.  XVI,  S  3;  xvii,  S  i  ;  xix.Si  ;  p.  18,  30.  —  '*'  Snmma  de  legibus,  chop.  xxxi.S  16;  édit. 
Tardif,  p.  106.  —  '''  (^hap.  xi,  p.  10,  12. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  57 

artifice  d'un  très  bon  cœur.  Notre  jurisconsulte  ou  plutôt  notre  mo- 
raliste a  donné  pour  coutume  normande  ce  qui  n'est  guère  qu'une 
conception  de  son  esprit.  Cet  aveu  (qu'un  bourdon  a  fait  tomber 
dans  les  manuscrits  autres  que  celui  de  Rome)  vient,  en  effet,  dé- 
truire l'idylle  :  Nnncautem,  avaricia  régnante,  statuta  legis  evertentes  domini 
bona  dissipant  parvulorum. 

Après  avoir  traité  de  la  garde  exercée  par  les  seigneurs  normands, 
le  jurisconsulte  s'occupe  de  la  garde  exercée  par  le  duc  de  Norman- 
die, garde  très  large,  qui  absorbe  toute  autre  garde,  en  ce  sens  que, 
si  le  vassal  tient  un  fief  quelconque  directement  du  duc  et  possède 
d'ailleurs  beaucoup  d'autres  terres  relevant  d'un  autre  suzerain  ou  de 
plusieurs  autres  suzerains,  c'est  le  duc  seul  qui  aura  la  garde,  et  c'est 
lui  qui  prendra  en  sa  main  toutes  les  terres  de  l'orphelin,  quel  que 
soit  le  suzerain.  L'anonyme  oublie  volontairement  de  parler  des  reve- 
nus; mais  nous  savons  que  les  produits  des  terres  tenues  en  garde 
formaient  un  des  articles  de  recette  des  budgets  ducaux;  c'est  un 
lait  que  M.  Delislea  mis  depuis  longtemps  en  lumière,  dans  son  étude 
sur  les  revenus  publics  en  Normandie  '''. 

On  le  voit,  le  système  du  bail  seigneurial  est  comme  dissimulé, 
voilé  par  notre  bon  jurisconsulte.  Il  a  voulu  aussi,  nous  le  disions  à 
l'instant,  donner  la  raison  de  cette  garde  féodale.  Il  résout  assez  mal 
le  problème,  ne  songeant  pas  un  moment  à  l'explication  historique. 
Pourquoi  donc,  se  demande-t-il,  pourquoi  ce  bail  seigneurial  plutôt 
que  le  bail  par  les  parents?  Et,  tout  d'abord,  pourquoi  la  garde  de 
l'enfant  n'appartient-elle  pas  à  la  mère?  Voici  la  réponse:  la  mère 
peut  se  remarier  ;  le  beau-père  pourrait  être  tenté  de  tuer  l'orphe- 
lin, afin  d'assurer  la  succession  à  ses  propres  enfants;  ceux-ci  pour- 
raient avoir  la  même  pensée.  Pourquoi  la  garde  n'appartient-elle 
pas  non  plus  aux  parents?  Parce  que  ceux-ci,  convoitant  l'héritage, 
pourraient  commettre  le  même  crime  :  pour  le  rendre  impossible,  on 
a  décidé  que  l'orphelin  serait  donné  en  garde  à  celui  qui  fut  lié  à  son 
père  parla  réception  de  la  foi  et  hommage,  c'est-à-dire  au  suzerain. 
Certes,  voilà  une  belle  pensée  :  c'est  un  honneur  pour  la  féodalité 
qu'elle  ait  pu  venir  à  l'esprit  d'un  homme  du  xii*  siècle.  Nous  goûtons 


'"'  L.  Delisle,   Des  revenus  publics  en  Normandie    au   xti'   siècle,   dans  Bibliothèque  de  l'École 
des  chartes,  3'  série,  t.  III,  p.  99. 

UIST.    LITTKB.    —    XXXIII.  8 


58  LES  COUTUMIKRS  DK  NORMANDIE. 

tout  ce  qu'il  y  a  de  louchant,  tout  ce  qu'il  y  a  de  profond  et  de  sincère 
dans  cette  parole  qui  porte  en  soi  un  si  simple  et  si  bel  éloge  de  la 
domesticité,  de  la  «  mesnie  »  féodale:  Domini .  .  .  nonpossunt  odio  Itabere 
(inos  nutrierunt ,  immn  eos  diligent per sincère  dilectionis  nutrituram.  Mais,  si 
nous  examinons  attentivement  la  situation,  nous  nous  apercevons  que 
toutes  ces  explications  sont  artificielles  et  sei^ent  à  embellir  ou  même 
à  dénaturer  un  droit  féodal  qui  n'a  en  soi  rien  de  si  délicat,  rien  de 
si  noble.  Notre  auteur  lui-même  nous  apprend,  en  effet,  que  celle 
garde  féodale  n'existe  pas  pour  le  fils  du  vavasseur.  Qu'est-ce  à  dire? 
Le  fils  du  vavasseur  ne  court-il  pas  dans  sa  propre  famille  les  mêmes 
dangers  que  le  fils  du  vassus  ?  Et  son  seigneur  n'a-t-il  pas  reçu  aussi 
sa  foi  et  hommage  ?  Mais  l'anonyme  n'aperçoit  pas  ces  objections.  Il 
a  brodé,  comme  il  arrive  si  souvent,  une  tapisserie  élégante  qui  cache 
au  lecteur  superficiel,  et  lui  cache  peut-être  à  lui-même,  les  vraies 
raisons  des  choses.  Ce  Normand  est  très  fin,  mais  il  est  aussi  très  bon. 
Son  àme  déborde  sur  son  œuvre,  et  l'homme  ici  se  trahit  derrière  le 
juriste.  Le  moraliste  et  le  psychologue  liront  ce  traité  de  droit  avec 
intérêt.  Le  jurisconsulte  et  l'historien  l'interrogeront  avec  quelque 
précaution. 

Nous  soupçonnonsqu'unesorlede  préface  générale,  dont  il  ne  nous 
est  peut-être  resté  que  des  fragments,  figurait  originairement  en  tête 
de  ce  premier  traité.  Cette  œuvre  semble  être  mentionnée  deux  fois 
par  l'auteur  de  la  première  partie,  lequel  s'exprime  ainsi  :  In  scripto 
(jenerali  prenolatur;  In  scripto  generali  dictam  es^''^.  Ces  renvois  nous 
apprennent  du  même  coup  que  le  Scriptum(jenerale  trailail^enive  autres 
choses  :  i"  des  successions  échues  à  plusieurs  sœurs;  2"  de  la  procé- 
dure à  suivre  en  cas  de  contestation  entre  un  curé  [preshyter)  et  un 
laïque  au  sujet  d'un  bien  possédé  par  ce  curé  à  titre  d'aumône. 
Une  troisième  mention  vise,  suivant  toute  probabilité,  le  même 
Scriptum  (jenerale  :  Qnilibet  dominas  habel  placita  sua  et  farta  el  domina- 
tiones  saas  in  terris  sais,  exceptis  placitis  illis  <iae  sant  ducis,  qae  in  précé- 
dente sunl  scripto  et  claasulis  prenotata^'K  Telle  est,  du  moins,  la  leçon 
du  manuscrit  de  Rome;  les  autres  manuscrits  portent  :  cfue  sant  alibi 
prenotata.  Alibi  est  un  résumé  des  mots  in  précédente  scripto  et  claasalis. 


C'  Ciap.  XIII,  i.vii.  Cette  observation  n  été  faite  avant  nous  par  M.  L.  de  N.,  dans  Revue  des 
questions  liist.,  t.  \XXI1,  1883  ,   p.  .S^j).  —  ^''  Ciinp.  lix. 


LES  CPUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  59 

Mais  une  objection  sérieuse  surgit  immédiatement  :  le  Scr'ip- 
tum  (jenerale  ne  serait-il  pas  précisément  notre  traité?  Le  morceau 
auquel  renvoie  le  chapitre  xiii  pourrait  bien,  en  effet,  être  tout 
simplement  le  chapitre  ix;  celui  auquel  renvoie  le  chapitre  lvii 
pourrait  être  le  chapitre  xviii;  celui  auquel  renvoie  le  chapitre  lix 
pourrait  être  le  chapitre  lui,  De  placitis  ensis  ad  ducem  pertinenti- 
bus.  Nous  y  consentons.  Mais  toute  difficulté  n'est  pas  levée  par 
cette  solution.  Il  serait  étrange  qu'un  auteur,  faisant  allusion  à 
ce  qu'il  a  dit  quelques  pages  plus  haut,  désignât  son  œuvre  par  les 
mots  :  In  scripto  (jenerali  prenotatiir ;  In  précédente  scripto  prenotata, 
au  lieu  de  supra  ou  superlus  prenotatnr,  ou  quelque  chose  de  ce 
genre.  En  l'état,  notre  auteur  se  répète  aux  chapitres  xviii  et  lvii  ; 
il  reprend  le  même  sujet,  à  deux  pages  de  distance,  aux  cha- 
pitres IX  et  XIII.  Ces  répétitions  sont  fort  singulières.  Tout  s'expli- 
querait, si  l'on  admettait  que  les  morceaux  auxquels  renvoient  les 
chapitres  xiii  et  lvii  appartenaient  à  un  traité  originairement  dis- 
tinct, comme  le  fait  d'ailleurs  supposer  f  expression  :  In  scripto  (jene- 
rali prenotatur,  et  si  fon  ajoutait  que  ce  Scriptum  générale,  sorte 
d'introduction  générale,  fut  de  bonne  heure  en  partie  supprimé, 
en  partie  fondu  avec  le  traité  qui  originairement  le  suivait,  les  ren- 
vois à  cette  introduction  subsistant  sous  leur  forme  primitive  qui 
n'avait  plus  de  raison  d'être. 

Cette  hypothèse  de  remaniements  dans  la  première  partie  du  Très 
ancien  Coutumier  a  déjà  été  émise  par  M.  Tardif'',  qui  ne  songe  pas, 
d'ailleurs,  à  l'existence  primitive  d'une  sorte  de  préface  générale, 
mais  qui  s'étonne,  comme  nous,  de  certaines  répétitions,  et  signale, 
d'ailleurs,  d'autres  perturbations. 

Le  manuscrit  français  unique  du  Très  ancien  Coutumier  est  mutilé 
au  commencement.  M.  Tardif,  cherchant  en  vain  dans  la  traduction 
française  quelques  fragments  que  lui  fournit  le  ms.  lat.  i  loSa 
(manuscrit  où  l'ordre  des  matières  est  sans  cesse  bouleversé) ,  a  placé 
ces  fragments  embarrassants  en  tête  de  l'ouvrage.  Cette  place  est  la 
bonne.  Elle  est  aujourd'hui  justifiée  par  le  manuscrit  latin  de  la  pre- 
mière partie,  que  ne  connaissait  pas  M.  Tardif.  Nous  sommes  portés 
à  croire  que  tels  de  ces  fragments,  peut-être  tous  ces  fragments, 

'''  ïardit,  p.  lxxvi. 


60  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

pourraient  appartenir  à  notre  Scriptum  générale.  En  ce  cas,  l'Intro- 
duction générale  aurait  fait  mention  du  serment  du  duc  lors  de  son 
installation,  serment  relatif  à  ses  devoirs  envers  l'Eglise  (c'est  l'objet 
du  chapitre  i"  de  l'édition  Tardif).  Elle  se  serait  occupée  des  excom- 
munications, aurait  précisé  la  situation  des  excommuniés  vis-à-vis 
du  pouvoir  civil  et  de  l'autorité  ecclésiastique,  mentionné  et  expliqué 
ingénieusement,  à  propos  de  ces  mêmes  excommunications,  la  faveur 
accordée  aux  officiers  du  duc  (c'est  l'objet  du  chapitre  ii);  elle  se 
serait  occupée  des  veuves  et  des  orphelins,  du  maritagium  et  du 
douaire  (c'est  l'objet  des  chapitres  m  et  iv). 

Nous  remarquerons,  en  passant,  cjne  tous  les  sujets  signalés  comme 
ayant  pu  être  abordés  dans  cette  hypothétique  introduction  générale, 
ultérieurement  supprimée,  touchent  par  quelque  côté  aux  droits  de 
l'Eglise  ou  à  ceux  du  duc  :  serment  du  duc  relatif  à  ses  devoirs  envers 
l'Eglise;  excommunication;  droits  des  veuves  et  des  orphelins;  mari- 
tagium  et  douaire;  partage  entre  sœurs  (l'Eglise  ne  se  désintéresse  pas 
entièrement  des  questions  touchant  aux  droits  des  femmes;  on  sait 
d'ailleurs  que  le  maritaginm  est  constitué  ad  ostium  ecc/esie);  débat 
entre  laïque  et  cviré  au  sujet  d'un  bien  que  le  curé  soutient  être  au- 
mône. On  serait  donc  tenté  d'émettre  cette  seconde  hypothèse  :  l'au- 
teur du  Scriptum  générale,  que  nous  tenons  pour  le  même  écrivain  que 
l'auteur  de  la  première  partie  du  Très  ancien  Coutumier,  s'était  surtout 

F  réoccupé,  dans  cette  sorte  d'introduction  générale,  des  droits  de 
Eghse  et  de  ceux  du  duc  de  Normandie.  Enfin .  il  avait  probablement 
inséré  le  texte  de  quelques  brefs;  c'est  ce  que  nous  indique  le  mot 
clausnlis  du  chapitre  lix. 

Nous  n'avons  pu  étudier  cette  première  partie  du  Très  ancien  Cou- 
tumier sans  faire  usage  du  manuscrit  de  Rome,  resté  inconnu  au  der- 
nier éditeur.  Nous  transcrivons  ici,  d'après  ce  manuscrit,  quelques 
Iragments  importants  que  ne  donnent  pas  les  éditions  latines  du 
Coutumier,  ou  qui  y  sont  défigurés. 

A  la  fin  du  chapitre  xiv,  De  pupillis,  ces  mots  qui  n'étaient  repré- 
sentés jusqu'ici  que  dans  la  traduction  française  :  Et  hoc  jndicatum  in 
assisia  apud  Vallem  Rodolii. 

Au  chapitre  xxi,  S  -2  ,  la  première  phrase  est  ainsi  conçue  :  Et  si  ali- 
(jais  hères  propimjuior  ahcnjus  hominis  dejuncti  alifiiiem  pussidere  permiseri . 
perxii  autompnos  sine  (jucrimonia,eic.  Ce  texte,  très  satisfaisant,  est  re- 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  61 

présenté  dans  la  traduction  française.  Il  devra,  croyons-nous,  être 
substitué  au  texte  des  autres  manuscrits  latins  et  de  la  dernière 
édition. 

La  dernière  phrase  du  chapitre  xxxv,  §  i,  semble  devoir  être  resti- 
tuée et  complétée  ainsi  qu'il  suit  :  «  Et  si  \pater]fiUum  suum  iiiujue  mul- 
«  trieril,  et  inde  convictus  fuerit,  morte  puniatur.  Si  vero  mater  filium 
M  suum  inique  multrierit,  combnratur.  »  Les  mots  imprimés  en  italiques 
manquent  dans  les  manuscrits  autres  que  celui  de  Rome  -et  ne  sont 
pas  représentés  dans  la  traduction  française.  On  se  demandera  peut- 
être  comment  concilier  ce  passage  avec  l'article  4  du  même  chapitre  : 
Si  mater  filium  vel  jiliam  inicjue  occidurit,  a  potestate  ducis  exaîabit,  sicut 
et  pater.  Mais  il  n'est  pas  impossible  d'harmoniser  cet  article  avec  nos 
textes.  Pour  rendre  compte  des  paragraphes  i  et  4»  on  distinguera 
trois  genres  d'homicide  par  le  père  ou  la  mère,  et  trois  pénalités  :  la 
mort  donnée  par  accident  (pénitence  ecclésiastique);  la  mort,  donnée 
en  trahison  ou  meurtre  (peine  de  mort);  la  mort  donnée  inu^ue,  mais 
ne  méritant  pas  la  qualification  de  meurtre  (bannissement).  Cette 
explication  est  d'autant  plus  acceptable  que  le  texte  du  paragraphe  i", 
même  non  complété  par  le  manuscrit  de  Rome,  fait  déjà,  pour  le 
père  homicide,  cette  triple  distinction.  Notre  texte,  très  logiquement, 
traite  la  mère  homicide  comme  le  père  homicide. 

Au  paragraphe  6  du  chapitre  xxxvi  :  sigillum  ducis  au  lieu  de  brève 
dacis  :  le  texte  français  a  de  même  le  seel  le  duc. 

Au  chapitre  li,  S  2,  après  les  mots  lesione  vestium,  cette  petite 
phrase  :  Ita  tamen  si  per  vicinos  nota  fuerit  violentia  in  precio  oblata  et  in 
lesione  vestium.  L'omission  est  évidemment  le  résultat  d'un  bourdon; 
cette  phrase  est  en  partie  représentée  dans  la  traduction  française. 

Au  chapitre  lvi,  §4,  les  mots  etjilii  rationabiliter  après  ipse  et  uxor 
ejus.  Ici  encore,  la  traduction  française  reproduit  les  mots  omis. 

Au  chapitre  lvii,  S  5,  après  vendatur,  les  mots  alicui  dico  in  territorio 
residenti  complètent  et  précisent  le  svstème  de  la  mise  hors  des  mains; 
ces  mots  sont  représentés  dans  la  traduction  française. 

Les  chapitres  xxxii,  xxxiii,  xxxiv,  xxxix,  dont  nous  ne  possédions 
que  la  traduction  française,  sont  ainsi  conçus  dans  l'original  latin  : 

\xxii.  De  particione  inter  fratres  et  non  de  sororibus.  —  i .  Si  frater  primogenitus 
partem  terre  parlibilis  postgenito  frairi  auferre  volucrit,  dicens  se  eidem  peccuniam 
dédisse  ut  ei  partem  omicteret  terre  que  ipsum  fratrem  contingebat.  de  qua  tiun- 


62  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

([uani  saisitus  fuerit,  non  teiielur  :  quomodo  poluit  vendere  postgenitus  qiiod 
nunqu.am  habuîtP  Nulla  fiet  lirma  inter  fratres  particio  terre,  nisi  aiiquam  parteni 
terre  quantulamcunque  frater  postgenitus  possidere  videbilur  per  aliquos  dies. 
2.  Si  vero  contingerit  patrem  vel  matrcm  fdios  vel  fiiias  habere  quorum  primus 
vel  secundus  uxorem  duxerit  et  fdios  habeat  et  nullani  terre  habuerit  portionem  vi-, 
vente  pâtre  et  matre,  et  ita  maritus  obierit,  filii  ejusnon  habebunt  hercditatem  avi; 
sed  avunculi  eam  habebunt,  quamvis  postgeniti;  propinquiores  enim  sunt  fdii 
hereditalis  patris  quam  nepotes.  Non  similiter  de  sororibus  quam  adest(?)  de  fdiis; 
sed  fdia  ioco  matris  sue  in  successione  erit. 

xxxiii.  De  venditione  nemorum.  —  Nemora  non  vendantur  in  meatibus  marchie, 
nisi  assensu  ducis  vel  ejus  jusiitie. 

xxxrv.  De  terra  data. —  i .  Si  frater  fratri,  vei  soror  sorori,  vei  cognatus  cognato 
portionem  terre  dederit  et  ejus  hommagium  ceperit  et  homo  sine  herede  obierit, 
hereditas  non  revertetur  ad  mensam  domini  de  qua  partita  est,  sed  propinquioribiis 
heredibus  defuncti,  nepotibus  vel  cognatis. 

a.  Si  aliquis  dominus  alicui  pro  servitio  suoterram  dederit,  et  suum  hommngiuni 
[inde  habuerit],  et  aiius  homo  qui  majus  jus  in  terra  illa  habeat  eum  inpiacitaverit, 
et  per  piacitum  terram  iilam  perdat,  dominus  donator  ei  non  respondebit  nec 
aliam  terram  ei  escambiabit.  Piacitum  enim  non  pertinet  ad  homineni  sed  ad  do- 
minum  donatorem  quidonum  suum  débet  guarantizare.  Qui  donator  ante  piacitum 
requisitus  guarantizandi  et  placitandi  pro  homine  suo,  si  vel  per  piacitum  vel  per 
defectam  suam  terram  suam  perdiderit,  homini  suo  donum  equivaienter  escam- 
biare  tenetur. 

XXXIX.  De  daellis.  —  Nulius  homo  mehainatus  vel  mulier  aiiquem  potest  appel- 
lare  nisi  de  mahaino  suo  de  quo  malefactor  ferri  judicio  se  purgabit. 

Nous  n'insistons  pas  sur  quelques  leçons  utiles,  mais  d'importance 
secondaire,  et  nous  ne  relevons  pas  une  seconde  fois  les  leçons  que 
nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  citer.  La  comparaison  de  ce  manu- 
scrit nouveau  et  de  la  traduction  française  prouve  que  le  traducteur 
s'était  servi  d'un  fort  bon  manuscrit,  très  voisin  de  celui  de  Rome. 

La  critique  de  la  seconde  partie  du  Coutumier  est  beaucoup  plus 
simple  que  celle  de  la  première  partie.  Nous  constatons  tout  d'abord 
très  facilement  que  ce  traité  est  postérieur  à  l'année  1 207,  car  l'or- 
donnance de  Philippe  Auguste  de  1207,  relative  aux  contestations 
sur  le  patronage  des  églises,  est  reproduite  dans  le  chapitre  lxxvii  <'). 

'"'Cf.  Tardif,    Très   ancien    Coiilumier,   p.  Lxxn,  lxmu,  LXXiv,  Lxxxv,  chap.  Lxxvn,  S  7. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


63 


On  peut  préciser  davantage  et  ajouter  que  l'œuvre  est  postérieure 
à  la  Pâques  de  1218,  car  un  statut  promulgué  à  cette  date,  statut  que 
l'auteur  qualifie  de  nouveau,  est  visé  au  chapitre  Lxxxvii,  De  feodo  et 
firina''^^;  antérieure  enfin  à  la  mort  de  Philippe  Auguste  (i223),  car 
l'auteur  parle  de  ce  monarque  comme  d'un  prince  régnant:  Termi- 
nantur  per  constitutionem  Philippi  régis  Francie;  Procedilur  secundum 
constitutionem  illustris  régis  Francie  Philippi '''^K 

On  opposera  peut-être  à  cette  date  extrême,  1228,  les  mots  post 
coronationem  régis  Ricardi,  qui  sont  insérés  dans  deux  formules  de  brefs 
aux  chapitres  lxxxv,  S  1  et  lxxxvi,  S  1 .  Ces  mots  sembleraient,  en  effet, 
nous  reporter  à  une  date  postérieure  à  1229,  car  on  admet  générale- 
ment que  c'est  seulement  depuis  la  Saint-Michel  1229  qu'on  prit  pour 
point  de  départ  du  «  requenoissant  de  fié  et  de  gage  »  le  couronnement 
de  Richard  Cœur  de  Lion  (  1 1 89)  au  lieu  de  celui  de  Henri  II  (  1 1 54) , 
qui  avait  jusque-là  servi  de  terme  initial '^^  MM,  Brunner  et  Tardif 
écartent  cette  difficulté  en  supposant  que  le  mot  Ricardi  est  une  inter- 
polation. Nous  avons,  quant  à  nous, vu  l'accord  des  manuscrits,  quelque 
peine  à  nous  résoudre  à  considérer  le  mot  Ricardi  comme  une  interpo- 
lation. La  chose,  sans  doute ,  est  possible.  Mais  on  peut  supposer  aussi 
que  fauteur  lui-même  a  substitué  ce  mot  à  Henrici  quelques  années 
après  fachèvement  de  son  œuvre.  Et  même  pourquoi  n'aurait-il  pas,  le 
premier,  avant  la  décision  judiciaire  de  1229,  pris  finitiative  d'adop- 
ter le  couronnement  de  Richard  Cœur  de  Lion  au  lieu  de  celui  de 
Henri  II  pour  point  de  départ  du  «  requenoissant  de  fié  et  de  gage  », 
se  basant  par  analogie  sur  la  décision  de  la  Saint-Michel  de  1228, 


'"'  On  pourrait  être  tenté  de  rapproclier  le 
chapitre  lxxxiv,  S  iifeoda  mililum  anumqaodque 
per  xr  libras ,  sive  teneantur  in  capite  de  rege, 
sive  de  aliis.  d'une  décision  de  l'Echiquier  de 
1219  :  Preceptiim  est  quod  pueri  filii  Symonis 
de  Oumei  habeant  lerram  suam,  que  in  manu 
domini  reijis  ralione  custode  [erat],  et  qaod  do- 
mino régi  reddani  relevium  terre  illiiis,  videlicet 
xxii  libras  taronenaiam  et  x  solidos  pro  uno  feodo 
et  dtmidio.  Ce  texte  implique  un  tarif  de  quinze 
livres  pour  le  relief  d'un  fief  de  chevalier:  c'est 
ce  que  fait  ressortir  fort  exactement  une  autre 
compilation  :  Jiidicatam  est  quod  feodum  lorice 
relevai  per  qtiindecim  libras  turon.  (L.  Delisle, 
Recueil  des  jugements  de  l'Echiquier  de  Nor- 
mandie  au    xiii'   siècle,    n"    203  ;    Léchandé 


d'Anisy,  Magni  rotuli  Scaccarii  Normanniw , 
p.  i4o)  :  2  2  livres  et  lo  sols  pour  un  fief  et 
demi  font,  en  effet,  i5  livres  pour  un  fief. 
On  ajouterait  que,  ce  tarif  de  cpiinze  livres  étant 
dégagé  aussi  dans  le  chapitre  lxxxiv,  S  i,  ledit 
chapitre  doit  être  postérieur  à  la  décision  de 
1 2 1 9  ;  mais  cette  conclusion  ne  serait  pas  lé- 
gitime ,  car  la  décision  de  i  a  i  g  n'est  elle- 
même  que  l'application  d'un  tarif  préexistant. 
Voir  les  textes  cités  par  M.  L.  Delisle,  dans 
Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  3*  série,  t.  111, 
p.  99,  note  5. 

'''  Très  ancien  Coatumier,  chap.  r,xxiii ,  S  1  • 
chap.  i.xxvii,  S  7. 

'^'  Siimma  de  legibus,  ch.  cxi,  S  i3,  édit. 
J.  Tardif,  p.  280. 


64  LB:S  COLTUMIERS  de  NORMANDIE. 

qui  assignait  le  couronnement  de  Richard  pour  point  de  départ  des 
enquêtes  fiscales''' ?  Son  opinion  aurait  été  simplement  sanctionnée 
par  la  décision  de  l'Échiquier  de  1329  :  Judicatam  est  (juod  recofjni- 
tio  de  feodo  et  vadio  non  curret  nisi  de  post  coroaamentum  régis  Ricardi  '"'. 
Nous  irons  plus  loin  :  l'Échiquier  a  pu,  en  12 23  et  en  1229,  sta- 
tuer d'après  une  jurisprudence  déjà  en  formation,  non  pas  innover. 
L'expression  judicaturn  est  conviendrait  très  bien  à  une  décision 
de  cette  nature.  Elle  est  commune  aux  arrêts  de  12 23  (postérieur 
de  plus  de  deux  mois  à  la  mort  de  Philippe  Auguste)  et  de  1229.  Si 
nous  acceptions,  sans  rien  y  changer,  une  assertion  de  l'auteur  du 
Grand  Coutumier,  nous  dirions  qu'un  établissement  de  plein  Echiquier 
rendu  sous  Philippe  Auguste  substitua  le  couronnement  de  Richard 
Cœur  de  Lion  à  celui  de  Henri  II  Plantagenel  comme  point  de  dé- 
part de  la  prescription  trentenaire.  Nous  ajouterions  que  cet  établisse- 
ment perdu  est  antérieur  au  jugement  de  1223  rendu  en  conformité 
de  cette  décision  de  principe.  Mais  il  est  possible  que  fauteur  du 
Grand  Coutumier  n'ait  pas  été,  en  cette  rencontre,  parfaitement 
exact.  On  supposera  volontiers  qu'il  a  pris  pour  une  décision  de 
principe  remontant  au  rèf^ne  de  Philippe  Auguste  précisément  l'arrêt 
de  1223,  rendu  deux  mois  après  la  mort  de  ce  prince. 

Cette  seconde  partie  du  Très  ancien  Coutumier  ne  nous  fournit 
aucune  donnée,  même  lointaine,  sur  la  vie  de  fauteur.  Elle  nous 
permet  seulement  d'aifirmer  que  le  droit  romain  n'était  pas  tout  à 
fait  inconnu  à  notre  jurisconsulte  :  «  C'est  ce  qu'attestent,  écrit  M.  Tar- 
M  dif ,  les  termes  techniques  de  tiUor,fidejussor,  commodatutn,  dont  il 
«se  sert''';  il  emploie  le  mot  excipit^'^^  dans  un  sens  qui  se  rap- 
<(  proche  beaucoup  de  facception  que  lui  donnent  les  jurisconsultes 
«  romains  '*'.  » 

Il  est  bien  possible  que  l'auteur  ait  habité  Bayeux  et  y  ait  composé 
son  traité,  car  le  nom  de  celte  ville  revient  souvent  dans  certains  mo- 
dèles de  formules  insérés  dans  cette  partie  du  Très  ancien  Coutumier'"''. 

Il  nous  reste  à  dire  encore  un  mot  du  texte  français.  Il  ne  garde 

'*'    L.   Delislc,    Recueil    des    jti<ie.menls    de  chap.  c.xi.S    i3.  édit.  Tardif,  p.  279  et   380. 

l'hchiquicr.  n°  353  {Notices  et  extraits,  t.  XX,  '''  Chap.Lxxviii.S  i ,  2;  i.xxxi.S  i  ;  iaxxvii,S  i  . 

a*  partie,  p.  337).  <')  Chap.  iaxxiii,  S  8. 

'*'     L.    Delislc,    Recueil  des   jugements   de  ''*  Tardif,  p.  r.xxxv. 

l'Echiquier,  n°45i  (Notices  et  extraits,  t.  X\,  '*'   Ti-cj  «nczenCoafumier,  chap.  lxxxv,  S  i,4; 

a    partie,  p.  3^7 j.Summn  de  legibus  Nom.,  i,xxxvi,$  i. 


LES  COUTLIMIERS  DE  NORMANDIE.  65' 

aucune  trace  de  division  entre  les  deux  parties  du  Coutumier.  Il  est, 
pour  la  première  partie,  bien  plus  complet  que  les  manuscrits  latins 
utilisés  jusqu'à  ce  jour  par  les  éditeurs,  le  texte  latin  que  le  traduc- 
teur a  en  sous  les  yeux  se  rapprochant  beaucoup  —  nous  l'avons  déjà 
dit  —  du  texte  du  manuscrit  de  Rome.  En  certains  passages,  toutefois, 
les  manuscrits  latins  sont  plus  complets  que  la  traduction  française  : 
ainsi  le  paragraphe  .^i  du  chapitre  lix,  qui  figure  dans  tous  les  manu- 
scrits latins,  manque  dans  la  traduction  française:  cette  omission  est 
originairement  le  fait  d'un  bourdon;  le  chapitre  xliii  est  bien  plus 
complet  en  latin  qu'en  français,  etc.'''. 

On  ne  saurait  rien  dire  de  très  précis  .sur  la  date  de  cette  version 
française.  Elle  est  certainement  du  xiii"  siècle,  peut-être  du  premier 
tiers  de  ce  siècle.  On  a  remarqué  qu'elle  ne  modifie  pas  le  passage  du 
traité  qui  repousse  le  principe  de  la  représentation,  et  on  en  a  conclu 
que  cette  version  est  probablement  antérieure  à  122/i,  puisque  la 
représentation  fut  admise  en  1  2q4  par  une  décision  de  l'Echiquier ^'^^ 
C'est  là  une  conjecture  ou  plutôt  un  aperçu  qu'il  est  bon  d'indiquer, 
mais  sur  lequel  il  serait  j)érilleux  d'insister.  Le  traducteur  écrivait, 
ce  semble,  soit  au  temps  de  Guillaume  le  Maréchal,  soit  peu  après  sa 
mort,  car,  au  chapitre  i.vii,  S  2,  il  interprète  abusivement  les  mots 
Willelmiim  senescaUnm  par  Guillaume  le  Maréchal.  Ce  personnage  est 
donc  encore  présent  à  son  esprit  et  à  son  souvenir.  Il  pensait  pro- 
bablement à  Guillaume  le  Maréchal  le  père,  mort  en  1219. 

Le  seul  manuscrit  qui  nous  ail  conservé  le  texte  français  n'est  point 
écrit  en  dialecte  normand.  On  peut  donc  se  demander  si  le  traduc- 
teur était  Normand.  La  chose  en  soi  est  très  vraisemblable,  mais  nou.s 
n'en  avons  pas  d'indice  matériel. 

2.  LE  GRAND  COUTUMIER  DE  NORMANDIE. 

Le  Grand  Coutumier  de  Normandie  est  un  des  monuments  juri- 
diques les  plus  importants  du  moyen  âge.  Nous  le  plaçons  au  pre 
mier  rang,  dans  le  voisinage  de  l'admirable  commentaire  de  la  cou- 
tume de  Clermont  en  Beauvoisis  par  Beaumanoir,  ou  des  beaux 
traités  que  nous  a  laissés  l'Orient  latin  :  le  Livre  de  forme  de  plait  par 

'''  Cf.  Tardif,  p.  i.xxxvii,  i.xxxviii.  —  '''  Cf.  Tardif,  p.  xciv. 

HIST,  LITTÉR.  —  XXVIII.  O 


66  LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

Philippe  de  Novare,  le  Livre  des  Assises  par  Jean  d'Ibelin.  Non  pas 
que  notre  auteur  appartienne  à  la  même  famille  intellectuelle  que 
Philippe  de  Novare,  Jean  d'Ibelin  ou  Philippe  de  Beaumanoir  :  les 
œuvres  de  ces  jurisconsultes  sont  très  originales,  très  personnelles; 
le  Grand  Coutumier  normand  se  distingue,  au  contraire,  par  son 
allure  impersonnelle  et  dogmatique;  mais  l'auteur,  par  la  solidité, 
par  l'ampleur  do  son  exposition,  marche  l'égal  de  ces  maîtres.  Cet 
inconnu,  cet  anonyme,  a  des  qualités  tout  opposées  à  celles  de  cet 
autre  Normand  qui  rédigea,  vers  l'an  1200,  la  première  partie  du  Très 
ancien  Coutumier.  Ce  dernier,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer, 
trahit  souvent  ses  préférences,  ses  préoccupations  ])assionnées  ou 
généreuses.  L'auteur  du  Grand  Coutumier  ressemble,  lui,  à  un  grave 
professeur,  toujours  vêtu  de  la  robe  et  coiflé  du  bonnet  de  docteur. 
La  robe  enveloppe  l'homme  et  nous  le  cache  assez  bien;  mais  le 
docteur  qu'elle  hahille  ne  s'en  dessine  que  plus  nettement.  C'est  un 
très  remarquable  et  très  ferme  esprit. 

11  y  a  quelque  parenté  entre  ce  Normand  et  les  deux  grands  juris- 
consultes anglo-normands  du  même  siècle,  Britton  et  Bracton ,  Brac- 
lon  surtout;  car,  outre  que  Britton  est  moins  original  et  qu'il  écrit 
en  français,  la  constante  fiction  législative  adoptée  par  ce  dernier 
jurisconsulte  donne  à  son  œuvre  une  allure  très  particulière.  Tous 
trois,  d'ailleurs,  étudient  sensiblement  le  même  droit  (le  droit  anglo- 
normand  dilîère  peu,  au  xiii"  siècle,  du  droit  normand).  Tous  trois 
sont  éminemment  méthodiques,  et  leurs  œuvres  sont  solidement 
charpentées;  mais  Britton  suit  et  résume  des  modèles  (parmi  lesquels 
précisément  Bracton);  Bracton  et  notre  anonyme  ont  une  valeur 
propre.  Bracton  est  plus  long  et  plus  riche  en  détails;  l'anonyme  est 
plus  bref;  et,  malgré  la  répétition  monotone  de  certaines  formules 

[Sciendum  est  (juod Notandum  est  quod ),  il  n'est  jamais 

lourd  et  fatigant.  Bracton  écrit  en  latin  comme  notre  auteur,  dont  il 
est  contemporain.  Il  connaît  comme  lui,  peut-être  mieux  que  lui,  le 
droit  romain  ;  mais  il  suit  ordinairement  Azo,  et  il  le  co])ie  assez  souvent 
mot  pour  mot.  Le  rédacteur  du  Grand  Coutumier,  dont  l'instruction 
est,  ce  semble,  plus  variée,  n'a  rien  de  cette  servilité  qui  est  toujours 
un  signe  de  faiblesse.  Il  n'est  point  question  chez  lui,  comme  chez 
Bi-acton,des  libertini ,  de  \sl  maniimissio ,  de  Yaditio  d'hérédilé,  de  la 
stijmlalio,  de  ïacceptilalio,  du  jastiis  tiltilus,  de  \i\  jiista  causa,  de  la  leu- 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


67 


Aaallia,  etc.''^.  Des  mots  aussi  techniques,  aussi  caractéristiques  du  droit 
romain,  lui  restent  pres(jue  constamment  étrangers.  Son  œuvre  en 
est  plus  vivante.  Il  n'émaille  pas,  comme  Bracton,  son  exposé 
d'allusions  aux  affaires  judiciaires;  ces  nombreux  renvois  à  la  juris- 
prudence du  Mil''  siècle*^'  rachètent  largement  ce  qu'il  y  a  d'artificiel 
en  certaines  parties  de  l'œuvre  de  Bracton  et  font  le  grand  prix  de  ce 
traité. 

Le  Grand  Coutumier  normand  nous  est  parvenu,  comme  le  Très 
ancien  Coutumier,  sous  une  double  forme,  en  latin'''  et  en  français *''). 


<"'  Maitlaiid,  SAecl  pusMKjcs  fiom  llie  works 

of  Bracton  and  Azo,   London,    iSgS,  iii-4*  i 

|).    67,   75,    89,    i53,    161,    177.   Bracton, 

liv.  IV,  traité    III,  ciiap.  viii,  édition  Travers 

Twiss,  t.  IV,  p.  200  et  passim. 

'*'  Bracton,  De  kf/ibus  d  consuet.   Aiigliœ , 

édit.   Travers  Twiss,   t.   III,    p.   210;    t.    VI, 

p.  i38,  i4o  et  passim.  Cf.  Maitland,  Bradons 

Note  Book.  1. 1,  p.  45-1 38. 

'''  Voici  l'indication  des  manuscrits  latins, 

classés    par  familles   suivant    le    groiijjement 

adopté  par  M.  Joseph  Tardif: 

Famille  I  :  Ms.  iat.  i8557  (après  1297)  =D'. 

Famille  II  :  Ms.  Iat.  iG.W  (i43o)  =  G*  ; 
ms.  Iat.  i8368  (fin  du  xiii'  siècle) 
=  D';  ms.  Ottoboni  3964  (fin  du 
XIII*  s.)  =0;  Iat.  14689  (commen- 
cement du  XIV*  siècle)  =  V\ 

Famille  111  :  Bibl.  de  Bouen,  ms.  Y  a3  (seconde 
moitié  du  xiii'  siècle )  =  R'. 

Famille IV:  Ms.  de  M.  Lormier  à  Rouen, 
venant  de  Quaritch  (ayant  1469) 
=  0. 

F'amlUe  V  :  Ms.  Iat.  465o  (seconde  moitié  du 
xiii'  siècle)  =  C'. 

Famille  VI  :  Sainte -Geneviève,  ms.  aagô  (se- 
conde moitié  du  xiii'  siècle)  =  G. 

FamilleVIl:  Arsenal  8o4  (commencement  du 
XIV" siècle )  =  A;  Iat.  465i  (fin  du 
XIII*  siècle)  =  B';  Iat.  iio33 
(i365)  =  BMat.4764(i346)=C^ 
Iat.  iio35  (commencement  du 
XIV*  siècle)  =  L;  Rouen,  ms.  Y204 
(après  i34o)  =  R^  Iat.  i5o68 
(entre  1398  et  i3i7)=  V. 

Famille VIII:  Iat.  4790  (vers  i3i8)  =  C';  Iat. 
12883  (xiv*  siècle)  =  H;  Copen 
liague,  fonds  Thott,  ms.  3o3  (fin 


du  xiv'  siècle)  =  k;  ms.  Uutuit  à 
Rouen  (avant  i34o)  =  R';  Stock- 
holm, fonds  français,  ms.  g  (com- 
mencement du  xiv*  siècle)  =S;  Iat. 
I  '1690  (après  i3i3)  =  V^ 
Famille   IX   :   Iat.    4652    (1498)  =  B"  ;    sir 
Th.  Phillipps,  ms.  9223  (dernière 
moitié  du  xv' siècle)  =  P. 
Cf.  .1.  Tardif,   Summa   de  hifibns ,   p.    x-c, 
r.r.xLViii.  Voir,  ibid.,p.  i,xv,  l'indication  de  ma- 
nuscrits tout  à  fait  fragmentaires.   Nous  cite- 
rons les  manuscrits  latins  d'après  l'édition  de 
M.  Tardif. 

<*'  Voici  l'indication  des  manuscrits  français 
en  prose  dont  nous  avons  pu  relever  l'exis- 
tence :  Bibl.  nal.,  fr.  6958  (xiii*  siècle);  fr. 
5245,  fol.  95  r°-i4o  r°  (xiir  siècle);  Sainte- 
Geneviève,  1743  (fin  du  xiii*  siècle);  Bod- 
léienne,  Seldcn  supra  70  (xiv*  siècle);  Bibl. 
nat.  fr.  5963  (i3o3);  Iat.  iio32,  p.  47-188 
(xiv*  siècle,  1"  moitié);  fr.  5961  (commen- 
cement du  XIV'  siècle);  fr.  6960  (xiv*  siècle); 
Musée  Brit.,  Add.  21971  (xiv"  siècle);  Harl. 
4488  (xvi* siècle)  ;  Bibl.  nat.,  fr.  6959  (1392), 
Iat.  1426''  (milieu  du  xiv*  siècle);  fr.  5964 
(xv*  siècle);  fr.  24ii3  (1478);  fr.  3765 
(xv'  siècle;  ce  manuscrit  contient  la  Grande 
glose  du  XV*  siècle);  fr.  ôgGS  (xv'  siècle);  fr. 
11920  (xv*  siècle);  Dublin,  Trinity  Collège 
D.  3.  34  ;  Berlin ,  Hamilton  1 9a  (  i4o3).  —  Les 
manuscrits  du  (Coutumier  français  en  vers  se- 
ront indiqués  ci-après,  p.  111,  note  2. 

Le  ms.  iat.  nouv.  acq.  1776  (xv*  siècle) 
contient  le  texte  français  et  latin  de  la  coutume  ; 
il  parait  se  rattacher  à  la  famille  IV.  Plusieurs 
manuscrits  ont  péri.  Un  exemplaire  (français?) 
était  conservé  à  la  Chambre  des  comptes  :  Livre 
Saint-.Iust,  fol.   xlvi  à  r.v.  Le  catalogue  de  la 


68 


LES  CODTLMIERS  DE  NORMANDIE. 


Le  texte  latin  porte  dans  les  manuscrits  ces  titres  divers  :  Re(jistriim 
de  jndiciis  JSormannie  (D');  Cnrsm  Normonnie  {\^);Jura  et  statiita  Nor- 
mannie  (R');  Liber  de  juribus  et  consuetudimbus  Normannie  (C\C^  V^, 
S ,  R^,  )  ;  Jura  et  consuetudines  (juibus  regitur  ducatas  Normannie  (  B^,  G ,  P  )  ; 
Consuetudines  Normannie  (G^);  Siimma  de  legibas  consuetudinum  Norman- 
nie [K);Summa  de  legibns  in  cnria  laicali  (B',  G',  B^,  L,  V)  ;  Summa  de 
legibus  Normannie  in  curia  laicali  (A).  G'est  le  titre  Snmma  de  legibiis 
Normannie  qu'a  adopté  le  dernier  éditeur,  M.  Joseph  Tardif,  bien 
que  cet  intitulé  Summa  de  legibus  Normannie  in  curia  laicali  (A)  carac- 
térise, d'après  lui,  un  groupe  de  manuscrits  très  éloigné  du  type 
primitif,  la  famille  VII  (M.  Tardif  distingue  neuf  familles  de  manu- 
scrits). Ce  titre  ne  se  retrouve,  en  dehors  de  ce  groupe,  que  chez  un 
représentant  de  la  famille  VIII  (K).  Le  titre  Summa  de  legibus  remonte, 
selon  toute  vraisemblance,  écrit  M.  J.  Tardif,  à  un  continuateur 
qui  aurait  donné  à  l'ouvrage  sa  forme  définitive''*.  M,  J.  Tardif  estime 
que  le  titre  primitif  était  probablement  :  Registmm  de  judiciis  Nor- 
mannie. Ce  titre  serait,  d'ailleurs,  fort  critiquable:  il  indiquerait  assez 
mal  la  nature  de  l'ouvrage. 

Le  texte  français  est  intitulé,  dans  le  n)s.  fr.  ôgôS:  Veez  ci  les  consti- 
tutions de  Normendie;  dans  le  ms.  fr.  6960:  Ci  commencent  les  droit  et 
les  usages  de  Normendie  '^'.  Il  est  qualifié  ailleurs  :  Livre  de  droit  et  des 
usages  de  Normendie''^^;  Livre  de  la  coustume  de  Normendie^'*^\  Livre  cous- 
tumier  du  pays  et  duché  de  Normendie^^K  Dans  plusieurs  manuscrits 
français  il  n'y  a  aucun  titre ,  ni  aucune  désignation  '*'. 


Bibliotiiè(|ue  de  Saint- Victor,  rédigé  pnr  Claude 
de  Grandrue ,  mentionne  deux  exemplaires  du 
Grand  Coutumier  (Bibl.  nat.,  ms.  lat.  1/1767, 
fol.  57  v').  Le  Livre  noir  du  chapitre  de  Coii- 
tances,  ms.  du  commencement  du  xiv'  siècle, 
disparu  aujourd'hui,  contenait  le  texte  latin 
{Hislor.de  Fr.,  t.  XXIII ,  p.  /(g3,  note).  ï.n  com- 
tesse Mahaut  eu  avait  un  texte  français  dans 
sa  l)ibliothë(|ue  :  n/i  romans  des  coiisttimes  de 
Normandie  (Richard,  Makant,  comtesse  d'Artois 
et  de  liourf/Offne ,  Paris,  1887,  p.  10a).  On 
verra  plus  loin  [Deu.r  consaUalions  sur  la 
contume  de  Normandie)  que,   dans  les  débats 

3ui  s  élevèrent  ipielque  temps  après  la  mort 
'Aniicie  de  Courtenai  entre  la  comtesse 
Mahaut  et  son  frère  Philippe,  l'interprétation 
de  la  coutume  de  Normandie  joua  un   rôle 


considérable.  Il  est  donc  tout  naturel  que  les 
conseils  de  Mahaut  se  soient  préoccupés  de  ce 
qu'avait  pu  dire  l'auteur  du  Grand  Coutumier. 

'''  Cf.  Tardif,  5H/iim«  de  legibus ,  p.  cxL,r.xtl. 

'*'  Le  ms.  (r.  1 455o  débute  avec  cette  bi- 
zarre variante  :  Ci  commence  de  Delillebonne  [sic) 
les  droiz  et  les  establissemens  de  Normendie.  Cette 
variante  garde  le  .souvenir  d'un  manuscrit  où 
figurait  le  concile  de  Lillebonne. 

'')  Bibl.  nal.,  ms.  lat.  i/|î6,  fol.  4a  r*. 

'''  Ms.  fr.  1 1930  injine  ;  ms.  fr.  5g65. 

w  Ms.  fr.  3765. 

'*)  Ms.  fr.  5963  ;  ms.  fr.  .^^45  ;  ms.  fr.  5964  ; 
ms.  fr.  6961;  m»,  fr.  .'1964;  ms.  fr.  a4ii3. 
Musée  brit. ,  Harl.  4488.  Au  folio  7  v'  du  ms. 
fr.  a'i  I  1 3  se  trouve  une  note  où  le  mot  coutn- 
mier  est  prit,  croyons-nous,  dans  son  sens  pri- 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  69 

Le  texte  latin  et  le  texte  français  datent  probablement  du  milieu  du 
xiii^  siècle.  Nous  reviendrons  sur  ce  point. 

L'ouvrage  a  été  mis  en  vers  français.  Le  versificateur  qualifie  le 
traité  de  Coustumier  normant  : 

Si  veut  le  François  mestrc  en  rime 
Du  latin  du  livre  qui  me 
Semble  bon  et  que  l'on  apele 
l^e  Coustumier  normant,  que  le 
Commun  de  tous  les  advocas 
De  la  court  laie,  quant  au  cas 
De  leurs  querelescommenchier. 
Doivent  avoir  et  tenir  chier  "'. 


Coiitumier  normand  ou  Grand  Coulumier  est  resté  la  dénomination 
usuelle. 

Une  glose  très  importante  est  venue,  au  xv*  siècle,  illustrer  le  texte 
du  Goutumier  normand. 

Le  texte  latin  et  le  texte  en  prose  française  du  Grand  Goutumier  ont 
été  bien  des  fois  imprimés  depuis  la  fin  du  xv'- siècle ^^'.  La  dernière 
édition  des  deux  textes  latin  et  français  est  celle  qu'a  donnée,  en  1 88 1 , 
M.  W.  Laurence  de  Gruchy,  ancien  juré  justicier  à  la  cour  royale  de 
Jersey''^.  La  dernière  édition  du  texte  latin,  édition  critique  très  soi- 
gnée, pour  laquelle  tous  les  manuscrits  ont  été  mis  à  profit,  est  celle 
que  M.  J.  Tardif  a  publiée  en  1896.  Elle  nous  sera  du  plus  grand 
secours.  Elle  est  précédée  d'une  très  importante  introduction.  Le 
Grand  Goutumier  en  vers,  dont  nous  nous  occuperons  plus  loin  avec 
quelque  détail,  a  été  imprimé  en  1782  par  Hoiiard'''. 

Le  Grand  Goutumier  n'était  pas  originairement  un  texte  officiel, 
mais  il  parait  avoir  pris  assez  rapidement  ce  caractère.  Il  fut  remplacé 
en  Normandie,  en  i583,  par  la  coutume  revisée,  laquelle  s'inspire 
d'ailleurs  assez  souvent  de  la  rédaction  du  xiii"  siècle  et  s'en  rap- 

niilif,  c'est-à-dire  clans  le  sens  de  livre  tonte  <''  J.  Tardif,  La  Samma  de  legibus  Norm. , 

nant  le  texte  d'une  coutume  :  «(^e  coustumier  p.  ccxxxv-ccxLvn. 

t  est  et  appartient  à  (^ollenet  de  Roquegny,  de-  '''  W.  Laurence  de  Gruchy,  L'ancienne  Cou- 

«  mourant  à  Dieppe ,  et  fu  par  lui  escript  en  l'an  t  unie  de  Normandie ,  ieney ,  1881. 

«de  grâce  mil  un"  lin"  et  XVIII  après  Pasques.  »  '*'   Hoûard,   Dictionnaire  de  la  Coutume   de 

'■'  Ms.  fr.  i4548,  fol.  23   v°;  ms.  fr.  53,^o  ,  Normandie,  Rouen,  1782,  t.  IV,  Supplément, 

fol.  a  r°.  Nous  ne  relevons  pas  les  variantes.  p.  49  et  suiv. 


70  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

proche  parfois  de  très  près.  Il  est,  aujourd'hui  encore,  au  nomhre  des 
éléments  divers  qui  constituent  le  droit  des  îles  normandes  souniises 
à  la  domination  anglaise  '*'. 

Nous  devons  au  lecteur  quelques  indications  sur  la  transformation 
graduelle  de  notre  Goutumier  en  coutume  officielle. 

Dès  1  a  58,  un  arrêt  du  Parlement  de  Paris  pourrait  bien  avoir  visé  le 
Grand  Goutumier  (qui  venait  d'être  rédigé).  Get  arrêt  s'exprime  ainsi  : 
Cnm  imponitur  alicui  defunctn  quod  fuit  usiirarins  in  alumo  trium 
casuumsecundum  consuetudinem  Normannie  infra  annumante  tempus 
mords  sue,  infra  primani  assisiam,  si  possit  fieri  commode,  iiKjuiretur 
ntriim  ita  sit^'^K  Une  triple  division  de  l'usure  figure, en  effet,  au  cha- 
pitre XIX  du  Goutumier,  et  cette  division  est  assez  originale  et  assez 
caractéristique  pour  que  nous  soyons  tentés  d'apercevoir  dans  la 
phrase  de  l'arrêt  une  allusion  à  ce  chapitre  xix.  De  «sHns, qui  dut  être 
mis  sous  les  yeux  des  juges.  Quarante-quatre  ans  plus  tard,  en  i3o3, 
Philippe  le  Bel  approuva  formellement  un  chapitre  de  notre  Gou- 
tumier, le  chapitre  lxxxii,  De  clericis  et  personis  ecclesiasticis.  La  déci- 
sion de  Philippe  le  Bel  a  été  un  peu  négligée  par  les  érudits.  En  voici 
le  texte,  vraiment  intéressant  et  important  pour  l'histoire  de  la  cou- 
tume normande,  dont  le  roi  ou  ses  officiers  se  firent  représenter  le  livre 
[hhrum  seu  reqistram  dictarum  consuetudiniim  seu  statutoram  Normannie^  : 

Philippus,  Dei  gratis  Francorum  rex,  universis  baillivis  nostiis,  preposilis  et  aliis 
justiciariis  nostris  in  diic.ilu  Normannie  depulatis,  salutem.  Ex  parte  dileclorum  et 
fidelium  nostrorum  Rothomagensis  archiepiscopi  et  sufFraganeorum  suorum ,  nobis 
extilit  conquerendo  monstratum  qiiod,  licet  lamjuredivino,caoonico  ctciviliqiiam 
statulis  etconsuetudinibiisscriptis,  in  Normanniapresbyterveiciericusproplercrimcn 
mère  personale  conveniri,  judicari  seu  puniri  per  secularem  justiciam  non  debeat, 
nec  coram  ea  teneatur  super  hoc  respondere,  sed  si  capialur  pcr  eam  débet  leddi 
justicie  ecclesiastice  per  eam  puniendus,  nihilominus  gentes  nosire  per  aliqua  tem- 
pora  propier  facta  hujiismodi,  conlra  jus,  slatutaet  consiieludinesprediclas  Norma- 
nie  veniendo,  in  c.iusam  coram  se  personas  hujusmodi  trahebant  et  ad  hoc  trahere 
nitebanlur  injuste,  et  quando  post  ipsos  presbytères,  seu  clericos,  seu  contra  eos. 
harou  propter   facta  hujusmodi   clamabanl,    in   ipsorum  archiepitcopi  et  sufVra- 

'''  M.  E.  Toulmin  Nicolie  énumère  ces  cinq  les  Etats  sur  des  questions  de  |)otice,  etc.,  et 

«■lénicnts  (lu  droit  moderne  des  ilesnorm.indes:  <|ui   n'ont  jws    besoin    de  la  sanction  royale. 

1 .  Chartes  royales;  a.  Ordres  du  Conseil; 3.  An-  (E.    Toulmin    NiroUe,   The  judicatiires  of  ihe 

cienne  coutume  de  Normandie  ;  l\.  Jjois  passées  CItannel  Islands ,  <lans  The  BrieJ,  i  SgS,  1 5"  July, 

par  les  Etats  et  sanctionnées  par  Sa  Majesté  en  p.  i6o.) 
Conseil;  ."S.  I\èglcmcnt$   triennaux  passés  par  '''  Beugnot,  Oliin,  t.  I,  p.  6a. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  71 

ganeonim  predictornm  prejudicium  non  modicuin  et  gravainen.  Quare  nobis  oum 
instantia  supplicarunt  ut'"  abusum  hujusmodi  penilus  abolen,statutaqueet  consue- 
tudines  piediclas  per  génies  nostras  faceremus  observari;  propter  quod  librum  seu 
registrum  dictarum  consuetudinuni  seu  statutorum  Normannie  videri  fecimus,  et  ex 
eo  statutum  factum  super  hoc  extrahi,  cujus  ténor  de  verbo  ad  verbum  sequitur  in 
bec  verba  : 

«  Nulz  clercs,  ne  nulle  personne  de  sainte  Eglise  ne  doit  estre  prise  et  arrestée, 
«  si  elle  n'est  prise  en  présent  mesfaitou  s'il  n'est  seivi  a  harou.  Et  lors  doibt  il  estre 
«  rendu  a  sainte  Eglise ,  si  elle  le  requiert  ;  et  s'il  reconnoist  en  la  court  de  sainte  Eglise 
«  le  mesfait  dont  il  est  seivi  et  il  en  est  atteint,  il  doit  estre  déposé  de  tous  ordres 
«  et  de  tout  privilège  a  clerc,  et  chassé  hors  du  pais  comme  exilez,  pour  lant  que 
«  le  mesfait  soit  tel  que  homme  en  dust  perdre  vie  ou  membre,  [celles  personnes 
«  sont  quictes  de  plaider  en  court  laye  en  tant  comme  il  appartient  au  fié  lay.  » 

Nos  igitur,  intuitu  Domini  nostri  Jesu  Cbristi  et  Sanctc  Matris  Ecclesie,  necnon 
specialis  alloctiotiis  qnam  ad  ipsos  prelatos  semper  habuiinus  et  bahemns,  dictum 
statutnm  volumus  et  precipimus,  quantum  ad  nos  spectat,  prout  superius  est  ex- 
pressum  et  insertum ,  teneri ,  servari  et  in  nuUo  penilus  infringi ,  non  obstante  abusu 
per  longa  tempora  conti-a  hoc  per  gentes  nostras  in  contrarium  cxplectato  et  tisi- 
talo,  quem  tolaliter  tollimus  etabolemus,  mandantes  et  precipientesdistrictius  vo- 
bis  et  vestrum  singulis  quod  memoratum  statutum  observetis  et  faciatis  inviolabi- 
litcr  a  nostris  gentibus  observari,  predicto  abusu  non  obstante. 

Aclum  Parisius,  die  Jovisante  festum  beati  Ludovici,  anno  Domini  m°  ccc°  ii°'"^'. 

Le  texte  du  chapitre  (le  la  Coutume  normande  approuvé  par  Philippe 
le  Bel  est  gravement  altéré  dans  le  recueil  manuscrit  de  Jean  du  Tillet , 
utilisé  par  Laurière  et  par  nous-mêmes.  Il  manque  un  mot  de  la  der- 
nière phrase ,  et  l'absencede  ce  mot,  qui  est  essentiel ,  produit  un  contre- 
sens singulièrement  favorable  au  clergé,  puisque,  d'après  ce  texte  fau- 
tif, la  compétence  appartiendrait  au  tribunal  ecclésiastique  dès  qu'un 
clerc  est  en  cause,  alors  même  que  l'objet  du  litige  serait  un  fief  lai  : 
«  Icelles  personnes  sont  quictes  de  plaider  en  court  laye,  en  tant  comme 
«  il  appartient  au"  hé  lay.  »  Le  texte  aulhenlique  porto:  ^i  fors  pour  lant 
«  comme  il  appartient  au  lieu  lai.  »  Laurière,  qui  avait  aperçu  ce  contre- 
sens, fa  corrigé,  en  intercalant  la  négation  ne  avant  le  mot  sont  :  il  a 
rétabli  le  sens  sans  retrouver  le  vrai  texte. 

Cet  acte  de  Philippe  le  Bel ,  favorable  à  f  Eglise ,  se  rattache  à  toute 

'  '  Ms.  vet.  textes   qui  montrent  bien  quelles  étaient  vers 

'''Laurière,  Oiiloimaucc.< ,  t.  I,p.  348-349.  ce   temps   les   préoccupations  du   clergé   nor 

Arctiives  nationales,  U.  /|38,  fol.  i4()r''  i47  r".  mand  (Dessin,  t'onci/iVi  Rolom.  provinc,  pars  I, 

On    pourrait    facilement     rapprocher    divers  p.  88,  167,  1 68). 


72  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

une  série  de  décisions  du  même  genre  et  à  peu  près  du  même  temps''': 
le  roi  avait  alors  le  plus  grand  intérêt  à  ménager  le  clergé  de  France, 
dont  il  avait  besoin  contre  Boniface  VIII. 

Le  livre  de  la  Coutume  de  Normandie,  Registram  Consaetudinis  Nor- 
mannie,  est  encore  cité  deux  fois  dans  l'acte  célèbre  que  la  Normandie 
a  considéré  jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime  comme  la  base  de  son 
droit  public  et  de  ses  libertés,  la  fameuse  Charte  aux  Normands.  Cette 
charte  nouseslparvenue  sous  les  deux  dates  demars  i3i5(n.s.  jet  de 
juillet  i3i5,  parce  que,  délivrée  en  mars,  elle  fut  renouvelée  en 
juillet'^'.  L'article  2  de  cette  charte  fameuse  est  ainsi  conçu  :  Item, 
auod  rcdditus  nobis  débitas  pro  dicta  pecunia  non  matanda,  quod  in  dicto 
ducalu  monetagmm,  aliter  fbcagiam,  nuncapatur,  levari  non  faciemns,  aut 
etiam  aliqnaliter  permittemus  levari,  nisi  qiiatenus  in  Registro  Consuelu- 
dinis  Normannie  continetur,  nsu  (juocumque  contrario  in  premissis  non 
obstante.  C'est  une  allusion  très  claire  au  chapitre  xiv.  De  monetaçjio, 
du  Grand  Coutumier.  L'article  1 3  de  la  Charte  est  ainsi  conçu  :  Item, 
auod  (luilibet  nobilis  aat  alius  (juwnmgue ,  rationc  diqnitalis  sni  feodi  auod 
obtinel  in  ducalu  Normannie,  de  cetero  veriscum  et  res  vayvas  in  sua  terra 
percipiet  integraliter,  prout  in  Registro  consuetudinis  Normannie  conti- 
netur, (funcumifue  usu  contrario  non  obstante.  Il  s'agit  du  droit  de  bris, 
très  sagement  réglé  dans  le  chapitre  xvi,  De  veriscis,  et  du  droit  sur 
les  biens  sans  maître,  dont  s'occupe  le  chapitre  xviii.  De  rébus  vaivis. 
La  Charte  aux  Normands  garantit  les  droits  des  seigneurs  dans  les 
limites  fixées  par  ces  deux  textes. 

Si  la  Charte  aux  Normands  confirme  et  sanctionne  la  coutume  en 
ce  qui  touche  le  fouage,  le  droit  de  bris  et  les  biens  vacants,  elle  y 
déroge  ou,  si  Ton  veut,  elle  faméliore  en  ce  qui  concerne  la  prescrip- 
tion. Voici  comment  s'exprime  Louis  X  (art.  19)  : 

Item,  quod  quadragenaria  prescriptio  cuililiel  in  ducatii  Normannie  de  cetero 
sufficiat  pro  titulo  rompetenti,  seu  de  totali  aita  aut  bassa  justicia  contendatur,  seu 
de  quocumque  arliculo  ad  altam  aut  bassam  jusliciam,  sive  ad  aiteram  eaiximdem 
quoniodolibet  peitinente,  sive  de  quacumquc  alia  re  contendatur.  Et  si  quisquam 
ducatus  Normannie,  cujuscumque  condicionis  aut  status  existât,  aiiquid  de  premissis 
aut  aliquo  premissorum,  per  cpiadraginta  annos  pacifice  possèdent,  super  hoc  ne- 

î'i  Or<l.<le  1299  et  de  1 3oo,  dans  O;  (/. ,  t.  I,  p.  33i,  334;  t.  XI,  p.  ^o^A.  XII,  p.  338-339.— 
'*'  Coville,   Les   Etats  de  Normandie,  j).  34. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  f^ 

quaquam  ulterius  molestetur,  aut  a  nostris  justiciariis  permittatur  aliquatenus  mo- 
lestari.  Quin  immo  contrarium  volens  facere  nullatenus  admittatiir,  cam  talibns 
jus,  consaetudo  et  ordinacio  dicli  proavi  nostri  evidentissime  adversenlur,  çjuocumqae  iisa 
contrario  non  obstante. 

La  Iraduction  française  de  la  Charte  aux  Normands  est  ici  défec- 
tueuse: le  rédacteur,  dans  les  derniers  mots  que  nous  venons  de 
transcrire,  a  voulu  dire  que  le  droit,  la  coutume  et  l'ordonnance  de 
saint  Louis  (car  il  s'agit  évidemment  de  ce  prince, bisaïeul  de  Louis X, 
qui  a  été  cité  dans  le  préambule  de  la  charte)  s'opposent  à  toute  in- 
fraction à  la  règle  qu'il  vient  de  poser  :  cam  doit  se  traduire  par 
«  puisque.  »  Le  traducteur  français  a  traduit  cnm  par  «  combien  que  », 
c'est-à-dire  «  quoique  »  ;  il  paraît  mettre  ainsi  la  coutume  et  saint  I^ouis 
en  opposition  avec  la  règle  nouvelle  :  «Combien  que  le  droit,  la 
«  coustume  et  l'ordonnance  dudit  nostre  hisaiel  soient  évidemment 
«  contraires  a  ces  choses  *'l  »  Ce  passage  devient,  par  suite  de  cette  tra- 
duction fautive,  fort  étrange  dans  le  texte  français.  Nous  ne  sau- 
rions dire  quelle  ordonnance  de  saint  Louis  vise  le  roi  Louis  X:  il  est 
bien  probable  qu'il  invoque  un  peu  au  hasard  le  nom  vénéré  de  saint 
Louis.  Quant  à  la  traduction  de  cnm  par  «combien  que»  au  lieu  de 
«  puisque,  »  elle  est  peut-être  due  à  un  Normand,  qui  jfacilement  aura 
constaté  un  désaccord  entre  le  chapitre  cxi.  De  brevi  de  feodo  et  vadio, 
S  1 3,  consacré  à  la  prescription,  et  la  décision  de  notre  ordonnance.  Le 
rédacteur  du  Grand  Coutumier  nous  apprend  en  ce  passage  qu'on  se 
servait  autrefois  en  Normandie  de  la  prescription  de  trente  ans;  mais, 
les  souvenirs  manquant  de  netteté  quand  on  remontait  en  arrière  sans 
point  de  repère  fixe,  on  prit  un  mode  de  supputation  tout  différent  : 
on  se  contenta,  pour  savoir  s'il  y  avait  ou  non  prescription,  de  se  de- 
mander si  le  fait  initial  était  antérieur  ou  postérieur  au  couronne- 
ment du  roi  Henri  II  (iio4),  plus  tard  au  couronnement  du  roi 
Richard  (1189).  Le  couronnement  du  roi  Richard  était  déjà  bien 
lointain  au  moment  où  écrivait  notre  auteur  :  il  souhaite  que  le  roi 
de  France  modifie  promptement  cet  état  de  choses,  évidemment  très 
défectueux.  Cette  modification  fut  introduite,  un  demi-siècle  plus 
tard,  parla  Charte  aux  Normands.  Mais  la  prescription  de  trente  ans 
inscrite  dans  la  Coutume  en  faveur  de  l'Eglise  (chap.  cxv,  De  brevi  de 

'''   Ordonnances ,  t.  ],  p.  588-r)()2. 

IIIST.  LITTÉn. WMII.  10  . 


74  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

feodo  et  eleemosina ,  S  3,  lo)  fut  maintenue.  —  Cette  date  du  couron- 
iiemcnt  du  roi  Ricliard  rendait  les  prescriptions  presque  impossibles 
au  profit  des  laïques  flans  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle  :  le  réda<- 
teur  d'un  paragraphe  (2  bis)  du  chapitre  xxi,  Devadiis  et  emptionibvs , 
paragraphe  que  M.  J.  Tardif  croit  postérieur  à  l'œuvre  primitive, 
s'efforce  déjà  d'introduire  la  prescription  de  quarante  ans  à  défaut 
d'une  date  initiale  antérieure  au  couronnement  du  roi  Richard  (1 1 89). 
Cette  longue  presciùption  normande  de  quarante  ans  fut  évidemment 
une  transaction  entre  le  délai  de  trente  ans  et  le  système  devenu  abusif 
d'un  mode  unique  de  supputation  basé  sur  cette  simple  question  : 
le  fait  initial  est-il  antérieur  ou  postérieur  au  couronnement  de  Ri- 
chard Cœur  de  L.ion.^  On  ne  modifia  pas  d'ailleurs  le  texte  de  la  Cou- 
tume :  le  chapitre  cxi  continua  à  mentionner,  comme  jadis,  l'avène- 
ment de  Richard  Cœur  de  Lion.  Le  giossateur  de  la  fin  du  xv'  siècle 
corrige  cette  décision  dans  son  commentaire  et  y  introduit  la  prescrip- 
tion de  quarante  ans,  sans  invoquer  la  Charte  aux  Normands.  Ter- 
rien, plus  informé,  se  réfère  expressément  à  la  charte  de  Louis  X*'^. 
Notre  Coutumier,  confirmé  et  cité  par  tes  rois  de  France,  est 
désormais  en  Normandie  document  olficiel.  Nous  sommes  en  mesure 
de  constater  le  crédit  dont  il  a  joui  et  l'autorité  qu'il  a  conquise  vers 
le  méme^temps  dans  les  îles  restées  sous  la  domination  anglaise. 
Il  résulte  de  plusieurs  témoignages  de  la  première  moitié  du  xiv"  siècle 
qu'à  cette  époque  les  habitants  de  l'île  de  Jersey  se  servaient  d'un 
recueil  appelé  la  Somme  de  Maiicael  comme  d'un  code  de  lois  nor- 
mandes. Cette  Somme  de  Maucael  est  évidemment  notre  Grand  Cou- 
tumier normand.  En  1809,  un  avocat  du  roi  d'Angleterre  conteste 
fancienneté  des  coutumes  alléguées  parles  insulaires  et  leur  reproche 
d'avoir  tout  récemment  adopté  un  traité  composé  par  un  Normand  du 
nom  de  Maucael  longtemps  après  que  la  Normandie  fut  sortie  de 
l'allégeance  du  roi  d'Angleterre.  Ceux-ci  répliquent  que  c'est  avec 
raison  qu'ils  se  senent  de  la  Somme  de  Maucael,  parce  qu'elle  con- 
tient les  lois  de  la  Normandie  :  eo  (juod  leges  Normannie  bene  lu 
ea  continent Hi'^^K  Guernesey  suivit  un   peu  plus  tard   l'exemple   de 

'''  Tenien ,  Commentaires  du  droict  civil  luiil  r.c.xxi.  —  TavdK,  L'suuteiirs  présumés  du  Grand 

public  que  priré ,  obuTré  au  pays  et  duché  de  Coutumier  de   Normandie,  dans  Noarrlte  Reine 

Normandie,  Ronon,  i654,  |>.  3o5.  historique  de  dtvil  français  et  étranger,  t.  ÏX , 

'*'  Tardif,  La   Snmma  de  h'tjibus,  j).  r.cxx,  p.  178-1 71). 


i 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMAN I:)1E.  75 

Jersey.  En  décembre  i33'i  ou  janvier  i333,  les  habitants  de  Jersey 
et  de  Guernesey  avaient  encore  i'occasion  de  déclarer  au  roi  d'Angle- 
terre qu'ils  suivaient  et  avaient  toujours  suivi  la  «  coustume  de  Nor- 
«  inandie  q'est  appelé  la  Summe  Maukael  » ,  parce  que  les  îles  ont  fait 
anciennement  partie  du  duché  de  Normandie  :  «  A  nostre  seignur  le 
«roi  et  a  son  consail  mostrent  ses  liges  gentz  de  la  communaulté  des 
«  isles  de  Guernereie  et  Jerseie  que ,  come  les  isles  soient  de  auncie- 
«  neté  parcele  de  la  duché  de  Normendie,  et  en  tiel  manere  tiegnent 
«de  nostre  seignu  rie  roi  come  de  fhic,  et  esdites  isles  tiegnent  et  usent 
M  et  eient  touz  jours  usez  la  coustume  de  Normendie,  q'est  appelé  la 
«  Snmme  Maukael,  ovesques  aucunes  certeignes  coustumes  usées 
«  es  dites  isles  del  temps  dont  memorie  ne  court  ''^  .  .  » 

Nous  arriverons  à  l'instant  à  ce  Maucael.  Ce  que  nous  voulions  avant 
tout  mettre  en  relief,  c'est  l'aspect  officiel  que  revêt  dès  lors  notre 
recueil.  Il  est  invoqué,  dès  1309,  dans  des  contestations  entre  les  îles 
et  le  roi  d'Angleterre,  parce  qu'il  contient  l'exposé  fidèle  de  la  cou- 
tume :  eo  (jaod  lefjei,  Nonnannie  bene  in  ea  continentnr.  En  i332  ou 
i333,  il  est  confondu  avec  la  coutume  elle-même  :  «La  coustume 
M  de  Normendie,  q'est  appelé  la  Snmme  Mankael.  » 

Il  est  temps  de  nous  demander  quel  est  l'auteur  de  cet  important 
traité  de  droit.  On  a  mis  quelquefois  en  avant,  sans  raison  sérieuse, 
nous  pourrions  dire  sans  prétexte  sérieux,  soit  Beaumanoir,  soit 
Pierre  de  Fontaines.  L'avocat  De  la  Fov  songreait  à  Beaumanoir'"^'. 
On  se  demande  comment  cette  conjecture  a  pu  naître  dans  son 
esprit;  car  la  manière  de  notre  anonyme  et  celle  de  Beaumanoir  sont 
profondément  dissemblables.  Peut-être  La  Foy  avait-il  été  frappé  de 
deux  traits,  intéressants  en  eux-mêmes,  mais  qui  ne  sauraient  en 
aucune  manière  justifier  une  pareille  attribution  :  Beaumanoir  parle 
de  la  clameur  de  haro  à  peu  près  comme  s'il  écrivait  en  Normandie; 
il  cite  un  usage  normand  et  raconte  à  ce  propos  une  curieuse  et 
amusante  anecdote'^'.  Nous  n'apercevons  à  cette  hypothèse  évidem- 
ment insoutenable  aucun  autre  point  de  départ  possible.  Brodeau  et, 
après  lui,  Basnage  et  Laferrière  ont  songé  à  Pierre  de  Fontaines.  Mais 

''^  Julien   Havet,   Les  cours  royales  des  îles  '"'  De  la  Foy,  De  la  constitution  du  duché  de 

normandes ,  pièces  n"  xxxiv-xxxvi,  clans  Biblio-  Normandie,  1789,  p.  88. 
thèquedel'École  des  chartes,  t.  W\l\,  p.  2^^-  '"'  Beaumanoir, chap.  xxxv,  chap.  lu,  édit. 

245.  Salnion,  t.  II,  p.  Sg,  395,  S  1 100,  1571. 


76  LES  COll'iUMlERS  DE  NORMANDIE. 

le  Conseil  àe  Pierre  de  Fontaines  et  le  Grand  Coutumier  ne  se  res- 
semblent nullement  :  on  ne  saurait  donc  attribuer  avec  quelque 
vraisemblance  la  paternité  de  ces  deux  œuvres  à  un  même  auteur. 
L'origine  de  cette  conjecture  n'est  point  douteuse.  Le  manuscrit 
fr.  5a4ô  comprend  des  œuvres  très  diverses,  à  savoir  :  le  Conseil  de 
Pierre  de  Fontaines  sous  la  forme  du  Livre  la  lioïne;  une  version 
française  du  livre  111  des  Jnstitutes  do  Justinien;  le  Grand  Coutumier 
de  Normandie;  la  version  française  d'une  partie  du  livre  IV  des  In- 
stitutes  et  de  différents  titres  du  Digeste,  h'incipil  du  Livre  la  lioïne  est 
ainsi  conçu  :  Ci  commence  li  livres  des  usa(ies  et  coutumes  de  France  et  de 
Vermendois  selonc  court  laie,  et  ju  fezpor  une  roïne  de  France  très  (jentil  et 
très  noble.  Et  lefist  a  sa  recjueste  li  plus  safjes  lions  (jui  a  son  tans  vcs(juist, 
selon  les  lois,  et  por  ce  est  il  apelez  le  Livre  la  lioïne.  On  a  appli(|ué  ce 
petit  préambule  à  tous  les  traités  contenus  dans  le  manuscrit,  et 
cette  première  erreur  en  a  engendré  une  seconde  :  l'auteur  du  Livre  la 
lioïne  a  été  considéré  comme  étant  aussi  l'auteur  du  Grand  Coutumier 
normand.  Cette  erreur  de  Brodeau  et  de  ceux  qui  font  suivi^'^  n'a 
plus  cours  aujourd'hui.  Il  est  inutile  d'insister. 

Une  troisième  méprise,  don t  M.  Tardif '^^  a  peut-être  découvert  fori- 
gine,  a  été  commise  par  Charondas  Le  Caron  au  xvi"  siècle.  Le  dire  de 
Charondas  est  resté  pendant  deux  cents  ans  parfaitement  ignoré, 
mais  a  été  repris  et  habilement  développé  de  nos  jours  par  un  savant 
d'un  rare  mérite,  Henri  Klimrath.  Charondas  Le  Caron,  dans  ses  Pa/j- 
dectes  françaises,  avait  signalé  en  ces  termes  un  traité  de  droit  que  per- 
sonne n'a  jamais  revu  :  «  J'ay  veu  un  autre  livre  faict  du  temps  du 
«  mesme  roy  (Louis  IX)  pour  le  roy  Philippes  son  fils,  et  en  furent  les 
«  autheurs  Messire  Pierre  et  Messire  Clément  de  Tours  et  Messire  Robert 
«  le  Normand  et  Messire  Hue  de  Paris'^'.  »  Cette  assertion,  noyée  dans 
les  Pandec  tes  françaises  de  Charondas,  fut  comme  découverte  par  Klim- 
rath et  acceptée  par  lui  sans  réserve.  Il  en  fit  le  point  de  départ  d'une 
construction  laborieuse,  d'ailleurs  inachevée  :  un  groupe  de  travaux 
juridiques  aurait  été  commandé  pour  l'instruction  de  Philippe  le  Hardi 

'*'  Cf.  Brodeau ,  Coastame  de  la  prévosté  el  '''  Joseph  Tardif,   Les  auteurs  présumés  du 

ricomlé  de    Parif ,   Paris,    1C69,    t.    I,   p.    5.  ('< rond  CoiiUimier  de  Normandie,  Aam  Nouvelle 

Basnage,  La  Coatiune  réformée  du  pais  el  duché  hevue  hist.  de  droit  français  et  étranger,  i.  IX, 

de   Normandie,    llouen,  169/1,   t.  I,  p.  7; —  p.  i63,  i65. 

Laferrièrc,  Histoire  du  droit  civil  de  Rome  et  du  '''  Pandectes  de  droictfrançois.  Vivre  l,  cha- 

droil  français ,  t.  in,p.  laS.  pitre  il,  dans  Œuvres,  Paris,  1637, t.  Il,  p.  6. 


LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 


77 


à  quatre  jurisconsultes.  Pierre  de  Fontaines  [Messire  Pierre)  aurait 
rédif^é  les  coutumes  de  France  et  de  Vermandois,  Robert  le  Normand 
aurait  mis  par  écrit  les  usages  de  Normandie;  Klimrath  ne  parvient 
pas  à  découvrir  les  œuvres  propres  de  Clément  de  Tours  et  de  Hue 
de  Paris;  mais,  pour  leur  trouver  une  place  quelconque,  il  imagine 
qu'ils  reçurent  peut-être  la  modeste  mission  de  réunir  les  travaux  de 
Pierre  de  Fontaines  et  de  Robert  le  Normand,  c'est-à-dire,  si  nous 
essayons  de  serrer  de  pi'ès  la  pensée  de  Klimrath ,  de  rapprocher  dans 
le  même  manuscrit  le  Grand  Coutumier  et  le  Conseil.  Autant  avouer 
qu'on  n'a  pu  réussir  à  faire  une  place  à  ces  deux  prétendus  juris- 
consultes, qui  nous  sont,  en  efiPet,  aujourd'hui  encore,  parfaitement 
inconnus.  Mais  la  donnée  énigmatique  de  Charondas  pouvait,  du 
moins,  paraître  élucidée  pour  moitié.  Le  ms.  Ir.  5'i45  (9822  de  l'in- 
ventaire de  1 682  ),  fournissant  à  Klimrath  tout  à  la  fois  le  Grand  Cou- 
tumier normand  et  le  Conseil  de  Pierre  de  Fontaines,  lui  servait  à 
étayer  sa  fragile  conjecture ''\  qui  a  été  adoptée  par  plusieurs  histo- 
riens modernes '"^l  Elle  n'a  cependant  d'autre  base  que  l'assertion  d'un 
jurisconsulte  dont  il  serait  extrêmement  dangereux  d'accepter  aveuglé- 
ment le  témoignage,  car  il  a  commis  de  lourdes  méprises  dûment 
relevées  aujourd'hui.  Une  ligne  de  Charondas  Le  Caron  ne  vaut  pas 
plus  par  elle-même  en  faveur  de  Clément  de  Tours,  de  Robert  le  Nor- 
man et  de  Hae  de  Pans  qu'une  autre  ligne  du  même  auteur  ne  suffit 
à  faire  entrer  dans  l'histoire  littéraire  un  jurisconsulte  imaginaire 
comme  Gaido,  en  réalité  simple  scribe^^'.  Robert  le  Normand  a-t-il 
même  existé?  Probablement  non.  Mais  il  n'est  pas  tout  à  fait  impos- 
sible que  du  nom  d'un  certain  Will.  le  Normant,  qui  fut,  ce  semble, 
l'enlumineur  ou  le  copiste  d'un  manuscrit  du  Grand  Coutumier 
(lat.  1  2883);  soit  issu,  par  suite  d'une  mauvaise  lecture  accompagnée 
d'une  fausse  interprétation,  le  jurisconsulte  fabuleux  auquel  Klimrath 


'''  Klimrath,  Mémoire  sur  les  monuments 
inédits  de  l'histoire  du  droit  français  au  moyen 
ârje  (i835),  àixns  Travaux  sur  l'histoire  du  droit 
français,  Paris,  i8/»3,  t.  Il,  p.  3i-35. 

'*'  Warnkœnig  et  Steiii,  Franzôsische  Staats- 
and  Rechtsgeschichte ,  t.  11,  Base!,  i848,  p.  /i/i, 
note  1.  —  Warnkœnig,  Compte  rendu  dé- 
taillé de  l'ouvrage  de  Marnier,  Etablissements  et 
coutumes,  assises  et  arrêts  de  l'Echiquier  de  Nor- 
mandie ,  dan»  Zeitschrift  fur  die  Gesetzgebang 


and  Rechtswissenschaft  des  Aaslandes ,  t.  Xlll. 
p.  3a5.  —  Kœnigswartor ,  dans  Sources  et 
monuments  du  droit  français ,  mentionne,  sans 
se  prononcer,  l'opinion  de  Brodeau  et  celle 
de  Klimrath  (Paris,  i853,  p.  ii4).  —  Gi- 
noulhiac,  Cours  élémentaire  d'histoire  générale 
du  droit  français ,  Paris,  i88d,  p.  600,  n"  353. 
'■'*  Cf.  Paul  VioUet,  î/ne  visite  à  Cheltenham, 
dans  Bibliothèque  de  l'École  des  chartes ,  t.  XLl , 
18.80,  p.   i54. 


78  LES  COUTLiVJlERS  DE  N0RM\ND1E. 

a,  pour  ainsi  dire,  insufflé  la  vie  :  Robert  le  Normand.  Telle  est  du 
moins  la  conjecture  de  M.  Joseph  Tardif. 

Il  est  temps  d'arriver  à  un  nom  plus  sérieux  que  celui  de  Robert  le 
Normand  ;  nous  songeons  à  Maucael.  Maucael  doit  être  le  nom  du  rédac- 
teur du  Grand  Coutumier,  ou  encore  celui  d'un  de  ses  continuateurs, 
si  toutefois  on  admet  avec  M.  Joseph  Tardif  que  le  Grand  Coutumier 
a  reçu  de  mains  différentes  un  ou  plusieurs  suppléments.  M.  Joseph 
Tardif  a  poursuivi  dans  cette  direction  des  recherches  très  heureuses. 
Il  a  signalé  l'existence,  au  xiii*  siècle,  en  basse  Normandie,  d'une  fa- 
mille Maucael.  L'un  des  Maucael,  Raoul,  probablement  fds  de 
Michel,  était  clerc.  La  moitié  de  l'église  des  Pieux  lui  fut  conférée 
en  1 2  3o  par  l'évêque  de  Coutances,  Hugues  de  Morville,  sur  la  présen- 
tation de  l'abbé  et  des  chanoines  du  Vœu.  On  a  tout  lieu  de  sup- 
poser qu'il  possédait  encore  ce  bénéfice  en  1 2^3.  On  le  perd  dès  lors 
complètement  de  vue.  Nous  possédons  une  lettre  de  Michel  Maucael 
à  l'évêque  de  Coutances  :  Maucael  appelle  ce  prélat  son  dominas  et 
pater  spiritualis.  Malheureusement  M.  Tardif  n'a  pu  relever  le  nom  de 
Maucael  en  deçà  de  l'année  ia43''^  :  les  documents  lui  ont  fait  dé- 
faut. Cette  date  de  i2  43  est,  comme  on  le  verra,  antérieure  à  la 
rédaction  du  Grand  Coutumier. 

Si  le  nom  de  Maucael  nous  conduit  en  basse  Normandie,  certains 
passages  du  Grand  Coutumier  semblent  bien  révéler  la  même  ori- 
gine. Le  chapitre  xv.  De  mensuriset  ponderibus,  mentionne  les  localités 
de  Mortain  et  de  Saint-James*^'.  Le  nom  de  Valognes  revient  plu- 
sieurs fois  dans  des  formules  de  bref*^'.  Le  ms.  lat.  iSôôy  de  la  Bi- 
bliothèque nationale,  qui,  suivant  le  dernier  éditeur,  nous  a  conservé 
le  texte  latin  sous  sa  forme  la  plus  ancienne,  a  été  transcrit  dans 
le  diocèse  de  Coutances  '''l 

Enfin,  ajoute  M.  Tardif,  c'est  dans  le  bailliage  de  Cotentin  seule- 

'''  Tardif ,  La  Siimma  de  legibus  Normannie,  Morlaiii ,  comme  exemptes  du  fouage ,  Breteuil , 

p.  a;xxvii-r.(;xxxvii.  —  En  ia5i,  Haoul  Mau-  Alençon  et  autres  lieux.  Desdiverees  localités 

cael  n'était  plus  nanti  de  ia  moitié  de  l'église  mentionnées  dans  ce  document  l'auteur  cite 

des  I*ieux.  seulement  Mortain  :   il  ajoute  Saiiit-.Iames-de- 

'''  Summa   de  legibus,  chap.  xv,  S  6,  édit.  Beuvron  (arrondissement  d'Avranches). 

Tardif,  p.  /ja.  —  L'auteur,  en  écrivant  les  clia-  '''  Summa  de  legibas,  cliap.  ci ,  De  dote  negata , 

pitres  XIV  et  xv,  avait  probablement  sous  les  S    la;    chap.   cxrii.    De  bn-vi  de   sUib. ,   S    a; 

yeux    un    document    du   commencement   du  chap. cxxiv, /Je /e^e  appnrcH/i.S  i  ,  édit.  Tardif, 

xni' siècle  intitulé  Scriplam  de  foagio  (souvent  p.  256,  287,  33a  et  p.  ccxii,  note  a,  ccxvi, 

publié ,  notamment  dans  Brussel ,  Lsagedes fiefs ,  note  3. 

1. 1",  p.  aia).  Dans  ce  document  figurent  avec  '*'  Tardif,  ibid.,  p.  ccxvi. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  79 

ment  que  leCoutumierde  Normandie  et,  plus  tard,  la  coutume  réfor- 
mée ont  été  en  vigueur  en  leur  entier;  dans  le  reste  de  la  province, 
il  V  avait  presque  partout  des  coutumes  locales  qui  en  modifiaient  les 
dispositions.  C'est  avec  le  Cotentin  et  l'Avranchin  que  les  habitants 
de  Jersey  et  de  Guernesey  avaient  le  plus  de  rapports  :  ils  relevaient 
au  spirituel  de  l'évêque  ue  Coutances;  les  grandes  abbayes  de  cette 
région,  Cherbourg,  Saint-Sauveur-le-Vicomte,  Blanchelande ,  le 
Mont- Saint-Michel,  avaient,  ainsi  que  le  chapitre  de  Coutances,  de 
vastes  possessions  dans  les  îles;  si  bien  que,  pour  les  insulaires,  les 
diocèses  de  Coutances  et  d'Avranches  étaient  la  Normandie  par  excel- 
lence. 

Telles  sont  les  considérations  les  plus  séduisantes  en  faveur  de  la 
basse  Normandie. 

M.  J.  Tardif  a  pu  établir  que  les  Maucael  possédaient  une  maison 
à  Valognes.  Aussi  le  nom  de  Valognes,  dans  certaines  formules  du 
Grand  Coutumier,  attire-t-il  tout  particulièrement  son  attention  et  la 
nôtre  :  ce  nom  ligure  aux  chapitres  ci.  De  dote  ne(jata,S  i  2  ;  cxiii.  De 
brevi  de  stabilia,  S  2  ;  cxxiv,  De  leye  apparenti,  S  1 .  H  semble  que  ce  soit 
là  une  raison  de  plus  pour  songer,  sans  rien  affirmer  d'ailleurs,  à  un 
Maucael;  mais  M.  Tardif  soulève  ici  une  difficulté  :  dans  son  senti- 
ment, les  chapitres  cxiii  et  cxxiv  n'appartiennent  pas  à  l'œuvre  pri- 
mitive :  ce  sont  des  additions  comprises  dans  le  bloc  des  chapitres 
cxiii  à  cxxv,  lequel  est  mis  à  part  par  ce  savant  et  considéré  comme 
secondaire.  (Nous  reviendrons  sur  ce  point.)  De  cette  circonstance 
que  Valognes  est  le  seul  nom  de  lieu  mentionné  dans  les  formules  de 
ces  chapitres  additionnels,  M.  Tardif  est  amené  à  cette  conclusion  : 
Maucael  ne  serait  pas  l'auteur  du  texte  primitif,  mais  seulement  le 
plus  connu  de  ses  continuateurs,  celui  qui  a  donné  au  traité  sa  forme 
définitive  en  le  complétant  par  l'insertion  des  derniers  chapitres  '"l 
C'est  pousser  un  peu  loin  le  scrupule,  car  le  nom  de  Valognes  appa- 
raît aussi  dans  le  chapitre  ci,  qui  n'est  pas  contesté.  Le  nom  de  Mau- 
cael reste  donc  intéressant,  à  nos  yeux,  non  seulement  pour  les  der- 
niers chapitres,  mais  pour  l'œuvre  entière. 

Que  le  rédacteur  primitif  s'appelât  Maucael  et  fût  de  Valognes,  ou 
qu'il  portât  un  autre  nom,  nous  estimons  que  c'était  un  clerc.  Voici 

'''  J.  'l'aidir,  La  Summa  de  legibas  Norin, ,  p.  ccwxiv . 


80  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

les  observations   diverses  qui  nous  conduisent  à  celte  conclusion. 

On  admet  généralement  aujourd'hui  que  l'ouvrage  a  été  écrit  en  latin 
(nous  insisterons  plus  loin  sur  le  caractère  primitif  du  texte  latin  et 
nous  nous  eflorcerons  d'apporter  à  la  démonstration  de  l'opinion 
adoptée  par  les  derniers  critiques  un  plus  grand  degré  de  précision). 
Bien  peu  de  laïques  eussent  été  capables,  au  xiii*  siècle,  de  composer 
ainsi  en  latin. 

Si  la  langue  adoptée  par  l'auteur  fait  songer  à  un  clerc  plutôt  qu'à 
un  laïque,  la  physionomie  générale  de  l'ouvrage  donne  la  même  im- 
pression. Il  est  divisé  en  Parties  et  Distinctions,  division  très  fré- 
quente dans  les  traités  de  droit  canon  ou  de  philosophie  scolastique^' 
inusitée  dans  les  œuvres  profanes.  Nous  remarquons  aussi  que  l'au- 
teur, dans  son  second  prologue,  semble  s'être  inspiré  de  la  lettre  par 
laquelle  Grégoire  IX  envoya  (laS/i)  le  recueil  des  Décrétales  aux 
universitésde  Paris  etde  Bologne;  ce  qui  convient  fort  bien  à  un  clerc. 

Une  autre  circonstance  attire  notre  attention.  Le  glossateur  du 
xv"  siècle  atteste  que  le  droit  normand  employait,  pour  compter  les 
degrés  de  parenté,  le  mode  de  supputation  canonique'"':  «  Et  doit  on 
«  savoir  que,  selon  la  coustume  du  pays  de  Normendie,  l'on  conte  les 
«  degrez  en  ligne  colateral  selon  les  canonistes;  car  deux  frères  font  le 
«premier  degré  et  ne  font  que  ung  degré '"^'.  »  D'où  vient  cet  usage? 
Très  probablement  de  ce  fait  que  notre  anonyme  a  exprimé  en  ca- 
noniste  les  degrés  de  parenté  dont  il  a  eu  à  parler'^'  et  a  créé  ainsi  un 
précédent  dont  on  ne  s'est  plus  écarté.  Ceci  serait  d'un  clerc,  non  d\m 
laïque.  Enfin  notre  jurisconsulte  s'était  certainement  occupé  de  philo- 
sophie scolastique  :  ce  qui  convient  aussi  à  un  clerc.  Nous  ne  relève- 
rons pas  à  l'appui  de  cette  observation  l'usage  de  certaines  c<alégories 
et  classifications  qui  rappellent  Aristote  (/oc/w,  causa,  nwdus,  iempui'''*),  { 
car  ici  la  lecture  du  Digeste*^'  eût  pu  sulïlre  à  notre  auteur;  mais  nous'' 
signalerons  l'emploi  de  l'expression  scolastique  ywm  operaliva  dans 
cette  phrase  :  Justicia  est  virtus  juris  operativa^^^  ;  l'emploi  du  mot 
maneries  :   Est   ergo    tfnenra    maneries   (jua    tenentur  de  domiins  le.ne- 

'■'  Cf.  Tardif,  p.  CLXXxvii.  <'>  Digeste.    XLVIII,   \ix,    De  fmnh.  $  i6 

'*'  (îlose  sur  le  chapitre  xxv  (édit.  Tardif.  (Claudius  Salnrniiuis). 

chap.  xxiii).  '■^^■Suiuinu  de  leçjibiis ,   ciiap.  m,  S  i,  p.  7. 

''>  Suinina  de  leijibus ,  c\iep.  xxill ,  î -j ,  édil.  —    Cet    adjectif   operalivus    [operiiliviis  jiisti) 

Tardif,  p.  77.  figure    au  moyen    âge   dam  les    traductions 

<'' /Aid.,  ch.  i,xviii,Sa,p.  173.  latines   d'Aristote   (Aristote,    Ethique.  \\  10, 


LES  COIJTUMIERS  DE  NORMANDIE.  81 

inenta^^^  (xxvi,  S  i),  et  surtout  i adoption  d'une  expression  qui  est 
empruntée  au  commentaire  d'Averroès  sur  l'Ethique  d'Aristote  :  nous 
voulons  parler  de  la  locution  «  droit  positif»  (jus  posidvum).  C'est  pro- 
bablement de  ce  commentaire  que  nous  vient  l'expression  courante* 
aujourd'hui  de  «droit  positif».  Cette  locution ,  à  peuprès'^'  inconnue 
des  jurisconsultes  au  xin"  siècle,  mais  usitée  dans  la  philosophie  sco- 
laslique,  figure  au  frontispice  de  notre  traité  :  Jas  itcufue  (juoddam  est 
natarale,  (luoddam  poskivum^^l  Notre  auteur  est,  croyons-nous,  un  des 
premiers  jurisconsultes  français  qui  aient  emprunté  aux  scolastiques 
cette  locution.  Cet  emprunt  ne  devait  que  beaucoup  plus  tard  se  na- 
turaliser dans  la  langue  du  droit.  H  y  a  donc  là,  chez  ce  juriscon- 
sulte, quelque  chose  d'assez  caractéristique. 

L'anonyme  ne  laisse  pas  facilement  pénétrer  le  secret  de  ses  lec- 
tures, car  il  s'assimile  parfaitement  ses  auteurs.  On  peut  cependant 
soupçonner,  au  chapitre  i,  la  trace  d'Azo'**',  qui  semble  avoir  inspiré 
les  diverses  définitions  du  jus. 

La  culture  philosophique  et  la  culture  littéraire  vont  ordinaire- 
ment de  pair.  L'anonyme  emploie  çà  et  là  quelques  tours  littéraires 
fort  remarquables  chez  un  juriste  :  Ex  (jua  \^injiina\  contenliones 
singule  oriuntiir  tanquam  ex  eodem  fonte  rivuli  defluentes;  Ipsa  [inju- 
ria] est  mater  omnium  contentionum  ^^K 

Si  notre  auteur  est  un  clerc,  nous  ne  voyons  pas  cependant  que  ses 
solutions  juridiques  dénotent  une  grande  partialité  pour  l'Eglise. 
Nous  pouvons  même  noter  au  chapitre  ex,  De  brevi  de  jure  patronatns, 
une  solution  équitable,  mais  assez  dure  pour  l'évêque  qui  ferait  dé- 
faut dans  un  procès  soulevé  sur  un  droit  de  patronage'*''.  La  famille 
Maucael  avait  possédé  un  moment  le  droit  de  patronage  de  la  moitié 
de  l'église  des  Pieux,  et  un  Maucael,  clerc,  avait  obtenu,  non  sans 

dans  Thomas  d'Aquin,  In  Ubr.  Elhic.  Arlsl.  ail  Archives  légîsl.  de  Reinu,  i"  partie,  Coutumes, 

Nie.,  cui  tripUcem  textiis  interpret.  adjecimas;  p.  38a). 

Veneliis,  i563,  fol.  8g  \°)  et  se  retrouve  chez  '*'  Summa  de  legibus,  ctiap.  i,  S  i,  édit. Tar- 
tes pliilosoplies.  Voir,  par  exemple ,  te  Speca-  dif,  p.  5. 

lum  morale  attribué  à   Vincent  de  Beauvais,  '*'  Cf.  Azo,  Summu  Instit.,l,  i.  De  jastitia  et 

tib.  I,  part.  III,  dist.  48.  jure   (édit.    de  Lyon,    i5i4,  fol.  r.CLXix),   et 

'''  Cf.  Tardif,  p.  clxvii.  Summa  de  legihus,  l.  De  jure. 

''•  Dreux  de  Hautvitlere,  qui,  comme  notre  '''  Summa  de  legibus,  ctiap.  i.,S  i,  5, p.  i34, 

anonyme,  avait  une  très  large  culture,  l'em-  i35. 

ploie    aussi   (Dreut    de    Hautvitters,    Summa  '"'  Summa  de  leyibns ,  édit.  Tardif,  p.  370, 

rfe  omni^cn/irt/e.  Pars  prima,  IX,  dans  Varin,  271. 

HIST.  LITTÉR.  —  XVXIIl.  1  I 


82  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

débat,  la  moitié  de  ce  bénéfice^''.  Ces  circonstances  expliqueraient- 
elles  certaines  particularités  du  chapitre  ex?  Dans  ces  affaires  de 
patronage,  l'évêque,  même  s'il  n'est  pas  partie  au  procès,  est,  au 
fond,  toujours  intéressé  au  litige,  comme  représentant  spirituel 
de  l'Église;  or,  si  on  lit  attentivement  le  chapitre  ex,  on  s'aperçoit 

?[ue  notre  auteur  fait  incliner  la  procédure  dans  une  direction 
avorable  au  patron.  Philippe  Auguste  avait  organisé  pour  ces 
litiges,  à  la  demande  des  évêques  normands,  une  procédure  dont 
la  pensée  fondamentale  se  résume  en  un  mot  :  c'est  un  jury  mixte 
de  quatre  chevaliers  et  de  quatre  prêtres,  désignés  les  uns  et  les 
autres  par  le  bailli  et  par  l'évêque,  qui  statuera'^'.  Nous  croyons 
entrevoir  dans  le  chapitre  ex  une  tendance  à  restreindre  cette  pro- 
cédure nouvelle  aux  cas  de  débals  au  pétitoire,  l'ancien  jury  pure 
ment  laïque  étant  conservé  pour  les  procès  au  possessoire'^'  (ou,  peut- 
être,  l'ancien  système  des  verdicts  rendus  à  l'unanimité  et  non  à  la 
majorité  étant  maintenu  en  ce  cas);  ce  même  jury  laïque  est  prévu 
pour  le  cas  où  les  deux  parties  sont  laïques,  au  lieu  d'être  l'une 
laïque  et  l'autre  ecclésiastique^*^. 

Nous  savons,  d'ailleurs,  que  cette  dernière  solution  était,  en  géné- 
ral, celle  des  bailhs  avant  12  58.  Les  évêques  normands  s'en  plai- 
gnirent au  roi,  précisément  à  cette  époque'*^.  Leur  requête  est  fort 
importante.  Elle  tend  à  obtenir  diverses  autres  solutions  favorables  qui 
sont  comme  autant  d'additions  ou  de  corrections  à  la  coutume.  Ils 
voudraient  notamment  que  les  baillis  de  Normandie  procédassent  à 
une  enquête  en  l'assise  suivant  immédiatement  le  décès  de  toute  per- 
sonne soupçonnée  d'usure,  au  lieu  d'attendre,  comme  ils  le  faisaient, 
une  assise  plus  éloignée.  Une  décision  du  Parlement  (de  la  Saint- 
Martin  d'hiver  1268)  fit  droit  à  cette  pétition. 

Nous  avons  déjà  mentionné  ce  texte  important  des  OUin,  parce 
u'il  contient  peut-être  la  première  allusion  officielle  au  Coutumier 
e  Normandie,  lequel,  comme  nous  le  dirons  à  l'instant,  étaitrédigé, 
<lu  moins  en  très  grande  partie,  depuis  peu.  Le  ])assage  de  la  (cou- 
tume visé  par  l'arrêt  de    1268  fait  soupçonner,  lui  aussi,  la   main 

''>^  Tardif,  p.  ccxxix.  ''>  Snmma,  chnp.  r,x,  S  8,  p.  5169. 

'''  Delisle,  Cal.  tics  actes  dr Philippe  Augasle,  '*'  Snmma,  cliap.  ex,  S  1-6,  8,  ihiif. ,  p.  aC.'i- 

n*  io5i.  (>f.  I-aurenrc  de  Gruchy,  L'aiic.  coût.  a68,  369. 
de  Norm.,  p.  364-69.  '')  l^eugnot ,  0/im ,  t.  1,  p.  59-6S. 


LES  COLTCMIERS  DE  NORMANDIE. 


83 


d'un  clerc.  C'est,  à  notre  sens,  un  clerc  plutôt  qu'un  laïque  qui  classa 
en  théologien  les  espèces  diverses  enlachées  d'usure,  et  nous  laissa 
ainsi  en  passant  une  petite  théorie  de  l'usure ''l 

Ce  clerc,  à  la  fois  jurisconsulte  et,  dans  une  mesure  que  nous  ne 
saurions  préciser,  philosophe  scolastique,  a  certaines  manières  de 
<lire'"^'  qui  nous  font  soupçonner  l'existence  d'un  groupe  de  patriotes 
normands  qui  déploraient  l'annexion  trop  complète  à  la  couronne  do 
France  et  regretlaient  la  flis|)arition  des  ducs.  L'existence  de  ce 
sentiment  paraît  établie  pour  la  première  moitié  du  xiv"  siècle'''^  :  il 
est  clair  qu'il  devait  exister  au  xm".  Jamais  le  roi  de  France  ne  s'est 
intitulé  duc  de  Normandie.  Et  cependant,  pour  notre  auteur,  qui 
écrit  sous  saint  Louis,  il  y  a  toujours  un  duc  de  Normandie.  Ce  duc 
de  Normandie,  c'est  le  roi  de  France.  Mais  on  se  plaît  à  parler  du 
duc  de  Normandie  plutôt  que  du  roi  de  France.  Ainsi  c'est  au  duc 
de  Normandie  qu'est  dû  le  service  militaire '''l  Est-ce  là  une  pure  ques- 
tion de  forme  et  de  style?  N'y  faut-il  pas  apercevoir  une  pointe  de 
patriotisme.^  Le  chapitre  De  oJjUcio  senescalli,  qui,  suivant  M.  Tardif, 
n'appartiendrait  pas  à  la  rédaction  primitive '*\  porte,  lui  aussi,  la 
marque  de  ces  regrets  profondément  normands.  On  ne  saurait  lire 
ce  morceau,  qui  n'est  qu'un  long  et  assez  éloquent  retour  vers  le  passé, 
sans  s'apercevoir  que  l'auteur  voudrait  voir  revivre  ce  passé  et  saluer  de 
nouveau  ce  grand  sénéchal  de  Normandie,  qui  était  jadis  le  chef  et  le 
régulateur  de  l'administration  et  de  la  justice. 

Nous  arrivons  à  la  date  de  la  rédaction  du  Coutumier.  Notre  texte 
est  postérieur  à  une  ordonnance  de  saint  Louis  dite  «  Ordonnance  pour 
«  laréformatioh  des  mœurs  » ,  laquelle  nous  est  parvenue  avec  des  dates 
un  peu  différentes  (  1204,  i256)'^',  suivant  les  provinces  auxquelles 
les  diverses  expéditions  de  l'ordonnance  étaient  destinées.  Il  est  pos- 
térieur à  cette  ordonnance,  car  l'auteur,  dans  le  chapitre  vi,  Dejusti- 


''  5umma,  chap.  xix ,  édit.  Tardif,  p.5a-55. 

''•  Summa,  chap.  xi;  xii,  S  i;  xiv,  S  i,4; 
XVI,  S  4;  XIX,  S  I,  édit.  Tardif,  p.  Sy,  38, 
ào,  4i.  47,  5a  et  passim. 

'■''  Les  Normands  accueillirent  avec  enthou- 
siasme, en  i332,  l'institution  d'un  duc  de 
Normandie  (Jean,  fils  aine  de  Philippe  de 
Valois).  Cette  restauration  doit  être  rangée 
parmi  les  concessions  qu'explique  la  lutle 
contre    l'Angleterre.     (Chéruel,    Histoire    de 


Rouen,  t.  II,  1844,  p-  7,8.  René  de  Belleval, 
La  première  campagne  d'Edouard  III en  France, 
Paris,  1864,  p.  ao6.) 

'**  Summa,  chap.  XLiii,  S  1,  ibid.,  p.  125. 

'■''  Summa,  chap.  iv  bis,  ibid.,  p.  12-1 5. 

'*'  Et  aussi  quelques  variantes,  suivant  les 
abus  qu'on  voulait  réprimer.  Tout  cela  a  été 
fort  bien  vu  par  Laurière  (Orf/.,  t.  I,  p.  76, 
note  zzz).  Voir  le  passage  cité  ci-après  p.  84, 
note  « . 


84 


LES  COUTUMIERS  DK  NORMANDIE. 


ciacione^^\  y  a  fait  un  emprunt.  Il  a  même  cité  textuellement  tout  un 
fragment  d'ordonnance  du  saint  roi,  fragment  qui  est  tiré  probable- 
ment de  quelque  exemplaire  normand  de  l'ordonnance,  exemplaire 
dont  nous  soupçonnons  l'existence,  mais  que  nous  n'avons  pas  ren- 
contré. L'ouvrage  enfin,  ou,  du  moins,  une  partie  considérable  de 
l'ouvrage,  est  antérieur  à  la  session  de  l'Echiquier  de  la  Saint-Michel 
1  q58,  car  deux  actes  législatifs  très  importants  pour  le  droit  normand 
qui  furent  promulgués  dans  cet  Échiquier  n'ont  laissé  aucune  trace 
dans  notre  Coutumier  :  nous  voulons  parler  de  la  prohibition  en  Nor- 
mandie du  duel  judiciaire,  et  du  règlement  qui  restreignit  le  droit  de 
tavernage  dans  la  même  province.  Or  le  Grand  Coutumier  s'occupe 
avec  détails  du  duel  judiciaire  et  ignore  complètement  la  prohibition 
de  cette  procédure.  Le  Grand  Coutumier  sup])Ose  le  droit  de  taver- 
nage en  plein  exercice;  il  ne  connaît  encore  aucune  restriction  à  ce 
droit. 

On  le  voit  :  une  partie  considérable  du  Grand  Coutumier  fut  achevée 
entre  les  années  12 54  (environ)  et  12  58^'^.  L'ouvrage  était  encore 
tout  récent,  et  peut-être  inachevé,  lorsqu'on  s'en  servit  au  Parlement 


Chap.  v[,  De  jttsli- 

clacione ,  S  8  : 

Pn'lor  liée  taraen 
.scicncluiii  est  quod  pro 
drbilo  priiicipis,  clapso 
torniino  solucioni  de- 
jiutato,  solct  in  dc- 
liilorrs  justiciacio  fii'ri 
corporis,  licetpro  nuilo 
alio  dehilo  debcat  cor- 
pus hominis  justiciari. 
(Édit.  Tardif,  p.  ai.) 


'''  Ordonnance  de 
1254,  art.  1 19  : 

Ne  vcro  sen<'scalli(o/. 
liallivi)  nosti'i  et  infe- 
riores  ballivi  [al.  ofTi- 
rialcs)  contra  justiciam 
snbditos  nostros  gra- 
vent, inbiljemuseisdem 
ne ,  pro  quocumque  de- 
bilo  pivtcr  nosirmn, 
capiant  vcl  captum  de- 
lincant  aliqucm  subdi- 
torum.  (Lanrière, Ord.. 
1.  I,  p.  72.  —  Cf.Ord. 
de  n55,  art.  17,  ihid., 
p.  80.) 

M.  Tardif  rapproche  aussi  de  l'ordonnance 
de  ia54  le  cliapitre  iv,  De  jtisliciario,  S  a  à  4 
(Tardif,  S'imina  de  legibus,  p.  ci.xxwiii).  Ce 
rapprochement  nous  parait  bien  moins  jus- 
tilié. 

'*'  M.  Esmein  incline  à  vieillir  l'ouvrage  de 
(|uel(|ues  années  [Cours  élément,  d'huloire  du 
droit  français ,  3*  édit.,  p.  728,  note  a).  Voici 
son  raisonnement  :  l'auteur,  au  chap.  cxi,S  |3, 
expose  que,  de  son  temps,  on  déclare  couverts 
par  la  prescription  tous  les  actes  antérieurs  au 


couronnement  de  Richard  Cœur  de  Lion 
(1189);  mais,  ajoulc-t-il,  le  roi  devrait  bien 
maintenant  fixer  une  autre  date,  car  depuis 
celle-là  il  s'est  écoulé  aujourd'hui  plus  de 
temps  que  n'en  exige  la  prescription  :  De  qtia 
ad  présent ,  ciiin  trmpus  umplius  posl  coronumen- 
tuni  régis  Ricardi  consict  esse  quam  reqairat  pres- 
criplio  rtvohitum,  expedit  in  projcimo  per  dont  inum 
régent ,  qui  sibi  principis  reiinet  dignitatem ,  pres- 
criptionis  terminum  immiitare.  «  (]elte  façon  de 
■  parler,  poursuit  M.  Esmein,  peut  bien  s'en- 
«  îcndrc  d'un  laps  de  quarante  ou  de  cinquante 
«  ans  ;  mais  on  ne  comprendrait  pas  qu'on  eût 
I  laissé  prendre  à  une  prescription  normalc- 
«  ment  trentenaire  une  durée  beaucoup  plus 
«  longue.  •  M.  Esmein  estime  que  -le  Coutumier 
a  été  composé  peu  après  it'àà  (puisque,  dans 
son  second  prologue,  l'auteur  paraît  s'être 
inspiré  d'une  bulle  de  Grégoire  IX  du  ,">  sep- 
tembre 1334);  le  délai  pour  la  prescription 
s'élèverait  alors  à  un  peu  plus  de  (juarante- 
cinq  ans.  Quant  à  l'utilisation  par  l'auteur  de 
l'ordonnance  de  ia54,  M.  Esmein  ne  la  con- 
sidère pas  comme  démontrée. 

Cette  observation ,  qui   pourrait  être  corro- 
borée par  un  argument  tire  du  chapitre  \%i , 


•LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


85 


de  Paris  de  la  Saint-Marh'n  d'hiver  i  268,  à  l'occasion  de  l'affaire  des 
enquêtes  après  le  décès  de  personnes  suspectes  d'usure.  La  décision 
du  Parlement  de  Paris  lut  utilisée  et  ajoutée  au  tex.te  primitif  du 
Coutumier^'l  Nous  attribuerions  assez  volontiers  cette  addition  et 
probablement  d'autres  additions'"^'  à  l'auteur  lui-même,  qui  aurait 
revu  et  complété  son  œuvre. 

Nous  avons  dit  que  le  Grand  Coutumier  nous  est  parvenu  en  latin  et 
en  français,  et  nous  avons  considéré  le  texte  latin  comme  le  texte 
original.  Le  moment  est  venu  de  justifier  cette  assertion ,  qui  ne  va  pas 
sans  quelques  difficultés.  Le  lecteur  a  remarqué  que  l'article  sanc- 
tionné par  Philippe  le  Bel  est  cité  en  français.  Il  en  résultera,  si  l'on 
veut,  que  le  texte  ofïiciel  du  chapitre  lxxxii  de  la  Coutume  est  le  texte 
français  et  non  le  texte  latin.  Mais  nous  ne  devons  tirer  de  ce  fait  au- 
cune conclusion  quant  à  l'antériorité  de  l'un  des  deux  textes,  et  nous 
pourrions  même  nous  tromper,  si  nous  voulions  en  conclure  que  le 
texte  devenu  peu  à  peu  officiel  en  son  entier  est  le  texte  français  et 
non  le  texte  latin.  En  effet,  dans  les  vingt-cinq  premières  années 
du  xiv'  siècle,  le  corps  de  ville  de  Rouen  aurait  fait,  suivant  M.  Ri- 
chard'^*, orner  de  riches  enluminures  un  volume  qui  ne  contient  que  le 
Coutumier  latin.  Un  siècle  plus  tard,  fait  remarquer  le  même  savant, 
l'autour  de  la  glose  se  réfère  au  Coutumier  en  latin  dans  la  plupart  des 
controverses  qu'il  rapporte  et  il  y  fait  toujours  appel  en  dernier  ressort. 
De  son  côté,  l'auteur  du  Coutumier  versifié  nous  ap])rend  (et  cette 
assertion  est  exacte)  qu'il  s'est  servi  d'un  original  latin  : 

Et  je,  qui  mp  sni  entremis 
D'avoir  cesl  livre  en  rime  mis, 
Segon  le  latin  l'ai  estreit. 

Et  il  ajoute  qu'en  cas  d'hésitation  on  devra  se   reporter  «  au  livre 


$  •>.  bis,  ne  nous  semble  cependant  pas  con- 
cluante, parce  que,  à  nos  yeux,  le  rédacteur  du 
chapitre  vi ,  De  officia  vicecomitis ,  S  8,  a  cer- 
tainement connu  l'ordonnance  de  saint  Louis 
de  1  a54  environ  :  c'est  ce  qu'un  ancien  anno- 
tateur (nis.  (r.  5968,  fol.  IX  r°)  a  déjà  constaté. 
Cet  annotateur  n'a  pas  hésité  à  rapprocher  de 
ce  passage  l'ordonnance  royale  :  Hoc  est  sla- 
tiiiiim  .«/nc(i  iuiiotiici,  écrit-il.  Si  nous  connais- 
sions le  texte  entier  et  la  date  d'une  autre  or- 
donnance de  saint  Louis  citée  au  même  cha- 


pitre VI,  Dejusticiacione,  S  7,  nous  pourrions 
sansdoute  arriver  à  une  précision  plusgrande. 

'''  Summa  de  legibus,  chap.  .\ix,  S  (i  bis, 
édit.  Tardif,  p.  5,')  ;  c(.  p.  cxcv. 

'*'  Rappixjchez  notamment,  comme  l'a  fait 
M.  Tardif,  le  chapitre  cxv.  De  brevi  defeodo  el 
cleemosina ,  S  3,  d'une  autre  décision  du  Parle- 
ment ,  de  la  même  session  de  la  Saint-Martin 
d'Iiiver  ia58  [Olim,  t.  I,  p.  61;  Tardif,  La 
Siimma  de  Jegibiis  Nonit.,  p.  cxcv). 

W  Tardif,  p.  I.X.  . 


86  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

«en  latin'"' ».  Malgré  tout,  la  question  était  restée,  croyons-nous,  un 
peu  flottante.  Elle  l'est  encore  aujourd'hui  dans  les  îles  normandes. 

Mais  la  question  de  savoir  en  quelle  langue  a  été  écrit  notre  Coutu- 
mier  est  une  question  de  fait,  distincte  de  celle  que  nous  venons 
d'indiquer  et  susceptible,  croyons-nous,  d'une  solution  ferme. 

«  Le  texte  latin  présente,  écrit  M.  Tardif,  la  précision  de  style  et 
«la  clarté  d'exposition  qui  distinguent  les  œuvres  originales,  tandis 
«  que  ces  qualités  ne  se  rencontrent  pas  au  même  degré  dans  la 
«  version  française.  Il  est  de  plus  écrit  en  prose  rythmée;  or,  s'il  n'est 
«  guère  naturel  qu'un  traducteur  s'assujettisse  aux  règles  gênantes  du 
«  rythme ,  on  comprend  au  contraire  qu'un  auteur  se  soit  préoccupé  de 
«  donner  à  son  style  toute  l'élégance  que  comportaient  les  habitudes  du 
M  temps.  »  Nous  ajouterons  que  les  divisions  de  l'ouvrage  en  «  parties  » 
et  «  distinctions  »,  la  manière  générale  de  l'auteur,  certaines  définitions 
sur  lesquelles  nous  reviendrons,  rappellent  de  près  la  scolastique  et 
les  habitudes  des  maîtres  qui  écrivaient  en  latin;  l'hypothèse  d'une 
œuvre  originale  française  est  par  là  même  très  invraisemblable. 

Aussi  bien,  la  comparaison  attentive  du  texte  latin  et  du  texte 
français  conduit  directement  aux  mêmes  conclusions.  On  sent  que 
le  mot  propre  fait  parfois  défaut  au  traducteur  français;  on  retrouve 
dans  le  français  quelques  tournures  latines.  C'est  ce  que  feront  sen- 
tir un  petit  nombre  d'exemples. 

Voici  une  expression  latine  empruntée  à  la  philosophie  scolastique 
et  pour  laquelle  l'expression  technique  correspondante  a  manqué  au 
traducteur  du  xiii*  siècle,  comme  elle  manquerait  encore  au  traduc- 
teur du  xix*  : 

Justicia  est  virtus  j'uris  operativa  in  homine,  Jastice  est  une  vertu  qui  fet  droit  en  home 

a  qua  homo  justus  dicitur.  par  quoi  il  est  appelé  droituriers. 

■  [Sanuna  de  legibus,  .„,  S  , ,  édit.  Tardif,  p.  7.)  J  ^''-  \  \\^^;  f"'-  S*^  1°  •„^9f  ,'  ''°';  ^  "^ 

^  »       '      '       .  >  r  /  J        et  v°;  ms.  SgSS,  foL  5  r';  5961,  fol.  2  r°.) 

Notons  encore  deux  termes  juridiques  latins  {domicd'ium ,  fide- 
jiissio)  qui  ont  fait  défaut  au  traducteur  français  : 

Si  autem  nec  senescallum ,  nec  prepositum  Et  se  il  n'a  prevost  ne  seneschal ,  l'en  doit 

habuerit,  ad  proprium  domiciliiim  recurrendum  aler  a  $a  meson. 
e»i.  (Mss.  fr.  SgGS,  fol.  li  v°;  5345,  fol.  1 16  r*; 

(Suinma  de  kgibus,  cbap.  i.x.  De  sahmonit. ,  SgSS,  fol.  LUll  v'fiâgtii,  fol.  3o  v*.) 
S  6,  édit.  Tai-dif',  p.  i54.)  .  y  .u-fi 

'■'  Tardif,  Lm  Sumina  de  U^ibui  Nonnnnnie,  p.  cxXKyilrCVOl-V    ,. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  87 

Domiciliiim  est  un  mot  latin  qui  n'existe  pas  encore  dans  la  langue 
juridique  française  au  xiii'  siècle.  Le  mot  meson,  plus  faible,  moins 
précis,  moins  juridique,  est  le  seul  qui  s'oHre  à  l'écrivain  français. 
La  présence  du  terme  technique  dans  le  texte  latin ,  alors  que  le  texte 
français  n'a  qu'un  mot  banal,  rend  très  vraisemblable  l'hypothèse  de 
l'originalité  du  texte  latin. 

lit  est  plegiatio  idem  quod  fidejassio.  Plevine  est   autretant   comme  promesse  de 

loiatité. 

(iSum»iu<,  ch.  Lix,  6,  édit.  Tardif,  p.  1 49.)  (Ms.  fr.  5963,   fol.    Sg  r°;  ms.  fr.  52^5, 

fol.  ii5  r*;  ms.  fr.  5958,  fol.  lx  r";  ms.  fr. 
5961,  fol.  ag  r*.) 

Celui  qui  écrit  «  promesse  de  loiauté  »  calque  évidemment  de  son 
mieux  le  terme  latin  consacré,  fidejiissio  :  le  mot  français  technique 
lui  manque,  car  il  faudrait  dire  «plevine»  et  il  s'agit  précisément  de 
trouver  à  «  plevine  »  un  équivalent  qui  n'existe  qu'en  latin.  Si  le  texte 
eût  été  rédigé  en  français  par  un  jurisconsulte  qui  eût  voulu  com- 
parer «plevine»  el  fidejnssio,  ce  jurisconsulte  eût  courageusement 
emiployê  fidejussio  comme  mot  latin  dans  son  texte  français. 

Le  chapitre  cxiii.  De  brevi  de  stabilia,  est  consacré  aux  procès  au 
pétitoire  en  matière  immobilière.  Le  rédacteur  suppose  que  l'objet 
du  litige,  un  immeuble,  a  été  mis  sous  séquestre,  in  manu  principîs, 
ou  qu'il  a  été  visité  par  des  enquêteurs.  11  se  sert  à  plusieurs  reprises 
de  l'expression  conteniio  pour  désigner,  dans  ce  cas,  non  le  différend 
lui-même,  mais  l'immeuble  objet  du  différend.  Le  latin  du  moyen 
âge  admettait  cette  façon  rapide  de  s'exprimer.  La  langue  française 
ne  se  plie  pas  -à  ce  tour  :  nous  trouvons,  en  ce  cas,  le  mot  terre^^^  en 
regard  du  latin  contentio.  Si  l'ouvrage  avait  été  traduit  du  français  en 
latin,  le  traducteur  n'eût  pas  été  ici  embarrassé  :  il  eût  traduit  terre 
par  terra  et  n'eût  pas  été  chercher  bien  loin  îe  mot  latin  contentio 
pour  l'employer  en  en  forçant  et  en  en  faussant  le  sens. 

Ces  observations  et  ces  rapprochements  nous  autorisent  à  admettre 
l'antériorité  du  latin. 

Ne  nous  exagérons  pas  toutefois  la  valeur  de  cette  conclusion  cri- 
tique. La  nature  même  des  choses  nous  oblige  à  reconnaître  que  le 

<''  Ms.  fr.  5961,  fol.  60  r°;  ms.  fr.  5968,  fol.  vi"  vin  r";  ms.  fr.  6960,  fol.  94  v°. 


88  •  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

texte  latin  de  certaines  formules  de  procédure  —  procédure  orale  ^''  — 
ne  saurait,  au  Ibnd,  être  autre  chose  qu'une  traduction  du  fran- 
çais. On  sait  qu'une  grande  partie  de  ces  formules  est  sacramen- 
telle, et  sacramentelle  en  langue  française,  car  les  plaideurs  parlent 
français  et  non  latin.  Le  jurisconsulte  a  donc  forcément  traduit  ces 
formules  françaises  en  latin.  Qu'a  fait,  à  son  tour,  le  traducteur  fran- 
çais? A-t-il  repris  le  texte  français  ou  a-t-il  retraduit  le  latin  en  fran- 
çais? C'est  une  question  que  nous  ne  sommes  pas  en  mesure  de  ré- 
soudre et  qui  n'a  pas,  d'ailleurs,  grande  importance;  car,  en  des 
ouvrages  de  ce  genre,  les  traductions  sont  la  plupart  du  temps  si 
serviles  que  le  second  traducteur,  celui  qui  fait  passer  du  latin  en 
français  un  texte  déjà  traduit  en  latin,  a  de  grandes  chances  de  retrou- 
ver, en  décalquant  le  latin,  les  expressions  du  texte  français  primitif. 

C'est  ici  le  lieu  de  se  demander  quelle  est  la  valeur  intrinsèque  de 
la  traduction  française.  Il  faut  se  garder  de  juger  l'œuvre  d'après  tel 
ou  tel  de  nos  manuscrits.  Ceux-ci  doivent  avant  tout  être  corrigés  les 
uns  par  les  autres,  souvent  aussi  avec  le  secours  du  texte  latin.  La 
restitution  générale  qu'on  entrevoit  serait,  à  notre  sens,  très  favo- 
rable au  traducteur,  qui  semble  avoir  été  un  homme  entendu  et  fort 
intelligent.  Nous  avons  relevé  cependant  une  légère  inexactitude. 
L'auteur  énumère  au  chapitre  c.  De  brevi  maritagu  impediti,  S  3,  les 
voies  (le  fait  exceptionnellement  graves  qui  autorisent  une  action  de 
la  femme  contre  le  mari,  voies  de  fait  qui  ne  peuvent  être  qualifiées 
«  correction  »  (car  le  droit  de  correction  corporelle  appartient  au  mari). 
Ilujusmodi  actiones,  écrit  notre  auteur,  correctiones  non  judicanliir.  Le 
traducteur  s'écarte  un  peu  trop  du  latin  en  disant  :  «  Quar  einsin  ne 
M  doit  l'en  pas  chastier  sa  feme  '^'.  » 

Les  petites  inexactitudes  de  ce  genre  nous  ont  paru  fort  rares.  Tel 

écart  d'expression  entre  le  latin  et  le  français,  qui  pourra  choquer  au 

premier  abord,  est,  au  fond,  parfaitementjustifiéet  même  fait  honneur 

au  traducteur.  Nous  faisons  allusion  à  la  traduction  assez  fréquente  de 

Jeodam  par  le  mot  terre.  Cette  traduction,  un  peu  singulière  au  pre- 

'"'  Exemples  :  chap.   lxxxv,   De  siinpUcibus         brevi  de  saisina  antecessoru ,%  x  [ibid. ,  n.  289) 
Ifffibiif,  S  3  (Tardif,  p.    aoi);  chap.  xcxv.  De         chap.  Cl,  De  dote  mgata,  S  i3  (p.  a56).'    . 
visione  et  ejus  assigiialione,  S  7  et  8  (Tardif,  ^''   Ms.  franc.  ôgC.'i,  fol.  68  v°;   ms.   fran^. 


p.  aSi ,  a3a  ).  —  Les  formules  de  bref,  au  con-         .^245 ,  fol.  1 27  r°;  ms.  franc.  .'içiôS ,  fol.  cvi  v° 
traire,  appartiennent  à  la  procédure  écrite  :  ici         le  mot  sa  a  été 
roriginai  est  latin.  Exemples: chap. .xcviii.  De        ^961,  fol.  5o  r°. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  89 

mier  abord,  est  parfaitement  justifiée,  l'auteur  du  Grand  Coutumier 
nous  ayant  lui-même  informé  que  le  mot  feodiim  est  souvent  pris 
au  sens  tout  simple  d'immeuble  :  Immobile  autem  dicimus  possessionem 
que  de  loco  in  locum  transmoveri  non  potes t,  nt  açjer,  pratum  et  omnes 
possessiones  fundo  terre  inhérentes  que  feoda  vukjariter  nuncupantur 
(chap.  Lxxxvii,  De  querela  possessionali,  §  2).  Or,  dans  les  divers  cas 
où  le  traducteur  rend  feodnm  par  «  terre  »  ''\  le  mot  Jeodum  n'a  pas  en 
effet  d'autre  sens  que  «  terre  »  ou  «  immeuble  ». — Nous  avons  déjà  relevé 
la  traduction  assez  inattendue,  très  justifiée  cependant,  du  mot  latin 
content io  par  ce  même  mot  «  terre  ». 

Nous  disons  au  singulier  «  le  traducteur  »,  parce  que  nous  estimons 
que  le  Grand  Coutumier  n'a  été  traduit  qu'une  fois  du  latin  en  français. 
Les  divergences  des  manuscrits  n'autoriseraient  pas  fhypothèse  de 
plusieurs  traductions  différentes.  L'unité  j^rimitive  se  reconnaît  bien 
vite.  Nous  n'insisterons  pas  sur  ces  divergences  secondaires;  nous  en 
relèverons  une  seule:  f  expression  «  droit  positif  t^'  »,  traduction  littérale 
de  jus  positivum,  a  été  remplacée  dans  un  grand  nombre  de  manu- 
scrits par  [c&'otz]  establiz^^K 

Un  trait  relevé  par  le  dernier  éditeur  laisse  supposer  que  le  tra- 
ducteur écrit  après  la  mort  de  saint  Louis.  En  effet,  au  chapitre  vi,  §  7, 
le  latin  Excellentissimus  Francoruni  rex  Ludovicus  post  illustrem  recjem 
Philippum  pie  rccordationis  secundus  a  été  traduit  par  :  «  Li  nobles  rois 
«Loeïs,  qui  fu  li  segons  roys  après  le  roy  Phelippe '''l  »  Cette  addi- 
tion qui  fu  semble  impliquer  la  mort  de  saint  Louis. 

Si  le  texte  français  dérive  du  texte  latin,  il  n'en  résulte  pas  que 
les  leçons  du  texte  latin  qui  nous  est  parvenu  soient  constamment 
préférables  à  celles  du  texte  français.  En  effet,  le  texte  français  dérive 
d'un  manuscrit  ou  de  manuscrits  latins  aujourd'hui  perdus.  Tel  ou 
tel  de  ces  manuscrits  latins  offrait,  nous  pouvons  l'affirmer,  cer- 
taines leçons  excellentes  et  qu'il  faudrait  rétablir.  Las  passages  qui 
nous  ont  frappés  intéressent,  l'un  une  certaine  procédure  de  vue  toute 
spéciale,  l'autre  la  procédure  de  record,  si  fréquente  au  moyen  âge. 

Nous  commençons  par  la  procédure  de  vue  :  il  s'agit  de  la  vue 

'"'  Exemple  :    chapitre   cxill,  De   hvevi  de  '''   Ms.  fr.  5245,  fol.  96  r°;  ms.  fr.  5968 , 

stabilia,  S  6,  10;  ms.  fr.  3963,  fol.  80  r°  et  v°;  fol.  m  v°-iv  r°;  ms.  fr.  SgGi,  fol.  1  v°;  ms. 

ms.  fr.  5245,  fol.  i34  r'  et  v°  ;  ms.  fr.  5958,  fr.  5960,  fol.  12  v°. 
fol.  VI"  vm  r°  ;  ms.  fr.  5961  ,  fol.  59  v°,  60  r°.  '''  Voir  Tardif,  p.  clxxxi,  note  3,  et  ibid. 

'*'  Ms.  fr.  5963,  fol.  1  v".  les  variantes  françaises  de  la  citation. 

HIST.  HTTÉH.  — -  XXXIII.  1  3 


90  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

d'un  plaideur  qui,  pour  ne  pas  comparaître,  argue  de  maladie  [lan- 
(juor).  Les  manuscrits  latins  et  les  éditions  soulèvent  ici  une  difficulté 
que  vont  dissiper  facilement  les  manuscrits  français.  Aux  termes  du 
chapitre  lxv.  De  visionibus,  S  5'"',  ce  plaideur  doit  recevoir  la  visite  de 
quatre  chevaliers  (et  du  Jusîtciaràfs).  Les  quatre  chevaliers  figurent 
aussi  pour  cette  même  visite  dans  le  Très  ancien  Coutumier'^'  et  dans 
Bracton^^'.  Mais,  au  chapitre  xxxix.  De  languore,  S  i  ''"',  le  texte  latin  du 
Coutumier  impose  un  appareil  bien  plus  solennel  :  il  exige  un  nombre 
triple,  à  savoir  douze  «veeurs»  :  quatre  chevaliers  et  huit  hommes. 
A  quel  nombre  s'arrêter?  Faut-il  opter  pour  douze  ou  pour  quatre? 
Si  nous  comparons  le  chapitre  consacré  au  record  de  vue  avec 
les  chapitres  qui  traitent  directement  de  la  visio  langnoris,  nous 
sommes  conduits  à  soupçonner  que  le  chapitre  xxxix  a  subi  quelque 
altération.  En  effet,  les  l'ecordeurs  du  chapitre  consacré  au  record 
(cxxi.  De  lege  (fuejit  per  recordamentum ,  §11)  ne  sont  pas  au  nombre  de 
douze,  mais  bien  au  nombre  de  quatre;  de  plus,  le  texte,  disant  un 
mot  de  la  vue  elle-même,  nous  apprend  que  les  chevaliers  qui  font 
la  visite  pourront  être  suppléés  :  . .  .aat  cum  malefichim  alicui  persone 
illatum  videtar,  vel  cnm  pericnhim  alicujus  mehaignii  per  incisionem  inaui- 
ritur  medicalein  et  per  sajficienciam  militum  vel  aliarum  personariim  ad 
recordamentum  competenthim  visioms''^\  Ce  vel  ahariim  personarum  nous 
fait  conjecturer  que  dans  le  chapitre  xxxix  il  faudrait  remplacer  par 
vel  ou  par  aut  la  conjonction  et  dans  cette  phrase  :  .  .  .débet  Justi- 
ciarius  un  milites  vel  plures  et  alios  vin  homines  vel  plures ,  fuie  dignos 
nec  suspectas ,  per  snbmonitionem  Jactam  ad  illam  adducere  visionem.  Les 
manuscrits  français  confirment  pleinement  la  conjecture  que  nous 
suggérait  la  seule  comparaison  des  divers  passages  du  Coutumier 
latin  :  ils  portent  «  ou  »  et  non  «  et  »  :  «  Et  si  doit  li  baillis  amener  a  voier 
«  iiii  chevaliers  ou  plus  ou  viii  loiaus  hommes  qui  ne  soient  pas 
«soupechonnous^®^.  »  Ainsi  les  huit  loyaux  hommes  remplacent,  s'il 

'"'  Tardif,    La  Summa  de    lepilius    Norm.,  '''  Ms.  fr.  6961,  fol.  a3  r";  m»,  fr.  5963, 

p.  162.  fol.  3a   v°;   ms.   fr.  5958,   fol.    xi.ix  v°;    ms. 

'*'   Très  ancifii  Coutumier  de  Norm.,    texte  fr.  5a45,  fol.  na  r". —  Enfin  notre  correction 

latin,  chap.  i.wxii.  De  dilationihus  et  exoniis ,  supprime  toute  contradiction  ou  discordance 

S  3,  édit.  Tardif,  p.  87.  entre   le  Grand  (Coutumier  et  le  Très  ancien 

'''  Bracton,     édit.     Travers   Twiss,    t.    V,  Coutumier,  qui  parle  de  (/urt<uormi7i7«a(/nu'nu.« 

p.  i36.  vel  lavassores  [Très  ancien  Coût.,   texte  latin, 

'*'  Tardif ,  p.  121.  chap.   i.xxxil.  De  dilat.  et  exoniis  i  S  3,  édit. 

<'i  Tardif,  p.  3 17-318.  Tardif,  p.  87). 


LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE.  91 

y  a  lieu,  les  quatre  chevaliers  :  ils  ne  s'ajoutent  pas  à  ces  quatre 
chevaliers.  Toute  antinomie  disparaît  donc  entre  les  chapitres  lxv, 
§  5 ,  et  XXXIX ,  S  1 . 

Le  glossateur  paraît  commenter  un  texte  français  identique  à  celui 
que  nous  fournissent  les  bons  manuscrits  dont  la  leçon  vient  d'être 
transcrite,  car  il  s'exprime  ainsi  :  «L'on  peut  dire  que  le  texte  ne 
a  met  pas  quatre  chevalliers  pour  ce  qu'ilz  y  soient  requis  necessaire- 
«  ment,  car  ilz  n'y  sont  pas  requis  a  rigueur,  comme  il  appert  par  le 
«  texte ,  q  ui  met  disjunctivement  :  Et  mener  o  luy  (juatre  chevalliers  ou  plus 
«ou  huit  hommes  loyaulx.x  Chose  singulière,  ce  commentaire  est  en 
désaccord  matériel  avec  la  leçon  qui  s'est  glissée  dans  l'édition  même 
qui  nous  le  fournit,  car  nous  y  trouvons  le  passage  fautif  «et  huit 
«  loyaulx  hommes  ». 

La  correction  que  nous  introduisons,  avec  le  secours  des  manu- 
scrits français,  au  paragraphe  i"  du  chapitre  xxxix  en  entraînerait 
peut-être  une  autre  au  paragraphe  4,  correction  pour  laquelle  nous  ne 
pouvons  invoquer  aucun  des  manuscrits  français  que  nous  avons 
consultés.  Le  texte  latin  de  ce  paragraphe  4  est  ainsi  conçu  :  Milites 
autém  et  alii  homines  (jui  adjurationem  lan<juorîs  présentes  ajfuerunt  de- 
hent  ad  primas  assisias  comparera  et  jurationem  lamjuoris  recordare  coram 
ballivo  et  militibus  assisie,  ut  per  eorum  recordationem ,  si  opus  fueril, 
reportet  in  posterum  firmitatem'^^K  II  est  probable  qu'il  faut  lire  :  Milites 
aatem  vel.  .  .  Cependant,  dès  qu'on  a  substitué  plus  haut,  au  premier 
paragraphe,  vel  à  et,  et  rétabli  ainsi  le  caractère  essentiel  et  légal  de 
la  Visio  languoris,  il  importe  peu  que  le  rédacteur  admette  ensuite  la 
possibilité  d'une  adjonction  de  «  veeurs  »  :  les  quatre  chevaliers  et  les 
autres  (s'il  y  en  a  eu)  qui  ont  pu  assister  klajuratio  languoris  recor- 
deront le  fait  en  assise.  Le  et  est  ici,  à  la  rigueur,  admissible  :  il 
n'implique  pas  absolument  contradiction. 

Nous  arrivons  au  record. 

Le  texte  latin,  tel  que  nous  le  fournissent  les  manuscrits  et,  d'accord 
avec  eux,  le  dernier  éditeur,  nous  paraît  défectueux  au  chapitre  cix, 
De  recordatione  pelita,  S  3.  MM.  Brunner  et  Tardif  ^^^  ont  bien  vu  qu'en 
l'état  ce  chapitre  se  trouve  en  désaccord  avec  le  chapitre  civ,  De 

'''  Tavd'if,  La  Sanima  de  legibus  Normannie,         ric/i/e,  Berlin,  1873,  p.  ig/t, note  5.  —  Tardif, 
P-  122.  LaSttmma  de  ler/ibiis  Norm.,  p.  ciV,  363,3l/i, 

'''  Bnjnner,  Die   Entstehany  der  Schwurge-        3i5. 


92  LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

recordadone  Scacarii,  et  avec  le  chapitre  cxxi,  De  lecje  quefilper  recor- 
dameninm,  S  7  et  7  bis.  L'examen  des  manuscrits  français  et  l'élude 
attentive  du  texte  supprimeront,  ce  semble,  cette  difficulté.  Il  s'agit 
ici  de  la  preuve  ou,  pour  parler  comme  nos  anciens  jurisconsultes, 
du  record  d'une  décision  judiciaire.  Pour  que  ce  record  soit  acquis, 
il  faut,  d'après  le  chapitre  cix  (texte  latin;  tous  les  manuscrits  sauf 
un),  l'accord  de  six  témoignages;  d'après  les  chapitres  civ  et  cxxi, 
l'accord  de  sept  personnes  est  indispensable.  L'antinomie  est  flagrante. 
Mais,  si  nous  consultons  divers  manuscrits  français,  la  difficulté  sera 
levée,  au  moins  en  grande  partie,  parce  que  le  chiffre  vu  apparaît 
dans  le  chapitre  cix  au  lieu  dii  chiffre  vi  : 

Notandum  est  quod  oportet  quod  vi  recor-  H  convient  que  vu  recordeours  au  meins 

datores  ad  minus  concorditer  consentiant  ad  soient  acordant  a  i  acort  a  ce  que  recorz  soit 
hoc  quod  eorum  recordatio  conservetur.  gardez. 

(Tardif,    Summii    de    Icçjihus    Norin.,  (Ms.  fr.  6961,  fol.  53  r";  ms.  fr.  ôgGS, 

chap.  cix,  3,  p.  263.)  fol.  7a  v°;ms.  fr.  5345, fol.  lagv"; 

Sainte-Geneviève  1743.) 

Le  chapitre  cxxi,  §  7  et  7  bis,  est  parfaitement  d'accord  avec  le  prin- 
cipe posé  dans  le  texte  français  :  Cum  vu  persone  ad  minus  ad  recorda- 
menti  ejfficaciam  debeant  concordare;  —  Et  (jiiod  vu  eorum  concorditer 
recordaverint  débet  observari. 

Le  chiffre  vu  reparaît  à  la  fin  du  paragraphe  3  (chap.  cix)  dans  le 
ms.  fr.  6963,  manuscrit  très  important,  car  il  est  étroitement  appa- 
renté avec  le  manuscrit  latin  que  M.  Tardif  place  au  premier  rang;  le 
chiffre  vi  persiste  dans  le  texte  latin  : 

Notandum  etiam  est  quod,  si VI  recordatore»  Se  li   vu    sont   a    i    acort,   li    recorz    est 

consentiant  ad  unum  idem,  recordationi  sue  creabies,  por  tant  que  il  n'i  ait  plus  qui  seient 

exhibent   firmitatem,   dum  tamen   non    sint  encontre,  quar  l'en  se  doit  tenir  a  la  greignour 

plures  illi  qui  eorum  recordationi  se  contrarlos  partie. .  . 

exhibeant;  etin  istocasu  majori  parti  consen-  (Ms.  fr.  5963,  fol.   7a   v°.   Quelques 

tiendum  est .  .  .  mots  ont  été  corrigés  à  l'aide  du 

(Tardif,  La  Snmina  de  legibus,  p.  363.)  ms.  5345.) 

Les  autres  manuscrits  français''^  que  nous  avons  pu  consulter 
pour  l'étude  de  ce  passage  ont  ici  vi  comme  le  texte  latin.  Mais  la 
fin  de  ce  paragraphe,  examinée  avec  soin,  va  nous  prouver  que  ce 
chi£Fre  est   inadmissible.  En  effet,  le  texte   latin   continue   ainsi  : 

'■'  Ms.  fr.  5345,  fol. 13g  v°;  ms.  fr.  5958,  fol.  cxiii  v°;  ms.  fr.  455o,  fol.  lao  r°;  ms.  fr.  5960, 
fol.  85  v';  m»,  fr.  5961,  fol.  53  v";  Sainte-Geneviève  1743,  p.  100. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  93 

videlicet  in  recordationihiis  illis  in  (juibus  (jiianlitas  recordatorum  duode- 
narium  nnmernm  transcendit.  Ainsi  la  majorité  fera  loi.  Le  jurisconsulte 
est  préoccupé  du  cas  où  le  chiffi-e  qu'il  a  mis  en  avant  comme  ordi- 
nairement suffisant  pour  établir  une  majorité  deviendrait,  au  con- 
traire, insuffisant  et  se  trouverait  inférieur  à  la  majorité.  Ce  cas  se 
présenterait  si  les  témoins  (recordeurs)  étaient  plus  de  douze  : 
Videlicet  in  recordalionibus  illis  in  cjuibus  (fuanlitas  recordatorum  diio- 
denarium  niimenim  transcendit.  Cette  dernière  phrase  jette  une  vive 
lumière  sur  la  pensée  de  notre  auteur.  Il  devient  évident  qu'il 
suppose  dans  les  cas  ordinaires  un  nombre  de  douze  recordeurs 
(nombre  réel,  ou  du  moins  nombre  en  puissance)  :  en  effet,  si  la 
majorité  est  nécessaire  quand  il  y  a  plus  de  douze  recordeurs,  il  va 
de  soi  qu'elle  ne  l'est  pas  moins  quand  il  y  a  seulement  douze  recor- 
deurs. Or  la  majorité  sur  le  nombre  normal  douze,  c'est  sept  et  non 
six.  Cet  accord  de  sept  voix  étant  suffisant,  on  n'exige  pas  en  fait  la 
présence  de  douze  recordeurs,  puisqu'il  y  en  a  cinq  dont  les  voix  sont 
inutiles  :  c'est  ce  qu'explique  fort  bien  un  court  article  de  la  compi- 
lation des  Assises  publiée  par  Warnkœnig  :  Septem  milites  sujficiunt  ad 
rccordationem  assisiœ,  si,  rjuod  duodecim  essent  présentes,  snfficeret  (jiiod 
ipsi  septem  essent  concurdes^^K 

L'étude  attentive  du  texte  latin  nous  en  révèle  donc  à  elle  seule 
l'incorrection  :  nous  substituons  le  chiffre  vu  au  chiifre  vi.  La  con- 
tradiction apparente  des  passages  que  nous  venons  d'examiner  s'éva- 
nouit, le  nombre  sept  figurant  désormais  au  chapitre  cix  comme  au 
chapitre  cxxi  et  au  chapitre  civ. 

Les  passages  cités  des  chapitres  cix  et  cxxi  visent  soit  l'hypothèse 
normale  de  douze  recordeurs,  soit  le  cas  où  il  y  aurait  seulement  en 
fait  onze,  dix,  neuf  ou  huit  recordeurs  :  l'accord  de  sept  témoignages 
reste  nécessaire  en  chacune  de  ces  circonstances.  Mais  nous  n'avons 
pas  encore  examiné  tous  les  passages  difficiles  de  ces  chapitres  cix  et 
cxxi.  Si  nous  les  abordons,  nous  arriverons  à  discerner  dans  ces  deux 
chapitres  un  autre  chiffre,  celui  de  six,  admis  pour  le  record,  dans 
certains  cas,  au  lieu  de  sept.  En  effet,  que  décidera-t-on,  s'il  n'y  a  en 
tout  que  sept  recordeurs,  nombre  à  la  rigueur  suffisant  (chap.  civ, 


'"'  Assisiœ  Normaniiiœ  (vers  1237),  dans  Warnkœnig  et  Stein,  Franz.  Staats-   and  Rechls- 
geschichte,  t.  II ,  p.  63. 


94  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

De  recordadone  Scacarii;  cv,  De  recordatione  assisie^^^]?  Exigera-t-on 
l'unanimité?  Se  contentera-t-on  de  la  quasi-unanimité?  Cette  ques- 
tion est  résolue  directement  au  chapitre  cix,  S  3,  implicitement  au 
chapitre  cxxi.  Au  chapitre  cix,  S  3,  le  texte  latin  et  le  texte  français 
disent  la  même  chose  en  termes  assez  semblables  suivant  certains 
manuscrits  français '^\  assez  différents  suivant  d'autres  que  nous  ci- 
tons ci-après  : 

Sciendam  etiam  est  quod  recordatio  sep-  Se  vi  recordeour  soient  a  i  acort  et  il  ne 

timi,    si    VI   eorum   concordes    faerint,    non  dient  chose  qui  soit  por  celui  qui  demande  le 

potest   suam   irritare    petenti    recordationem.  recort,  sa  demande  ne  vaut  rien.  Ne  le  descort 

Sciendum  etiam  est  quod  nisi  vi  recordatorum  au  septiesme  ne  nuist  de  rien  au  demandeour. 

concorditer  recordamentum    protulerint   pro  (Ms.  fr.  6963, fol.  72  v*;  ms.  fr.  5245, 

petente,  ejus  actio  pro  irrita   reputabitur  et  fol_  120  v".) 
inani. 

(Tardif,  La  Samma,  p.  a63. ) 

Ainsi  la  quasi-unanimité  de  six  voix  sur  sept  suffira,  s'il  n'y  a  que 
sept  recordeurs.  Ce  sont  là  des  décisions  nouvelles  en  désaccord  avec 
la  jurisprudence  de  la  première  moitié  du  siècle '^^  notamment  avec 
l'article  de  la  compilation  des  Assises  que  nous  venons  de  repro- 
duire. 

Nous  arrivons  au  chapitre  cxxi  :  dans  ce  chapitre,  l'auteur  s'occupe 
aussi  du  nombre  de  voix  nécessaire  pour  que  le  record  soit  obtenu, 
et,  comme  nous  l'avons  vu,  il  s'arrête  à  deux  reprises  au  chiffre  sept, 
ce  qui  pourrait  faire  supposer  qu'il  exige  l'unanimité  des  sept  recor- 
deurs, s'il  n'y  en  a  que  sept.  A  notre  avis,  l'auteur  a  mis  en  avant 
dans  le  chapitre  cxxi  ce  chiffre  sept  chaque  fois  qu'il  a  eu  dans  l'es- 
prit un  nombre  de  recordeurs  variant  de  huit  à  douze.  Mais  il  ne 
pouvait  se  dispenser  d'envisager  aussi  l'hypothèse  d'un  nombre  de 
recordeurs  limité  à  sept,  car  il  insiste  précisément  sur  ce  minimum 
nécessaire  de  sept.  C'est  ici  qu'il  faut  le  lire  attentivement.  Tout  en 
répétant  qu'il  faut  l'accord  de  sept  voix  (  chiffre  évidemment  tradi- 

'">  A  Jersey  et  à  Guernesey,  la  présence  des  damjtet  per  ipsos  xii  una  cum  ballivo.  (J.  Ha- 

douze    recordeurs    et    peut-être    même    leur  vet,    Les    cours    royales    des     (les     normandi's ; 

accord  est  nécessaire,  au  moins  dans  certains  pièce  n°  36,  dans  Bill,  de  l'Ecole  des  chartes, 

cas;   c'est  l'objet   d'un   des  articles   des    cou-  t.  XXXJX,  p.  348.) 

tûmes  locales  de  ces  îles,  constatées  en  i333  :  '*'  Ms.  fr.  6961 ,  fol.  53  v°;  ms.  fr.  5960, 

Item ,   si   dominas    rcx   vclil    cerciorari   de  re-  fol.  85  r°. 

cordo  placiti  coram  justiciariis  et  ipsis  xii  agi-  '*'  L.  Delisle,  Juyements   de   l'Echiquier  de 

tati,  justiciarii  cum  illis  xii  debent  recordum  JVorm.  nu  a///' .«èc/c,  n°  3o2  (laai),  dans  A'o- 

illud  facere,  et  post   iter  justiciariorum  recor-  tices  et  extraits,  t.  XX,  2'  partie,  p.  3l3. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  95 

tionnel;  c'est  la  vieille  majorité  de  sept  voix  sur  douze),  il  avoue 
implicitement  qu'il  convient  de  se  départir  maintenant  de  la  rigueur 
ancienne  et  que,  s'il  n'y  a  que  sept  recordeurs,  l'accord  de  six  voix 
pourra,  dans  certains  cas,  être  considéré  comme  suffisant,  il  ne  le  dit 
pas;  mais  il  nous  laisse  le  soin  de  dégager  nous-mêmes  celte  conclu- 
sion, car  il  enseigne  que,  si  sur  sept  recordeurs  il  se  trouve  deux  voix 
discordantes,  il  n'y  aura  aucun  record,  tota  recordatio  vacillabit.  Donc, 
s'il  y  a  une  seule  voix  discordante,  le  record  de  six  voix  tiendra.  Mais 
cela  est  sous-entendu,  non  pas  exprimé.  Il  semble  que  ce  soit  une 
concession  tacite,  une  dérogation  aux  principes  qu'on  n'ose  pas  avouer 
formellement  :  In  recordatione  autem  facienda  pqssunt  nominari  omnes 
(jiii  in  Scacario  présentes  affuerint  ad  id  super  (juo  petitur  recordamentiim; 
et  (juod  vil  eornm  concorditer  recordaverint  débet  dhservari.  Si  vero  duo  de 
VII  dissenserint  vel  se  nescientes  fecerint ,  tota  recordatio  vaciïlahit,  et 
petens  perdet  recordamentum  et  id  (juod  per  illud  nitebatur  obtinere. 
(Chap.  cxxi,  S  7  bis^^K) 

L'interprétation  que  nous  proposons  harmonise  les  chapitres  cix 
et  cxxi  et  même  divers  passages  du  chapitre  cxxi,  S  7,  qui,  autrement 
entendus,  seraient  contradictoires  entre  eux  :  dans  ces  deux  chapitres, 
le  Grand  Coutumier  admet  le  nombre  normal  et  rigoureusement  légal 
sept;  dans  ces  deux  chapitres,  il  admet  ou,  si  l'on  veut,  il  tolère  le 
nombre  six,  quand  il  n'y  a  que  sept  recordeurs.  La  présence  des  deux 
nombres  sept  et  six  assez  mal  distingués  dans  le  chapitre  cix,  et  l'ac- 
ceptation voilée  du  nombre  six  à  côté  du  nombre  sept  dans  le  cha- 
pitre cxxi  jettent  beaucoup  de  trouble.  Il  est  probable  que,  dans  la 
rédaction  primitive,  le  texte  du  chapitre  cix  se  déroulait  un  peu 
moins  obscurément,  parce  que,  dès  le  début  du  paragraphe  3  de  ce 
chapitre,  l'auteur  mettait  lui-même  en  vedette  les  deux  chiffres  vu 
et  VI., C'est  ce  que  nous  révèle  le  ms.  fr.  ÔgBS.  Le  paragraphe  3  y 
débute  ainsi  :  «  Il  covient  que  vu  recordeor  ou  vi  au  mains  soient  a 
«  un  acort  a  ceu  que  tôt  li  recort  soit  gardé '^^.  » 

''*  Tardi(,  LaSiimmade  legibus  iVorm.,p.  3i4-  doit  s'interpréter  ainsi  :  on  pourra  invoquer  le 

Il   faut   bien   entendre   ce   passage,  qui    peut  témoignage  de  tous   ceux   qui  assistaient  à  la 

paraître  assez  mal  rédigé.  Il  semble,  en  effet,  séance  de  l'Echiquier.    Ces  gens  sont  nom- 

que  l'auteur  commence  pr  supposer  un  assez  breux,  mais  ils  ne  répondent  pas  tous  à  l'appel  : 

grand  nombre  de  recordeurs  et  fmisse  en  s'at-  enl'espèce,  sept  sevdement  portent  témoignage; 

tachant  à  une  hypothèse  toute  différente ,  celle  il  n'y  a ,  en  fait ,  que  sept  recordeurs. 
de  sept  recordeurs  seulement.  Mais  la  première  '*'  Ms.  fr.  ôgSS ,  fol.  cxiii  v°.  Les  voix  ne  se 

phrase  :   In  recordatione  autem  facienda,  etc.,  comptent  pas  de  la  même  manière,  lorsqu'il 


96  LES  COUTUMIKRS  DE  NORMANDIE. 

Le  système  du  Grand  Coulumier  touchant  le  record  des  jugements 
d'assise  ou  d'Echiquier  ne  paraît  pas  avoir  été  définitivement  accepté. 
Le  tempérament  qui  consistait  à  se  contenter  de  six  voix  sur  sept  est 
inconnu,  en  effet,  du  glossateur  du  xv"  siècle.  Il  commente  un  texte 
français  bien  meilleur  que  le  texte  latin,  où,  dès  le  début  du  para- 
graphe 3  du  chapitre  cix,  figure  le  nombre  sept.  Mais  le  nombre  six, 
comme  nous  l'avons  vu,  apparaît  ensuite;  c'est  une  difficulté  pour  le 
glossateur,  qui  se  tire  d'affaire  en  appliquant  ce  passage  du  paragraphe  3 
à  une  autre  hypothèse  que  celle  du  record  en  assise  ou  en  Echiquier  : 
M  Sur  ce  texte  est  a  noter  que,  ja  soit  ce  que  le  texte  ait  parlé  cy  devant 
«  de  plusieurs  recordz ,  neantmoins  ne  s'entend  ce  présent  paraffe  synon 
«  au  regard  de  pasnage,  auquel  il  suffit  de  six  recordeurs  a  ung  acord. 
«  Et  qu'il  s'entende  seulement  du  record  de  pasnage,  il  peut  clerement 
M  apparoir  par  ce  qui  est  devantes  recordz  d'Eschiquier  et  d'assise,  qu'il 
«  y  en  fault  sept  d'ung  acord  au  moins.  »  Cette  explication  prouve  que 
le  record,  d'ailleurs  fort  rare  au  temps  du  glossateur,  comportait 
toujours  l'accord  de  sept  voix,  dès  qu'il  s'agissait  d'un  record  de  juge- 
ment. Quant  à  appliquer  ce  passage  au  «  record  de  pasnage  »,  cet  ex- 
pédient nous  paraît  inadmissible,  ce  record  ayant  été  sommairement 
traité  au  chapitre  cviii. 

Si  les  manuscrits  français  peuvent  servir  à  corriger  les  manuscrits 
latins,  même  lorsque  ces  derniers  sont  d'accord  entre  eux,  à  plus 
forte  raison  peuvent-ils  être  utiles  lorsque  les  manuscrits  latins  offrent 
entre  eux  des  divergences.  Tantôt  ils  corroborent  les  conclusions 
auxquelles  pourrait  conduire  l'examen  attentif  des  seuls  manuscrits 
latins;  tantôt,  la  solution  restant  embarrassante  avec  le  secours  des 
seuls  manuscrits  latins,  ils  font  pencher  la  balance  et  entraînent 
la  décision.  C'est  ce  qu'a  bien  vu,  en  quelques  rencontres,  le  dernier 
éditeur.  Par  exemple,  au  chapitre  xxxiii.  De  capitalibus  aiia:ilus,%  3, 
M.  J.  Tardif  rétablit  avec  raison  dans  le  texte  latin,  contre  l'autorité 
des  meilleurs  manuscrits  latins,  le  mot  anxilla  au  lieu  de  relevia,  se 
fondant  sur  les  manuscrits  français  qui  portent  «aides  a.  Peut-être  irions- 
nous  parfois  plus  avant  dans  cette  voie.  Certains  manuscrits  français 
sont  à  cet  égard  très  importants.  Nous  signalerons  le  ms.  fr.  6963. 

s'agit  non  d'un  record  de  jugement,  mais  d'un  mité  des  voix  moins  une  suffit ,  soit  onze  voix 
requenoissnni  jiar  jurés  au  pétitoire.  En  ce  sur  douze.  (Tardif, cliap.  cxill, 'Df  ireoj  <fc  *<«- 
cas,  pour  qu'un  résultat  soit  obtenu,  l'unani-        bilia.î  ii.) 


t 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  91 

H  nous  fournit  au  chapitre  lxxiv  ce  paragi-aphe  qui  n'est  représenté 
dans  aucun  manuscrit  latin  et  qui  manque  également  dans  les  autres 
manuscrits  que  nous  avons  consultés  et  dans  les  éditions  françaises  : 

Qui  seul  aucun  des  parens  au  maufetour  en  querele  de  mort  ou  de  mehaing, 
se  il  ne  puet  prouver  que  cil  li  meffeïst  en  propre  persone,  il  en  charra  de  Li  que- 
rele et  l'anaendera  par  autele  paine  comme  cil  soustenist  qui  estoit  fuïz,  s'il  en 
enchaïst  '''. 

M.  J.  Tardif  divise  les  manuscrits  latins  en  neuf  classes  ou  familles. 
Ce  classement  en  neuf  familles  pris  pour  point  de  départ,  M.  Tardif 
arrive  à  cette  conclusion  :  le  texte  latin  primitif  du  Grand  Coutumier 
a  été  peu  à  peu  complété  et  allongé  par  un  ou  plusieurs  continua- 
teurs. H  assigne  donc  une  place  secondaire  à  quelques  chapitres 
importants  du  Grand  Coutumier,  chapitres  qui  jusqu'ici  n'étaient  pas 
contestés.  Il  considère  comme  additionnels  le  chapitre  iv  bis,  De  officio 
senescalU;  le  chapitre  xxii  bis,  De  exercitu;  le  groupe  entier  des  der- 
niers chapitres  (cxiii  à  cxxv).  Enfin,  dans  le  corps  même  de  l'œuvre, 
un  assez  grand  nombre  de  paragraphes  subissent  le  même  sort  :  ils 
sont  relégués  à  un  rang  inférieur  et  munis  d'un  bis,  d'un  ter  ou  d'un 
(jualer,  indiquant  au  lecteur  qu'ils  n'appartiennent  pas,  suivant 
M.  Tardif,  à  l'œuvre  primitive.  La  question  des  chapitres  addi- 
tionnels est,  en  soi,  assez  importante  pour  mériter  toute  noire 
attention. 

Le  chapitre  iv  bis,  De  officio  senescaUi ,  manque  dans  les  quatre  pre- 
mières familles  de  manuscrits.  Le  chapitre XXII  îf 5,  De  exercitu ,  mainqne 
dans  les  trois  premières  familles.  D'autres  considérations  corroborent, 
suivant  M.  Tardif,  cette  première  indication,  fournie  par  la  compa- 
raison des  manuscrits.  Le  chapitre  xxii  bis,  De  exercitu,  semble,  à 
quelques  égards,  faire  double  emploi  avec  le  chapitre  xliii,  intitulé 
dans  certains  manuscrits  De  exercitu,  dans  d'autres  De  dilatione  pro 
exercitu  principis.  Le  chapitre  iv  bis.  De  officio  senescalU,  n'a,  dans  le 
Coutumier,  «qu'un  intérêt  historique,  la  charge  de  grand  sénéchal 
«  de  Normandie,  dont  il  décrit  les  fonctions,  n'ayant  pas  survécu  à  la 
«  conquête  de  la  province  par  Philippe  Auguste.  Aussi  les  tournures 
«de  phrases  au  passé  dominent-elles  dajis  ce  morceau,  tandis  que, 

f  Ms.fr.  5963,  fol.  49  v°. 

HiST.  LITTÉR.  XXXIII.  I  3 


98  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

M  dans  les  chapitres  qui  le  précèdent  ou  le  suivent,  le  présent  est 
«  toujours  employé . . .  Une  réminiscence  historique  analogue  termine 
«  le  chapitre  additionnel  De  exercitn  (xxii  bis)  :  le  dernier  paragraphe 
M  contient  une  allusion  aux  usages  suivis  du  temps  où  les  Anglais 
«étaient  maîtres  de  la  Normandie;  dans  le  reste  de  ce  chapitre  on 
ic  rencontre  également  des  considérations  historiques'*'.  » 

Ces  constatations  et  observations  sont  loin  d'apporter,  à  nos  yeux, 
la  certitude.  Certes  l'analogie  des  chapitres  xxii  bis  et  xliii,  consacrés 
tous  deux  à  l'armée  ou  ost,  est  frappante;  mais  la  partie  incontestée 
du  Coutumier  offre  de  nombreux  exemples  de  répétitions  du  même 
genre '^'.  Quant  à  l'allure  historique  du  chapitre  iv  bis.  De  ojficio 
senescalli,  et  d'une  petite  partie  du  chapitre  xxii  bis,  De  exercitu , 
elle  correspondrait  assez  bien  aux  tendances  d'esprit  que  nous 
avons  cru  entrevoir  chez  l'auteur  de  la  partie  incontestée  du  Grand 
Coutumier.  Un  autre  chapitre,  le  chapitre  cxi,  incontesté  celui-là, 
nous  offre,  au  paragraphe  i3,  un  développement  historique  très 
important;  enfin  un  appel  au  passé,  à  l'occasion  delà  représentation, 
figure  aussi  aux  chapitres  xxiii,  S  3,  et  xcix,  S  i.  Nous  serions  plus 
frappés  des  conclusions  auxquelles  paraît  conduire  la  comparai.son  des 
manuscrits.  Cependant  nous  demeurons  hésitants.  Sans  doute,  le 
chapitre  iv  bis,  De  ojficio  senescalli,  manque  dans  les  quatre  premières 
familles  de  manuscrits.  Mais  nous  remarquons  que  le  mot  ojjicio 
figure  dans  les  rubriques  de  trois  chapitres  successifs  :  chapitre  iv, 
De  justiciario  et  ejus  officio  (d'après  un  grand  nombre  de  manuscrits 
cités  p.  8,  note  4);  chapitre  iv  bis,  De  ofhcio  senescalli;  chapitre  v. 
De  officio  vicecomids.  Certains  manuscrits  pouvaient  même  présenter 
trois  fois  de  suite  la  terminaison  ojficio,  car  on  trouve  aussi  pour  le 
chapitre  iv  bis  la  rubrique  :  De  senescallo  clucis  et  ejus  officio  (p.  12, 
note  2);  pour  le  chapitre  v,  la  rubrique  :  De  vicecomile  et  ejus  officio 
(p.  i5,  note  7).  Dès  lors,  un  bourdon  a  pu  se  produire,  et  des 
manuscrits  appartenant  à  des  familles  différentes  peuvent  porter  la 
trace  d'une  même  erreur  de  copiste,  qui  se  serait  répétée  sous  l'in- 

'■'  Tardif,   La  Samma  de  legihiis,  p.  cxxiv,  S  3,  avec  ctiap.  c.  De  brevi  mnrilayii  imp. ,  S  9 

cxx?.  {ibid.,  p.  98 ,  a49)  ;  —  chap.  xxviii,  De  Iciieura 

'''Comparer,    notamment  :  cliap.  xxiv,    /)('  pcr  piiragiiiin,  S  2  ,  in  Jine,  a\ec  chap.  ut,  Dr  ru- 

portionibiif ,  S  1 4 ,  avec  chap.  r. ,  De  breri  inaiil.  riu ,  S  9  ( ibid. ,  p.  97,  1 4o)  ;  —  chap.  xxviii ,  Dr 

im/>(-f/i/i,S  13  ,  i3,  édil.  Tardif,  p.  83,  84,  249,  trnrnra  per  paitiriiiim,  i  i.avec    chap.  xxxiv, 

a5o;  —  chap.  xxix,  Dr  Iriiriir»  prr  burgarjinm,  Dr  primoifriiilo ,  S  5  (ibid.,  p.  97,  1 13,   1  i4). 


LES  COUTU.MIERS  DE  NORMANDIE.  99 

lluence  de  la  même  cause.  Quant  au  chapitre  xxii  bis,  De  exercitu, 
sans  doute  il  manque  dans  les  trois  premières  familles;  mais,  ici 
encore,  celte  lacune  répétée  ne  pourrait-elle  pas  s'expliquer  tout 
simplement  par  un  bourdon  .5  Le  chapitre  xxii ,  De  forisfactiiris ,  linit 
par  les  mots veritas  declaretar;  le  chapitre  xxii  bis,  par  le  mot  inveniren- 
tiir.  L'œil  du  copiste  aurait  passé  facilement  de  la  première  finale  à 
la  seconde,  ce  qui  expliquerait  l'omission  du  chapitre  xxii  bis,  lequel 
n'est  pas  très  long,  et  pouvait  se  trouver  sur  la  même  page  que  la  fin 
du  chapitre  xxii. 

En  maintenant  les  chapitres  iv  bis  et  xxii  bis,  on  traiterait  ces  cha- 
pitres comme  M.  Tardif  lui-même  a  traité,  au  chapitre  lxvii,  De 
mnltr(),$  6,  le  mot  necai  dans  la  phrase  :  nec  in  felonia  necui  (il  a 
rétabli  avec  raison  ce  mot,  bien  qu'il  manque  dans  tous  les  manu- 
scrits, sauf  dans  la  famille  VI,  représentée  par  un  seul  manuscrit); 
ou  comme  M.  Tardif  a  traité,  au  chapitre  xiv,  S  io,le  mot  Da/ore/tt  dans 
la  phrase  :  débet  Thomas  Petro  restitaere  valorem  (luem  liaberent  (il  a 
rétabli  avec  raison  ce  mot,  bien  qu'il  manque  dans  tous  les  manu- 
scrits, sauf  chez  ce  même  représentant  unique  de  la  famille  VI].  Il  a 
pris  encore,  en  présence  de  la  même  situation  respective  des  manu- 
scrits, la  même  décision  pour  le  mot  usus  dans  cette  petite  phrase  du 
chapitre  xlh,  S  3  bis  :  Cum  de  brevi  antecessoris  usus  et  consaetudines 
execjuemur.  Il  est  vrai  que  l'omission  d'un  mot  essentiel  ne  laisse 
pas  prise  au  doute,  tandis  que  l'authenticité  d'un  chapitre  entier  ne 
s'impose  point  de  la  même  manière.  Il  est  vrai  encore  que  la  coexis- 
tence des  chapitres  xxii  bis,  De  exercitu,  et  xliii.  De  exercitu  (dans 
certains  manuscrits  :  De  dilalione pru  exercitu  principis) ,  chapitres  dont 
quelques  paragraphes  font  double  emploi,  est  un  peu  embarrassante. 
Mais  nous  avons  déjà  fait  remarquer  que  les  chapitres  incontestés 
nous  offrent  eux-mêmes  de  très  nombreuses  répétitions;  nous  ajou- 
tons que  le  style  de  ces  deux  morceaux  (chap.  xxii  bis  et  xliii)  paraît 
bien  déceler  la  même  main.  Vu  la  place  qu'il  occupe  dans  l'ouvrage,' 
le  chapitre  xliii  aurait  dû  être  exclusivement  consacré  aux  excuses 
légales  fondées  sur  le  service  militaire,  et  c'est,  en  effet,  son  objet 
principal;  mais  l'auteur  a  un  peu  excédé  :  il  s'est  permis  d'ajouter 
quelques  développements  sur  le  service  militaire  considéré  en  soi 
(§  3  à  6).  Ces  observations  ne  s'étaient  pas  présentées  à  son  esprit  à 
l'heure  où  il  écrivit  le  chapitre  xxn  bis  :  il  r-evient  sur  ses  pas  et  se 

i3. 


100  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

complète  lui-même.  Voilà  ce  qui  nous  paraît  le  plus  probable,  et  l'on 
pourrait  même  essayer  à  la  rigueur  de  justifier  la  place  assignée  aux 
questions  traitées  dans  les  paragraphes  3  à  6.  Les  causes  qui  peuvent 
expliquer  certaines  lacunes  dans  de  nombreux  manuscrits  sont  très 
variées  :  le  chapitre  iv  bis,  De  ojjicio  senescalU,  n'a  aucun  intérêt  pra- 
tique; cette  circonstance  ne  l'aurait-elle  pas  fait  éliminer,  comme 
inutile,  dans  plusieurs  exemplaires? 

Nous  ne  prolongerons  pas  cette  discussion.  Nous  voulions  simple- 
ment faire  sentir  que  f  exclusion  de  ces  deux  importants  chapitres  ne 
s'impose  pas. 

L'étude  des  manuscrits  conduit  aussi  le  dernier  éditeur  à  considé- 
rer les  chapitres  cxiii  à  cxxv  comme  ajoutés  par  deux  continuateurs 
successifs  à  l'œuvre  primitive,  laquelle  n'aurait  pas  dépassé,  suivant 
lui,  le  chapitre  cxii.  Les  chapitres  cxiii  à  cxxv  inclusivement 
manquent  dans  la  famille  1  '"'.  La  fin  du  chapitre  cxxiy  (depuis  le 
milieu  du  paragraphe  8)  et  le  chapitre  cxxv  manquent  dans  les 
familles  11,  IV,  V^^^. 

La  famille  1,  qui  joue  un  rôle  décisif  dans  l'élimination  des  cha- 
pitres cxiii  à  cxxiv,  milieu  du  paragraphe  8,  comprend  un  seul 
manuscrit  D'  (fin  du  xiii*  siècle).  Dans  ce  manuscrit  le  texte  est  coupé, 
non  à  la  fin  du  chapitre  cxii ,  mais  au  milieu  d'un  mot  du  para- 
graphe 4  de  ce  chapitre;  cette  coupure  se  présente  ainsi  :  Miilti  aulem 

jiirisperiti  dicunt  (jiiod  si (suppléez  -miles  fieri).  D'  est  en  cette 

partie  matériellement  mutilé;  cependant  le  dernier  éditeur  n'a  main- 
tenu dans  le  texte  primitif  du  Coutumier  que  la  fin  du  chapitre  cxn 
et  non  les  chapitres  cxiii  à  cxxiv  (milieu  du  paragraphe  8),  comme 
on  y  serait  naturellement  invité  par  fétat  du  texte  dans  les  familles  11 , 
IV  et  V.  Pourquoi  cette  décision?  C'est  que  la  table  du  manuscrit 
latin  D'  s'arrête  elle-même  avec  le  chapitre  cxii,  De  feodo  etfirma  ; 
les  chapitres  suivants  n'y  sont  pas  portés.  De  là  cette  conclusion  :  un 
manuscrit  aujourd'hui  perdu,  d'où  procède  le  manuscrit  latin  D', 
contenait  probablement  tout  le  chapitre  cxii;  mais  il  ne  dépassait 
pas  ce  chapitre  cxii'^^  On  pourrait  être  tenté  de  raisonner  d'une 
autre  manière.  Le  manuscrit  perdu,  dirait-on,  auquel  remonte  la  fa- 
mille 1,  était  peut-être  un  manuscrit  mutilé.  La  table  de  ce  manu- 

'•'  Cf.  Tardif,  p.  Lxxix,  r.i.  —  o  Cf.  Tardif,   p.   Lxxix-i.xxxiv.  —  <'!  Cf.  Tardif,  p.  cm. 
cxin. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  101 

scrit  avait  pu  disparaître  en  même  temps  que  les  chapitres  cxm  et 
suivants  :  on  a  donc  pu  refaire  après  coup  cette  table  en  y  compre- 
nant seulement  les  chapitres  subsistant  dans  le  manuscrit.  Cette  table 
répondrait  alors  à  lin  manuscrit  mutilé  et  non  pas  à  un  manuscrit 
complet,  et  les  chapitres  suivants  pourraient  légitimement  prendre 
place  dans  une  édition  critique.  H  y  a  cependant,  comme  nous  le 
verrons,  d'autres  traits  qui  semblent  différencier,  dans  une  mesure 

3u'il  faut  se  garder  d'exagérer,  les  chapitres  cxiii  et  suivants  du  corps 
e  l'ouvrage.  Nous  examinerons  cette  question. 
Nous  considérons  pour  l'instant  la  fraction  finale ,  qui  serait,  d'après 
le  dernier  éditeur,  l'œuvre  d'un  second  continuateur:  chap. cxxiv,  mi- 
lieu du  paragraphe  8 ,  et  chap.  cxxv.  Ce  chapitre  et  demi  manque  non 
seulement  dans  la  famille  I,  mais  aussi  dans  les  familles  II,  IV  et  V.  Il 
ne  se  trouve  que  dans  les  familles  III,  VI  et  suivantes.  Voici  le  texte 
entier  du  paragraphe  8  :  Nolandum  sUfiiidem  est  (fuod  omnes  priores 
essoniaiores,  cnm  alla  fit  essonia,  dcbent  personaliter  ad  illam  interesse. 
Et  si  déficientes  faerint ,  emendabunt,  et  irritabuntur  omnes  précédentes 
essonie,  necpresens  eciam  recipietur,  sed  lator  ejus  cum  teste  suo  cmendabit, 
et  essoniatus  ejiis  pro  déficiente  habebitur;  et  si  duo  alii  precesserint 
defectus,  in  manu  principis  contentionis  feodum  capietur.  Tous  les  manu- 
scrits de  la  famille  II  se  terminent  soit  au  mot  interesse,  soit  au  mot  ad 
illam.  Les  familles  IV  et  V  se  terminent  au  mot  emendabunt. 

La  continuation  du  paragraphe  8  après  le  mot  interesse  ou  après 
le  mot  emendabunt  paraît  naturelle.  Elle  n'a  pas  l'apparence  d'une 
addition,  si  bien  qu'on  est  conduit,  ici  encore,  à  supposer  une  inter- 
ruption matérielle,  une  sorte  de  coupure  accidentelle,  plutôt  qu'un 
explicit  intentionnel  et  voulu.  Cela  est  si  vrai  que  le  dernier  éditeur 
n'a  pu  faire  de  ce  paragraphe  8,  dont  la  seconde  moitié  serait,  suivant 
lui,  d'une  autre  main  que  la  première,  deux  paragraphes  distincts. 
Au  reste,  le  chapitre  cxx,  S  2,  considéré  par  le  dernier  éditeur 
comme  faisant  partie  d'une  première  addition,  annonce  la  matière 
qui  sera  traitée  dans  le  chapitre  cxxiv,  S  i4'^'-  H  nous  faudrait  donc 
des  preuves  bien  fortes,  des  preuves  décisives,  de  l'intervention  d'un 
troisième  auteur.  Or  nous  n'arrivons  à  relever  aucune  différence 
intrinsèque  entre  cette  troisième  tranche  et  la  deuxième. 

<'^  Cf.  Tardif,  p.  cxxvi,  note  4. 


102  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Si  nous  groupons  les  deux  tranches  additionnelles,  si  nous  faisons 
un  tout  des  chapitres  cxiii  à  cxxv,  et  si  nous  comparons  cette  fin  de 
l'œuvre  au  corps  principal,  n  apercevrons-nous  donc  aucune  dififé- 
rence  entre  ces  deux  parties  du  texte?  Nous  n'irions  pas  jusque-là. 
Nous  remarquons,  en  eflfet,  aux  chapitres  lxxxiv,  Si,  et  en,  S  i,  des  dé- 
finitions très  simples  de  la  «  desresne  »  et  du  record;  aux  chapitres  cxxi, 
S  2,  et  cxxiii,  S  1,  des  définitions  nouvelles  un  peu  plus  dogmatiques 
etplus  prétentieuses '"'.Nous  remarquons  enfin  que  le  chapitre  cxv  est 
peut-être  postérieur  à  1 268,  alors  que  nous  pensons  avoir  établi  que 
le  chapitre  xix,  De  usuris,  a  été  utilisé  au  Parlement  de  la  Saint-Mar- 
tin  12  58.  Le  chapitre  cxv  est  peut-être,  disons-nous,  postérieur 
à  12  58.  Voici  pourquoi.  Les  Olim  nous  apprennent,  précisément  à 
l'année  1 2  58,  que,  dans  les  questions  de  fief  et  d'aumône,  on  procé- 
dait jadis  à  une  enquête  préjudicielle,  confiée  aux  officiers  royaux, 
sur  la  nature  de  l'objet  du  litige,  enquête  ayant  pour  objet  de  hxer  la 
compétence,  que  cet  usage  avait  été  abandonné  et  qu'on  le  reprit 
en  12  58.  Or  le  chapitre  cxv,  De  brevi  dejeodo  et  eleemosina,  suppose 
l'existence  de  cet  usage '^l  ^^  y  ^  donc  certaines  différences  entre  le 
corps  de  fouvrage  et  les  chapitres  cxiii  et  suivants.  Ces  différences 
nous  obligent-elles  à  admettre  que  ces  derniers  chapitres  n'ont  pas 
été  écrits  parle  même  auteur  que  le  corps  de  l'ouvrage.'^  Ceci  est  plus 
délicat.  Nous  devons,  avant  tout,  nous  demander  s'il  existe  entre  les 
deux  parties  de  fœuvre  des  contradictions  formelles.  On  a  signalé  les 
dispositions  des  chapitres  cix.  De  recordationc  petila ,  S  3,  et  cxxi,  De  leye 
(jue  Jit  per  recordamentum,S  '] ,qu\  paraissent  contradictoires ^^^  :  suivant 
le  premier  de  ces  chapitres,  l'accord  de  six  recordeurs  sur  sept  suffit 
dans  les  records  d'Echiquier  et  d'assise  ;  au  lieu  que,  d'après  le  second, 
l'unanimité  est  exigée.  Mais  cette  première  observation  doit  être 
écartée,  car  nous  avons  établi  précédemment'''^  que  tous  les  manuscrits 
du  texte  latin  (sauf  un  seul)  sont  fautifs  au  paragraphe  3  du  cha- 
pitre cix,  et  que,  dans  ce  paragraphe,  le  chiffre  vu  doit  être  substitué 
au  chiffre  vi.  L'antinomie  sur  ce  point  important  n'est  donc  qu'ap- 
parente; en  réalité,  il  y  a  concordance  parfaite. 

'''  Cf.  Tardif,  p.  cxxii,  note  4.  ancien,  quoique  délaissé,  et  on  aurait  pn  môme 

'*'  Cf.  ibid.,  p.  r.xcv.  Ce  que  nons  disons  invoquer  officieusement   son  texte   en    ia58 

dans  le  texte  de  la  postériorité  du  chapitre  cxv  pour  reprendre  le  vieil  usage. 

n'est  pas  absolu;  car  l'auteur  du  Grand  Cou-  '"'  Tardif,  p.  civ. 

lumier  avait  fort  bien  pu  s'atlacher  à  cet  usiige  '*'  Ci  dessus,  p.  91-93. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  103 

Mais  voici  une  autre  difficulté  :  une  certaine  diiîérence  au  sujet  du 
nombre  des  cojurateurs  peut  être  signalée  entre  le  chapitre  lxxxv, 
De  simplicibiis  legibas,  S  5 ,  d'une  part,  et  les  chapitres  cxxii,  De  lege  pro- 
babili,S'j,  elcxwn.  De  disrais  nia,  S  2,  d'autre  part  :  le  chapitre  lxxxv,  S  5, 
parle,  pour  une  certaine  catégorie  d'affaires,  d'un  serment  sexta  manu; 
les  deux  autres  textes  parlent,  pour  la  même  catégorie  d'affaires,  d'un 
serment  qui  sera  fait  per  sacramenta  (jumciue  pcrsonarum. 

Versus  autem  dominum  sexta  manu  Versas  autem  dominum  curie  et  ejus 

in  curia  domini  sui;  si  autem  in  curia  domini  ballivos  seii  justiciarios  attornatos  per  sacra- 

superioris  placilaveril,  se  lercia  manu  dlsrnis-  mcnla    quinqiie  personanim    habent  fieri    tam 

niabit  versus  dominum,  et  dominus  versus  ho-  probabiliaquamdisraisniaprenotate.(cxxii,S7.) 

minem  suum  simili  modo;  in  curia  enim  do-  In    curia  ipsorum  antenatorum   responde- 

mini    superioris    placitando  sunt  quasi  pares.  bunt ...  et  facient  disraisniam  per  sacramenta 

(lxxxv,  s  5.)  qninque pcrsonarum  tanquam  pares.  (cxxiii.Sa.) 

11  est  difficile  de  soutenir  que  le  désaccord  est  seulement  apparent, 
la  partie  qui  fait  la  preuve  étant  comptée,  dans  le  chapitre  lxxxv,  S  5, 
au  nombre  des  cojurateurs,  tandis  que  ces  derniers  entreraient  seuls 
en  compte  dans  les  chapitres  cxxii,  S  7  et  cxxiii,  S  2;  car,  ailleurs,  le 
rédacteur  du  chapitres  cxxii,  S  7,  en  employant  l'expression  peririum 
personaram  sacramenta,  adopte  le  mode  de  supputation  dont  s'est  servi 
le  rédacteur  du  chapitre  lxxxv,  S  5,  en  disant  tercia  manu^^K  Les  deux 
expressions  sexta  manu  et  per  sacramenta  ciuincfue  personarum  sont  donc 
réellement  contradictoires.  En  l'état,  et  pour  le  même  cas,  l'un  des 
trois  textes  requiert  six  jureurs,  les  autres  cinq. 

Mais  on  peut  affirmer  a  priori  une  certaine  inexactitude  dans  les 
chilfres  du  chapitre  cxxii;  car  le  paragraphe  2  de  ce  chapitre  contient 
une  énumération  préalable  du  nombre  des  jureurs  où  est  récapitulé 
tout  ce  qui  va  suivre.  Or  cette  récapitulation  ne  correspond  pas  à  ce 
qui  suit.  Voici  le  texte  : 

Sciendum  est  ergo  quod  hec  probabilia  quandoque  per  sacramentum  solius  pro- 
bantis,  quandoque  per  sacramenta  duorum,  quandoque  Irium,  quandoque  quinque, 
quandoque  sex,  quandoque  septem,  in  curia  recipitur  laicali. 

Nous  sommes  ainsi  avertis  que  nous  allons  rencontrer,  suivant  la 
nature  des  affaires,  un,  deux,  trois,  cinq,  six  ou  sept  jureurs.  Nous 

*''  Ittler  pares  enim  et  vicinos  potest  qui-  siqaidem  est  quod  probabilia  et  eciam  disraisnia 
libet,  se  tercia  manu,  facere  disraisniam.  versas  pares  per  trium  personarum  sacramenta 
(SuMima,  chap.    lxxxv,   S    5.)    —    Noiandum         exhibetur.  (Summa,  chap.  cwii.i  ';.) 


104  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

trouvons  au  paragraphe  4  un  jureur,  au  paragraphe  4  fleux  jureurs, 
aux  paragraphes  5  et  7  trois  jureurs,  aux  paragraphes  6  et  7  cinq  ju- 
reurs, au  paragraphe  8  septjureurs.  Le  nombre  51a;  annoncé  fait  défaut. 
Il  doit  avoir  disparu  parle  fait  de  quelque  copiste.  Nous  le  retrouvons, 
en  effet,  au  paragraphe  7  dans  un  manuscrit  français.  Dès  lors  la 
difficulté  disparaît  :  le  chapitre  cxxii,S  7 ,  ainsi  corrigé,  est  en  parfaite 
harmonie  avec  le  chapitre  lxxxv,  S  5''l  A  la  vérité,  le  chiffre  v  reparait 
au  chapitre  cxxiii,  S  2 ,  aussi  bien  dans  les  manuscrits  latins  que  dans 
tous  les  manuscrits  français  que  nous  avons  pu  consulter.  Mais  les 
chapitres  cxxii,  S  7  et  cxxiii,  S  2,  traitent  la  même  question  :  la  correc- 
tion VI  est  certaine  au  chapitre  cxxii,  S  7  ;  personne  ne  conteste  que 
ces  deux  chapitres  ne  soient  dus  au  même  rédacteur  :  on  nous  accor- 
dera donc  que  le  chiffre  vi  doit  également  être  substitué  à  v  dans  le 
chapitre  cxxiii,  S  2. 

Nous  nous  garderons,  par  conséquent,  d'affirmer  que  les  chapi- 
tres LXXXV,  S  5,  cxxii,  S  7,  et  cxxiii,  S  2,  n'émanent  pas  du  même  auteur. 
Une  erreur  de  copiste  répétée  datis  tous  les  manuscrits  doit  être  la 
vraie  cause  de  la  divergence  matérielle  qui  subsiste. 

En  principe,  les  divergences  de  ce  genre  ne  nous  induiront  jamais 
facilement  à  admettre  la  juxtaposition  d  œuvres  d'auteurs  différents.  Et 
voici  pourquoi  :  lorsque  les  désaccords  portent  sur  des  nombres,  il 
faut  toujours  se  rappeler  que  les  nombres  ont  pu  être  écrits  dans  les 
premiers  manuscrits  non  en  lettres,  mais  en  chiffres,  et  ont  pu,  par 
suite,  donner  lieu  à  de  faciles  confusions.  H  nous  paraît  prudent,  en 
ces  rencontres,  d'accuser  le  plus  possible  les  copistes  et  de  supposer 
facilement  des  erreurs  de  transcription.  Aussi  bien,  certains  passages 
de  la  partie  incontestée  du  Grand  Coutumiernous  font  envisager  avec 
une  certaine  défaveur  l'hypothèse  d'un  continuateur  distinct  de 
l'auteur   primitif.  Ainsi  le  chapitre  xci,  S  3,   incontesté,   annonce 

'"'  On  pourrait  nous  objecter  que,  si  le  chiffre  vi  est  rétabli  au  commeucement  du  cha- 
pitre cxxii ,  S  7,  la  fin  de  ce  paragraphe  se  trouvera  en  désaccord  avec  la  fin  de  i,\xxv,  S  5 ,  car  on 
aura  dans  lxxxv,  S  5,  cinq  jureurs  en  un  cas  où  cxxii,  S  7,  en  voudra  six  : 

Versus  autcm    domini   régis    servientem    quinta  Et  eciam  (c'est-à-ilire  il  y  aura  aussi  six  jareurs) 

Nianu  débet  fieri  disraisnia.  (l\xxv,  S3.}  versus  omnesjusticiariosprincipis,  dum  tamciiagant 

in  querela  ad  principcm  pertinente  vel  in  oITicio  de 
ducatu.  (cxxn,  S  7.) 

Le  désaccord  n'est  qu'apparent,  car  r.xxii,  S  7,  ne  vise  pas  tous  les  cas,  mais  certaines 
espèces  particulières  :  dum  tanen,  etc. 


I 


LES  COUÏUMIERS  DE  NORMANDIE.  105 

les  matières  qui  seront  traitées  aux  chapitres  cxiii,  cxiv  etcxv.  Le  cha- 
pitre CXI,  S  1 3,  incontesté,  prévoit,  lui  aussi,  le  chapitre  cxv'^'.  Il  nous 
faudrait  donc  de  très  fortes  preuves  pour  attribuer  cette  seconde  par- 
tie à  un  autre  rédacteur  que  la  première.  Ces  preuves  existent-elles .? 
Le  dernier  éditeur  a  comparé  attentivement  le  texte  II  au  texte  I. 
Qu  a-t-il  constaté?  Le  travail  de  l'auteur  du  texte  II  «  a  consisté  surtout 
«  dans  le  remaniement  d'un  certain  nombre  de  finales  dont  les  termes 
M  ont  été  disposés  dans  un  ordre  plus  conforme  aux  lois  du  rythme  et 
«  dans  la  suppression  des  mots  JSotandam  est  (jaod  ou  Sciendiim  est  (juod, 
«en  tête  de  la  plupart  des  phrases '^^.  »  Ce  travail  ressemble  singu- 
lièrement à  celui  d'un  auteur  qui  se  relirait  et  s'appliquerait  à  limer, 
à  perfectionner  son  œuvre.  Il  a  bien  pu,  vers  le  temps  où  il  revisait 
son  œuvre,  la  terminer.  Ce  double  travail  aurait  été  accompli  peu 
après  12  58.  Ainsi  s'expliquerait  que  le  Grand  Coutumier  (encore 
inachevé)  ait  pu  être  utilisé  au  Parlement  de  la  Saint-Martin  de  1-^58, 
et  que  néanmoins  il  contienne,  ce  semble,  des  passages  postérieurs 
à  1 2  58 ,  oîi  l'auteur  s'est  inspiré  précisément  de  décisions  de  ce  Parle- 
ment. 

Les  doubles  définitions  de  la  «  desresne  »  et  du  «  record  «  ne  con- 
stituent, après  tout,  qu'une  imperfection,  dont  maint  auteur  est  cou- 
pable. Et  nous  ne  voyons  pas  que  le  caractère  assez  dogmatique  et 
scolastique  des  définitions  des  chapitres  cxxi ,  S  2 ,  et  cxxiii ,  S  i ,  répugne 
à  la  manière  du  jurisconsulte  qui  a  écrit  le  corps  de  l'ouvrage.  L'œuvre 
est-elle,  comme  on  l'a  dit,  décidément  plus  faible  en  ces  derniers  cha- 
pitres? Nous  n'en  sommes  pas  convaincus,  et  même  nous  ne  trouvons 
dans  ces  chapitres  rien  d'aussi  franchement  mauvais  que  ce  petit 
développement  sur  l'un  des  sens  du  moi  jus  dans  un  paragraphe  in- 
contesté (5)  du  chapitre  i":  Jus  autem  cjuandoque  dicitar  virtus  tribnens 
unicuùjue  (juod  snnm  est,  et  hoc  precipue  attenditur  in  curia  laicali  per 
(jUod  debent  contentiones  singule  terminari.  En  quoi,  nous  le  demandons, 
la  mission  de  tribuere  uniciiiijue  cjuod  suam  est  est-elle  spéciale  aux  tri- 
bunaux laïques  ?  Nulle  part,  dans  tout  l'ouvrage,  l'expression  n'a  trahi 
aussi  complètement  la  pensée  de  l'auteur.  Nous  aurons,  d'ailleurs,  en 
analysant  le  Grand  Coutumier,  l'occasion  de  rapprocher  deux  asser- 

''*  Cf.  Tardif,  p.  cxvi,  cxvii,  note  i .  —  '-'  Tardif,  p.  cix,  note  i .  Cette  appréciation  de  M.  Tar- 
dif est  complétée  par  ce  qu'il  dit  p.  clxxiv. 

IIIST.  LITTÉR.  —  XXXIII.  I  4 


106 


LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


lions  bien  différentes  relatives  au  bourgage  :  l'une  au  chapitre  xxix, 
l'autre  au  chapitre  cxxv;  et  nous  montrerons  que,  suivant  toute 
vraisemblance,  le  chapitre  cxxv  est  plus  exact  sur  ce  point  que  le 
chapitre  xxix. 

Les  diverses  parties  du  livre  se  ressemblent  tellement,  que  le  der- 
nier éditeur,  tout  en  se  prononçant  pour  la  pluralité  des  auteurs,  a 
pu  caractériser  en  bloc  le  genre  et  la  manière  de  ces  divers  auteurs 
supposés,  lesquels  auraient  rencontré  une  singulière  unité  de  style. 
Les  termes  techniques  sont  rares  :  pour  éviter  le  mélange  d'expressions 
latines  et  françaises,  on  donne  aux  mots  français  une  désinence 
latine,  en  avertissant  le  lecteur  à  l'aide  du  mot  vulgariter.  M.  Tardif 
ajoute  qu'à  l'exemple  des  dictatores  «  les  auteurs  »  se  préoccupent  de 
ménager  à  la  lin  de  chaque  phrase  ou  de  chaque  membre  de  phrase 
le  retour  d'un  certain  nombre  de  syllabes  accentuées  de  la  même 
manière.  Les  lois  du  rythme  ou  cursus  sont,  en  effet,  suivant  ce  très 
distingué  critique,  assez  exactement  observées  dans  les  différentes 
parties  du  Goutumier.  Cette  recherche  du  rythme  imprime  au  style 
une  certaine  élégance  :  les  périphrases  et  les  métaphores  sont  fré- 
quentes, ainsi  que  les  inversions  (ma/teres  (fue  nunquamjuerunt jucjo  $uh- 
dke  maritali''^^;  —  originem  duxerit  conjugalem^^^; — Ipse  tamen  essoniatus 
post  hec  omnes  suas  facere  polerit  essonias^^^).  La  réunion  de  toutes  ces 
qualités  convient  beaucoup  mieux  à  un  auteur  unique  qu'à  un  groupe 
d'auteurs.  Le  savant  éditeur  croit  pourtant  apercevoir  une  différence 
de  rédaction  assez  sensible  entre  le  corps  de  l'ouvrage  et  les  chapi- 


'"'  Chnp.  XIV,  De  moiu'luijio,  S  8. 

'''  Chap.  xxv.  De  impediinenlis  snccessionis , 
$7. 

'''  Chap.  cxxiv,  De  lerje  appareitti,  S  7.  Nous 
résumons  ici  les  observations  de  M.  Tardif, 
p.  CLXX,  CLxxi.  Nous  ne  sommes  pas  frappés 
de  certaines  incorreclions  de  style  ou  nou- 
veautés que  M.  Tardif  sis^ale  (p.  SgS)  dans 
les  derniers  cliapitres  :  il  note,  entre  autres 
choses  :  l'expression  incorrecte  muvitagium  au 
lieu  de  matrimonium  [ch.  v.\\\ ,  S  16);  le  mot 
demanda,  de  formation  récente,  au  lieu  de 
querimonia  (ch.  cxx.  Sa;  ch.  r.xxiv,  Si3);  la 
juxtaposition  des  mots  personatiis  et  dignitas 
(ch.  r.xxi,  S  3).  —  L'emploi  de  marilatiiiim  au 
lieu  de  malrimoniuin  s'explique  à  merveille  dans 
un  passage  où  l'aufeur  parle  à  la  fois  de  iiwii- 
lai/iuin  et  de  malrimoiniim.Sa  plume  (ou  celle 


des  copistes)  a  pu  très  facilement  errer  une  ou 
deux  fois.  Il  a  dit  aussi  demanda  au  lieu  de  que- 
rimonia;  mais  si  un  jurisconsulte  est  accoutumé 
à  l'expression  iechniqae  su perdemanda  (ch.  xci, 
S  3) ,  qui  pourra  s'étonner  qu'il  ait  dit  une  fois 
demanda  au  lieu  de  qaerimonia  ?  Personatus  est 
employé  à  côté  de  dignitas  dans  cette  phrase  : 
omnes  persane  dirjnhatem  seu  personatnm  ha- 
brnles.  Qu'y  a-t-il  là  de  si  nouveau  ?  Alexan- 
dre III  n'a-t-il  pas  dit,  dans  un  texte  que  tout 
canoniste  connaissait  au  moyen  âge  :  Illiid 
est  omni  ralioni  contrarium  ni  anus  clericiu  in 
mm  vel  diversis  ecclesiis  pliires  dignitates  vel  per- 
sonatus obtineat  (  Decretales  Greqorii  IX,  Ilf,  v. 
De  prœbendis  el  diqniialibus ,  1  ."$  ) ,  et  Inno- 
cent m  :  Addenles  ut  in  eadem  ercksia  nnllus 
plurcs  dignitates  aut  personatus  habere  prœsa- 
nuit  tibid.,  a8)? 


I 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  107 

très  cxiii  à  cxxv.  Le  style  en  ces  derniers  chapitres,  écrit-il,  «est 
M  moins  précis;  les  phrases  sont  longues  et  surchargées  d'inversions; 
«on  y  relève  des  expressions  plus  recherchées,  et  même  un  essai 
(I  d'imitation  du  second  prologue.  La  formule  du  bref  d'establie 
«  (chap.  cxiii,  S  2  )  est  incomplète,  tandis  que  partout  ailleurs  les  mo- 
«  dèles  de  brefs  sont  reproduits  avec  exactitude^''».  Cette  dernière 
observation  est,  à  nos  yeux,  sans  portée:  en  effet,  nous  relevons  dans 
un  chapitre  incontesté,  le  chapitre  lxvii,  S  i,  une  formule  non  plus  de 
bref, mais  de  demande  en  cas  de  meurtre,  qui  est  altérée,  puisque  le 
style  direct  à  la  première  personne,  qui  se  trouve  partout  ailleurs,  a  été 
remplacé  par  le  style  indirect  à  la  troisième.  Distraction  de  l'auteur 
ou  altération  du  texte  par  un  copiste  !  Une  distraction  ou  une  alté- 
ration analogue  suffit  à  expliquer  la  coupure  faite  au  bref  de  stabilia 
dans  le  chapitre  cxiii,  S  2.  Quant  aux  différences  de  style,  elles  ne 
nous  ont  pas  frappés.  Enfin  la  parenté  de  style  et  de  pensée  qui  existe 
entre  un  passage  du  second  prologue'^'  et  le  commencement  du  cha- 
pitre cxiii  ne  pourrait-elle  pas  être  invoquée  en  faveur  de  l'hypothèse 
d'un  auteur  unique  ?  On  se  répète  si  facilement  soi-même  !  L'auteur 
du  Grand  Coutumier,  en  particulier,  se  répétait  souvent. 

Nous  n'attachons  aucune  importance  à  cette  circonstance  que  le 
début  du  chapitre  cxiii.  De  brevi  de  stabilia,  renferme  une  petite 
inexactitude  historique  :  d'après  ce  texte,  les  deux  reconnaissants 
d'establie  et  de  surdemande  auraient  été  créés  par  le  législateur, 
tandis  qu'en  réalité  le  dernier  de  ces  brefs  est  plutôt  une  création  de 
la  jurisprudence.  Est-il  un  auteur,  au  moyen  âge,  qui  soit  à  l'abri 
d'une  incorrection  de  ce  genre  ?  Rien  ne  nous  autorise  à  supposer 
que  le  rédacteur  principal  de  la  Summa  de  legibus  en  était  incapable, 
alors  que  l'un  des  rédacteurs  secondaires  eût  pu  s'en  rendre  cou- 
pable. 

Certain  désaccord  relevé'^'  entre  le  chapitre  cxi,  S  1 3,  et  le  para- 
graphe 2  bis  du  chapitre  xxi  est,  à  nos  yeux,  purement  apparent.  Le 
temps  requis  pour  la  prescription  en  matière  de  gage  semblerait  varier 
d'un  chapitre  à  l'autre  <'''  :  le  délai  est  de  quarante  ans  d'après  le  chapitre 
Devadiis  et  emptionibus  (xxi,  S  2  bis),  et  seulement  de  trente  ans  d'après 
le  chapitre  De  brevi  de  feodo  et  vadio  (cxi,  S  1  3).  Telle  est,  du  moins, 

'■'  Tardif,  p.  (.XIV.  W  Tardif,  p.  (aiv. 

'''  Tardif,  p.  2.  l«)  Tardif,  p.  <:iv. 

i4. 


108  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

l'impression  que  laisse  une  lecture  rapide.  Mais,  si  on  examine  les  textes 
attentivement,  on  s'aperçoit  que  les  trente  ans  mentionnés  au  chapitre 
CXI,  S  1 3,  ne  sont  pas  autre  chose  qu'un  souvenir  dupasse,  et  que  l'au- 
teur ne  prétend  nullement,  en  ce  passage,  enseigner  que,  de  son  temps, 
le  délai  de  trente  ans  soit  admis  pour  la  prescription.  La  vérité  est  qu'il 
voudrait  voir  le  législateur  adopter  ce  délai  de  trente  ans;  quant  au 
droit  en  vigueur,  bien  loin  d'indiquer  le  délai  de  trente  ans,  le  juriscon- 
sulte rappelle  qu'on  prend  maintenant  pour  point  de  départ  le  cou- 
ronnement du  roi  Piichard  (  1 1 89  ) ,  et  il  oublie  même  d'ajouter,  comme 
le  faisait  le  chapitre  xxi,  S  2  bis,  qu'à  défaut  d'un  aussi  long  délai  on 
se  contente  d'un  délai  de  quarante  ans.  Nous  ne  voyons  là  qu'une 
simple  omission,  bien  excusable  si  l'on  admet  que  le  chapitre  xxi, 
S  '2  bis,  a  été  écrit  par  le  même  auteur  que  le  chapitre  cxi,  S  1 3''l 

En  résumé,  cette  question  :  le  Grand  Coutumier  normand  est-il 
l'œuvre  d'un  ou  de  plusieurs  auteurs?  à  nos  yeux  reste  ouverte. 
C'est  un  problème  difficile,  que  nous  ne  prétendons  pas  avoir  résolu 
définitivement.  Mais  nous  avons  voulu  faire  sentir  que,  dans  l'état 
actuel  des  recherches,  il  ne  serait  nullement  déraisonnable  de  s'en 
tenir  à  l'hypothèse  d'un  auteur  unique,  tout  en  admettant,  bien 
entendu,  que  certaines  additions  de  médiocre  importance  ont  pu, 
comme  il  arrive  si  souvent,  se  greffer  çà  et  là  sur  l'œuvre  primitive. 
L'auteur  lui-même  semble,  d'ailleurs,  à  la  fin  des  prologues,  inviter 
ses  lecteurs  à  ce  travail  de  collaboration  posthume  :  Sed  cum  in  hnmanis 
stiuliis  ex  omni  parte  perjectam  nihil  valeat  inveniri,  ab  hoc  opnscuhim 
inspicientibus  sit  petitum,  ut  quod  in  eo  viderint  corngendum  corrigentes, 
addentes  diminiita,  saperjlna  resecantes,  mihi  siibsidinm  dignentur  aliquod 
impartiri'^^K  En  dépit  de  cette  autorisation  donnée  aux  lecteurs  par 
l'auteur  même  du  Grand  Coutumier,  nous  serions  plus  circonspects 
que  le  dernier  éditeur  en  ce  qui  touche  certaines  éliminations. 
M.  Tardif  écarte  notamment  cinq  passages  qui  figurent  dans  tous  les 
manuscrits;  ce  que  nous  n'oserions  jamais  faire.  Voici  les  raisons  de 
ces  exclusions  : 

'''  Le  paragraphe  a  bis  du  chapitre  xxi  est  paragraphe  a  bis.  en  sorte  que  l'hypothèse  d'un 

rejeté  par  le  dernier  éditeur  comme  étranger  Ijourdon  qui  se  serait  répété  dans  des  faniilles 

.i  l'o-uvre  primitive.  Il  manque  dans  plusieurs  différentes  nous  semble  .^  la  rigueur  admissible; 

manuscrits  qui  n'appartiennent  pas  à  la  même  voici  les  deux  finales  :  (S  a)«  .  .     in  siii  nctorcm 

famille;  mais  il  y  a  quelque  analogie  maté-  retorqiieri;($  a  his)  in  tractntu  querp/nniHi. 
rielle  entre  la  fin  du  paragraphe  a  et  la  fin  du  '''  Kdit.  Tardif,  p.  3. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  109 

«  L'un  des  passages  (chap.  xiv,  De  monetagio,  S  5  bis)  contient  une 
«  citation  de  l'Écriture  sainte  et  une  allusion  à  l'incapacité  de  la  femme 
«  mariée,  qui  est  hors  de  propos  dans  la  matière  du  fouage  et  lait 
«  double  emploi  avec  une  disposition  du  chapitre  De  brevi  marUagii 
«  impedid  (c,  S  2) .  11  en  est  de  même  du  passage  :  Ex  lus  palet  cjiiod  auxiliiim 
«  milicie.  .  .  dans  le  chapitre  De  capitalibus  auxiliis  (xxxiii,  S  2  èis),  qui 
«  n'est  que  la  répétition  de  ce  qui  a  été  dit  quelques  lignes  auparavant 
«  sur  l'aide  de  chevalerie.  Le  chapitre  De  exciisatione  per  prisoniam 
«  (xLVii,  S  2  bis]  se  termine  encore  par  un  renvoi  à  une  ordonnance  de 
«  saint  Louis  rapportée  plus  haut  dans  le  chapitre  De  justicialione 
«  (vi,  S  7);  cette  phrase  ne  fait  pas  corps  avec  le  reste  du  chapitre  et 
«  semble  avoir  été  aussi  ajoutée  après  coup.  Enfin  le  chapitre  De  defectu 
uijueruli  (xcvi)  finit  par  un  paragraphe  rappelant  que  le  recours  en 
«garantie  n'est  pas  admis  dans  la  nouvelle  dessaisine;  or  le  chapitre 
«  précédent  prononce  déjà  l'exclusion  de  la  garantie  (xcv,  S  6).  Ce  pa- 
«  ragraphe  ne  se  rattache,  d'ailleurs,  par  aucun  lien  logique  au  reste 
M  du  chapitre  xcvi,  puisqu'il  y  est  question  du  défaut  du  demandeur 
«  et  que  l'exception  de  garantie  ne  peut  intéresser  que  le  défen- 
«  deur^''.  » 

Les  répétitions  sont  trop  nombreuses  dans  le  Grand  Goutumier 
]iour  qu'il  y  ait  lieu  de  suspecter  de  ce  chef  certains  passages,  alors 
que  nombre  d'autres  passages  qui  font  également  double  emploi 
ne  sont  pas  écartés  et  ne  peuvent  l'être.  Quant  aux  critiques  d'un 
autre  ordre,  elles  ne  nous  paraissent  pas  non  plus  suffisantes 
pour  rejeter  l'autorité  unanime  des  manuscrits.  Combien  d'auteurs, 
se  soumettant  d'aventure  eux-mêmes  à  une  revision  minutieuse, 
seraient  conduits,  par  l'application  d'une  critique  aussi  sévère,  à  con- 
sidérer divers  passages  de  leur  œuvre  comme  autant  d'interpolations, 
au  lieu  de  s'avouer  coupables  de  quelques  négligences  ou  imper- 
fections ou  même  de  constater  simplement  certaines  particularités  de 
leur  travail  ! 

Nous  maintiendrions  aussi  dans  une  édition  critique  un  bon 
nombre  de  fragments  rejetés  par  le  dernier  éditeur,  fragments  qui 
manquent  dans  de  bons  manuscrits,  mais  qui  s'harmonisent  avec  le 
contexte  et  dont  l'omission  nous  paraît  tout  simplement  le  résultat  de 

'"'  Tardif,  p.  cxx,  cxxi. 


110  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

bourdons  proprement  dits  ou  de  la  r^-pétition  de  mots  à  peu  près 
semblables.  Nous  reproduisons  ci-après,  munis  du  bis  par  lequel  le 
dernier  éditeur  les  signale  comme  interpolés,  quelques-uns  de  ces 
passages,  et  nous  les  faisons  précéder  du  texte  incontesté  auquel  ils 
font  suite.  Les  mots  qui  ont  pu  donner  lieu  au  bourdon  sont  imprimés 
en  italiques  : 

Ghap.  XXV,  $  2.  «Quos  enim  judex  ecclesiasticus  pro  legitimis  reputat  et  laicus 
«  legilimos  reputabit.  «  —  2  bis.  «  Item  procreati  ante  matrimonium ,  inatrimonio  sub- 
«  sequente ,  pro  legitimis  reputantur.  » 

Le  paragraphe  2  bis  manque  dans  G*,  D^,  G,  O.  Il  figure  dans  tous  les  autres 
manuscrits  latins  et  dans  tous  les  manuscrits  français  que  nous  avons  examinés  à  ce 
point  de  vue  '''. 

Ghap.  XLii,  S  3.  0  ...  De  quibus  plenius  tractabitur  in  sequenti.  »  —  $  3  bis.  «  Gum 
n  de  brevi  antecessoris  usus  et  consuetudines  exequemw.  » 

Le  paragraphe  3  bis  ne  manque  que  dans  D'.Il  figure  dans  tous  les  autres  manu- 
scrits latins  et  dans  les  manuscrits  français  que  nous  avons  consultés  *'. 

Ghap.  Lix,  S  1  2.  «...  Et  laies  [plegii]  in  simplici  querela,  cum  hujusmodi  debi- 
«  tum  ab  ipsis  contractutn  non  fuerit,  non  poterunt  disraisniare.  »  —  S  12  bis.  «  Nullus 
«  enim  aiienum  factum  potest  disraisniare.  » 

Le  paragraphe  1  a  bis  manque  dans  D'  et  G.  Il  figure  dans  tous  les  autres  manu 
scrits  latins  et  dans  les  manuscrits  français  que  nous  avons  interrogés  '*'. 

Ghap.  Lxviii,  $  a.  Il  .  .  .  Inimici  eorum  vel amici  spéciales  et  notorii,  consanguinei 
«  utriusque  partis,  dum  tamen  suspectio  certa  amoris  specialis  favore  habiti,  vel 
«aflînitatis,  vel  odii,  de  ipsis  certis  rationibus  possit  pretendi,  ad  jurandam  recipi 
«  non  debent.  «  —  Sa  bis.  «  lUi  eciam  qui  in  causa  consimili  sunt  adjaramcntum  recipi 
'<  non  debent.  » 

Le  paragraphe  a  bis  mancpie  dans  B',  G*,  D',  D^,  O,  V  et  dans  les  manuscrits 
français  (]ue  nous  avons  consultés '*' ;  mais  le  bourdon  paraît  d'autant  plus  vraisem- 
blable ici  que  le  mouvement  des  phrases  suivantes  s'harmonise  mieux  avec  la  phrase 
un  eciam.. .  recipi  non  debent  qu'avec  la  précédente;  le  texte  continue  ainsi  :  . . .  vel 
qui  sunt  qaerele  participes;  et  illi  eciam  per  qaos  querela  movetur  et  defenditur,  etc. 

Ghap.  Lxxxv,  S  1  1 .  «  De  emenda  autem  domini  in  cujus  caria  bec  aguntur,  in 
«  hujusmodi  sequelis  sciendum  est  quod  xvin  soUdos  potest  habere  de  emenda.  »  — 
S  1  I  bis.  «  Princeps  vero  si  in  ejas  curia  hajasmodi  querela  duceretur  xxxvi  solidos 
«  potest  levare  de  emenda.  » 

Le  paragraphe  1  1  bis  manque  dans  G*,  D',  D^,  G .  0,  V,  ainsi  que  dans  les  manu 

'''  (]e    passage   ligure,   mais    un  peu   plus  '''  Ms.  fr.  b^bS,  fol.  lxii  v";  m$.  fr.  5961, 

haut,  dans  les  rass.  fr.  SgGi,  (ol.  16  r°;  ôgSS,  fol.  3o  r°;  ms.  fr.  6960,  fol.  5o  r°. 
fol.  XXXIV  v";  0960,  fol.  33  v°.  "'  Sainte-Geneviève,   i-ji^,  p.   101;  Bibl. 

'''  Manuscrit    français    Ô960,    fol.    44    r";  nat.,  ms.  fr.  53^5,  fol.  li3  v°;  ms.  fr.  6963, 

manuscrit  français  5961  ;  fol.  a4  r°;  manuscrit  fol.  47  r°;   ms.  fr.   3961,  fol.  34  V;  ms.  fr. 

français  5968,  fol.  u  r*.  i455o,  fol.  93  r*. 


LES  COUTUMIERS  DE  NOR]VI\NDIE. 


111 


scrits  français  que  nous  avons  consultés'".  Mais  les  nombreuses  répétitions  de 
mots  que  présente  ce  passage  rendent  tout  à  fait  vraisemblable  l'hypothèse  d'un 
bourdon. 


Le  Grand  Coutumier  a  été  mis  en  vers  octosyllabiques  *^'  par  un 
personnage  qui  s'est  ainsi  désigné  dans  l'épilogue  : 

Qui  mon  nom  veult  appercevoir 
Par  aguille  et  par  me  voir 
Le  sara,  et  le  sournoni  sache 
S'il  y  met  C.  A.  V.  P.  H.  (". 

Celte  énigme  se  déchiffre  facilement.  Le  quatrième  vers  nous  livre 
le  nom  de  famille  [sournom]  :  Chapu,  formé  des  cinq  lettres  CAVPH, 
et  le  second  le  nom  de  baptême  (nom)  :  Guilleame,  où  se  retrouvent 
les  deux  éléments  agnille  et  me. 

C'est  donc  un  Guillaume  Chapu '''^  qui  a  versifié  notre  Grand  Cou- 
tumier. Malheureusement  nous  ne  savons  rien  de  plus  sur  ce  per- 
sonnage. Il  écrivait,  autant  qu'on  en  peut  juger  par  sa  langue  et  ses 
habitudes  de  versification,  au  xiii*  ou  au  xiv*  siècle. 

La  critique  s'est  longtemps  embarrassée  d'un  nom,  mal  lu  d'ailleurs, 
mais  qui  ne  rentre  nullement,  de  quelque  manière  qu'on  le  déchiffre, 
dans  les  données  indiquées  ci-dessus.  Ce  nom,  qu'on  a  lu  tantôt  Richard 
Dennebault ,  tantôt  Richard  Donrhault,  et  qui  serait  plutôt  Richard 
Donehaiill^^\  nous  est  fourni  par  l'épilogue  en  vers  d'un  manuscrit 
qu'avaient  connu  autrefois  Froland  et  Hoûard  et  qui  est  aujourd'hui 


'"'  Bibl.Sainte-Geneviève, ms.  i743,p.  119; 
Bibl.  nat.,  ms.  franc.  6963,  fol.  55  r°;  ras. 
franc.  6960,  foi.  64  r";  ms.  franc.  5958, 
foi.  liii"vi  r°. 

'*'  Voici  l'indication  des  textes  de  cette  ver- 
sion. Mss.  :  Bibl.  de  l'Arsenal  2467,  fol.  aS-gC  ; 
Bibl.  nat.  :  fr.  533o ,  fol.  2  r°  et  suiv.  ;  fr.  5335 , 
fol.  1  r°  et  suiv.;  fr.  i4548,  foi.  22  r°  et  suiv.; 
fr.  5962 ,  fol.  6  v"  et  suiv.  ;  Musée  Brit. ,  Harl. 
4477,  fol.  4-69;  Harl.  4i48,  fol.  i-24o. 

Imprimé  dans  Hoûard,  Dictionnaire  de  la 
Contamc  de  Normandie,  t.  IV,  Rouen,  1782, 
Supplément,  p.  49-1 58. 

'''  Voir  notamment  ms.  fr.  1 4  5  48 ,  fol.  3o  i  r". 


'*'  Voir  Gaston  Paris,  La  littérature  fran- 
çaise au  moyen  âge,  2*  édit.,  1890,  p.  i48, 
S  102.  On  avait  précédemment  pris  tout  sim- 
plement CAVPH  pour  le  nom  même  du 
traducteur,  qui  se  serait  appelé  Cauph,  nom 
invraisemblable. 

'*'  Le  manuscrit  permettrait  matériellement 
la  lecture  improbable  de  Doarbaalt  aussi  bien 
que  Donebaalt.  Des  critiques ,  guidés  sans  doute 
par  l'existence  d'une  famille  de  ce  nom ,  ont 
admis  d'Anebault  :  ce  serait  une  correction  au 
manuscrit.  —  Aucun  nom  propre  dans  l'édition 
incunable  de  cette  traduction  en  vers  des  Insti- 
tutes. 


112  LES  COUTCMIERS  DE  NORMANDIE. 

conservé  au  Musée  Britannique  (Harl.  4477)-  Cet  épilogue  est  ainsi 
conçu  : 

Mil  ans  ce  iiii  fois  vint 

Après  ce  que  Jhesu  Crist  vint 

En  terre  pour  humain  linage,  • 

Pour  rendre  nous  nostre  héritage, 

C'est  le  règne  de  Paradis 

Que  Adam  nous  tolly  jadis 

Qui  de  mauvois  venin  ert  y vre , 

Mist  Richard  Donebault  (?)  cest  livre 

En  romans  au  mieux  que  il  sault"'. 

Mais  ces  vers  n'ont,  en  réalité,  rien  de  commun  avec  le  Grand 
Coutumier  versifié.  Ils  figurent  dans  le  ms.  Harl.  4477  ^  la  suite,  non 
pas  du  Grand  Coutumier,  mais  des  Institutes  de  Justinien  mises  égale- 
ment en  vers.  Le  manuscrit  en  question  contient  :  i°  le  Grand  Cou- 
tumier en  vers;  2°  les  Institutes  de  Justinien  en  vers,  et  à  la  suite 
des  Institutes  cet  explicit  : 

Institutes  rymees  cy 

Sont  acomplies,  Dieux  mercy  ! 

Puis  l'épilogue  ci-dessus  reproduit.  Rien  ne  nous  autorise  à  réunir 
en  un  seul  personnage  Richard  Donebault  et  Guillaume  Chapu.  Ce 
sont  deux  versificateurs  distincts,  comme  l'a  bien  vu  l'abbé  De  la 
Rue'^'.  L'un  a  versifié  le  Grand  Coutumier;  l'autre  a  mis  en  vers  les 
Institutes  de  Justinien. 

Notre  Guillaume  Chapu  assure  qu'il  a  travaillé  sur  le  texte  latin  du 
Grand  Coutumier  : 

Et  je,  qui  me  sui  entremis 
D'avoir  cest  livre  en  rime  mis, 
Segon  le  latin  l'ai  estrait 
A  mon  pouoir,  sans  nialvais  trait  '•'''. 

'"'  Ms.  Hari.  4/177,  f"'-  ^'"^  '"'  '^^-  •  (com-  le  compte  rendu  par  Dupuy  du  tome  IV  du  Dic- 

munication  de  M.  Salmon).  tioiinaire  de  la  coutume  de  Normandie  de  Hoûard , 

'"'  Essai  historique  sur  les  bardes ,  les  jongleurs  Rouen,  1782,  dans  Journal  des  Savants ,  1785, 

et   les   trouvères   normands  et  anglo- normands,  p.  85-86. 

t. in,  Caen,  i834,  p.  i85,  186,  219-234. Cf.  «  Ms.  fr.  i4548,  fol.  3oo  v'. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  113 

Celte  assertion  «  segon  le  latin  l'ai  estrait  »  est  parfaitement  exacte. 
La  comparaison  du  texte  versifié  et  des  textes  latin  et  français  ne 
laisse  à  cet  égard  aucun  doute.  En  effet,  plusieurs  passages  du  texte 
qui  figurent  dans  des  manuscrits  latins  et  qui  manquent  dans 
tous  les  manuscrits  français  sont  représentés  dans  le  texte  en  vers. 
Nous  citerons  :  au  chapitre  vu,  De  Uberatione  namnorum,  le  para- 
graphe 11  bis;  au  chapitre  x,  De  consiietndine ,  le  paragraphe  3  bis; 
au  chapitre  xviii.  De  rébus  vaivis,  le  paragraphe  3  bis;  au  chapitre  xix, 
De  usiiris,  le  paragraphe  6  bis;  au  chapitre  xx.  De  sese  liomicidis, 
le  paragraphe  2  bis;  au  chapitre  xxii.  De  forisfacturis,  le  para- 
graphe 8;  tout  le  chapitre  xxii  bis,  De  exercitu;  au  chapitre  Lxvii,  De 

mnltro,   S    i5   in  fine,  la  phrase  :  Et  si  alujai  eorum eluceat 

irujuisite. 

Nous  n'aborderons  pas  certaines  comparaisons  de  textes,  qui  nous 
ont  laissé  la  même  impression.  Ces  comparaisons  seraient  parfois 
assez  difficiles  à  établir  très  sûrement,  car  le  texte  versifié  qui  nous 
occupe  a  été  remanié  et  se  présente  selon  les  manuscrits  sous  des 
formes  assez  différentes. 

^  Guillaume  Ghapu  n'a  pas  évité  tout  contresens  l^malvais  trait).  Sa 
traduction,  sans  être  mauvaise  en  son  ensemble,  est  loin  d'être  irré- 
prochable. Nous  aurons  lieu  de  signaler,  en  analysant  le  Grand  Gou- 
tumier,  une  traduction  défectueuse  du  mot  desperati,  au  chapitre  xx. 
De  sese  homicidis,  S  2. 

Le  versificateur  a  eu  sous  les  yeux  un  texte  qui  contenait  le  cha- 
pitre IV  bis,  De  ojficio  senescalli,  en  déficit,  comme  on  sait,  dans 
beaucoup  de  manuscrits. 

On  constate,  en  comparant  avec  le  latin  les  derniers  chapitres  du 
texte  versifié,  que  l'exemplaire  suivi  par  Ghapu  était  très  voisin  du 
ms.  lat.  B'^  En  effet,  certaines  phrases  ajoutées  dans  B^  au  texte 
du  chapitre  cxxi  figurent  dans  le  texte  versifié.  Mais  fanalogie  avecB^ 
n'est  pas  constante  dans  l'ensemble  de  l'œuvre. 

Le  texte  versifié  a  été  imprimé  par  Hoûard  d'après  un  manuscrit 
qui  appartient  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  où  il  est 
coté  sous  le  n°  2467.  Le  texte  de  ce  manuscrit  est  incomplet  au 
commencement  et  à  la  fin.  Guillaume  Ghapu  entrait  en  matière  par 
une  invocation  à  la  Trinité,  qui  manque  tout  entière  dans  f im- 
primé. 

UIST.   LITTÉR.  WMII.  1 .1 


114  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

En  voici  le  début  : 

De  par  la  Trinité ,  amen , 

P^ais  t  si  que  je  puisse  a  m  en 

Gré  parfaire  ce  que  je  pense 

Et  que  je  puisse  avoir  en ,  se 

Je  le  parfais,  le  gré  du  monde! 

Mais  a  grant  peine  peut  on  de 

Tout  le  commun  gré  recevoir  ; 

Car,  quant  aucun  prononce  voir, 

L'un  dit  :  «  C'est  bien  »;  l'autre  s'en  moque. 

Mais  pour  ce  ja  ne  diray  ho  que 

Ne  face  ce  que  j'ay  enpris , 

Qui  que  s'en  moque  ou  l'ait  en  pris. 

Si  veul  le  françois  mestre  en  rime 

Du  latin  du  livre  qui  me 

Semble  bon ,  et  que  l'on  papelle 

I^e  Coustumier  normant,  que  le 

Commun  de  tous  les  advocas 

De  la  court  loye,  quant  au  cas 

De  leurs  querelles  adrechier, 

Doyvent  avoir  et  prendre  chier. 

Et  pour  ce ,  au  commencement , 

Requier  le  vjai  Dieu  qui  ne  ment 

Qu'otroier  me  veulle  la  grâce  / 

Du  Saint  Esperit,  si  qu'a  ce 

Puisse  accomplir  a  sa  loenge 

Et  preu  de  tous;  a  ce  tent  je'". 

A  la  suite  du  rébus  sur  le  nom  de  l'auteur,  nous  relevons  cette  jus- 
tification intéressante  de  l'œuvre  : 

Les  causes  du  rimer  sont  tels 
Du  livre  :  c'est  afin  que  les 
Advocas  qui  sont  et  seront, 
Qui  volentc  de  savoir  ont 
Par  ce  le  livre  et  qu'il  en  tient, 
l/en  sachent  plus  tout  ;  car  on  tient 
Que  plus  est  bon  h  concevoir 
Franchois  rimé  que  prose,  voir. 

<"  Bibl.  not..  ms.  fr.  145/18,  loi.  it  r°;  ins.  fr.  5,"î3o,  fol.  -i  r\ 


i 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  115 

Nous  ne  prolongerons  pas  ces  citations,  déjà  très  étendues.  Ce  qui 
les  justifiera  peut-être  aux  yeux  du  lecteur,  c'est  que  ce  prologue, 

3ui  compte  en  tout  trente-quatre  vers,  est,  avec  le  rébus  sur  le  nom 
e  l'auteur,  la  seule  partie  originale  de  l'œuvre. 
Entre  la  mise  en  vers  du  morceau  initial  Cum  nostra  sit  inleiitio  et 
celle  du  prologue  Cam  inejff'renate  se  trouvent,  toujours  en  vers,  l'indi- 
cation du  nombre  des  chapitres  et,  encore  en  vers,  la  table  de 
l'ouvrage,  qui  figure,  en  effet,  à  cette  place  dans  beaucoup  de  manu- 
scrits latins.  L'indication  du  nombre  des  chapitres  est  probablement 
empruntée  elle-même  à  quelque  manuscrit  latin  qui  l'avait  placée  en 
tête  de  la  table. 

Tout  ce  début  du  Coutumier  versifié  manque  dans  le  manuscrit  de 
l'Arsenal  2^67  et,  par  suite,  dans  l'édition  de  Hoûard.  Le  manuscrit  et 
l'édition  commencent  avec  la  traduction  en  vers  du  chapitre  i.  De  jure. 
Le  texte  imprimé  par  Hoûard,  ainsi  tronqué  au  commencement,  est 
incomplet  aussi  vers  la  fin  :  il  offre  une  grande  lacune  depuis  le  para- 
graphe 16  du  chapitre  cxxi,  Recordamcntam  de  maritagio,  jusqu'au 
chapitre  cxxiv  inclusivement;  mais  il  suffit  de  se  reporter  à  la  table 
versifiée  pour  constater  que  cette  partie  de  l'œuvre  avait  été  également 
mise  en  vers.  Les  manuscrits  que  nous  avons  pu  consulter  contien- 
nent, en  effet,  ces  parties  omises  dans  le  manuscrit  de  l'Arsenal. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  cette  œuvre  secondaire,  où 
l'auteur  a  fait  preuve  d'une  certaine  souplesse  de  plume,  que  nous 
n'oserions  appeler  du  talent.  Elle  n'est  pas  d'une  utilité  très  fi:*équente 
pour  l'interprétation  du  Coutumier,  mais  elle  ne  saurait  être  tout  à 
fait  négligée. 

Le  Grand  Coutumier  est  divisé  en  deux  parties  :  la  première  partie 
en  cinq  distinctions;  ces  distinctions,  à  leur  tour,  sont  subdivisées  en 
chapitres  ;  la  seconde  partie  est  divisée  simplement  en  chapitres.  L'en- 
semble des  chapitres  a  reçu  un  numérotage  unique,  ce  qui  permet  de 
négliger  parties  et  distinctions  dans  les  citations  du  Grand  Coutumier. 

Le  plan  général  de  l'auteur  se  dégage  facilement.  Ce  plan  est  excel- 
lent, parce  qu'il  est  très  simple;  mais  l'auteur  n'en  a  pas  toujours 
respecté  toutes  les  lignes. 

Nous  reconnaissons  quatre  grandes  divisions  : 

Le  jurisconsulte  expose,  en  commençant,  quelques  notions  gêné- 


116  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

raies  sur  le  droit  et  la  justice,  sur  les  lonctions  du  bailli,  de  l'ancien 
sénéchal,  du  vicomte;  c'est  l'objet  des  chapitres  i  à  x  (i"  distinction). 
Il  s'occupe  ensuite  du  duc  de  Normandie  et  des  divers  droits  qui  lui 
compétent;  c'est  l'objet  des  chapitres  xi  à  xxii  bis  (2'  distinction).  Les 
chapitres  xxiii  à  xxxv  (3"  distinction)  sont  consacrés  à  quelques  ma- 
tières juridiques  (succession,  droit  d'aînesse,  tenures,  hommages) 
3ue  l'auteur  traite  directement,  en  les  dégageant  du  formalisme  et 
e  la  procédure.  Cette  partie  de  l'œuvre  est  trop  brève  :  l'auteur  a 
rejeté  dans  les  chapitres  suivants  bien  des  notions  de  droit  pur  qui 
eussent  dû  prendre  place  dans  cette  troisième  distinction.  Tout  le 
reste  de  l'ouvrage  (chap.  xxxvi  à  cxxv)  est  réservé  à  la  procédure, 
aux  questions  de  compétence,  à  l'organisation  judiciaire.  Il  y  règne 
un  certain  désordre,  bien  difficile  à  éviter  dans  une  matière  aussi 
complexe. 

L'œuvre  proprement  dite  est  précédée  de  deux  prologues.  Dans  le 
premier,  l'auteur  s'est  expliqué  lui-même  sur  les  divisions  adoptées. 
Il  semble  considérer  les  chapitres  lxvi  à  cxxv  comme  consacrés  à  la 
procédure,  les  chapitres  xxxvi  à  lxv  étant  plutôt,  à  ses  yeux,  une 
sorte  d'introduction  à  la  procédure  proprement  dite'"'.  Nous  grou- 

f)ons  avec  intention  ces  deux  séries  de  chapitres  :  les  citations  et 
es  excuses,  l'organisation  judiciaire,  le  cri  de  haro,  les  recognitiones , 
sont  réunis,  dans  notre  pensée,  sous  cette  rubrique  commune:  pro- 
cédure. 

Nous  passerons  rapidement  en  revue  les  quatre  grandes  divisions 
qui  viennent  d'être  établies. 

L'auteur  débute  par  quelques  définitions  (chap.  i  à  m).  Les  mots 
jus,  jnrisdictio ,  jiistitia ,  sont  successivement  abordés.  Nous  avons  déjà 
signalé  (p.  81  )  la  division  en  jus  naturale  eijus  positivum,  la  définition 
de  \a.justitia  [virtus  juris  operativa^^  division  et  définition  qui  révèlent 
chez  le  jurisconsulte  une  certaine  préparation  scolastique.  Après  avoir 
inscrit  au  frontispice  de  son  livre  la  grande  division  du  droit  en 
droit  naturel  et  en  droit  positif,  l'auteur  s'applique  à  déterminer 
divers  sens  du  mot  jus.  Il  s'est,  ce  semble,  inspiré  ici  d'Azo,  qui,  lui 

'''  C'est  ainsi  que  nous  comprenons  ce  pas-  deductioiiein  prvumbuUi  qncrchirtim  ;  in  seciinii<i 

sage    du    premier    ])rologuc    :    ]*reseiis    itaqiie  vero  parle  traclaiitur  usas  et  insliluta  sive  ler/rs , 

npiis  lit  diias  partes  divitlitiir,  in  qnariim  prima  per  que  qurrele  terminantar.  [Tariiil' ,  Jm  Sumnw 

jar»  tractantur  et    alia    in  jure  necestaria  ad  de  legibiis  Normannie ,  f.  i.) 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  117 

aussi,  ouvre  sa  Somme  des  Institutes'"'  en  passant  en  revue  les  di- 
verses acceptions  du  mot  jns.  Ce  premier  chapitre  est  certainement 
un  des  moins  originaux  du  livre,  et  il  n'en  pouvait  être  autrement 
Nous  remarquons  ici  que  la  définition  essentiellement  classique  de  la 
justilia  (appliquée  par  notre  auteur  à  y  ha)  est  considérée,  au  contraire, 
comme  se  référant  à  une  valeur  accidentelle  de  ce  mot.  Le  passage 
est  étrange  :  Jus  aiitem  (inandocjue  dicitiir  virtus  tribnens  uniciiujiie  (juad 
siiiim  est,  et  hoc  prerijnie  attenditar  in  curia  laicali  per  (luod  debent  conten- 
tinnes  singule  terminari.  Ainsi  la  définition,  pour  ainsi  dire  technique *^^ 
de  lajustitia  nous  est  présentée  sous  cette  forme  inattendue:  (iuando(jue 

diritar Ce  trait  nous  révèle  un  auteur  qui  ne  s'est  pas  formé 

exclusivement  (]ans  les  écoles  de  droit.  En  commençant  cette  étude, 
nous  soupçonnions  un  scolastique.  Nous  sommes  maintenant  induits 
à  penser  qu'en  effet  l'éducation  première  de  l'auteur  n'a  pas  été  celle 
du  juriste.  Cependant,  que  signifie  cette  ohservation  singulière  :  et 
hoc  précipite  attenditar  in  cnria  laicali  per  (jnod  debent  contentiones  simjuie 
terminari?  Rédaction  déplorable,  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer, 
car  il  semblerait  que  \ejus  est  moinsvirtas  tribuens  unicuicjue  (juod  suum 
est  dans  les  cours  de  chrétienté  que  dans  les  cours  laïques.  Nous  sup- 
posons que  notre  auteur  a  très  mal  rendu  sa  pensée  et  qu'il  a  tout 
simplement  voulu  faire  entendre  qu'il  empruntait  cette  définition 
aux  textes  de  droit  civil. 

Les  divers  sens  du  mot  justitia  sont  passés  en  revue  au  chapitre  m, 
comme  ceux  du  mot  jus  au  chapitre  i".  L'auteur  prend  soin,  notam- 
ment, de  signaler  un  sens  du  mot  justitia  (ou  du  français  «justice  ») 
qui  a  subsisté  dans  la  langue  anglaise  :  justitia  ou  «justice  »  peut  dési- 
gner non  seulement  la  justice,  mais  aussi  la  personne  qui  exerce  la 
justice:  Dicitur  etiam justitia  ballivas  vel cjuilibet  sabjnstitiarius  (fuijttsti- 
tiandi  homines  habeat  potestatem ,  secundum  (juad  dicitur  :  <i  Justitia  domini 
refjis  tenet  «assisiam  in  hac  villa.  »  (Chap.  m,  S  4-) 

H  est  bien  clair  que  l'auteur  n'avait  pas  sous  les  yeux,  en  rédigeant 
ces  chapitres  i  et  m,  les  textes  de  droit  romain  d'où  dérive  sa  défi- 
nition du  jus,  car  ces  textes,  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  ap- 
pliquent k  justitia  ce  que  notre  auteur  dit  de  jus, 

*''  Azo,   Snmma   inslitntionum ,  J,   S  i.    De  '*'  Justitia  est  constans et  perpétua  voluiilas jus 

jttilitia  et  jarc,  édition  de  Lyon,  l5i/i.  suum  calque  tribuendi  (Institutes  de  .Iiisti- 
fol.  ccLxix.  nien,  I,  De  justitia  et  jure,  procBinium). 


118  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Au  chapitre  ii,  consacré  au  mot  jurlsdictio,  nous  relevons  une  expli- 
cation rapide  de  l'expression  assez  rare  commissoriajurisdictio  :  Commis- 
soria  vero  jurisdicdo  est  illa  cjue  alicui  committitur  a  principe  tel  a  domino 
ad  (juos  diynoscitur  pertinere,  ut  est  illa  que  alicui  batlivo  committitur,  vel 
senescallo  seupreposito,  et  hujusmodi.  Cet  emprunt  aux  doctrines  et  à  la 
langue  du  droit  canonique'''  aurait  pu  être  justifié  d'une  manière 
plus  heureuse. 

Avant  même  d'achever  la  lecture  de  ce  premier  groupe  de  cha- 
pitres, le  lecteur  constate  très  vite  que  l'auteur,  entraîné  par  son 
sujet,  sollicité  par  les  souvenirs  très  précis  qui  encombrent  sa  mé- 
moire, ne  réussit  pas  à  se  cantonner  sur  le  terrain  des  généralités 
3 ui  devaient  servir  d'introduction  à  son  livre.  Non  seulement  il  aborde 
es  matières  très  spéciales  (office  du  vicomte,  chap.  v;  composition 
de  la  cour,  chap.  ix,  S 2 ,  etc.) ,  qui  seraient  mieux  placées  dans  l'orga- 
nisation judiciaire  et  la  procédure,  mais,  après  avoir  exposé  quelques 
notions  intéressantes  sur  la  coutume  et  l'usage  comparés  à  la  loi,  il 
nous  apprendra ,  assez  mal  à  propos,  que  le  douaire  de  la  femme  nor- 
mande est  du  tiers  des  biens  du  mari,  et  qu'en  cas  de  contestation  sur 
les  biens  possédés  par  le  mari  pendant  le  mariage  on  aura  recours  à 
la  procédure  d'enquête. 

Les  définitions  de  la  loi,  de  la  coutume  et  de  l'usage  méritent  d'être 
relevées  : 

Consuetudines .  .  .  surit  mores  ab  antiquitate  habiti ,  a  principibus  approbati  et  a 
populo  conservati ,  quid,  cujus  sit,  vel  ad  quem  pertineat  limitantes.  Leges  autem  sunt 
iiistitutiones  a  principibus  l'acte  et  a  populo  in  provincia  conservate,  percpias  conten- 
tiones  singule  deciduntur.  .  .  Lsus  autem  circa  leges  attenduntur  ;  sunt  enim  usus 
modi  quibus  legibus  utidebemus.  .  .  (Chap.  x,  De  consuetudine.) 

L'autorité  accordée  à  la  coutume  est  très  restreinte,  puisqu'elle  doit 
être  a  principibus  approbata.  La  définition  de  la  loi,  institutiones  a  princi- 
pibus fade  et  a  populo  in  provincia  conservate,  soulève  une  difficulté. 
L'auteur,  dans  le  second  prologue,  a  donné  de  la  loi  une  notion  plus 
étendue,  qui  doit  être  rapprochée  de  cette  définition  et  servir  à  la 
compléter  :  d'après  ce  prologue ,  ce  n'est  pas  le  prince  seul  qui  fait 

'■'  Preterea  taper  hoc  qaod  nos  comulere  volaisti,  utrum  lici-at  judiri  delegalo  non  ordiiuirio 
■sine  literis  commissoriis  cogère  contumacem  (Décret.  Grey.  IX,  I,  xxix  De  ojjicio  et  pot.  Jud. 
deUg-.'j). 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  119 

la  loi  ;  il  lui  faut  encore  le  conseil  et  l'assentiment  des  grands  et  des 
prud'hommes  : 

Quoniam  ergo  leges  et  instituta ,  que  Normannorum  principes ,  non  sine  magna  pro- 
visionis  industria,  prelatoruni,  comitum  et  baronum  necnon  et  ceterorum  virorum 
prudentium  ronsilio  et  consensu,  ad  salutem  humani  generis  statuerunt.  .  . 

Cette  notion  de  la  loi  ou  de  l'ordonnance  princière  ou  royale  est 
conforme  à  l'usage  encore  subsistant  dans  la  première  moitié  du 
XIII*  siècle.  Au  milieu  du  xiii*  siècle,  au  temps  où  écrit  notre  juris- 
consulte, elle  est  déjà  affaiblie;  le  rôle  des  grands  tend  à  s'elïacer. 
Concilierons-nous  ces  deux  passages  en  disant  que,  dans  le  prologue, 
le  jurisconsulte  parle  en  historien  et  nous  apprend  ce  qui  s'est  pra- 
tiqué autrefois  (^statuerunt),  tandis  qu'au  chapitre  x  il  s'occupe  de 
l'usage  étabU  de  son  temps?  Il  aurait,  en  ce  dernier  passage,  volon- 
tairement négligé  le  rôle  des  grands,  devenu  bien  moins  régulier 
et  bien  moins  constant.  Ce  serait  lui  prêter  gratuitement  un  effort 
d'attention  et  de  réflexion  qu'il  n'a  probablement  pas  apporté  à  cette 
question.  Aussi  bien  la  théorie  maintenait,  au  xiii*  siècle,  le  rôle 
des  grands  dans  la  confection  de  la  loi.  Tel  est  le  sens  que  nous  at- 
tribuons à  cette  formule  de  la  chancellerie  royale  :  de  assensn  prelato- 
rum  et  baromim^^h  Nous  dirons  tout  simplement  que  notre  auteur  a 
été  plus  laconique  dans  le  chapitre  x  que  dans  le  second  prologue; 
l'ouvrage  présente  d'autres  exemples  de  ces  légères  divergences  de 
forme. 

L'auteur  du  Grand  Coutumier  normand  n'est  pas  le  seul  qui  ait 
essayé  de  distinguer  l'usage  et  la  coutume.  Ces  essais  de  distinction  ont 
pour  point  de  départ  le  besoin  de  trouver  un  sens  différent  à  des 
mots  différents.  A  vrai  dire,  notre  auteur  n'arrive  pas  à  résoudre  la 
difficulté.  Usus  et  consnetado  ne  font  que  s'embrouiller  sous  sa  plume. 
Jean  Faber,  dans  la  première  moitié  du  xiv*  siècle ,  dira  beaucoup 
plus  heureusement  :  L'usage  diffère  de  la  coutume  comme  la  cause 
de  l'effet  :  Differl  tamjuam  causa  ah  effectu;  (juia  consuetudo  per  usumfre- 
quentem  inducitur,  et  usus  dicit  factum,  consuetudo  jus;  sed  (juandoque  usus 
large  sumitur  secundum  consuetadinem^'^K  Ligier,  au  xv"  siècle,  dira  de 
même  :  «  Usaige  est  ung  fait  du  quiel  est  causée  coustume  par  taisible 

'''  Cf.  Paul  Viollet,  Droit  public,  t.  II,  p.  igS.  —  '"'  Jean  Faber,  sur  le  Code  de  Justinien.VIII, 
édit.  Galiot  du  Pré,  Paris,  1545 ,  foi.  cccxl  v"-  cccxli  r°. 


120  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

«consentement  de  peuple.  Coustume  et  usaige  difl'erent;  car  cous- 
«  tunie  est  droit,  mais  usaige  est  fait  '"'.  » 

Les  appréciations  de  notre  jurisconsulte  sur  le  jugement  (judi- 
ciiim)  révèlent  un  esprit  autoritaire  et  seraient  fort  bien  placées  dans 
la  bouche  d'un  homme  exerçant,  en  effet,  l'autorité.  Nous  doutons 
fort  qu'elles  aient  été  unanimement  acceptées.  Le  jugement  sera 
prononcé,  s'il  se  peut,  à  l'unanimité  des  voix.  S'il  y  a  désaccord 
entre  les  jugeurs  [judiciani),  on  s'en  tiendra  à  l'opinion  des  plus  nom- 
breux et  des  plus  sages  :  (juodaplunhus  et  discretioribusjudicatum  faerit 
ohservetar.  Ceci  est  une  simple  variante  de  la  formule  élastique  mujor 
et  sanior  pars,  courante  au  moyen  âge.  Mais  notre  auteur  ne  s'en  tient 
pas  à  cette  notion  louche  :  la  «  majeure  et  plus  saine  partie  ».  Il  entre 
franchement  dans  le  vif  de  la  dilïlcullé  :  si  les  plus  gros  personnages 
d'entre  les  jugeurs  [majores)  et  les  plus  sa^es  [discretiores)  —  ces  deux 
qualités,  naturellement,  se  confondent —  forment  la  minorité,  que 
fera-t-on?On  ajournera  faifaire  à  une  autre  session,  ou  on  la  renverra 
à  l'Échiquier  :  Si  vem  discretiores  veî  majores  pauciores  fuerint,  ad  alUis 
assisias  judiciuni  prorogelur  vel  adScacarium,  si  necesse  fuerd.  Cela  revient 
à  dire,  en  bon  français,  que  le  président  du  tribunal  (jusliciarius)  n'est 
pas  tenu  de  ratifier  l'opinion  de  la  majorité.  Sans  doute,  il  ne  peut 
pas  faire  simplement  prévaloir  la  sienne;  mais  il  est  libre,  si  bon  lui 
semble,  de  renvoyer  l'aflaire  à  une  autre  session  ou  devant  une  autre 
juridiction. 

Sous  la  rubrique  :  De  banno  et  defensione  (chap.  Vin),  notre  auteur 
relate  quelques  usages  qui  sont,  à  notre  sens,  d'un  grand  intérêt  pour 
l'histoire  des  origines  de  la  propriété.  Les  terres  sont,  suivant  la  saison 
et  suivant  les  cultures,  en  défens  ou  communes.  Les  terres  en  dé- 
fens  toute  l'année  sont  celles  dont  les  cultures  sont  considérées  comme 
pouvant  être  facilement  détériorées  par  le  bétail.  Les  autres  terres, 
que  le  jurisconsulte  appelle  vacae,  sont  communes,  sauf  depuis  la  mi- 
mars  jusqu'à  la  Sainte-Croix  de  septembre,  à  moins  pourtant  qu'elles 
ne  soient  closes  ou  qu'elles  ne  soient  en  défens  de  temps  immémorial. 
Tant  que  les  terres  sont  communes,  le  bétail  (sauf  les  chèvres  et 
autres  animaux  qui  feraient  du  dégât)  y  peut  paître  librement,  sans 
gardien.  Ainsi  le  droit  de  vaine  pâture  est  le  droit  commun  pour  une 

'''  Ligier,  nrt.   laoo,    iai3,  dans  Benutemps- Beaupré,  Coaliimes  et  insliluUons  de  l'Anjou  il 
du  Maine,  i"  partie,  t.  II,  p.  /|54,  /iSG.  Rapprocher  Digeste,  1,  m,  S  3a  (Julien). 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  121 

vaste  catégorie  de  terres.  Cette  vaine  pâture  n'existe  cependant,  la 
plupart  du  temps,  qu'au  profit  d'un  groupe  déterminé  d'habitants; 
c'est  une  observation  que  le  jurisconsulte  n'a  pas  pris  la  peine  de* 
formuler. 

Nous  arrivons  aux  chapitres  consacrés  au  duc  de  Normandie  et  à 
ses  droits  (chap.  xi  à  xxii  bis).  Nous  avons  déjà  signalé  comme  carac- 
téristique cette  affectation  singulière  qui  consiste  à  envisager,  avec 
une  sorte  d'entêtement  patriotique,  un  duc  de  Normandie  qui  n'existe 
plus  et  qui  s'est  fondu  dans  le  roi  de  France  ;  dès  la  première 
ligne  du  chapitre  consacré  au  duc  (chap.  xi),  l'auteur  rappelle  cette 
situation  connue  de  tous  :  (luam  sibi  diqnitatem  retinet  do/nmns  rex 
Francie,  cum  ceteris  honoribus  ad  (jaos  provectas  est,  ipsum  Domino  pro- 
movente. 

Le  duc  n'a  en  Normandie  que  des  vassaux  liges.  Le  jurisconsulte 
considère  même  tous  les  habitants  de  la  'Normandie,  quels  qu'ils 
soient,  comme  vassaux  liges  du  duc  :  Liganciam  autem  sive  legalitatem 
de  omnibus  hominibus  suis  tocius  provincie  débet  habere  dux  Normannie 
(chap.  XII,  Si).  Quant  aux  fonctions  ou  devoirs  du  duc  et  à  ses 
droits,  en  voici  un  rapide  exposé.  Par  l'intermédiaire  de  ses  offi- 
ciers {justiciarii'j ,  le  duc  doit  faire  régner  la  paix  et  le  bon  ordre  dans 
toute  la  Norman(he  :  ces  agents  ont  mission  d'arrêter  et  de  mettre 
en  prison  tous  les  malfaiteurs,  donec  suorum  perceperint  stipendia  de- 
lictorum.  Les  vieux  principes  de  la  procédure  criminelle  ne  laissent 
pas  d'apporter  au  résultat  final,  c'est-à-dire  à  la  condamnation  du 
coupable,  quelque  gène  et  quelque  embarras.  Nous  verrons,  en  trai- 
tant de  la  procédure,  comment  en  pratique  on  sortait  de  cette  diffi- 
culté. 

Les  droits  du  duc  sont  ensuite  passés  en  revue  :  monetagium;  droits 
sur  les  poids  et  mesures;  veriscuni,  droit  de  bris;  droits  sur  les  tré- 
sors; droits  sur  les  choses  sans  maître  et  sur  les  biens  des  suicidés; 
confiscations  diverses.  La  seconde  distinction  se  termine  par  un 
chapitre  sur  l'ost  (chap.  xx!!*"'.  De  exercitu). 

Le  monetagium  n'est  pas,  en  pratique,  autre  chose  qu'une  taille 
triennale.  Cette  taille  ou  fouage  porte  le  nom  de  monetagium,  parce 
qu'elle  a  été  autrefois  établie,  écrit  notre  jurisconsulte,  en  compensa- 
tion de  l'abandon  par  le  duc  de  son  droit  d'altérer  la  monnaie  :  Mone- 
tagium est  (juoddam  auxilium  pecunialc  in  tercio  anno  duci  Normannie  per- 


HIST.   LITT. 


122  LES  GOUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

solvendnm,  ne  species  monetarum  m  Normannia  discurrencinm  in  alias 
faciat  permntari^^\  Coutume  versifiée  : 

Moniage  est  une  aydie 
Payée  au  duc  de  Normendie 
De  pecune  a  la  tierce  année , 
Que  monnoye  ne  soit  muée '^'. 

Cette  assertion  du  jurisconsulte  mérite  créance  à  nos  yeux.  De 
bonne  heure,  en  effet,  et  bien  longtemps  avant  que  les  théoriciens 
aient  formulé  la  doctrine  de  fimmutabilité  de  la  monnaie,  nous 
voyons  les  populations  s'efforcer  d'obtenir  cette  stabilité  indispensable 
aux  affaires.  En  1 1 1 1 ,  les  habitants  de  Spire  obtiennent  de  fempe- 
reur  Henri  V  une  promesse  de  ce  genre '^';  en  1127,  ceux  de 
Saint-Omer  arrachent  la  même  promesse  au  comte  de  Flandre'*';  en 
iiSy,  ceux  d'Etampes  et  d'Orléans  l'arrachent  au  roi  de  France'*^. 
Les  Orléanais  obtinrent  fimmutabilité  de  la  monnaie  tout  juste  aux 
mêmes  conditions  que  les  Normands  :  en  effet ,  à  la  fin  du  xii*  siècle, 
le  roi  cueillait  en  Orléanais  une  taille  triennale  pro  stabilitate  monete. 
Nous  possédons  pour  ces  divers  pays  facte  même  par  lequel  le  roi 
ou  le  prince  s'engage  à  ne  pas  altérer  les  monnaies.  Cet  acte  ne  nous 
est  pas  parvenu  pour  la  Normandie;  mais  la  similitude  des  situations 
rend  tout  à  lait  vraisemblable  f assertion  du  jurisconsulte,  assertion 
formulée  avant  lui  dans  un  document  qu'il  a  eu  évidemment  sous  les 
yeux'''). 

Ces  arrangements  des  princes  avec  leurs  sujets  supposent  des 
réunions  d'affaires  assez  analogues  aux  assemblées  qui  prirent  plus 
tard  le  nom  d'«  États  généraux  »  ou  «  États  provinciaux.  »  M.  Coville  a 
dressé  pour  la  Normandie  une  liste  de  ces  assemblées  qui  remonte  à 
l'année  927^''. 

'^  Summa de  legibas Normannie, édiLtariU,  lippe  Auguste ,  1 187  (?),  dans L.  Delisle,  Cate- 

chap.  XIV  (p.  4o).  loque  des  actes    de  Philippe  Auguste ,  p.   498- 

'*'  Edit.  Hoûard,  chap.  xix.  ^99,  n*  aoi  ;  acte  de  1 183,  dans  Ord.,  t.  XI, 

'''  Cf.  Inama-Stemegg,  Deii/»cAe  Wir<îc/i«/ys-  p.  337. 
(jeschichte,  p.  4 16.  '')  Scripliim  de  foagio  (souvent  publie,  no- 

'*'  Giry,  Histoire  de  la  ville  de  Saint-Omer,  tatnnient  dans  Brussel,  Usage  des  fief t,  t.  I, 

a*  partie,  p.  373,  n"  3.  p.  a  13). 

''  Ordomumces ,  i.  W ,  p.   188-189.  ^^-  **^*®  '''  Coviile,  Les  États  de   Normandie,   leurs 

de  1168,  dans  Thaumas  de  La  Thaumassière ,  origines    et   leur   développement  au  xir'  siècle, 

Assiies  de  Jérusalem,  p.  464-465;  acte  de  Phi-  Paris,  1894,  p.  247- 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  123 

Nous  n'insistons  pas  sur  les  droits  du  duc  en  fait  de  poids  et  me- 
sures, ni  sur  son  droit  de  bris.  Un  chapitre  sur  l'usure,  dont  nous 
avons  déjà  dit  un  mot,  ligure  dans  ce  groupe  à  cause  des  droits  du 
duc  sur  les  catalla  (biens  meubles]  des  usuriers.  Le  domaine  du 
duc  et  celui  de  l'évêque  étaient  ici  limitrophes  :  quelques  lignes  de 
notre  texte  permettent  d'entrevoir  les  difficultés  et  les  conflits  qui 
surgissaient  souvent.  Il  en  est  de  même  des  droits  du  duc  sur  les  biens 
meubles  des  suicidés  et  des  desperati,  dont  l'auteur  s'occupe  au  cha- 
pitre XX  :  De  catallis  aatem  eornm  (jui  dese''^^  sunt  homicide  et  eorum  (jui  ex- 
communicati  vel  desperati  moriuntur  iciendnm  est  (iiiod  princeps  Normannie 
ea  débet  habere,  nec  Ecclesia  in  eis  ali(fuid  poterit  reclamare ,  cum  eorum 
niillum  subsidium  prestiterit  animabus  (chap.  xx.  De  sese  homicidis,  Si). 

Que  sont  ces  desperati  ?  Ce  sont  des  découles  d'une  certaine  caté- 
gorie, que  notre  jurisconsulte  définit  ainsi  :  Desperati  autem  moriuntur 
ffui,  per  novem  dies  vel  amplius  gravi  ccjriiudine  et  pericuîosa  oppressi,  com- 
munionem  et  confessionem  sibi  oblatam  récusant  ac  dijferunl,  et  in  hoc  mo- 
riuntur; terris  tamen  propter  hoc  heredes  sui  non  privantur.  Ainsi,  le  duc 
revendique  les  meubles  de  tous  ceux  qui,  après  une  maladie  de  neuf 
jours,  sont  morts  déconfès  par  leur  faute.  Le  déconfès  est  souvent  ap- 
pelé intestat,  parce  que,  d'ordinaire,  il  n'a  pu,  en  mourant,  laisser  un 
legs  pieux  pour  racheter  ses  fautes'^'. 

Cette  définition  du  mot  desperati,  donnée  par  l'auteur  lui-même, 
exclut  l'interprétation  du  versificateur  français,  qui  a  fait  de  desperati 
un  synonyme  des  mots  ^ui  de  se  sunt  homicide,  en  sorte  qu'au  début 
du  chapitre  xx  l'auteur  aurait  dit  deux  fois  la  même  chose  en  des  termes 
différents  et,  quelques  lignes  plus  loin,  se  serait  mis  en  contradiction 
avec  lui-même  en  donnant  des  desperati  une  explication  qui  exclut 
l'idée  de  suicide.  Voici  le  petit  texte  versifié  que  nous  critiquons  : 

De  ceulx  qui  sont  d'eulx  homicide, 
Qui  est  un  mechiez,  ou  qui  de 
Désespoir  se  tuent,  a  teulx 
Le  prince  en  a  tous  les  cateulx  ; 
Ne  l'Eglise  n'en  peut  rien  prendre 
Ne  a  leur  ame  ayde  rendre. 

'''  Le  dernier  éditeur  a  adopté  la  leçon  sesc  |i.  33i  ,  44o-44i ,  aux  mots  Desconfès  et  Exé- 

au  lieu  de  rfe  se;  cette  leçon  nous  parait  fautive.  culeurs   testamentaires;  Paul  VioUet,    Etablisse- 

'*'  Cf.  Du  Gange,  Glossarium,  \°  Inleslalio ;  iiu-nts  de  saint  Louis,  t.  L  p-    i28-i3o;  t.  II, 

Laurière,  Glossaire  du  droit  français,  t.  L  '  70/1,  p.  1 5o-i  52  ;  t.  IV,  p.  42-52. 


124  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Le  versificaleur  aurail  dû  s'apercevoir  de  sa  méprise  en  traduisant, 
au  paraf^raphe  2,  l'explication  donnée  par  le  jurisconsulte  :  Desperati 
aulem  inoriiinlur,  etc.  Mais  non,  il  a  versifié  cette  explication,  sans  cor- 
riger son  erreur  : 

Ceux  sont  dis  mors  désespérés, 
Que  neuf  jours  ou  plus  trouvères 
Pressés  de  grieiVe  maladie, 
Confession  et  commimie 
Que  l'en  leur  otfre  ne  recueurent , 
Mais  différent  en  ce  et  meurent. 
Les  hoirs  d'iceulx  leurs  tenes  tiennent, 
Et  leur  catel  au  prince  viennent'". 

Le  lecteur  a  pu  remarquer  que  le  jurisconsidte  exclut  avec  soin 
l'Église  de  tout  droit  sur  les  biens  meubles  des  desperati  :  Nec  Eccîesia 
in  eis  aluinid  poteril  reclamarc,  cum  eoriim  nxilJnm  snbsidium  presliterit 
animabiis.  Cette  insistance  trabit  des  difficultés  entre  l'Eglise  et  le  sei- 
gneur séculier.  Les  luttes  étaient,  en  efîet,  sur  ce  terrain,  à  peu  près 
journalières.  Voici  en  quels  termes,  lors  du  concile  de  Vienne  de  1 3 1 1 , 
le  clergé  de  la  province  de  Rouen  exprimait  son  mécontentement  et 
spécifiait  ses  revendications  : 

Provincia  Rothomagensis  dicitquod,  licet,  de  laudabili  et  notoria  consuetudine 
dicte  provincie,  bona  onmiuni  ab  intestato  decedentiuni,  salteni  in  episcopatitius 
dicte  provincie,  ad  dispositioneni  prelatorum  perlineanl,  siutque  in  possessione 
diutina  disponendi  de  ipsis,  —  que  bona  dicti  prelati  convertere  tenentur  in  usus 
pios ,  —  judices  seculares  inipediunt  ne  iideni  prelati  disponant  et  in  usus  pios 
convertant  bona  personarum  impuberum  ab  intestato  decedentiuni ,  dictos  pivlatos 
super  possessione  juris  disponendi  de  ipsis  turbando  et  inipediondo,  et  dictam 
consuetudinem  piam  et  lauilabilem  et  a  tempore  cujus  [non] '2'  extat  mémoria  obser- 
vatani  contra  justiliani  infrangendo*''. 

Ainsi  l'Eglise  revendiquait  en  Normandie  jusqu'aux  biens  des  en- 
fants décédés  intestats  :  impuberum  ab  intestato  decedenlium.  Prétention 
moins  exorbitante  peut-être  qu'il  ne  semble  à  première  vue,  car  ce 

'"'  Ancien  Coutumicr  en   vers.   chap.  xxv,  '*'  Ce    mot  indispensable    aurait    dû    [élrt- 

édil.  Hoiiard,  p.   (J6  (à  la  fui  du   Diclioimaiie  suppléé  ici  par  l'éditeur. 

de   la  coutume   de   Normandie ,  l.  IV).  Cf.  ins.  '''  Ehriv,  Ein  Biucliitùck  der  Acten  def  L'on- 

fr.    i4548,  fol.  69  v",   70  r";   ins.  l'v.  533o,  cils  roii  Vienm',  f.  i8-^(^  {c\[riàtt\eVArchirfiir 

fol.  10  v°.  Liliraliir-  uml Kivchenyeschichle ,  t.  IV  ,. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


ma 


texte  lui-même  ne  nous  induit-il  pas  à  supposer  que  les  parents 
avaient  Thabitude  de  faire  un  legs  pieux  au  nom  de  leur  enfant? 
L'impubère  intestat  était,  sans  doute,  celui  dont  les  parents  avaient 
négligé  ce  devoir  religieux''^. 

Les  desperati  forment,  dans  le  système  de  l'auteur  du  Coutumier, 
une  certaine  catégorie  de  déconfès,  à  savoir  ceux  qui,  ayant  été  ma- 
lades neuf  jours  ou  plus,  ont  différé  la  confession  qu'on  leur  offrait 
et  sont  ainsi  morts  sans  absolution.  Il  ne  parle  pas  de  tant  d'autres  dé- 
confès, qui  sont  enlevés  ainsi  sans  avoir  été  malades  neuf  jours.  Nous 
conjecturons  que  ce  silence  équivaut  à  une  reconnaissance  impli- 
cite des  droits  de  f  Eglise  sur  cette  nombreuse  catégorie  de  décônfès'^l 

Une  jurisprudence  plus  ancienne,  attestée  par  enquête  en  i2o5, 
était  moins  favorable  à  l'Église.  Elle  attribuait  au  roi  ou  au  seigneur 
les  biens  meubles  de  quiconque  était  mort  intestat  après  trois  jours 
de  maladie  ou  ])lus  de  trois  jours:  Dixerunl  de  dlocjui  montnv  inlestntm, 
cum  jacueril  m  leclo  sao  per  très  dies  ant  per  (juatuor,  omnia  mobdia  sua 
retfis  erant  tel  baronis  cnjiis  est  terra,  et  sic  de  Ulo  cjui  se  interficit  propria 
V(duntate  '^'. 

Ni  notre  jurisconsulte,  ni  les  témoins  plus  anciens  que  nous  venons 
de  citer  n'ont  parlé  des  enfants.  C'est  sur  les  biens  des  enfants  intestats 
[iinpuberum  ab  intestato  decedentuim^  que  portaient,  comme  l'atteste  la 
requête  du  clergé  normand,  les  contestations  entre  l'Eglise  et  le 
pouvoir  civil  en  Normandie,  au  commencement  du  xiv°  siècle.  Mais 
d'autres  difficultés  s'étaient  souvent  présentées  :  fécart  entre  l'en- 
quête de  i2o5  et  notre  Coutume  suffirait  à  le  prouver. 

La  précision  du  texte  de  la  Coutume  couvre  une  situation  am- 
biguë et  dissimule  un  conflit  séculaire  entre  le  pouvoir  civil  et  l'Eglise. 
Nos  textes  coutumiers  donnent  lieu  très  fréquemment  à  des  observa- 
tions de  ce  genre.  Sans  insister  sur  ces  différends  toujours  renaissants, 
nous  signalerons  la  présence  à  Rouen,  à  la  Gn  du  xiv''  siècle,  d'un  délé- 


''''  H  y  a  divers  exemples  de  ces  testaments 
laits  pour  autrui  :  Laurière  a  cité  un  testament 
de  ce  genre  (le  l'an  laCi  (Laurière,  Glossaire 
(la  droit  français,  1. 1,  p.  44 1  ,  s.  v.  Exécuteurs 
lestumentains). 

'''  Les  mots  «  déconfès  »  ot  «  intestat  «  sont  à 
peu  près  synonymes  dans  toute  une  catégorie  de 
textes  du  moven  âge.  «  H  faut  dire,  ce  semble, 
«  écrit  Laurière ,  que  tout  intestat  étoit  déconfès 


«et  que  tout  déconfès  n'étoit  pas  intestat ,  parce 
«  ([u'il  pouvoit  arriver  ({u'un  homme  qui  avoit 
«  eu  la  précaution  de  faire  son  testament  n'eût 
«pas  voulu  recevoir  ses  sacremens  »  (note  de 
Laurière  sur  Etablissements  de  saint  Louis, 
1,  90,  dans' Paul  Viollet,  Les  Etablissements 
de  saint  Louis,  t.  IV,  p.  5o). 

'''  VVarnkœnig  et  Stein,  Fraiiz.  Slaat-  und 
Rechisr/eschichtc ,  t.  Il,  Lrkuitdenbneh ,  p.  47. 


126  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

gué  de  l'évêque,  qui  portait  le  titre  de  «  maître  des  intestats  »,  et  qui 
s'occupait,  non  seulement  de  recueillir  les  biens  dévolus  à  l'Eglise  par 
suite  de  morts  sans  testament,  mais  aussi  de  ramasser  divers  profits 
à  l'occasion  des  successions  testamentaires  :  le  pouvoir  civil  avait  sou- 
vent maille  à  partir  avec  ce  «  maître  des  intestats  »''l  Le  droit  de  l'Eglise 
sur  les  biens  des  intestats  se  maintint  donc  en  Normandie  beaucoup  plus 
longtemps  que  dans  certaines  provinces  voisines.  Dès  le  commence- 
ment du  xiii*  siècle,  un  concile  de  Paris  avait  opposé  à  cet  égard  une 
barrière  aux  prétentions  de  certains  ecclésiastiques^^'.  Et,  vers  la  fin  du 
même  siècle,  Beaumanoir  se  vantait  d'être,  dans  le  comté  de  Clermont, 
en  mesure  d'écarter  l'Eglise  :  «  Et  si  ai  je  veu  que  de  ceus  qui  moroient 
«  sans  testament,  que  l'evesques  en  voloit  avoir  les  muebles;  mes  il  ne 
«les  en  porta  pas  par  nostre  coustume;  ains  en  ai  délivrée  la  saisine 
«  as  oirs  du  mort,  ou  tans  de  nostre  ballie,  par  pluseurs  fois  a  la  seûe 
«  de  la  cort  fevesque  '''.  » 

La  coutume,  la  loi  elle-même,  ont,  au  moyen  âge,  quelque  chose 
d'indécis  et  de  flottant;  c'est  un  trait  que  f historien  du  droit  ne 
doit  jamais  perdre  de  vue.  Non  seulement  les  luttes  sans  cesse  renou- 
velées entre  les  deux  pouvoirs  enlèvent  à  certaines  décisions  du 
pouvoir  civil  ce  caractère  absolu  et  ferme  auquel  nous  a  accoutumés 
la  notion  moderne  de  la  loi ,  mais  les  circonstances  particulières  des 
causes,  les  dispositions  personnelles  des  juges,  peuvent,  à  chaque 
instant,  corriger,  modifier,  adoucir  la  coutume,  ou  la  faire,  au  con- 
traire, plus  rigoureuse  et  plus  dure.  L'histoire  du  chapitre  xx,  De  sese 
homicidis,  vient  à  l'appui  de  cette  observation.  A  une  date  où  le  Grand 
Coutumier  a  revêtu  incontestablement  dans  toute  la  Normandie  un 
caractère  officiel,  en  iSgy,  nous  voyons  l'Echiquier  de  Rouen  rejeter 
dans  une  affaire  déterminée  la  décision  de  ce  Coutumier,  en  faveur  de 
la  veuve  et  des  enfants  d'un  suicidé.  Aux  termes  du  Coutumier,  tous 
les  biens  meubles  des  suicidés  ou  des  desperati  sont  forfaits  au  roi;  or, 

'"'  Bibl.  nat. ,  fr.  5333,  fol.  78  r°  (compi-  laici  tel  alii  dare  aliquid  vel  legare  cogantur  in 

Intion  de  Pierre  le  Petit, 'xv'  siècle).  testamento  (concile  de  Paris  de  1212,  part.  1, 

'*'  Telle  est,  du  moins,  l'interprétation  que  can.    il,   dans    Mansi,    Sacr.   conc.    coUecl., 

noua  donnons  à  ce  canon  conciliaire:  Preterea  t.  XXII,  col.  82a). 

a'viris  ecclesiaslicis  monstram  avarlcie exlirparè  '''  Beaumanoir,     Coutume     de    Beauvoisis, 

nohnies,  authotitate  legutionh  nostre  in  virtute  chap.  xv,  S  10,  édition  Beagnot,  1. 1,  p.  3/19; 

Spiritus  Sancli proliihemus  ne,  pro  annalibus  vel  édition  Salmon,  t.  I,  p.  aig,  n"  5 18. 
triennalibus  vel  septennalibus  missaruiiifaciendis. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  127 

en  1 397,  un  certain  Guillaume  des  Hayes  s'étant  rendu  homicide  de 
soi-même,  le  procureur  du  roi  s'autorisa  du  texte  du  Coutumier  et 
réclama  pour  le  roi  tous  les  biens  meubles  du  suicidé.  L'Échiquier 
n'admit  pas  cette  prétention  :  il  rendit  une  sentence  contraire  au 
texte  du  Coutumier  et  n'alloua  au  roi  que  le  tiers  des  meubles,  réser- 
vant les  deux  tiers  à  la  veuve  et  aux  enfants  du  suicidé  :  «  En  l'Eschi- 
«  quier  de  Pasques  a  Rouen,  l'an  mil  ni''  nu"  xvii,  jugement  fu,  sur 
«  la  deguerpie  Guillaume  des  Hayes  el  les  enfans  d'icellui  Guillaume, 
«  contre  le  procureur  eu  bailliage  de  Rouen ,  que  ladite  femme  et 
«  enfans  avroient  les  deux  pars  des  meubles  dudit  des  Hayes,  qui  par 
«desespoir  s'estoit  pendu,  non  obstant  que  ledit  procureur  dist  et 
«  soustenist  que ,  par  raison  dudit  homicide ,  tous  les  meubles  dudit  des 
«  Hayes  deussentestre  forfais  et  acquis  au  roy.  »  La  même  année,  d^ns 
une  autce  affaire,  l'Echiquier  alla  plus  loin  encore  :  il  n'accorda  pas  au 
roi  la  moindre  part  sur  les  biens  meubles  d'un  suicidé.  Il  est  vrai 
que  ce  suicidé  est  une  femme  mariée;  la  cour,  pour  sauver  la  situa- 
tion, semble  admettre  que  tous  les  meubles  de  la  communauté  appar- 
tiennent au  mari  :  «  Eudit  Eschiquier  jugé  fu  que  la  femme  Robert 
«  Benart,  de  la  paroisse  de  HouUebec  près  le  BourgTheroude,  qui  s'est 
«pendue,  ne  forfaise  aucun  des  biens  meubles  de  son  mari,  et  que 
«pour  ce  le  roy  ne  pourroit  reclamer  aucun  droit  en  iceulx  biens; 
«  mais  furent  délivrés  audit  mary  tout  generallement''^  »  On  le  voit, 
les  juges,  au  moyen  âge,  se  meuvent  avec  une  liberté  dont  les  mo- 
dernes n'ont  vraiment  aucune  idée. 

Cette  jurisprudence  de  l'Echiquier,  qui  fait  trois  parts  des  biens  du 
suicidé  :  une  part  pour  les  enfants,  une  part  pour  la  veuve  et  une 
part  pour  le  roi,  s'est  substituée  peu  à  peu  au  texte  du  Coutumier. 
Elle  inspire  le  glossateur  du  xv*  siècle:  «Et,  se  l'on  faisoit  question  : 
«  savoir  se  les  omicides  d'eulx  mesmes  forfont  tous  leurs  meubles  et  se 
«leurs  femmes  et  enfans  y  auroyent  leur  part,  l'on  peut  respondre 
«qu'ilz  ne  forfont  que  leur  part,  et  auroyent  leurs  femmes  et  enfans 
«  leur  part  en  iceulx  meubles.  »  Voici  sur  quel  raisonnement  juridique 
on  fondait  cette  décision  :  «  Et  ce  peut  assez  apparoir  par  ce  que  dit 

'■'  Bibl.  nat. ,  fr.  533o,  fol.  56  v°.  Sous  la  autre  que  celle  précisément  de  Guillaume  des 

date  de  i388,  au  lieu  de  1397,  Temen  s'occupe  Hayes  (Terrien,  Commentaires  da  droit  civil  de 

d'une  affaire  de  suicide,  sans  donner  aucun  Normandie,  li\.  XII,  chap.  xiii,  Rouen,  i654, 

nom  :  l'espèce ,  telle  qu'il  la  résume ,  ne  parait  p.  48 1  ). 


128  LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

M  est  eu  précèdent  chapitre;  car  le  mari  ne  peut  en  sa  derraine  volonté 
«  priver  par  voie  quelconque  sa  femme  ne  ses  enfans  estans  en  son 
M  pouoir  paternel  qu'ilz  n'ayent  leur  part  en  ses  meubles,  et  la  perpe- 
«  tracion  du  délit  d'occire  soy  mesmes  est  faute  en  la  derraine  volenté 
«  du  mari;  et  aussi  le  refus  de  confession  est  fait  au  lit  de  la  mort, 
«  qui  est  et  peut  estre  dit  sa  derraine  volenté^''.  »  Un  jurisconsulte  nor- 
mand du  XV*  siècle  qui  se  rallie  à  cette  doctrine  ajoute  :  «  Mais  s'il 
«  estoit  dampné  par  jugement,  il  forfFait  tout,  car  la  forfaitture  prent 
«pié  des  lors  du  délit,  lequel  délit  n'est  pas  sa  derraine  volenté  ^').  » 

Le  jurisconsulte  normand,  parlant  des  suicidés,  sentait  bien  lui- 
même  que  ses  principes  n'étaient  pas  très  solides.  La  règle  que  nous 
posons,  écrit-il,  pourra  être  renversée  par  quelque  usage  contraire  : 
Hoc  sane  tamen  attendendam  est  (jnod,  si  (fiiis  hujusmodi  catalla  ex  antiaua 
consuetudine  per  prescriptionem  vel  per  instrumenta  habere  consueverit,  eorum 
perceptions  non  débet  indebite  spoliari^^K  La  position  spéciale  des  clercs 
était  ici  la  grosse  difficulté.  Le  glossateur  du  xv'  siècle  expose  les  sen- 
timents contraires  qui  se  partageaient  l'opinion  :  «  Et  en  ce  cas  rKent 
«aucuns  que,  se  ung  prestre  tuoit  soy  mesmes,  ses  biens  meubles 
«  seroyent  forfaitz;  car  il  ne  doit  point  jouyr  du  privilliege  de  l'Es- 
«  glise,  puis  que  l'Esglise  ne  fait  pour  luy  aucune  prière,  mais  est  du 
«  tout  mis  hors  de  l'Esglise.  Et  les  autres  dient  le  contraire,  et  que  ung 
(I  clerc  ou  prestre  ne  forfont  rien''*'.  »  Ni  la  Coutume  ni  la  g^ose  ne 
laissent  entendre  que  les  biens  d'un  clerc  suicidé  appartiendraient  à 
l'évêque  plutôt  qu'au  roi;  nous  pouvons  cependant  citer  une  décision 
favorable  à  l'évêque;  elle  fut  prise  par  l'Echiquier  de  Normandie 
en  12  08  :  affaire  notable,  car  ce  clerc  homicide  de  soi-même  était 
marié  (et  même  «  bigame  »)'^\  et  par  suite  bien  plus  rapproché  du 
monde  laïque  que  le  commun  des  clercs. 

Toutes  ces  questions,  comme  le  laisse  entendre  notre  auteur,  res- 

''*  Grande    glose,  sur   le  chapitre  xxi,  De  '''  Cliap.  xx.   De  sese  homicidis,  S  l,    édil. 

omicide    de    soy    mesmes     (Tardif,    rliap.    xx,  Tardif,  p.  .56. 

De   sese  homicidis  ).  —  La  jurisprudence    et  '*'  Grande  g^ose  sur  le  cliapitre  xxi ,  De  omi- 

la    doctrine    avaient,  comme  on   le  voit,  lar-  cide  de  soy  mesmes  (Tardif,  cliap.  xx,  De  sese 

gemenl    préparé     l'abrogation     du     cliapitre  homicidis). 

du  Gi'and  Coulumier  que  nous  étudions  ici ,  ''^  L.  Delisle ,  Recueil  des  jii(/cmeiUs  de 
lorsque  fut  promulguée  la  nouvelle  Coutume  i Echiquier,  n"  8o6  :  conjugali,  etium  bigami. 
(|583)  :  elle  ne  conserva  pas  ces  dispositions  Le  mot  feiyame  n'a  pas  le  sens  moderne  ."il  dé- 
surannées,  signe    tout  simplement  un  clerc    remarié  ou 

'*'  Bibl.  nat. ,  fr.  53.'Î3,  fol.  126  v'.  marié  à  ime  femme  non  vierge. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


129 


talent  flottantes.  Non  seulement  on  discutait  sur  le  droit  successoral 
aux  meubles  en  cas  de  suicide  ou  de  mort  d'un  desperatns,  mais  la 
question  n'était  pas  uniformément  résolue  au  cas  de  mort  d'un  in- 
testat non  desperatns.  Sans  doute,  quelques  textes  admettent  qu'en 
pareil  cas  tous  les  meubles  appartiennent  à  l'Eglise''),  mais  d'autres 
documents  lui  sont  moins  favorables;  ils  font  trois  parts  des  biens 
meubles  du  décédé  :  la  part  de  la  veuve,  celle  des  enfants,  celle  du 
mort;  la  part  du  mort,  c'est  celle  qui  est  dévolue  aux  pauvres  et  à 
l'Église'^). 

Avant  de  quitter  la  seconde  distinction,  nous  ferons  observer  que 
les  titres  de  certains  cliapitres  de  cette  distinction  peuvent  donner  le 
change,  parce  que  ces  titres  paraissent  à  première  vue  indiquer 
des  matières  purement  juridiques,  étrangères  aux  droits  ducaux. 
Exemples  :  chap.  xxi,  Z)e  vadiis  et  emptlunibus;  chap.  xix,  De  usuris. Mais, 
en  examinant  le  texte  même  de  ces  chapitres,  on  s'aperçoit  qu'ils  sont 
à  leur  vraie  place,  et  que  l'auteur  y  a  traité  de  l'usure  eu  vue  des 
droits  du  duc  sur  les  biens  des  usuriers,  des  ventes  et  des  gages  en 
vue  des  droits  dévolus  au  duc  au  cas  de  fraude  ou  mauvaise  foi  de  la 
part  du  créancier  gagiste  ou  de  l'acheteur. 

Dans  la  troisième  distinction  (chap.  xxiii  à  xxxv),  l'auteur  s'occupe 
des  successions  et  des  gardes,  des  tenures,  de  l'hommage. 

Le  texte  versifié  résume  en  ces  termes  la  matière  de  cette  distinc- 
tion : 

En  la  tierce,  de  tenement 
Et  des  convenances  ensement. 


.  '"'  Un  texte  de  l'année  i4o3  implique, 
en  eRet,  le  droit  de  l'évêque  d'Evreux  sur  les 
biens  meubles  des  intestats  en  général  (à 
moins ,  sans  doute ,  qu'ils  ne  soient  restés  neuf 
jours  malades  et  n'aient  diflFéré  la  confession)  : 
«  Pour  ce  que  dudit  testament  n'avoit  aucuns 
«  tesmoigns ,  jour  ne  date  escrips ,  le  suppliant 
«  doubtoit  que  l'evesque  d'Evreux ,  en  quel 
«  eveschié  ledit  testateur  estoit  demourant, 
•  voulsist  dire  ledit  testament  estre  nul  et ,  par 
»  ce,  que  tousles biens  meubles  d'icellui  deffunct 
«  lui  appartenissent ,  par  l'usage  et  coustume  du 
«païs,  comme  mort  intestat.  »  (Du  Gange, 
Glossarium,  v°  Intestatio.) 

'•'  Cf.   Brunner,   Der  Todtentheil  in  germa- 
nischen   Rechten,  dans  Zeitschrift  der  Savigny- 


Stiftung,    t.    XIX,    Gerin,     Abtli.,     p.     iio- 
i38. 

Une  décision  de  l'archevêque  de  Rouen  du 
4  janvier  ia3g  (n.  st.)  fixe  ainsi  qu'il  suit  les 
droits  des  parties  prenantes  au  titre  clérical , 
sur  les  biens  des  intestats  en  une  partie  du 
territoire  de  l'abbaye  de  Saint-Michel  du  Tré- 
port  :  Si  vero  quis  intestatus  decesserit,  tertia  pars 
partis  sue  pauperibas  erogelur,  et  due  partes  pres- 
bitero  et  ecclesie  sue,  et  monaehis  et  ecclcsie  sue, 
communiter  et  equaliter  dividantur  (Lafleur  de 
Kermaingant,  Cartalaire  de  l'abbaye  de  Saint- 
Michel  du  Tréport,  p.  igd,  n°  173).  Les  mots 
partis  sue  nous  paraissent  désigner  la  part  du 
mort,  soit  le  tiers  :  et  ce  tiers  est  ici  divisé 
lui-même  en  trois  parties. 


>7 


130  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Cette  formule  est  un  peu  éloignée  du  latin  :  In  tercia  de  tenearis  et 
saccessiojiibns  et  pertinenciis  ad  easdem;  nous  y  remarquons  le  mot  «  con- 
«  venances  »,  qu'on  pourrait  traduire  en  français  moderne  par  «  obliga 
«tions»  :  il  se  justifie,  si  on  se  rappelle  que  l'hommage  est  l'obliga- 
tion par  excellence  de  la  période  féodale. 

Des  sujets  d'une  grande  importance  juridique  sont  passés  en  revue 
dans  cette  troisième  distinction.  Nous  relèverons  rapidement  les  traits 
les  plus  saillants. 

L'auteur,  en  traitant  des  successions,  se  montre  partisan  énergique 
du  système  de  la  représentation  en  faveur  du  fils  de  l'aîné  prédécédé 
et  soutient  que  la  représentation,  autrefois  admise  en  ce  cas,  a  été 
écartée  assez  récemment  par  une  jurisprudence  à  la  fois  inique  et 
novatrice  :  Et  sic  Normannie  consnetndinem  in  hoc  casn  perverternnt^^K 
L'assertion  de  notre  jurisconsulte  veut  être  commentée.  Elle  a,  comme 
on  le  verra,  sa  part  de  vérité.  Sans  doute,  autant  que  nous  en  pou- 
vons juger,  le  très  ancien  droit  normand  n'admettait  pas  la  représen- 
tation au  profit  du  fils  de  l'aîné  prédécédé  :  telle  est,  du  moins, 
la  doctrine  du  Très  ancien  Coutumier  normand ^^';  mais  un  courant 
plus  favorable  à  la  représentation  se  dessina  d'assez  bonne  heure  :  la 
représentation  au  profit  du  fils  de  l'aîné  dans  les  successions  en  ligne 
directe  fut  admise  par  l'Échiquier  en  122^'^'.  Dans  la  langue  des  ju- 
risconsultes du  XIII*  siècle,  le  mot  «  coutume  »  ou  consuetudo  vise  d'or- 
dinaire, non  un  texte  écrit,  mais  bien  le  droit,  la  coutume,  laquelle 
existe  par  elle-même  en  dehors  de  toute  rédaction.  Par  conséquent,  le 
fait  que  le  Très  ancien  Coutumier,  œuvre  écrite  et  privée,  est  en  con- 
tradiction avec  notre  auteur  ne  contrarie  pas  directement  son  asser- 
tion :  la  consuetudo  visée  par  lui  n'est  pas  le  Très  ancien  Coutumier; 
c'est,  plus  vaguement,  l'usage  ancien  :  l'arrêt  de  1224  est  un  témoin 
suffisant  de  cette  coutume  relativement  ancienne,  de  ce  courant 
d'idées  qui,  au  temps  de  notre  auteur,  avait  rencontré  de  puissants 
adversaires. 

L'auteur  du  Grand  Coutumier,  si  favorable  au  principe  de  la  re- 
présentation'*',  contribua  certainement,  pour  une  grande  part,  au 

'*'  Chap.  XXIII,  De   saccessione,  S  3,    édit.  VEcliiqaier    de    Normandie    au    xiii'    siècle, 

Tardif,  p.  -ji.  n°  36i. 

'*'   Très     ancien    Coatnmier,    chap.    xxxii,  '*'  Pour  la  représentation  en  ligne  coUaté- 

p.  28.  raie,  voir  chap.  xxrv,  De  portionibns ,  $  3  in  fine, 

•''    L.  Delisle,    Recueil   des    jugements    de  p.  80. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


131 


développement  de  ce  système,  qui,  dans  le  dernier  état  du  droit  nor- 
mand'*', conquit  une  place  considérable. 

Deux  traits  primitifs,  auxquels  nous  n'avons  pas  encore  fait  allusion , 
se  dessinent  dans  le  droit  normand  et  même  y  ont  laissé,  jusqu'à  la 
fin  de  l'ancien  régime,  une  marque  indélébile.  Nous  faisons  allusion  à 
la  faiblesse  des  droits  successoraux  de  la  femme  et  à  l'égalité  parfaite 
et  nécessaire  entre  certains  cohéritiers. 

Faiblesse  des  droits  successoraux  de  la  femme.  —  Les  frères  excluent 
les  sœurs  de  la  succession  féodale  du  père.  Celles-ci  n'ont  droit  qu'à 
une  dot  convenable,  «  mariage  avenant  »  ;la  valeur  de  ce  «  mariage  »  ne 
peut  en  aucun  cas  dépasser,  pour  toutes  les  fdies  réunies,  le  tiers  de  la 
fortune  du  père.  Les  filles  n'arrivent  à  la  succession  des  biens  féodaux 
que  si  le  père  ne  laisse  pas  d'enfants  mâles.  Cette  exclusion  des  femmes 
ne  s'étend  pas  à  toutes  les  tenvues;  les  tenures  en  bourgage,  dont  le 
régime  général  se  rapproche  beaucoup  de  l'état  de  choses  moderne, 
se  partagent  également  entre  fières  et  sœurs'"'. 

Egalité  parfaite  et  nécessaire  entre  certains  cohéritiers.  —  Lors- 
qu'une succession  se  doit  partager  également,  le  propriétaire  de  cette 
fortune  ne  peut  niodifier  en  rien,  par  testament  ou  donation,  l'ordre 
successoral  établi  par  la  coutume  :  il  ne  peut  avantager  un  de  ses  hé- 
ritiers, mais  il  peut  faire  un  don  à  tout  parent  qui  n'est  pas  appelé  à 
la  succession  ab  intestat ^^K 

C'est  là  un  des  aspects  du  droit  coutumier  où  se  révèle  le  mieux 
l'hostilité  de  nos  aïeux  pour  le  testament,  le  legs  pieux  mis  à 
part. 

Notre  auteur,  en  se  résumant  lui-même,  a  compris  sous  le  mot 
«tenures»  tout  ce  qu'il  dit  des  fiefs  et  de  fhommage,  ainsi  que  des 
tenures  en  bourgage. 

Nous  relèverons,  dans  ces  chapitres,  quelques  données  très  impor- 


<"'  Coutume  de  NOmiandiede  1 583 ,  art.  aSM , 
3o4  à  3o8;  Placitez,  art.  à-i  (Coutumes  (le 
Normandie,  Uouen,  1742,  p.  5o,  65,  66, 
173).  Les  aliuitioiis  à  la  jurisprudence  hostile 
au  droit  de  représentation  disparaissent  tout 
simplement  dans  le  texte  du  Grand  (Coutumier 
que  cite  Terrien  (  Comment,  du  droit  civil  de  Nor- 
mandie, iiv  VI,  chap.iii,  Rouen,  i654,  p.  195). 

'*'  Summa  de  legibm ,  cliap.  \xiv,  S  i4  à  k). 

'''  Ibid.,  chap.  xxiv,  S   32.   Pour  le  droit 


des  derniers  siècles,  voir  Coutume  de  Nor- 
mandie de  i583,  art.  43 1,  433,  434-  Pour  la 
jurisprudence  antérieure  à  la  rédaction  du 
Grand  Coutumier,  voir  le  résumé  d'une  sen- 
tence de  l'assise  de  Caen  de  1234  dans  Lé- 
chaudé  d'Anisy,  Magni  rotuU  Scacc.  Norm. , 
p.  i45,  1"  colonne.  Le  Grand  Coutumier 
emploie  les  mots  ilare  vel  coiiferre;  le  ré- 
sumé de  1234,  plus  précis  :  aliquid  dure  vet 
venderc. 


132  LES  CODTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

tantes  qui  n'ont  pas  toutes  attiré  suffisamment  Tattenlion  des  histo- 
riens. 

Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  faire  remarquer  que  le  mot  «  fief» 
n'est  point,  dans  le  Grand  Coutumier,  spécial  à  la  terre  tenue  noble- 
nient.  Par  suite,  certains  passages  pourraient,  s'ils  n'étaient  expli- 
qués, donner  le  changée,  ce  qui  est  vrai  du  fief  noble  n'étant  pas 
toujours  vrai  du  fief  roturier.  Un  de  ces  passages  a  été  commenté  soit 
par  l'auteur  lui-même,  soit  par  un  de  ses  continuateurs,  et  ce  com- 
mentaire est  fort  important,  car  un  trait  souvent  oublié  par  les  mo- 
dernes s'en  dégage  clairement  :  à  savoir  que  la  propriété  roturière 
est,  aux  mains  du  tenancier,  beaucoup  plus  solide  que  la  propriété 
noble.  Résumons  ce  curieux  passage.  Au  chapitre  xxiii,  De  siicces- 
sione,  l'auteur  du  Grand  Coutumier  a  écrit  que  certaines  condamna- 
tions infligées  aux  tenanciers  entraînent  la  confiscation  au  ]>rofit  du 
seigneur  :  Cnm  emm  aluinis  condemnetiir,  oniio  elapso,  ad  dominum  redit 
feodum  a  (jiio  tenetur.  L'auteur  lui-même,  ou  un  continuateur'*',  a 
compris  la  nécessité  de  mettre  formellement  à  part  le  fief  roturier,  et 
il  a  expliqué  très  nettement  que  cette  loi  de  la  confiscation  s'appliquait 
seulement  au  fief  noble,  qu'il  ap^eWe  feodum  liberum  : 

....  dum  tamen  in  feodo  habeat  libertatem.  Lilîerum  autem  dicimus  feodum  quod 
.serviciorum  inhonestorum  obtinet  libertatem,  ut  de  prati  servicio  et  de  curatione 
bevii  molendinorum  vel  compostorum '*'  extramittendorum ,  vel  hujusmodi  sen-i- 
cioinim ,  que  nuliam  retinent  libertatem ,  cpie  nec  homagiura ,  nec  curiani ,  nec  aliam 
libertatem,  de  jure  antique  Norniannie,  possunt  retinere*''. 

Voici  encore  sur  l'hommage  un  renseignement,  important  à  nos 
yeux.  La  plupart  des  historiens  du  droit'*'  enseignent  que  l'hom- 
mage personnel,  sans  aucune  concession  de  terre,  n'existait  plus  au 
xiii*^  siècle.  Notre  jurisconsulte  nous  fournit  sur  l'hommage  purement 
personnel  des  données  précises  qui  ne  permettent  pas  de  s'arrêter  à 
cette  opinion.  Il  connaît,  en  regard  de  l'hommage  corrélatif  à  une 
concession  de  fief  terrien  [homacjiiim  de  feodo),  deux  sortes  d'hom- 

'''   M.  Tardif  fait  remarquer  que  ce  passage  <'*  Composliis ,  «engniis»;  cf.  Du  Cangc,  à 

iiiancpie  dans  les  trois  premières  familles  des  ce  mot. 

manuscrits  du  Grand  Coutumier  latin  et  dans  '"'  Chap.   xxni,  De  succettione,   S  4,  àhis, 

tous  les  textes  français.  Mais  le  passage  omis  p.  "ji,  7.'). 

finissant  par  le  mot  relinere  et  le  dernier  mot  <*'   Thèse     contraire    dan»    Paid     VioUel, 

qui  précède  cette  lacune  étant  <Pine(iir,  on  peut  Histoire    du    droit   ciril    français,    a*     édit. , 

songer  à  un  bourdon.  p.  64o.  > 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  133 

mages  personnels  :  l'un  se  rattache,  croyons-nous,  à  l'ancien  enga- 
gement d'homme  à  homme,  d'origine  barhare,  engagement  dont 
d'autres  textes  nous  révèlent  d'ailleurs  encore  l'existence  au  xiv*  et  au 
xV  siècle;  l'autre  est  un  hommage  d'une  nature  toute  particulière, 
hommage  qui  clôt  les  poursuites  au  criminel  terminées  par  la  récon- 
ciliation des  parties.  Ce  second  hommage  personnel  nous  est  assez  mal 
connu.  Notre  auteur  appelle  le  premier  de  ces  deux  hommages  ho- 
mafjinm  de  jide  et  servicio;  il  en  prévoit  surtout  l'emploi  au  cas  où 
celui  qui  rend  l'hommage  se  constitue  par  là  le  champion  attitré  de 
son  seigneur  pour  les  duels  judiciaires  :  De  /ide  et  semciojit  liomafjinm 
(juando  (juis  aliquem  recipit  in  hominem  adjidem  sibi  conscrvandam  et  ad 
servichim  proprii  corporis  exinbendam  ad  piujnandmn  pro  ipso,  si  necesse 
J'aerit ,  tel  hiijusmodi  alind  servicium  faciendum.  Et  si  propter  hoc  ei  red- 
ditiim  assi(jiiaverit,  ad  heredes  ipsias  non  descendet,  nisi  expressum  fncrit 
condirione  facta  inter  ipsos^^K  Ainsi  la  condition  ordinaire  de  cet  hom- 
n)age  n'est  pas  la  concession  d'une  terre,  mais  celle  d'une  rente  (/W- 
ditns)^'^K  Le  jurisconsulte  paraîl  admettre  implicitement  que  l'hom- 
mage a  pu  quelquefois  se  conclure  sans  aucune  rétribution  financière 
[si  propter  hoc  ei  redditiim  assi(/naverity  Cette  espèce  est  directement 
visée  par  le  premier  Durant  de  Mende,  au  xiii*  siècle  :  Item  autem, 
etiam  si,  nallo  sibi  a  me  dato,  se  constituât  hominem  meum  bginm;  porro 
in  dabio,  ciim  non  exprimitur  causa  vel  non  lujuet  quare  fecit  homagiiim, 
presumitur  ideo  fecisse  ut  ipsum  defendam^^K 

Boutillier,  dans  la  Somme  rural,  a  fait  quelques  emprunts  au 
Grand  Coutumier  normand;  il  a  notamment  utilisé  l'exposé  de  notre 
auteur  sur  les  trois  sortes  d'hommages  :  de  feodo,  defide  et  senicio,  de 
pace  conservanda.  Mais  il  a  complètement  dénaturé  ce  que  le  juriscon- 
sulte normand  avait  dit  de  l'hommage  de  fide  et  senicio;  il  tend  à 
assimiler  l'hommage  de  feodo  et  l'hommage  de  Jide  et  servicio,  sup- 
posant que  ce  second  hommage  implique  la  remise  d'une  terre  au 
vassal,  ce  qui  est  précisément  l'inverse  de  la  vérité.  Voici  le  texte  de 
Boutilher  :  «  Or  est  a  sçavoir  que  trois  manières  sont  de  hommaiges. 

'''  Summa de  legibas ,  ch.  xxvil,  De  homaglo,  lx  lib.  imdeyuv.  per  aimiim;  unde  hoino  nosicr 

5  4.  est  [Rotidi  Norm.,  «lit.  Duffus  Hardy,  p.  3q). 

<*>  Exemple  de  la  fin  du  xii*  siècle  :  Rex,  etc.  Cf.  Hist.  littér. ,  t.  XXXIl ,  p.  33 1 . 

Garino  de  Glapione,  .leiiescallo  Normannie,  etc.  ■  '''  Durant,  Spéculum  juris,  lib.  IV,  part,  m, 

Maudamusvobis  quod ad  terminas  Scaccariinostri  De  Jeudis,  i  i5,  t.  lil ,  Augusta>  Taurinoruni, 

lilwrelis  Jideli  militi   noslro    Herveo   de   Pveez,  1678,  fol.  1 33  v°. 


134  LES  COUÏUMIERS  DE  NORMANDIE. 

«  Li  premiers  si  est  appeliez  hommaigez  de  fief  ;  li  secondz  est  appelle 
«hommaige  de  service;  etli  tierch  est  appeliez  hommaigedepais.  Dont 
((  il  s'ensuit  que  li  premiers,  qui  est  appeliez  hommaige  de  fief,  si  est 
«cilz  qui  dessus  déclaré  est.  Li  secondz  si  est  si  comme  ils  sont 
«  hommez  qui  sont  tenuz  de  service  faire  au  seigneur  et  en  tiennent 
«possessions  et  en  ont  fait  foy*^',  etc.»  Le  contexte  du  Grand  Coutu- 
mier  a  pu  donner  lieu  à  ce  contresens  de  Boutillier  :  le  jurisconsulte 
y  emploie  avec  quelque  irréflexion  le  mot  latin  feodum  dans  un  sens 
qiii  n'est  nullement  étranger  à  la  langue  du  moyen  âge  :  celui  de 
droit  à  une  rente  ou  à  une  pension  annuelle.  Après  avoir  appelé  une 
première  fois  redditus  la  rente  de  ce  vassal,  prolongeant  ses  explica- 
tions, il  finit  par  appeler  yèo(/«m  le  droit  à  cette  rente '^'.  Notre  auteur 
aurait  dû  éviter  ici  l'emploi  de  feodam  en  ce  sens,  puisque  précisé- 
ment dans  ce  passage  il  veut  donner  une  idée  d'un  certain  hommage 
3u'on  oppose  à  l'hommage  de  feodo.  Cet  emploi  légitime,  mais  évi- 
emment  malencontreux,  du  mot  feodum  a  dû  contribuer  à  la  défor- 
mation du  texte  dans  Boutillier,  déformation  qui  constitue  un  véri- 
table contresens. 

Le  second  hommage  personnel  est  qualifié  par  l'auteur  :  hoinagium 
de  face  servanda  : 

Fit  autem  homagium  qiiandoque  de  pace  servanda,  cpiod  hoinagium  de  paga 
nominatur,  eo  quod  fit  in  pagam  concordie  inter  aliqiios  reformate,  ut  quando 
aliquis  sequitur  alium  de  aliqua  actione  criminali  et  pax  inter  ipsos  refbrmatur,  ita 
quod  secutus  facit  homagium  alteri  de  pace  illa  conservanda;  hujusmodi  homagium 
recipitur  in  pagam  concordie  reformate. 

Du  Gange  a  réuni  sur  cet  homagium  de  pace  servanda  un  certain 
nombre  de  textes  intéressants'^';  il  serait  souhaitable  que  ces  textes 
fussent  vérifiés  et  utilisés  dans  une  monographie  de  cet  usage  curieux 
et  encore  mal  connu. 

En  regard  de  cet  hommage,  qui,  à  tout  prendre,  ressemble  à  une 
formalité  de  procédure,  il  convient  de  placer  un  principe  remarquable, 

'"'  Sonwie  rural,  i"  partie,  tit.  lxxxii;  édit.  '*'  Sciendam  lamen  est  quod  tolo  vite  tue  tem- 

d'Abbeville,  i486,  fol.  cxxvii  v";  ëdit.  de  Lyon,  pore  illud  feodum  possitlebit  quod  colUUiim  est  a 

1031,    p.    819.   Ms.    fr.   3 10 10,    chap.  cxcv,  domino  pro  quo  duellum  snbieiu  in  campo  sacca- 

fol.  c.XL  v*.  Ms.  fr.  nouv.  acq.  686 1 ,  fol.  aa6  v,°.  huit  (chap.  xxvii ,  De  homagio,  S  i). 

Le  mot  •  fait  »  manque  dan»  les  éditions  que  '''  Du  Cangp ,  Glossaire ,  s.  v°  Hominium  pro 

nous  avons  pu  consulter.  emenda. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  135 

mis  en  relief  par  notre  auteur  dans  la  partie  du  livre  consacrée  à  la 
procédure  :  un  vassal  ne  peut  intenter  une  action  criminelle  contre 
son  seigneur,  ni  un  seigneur  contre  son  vassal,  si,  au  préalable,  le 
lien  qui  unissait  les  deux  parties  n'a  été  rompu  par  le  désaveu  de  la 
foi  et  hommage.  Supposez  qu'un  procès  de  ce  genre  ait  été  engagé  : 
le  vassal,  s'il  succombe,  perdra  son  fief,  et  ce  fief  deviendra  la  propriété 
du  seigneur;  le  seigneur  perdra,  s'il  succombe,  tout  droit  de  suze- 
raineté :  la  suzeraineté  sera  dévolue  au  seigneur  médiat''^. 

Nous  venons  de  prononcer  ces  mots  «  foi  »  et  «  hommage  ».  Nous  ne 
voulons  pas  quitter  la  matière  de  l'hommage  sans  faire  observer  que 
notre  auteur  distingue  très  nettement  (en  traitant  du  parage)  la  foi  et 
l'hommage.  Du  premier  au  cinquième  degré,  les  puînés  et  leurs 
descendants  qui  tiennent  en  parage  ne  doivent  ni  foi  ni  hommage  à 
l'aîné  et  à  ses  descendants;  au  sixième  degré,  ils  doivent  la  foi;  au 
septième  degré,  ils  doivent  la  foi  et  l'hommage '^^. 

En  regard  du  fief  noble  ou  roturier,  en  regard  des  tenures  féodales 
de  tout  ordre  et  de  toute  nature,  figurent  les  propriétés  libres,  qu'on 
peut  diviser  en  deux  groupes  :  à  un  rang  supérieur,  les  alleux  nobles , 
dont  notre  auteur  ne  s'occupe  pas,  et  les  franches  aumônes,  que  nous 
appellerions  volontiers  des  alleux  ecclésiastiques  ;  à  un  rang  inférieur, 
les  tenures  en  bourgage. 

Le  jurisconsulte  a  formulé,  au  sujet  de  la  franche  aumône,  un 
principe  qu'il  paraît,  à  première  vue,  bien  superflu  d'énoncer,  mais 
dont  on  sentira  l'utilité  en  se  reportant  à  certaines  chartes  du  x*  et 
du  XI''  siècle  :  NuHm  autem  elemosinare  potest  ex  alifjiia  terra,  nisi  hoc 
soliim  cjuod  siiam  est  in  eadem.  Unde  notandnm  est  cjuod  nec  dnx,  nec 
barones,  nec  eciam  alinuis,  si  hommes  sui  aliauid  de  terris  (juas  tenent  de  eis 
elemosinaverint,  propter  hoc  debent  snstinere  alinnod  detrimentum ,  et  nihilo- 
miniis  domini  eorum  in  terris  illis  elemosinatis  justicias  suas  exercehunt  vel 
jura  sua  levahnnt^^\  Ces  règles  de  bon  sens  sont  celles  de  l'Échiquier  : 
«  Ordonné  fut  que  les  hommes  des  eglisez  qui  se  disoient  estre  francz 

'"'  Siimma  de  leijibas,  chap.  Lxxxi!i,/)e  do-  eciam  ipsis  vel  eorum  saccessoribus ,  cum  ad  sex- 

minis  et  hominibiis  suis ,  i  i,  3,  p.  197-198.  tum  consanguinitatis  gradum  perventum  fuerit , 

'''  Chaip.\\\'ï\i,Deteneuruperparagium,ii;  fidelitatem  fucere  lenebuntur.  In  septimo  autem 

chap.  XXXIV,  Deprimogenilo.i  5.  Nous  complé-  grudu  homagium  facient .  .  .  (Chap.  xxxiv,  $  5, 

tons  dans  le  texte  la  pensée  de  l'auteur  :  il  ne  édit.  Tardif,  p.  1  i3,  1  li..) 
répète  pas ,  parlant  du  septième  degré ,  le  mot  '''  Chap.  xxx.  De  lenenra  per  elemosiiiain  .Sa, 

Jidelitas  ;   il  dit  seulement  homagium  :  Pi,stiiati  p.  99,  100. 


136  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

«  etexemps  de  toutes  justices  seculierez,  ausquelles  églises  les  osmones 
«par  seigneurs  barons  justiciers  ou  moyens  avoient  esté  données, 
«  n'auront  doresnavant  fors  telles  francliises  comme  pouoient  avoir 
«  ceulx  qui  leur  donnèrent,  et  ne  peuent  jouir  d'autres  francliises ''l  » 

La  tenure  «en  bourgage»  de  la  Normandie,  sur  laquelle  notre 
auteur  fournit  de  précieux  renseignements,  nous  paraît  toute  voisine 
de  ce  qu'on  appelle  ailleurs  1'*  alleu  roturier  ».  Aussi  bien,  le  juriscon- 
sulte, voulant  définir  la  tenure  en  bourgage,  rencontre  sous  sa  plume 
précisément  le  mot  alodium  :  Per  biirgagium .  .  .  tenentur  alodia  et 
masure  in  burgis  constitale  burgorum  consuetudines  retinentes^'^K  D'autre 
part,  le  mot«  fief»  est  si  souple,  si  élastique,  dans  la  bouche  des  Nor- 
mands, que  le  traducteur  français  a  rendu  ce  mot  alodia  par  fiefs  :  «  Par 
«bourgage  sont  tenus  les  fiefz  comme  sont  les  masures  qui  sont  es 
«  bours  et  gardent  les  coustumes  de  bours.  »  «  Fiefs  » ,  dans  ce  pas- 
sage, n'a  pas  d'autre  sens  qu'immeubles'^';  et  il  se  trouve  que  ces  im- 
meubles sont  des  alleux. 

En  eifet,  au  xv*  siècle,  un  jurisconsulte  normand  traitant  des 
bourgages  n'hésite  pas  à  dire  que  les  bourgages  sont  tenus  en  franc 
alleu  :  t  Nota  que  tous  les  habitans  de  Normendie,  si  comme  fou 
«  dit,  sont  en  pocession  et  saisine  et  ont  droit  ancien,  comme  ilz  dient, 
«que  tous  leurs  héritages  labourables,  assis  en  bourgaige,  c'est  assa- 
«voir  à  une  lieue  environ  la  ville,  laquelle  distance  est  nommée  en 
M  France  banclieue,  sont  tenus  en  franc  alleu,  ne  ilz  n'en  doivent  ne 
«  vest  ne  desvest,  saisine  ne  dessaisine,  fons  de  terre  ne  autre  redevance 
«quelconque.  Et  touteffois,  jasoit  ce  que,  comme  dit  est,  héritage 
«  labourable  de  bourgaige  ne  doivent  cens,  chascune  maison  doit  au 
«  roy  XII  d.  de  cens.  .  .  ^'*\  »  Au  xvi"  siècle.  Terrien,  cherchant  à  défi- 
nir le  bourgage,  songe,  comme  notre  jurisconsulte  dont  il  s'inspire, 
à  falleu  :  «  Et  sont  les  héritages  assis  en  bourgage  appelez  allodia, 
«qu'on  dit  en  françois  tenus  en  franc  alleud,   qui  signifie  biens  et 

'"'  Compilation  de  Pierre  le  Petit  (xv"  siècle),  rassés  dans  le  dédale  des  sens  divers  du  mol 

dans  ms.  fr.  5333,  fol.  a35  v°,  avec  la  date  de  flrf  ;  au   wilT   siècle,  ils  appelaient  l'orlho- 

la  Saint-Micliel  1207.  Cet  arrêt  pourrait  l)ien  graphe  au  secours  de  la  nomenclature  juridique 

être  identique  à  celui  de  la  Saint-Michel  1 38'i  et  distinguaient  (tout  à  fait  arbitrairement)  les 

dans  Léchaudé  d'Anisy,  Magni  rotuli  Scaccarii  lertaesfief  el  /iejfe  (Hoiiard,  Diclioiuiaire  delà 

Norm.,  p.  i53.  coutume  de  Normandie,  t.  H,  p.  319  et  suiv., 

'*'  Chap.  XXVI,  De  lenearis,  $  5,  édif.  Tardif,  3/i5  et  suiv.). 

p.  ga.  '*'  Compilation  de  Pierre  le  Petit  (  XV' siècle), 

'  '  Les  Normands  se  sont  peu  à  peu  embar-  dans  ms.  fr.  5333,  fol.  a35  v°. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


137 


«  héritages  qui  ne  sont  tenus  en  fiefs  d'aucun  seigneur,  et  sont  libres 
«et  francs  de  toute  sujétion,  comme  le  propre  bien  et  vray  patri- 
«  moine  de  celuy  qui  les  possède,  lesquels  il  peut  vendre  et  hypo- 
«  thequer  sans  le  consentement  d'aucun,  ne  recognoissant  à  cause 
((  d'iceux  aucun  seigneur,  sinon  le  roy  quant  à  la  jurisdiction  et  sou- 
ci veraineté,  aiiia  principis  siint  omnia  cjnoadjarisdictionem  et  protecdonem. 
«Et,  à  proprement  parler,  ceux  qui  sont  tenans  et  jouyssans  de  tels 
«  biens  suffisans  pour  en  vivre  et  entretenir  leur  estât,  sont  appelez 
«  bourgeois  *'l  » 

Le  bourgage  cependant  ne  jouit  pas  toujours  de  cette  franchise 
complète  que  suppose  Terrien.  Il  y  a  même,  écrit  l'auteur  du  Grand 
Coutumier,  destenures  en  bourgage  accompagnées  d'hommage;  c'est 
là  une  difficulté  dont  le  jurisconsulte  se  tire  comme  il  peut,  en  expli- 
quant que  l'hommage  peut  être  considéré,  en  pareil  cas,  comme 
quelque  chose  d'accidentel,  et  n'est  pas  de  la  nature  du  bourgage  :  De 
burcjagio  antem  multa  tenentur  per  Itomagiiim,  sed  hoc  non  est  de  institiitione 
biinjoram,  sed  ex  pacto  inter  possessores  eorum  interveniente^^\  Le  bien  tenu 
en  bourgage  se  rapproche  beaucoup  de  la  propriété  moderne.  Il  peut 
être  aliéné  sans  le  congé  du  seigneur.  Acquis  pendant  la  durée  du 
mariage,  il  est  régi  comme  l'est  chez  nous  un  acquêt  de  commu- 
nauté'"^l  A  la  mort  du  tenancier,  il  se  partage  également  entre  frères 
et  sœurs,  lesquels  ne  doivent  aucun  droit  de  relief'*';  mais  il  est  souvent 
soumis  à  certains  droits  exclusifs  de  l'alleu  au  sens  technique  et  rigou- 
reux de  ce  mot  :  on  peut  lire,  à  ce  sujet,  l'article  1 38  de  la  Coutume 
de  i583.  Si,  en  Normandie,  la  tenure  en  bourgage  est  appelée 
quelquefois  «  alleu  » ,  dans  d'autres  provinces  on  ne  lui  accorderait 
pas  cette  qualification  :  ainsi  on  ne  consentirait  pas  à  appeler  «  alleux  » 
des  maisons  qui  payent  douze  deniers  de  cens. 

Nous  nous  résumerons  en  disant  que  les  Normands  ont  conçu  une 
catégorie  spéciale  de  tenures,  celle  des  biens  sis  dans  les  villes  et  dans 


'"'  Terrien,  Commentaires  du  droict  civil..  . 
de Nornuindie.Vans,  i578,p.  180. — Au  xiv' 
et  au  XV'  siècle,  suivant  M.  Léojjold  Delisle, 
«  aleu  •  désigne  souvent  des  tènements  sis  dans 
une  ville  ou  un  bourg  (L.  Delisle,  Êtades  sur 
la  condition  de  la  classe  af/ricole.  .  .  en  Nor- 
mandie, p.  43).  Rapprochez  la  définition  du 
bourgage  donnée  par  notre  auteur  :  Alodia  et 
nmsiire  in  hurgis  constitute;  celle  de  Littleton, 

HIST.  LITT.  IXXHI. 


sect.  163,  dans  Hoûard,\4nc.  lois  des  François 
conservées  dans  les  coût,  anglaises,  t.  I,  p.  234. 

'*'  Siimma  de  legibus ,  chap.  xxix,  De  teneura 
per  barijagium ,  8  6  (p.  98). 

'''  Sauf  à  Pavilly  :  «  En  bourgaige  de  Paveilli 
«  femme  ne  conquiert  avec  son  mary  »  (  Bibl. 
nat. ,  ms.  fr.  5333,  fol.  i65v°,  compilation 
de  Pierre  le  Petit). 

'*'  Samma,  chap.  xxix,  art.  1,  3,  4,  5. 

18 


138  LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

les  bourgs,  à  savoir  la  tenure  en  bourgage,  laquelle  comporte  de  très 
grandes  variétés.  L'expression  «  bourgage  »  se  retrouve  aussi  à  Amiens  : 
le  bourgage  d'Amiens  est  l'ensemble  des  héritages  relevant  de  la  juri- 
diction municipale^''.  Les  jurisconsultes  picards  n'ont  pas,  au  même 
degré  que  les  Normands,  systématisé  le  bourgage  amiénois,  mais  on 
constate  facilement  que  le  droit  qui  régissait  les  biens  sis  dans  le 
bourgage  d'Amiens  ressemblait  beaucoup  à  celui  des  bourgages 
normands'"^^ 

On  peut  relever  dans  le  Grand  Coutumier,  au  sujet  du  bourgage, 
un  certain  désaccord  d'expression  entre  les  chapitres  xxix,  De  tenenra 
per  burgagium,  et  cxxv,  De  prescriptione.  Aux  termes  du  chapitre  xxix, 
le  retrait  lignager  ne  peut  être  exercé  par  un  parent  pour  racheter  le 
bien  tenu  en  bourgage  :  Notandam  etiam  est  cfiiod  venditiones  earain  per 
heredes  velconsan(jaineos  non  passant  revocari.  Aux  termes  du  chapitre  cxxv, 
le  parent  du  vendeur  peut  exercer  le  retrait  tant  que  le  payement  n'a 
pas  été  effectué,  et  un  jour  après  ce  payement  effectué;  mais,  ce 
jour  écoulé,  le  retrayant  est  forclos.  Telle  est,  du  moins,  noire  in- 
terprétation du  chapitre  cxxv,  S  i.  Terrien  l'a  compris  un  peu  autre- 
ment :  il  admet  le  droit  de  retrait,  mais  il  exige  que  le  retrait  soit 
effectué  «  dans  le  jour  naturel  de  l'audition  de  la  chose  vendue  ».  Ce 
désaccord  sur  le  délai  n'est  pas,  à  nos  yeux,  d'une  grande  impor- 
tance. Mais  le  sentiment  de  Terrien  sur  l'existence  même  du  droit 
de  retrait  nous  fait  supposer  que  ce  droit  existait  déjà  au  xiii^  siècle; 
il  est  invraisemblable,  en  effet,  que  le  droit  de  retrait  ait  gagné  du 
terrain  du  xiii"  au  xvi®  siècle;  par  suite,  le  chapitre  cxxv  de  notre 
Coutume  serait  plus  exact  que  le  chapitre  xxix  ou,  du  moins,  que  le 
texte  du  chapitre  xxix  tel  que  l'établit  le  dernier  éditeur,  car  deux 
variantes  relevées  en  note  harmoniseraient  la  doctrine  du  chapitre  xxix 
avec  celle  du  chapitre  cxxv,  et  plus  nettement  encore  avec  Terrien. 
Un  arrêt  de  l'Echiquier  de  i2  43  vient  confirmer  nos  vues  sur  l'exis- 
tence du  droit  de  retrait;  cet  arrêt,  qui  vise  certainement  un  héritage 
tenu  en  bourgage,  puisque  le  bien  dont  s'agit  est  partagé  également 

'"'  Reconnaissance  du   droit  de  jui'idiction  dans  son  édition  de  Cinnaïuus,  Paris,  1670, 

de  l'échevinafje   d'Amiens  sur  une    propriété  p.  489. 

urbaine  acquise  par  le  vidame  Jean  de  Pic-  '*'    V'oir,    pour   le    partaffe   égal.    Anciens 

quigny  (1269),  dans  A.  Thierry,  Recueil  des  Usar/cs  d'Amiens,  art.  3,  dans  Marnier,  Ancien 

monuments  inédits  de  l'histoire  du    Tiers   Etat,  Coutumier    inédit    de    Picardie,    Paris,  i84o, 

t.  I,  p.  237.  Texte  de  1272  cité  par  Du  Gange  p.  i45. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  139 

entre  trois  frères  et  une  sœur,  nous  apprend  que  ladite  terre  a  été 
l'objet  d'un  retrait'*'. 

Il  paraît  donc  très  vraisemblable  que  la  rédaction  du  chapitre  cxxv 
est  préférable  à  celle  du  chapitre  xxix.  Nous  admettrions  volontiers 
que  le  rédacteur  du  Grand  Coutumier  s'est  exprimé,  au  chapitre  xxix, 
avec  une  concision  trop  grande  (  si  le  texte  concis  adopté  par  l'éditeur 
est  original)  et  qu'il  a  réparé  cette  imperfection  au  chapitre  cxxv. 
On  ne  saurait  invoquer  contre  cette  manière  de  voir  le  texte  de  la 
Somme  rural  ^'^\  où  est  reproduite  la  doctrine  du  chapitre  xxix,  et  non 
celle  du  chapitre  cxxv;  car  Boutillier  écrit,  non  en  Normandie,  mais 
à  Tournai,  et,  en  s'occupant  du  bourgage  normand,  il  traite  un  sujet 
qui,  en  définitive,  lui  est  étranger.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  Terrien. 

Les  chapitres  xxxvi  à  cxxv  sont  consacrés,  comme  nous  l'avons  dit, 
à  l'organisation  judiciaire,  aux  questions  de  compétence,  à  la  procé- 
dure. C'est  la  partie  de  l'ouvrage  la  plus  volumineuse  à  la  fois  et  la 
plus  touftue.  Il  n'y  faut  chercher  ni  beaucoup  d'ordre,  ni  beaucoup 
de  suite.  Les  questions  de  procédure,  ajournements,  défauts,  excuses 
(m  essoignes  »),  nature  des  actions  (chap.  xxviii  à  li  inclusivement),  toutes 
ces  matières  y  sont  traitées  avant  ce  qui  intéresse  la  constitution 
même  de  la  justice  et  l'organisation  des  tribunaux.  Cette  dernière 
matière,  qu'un  moderne  aborderait  la  première,  est  jetée  elle-même 
un  peu  à  l'aventure  (chap.  lu  à  lv).  A  partir  du  chapitre  lvi,  l'auteur 
revient  à  la  procédure. 

La  plupart  des  jurisconsultes  coutumiers  du  xiii*  siècle  ne  sépa- 
raient pas  encore  la  procédure  du  droit  proprement  dit;  notre  Nor- 
mand, un  des  premiers,  entrevilla  distinction.  Il  n'est  pas  surprenant 
qu'il  n'ait  pas  toujours  pleinement  réussi  clans  l'exécution  de  ce  plan 
nouveau.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  l'exposé  de  toutes  les  procé- 
dures, abondamment  décrites,  mais  nous  relèverons  les  traits  les  plus 
saillants  de  cette  dernière  partie  du  livre. 

Nous  signalerons  tout  d'abord  quelques  données  précieuses  sur 

/''   L.    Delisle,    Recueil    des  Jugements    de  vente  dont  le  prix  a  été  acquitté ,  car  le  retrait 

l'Echiquier  de  Normandie,   n°  716.  En   1211,  dont  il  s'agit  serait  exercé  par  l'héritier  d'un 

il  est   dit  dans   un  arrêt  de  l'Echiquier  :  Itu  vendeur  décédé. 

quod  omnis  emplio  fada  in   hargagio   illis   re-  '^' Boutillier,  SoHime  ;•(»■«/,  liv.  1,  ch.  lxxxiv, 

maneat  qui  emptinnem  fecerunl  [ibid. ,  n'gi);  édit.  de  Lyon,  1621,  p.  838. 
mais  le  contexte  peiinet   de   penser   à    une 

18. 


140  LES  COCTUMIERS  DE  NORMANDIE.  , 

les  droits  de  justice  dans  la  famille;  les  auteurs  du  moyen  âge  né- 
gligent volontiers  cet  aspect  des  choses,  probablement  trop  intime  à 
bmr  gré.  Notre  auteur,  au  contraire,  trace  l'exposé  suivant  :  le  chef 
de  famille  est  armé  d'un  droit  de  correction  sur  sa  femme,  ses  enfants 
et  ses  serviteurs;  par  suite,  il  ne  peut  être  poursuivi  pour  avoir  sim- 
plement frappé  [siniplex  percassio)  un  de  ceux  qui  lui  sont  soumis; 
c'est  là  un  droit  que  le  jurisconsulte  ne  qualifie  pas  droit  de  justice, 
mais  qu'il  appelle  correctio.  La  femme  pourra  cependant  être  entendue 
en  justice  contre  son  mari,  si  les  mauvais  traitements  du  mari  sont 
par  trop  violents,  ou  encore  s'ils  sont  à  la  fois  injustes  et  répétés  {fre- 
(inenter  el  indehiteY^\  Un  texte  dont  les  origines  remontent  au  xi'"  siècle 
et  qui  intéresse  la  ville  de  Saint-Quentin  prononçait  ici  le  mot  «  jus- 
«  tichié  »  :  «  le  clerc  sera  justichié  par  son  mestre  et  le  sergant  au  clerc 
«par  le  clerc,  le  chevalier  par  son  seigneur,  le  sergant  au  bourgois 
«  par  le  bourgois'"-^'.  »  C'est  encore  dans  le  même  esprit  que  les  statuts 
de  Robert  de  Courçon  formulaient,  en  12  i5,  à  Paris,  ce  principe 
juridique  :  Quilibet  macjister forum  siii  scolaris  haheal^^K  Peut-être  notre 
auteur  eût-il  introduit  dans  son  exposition  une  suite  plus  rigoureuse  et 
un  enchaînementpiusferme,  s'il  eût  parlé  nettement  d'un  droit  de  jus- 
tice du  chef  de  famille;  car,  traitant  du  droit  des  aînés  et  descendants 
d'aînés  sur  les  puînés  et  descendants  d'iceux,  il  emploie  sans  hésiter 
une  expression  qui  implique  très  nettement  le  droit  de  justice  :  Ante- 
nati.  .  .  htthcnt  curias  de  postnatis.  .  .  Or  il  est  évident  que  le  droit  du 
frère  aîné  n'est  autre  chose  qu'une  dérivation,  qu'un  prolongement  du 
droit  du  père  de  famille.  Voici  quelle  est,  dans  le  système  de  notre  au- 
teur, l'étendue  des  droits  de  justice  des  aînés  (et  probablement  de  leurs 
descendants  jusqu'au  sixième  degré'''')  :  Antenati. .  .  habent  curias  de  post- 
natis in  tribus  tantummodo  casibus,  ut  de  malcficio  vel  convicio  eideni  illato, 
vel  uxori  sue,  vel  ejus  Jilio  primogenito.  In  istis  tribus  casibus  tenentur  post- 
nati  in  primogenitorum  curiis  respondere,  et  disraisniare  vel  emendare^^K 

Quant  à  l'organisation  de  la  justice  non  plus  dans  la  famille,  mais 
dans  la  société,  notre  auteur  semble  se  préoccuper  presque  exclusive- 

<"'  Summa,  chap.  Lxxxv,   De  simplicibus  le-  '''  Statuts  de  Robert,  cardinal  légat,  dans 

gibus ,  S  8  ;  chap.  c ,  De  brevi  maritagii  impediti,  Denifle  et  Châtelain,  Chartiil.  universit.  Paris. , 

$  3  (p.  ao/i,  3/»6).  t.  I,  p.  79,  n°  ao. 

.    ^'^  Les  EtablissemenlsdeSaint-Quenlin.aTl.^io,  '''  Summa,  chap.  xxvill,  De  teneara  per  pa- 

dans  Gii-y,  Elude  sur  les  origines  de  la  commune  ragium,  S  i;  chnp.  xxxiv.  De  primogenilo ,  $  5. 

f/c  5nin<-0Hc7i/in,  Sainl-Qiienlin,   1887,  p.  7^-  '''  Summa,  clmp.  lu, De  curia,  S  V)  {p.  lio). 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  141 

ment  des  cours  royales:  il  distingue  trois  catégories  de  cours,  et  il  les 
désigne  par  des  expressions  qui  s'appliquent  aux  réunions  de  ces  cours 
mieux  qu'aux  cours  elles-mêmes;  à  savoir  :  l'Echiquier,  l'assise,  le 
plaid.  Tels  sont,  dans  le  système  du  jurisconsulte,  les  trois  degrés 
de  justice.  Les  plaids  sont  les  assemblées  judiciaires  pour  les  affaires  de 
minime  importance.  Toutes  les  alTaires  importantes  doivent  être  plai- 
déesen  assise  par-devant  le  bailli,  ou  en  Échiquier''^  L'Échiquier  est 
une  véritable  cour  d'appel;  sa  mission  est  ainsi  exposée  :  De  ballivis  et 
aliis  mlnuribns  justiciariis  errata  corrigere,  minus  discrète  in  assisiisjudicata 
revocare.  .  .  Au-dessus  de  toutes  ces  cours,  le  prince  lui-même  possède 
la  plénitude  du  pouvoir  judiciaire''^'.  C'est  là  une  doctrine  constante 
au  moyen  âge.  Elle  trouve  ici  son  écho;  voici  en  quels  termes  le 
jurisconsulte  nous  fait  connaître  la  mission  de  l'Echiquier  :  Cuihbet, 
lannaam  ex  ore  pnncipis ,  justicie  reddere  plenitndinem  inddate.  Si  l'Echi- 
quier rend  la  justice  au  nom  du  roi,  il  est  chargé  aussi  de  sauve- 
garder tous  les  droits  royaux  :  ej us  jura  penitus  observare,  maie  ahenata 
revocare  ''*'. 

Les  contestations  sur  la  compétence  sont  le  pain  quotidien  dès 
hommes  de  loi  au  moyen  âge,  et,  parmi  toutes  ces  contestations,  les 
plus  fréquentes  de  toutes  sont  celles  qui  ont  pour  point  de  départ  le 
privilège  de  cléricature.  La  Coutume  de  Normandie  posait,  à  cet 
égard ,  cette  règle  :  NuUus  autem  clericus  vel  persona  ecclesiastica  sea  reli- 
(jiosa  débet  capi  vel  arrestan ,  nisi  ad  presens  malejicium  captus  vel  detentus 
juentvel  (juouscjue captus  cum  clamore  haroujuerit  insecutus,  et Ecclesie débet 
reddi  ipsnm  reffuirenti  '*'. 

Le  lecteur  sent  bien  que  des  contestations  nombreuses  s'élevaient 
autour  de  cet  article,  car  il  sait  déjà  que  l'archevêque  de  Rouen  et  ses 

'  '  Chap.  nu,  De  haroii.i-],  8;  chap.  liv.  De  d'un  compilateur  du  xv' siècle,  Pierre  Le  Petit  : 

tt«tsia;cliap.  LV,DeScae«no(édit.Tardif,p.  i43-  «  Le  sergent  d'un  bas  justicier  ne  pourroit  faire 

145).    Cette   tenninologie    tripartite  est-elle  «  exécution  sans  mandement  hors  de  celles  (les 

d'un  usage  constant  ')  Nous  n'oserions  l'alTinner.  «  lettres)  qui  sont  passées  au  pks  du  lieu  »  (  Bilil. 

Toutefois  telle  locution  qui  parait  discordante,  nat. ,  fr.  5333,  fol.  i33  r°). 

celle-ci   par  exemple  :  in  assisiis  vicecomitatus  '''  liejc  est  jadex  simpliciter  et  generaliter, 

(chap    Lix,  Deplegiis,i  lo,  ibid.,  p.  i5i),est  sine   contesUttione   et   determinatione   et   restric- 

peut-être,  au  contraire,  en  parfaite  harmonie  tionv  { Liber  practicas  de  consuetiidine  Remensi, 

avec  les  définitions   ci-dessus  relatées,   car  il  73,  dans  Varin,  Archives  législatives  de  Reiins, 

s'agit  probablement  d'assises  présidées  par  le  1"  partie,  Coutumes,  p.  85). 

bailli  dans  la  vicomte.  Le  mot  «plaid»  est,  à  ''*  Chap.  tv.  De  Scacario,  S  i,p.  i45. 

coup  sur,  employé  tout  à  fait  suivant  l'esprit  '*'  Chap.  i.xxxit.  De  clericis  et  personis  eccle- 

desdélinitionsde  notre  futeurdanscettephrase  siasticis ,  p.  197. 


142  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

sufFragants  éprouvèrent,  en  i3o2,  le  besoin  de  le  faire  confirmer 
expressément  par  le  roi  de  France;  confirmation  qui  devait  transfor- 
mer ce  chapitre  important  du  Coutumier,  œuvre  privée,  en  un  texte 
officiel  ayant  valeur  et  force  de  loi^''.  Cette  transformation  ne  changea 
rien  au  fond  des  choses  :  les  querelles  ne  cessèrent  point.  On  pourrait 
croire,  en  lisant  ce  chapitre  de  la  Coutume,  que  le  clerc  pris  en  fla- 
grant délit  pourra ,  non  seulement  être  arrêté  par  le  pouvoir  civil ,  mais 
aussi  quelquefois  être  jugé  par  ce  pouvoir;  car  il  est  dit  tout  simple- 
ment qu'il  sera  rendu  à  l'Eglise,  si  elle  le  réclame  :  Ecclesie  débet  reddi 
Ipsum  recfuirenti.  Mais  cette  hypothèse  d'un  jugement  rendu  sans  diffi- 
culté par  le  pouvoir  civil  est  purement  gratuite,  car  en  regard  de  ce 
texte  il  faut  placer  les  nombreux  canons  de  conciles  normands  du  com- 
mencement du  XIV"  siècle  qui  interdisent  d'une  manière  générale  aux 
justices  civiles  de  statuer  sur  le  cas  d'un  clerc  pris  en. flagrant  délit  ou 
après  clameur  de  haro.  Par  conséquent,  l'Eglise  ne  réclame  pas  le  clerc 
dans  telle  ou  telle  circonstance;  elle  le  réclame  d'une  manière  absolue 
et  générale  :  elle  le  réclame  toujours.  Bien  entendu,  les  justices  civiles 
ne  font  pas  droit  ou  ne  font  pas  toujours  droit  à  cette  prétention,  et 
les  plaintes  de  l'Eglise  sont  incessantes.  Elles  se  produisirent  notam- 
ment au  concile  de  Vienne  en  1 3 1 1 .  Les  doléances  de  la  province  de 
Rouen  sont  ainsi  résumées  :  Provincia  Kothomacjensis  diceiis  (juod  super 
Jadis  personahbus,  et  presertim  in  auihusjuit  clamor  de  aro,  ad  respondendum 
coram  se  ipsos  clericos  nituntur  compellere  ipsijudices  seculares^'^K  La  solu- 
tion prise  par  le  concile,  si  tant  est  que  le  concile  lui-même  ait  statué, 
ne  nous  est  pas  parvenue '^l  Mais  nous  avons  cet  avis  sommaire  d'une 
commission  du  concile  :  Super  xiif  articula,  ubi  agitur  cjuod  (luidam  cle- 
ricos, super  delicto  ubijuent  clamor  de  haro,  nolentes  starejuri  coram  secu- 
lari  judice,  si  per  innuestam  laicorum  culpatos  eos  invenerint ,  emendam 
preslare  compellunt  :  —  Reprobetur  et  provideatur  debite^'^K  Ce  reprohetur  et 
provideatur  débite  est,  ce  semble,  une  allusion  à  l'excommunication '^^ 
(bien  usée  au  xiv*  siècle). 

''   Ord.,  t.  1,  p.  348.  Cf.  ci-dessus,  p.  70.  impnnitatem  excessaum  obtinere  speriintes ,  non- 

'*'  Elhiie,     Ein    Braehstûck    der   Acten   des  niiUa   multoties   cominittiint   enormia,  per   qtite 

Coiicil*  von  Vienne ,  dan»  Archiv  fur  Litlei-atur-  nimiram   diffamatnr    Ecclesia (Clémen- 

und  kirchengescliichle ,  t.  IV,  p.  10.  tines,  1,  ix,  De  ojficiojudicis  ordinarii ,  1.) 
'*'  Nous  possédons  une  décision  du  concile  '''  Ehrle ,  loc.  cit. ,  p.  44. 

de  Vienne  signalant  aux  évoques  l'audace  des  '*'  Voir    notamment   Khrle ,  ibid. ,    p.  43  : 

clercs  qui  prétexta  privilegii  dericalis   ordinis  Saper  x°  articalo,  etc. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  143 

À  ces  luttes  de  compétence  au  sujet  des  clercs  se  rattachaient  des 
intérêts  pécuniaires,  qui  en  sont  fort  souvent,  au  moyen  âge,  l'expli- 
cation la  plus  vraie.  Ici  l'Echiquier,  par  arrêt  de  1267,  s'était  efforcé 
d'assurer  le  payement  d'une  amende  en  cas  de  condamnation  d'un 
clerc  :  «  En  l'Echiquier  mil  11"  lxvii  fut  jugié  que  clers  prins  pour  cry 
«de  haro,  s'ilz  sont  actains,  pairont  amende,  pour  ce  que  le  roy  est 
«de  ce  en  saisine  et  que  c'est  fraction  de  pais,  laquelle  il  est  tenu 
«  garder  par  toute  sa  terre ''l  » 

Les  débats  sur  le  droit  de  patronage  ont  été  aussi  l'occasion  de  que- 
relles sans  fin  entre  l'Église  et  l'État,  querelles  qu'on  ne  soupçonne- 
rait pas  si  on  s'en  tenait  au  texte  du  Goutumier.  La  grande  enquête 
ordonnée  en  i2o5  par  Philippe  Auguste  sur  une  série  de  questions 
relatives  aux  rapports  de  l'Église  et  de  l'État  porta  en  première  ligne 
sur  la  compétence  en  matière  de  patronage  :  les  barons  normands 
affirmèrent  que  les  contestations  sur  le  droit  de  patronage  étaient  ré- 
solues in  cnria  régis  vel  in  curia  dominifeodi''^K  Les  barons  ne  paraissent 
pas  avoir  la  moindre  hésitation  sur  la  compétence  (ils  ne  s'occu- 
pent, il  est  vrai,  que  du  cas  où  le  patron  est  un  laïque).  Un  peu 
plus  tard,  en  1207,  les  prélats  de  Normandie,  sans  contester  la  com- 
pétence de  la  cour  laïque,  demandèrent  que  l'Eglise  fût  représentée 
dans  l'enquête  qui  précédait  et  préparait  la  décision  du  tribunal 
laïque;  ils  souhaitaient  que  le  jury  fût  toujours  composé  de  quatre 
prêtres  et  de  quatre  chevaliers '^^  Philippe  Auguste  fit  droit  à  cette 
requête  par  mandement  adressé  en  octobre  1207  à  ses  baillis  de 
Normandie'''^;  mais,  par  une  ordonnance  communiquée  peu  après 
aux  évêques,  le  roi  retira  évidemment  une  partie  de  ce  qu'il  avait 
accordé  :  ici,  en  effet,  Philippe  Auguste  n'adopte  plus,  pour  toutes 
les  contestations,  le  système  proposé  par  les  évêques;  il  se  con- 
tente d'appliquer  le  jury  mixte  aux  débats  entre  laïques  et  personnes 
d'Eglise  ou  aux  débats  entre  deux  ecclésiastiques '^^.  L'ordonnance  que 

'"'  Ms.  fr.  5333,  fol.  208   r°  (compilation  '''   Littere  prelatorum    Normannie  (Teulet, 

de  Pierre  le  Petit).  Cet  arrêt  ne   figure  pas  Layettes,  t.  I,p.  3io). 

dans    L.    Delisle,    Recueil    des   jugements  de  '*'  Le    Très  ancien  Coutumier,    texte    latin, 
l'Echiquier    de    Normandie    (année    1367);  il  chap.  i.\xvii,  De  présent,  ad  eccles.,  édit.  Tar- 
se trouve  en  latin,  mais   sans  date,  dans  les  dif,  p.   75-78   (L.   Delisle,  Cat.  des   actes  de 
Magni  rotali  Scaccarii  de  Léchaudé   d'Anisy,  Philippe  Auguste,  n°  io5o). 
p.  i5o.  f)  L.  Delisle,   Cat.    des   actes    de    Philippe 

'''  Léchaudé  d'Anisy,  Magni  rot uli  Scaccarii  Auguste,  n°    io5i.  Cette  lettre  de  Philippe 

Normanniœ,  p.  i44-  Auguste,  précédée  de  la  requête  des  évêques. 


144  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

nous  analysons  ne  dit  pas  un  mot  des  débats  entre  contendants 
laïques.  Par  suite,  elle  laisse  subsister  en  ce  cas  le  régime  habituel  des 
enquêtes.  Ce  système  du  jury  mixte  dans  certains  cas,  du  jury  ordi- 
naire dans  les  autres  cas,  est  précisément  celui  du  chapitre  ex  :  De 
brevi  de  jnre  patronatas;  l'auteur  y  décrit,  dans  les  paragraphes  i  à  6, 
la  procédure  usuelle  des  enquêtes;  dans  les  paragraphes  7  et  suivants, 
il  passe  au  jury  mixte.  Que  le  jury  mixte  ou  le  jury  ordinaire  ait  pro- 
cédé à  l'enquête,  c'est  le  tribunal  laïque  qui  statuera  sur  le  droit  de 
patronage,  sauf  à  l'évêque  à  conférer  le  bénéfice  à  qui  de  droit,  en  se 
conformant  à  la  décision  de  principe  du  tribunal.  Cette  solution  était 
en  contradiction  avec  le  texte  d'un  accord  de  1 190  que  nous  avons 
déjà  cité  :  Niillafiet  recocjnido  in  foro  seculari  snper  possessione  (juam 
viri  religiosi  vel  (jiiecumaue  ecclesiastice  persane  xx  annis  vel  amplius  posse- 
derint.  Similiter  nuUafiet  recognitio  si  carta  vel  alio  modo  eleemosmatam  esse 
possessionem  prohare  poterint;  sed  ad  ecclesiasticos  jndlces  renutlentu.r^^\ 
Vers  i3oi,  en  un  temps  où  Philippe  le  Bel,  qui  avait  besoin  des 
ecclésiastiques,  faisait  à  l'Eglise  concession  sur  concession,  on  peut 
citer  encore,  sinon  une  application  stricte  de  ce  principe  ancien,  du 
moins  une  dérogation  aux  règles  de  notre  Coutumier  :  l'abbé  de  Saint- 
Ouen  de  Rouen,  à  propos  d'un  litige  sur  une  question  de  patronage, 
soutint,  à  cette  époque,  dans  une  requête  «  au  roi  et  à  son  noble  con- 
«seil»,que,  «le  content  étant  entre  personne  d'Eglise  et  personne 
«  laie  » ,  on  devait  étudier  avant  tout  la  question  de  savoir  si  la  pro- 
priété du  patronage  n'appartenait  pas  à  l'Eglise  par  concession  royale 
ou  ducale,  examiner  ensuite  qui  était  en  possession ,  et,  en  cas  de  con- 
statation favorable  à  l'Eglise,  statuer  d'autorité  sans  enquête  légale  au 
profit  de  l'Eglise.  Nous  ne  forçons  pas  les  textes  en  disant  que  l'abbé 
de  Saint-Ouen  demande,  au  résumé,  une  enquête  officieuse  ou  de 
complaisance  au  lieu  d'une  enquête  régulière.  Philippe  le  Bel  fit  droit 
à  cette  supplique  :  il  ordonna  au  bailli  d'informer  et,  en  cas  de  con- 
statation favorable  à  l'Église,  de  statuer  sans  enquête  proprement 
dite.  Tel  est  le  sens  de  cette  décision  royale  :  Ipsos  ahbalem  et  conventum 
super  hoc  in  strepita  jiïdicii  seu  processu  litis  ponere  aut  alias  (^aocfiio  modo 


figure  dans  un  petit  nombre  de  manuscrits  du  '*'  Radulfus  de   Diceto,    Ymagines  historia- 

Grand  Coutumier,  entre  les  chapitres  r,x  et  CXI         mm,   édit.  William  Stubbs,   t.   Il,  I.ondon, 
(cf.  Tardif,  p.  273,  note  4).  1876,  p.  87. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORM\NDIE.  145 

dejatigare  non  présumas,  sed  militem  ipsiim  super  oppositwne  predicta  ces- 
sare  facias  et  ad  desistendum  Jirmiter  compellas^^K  Le  roi  déroge  ici  au 
droit  commun  en  faveur  d'une  église  (tout  comme,  à  l'occasion,  il 
sait  y  déroger  dans  son  propre  intérêt  )*'^l 

Pareille  solution  est  exceptionnellement  bienveillante.  Et  cepen- 
dant, en  thèse  générale,  le  clergé  voudrait  davantage.  Il  prétend, 
en  effet,  en  toutes  contestations  sur  patronage  d'églises,  échapper 
entièrement  aux  juridictions  civiles.  En  i3ii,  lors  du  concile  de 
Vienne,  le  clergé  normand  contesta  la  compétence  des  tribunaux  ci- 
vils qu'il  avait  paru  accepter  en  i2o5.  Voici  le  résumé  textuel  de 
ses  doléances  :  Provincia  Rothomagensis  dicens  (juad,  Ucet  causa  jnris 
patronatus  super  benejicin  ecclesiastico  adeo  sit  spirituallbus  annexa,  (jnod 
non  nisi  [ai]  ecclesiastico  jadice  valeat  diffiniri,  attamen  judices  seculares  de 
ea  cocpioscnnl  et  diffuiiant^^\  On  peut  dire  que  cette  requête  vise  toute  la 
procédure  décrite  au  chapitre  ex  de  notre  Coutumier. 

Que  lit  la  commission  du  concile?  Elle  temporisa  :  Super  secundo 
articnlo,  nbi  acjitur  de  cognitione  juris  patronat  us,  etc.  : — Locjuendumestpre- 
latis  illias  proviiicie  et  procuratori  capitulorum  (jui  dédit  istud  (jravamen^'*\ 
L'embarras  de  la  commission  est  visible.  Elle  se  trouvait  en  face  d'une 
ordonnance  royale  et  d'une  jurisprudence  constante  qui  faisaient 
échec  aux  prétentions  du  clergé.  Ces  réclamations  n'eurent  aucun 
succès.  Dans  le  temps  même  où  elles  se  produisaient,  le  bailli  de 
Caen  statuait,  sans  hésiter,  sur  une  contestation  de  cet  ordre  entre  lé 
roi  de  France  et  l'abbaye  de  Troarn  (notons  à  cette  occasion  que 
le  bailli  jugea  en  toute  indépendance  contre  le  roi)'*l 

Les  tribunaux  civils  s'habituèrent  à  considérer  le  droit  de  patro- 
nage comme  un  accessoire  du  droit  de  propriété,  accessoire  qui, 
assimilé  à  tout  autre  droit  réel,  était,  par  suite,  de  leur  compé- 
tence'®). 

Sans  nous  attarder  davantage  sur  l'organisation  judiciaire  et  sur 

'''  Bibl.nnt.,  collection    Moreau,  acte   de  '*'  héchuxidé  d'Anhy,  Mugni  roliili  Scaccarii 

Philippe  le  Bel  en  copie  du  xviir  siècle.  Norm.,  p.  208,  aoq. 

'*'   Bibl.  nat. ,lat.  1091 9,  fol.  90.   Cf.  Lan-  '"'  Le  concordat   messin  de    i486    est  très 

gloh.   Textes    relatifs   à   l'hùt.  da   Parlement,  favorable  à  l'Eglise.  Il  décide  néanmoins  que, 

p.  i5o.  dans  les  affaires  bénéliciales,  s'il  est  question 

'''  Khrle,  toc.  cit.,   p.  ni,  'lo..  de  la  seigneurie  «ou  seroit  le  patronage,  le 

'**  Ehrle,  ibid.,  p.  /i/i.  Il  n'y  a  rien  sur  cette  «droit  permet  que  le  juge  séculier  puet  con- 

question  dans  les  Clémetitines ,  Il  I ,  xir,  De  jure  «  noistre  de  la  seigneurie  qui  tire  le  patronage 

patronatas  (concile  de  Vienne).  «a  soy  »  [Histoire  de  Metz,  t.  VI,  p.  324). 

HIST.  LITT.   XX\  Kl 


146  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

les  questions  de  compétence,  très  sommairement  traitées  dans  le 
Grand  Coutumier,  nous  arrivons  à  la  procédure. 

Un  trait  d'un  intérêt  général,  car  il  jette  un  jour  très  vif  sur  la 
société  féodale,  est  consigné  au  chapitre  i.ix,  De  plegiis.  L'auteur 
nous  apprend  que  le  vassal  est  tenu  en  toute  circonstance  de  se 
porter  pleige  de  son  seigneur  :  s'il  ne  vient  pas  volontairement  pleiger 
son  suzerain,  il  est  appelé  en  garantie  par  celui-ci.  Une  pareille  obli- 
gation complique  tous  les  procès,  car  elle  introduit  ou  peut  toujours 
introduire  dans  les  débats,  en  les  mêlant  aux  plaideurs  principaux, 
des  plaideurs  de  seconde  catégorie  :  les  pleiges  féodaux  ;  ils  ne  sont 

Î>as,  d'ailleurs,  garants  solidaires  et  pour  le  tout.  Voici  la  limite  de 
eur  responsabilité  :  Notandum  est  cjiwd  omnes  homagiati  dnminum  muni 
tenentiir  plegiare  de  debitis  suis,  ita  tamen  (jaod  nullus  tenetur,  ultra  valo- 
rem redditas  vel  faisanciarum  (juas  ei  débet  per  unum  annum,  ipsum  ple- 
(jiare^^K  La  Coutume  de  Normandie  et  celle  de  Bretagne  ont  conservé 
jusqu'à  la  fin  de  l'ancien  régime  un  souvenir  de  cette  antique  obli- 
gation de  pleigerie  de  tout  vassal  envers  tout  suzerain'^'  :  devoir  de 
pleigeriequi  a  disparu  ailleurs  de  bonne  heure,  et  qui  probablement 
même  n'a  jamais  été  général  dans  les  temps  féodaux.  Salvaing  constate 
qu'en  Dauphiné,  dans  la  première  moitié  du  xiv*  siècle,  certains  fiefs 
seulement  y  étaient  astreints  :  on  les  appelait  «fiefs  de  plejure*^'». 
Boutillier,  à  la  fin  du  même  siècle,  s'occupe  aussi  de  ces  «  fiefs  de 
plejure  ».  Il  les  considère  comme  des  fiefs  d'une  nature  toute  spéciale 
et,  de  plus,  il  ne  les  connaît  pas  directement.  Il  en  parle  de  seconde 
main,  et  peut-être  son  dire  est-il  en  partie  inspiré  précisément  par 
notre  Grand  Coutumier  normand  :  «  Encore  dient  les  sages  qu'il 
«  y  a  un  autre  hommage  qui  est  appelle  hommage  de  plejure,  car 
«  l'homme  doit  faire  plejure  pour  son  seigneur  pour  l'honneur  de  luy, 
«  et  tout  ce  est  en  droict  et  par  raison  '*'.  » 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  faire  remarquer  ici  que,  déjà  à  l'époque 

•''  Chap.  Lix,  Deplegîis,  S  lO  (p.  i5o,  i5i).  Lyon,  1621,  p.  819.  Toutefois,  dans  le  même 

On  peut  voir  un  exemple  de  pieigerie   dans  chapitre,  l'auteur,  décrivant  la  réi-émonie  de 

L.  Delisle,  Carlulaire  Kornuttid ,  p.  ga.n'Siy  l'hommage,   parait  admettre  que  tout   vassal 

(  1 5  avril  1 25d  ).  doit  être  «  tout  prest  d'ester  en  droict  pour  son 

'*'  Coutume  de  Normandie  de  1 583, art.  3o5.  «seigneur,  se  mestier  estoit  »  [ibid.,  p.  818); 

Coutume  de  Bretagne  de  i58o,  art.  85.  notion    qu'il    a,  sans  doute,  empnmtée    sans 

'*',  Salvaing,  Traité  de  l'usage  des  fiefs,  A\[-  réflexion     précisément    au   Grand  Coutumier 

gnon.  1731,  p.  383.  (chap.  xxvii,  Dr  homaglo,  S  6,  édit.  'l'ardir, 

'*'   Boutillier,  Somiiie  rural,  1 ,  83 ,  édit.  de  p.  ().)-o6). 


i 


LKS  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


\'il 


franque,  une  obligation  depleigerie  reliait  entre  eux  tous  les  membres 
du  groupe  appelé  dans  les  textes  du  temps  mitium^^K 

Les  parties  peuvent  se  faire  représenter  en  justice  par  un  procu- 
reur appelé  attornatas  (attourné),  sauf  pourtant  en  certaine  catégories 
d'affaires  où  elles  doivent  comparaître  en  personne'^'.  L'avocat  est  tout 
à  fait  distinct  du  procureur  ;  sa  présence  suppose  celle  de  la  partie  ou 
celle  de  l'attourné,  représentant  de  la  partie. 

Les  procédures  sont  orales'^',  et  certaines  formules  rigoureusement 
fixées  ont  un  caractère  pour  ainsi  dire  rituel.  Dans  les  actions  de  ro- 
berie  et  de  trêve  enfreinte,  par  exemple,  le  plaignant  doit  prononcer 
notamment  les  mots  «en  la  paix  de  Dieu  et  du  duc,  en  félonie''*'»  : 
ces  mots  sacramentels,  légués  par  la  tradition,  se  retrouvent  en  An- 
gleterre'*l  Voici  la  formule  complète  de  l'action  de  roberie  traduite 
en  latin  :  Egu  (jneror  de  Thoma  qui  me  in  pace  Dei  et  dncis  asscdtavit  in 
felonia  et  verberavit  me  et  miln  plagam  fecit  et  sangmnem,  et  abstidit  mihi 
capam  in  roheria,  unde  me  harou  opurtuit  clamare.  Le  plaignant  qui  s'est 
trompé  de  formule  ne  peut  en  employer  une  autre  et  succombe 
dans  sa  demande.  Telle  est,  du  moins,  la  doctrine  du  Parlement'^'. 
Le  défendeur  est  traité  moins  rigoureusement  :  s'il  a  tout  d'abord 
fait  une  réponse  improvisée  et  qui  n'est  pas  juridique,  on  lui  accorde 
la  faculté  de  se  reprendre  après  avoir  demandé  conseil,  et  de  for- 
muler une  autre  réponse  plus  régulière;  cette  réponse  sacramentelle 
doit  être  la  dénégation  mot  pour  mot  de  la  demande  [negante  verbo  ad 
rerZ»Hm)'^'.  L'auteur  du  Très  ancien  Coutumier  enseigne  ici  que  le 
défendeur  pourra,  pour  éviter  quelque  inexactitude,  se  contenter  de 


'''  Hilperici  reijis  edictiim,  6,  dans  Behrend, 
LexSalica,   'i'  édit. ,  VVeiinar,  1897,  p.  i53- 

'*'  Notamment  «  loi  prouvable  ,  desresne  » 
(cliap.  cxxiv,  De  lege  apparenti,  S  a ,  p.  338). 
Chap.  Lxiv,  De  ullonialo,  p.  160-161.  Cf. 
chap.  LXlii,  De  prolociitore ,  ibid.,  p.  iSS-iSg. 

'''  On  voit  cependant  poindre  l'écriture  : 
Si  quis  aiitein  recorilalionem  pciat  et  recordalores 
in  scriptis  reduxerit,  etc.  (chap.  cix.  De  recor- 
datione  pelita ,  S  5,  p.  a64)-On  peut  joindre  ce 
qui  sera  dit,  à  la  lin  de  cet  exposé,  des  brefs 
qui  reviennent  si  souvent  dans  la  procédure 
nomiande  et  des  jugements  écrits  de  l'Kchi- 
quier. 


'*'  Chap.  Lxx ,  De  roberia ,  S  1  ;  chap.  i.xxi ,  De 
treugafracta,  S  3  (p.  179-180);  cf.  chap.  lxxiv, 
De  assailli  et  fracta  pace,  S  /i  [ibid.,  p.  i84). 

'''  Dracton ,  liv.  III ,  traité  li ,  chap.  xix,  S  a  , 
édit.  Travers  Twiss,  t.  II,  p.  l\.\o. 

'"'  Secmidnnt  consuetudinem  Francie  ex  quo 
iiliquis  cadil  a  peticione  sua  secundum  anum  mo- 
diim  petendi,  nisi  de  iiovo  emerserit,  non  débet 
aiidiri  (Beu},'not,  Olini,  I,  470).  Cf.  Brunncr, 
IVort  iiiul  Form  im  altfranzôsischen  Prozess , 
dans  Forschungen  znr  Ge^chicble  des  deiitschen 
tind  franzôsischen  Redites,  Stuttgart,  1894, 
p.  378-379. 

'''  Chap.  L\\,  Dfl  roAena,  $3 ,  p.  179-180; 
chap.  i.xxiv,  De as.ialtit  el  fracta  pace,î'n  , p.  i84. 


'9- 


148  LES  €()UTUM1ERS  DE  NORMANDIE. 

dire  :  Effo  penmfo  per  eadein  verlta  per  (fue  me  replalis^^K  L'emploi  de 
Vavocat  («conteur»  ou  «  avanlparlier»)  vient  aussi  atténuer  la  ri- 
gueur du  formalisme:  en  eflet,  la  partie  qui  a  institué  un  avocal 
ne  prononce  pas  elle-même  les  formules  :  elle  devra,  après  le  dire  de 
l'avocat,  avouer  ou  désavouer  les  paroles  prononcées  par  celui-ci;  Si 
elle  désavoue,  on  pourra  recommencer  la  procédure;  mais  alors  uu 
'  autre  avocat  sera  institué  et  prononcer?  la  formule ^^l  .  ,il  . . 

l^es  chapitres  cxxii  à  cxxiv  du  Grand  Coulumier  contiennent  une 
sorte  de  généralisation  des  procédures  diverses  décrites  dans  l'ou- 
vrage. L'auteur,  dont  nous  utiliserons  le  résumé  en  nous  efforçant  de 
l'éclairer,  ramène  toutes  les  procédures  normandes  à  trois  grands 
groupes  qu'il  appelle  lex  probabilis  vel  numslralis  (loi  prouvable  ou 
monstrable);  disraisiiia  (desresne)'*';  lex  appareils  (loi  apparissant).    [^ 

Les  procédures  dites  lex  probabilis  et  disraisnia  sont  usitées  l'une  «t 
l'autre  dans  les  affaires  peu  importantes,  dont  la  valeur  ne  dépassie  pas 
dix  sons.  Elles  sont  souvent  réunies  sous  cette  qualification  cominune  : 
lex  simplex^'*\  et  ne  font,  en  effet,  dans  leur  structure  générale,  qu'une 
seule  et  même  procédure.  Notre  auteur,  s'essayant  à  une  synthèse 
générale  de  la  procédure,  pourrait  bien  avoir  créé  lui-même  cette» 
classification  et  cette .  expression  de  lex  probabilis,,  c^\il  ne  figure  quitj 
dans  les  chapitres  cxxii  et  cXxiit.»/!.  a.-!  lu'nfjii    t?  r,\ 

Dans  la  lex  probabilis  ou  monstralis,  la  preuve  incombe  à  la  partie 
dont  un  acte  est  contesté  :  elle  doit  prouver  son  fait.  Cette  preuve  est 
fournie  ])ar  le  serment  de  la  partie  seule  ou  par  le  serment  de  la 
partie  et  d'un  cojureur,  de  là  partie  et  ,d'un  nombre  variable, de  ço- 
jureurs.  Nous  choisissons  avec  intention  dans  le  Grand  Coutumier  un 
exemple  exposé  un  peu  sommairement  par  l'auteur  et  où  se  ren- 
contre une  expression  qiii  peut  prêter  à  ramphibolbgié  et  qu'il  sera 
bon  d'expliquer  :  un  demandeur  s'exprime  ainsi  :  «  Vendidisti  mihi 
porcnm  \xx  denarios;  eos  habaisti  :  porciim  peto.  »  Le  défendeur  prétend 
avoir  livré  le  "porc.  Responso  ab  altero  :  nVeriim  est,  sed  porcum.  fibi 
Iradidi;  qiiod paratns  sam  probare.  »  Il  fera  cette  pi'eUve  par  son  serment, 

•     ■'  •  "  '.'•'.'''■.■■:,         '  ■  ■  ■       ■  '  ■.  •■.-..  ■     '  .         ...    V 

''!  7Vè.<nHcii'nCoH(<»mier,  ti'x/e/«jJiB,ç,hap.i.XU.  est  consacré  à  l'.exposé  ,  de  la  procédure  ..par 

De  qiieslione  mota,  \t.  !\'i-\)i.     ..  ...A-.. •«,■'.   >'  ,<•  desresiie  (édit.  Tardif,  p.  aoo-îoG),  dont  lau- 

.  ,<''  Chap,  i.xiU'.  lie  piolocnloFe,  p.  1 58-1 60.  teur  s'occupe  de  nouveau  4U  chapitre  CfJiU^, 

Il  faut  lire  sur  ce  formalisme  normand  Brun-  De  disraisnia  (p..3u§-33i).        i„-,<,fT  l/.c  ar- 

ner,.  Woii  and ForiH.\>i  tCto-i^i^.  '*'  Chap, i,xxxV;f<,i)«, 9U('rrjapoj«>.<Wpiia{<,i|^t 

; .['}  J^e  diapitre.  i,îi\xv,  Jk.iimpliicibuf  ktfibus.  p.  a  1  o.                                                         .   ,  „  . 

•  tri 


LES  COUTL'MIERS  DE  NORMANDIE.  149 

confirmé  par.  celui  de  deux  cojureurs.  Hec  probahilia  per  actoris  et  alio- 
ram  diiorum  sacramenta  poterit  celebrari.  Actor  ne  doit  pas  ici  être  traduit 
par  M  demandeur,  »  mais  bien  par  «  la  partie  qui  a  agi  »,  ou  mieux  «  la 
partie  qui  doit  prouver  son  acte  »  (  la  livraison  du  porc)''l 

Dans  la  procédure  dite  desresne,  la  preuve  incombe  à  la  partie  qui 
nie  un  fait  à  elle  imputé.  On  remarquera  que  celui  à  qui  incombe  la 
desrtesne  (ou  la  lex prohabilis)  est  le  défendeur;  quant  au  demandeur, 
il  lui  suflit  pour  mettre  en  mouvement  cette  pi'océdure  de  produire 
à  l'appui  de  sa  plainte  un  témoin  de  visu  et  auditu.  «Je  me  plaing 
«  dé  G.,  dira  un  demandeur,  qui  me  feri  de  sa  paume  en  la  joe.  »  Le 
témoin  reprendra  :  «  C'est  voir,  je  le  vi  et  l'oï.  »  Après  quoi,  le  querellé 
offrira  la  desresne  en  ces  termes  :  «  Tel  mesfait  ne  fis  je  oncques.  Et 
«cil  qui  tesmoing  s'en  fait.ne  le  vit  rie  n'oit,, et  sui  prest  de  mien 
«  desrenier.  »  Il  baillera  en  même  temps  son  gage  de  faire  la  desresne. 
Au  jour  dit,  on  recordera  les  paroles  par  lesquelles  on  s'est  engagé,  à 
la  desresne;  elle  s'accomplira  par  le  serment  du  défendeur,  ainsi  conçu: 
•  Ge  oies  tu.  P.,  que  je  tel  njesfaict  ne  te  feis  oncques;  ne  ton  tesmoing 
«ne:  le  vit  ne  n'oït.  Si  m'aïst  Diex  et  ses  sains  I  »  Et  les  cojureurs  à  leur 
tour.;  «Du  serement  que  Guillaume  a  juré  sauf  serement  a  juré.  S\ 
«,  m'aïst  Diex  et  ses  sainsJ  »  Dès  lors,  le  défendeur  aura  gagné  sa  cause 
qt  le  demandeur  sera  condamné  à  l'amenderai        ,1  .  , 

t  AGes  deux  procédures,  lex  prohabilis  et  *  desresne,  »  sont  identiques, 
à  cela  près  que  le  serment  est  afTirmatif  dans  la  lex  probabihs ,,nêgdA'ii 
dans  la  desresne.  ••^'.••infi'diil»  idkI  ^'♦Tjjhojo'iq  /ii'»ii  ^wr^nm  ^i)fif>(inui( 
:  On  s'est  souvent  étonné  d'un 'système  qui  met^irisila  preuve  à  Ift 
charge  du  défendeur.  Mais  ce  que,  nous,  appelons  ici  "la  preuve  est 
d'une  extrême  simplicité.  .Ge  n'est  autre  chose  que  le  serment  de 
la  partie^  fortifié,  confii^mé  la  plupart  du. temps  par  celui  d'un  ou 
de -plusieurs  cojureurs.  Nous  imposons  aujourd'hui  ,1a  preuve  au  dçn 
mandeur,  parce  que  c'est  une  charge  dans  notre,  droit;  le  législateur 
normand  remettait  au  contraire  la  preuve  au  défendeur;  mais  c'était 
là,  pour  ce  dernier,  ,}yi  véritable  pj:i,yilçgç,  «^(ansles  deux  cas,  par 

•  "  «• -fj  *-\  .lurr  .iitf  .<|  .jnniy  Wo. 

.■■Ai\   )ù   r'    :        ■  .  ...  .'     .'■'..,:,./  ,  !|    .!.  .>\  •','...,,>. • 

'"'  Chap.'  cxxil,  De  lege  probabili  vei  mons-  •     '*'  Gbàp.  :L\TiXlv,' De  simpUci  tfuerela  perso- 

trali,  S  5.  La  traduction  française  ne  s'embar-  nati;  chap.  Lxxxv,  De  simpUcibaslegibiu,  p.  1 98- 

rasse  pas  (lu  mot  ofJo/- et  rend  fort  bien  le  sens  'loi.  Le  texte  français  .que  ..nous  citons  est 
de  la  phrase  :  «Geste  preuve  puet  estre  faicte    .     empruntç  au  juannscrit  fj-.   SGgi,  foL  ^9  r* 

«  par  soi  et  par  deux  aultres.  »  et  v°.  ..:!•,  '.■>  -;- 


150  LES  COUTLMIERS  DE  NORMANDIE. 

M  conséquent  »,  comme  l'a  fait  obseiTer  justement  M.  Beaudouin,  «  c'est 
«  le  défendeur  qui  a  la  bonne  position'*'.  »  Et  il  en  doit  être  ainsi  dans 
l'intérêt  de  la  vérité  et  de  la  justice.  «  Etant  donné  que  l'on  s'en  rapporte 
«à  la  déclaration  de  l'une  des  deux  parties,  celle  des  deux  qui  est  le 
«  mieux  à  même  de  savoir  la  vérité  et,- par  conséquent,  celle  qu'il  vaut 
«  le  mieux  croire,  c'est  ordinairement  le  défendeur.  Cette  observation 
«  est  surtout  frappante  dans  les  actions  fondées  sur  un  délit'^'.  »  C'est 
ce  qui  est  fort  bien  dit  dans  le  Grand  Coutumier  :  Et  (fuoniam  proprii 
facti  nnusqiiisoue  presamitur  scire  meliiis  veritalem,  disraisnia  de  facto  mwd 
ei  objicitur  concedilur  insecato^^K  Ainsi  notre  auteur  ou,  suivant  M.  Tar- 
dif, un  de  ses  continuateurs,  nous  donne,  comme  on  l'a  remarqué, 
tout  à  la  fois  la  vieille  règle  et  le  motif  de  cette  règle. 

La  question  de  savoir  si,  dans  une  affaire  déterminée,  on  prêtera 
un  serment  affirmatif  ou  négatif,  s'il  y  aura  lieu,  en  d'autres  termes, 
d'appliquer  la  loi  prouvable  ou  la  desresne ,  semble  avoir  été  souvent 
fort  délicate.  Nous  supposons  que  cela  dépendait  des  mots  employés 
par  l'une  des  parties  pour  dire  ses  prétentions'*'  :  le  formalisme  des 
mots  jouait  un  rôle  considérable.  Mais  le  serment  déféré  au  défendeur 
n'a  plus,  dans  la  procédure  normande,  qu'une  valeur  secondaire  : 
une  foule  d'affaires  échappent,  comme  on  va  le  voir,  à  ce  mode  de 
preuve,  qui,  dans  les  temps  barbares,  avait  une  importance  beaucoup 
plus  grande.  Une  catégorie  énorme  d'affaires  relève,  en  effet,  de  la  lex 
apparens.  Sous  cette  formule  élastique,  lex  apparens,  les  jurisconsultes 
normands  rangent  deux  procédures  bien  différenteset  même  contraires. 
Les  actions  criminelles,  c'est-à-dire  les  accusations  de  meurtre,  de 
larcin,  de  trêve  enfreinte,  etc.,  donnent  lieu  au  duel  judiciaire 
et  rentrent  dans  les  procédures  dites  lex  apparens^^K  Une  série  très 
nombreuse  d'actions  qui  ont  pour  objet  la  protection  de  la  fortune 
immobilière'*'  appartient  à  cette  même  lex  apparens  :  nous  voulons 
parler  de  toutes  les  actions  qui  nécessitent  une  vue  ou  enquête  pro- 

'*'  Beaudouin ,  Remarques  sur  la  preuve  par  le  '*'   Beaudouin ,  /.  cit. ,  p.  4a  i  • 

serment  du  défendeur  dans  le  droit  franc,  p.  4io.  '''  Cliap.  r.xxiil,  De  disraisnia,  S  i,  p.  3a8, 

Cf.   Brunner,  Deutsche  Rechlsgeschichte ,  t.  II,  '*'  Chap.  r.xxill,    De  disraisnia.  S  8  in  fine , 

p.  373,  et  Declareujl,  Des  preuves  judiciaires  p.  33 1. 

dans  le  droit  franc  du   v'   au   viii'  siècle  d&m  '*'  Chap.  i.xvi,  De  ^uert/jj.SG,  etchap.LXVll 

Nouvelle  revue  historique   de   droit  français  et  à  i,xxv,  p.  166-190. 

e(ran>/er,  t.  XXII,  p.  nao  et suiv..  457etsuiv. ,  '*'  CUap.  xci,  l)epossessioneimmobili,f.  11  G- 

7^7  et  sniy.  217. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


151 


voquée  par  un  bref  décerné  au  nom  du  roi'^^.  Ces  brefs,  dont  il  est  si 
souvent  question  dans  la  procédure  normande'''',  furent,  à  l'origine, 
c'est-à-dire  aux  temps  carolingiens,  des. faveurs  du  prince,  qui  plaçait 
par  là  le  plaideur  dans  une  position  réputée  meilleure,  et  lui  épargnait 
la  rigueur  d'une  procédure  barbare'^',  très  ordinairement  le  duel  judi- 
ciaire. Notre  auteur  a  un  sentiment  vague,  mais,,  somme  toute,  un 
sentiment  vrai  de  ces  origines  lointaines  du  bref  et  de  la  procédure  de 
vue  ou  enquête.  Il  s'exprime  ainsi  :  Normannoram  itaqiie  principes  pu- 
pillis,  vidais  ceterisque  pericia  seu  consiho  carentihus,  nefortioram  sen  po- 
tenciumastiiciajnre  debito  privarentar,  (juasdam  supradiclaram  (juerelariim 
perbrevia  terminare  vohierant,  omnes  videlicet  (jue  snnt  snpenus  prenotate , 
excepta  illa  (jue  est  de  hereditate  dijfnrciata ,  qne  per  legem  duelli  est  termi- 
nanda^'^h  Citons  parmi  les  brefs  de  la  procédure  normande  :  le  bref  de 
nouvelle  dessaisine  (chap.  xciii),  le  bref  de  saisine  d'ancesseur 
(chap.  xcviii),  le  bref  de  mariage  encombré  (cbap.  c),  le  bref  de 
patronage  d'église  (chap.  ex),  le  bref  de  fief  et  aumône  (chap.  cxv),  etc. 
Le  bref  était  un  instrument  de  procédure  trop  usuel  et,  pour  le  pou- 
voir civil,  d'un  maniement  trop  facile  pour  qu'il  ne  fût  pas  souvent 
utilisé  dans  les  affaires  touchant  aux  intérêts  de  l'Eglise.  Celle-ci, 
plus  d'une  fois,  se  déclara  atteinte  dans  ses  droits  par  l'abus  des 


► 


'"'  Certaines  formules  de  brefs  sont  plus 
complètes  dans  le  Très  ancien  Coutumier  que 
dans  le  Grand  Coutumier,  lequel  ne  donne  pas 
les  premiers  mots  du  bref;  les  brefs  du  Très 
ancien  Coutumier  sont  délivrés  au  nom  du  roi 
ou  du  sénéchal  :  Rex  vel  Senescallus  ballivo  suo 
saltttem  [Le  Très  ancien  Coutumier  de  Norman- 
die, texte  latin,  chap.  lxxxvi,  De  feodo  et  va- 
dio,  S  I ,  édit.  Tardif,  p.  vff)  ;  mais  nous  croyons 
que ,  de  bonne  heure ,  ce  fut  le  bailli  qui  délivra 
le  bref,  tout  en  maintenant  peut-être  encore 
la  formule  ancienne  ;  un  vicomte  pouvait  même 
décerner  cei-tains  brefs  :  «  En  l'ELscliiquier  de 
«  Pasques  mil  iii°  xvi ,  tenu  a  Rouen ,  fut  jugé  , 
«  pour  Jehan  de  Vandosme  et  pour  sa  femme , 
«  que  ung  bref  de  nouvelle  dessaisine  que  ung 
«  viconte  avoit  donné  se  pouoit  soustenir  et 
«  que  les  vicontes  ont  pouoir  de  donner  tclz 
«briefz»  (Bibl.  nat.,  fr.  5333,  fol.  208  v"). 
Rapprocher:  i  *  les  doléances  du  clergé  normand 
qui,  en  i3ii,se  plaint  au  concile  de  Vienne 
des  brefs  délivrés  par  le  juge  séculier  (Ehrle, 
Ein  Bruchslûck der  Aclcn  dt-s  Concils  von  Vienne, 


p.  36-37  )  ;  a"  une  formule  de  bref  de  nouvelle 
dessaisine  du  xv*  siècle ,  commençant  ainsi  : 
Tel  juge  au  premier  sergent,  etc.,  salut  (Bibl. 
nat.,  fr.  533o,  fol.  120  v°). 

'*'  Siniplices  autem  aicuntur  qaerele  possessio- 
nales  quando  per  simplicem  legem  processus  earam 
terminatur,  apparentes  autem  quando  per  legem 
apparentem,  vel  per  daellam ,  vel  per  inqaisitionem 
patrie,  que  recognitio  dicitur,  earum  processus 
terminatur  (chap.  lxxxvii,  Deqaerelapossessionali, 
i  3,  édit.  Tardif,  p.  209).  Le  vel,  deux  fois 
répété,  ne  fait  pas  opposition  à  per  legem  ap- 
parentem :  il  en  est  le  commentaire  et  l'expli- 
cation, comme  le  prouve  la  comparaison  a>ec 
le  chapitre  cxxiv.  De  lege  apparcnti ,  p.  33 1  - 
34o  ,  et  avec  les  cliapities  lxvi.  De  querelis, 
S  5,  et  i-xvil,  De  mullro,  p.  166-17/i. 

'*'  Cf.  Bnmner,  Die  Entstehung  der  Schwar- 
gerichle,  Berlin,  i87'î,  p.  70-1 4i. 

'*'  Chap.  xci.  De  possessionc  immnbili,  S  3, 
p.  2 1 7-3  18.  —  Sur  le  duel  possible  après  la  vue 
en  cas  (Vhereditas  difforciata ,  \mr  chap.  cxxiv. 
De  lege  upparenli  (p   33i-34o). 


152 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


l)iefs  :  les  prélats  normands  se  plaidaient  vivement  de  ces  brefs  abu- 
sifs, au  concile  de  Vienne,  en  i3ii"'.  •■■■■]  •'  -     '     r         - 

En  regard  de  ces  procédures,  que  iioUs  a|)peHerions  volontiers 
classiques,  il  faut  placer  dans  certaines  affaires  criminelles  une  pro- 
cédure d'enquête  qui  n'est  pas  cette  «vue»  dont  nous  parlions  «à 
l'instant,  mais  une  information  entreprise  par  le  représentant  du  pou- 
voir. 

En  principe,  ce  mode  d'action  ne  peut  être  adopté  que  si  l'accusé 
y  consent.  Notre  auteur  nous  apprend  qu'on  emploie  volontiers  ce 
moyen  lorsqu'une  femme  est  accusatrice  ou  accusée,  car,  en  ce  cas, 
le  duel  judiciaire  ne  saurait,  sans  difiiculté,  avoir  lieu  :  en  ces  circon- 
stances, on  avait  souvent  recours  autrefois  à  l'épreuve  judiciaire,  niais 
l'épreuve  judiciaire  a  été  prohibée  par  l'I'jglise '^^.  De  là  une  grande 
extension  donnée  à  la  procédure  d'enquête.  L'auteur  explique  que 
l'enquête  est  d'un  usage  constant  lorsque  l'accusateur  et  l'accusé  sont 
deux  femmes'^'.  Un  autre  texte  semble  indiquer  que  l'enquête  peut  ' 
encore  avoir  lieu  sans  le  consentement  de  la  partie  lorsqu'un  juif  a 
été  assassiné  par  un  chrétien '*).  Les  enquêtes  d'olFice  ne  cessèrent  de 
se  développer.  Les  barons  reprochaient  vivement  à  saint  Louis  l'em- 
ploi de  ces  procédures.  France,  disaient-ils,  ne  mérite  plus  le  nom 
de  douce  France!  France  est  aujourd'hui  pays  à  sujets,  terre  «acu- 
«  vertie'*'».  "  •'   ''  -'   - 

Le  moyen  le  plus  efficace  d'obtenir  le  cdrisèritëment  de  l'accu-sé  à 
l'enquête,  c'était  de  le  tenir  en  prison  jusqu'à  ce  que  ce  consente- 
ment eût  été  donné.  Tel  était,  au  dire  du  jurisconsulte,  le  procédé 
ancien;  il  ajoute  qu'on  avait  coutume  d'emprisonner  aussi  l'accusa- 
teur; ce  qui  est  attesté,  en  effet,  par  les  autorités  les  plus  sûres****.  De 
son  temps,  on  n'admettait  pas  en  principe  que  la  détention  fût  pro- 
longée plus  d'un  an  et  un  jour'''.  Mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que 


.  '')  Ehrle ,  loc.  cit..  p.  36 ,37.  Rapprocher  un 
concile  <le  Rouen  du  xiv"  siècle  clans  Bessin, 
Concilia  Rotom.  prov. ,  pars  II,  p.  88. 

'''  Nec  qiiuqaam  puitftitioni  aquœ ferventis  vel 
fiigida....  riluin  cnjusUhet  heiicdiclionis  impen- 
(lat  (concile  de  Latran  de  l'u'),  can.  i8, 
inséré  dans  Décrétâtes  Gteqorii  IX,  III,  1.,  Ne 
cierici  wl  moiiarhi,  (). 

'■"'  Cbap.  Lxxvi,  De  seqadu  muUei-um, p.  itfo- 
191.  »'.|«"r    <|    i»«i-in<^\\»<  < .  ■ 


'•'  Jugement  de  l'Echiquier  «le  iaao(l)eli$le, 
Jageinents  de  l'Echiquier,  n°  t^'t). 

'*'  Le  Roux  de  Lincy,  Recueil  de  chants  histo- 
riques français,  i"  partie,  iii/n,p.  !»i8. 

'•'  Cf.  Paul  Viollet,  Les  Etablissements  </<• 
saint  Louis,  t.  I,  pt  iflo-uoo;  t.:  H,  p.  187, 
1 90 ,  d  1  o  :  t.  III ,  p.  1 77;  t.  IV,  p.  :i6 1 . 

^''  Chap.  i.xxv,D(;  sequela  Ireuife  fracte ,  S  7; 
chap.    LXXVL,  ■lie  .ieqwela...ii(.ulicrum.,  p.  188-' 


k 


LES  COUTUMIERS  DE  NORiMANDIE.  153 

le  procédé  réputé  ancien  et  proclamé  le  meilleur  était  volontiers 
rajeuni  et  souvent  appliqué  à  l'accusé  seul'''. 

Nous  terminerons  ici  cette  analyse  sommaire  et  pourtant  dé'jà 
longue  du  Grand  Coutumier,  l'une  des  œuvres  juridiques  les  plus  im- 
portantes du  moyen  âge  français.  Nous  voudrions  cependant  faire 
sentir  par  une  dernière  observation  combien  les  travaux  des  juriscon- 
sultes, même  les  plus  précis  et  les  plus  riches,  nous  renseignent 
insuffisamment,  et  combien  il  serait  périlleux  de  s'en  tenir  à  la  lecture 
de  leurs  œuvres,  sans  consulter  en  même  temps  les  chartes  et  les  mo- 
numents de  la  jurisprudence.  On  sait  que  l'Echiquier  de  Normandie  a 
tenu  de  très  bonne  heure,  dès  la  fin  du  xii"  siècle,  des  rôles  où  il 
consignait  ses  jugements.  Les  lecteurs  du  Grand  Coutumier  ne  pour- 
raient guère  soupçonner  l'existence  de  ce  greffe,  car  l'auteur,  qui 
traite  longuement  de  la  preuve  des  jugements,  s'occupe  toujours  de 
la  preuve  orale  et  ne  dit  rien  de  la  preuve  écrite.  Celui-là  seulement 
qui  connaît  les  habitudes  normandes  pourra  lire  entre  les  lignes  une 
allusion  à  la  preuve  écrite,  dans  le  cas  où  les  personnes  qui  étaient 
présentes  au  jugement  sont  décédées  ou  sont  absentes.  Voici  le  pas- 
sage auquel  je  fais  allusion  :  Si  (fins  autem  recordationem  petat  et  recor- 
datores  in  scriplis  rednxerit,  et  tanla  pars  eoram  jain  decesserit  vel  a  pro- 
vincia  recesserU  aaod  recordaiiientiim  suuni  liahcre  non  possit  per  vivos  et 
in  provincia  résidentes,  non  tamen  propter  hoc  recordatio  petita  ei  (juerele 
amissionem  vel  adversario  sao  (jnerelam  dicitiir  reportare,  cam  non  in  recor- 
datlone  sua  defectus  sed  in  recordatoribiis  valeat  inveniri^'^\  Puisque,  dans 
le  cas  où  le  témoignage  oral  ne  peut  être  produit,  le  record  reste  pos- 
sible, c'est  évidemment  qu'on  emploiera  quelque  autre  moyen  de 
preuve  :  cette  preuve  n'est  autre  que  la  preuve  écrite.  Mais,  si  nous  ne 
connaissions  par  ailleurs  l'existence  des  greffes  en  Normandie,  il  nous 
faudrait  faire  ici  un  très  grand  effort  d'esprit  pour  soupçonner  l'exis- 
tence d'une  institution  si  utile  aux  plaideurs  et  qui  nous  a  laissé  de 
si  importants  et  si  précieux  monuments  juridiques. 

Bizarrerie  bien  digiv  e  remarque  :  le  Très  ancien  Coutumier,  anté- 
rieur d'un  demi-siècie  au  Grand  Coutumier,  mentionne  expressément 
l'existence  de  ces  rôles  dans  les  tribunaux  normands  :  Très  vel  cjuataor 

'"'  N'est-ce  pas  l'indication  qu'on  peut  très  '*'  Chap.  cix,    De  recordalione  i>etita,  S  5, 

légitimement  tirer  du  chapitre  lxxvii.  De  vi-  p.  a6/i.  M.  Tardif  imprime,  à  tort  ce  semble  : 
(luis  et  pupillis,  p.  igi-iq^^  dicimus  reportare. 

niST.  I.ITT.  —   WXIU.  10 


154  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

milites...  jurati  snnt  legalem  justiciam  tenere  et  jura  innocentam  cnnservare 
el  rotiilos  fi déliter .  .  .  Rotuli  vero  conservantnr  ad  contentiones  deprimendnx 
de  rebns  in  assisia  dijfinitis^^^.  Ainsi  l'institution  destinée  à  un  si  grand 
avenir,  institution  qui  transformera  peu  à  peu  le  mode  de  preuve  des 
jugements,  n'est  pas  même  mentionnée  par  un  auteur  qui  écrit,  au 
milieu  du  xiii*  siècle,  un  ouvrage  considérable  de  droit  normand, 
alors  qu'elle  est  déjà  signalée,  au  commencement  du  même  siècle, 
dans  un  traité  infiniment  plus  sommaire  et,  au  demeurant,  fort 
incomplet.  Tant  il  est  vrai  qu'il  faut  souvent  se  défier  des  conclusions 
tirées  du  silence  d'un  auteur!  , 
li  îjo  !»/  uh   ni 

Le  Grand  Coutumier  normand  fut  très  lu  au  moyen  âge.  Les  nom- 
breux manuscrits  qui  nous  en  sont  restés  en  sont  la  preuve.  A  la  fin 
du  XIV'  siècle,  Boutillier  le  mit  à  profit  pour  la  rédaction  de  sa  Somme 
rural.  Vers  le  même  temps,  un  jurisconsulte  anonyme,  à  qui  on  doit 
un  Coutumier  de  Bourgogne  encore  inédit,  l'utilisa  aussi.  Nous 
donnerons  à  cet  égard  quelques  renseignements  très  sommaires.      '  " 

Boutillier,  mort  au  plus  tard  en  janvier  i  Sgô,  a  prétendu  rédigeif 
un  coutumier  général,  mais  il  ne  connaissait  personnellement  que  le 
droit  de  la  région  Nord-Est  de  la  France,  plus  particulièrement 
le  droit  du  Vermandois,  du  pays  de  Lille  et  surtout  du  Tournaisis.  Sa 
Somme  rural  est  une  lourde  mais  utile  compilation,  dans  laquelle  il  a 
misa  profit,  non  seulement  le  droit  romain,  le  droit  canonique  et 
une  série  considérable  de  pièces  de  procédure  et  de  documents  judi- 
ciaires contemporains,  mais  aussi  le  Stylus  Parliamenti  de  Du  Breuil, 
le  Style  de  la  Chambre  des  enquêtes,  le  Style  des  commissaires  du 
Parlement  et  certains  Coutumiers  tels  que  les  Poines  de  la  duchié 
d'Orliens,  les  Anciens  usages  d'Artois,  les  Établissements  de  saint 
Louis  et  enfin  le  Grand  Coutumier  normand'^^ 

Les  emprunts  à  ce  dernier  texte  sont  les  seuls  dont  nous  ayons  à 
nous  occuper  ici.  Plusieurs  fragments,  compris  tous  entre  les  cha- 
pitres XX  et  XXXIII  du  Grand  Coutumier,  ont  laissé  dans  le  livre  1"  de 

I  !  ;  '  U  1 1      •  ;  1!  U  I  )  i  M  1 .  '    ' 

<'i  .Le  Très  ancien  Coutunùvr  normand,  tea^  ; ,  !  ;  Eiude  sur  lu  procédure  et  le  fonctionnement  du 
latin ,  chn|).  xxviii ,  $  i  et  2,  édit.  Tardif,  p.  a5.         Parlement  an  xiv'  siècle,  p.  26  ;  F.  Aul>ert,  Les 

'*'  Sur  Ips  sources  diverses  auxquelles  Bon-         sources  de  la  procédure  au  Parlement ,  de  Phi- 
tillier  a  puisé,  on  peut  lire  Paul  V'ioHet,  l^es        lippe  le  Bel  à  Charles  Vif,  dans  Bibliothèque 
ÉtaMissements  de   saint    Louis,    t.  I,    p.   3/17-         de  l'École  des  cfcflrtejî,  t.  LIv  p.  5oi-5o5. 
357;    Paul    Guilhicnnoz,   Enquêtes   et  procès,  •     •     . 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  153 

la  Somme  rural  une  empreinte  facilement  reconnaissable.  On  ne 
trouve  aucune  trace  d'emprunt  au  Grand  Coutumier  dans  le  livre  II. 
Le  chapitre  xx,  qui  traite  des  suicidés  et  des  décédés  sans  confession, 
a  été  utilisé  dans  deux  paragraphes  du  chapitre  xxxix'''  de  la  Somme 
rural  (liv.  i");  le  chapitre  xxiii,  consacré  aux  successions,  a  été  uti- 
lisé à  plusieurs  reprises  dans  le  chapitre  lxxviii  (liv.  I").  Il  faut 
noter  ici  —  et  le  cas  n'est  pas  isolé  —  le  peu  de  précision  et  même 
l'inexactitude  matérielle  de  notre  auteur.  Il  s'exprime  ainsi  :  «  Par  la 
«  coustume  de  Normendie  nouvellement  tenue  et  instituée  dois  sça- 
«  voir  que  le  fils  a  l'aisné'''  doit  avoir  l'aisneté;  et  sans  lui  ne  doit 
«nul  calenger  héritage  ne  deffendre,  ne  faire  au  seigneur  hom- 
«  mage;  car  il  y  doit  avoir  telle  droicture  de  l'escheance  que  le  sien 
«  père  eust  eu  s'il  eust  vescu.  »  Ce  droit  est-il  donc  nouveau  en  Nor- 
mandie.'^ Non  seulement  il  n'est  pas  nouveau  à  l'époque  où  écrit 
Boutillier,  à  la  lin  du  xiv"  siècle,  mais  il  n'était  point  qualifié  «  nou- 
«veau»  par  fauteur  du  Grand  Coulumier.  Il  y  a  plus  :  ce  dernier 
auteur  afiirme  que  le  système  de  la  représentation  qu'il  préconise  est 
ancien  en  Normandie  :  Licet  aatem  huic  consuetudun,  (jue  in  Normannia 
solet  antKjuitns  ohsèrvan,  opponant  se  plurimi  et  répugnent  in  successione 
tantummodo  patris  adprofilinm,  asserentes  quod  profilius  avo  sno  non  débet 
succedere.  .  .,  sed  ipsi  nvo  dehent  succedere  filii  ejusdem  (ch.  xxiii).  Et 
en  français  :  «Ja  soit  ce  que  plusieurs  soient  a  fencontre  de  ceste 
«coustume  qui  souloit  estre  anciennement  gardée  en  Normendie, 
«  qui  dientque,  dans  la  succession  qui  vient  du  père  au  fds,  le  nepveu 

«  ne  doibt  pas  avoir  f  eritage  de  son  aieul ,  ains  le  doibt  avoir 

«  l'autre  fils.  »  Boutillier  a  lu  ce  texte  trop  rapidement  :  il  a  cru  que 
la  coutume  ancienne  visée  par  le  jurisconsulte  normand  était  la  cou- 
tume exclusive  du  droit  de  représentation,  n  'tiruffid»  m  .U 
Le  chapitre  xxvii,  S  2,  où  est  exposée  la  théorie  des  trois  hom- 
mages, a  passé  dans  le  chapitre  Lxxxii,  S  Quant  hommages  sont.  Nous 
avons  déjà  noté,  à  propos  de  ce  chapitre  xxvii  du  Grand  Coutumier, 

'■'  Nous  citons  les  chapitres  d'après  l'édi-  fol.  cxxvii  v°  ;  Nouv.  acq.  fr.  686 1 ,  fol.  aô/i  r" 

tien  de  Lyon,   i6ai.  Dans  le  ms.  fr.  21010,  (pas  de    numéros   aux  chapitres).    L'imprimé 

fol.  Lxxix  r°,  le  chapitre  que  nous  citons  dans  porte  cette  leçon  fautive  :  le  fih  aisiié;  en  nous 

le  texte   porte  le  n"   lviii.    Comparer  liv.  11,  autorisant  des  manuscrits,  nous  corrigeons  -.le 

chap.  XL,  S   Des   désespérez   (édif.   de  Lyon,  Jils  al'aisnè.  Le  fils  aisné  a  fais  né  serait  mieux 

p.  ligo-i'^gi).  encore;  peut-être  devrions-nous  introduire  cette 

'''   Cf.  ms.    franc.   21010,    chap.  clxxix,  leçon  dans  le  texte  cité. 


156  LES  COUTCMIERS  DE  NORMANDIE. 

un  autre  contresens  de  Boutillier;  nous  renvoyons  le  lecteur  aux 
observations  qui  ont  déjà  été  présentées'"'. 

Le  chapitre  xxviii,  où  le  jurisconsulte  normand  a  exposé  le  système 
du  parage,  est  en  partie  la  source  du  chapitre  lxxxiv,  S  De  tenir  en  pa- 
rafje.  Boutillier,  pour  la  troisième  fois,  s'est  mépris  en  cet  endroit.  Il 
avaitpuisé  des  renseignements  sur  le  parage  dans  les  Etablissements  de 
saint  Louis  et  dans  le  Grand  Coutiimier  normand.  Les  données  qu'il 
devait  à  ces  deux  sources  différentes  se  sont  confondues  dans  ses  sou- 
venirs ou  dans  ses  notes,  et  en  nous  parlant  du  parage,  il  a  attribué  à 
la  Normandie  un  système  de  partage,  entre  frères,  des  deux  tiers  au 
tiers,  système  qui  est  angevin,  et  qui  lui  était  connu  par  les  Ltablisse- 
ments  de  saint  Louis.  Voici  le  passage  auquel  nous  faisons  allusion  : 
«  Tenir  en  parage  si  est  quant  cil  qui  tient  tenement  et  cilz'^'  de  qui 
«  il  tient  sont  pareilles  parties  par  raison  de  lignage,  et  que  ledit  tene- 
«  ment  vient  de  leur  anchiseur,  et  vient  par  succession  de  ligne,  si 
«comme  es  lieux,  et  par  especial  en  Normandie,  ou,  es  fiefs  de  frères 
«  venans  de  père,  l'aisné  emporte  le  gros  et  les  puisnez  en  ont  le  tiers 
«parla  raison  de  partage  et  de  succession;  celle  partie  est  tenue  en 
«  parage,  car  ils  sont  paraux  en  fiefs '^'.  »  Ce  que  Boutillier  déclare  ici 
spécial  à  la  Normandie  lui  est  étranger  et  est  spécial  à  l'Anjou, 
comme  on  peut  s'en  convaincre  en  lisant  le  chapitre  x  du  livre  I"  des 
Établissements,  chapitre  que  Bontilher  a  mal  à  propos  amalgamé 
avec  le  chapitre  xxviii  du  Grand  Coutumier  normand. 

Le  chapitre  xxix,  où  le  jurisconsulte  normand  traite  du  bour- 
gage,  a  passé  dans  le  même  chapitre  lxxxiv,  S  De  tenir  en  bour- 
(faige  et  S  Usage  de .  Normandie.  Le  chapitre  xxx,  consacré  aux  te- 
nures  en  aumône,  et  le  chapitre  xxxii,  Des  reliefs,  sont  représentés 
dans  le  même  chapitre  par  les  paragraphes  De  tenir  par  amnones  et 
Des  reliefs. 

H  faut  enfin  rapprocher  du  chapitre  xxxiii,  S  2,  le  chapitre  lxxxvi, 
S  De  la  chevalerie,  et  du  chapitre  xxxi,  consacré  à  la  garde  des  mineurs, 
le  chapitre  xciii  de  Boutillier,  dont  le  titre  même,  dans  une  recen- 
sion  très  répandue,  révèle  l'origine  :  dans  celte  recension,  le  cha- 
pitre xcin  est  maladroitement  intitulé  :  Duché  de  Normandie.  Ailleurs 

'"'  Cf.  ci-dessu»,  p.  i33,  i.^/i,  ce  que  nous  '*'  Imprimé  :  de  celuy,  au  lien  de   :  et  cilz. 

avons  dit  de  l'hommage  de  fief  et  de  l'hommage  '''  (]f.    ms.    franc.   :ïioio,   chap.   cxcviii , 

de  service  dans  Boutillier.  fol.  cxm  r";  Nouv.  acq.  fr.  C8G1,  fol.  229  r". 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  157 

ce  paragraphe,  sans  titre  spécial,  fait  tout  simplement  partie  du  cha- 
pitre Des  pupilles  et  mineurs  d'aage^^K 

Ces  indications  suffisent  pour  établir  tout  à  la  fois  l'usage  que 
Boutillier  a  fait  du  Grand  Coutumier  normand  et  le  manque  de  soin 
dont,  à  chaque  page,  il  donne  la  preuve. 

Un  anonyme,  probablement  un  bailli,  rédigea,  à  la  fin  du  xiv* siècle 
ou  au  commencement  du  xv*'"^',  une  coutume  de  Bourgogne,  qui  est 
demeurée  jusqu'à  ce  jour  inédite.  Ce  jurisconsulte  n'était  pas  un  esprit 
vigoureux,  et  son  œuvre  n'a  rien  d'original.  C'est  une  compilation 
méritoire  où  l'on  a  réuni  une  série  considérable  de  principes  de  juris- 
prudence et  de  décisions  judiciaires.  Si  le  cachet  personnel  fait  ici 
défaut,  cet  ensemble  juridique  n'en  est  pas  moins  précieux.  Il  pré- 
sente un  très  grand  intérêt  pour  l'histoire  du  droit  bourguignon. 

L'auteur  a  reproduit  diverses  ordonnances  royales '"'^  ainsi  qu'un 
texte  lort  curieux  qui  intéresse  les  pays  qu'on  appelait  proprement  la 
France  :  C'est  la  déclaration  des  Jiejz  selon  la  coustume  de  France^'^K  II  a 
connu  aussi  le  Grand  Coutumier  normand  et  en  a,  vers  le  commence- 
ment de  son  travail,  utilisé  certaines  parties.  Ces  emprunts  au  Coutu- 
mier normand  sont  assez  maladroitement  fondus  dans  le  Coutumier 
bourguignon  cpii  se  présente,  comme  on  le  verra,  avec  deux  intro- 
ductions :  l'une  est  l'œuvre  même  du  compilateur  bourguignon; 
l'autre  est  tout  simplement  l'introduction  du  Grand  Coutumier  nor- 
mand. Voici  la  première  entrée  en  matière,  qui  est  toute  bourgui- 
gnonne : 

Bourgoingne  est  très  noble  pais.  Le  païs  est  très  noble  qui  fait  le  prince  qui  le 
gouverne  très  noble,  quar,  si  comme  les  dux  et  les  princes  qui  ont  esté  en  Bour- 
goingne soient  et  aient  esté  trës  nobles  tant  a  cause  de  leurs  nativitez  comme  de 
consanguinitez  de  roys,  d'empereurs;  et  plusieurs  sont  eiiz  seigneurs  de  Bourgoingne 
qui  estoient  filz  de  roy  et  roys  et  empereurs,  si  doivent  estre  appelez  très  nobles 
princes  dux  de  Bourgoingne,  avec  ce  qu'ilz  sont  très  nobles  par  consanguinitez. 

'''  Bibliothèque  nationale,  iiis.  IV.  -Jioio,  '^'   Voir  notamment   fol.  OOtXVl  r"et  suiv. , 

chap.  ccxvi,  fol.  CL  r°;  Nouv.  acq.  fr.  6861,  fol.  cxli  r°.  .■  !     '  ' 

fol.  344  v°.  ''!  Fol.  xcvi  r",  en  v°.  Ce  texte  est  imprimé 

,    '*'  La  pièce  datée  la  plus  récente  qui  soif  dans    Thaumas    de    la    Thauniassière  ,    Coiil. 

reproduite  dans  ce  coutumier  -  est  de    iSgS  locales   de    Berry,  Bourges,  167g,  p.   S/iA  et 

(fol.  i.xxix  \°,  numéroté  par  erreur  du  scribe  suiv.    Nous    le    désignons    sous    le    titre    qui 

LXix).  Le   manuscrit    (Bibl.  nat. ,  Nouv.  acq.  figure  dans  La  Tbaumassière  :    il  est  annoncé 

fr.  i33o)  est  du  xv°  siècle.  un  peu  diftérémliient  dans  notre  manu5crit. 


158  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Cette  platitude  initiale  ne  se  dément  pas  au  cours  de  la  longue  et 
insignifiante  introduction  rédigée  par  le  compilateur  bourguignon. 
L'anonyme  entre,  enfin,  en  matière,  passe  en  revue  les  différents  offi- 
ciers et  fonctionnaires,  prévôts,  maires,  tabellions,  avocats,  baillis, 
sergents;  et  tout  de  suite  son  œuvre,  calquée  sur  les  ordonnances 
royales  ou  ducales,  se  fait  sérieuse  et  solide.  Après  cette  énumération 
des  officiers  vient  un  chapitre  intitulé  :  Dh  droit  a  Monseigneur  de  Bour- 
goim/ne,  chapitre  sur  lequel  nous  reviendrons  tout  à  l'heure,  car  il 
dérive  du  Grand  Coutumier  normand;  quelques  articles  jetés  un  peu 
au  hasard,  puis  un  long  développement  oratoire,  où  fauteur  rap- 
proche du  Jugement  dernier  les  jugements  humains;  enfin  cette 
seconde  introduction  dont  j'ai  parlé  et  qu'il  convient  de  transcrira 
en  partie:  1        '     '  '    i 

Pour  ce  que  mon  entencion  est  d  esclarcir  au  niieulx  que  ji)  pourray  en  cest  euvre 
les  droiz  et  les  establisseniens  de  Bourgoingne,  pour  quoy  le  content  et  les  querelles 
soient  finies,  et  que  l'un  ne  puisse  grever  l'antre,  a  chascun  soit  rendue  sa  querelle.  Et 
pour  ce  que  la  malice  de  convoitise  avoit  si  ardemment"'  l'umainlignaige  par  paroles 
et  par  discordes  et  par  discension  qu'elle  avoit  engendrez,  et  paix  et  concorde  estoient 
chacies  hors  du  monde,  tout  ainsi  comme  en  exil,  si  la  grant  convoitise  ne  feust 
lelTrenée  et  appaisée  par  droiz,  par  coustumes,  Nostre  Seigneur  Jhesu  Crist,  qui  est 
roy  paisible,  droicturier,  et  ame  justice,  avant'**  ce  que  les  princes  régnassent  enten'e 
et  donnassent  par  certaines  loys  droiz  et  coustumes,  affenissent  tous  les  contens  que 
discorde,  qui  est  contraire  a  paix,  peut  engendrer,  etc. 

Ce  morceau  se  compose  tout  simplement  :  i°  du  premier  para- 
graphe du  préambule  du  Grand  Coutumier  normand;  le  mot  Nor- 
mandie a  été  remplacé  par  le  mot  Bourgogne;  2°  du  prologue  qui  fait 
suite  à  ce  préambule. 

Suivent  les  chapitres  du  Grand  Coutumier  :  i  (le  mot  Normandie 
du  paragraphe  7  remplacé  bien  entendu  par  le  mot  Bourgogne); 
II  (quelques  petites  modifications  aux  paragraphes  3  et  4);  ni  (les  mots 
du  paragraphe  3  :  «  Je  vi  faire  la  justice  le  roi  d'un  larron  que  je  vi 
«  pendre  » ,  sont  remplacés  par  :  «  Je  vy  fere  la  justice  le  duc  d'un  larron 
«  que  je  vy  pendre  »);  iv  (les  paragraphes  4  à  6  ne  sont  pas  représen- 
tés); VI  (dans  ce  chapitre  un  accommodement  bourguignon  est  à 
noter  :  au  lieu  de  «  le  noble  roi  de  France  Loys,  qui  fut  le  second 

ir.j.      • 

■  r-   . 

'M  fSic  :  le  mot  eiihcié  aéié  omis.  —  '''  Il  faudrait  :  voull. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  15Ô 

«après  lo  roi  Philippe»  (S  7),  le  compilateur  invoque  «le  très  noble 
«  duc  Eude  et  le  noble  duc  Robert»;  la  suite  diffère  sensiblement  du 
texte  normand;  le  chapitre  se  termine  par  un  renvoi  au  droitcanon;  ces 
références  au  droit  canon  et  au  droit  romain,  tantôt  dans  le  texte 
même,  tantôt  dans  les  marges, sont  d'ailleurs  fréquentes);  ix;  x  (dans 
ce  chapitre,  le  compilateur  bourguignon  a  soin  d'écarter  la  mention 
d'usages  normands  qui  figure  au  paragraphe  3  à  litre  d'exemple). 

Ces  emprunts  au  Grand  Coutuniier  se  composent  de  généralités  qui 
conviennent  à  la  Bourgogne  autant  qu'à  la  Normandie,  comme  l'indi- 
quent déjà  les  titres  des  chapitres  :  Cy  s'ensuit  la  différence  des  droiz; 
Qu'est  juridiction;  Qu'est  justice;  Qu'est  justicier;  Qu'est  justisement; 
Qu'est  jugement;  Qu'est  coustume ,  loy  et  usaige. 

La  seconde  distinction  du  Grand  Goutumier  (chap.  xi  à  xxiièw), 
consacrée  aux  droits  du  duc,  a  été  aussi  utilisée,  en  partie,  par  notre 
compilateur,  dans  un  chapitre  qu'il  a  placé,  comme  nous  l'avons  dit, 
entre  l'introduction  bourguignonne  et  l'introduction  normande,  et 
qui  est  intitulé  :  Du  droit  à  Monseigneur  de  Bourqoingne ;  ici  encore,  le 
mot  Bourgogne  remplace  le  mot  Normandie.  D'autres  modifications 
plus  importantes  ou  additions  sont  introduites  avec  discernement.  Les 
chapitres  plus  particulièrement  mis  à  contribution  sont  les  chàp.  xi, 
De  duce;  xv,  De  mensuris;  x\u,De  thesauro  invento;  xix.  De  usuris,  S  2. 

C'est  à  coup  sûr  un  texte  français  du  Grand  Goutumier  qui  a  été 
utilisé  par  notre  compilateur  bourguignon,  et  non  un  texte  latin  : 
nous  n'en  voulons  d'autre  preuve  que  certaines  expressions  du  chapitre 
Qu'est  justisement,  dérivé  du  chapitre  vi  du  Grand  Goutumier.  Dans 
le  texte  latin  de  ce  chapitre,  au  paragraphe  4 ,  le  «  despit  »  de  droit  ou 
dejustice  [contemptus  justitiœ)  est  ramené  à  quatre  cas  :  et  hoc  fit  auadru- 
pliciter.  Suit  dans  le  texte  latin  une  série  de  cas  qui  ne  porte  aucun 
numéro  d'ordre,  tandis  que  le  texte  français  articule  ces  quatre  cas  : 
«  la  première  manière  est;  la  seconde  manière  est  »,etc.  Même  tournure 
dans  la  coutume  de  Bourgogne  :  «  Et  de  ce  fait  l'en  est  11 11  manières  : 
M  Premièrement,  si  est  quant...  ;  la  seconde,  si  est  quant  » ,  etc.  On  pour- 
rait faire  d'autres  observations  qui  confirmeraient  cette  conclusion  : 
c'est  la  traduction  française  du  Grand  Goutumier  normand  qui  a  été 
utilisée  par  le  compilateur  bourguignon. 

Gomme  on  le  voit,  il  ne  s'agit  point  ici  d'influence  profonde  du 
droit  normand  sur  le  droit  bourguignon,  ni  même  d'aucune  influence. 


160  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Nous  n'avons  prétendu  relever  autre  chose  que  l'emploi  par  un  juris- 
consulte bourguignon  de  certains  chapitres  du  Grand  Coutumier  qui 
ne  renferment  guère  que  des  généralités. 

Le  Grand  Coutumier,  si  développé  qu'il  soit,  est  loin  d'être  complet. 
Son  insuffisance  en  ce  qui  touche  les  droits  de  justice  des  barons 
n'ayant  pas  le  plaid  de  l'épée  paraît  avoir  été  vivement  sentie.  Il  y  eut, 
ce  semble,  à  l'Échiquier,  enquête  contradictoire  à  ce  sujet,  les  clercs 
de  l'Échiquier  témoignant  dans  un  sens,  les  barons  dans  un  autre. 
Les  dires  des  clercs  nous  ont  été  conservés  dans  plusieurs  manuscrits 
et  peuvent  être  considérés,  jusqu'à  un  certain  point,  comme  un  sup- 
plément du  Grand  Coutumier,  supplément  auquel ,  sans  doute ,  l'Échi- 
quier ne  se  faisait  pas  faute  de  recourir,  le  cas  échéant.  Suivant  les 
clercs,  les  barons  qui  «  n'ont  le  plet  de  l'espée  ne  haute  justice  »  no 
peuvent  lever  l'amende,  en  certains  cas,  de  «plusdexviii  sous  i  do- 
«  nier  mains»;  en  d'autres  cas,  de  «  plus  de  lx  sous  i  denier  [mains]'"'». 

Un  texte  incorrectement  abrégé  applique  ces  décisions  à  tous  les 
barons  de  Normandie'^'  et  non  pas  seulement  aux  barons  qui  n'ont 
pas  la  haute  justice.  11  ne  faut  pas  que  cette  mauvaise  rédaction  donne 
le  change  sur  le  sens  de  ce  petit  morceau.  Nous  croyons  qu'il  date  du 
XIV*  siècle;  sa  présence  dans  le  ms.  lat.  12888,  qui  est  du  xiv*  siècle, 
exclut  une  date  plus  récente. 

Quelques  manuscrits  du  Grand  Coutumier  contiennent  aussi  un 
tarif  des  amendes  dues  pour  coups  et  blessures*^';  ce  tarif  est  destiné 
à  compléter  les  renseignements  fournis  à  ce  sujet  par  notre  auteur  au 
chapitre  lxxxv,  S  9  ;  d'après  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale, il  lut  arrêté  en  i4o6,  à  l'Échiquier  de  Rouen**'. 

Trois  œuvres  juridiques  d'inégale  importance  sont  venues,  au  xv^et 

'"'  Nous  suppléons,  mais  non  sans  hésitation,  une  oixlonnance  de  l'Kchiquier  de  iS^a,  pour- 

le  mot  •  mains  >  qui  manque  dans  tous  les  ma-  rait  bien  être  identique  au  document  dont  nous 

nuscrits  que  nous  avons  consultés  :  Bibl.  nat.  nous  occupons,  On  trouvera  ce  texte  dans  le 

fr.  11920,  fol.  101  r°etv°;  Bibl. nat. lat.  1  io33,  manuscrit  Harléien  4488,  fol.  2  (Musée  Bri- 

fol.    i38  v°,   iSgr";  lat.  ia833,fol.  98  r°  et  tannique)  :  nous  n'avons  pu  consulter  ce  manu- 

v°.   Imprimé   dans  Léchaudé  d'Aniay,   Grands  scrit. 

rôles  de  l'Echiquier  de  Normandie,  p.  192,  193.  '*'  Bibl.  naf.,  lat.  12883,  fol.  93  v". 

Le  ms.  fr.  2766  porte:  «xi.  sous»,  au  lieu  de  '•''  Bibl.  nat-.fr.SgGd,  101.2171^;  fr.  1 1920, 

•  Lxs.»  (verso  du  fol.  a38  au  crayon,  237  a  fol.   103  r°;  fr.   2765,  fol.  9  r*;  fr.   24ii2, 

l'encre).  Un  texte  dont  nous  ne  connaissons  fol.  7  r";  lat.  1 8557,  fol.  1  38  r*. 

que  les  premiers  mots  et  qui  est  donné  comme  <*'  Fr.  2/4 1 1  2 ,  fol.  7  r". 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  161 

au  xvi",  siècle,  se  superposer  au  Grand  Coutumier.  Nous  nous  con- 
tentons de  les  mentionner,  sans  les  analyser,  parce  que  les  dates 
de  ces  textes  dépassent  les  limites  chronologiques  qui  nous  sont  im- 
posées. Ces  trois  œuvres  sont  : 

Au  XV"  siècle,  une  glose  anonyme  très  précieuse  qui  se  qualifie  Expo- 
sition. Cette  Exposition  accompagne  le  texte  français  du  Coutumier 
dans  les  premières  éditions  de  cet  ouvrage*'^;  elle  a  été  conservée  aussi 
dans  quelques  manuscrits  ^^K 

Au  xvi"  siècle,  une  série  d'additions  à  cette  glose;  additions  qui 
sont  l'œuvre  de  Guillaume  Le  Rouillé,  d'Alençon,  «licencié  fs 
droictz»  (  1 534)- 

Encore  au  xyi""  siècle,  un  second  commentaire,  œuvre  historique 
très  précieuse,  due  à  Guillaume  Terrien,  lieutenant  général  du  hailli 
de  Dieppe  (  i574). 

Les  divers  styles  normands  (xv'  et  xvi* siècle),  si  intéressants  pour 
la  procédure,  échappent  également,  à  cause  de  leur  date,  à  la  pré- 
sente étude. 

Le  Grand  Coutumier  n'a  jamais  été  appliqué  uniformément  et 
intégralement  dans  toute  la  province  de  Normandie.  Les  usages 
locaux  venaient  facilement,  au  moyen  âge,  briser  la  loi  ou  la  coutume 
provinciale.  Parmi  ces  usages  locaux  les  chartes  communales  jouent  un 
rôle  important,  parce  que  certaines  règles  de  droit  privé,  en  désac- 
cord avec  le  droit  commun  de  la  région,  y  ont  souvent  pris  place. 

Nous  ne  saurions  passer  en  revue  pour  la  Normandie  tous  ces 
textes  secondaires.  Nous  nous  contenterons  de  faire  observer  qu'au 
xvi"  siècle,  lorsqu'on  s'occupa  d'une  rédaction  nouvelle,  on  constata 
qu'il  y  avait  presque  partout  des  usages  locaux  :  cependant  Cou- 
tances,  Carentan,  Valognes  et  Avranches  n'en  alléguaient  aucun '^); 
ce  qui  vient  à  l'appui  de  fhypothèse  que  le  Grand  Coutumier  aurait 
été  rédigé  précisément  dans  cette  région. 

Il  est  pourtant  un  groupe  de  coutumes  locales  qui  appelle  notre 

'  '   Voir  l'indication  des  éditions  dans  Lau-  nique   Harl.  /|/(88,dont  nous  n'avons  sous  les 

rence  de  Grucliy,  L'ancienne  coutume  de  Nor-  yeux  que  des  extraits  insulTisants,  contient  aussi 

mandie.  Jersey,  1881,  p.  SSg,  3^7  ;  J.  Tardif,  la  grande  glose   ou  exposition  du  Coutumier. 

Summa  de  ler/ibus,  p.  ccxxxv,  ccxlvi.  '^'   Procès-verbal  des  coaslumes  locales  de  Nor- 

'*'  Voir  notamment  Bibl.  nat..  fr.  2765.  mandie,  dans  Bourdot  de  Riciiebourg,  Contn- 

Nous  croyons  que  le  ms.  du  Musée  Britan-  mier  (/énéral,  t.  IV,  p.  i/to. 

IlIST.  LJTT.  —  \x\ni.  ïl 


162  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

attention.  C'est  celui  que  forment  les  coutumes  des  Hes  normandes. 
Ces  coutumes  méritent  une  mention  particulière,  parce  que  leur  his- 
toire et  celle  du  Grand  Goutnmier  sont,  comme  nous  l'avons  dit  en 
commençant,  intimement  liées  l'une  à  l'autre. 

Au  commencement  du  xiv*  siècle ,  des  difficultés ,  qui  devaient  durer 
environ  trente  ans,  surgirent  entre  les  habitants  des  Iles  et  la  cou- 
ronne d'Angleterre.  L'un  des  objets  principaux  du  grand  débat  qui 
s'engagea  avec  l'Angleterre  fut  précisément  le  droit  des  Iles.  Quelle  est, 
disaient  les  représentants  du  roi  d'Angleterre,  la  coutume  ancienne 
des  Iles?  Quel  est  le  fondement  de  cette  coutume?  Si  les  insulaires  ne 
peuvent  justifier  leurs  coutumes,  celles-ci  seront  confisquées  au 
profit  du  roi,  qui,  dès  lors,  fera  lui-même  la  loi  à  sa  volonté. 

L'action  intentée  aux  habitants  des  Iles  était  l'action  De  (juo  warranta. 
Le  plaid  De  cfuo  warranta  avait  été  introduit  en  Angleterre  par 
Edouard  I"  :  ce  plaid  a  pour  objet  d'obliger  celui  qui  possède  un 
droit  paraissant  de  nature  à  appartenir  au  roi  à  établir  son  titre  à  la 
possession  de  ce  droit  :  s'il  ne  peut  faire  cette  justification,  il  sera 
dépossédé  au  profit  du  roi.  La  coutume  était  donc  ici  assimilée  à  un 
droit  qui,  sauf  preuve  du  contraire,  est  droit  royal*''. 

A  cette  question  De  cjua  warranta?  les  habitants  de  Guernesey 
répondirent,  en  iSog,  qu'ils  suivaient  non  la  loi  anglaise,  ni  la  loi 
normande,  mais  des  coutumes  spéciales,  en  vigueur  dans  l'île  de 
temps  immémorial  :  Commnnitas  hujus  insnle  aUacata  (jua  lege  ntantur 
et  per  (juam  legem  clamant  dediici,  an  videlicet  per  legem  Anglie  vel  ^î or- 
mannie,  aat  per  spéciales  consuetiidines  eis  per  recjes  concessas,  dicanl  (fuod 
nec  per  legem  Anglie  nec  Normannie ,  set  per  certas  consuetudines  in  hac 
msala  usitatas  a  tempore  cujus  memoria  non  existit^^K  Les  habitants  de 
Jersey  dirent  qu'ils  suivaient  la  coutume  de  Normandie,  sauf  quel- 
ques usages  particuliers,  et  ils  énoncèrent  ces  usages'^'.  Accusés  d'avoir 
adopté  tout  récemment  le  traité  composé  par  un  Normand  du  nom 
de  Maucael  ^*',  ils  répliquèrent  qu  ils  se  servaient  à  bon  droit  de 
cette  Somme  de  Maucael,  puisqu'elle  contenait  les  lois  delà  Norman- 

'''  (]f.  .1.   Havet,   Les   cours  royales   défiles  leurs  présumés  dji  Grand  Couliimier  de  Norman- 

normandes,  dans  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  die,   dans   Nouvelle  revae  hist.  de  droit,  1. 1\, 

t.  XXWIII,  p.  57,  :■>%,  376.  p.  i55-5o5. 

<•'  Placita    de    quo    ivarranto  ,    [London]  ,  '*'  IbiH . ,  p.  8^^ ,  cxA.  i. 

1818,  p.  8tjr>,  col.  3.  Cf.  J.  Tardif,  Les  au-  '*'  Sur  ce  nom,  voir  ci  dessus,  p.  78. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  163 

clie''l  Les  procédures,  commencées  avant  1 809,  duraient  encore  en 
i332.  En  effet,  à  la  fin  de  l'année  i33-2  ou  au  commencement  de 
i333,  les  habitants  non  plus  seulement  de  Jersey,  mais  aussi  de  Guer- 
nesey,  déclarèrent  avoir  toujours  suivi  la  Coutume  de  Normandie 
«  qu'est  appelée  la  Summe  Maukael  »  (^'. 

Les  Guernesiais  et  les  Jersiais  ajoutaient  diverses  observations 
empruntées  les  unes  à  l'ordre  judiciaire,  les  autres  à  l'ordre  politique. 
Les  plaids  De  (jun  wairanto  ne  sont  pas  applicables  aux  insulaires 
parce  qu'ils  ont  été  introduits  par  un  statut  récent  d'Edouard  1",  obli- 
gatoire seulement  pour  ceux  qui  tiennent  de  la  couronne  d'Angle- 
terre, tandis  que  les  insulaires  relèvent  directement  du  roi  comme 
seigneur  des  Iles'^l  Tel  était  l'un  des  principaux  arguments  juridiques. 
L'argument  politique  porta  peut-être  davantage  :  les  insulaires, 
disait-on,  ont  eu  beaucoup  à  souffrir  du  voisinage  des  Français,  sans 
jamais  cependant  s'être  départis  de  leur  fidélité  envers  les  princes 
anglais.  A  la  suite  de  ces  explications,  les  poursuites  furent  suspen- 
dues; elles  ne  furent  jamais  reprises.  Et  même,  un  peu  plus  tai"d, 
Edouard  III,  en  lutte  avec  Philippe  VI,  sentit  le  besoin  de  s'attacher 
les  habitants  des  Iles  :  le  10  juillet  i34i,  il  confirma  expressément 
leurs  privilèges  et  coutumes,  confirmation  renouvelée  en  1 357  '*'v^^^ 
actes  confirmatifs  n'énumèrent  pas  les  privilèges  et  coutumes  des  lies; 
ils  les  visent  in  ghbo.  Les  documents  qui,  à  cet  égard,  nous  rensei- 
gnent avec  quelque  précision  sont  assez  nombreux  et  divers  d'ori- 
gine. Nous,  les  indiquerons  en  suivant  l'ordre  chronologique,  mais 
sans  dépasser  l'année  i333.  ^: 

Une  enquête  eut  lieu  sous  Henri  III,  en  1248.  Elle  avait  pour 
objet  de  constater  le  régime  établi  dans  les  îles  de  Jersey  et  de  Guer- 
nesey  par  le  roi  Jean.  Le  premier  fait  relevé  par  les  enquêteurs  est  la 
création  par  le  roi  Jean  de  douze  jurés,  duodecim  coronatores  j aratos ,  ad 
placita  et  jura  ad  coronam  spectantia  custodienda^^^  Nous  retrouverons  ces 
douze  jurés  dans  tous  les  documents  postérieurs. 

'"'  De  predicta  Somma  de  Mantael  {sic  dans  <'*  Pétition  des  habitants  des  Iles,  dans  Bibl. 

l'imprimé  )  ;  voir  Placita  de  quo  warranta ,  p.  836 ,  <fc  l'Ecole  des  chartes ,  loc.  cit. 

col.  I.  W  Rymer,   Fwdera,   t.   II,  Londini,    1821, 

'*>  Pétition  des  habitants  des  Iles,  publié  par  p.  1  167.  J.   Havet,   Les  coars  royales  des  Iles 

Havet,  I^es  cours   royales  des  Iles  vonnandes,  normandes,  lococitato,  p.  a5o,  25i. 

pièce  XXXV,  dans  Bibliothèque  de  l'École   des  <''  J.  Havet,  mémoire  cité,  161W.,  t. XXX VIII, 

chartes,  t.  XXXIX,  p.  2/|5.  p.  62. 


164  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDŒ. 

Une  pièce  non  datée,  mais  qui  a  probablement  été  écrite  en  1274, 
énumère  les  droits  du  roi  à  Guernesey,  puis  les  droits  des  habitants 
de  cette  île.  Ce  relevé,  d'ailleurs  fort  curieux,  n'est  revêtu  d'aucune 
formule  officielle.  Les  franchises  qui  y  sont  mentionnées  en  première 
ligne  sont:  l'abonnement  à  une  taille  ou  aide  de  soixante-dix  livres,  et 
le  droit  pour  les  insulaires  d'être  jugés  par  douze  jurés  sans  sortir  du 
pays'"'. 

En  1299,  on  demande  aux  insulaires  une  déclaration  écrite  de 
leurs  coutumes.  Si  cette  déclaration  fut  fournie,  ce  qui  paraît  fort 
douteux,  elle  ne  nous  est  pas  parvenue'"^'. 

En  1809,  les  Jersiais,  disant  leurs  usages  devant  les  justiciers  iti- 
nérants, placent  au  premier  rang  de  leurs  franchises  le  droit  d'être 
jugés  par  douze  jurés  à  vie,  natifs  de  Jersey,  élus  en  commun  par 
les  officiers  du  roi  et  les  principaux  de  l'île.  Devant  les  mêmes  justi- 
ciers, un  représentant  du  roi  d'Angleterre  accusait  les  Jersiais  d'avoir 
illégalement  établi  chez  eux,  et  dans  les  procédures  d'enquête,  et  en 
matière  d'héritage  ou  de  douaire,  en  fait  de  poids  et  mesures,  et  dans 
les  affaires  intéressant  les  droits  de  la  couronne,  etc.,  des  usages  tout 
à  .fait  différents  de  ceux  des  autres  Iles'^'. 

En  1820,  les  habitants  d'Aurigny  panenaient  à  faire  reconnaître 
par  les  justiciers  royaux  itinérants  toute  une  série  d'usages  locaux 
très  importants;  nous  y  notons  ce  trait  :  Guernesey  était,  comme  on 
eût  dit  dans  la  région  du  Nord-Est  de  la  France,  «  chef  de  sens  »  d'Au- 
rigny; c'est-à-dire  qu'en  cas  de  difficulté  judiciaire,  les  jurés  d'Au- 
rigny avaient  recours  aux  lumières  des  jurés  de  Guernesey.  Les  jurés 
d'Aurigny,  qui  étaient  autrefois  au  nombre  de  sept,  ont  été  récemment 
portés  à  douze,  nous  apprend  le  même  document^*'. 

11  semble  que  les  habitants  de  Jersey  et  de  Guernesey  obtinrent, 
en  iSao,  la  même  reconnaissance  de  leurs  coutumes  que  ceux  d'Au- 
rigny; mais  celte  solution  favorable  ne  fut  pas  maintenue.  Le  roi 
déclara  que  ses  commissaires  avaient  dépassé  leur  mandat  et  suspen- 

'''  Copie  des  franchises   que   le  roi   iEngle-  '*'  J.  Havet, /.  cit. ,  p.  58. 

terre  a  en  Giiernerie  et  que  les  itommes  de  Guer-  <"'   Placita  de  quo  ivmranlo,  p.  835,  coL   a. 

nerie  ont,    publié    par    J.    Havet,    Les    cours  '*'  Extrait  du  rôle  des  plaids  tenus  par  les 

royales  des  Iles  normandes,  pièce  i,  d-Mis  Bibl.  jutticiers    itinérants;    coutumes    adjugées   à    lu 

de  l'Ecole  des  c/inr/«,t.XXXlX,  p.  i  y^-aoa.  Cf.  communauté  de  l'île  d'Aurigny;  toxto  puhlié  i»ar 

le. commentaire  de  J.  Havcl ,  itm.,  t.  XXXVIII,  Havet,  Les  cours   royales   des  lies  nor marnes , 

p.  56.  pièce  xxiii ,  ibid.,  t.  XXXIX,  p.  aSo. 


I 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  a«5 

dit  l'exécution  de  leurs  sentences^'^.  De  nouveaux  commissaires,  sans 
juger  la  question  au  fond,  annulèrent  comme  erronées  les  sentences 
qui  confirmaient  les  coutumes  des  Hes'"^'. 

Une  pièce  de  procédure,  rédigée  par  les  habitants  de  Jersey  en 
forme  de  pétition  ou  requête,  et  présentée  au  Parlement  d'Angleterre 
en  i333,  relate  les  coutumes  alléguées.  En  première  ligne,  les  re- 
quérants ont  fait  figurer  le  droit  d'être  jugés  par  douze  jurés  à  vie 
qui  doivent  être  nommés  en  commun  par  les  ofliciers  royaux  et  par 
la  communauté  de  Jersey'^'. 

Une  pièce  analogue  à  la  précédente  et  de  la  même  date  relate  les 
coutumes  alléguées  par  les  habitants  de  Jersey  et  de  Guernesey.  Le 
premier  article  de  ces  coutumes  est  presque  identique  à  celui  que 
nous  venons  de  citer  pour  Jersey.  Un  autre,  non  moins  remarquable, 
veut  être  relevé  :  tout  prévôt  royal  dans  les  Iles  doit  être  élu  par  les 
liabitants  :  Item  (jaod  dominus  rex  nullnm  prepositum  ibidem  liabere  debeat 
nisi  per  eîeclioiiem  patriotariim^''\ 

Nous  n'entreprendrons  pas  l'analyse  minutieuse  des  usages  locaux 
des  Iles.  Le  droit  d'être  jugés  et  probablement  gouvernés  par  douze 
notables,  appelés  «jurés  »,  qui  font  souvent  échec  aux  juges  itinérants 
ou  au  bailli  ou  gardien  du  roi  d'Angleterre,  paraît  avoir  été,  comme 
on  l'a  vu,  une  des  franchises  auxquelles  les  insulaires  tenaient  le  plus. 
Il  ne  faut  pas  confondre  ces  douze  jurés  avec  les  jurés  dont  parle  si 
souvent  le  Grand  Coutumier  normand.  Les  jurés  des  Iles  sont  des 
officiers  à  vie,  qu'on  devrait  plutôt  rapprocher  des  échevins  ou  jurés 
dont  se  composait  le  magistrat  de  beaucoup  de  communes  françaises. 
Cette  magistrature,  si  chère  aux  insulaires  dès  le  xiif  siècle,  subsiste 
encore  aujourd'hui,  de  même  que  le  Grand  Coutumier  reste,  comme 
nous  l'avons  dit,  un  des  éléments  principaux  de  la  législation  en  vi- 
gueur dans  les  Iles  normandes. 

'''   L.  cit.,  pièce,  xxiv,    p.    333-235.  Conf.  '*'  Pèlidon   îles   insulaires   et  suspension   des 

t.  XXXVIII,  p.  59.  poursuites,  pièce  xxxv,  /.  cit.,  p.  2/j4-2/iq.  Ce 

•'1  J.  Havet,  ibid. ,  t.  XXXVIII,  p.  59.  texte  a  été  aussi  publié  par  Léchaudé  d'Anisy, 

*''  Procès  à  la  cour  da  Banc  du   roi  sur  les  Grande  rôles ,  p.  207.  Pour  les  documpnts  pos- 

coatumes  de  Jersey,  ibid.,  pièce  xxxil,   p.  24o-  térieurs,  voir  Havet ,/.  ei'f  ,  t.  XXXVIII,  p.  53, 

2d2.  63-66. 


166  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

3.  DEUX  COINSULTATIO^S  SUl»  U  COUTUME  DE  NORMANDIE. 

Les  deux  consultations  sur  la  coutume  de  Normandie  dont  nous 
devons  maintenant  dire  un  mot  peuvent  être  considérées  comme  le 
commentaire  du  chapitre  xxiv,  De  porlionibus ,  du  Grand  Coutumier 
ou,  si  on  veut,  comme  un  supplément  à  ce  chapitre.  Ces  deux  textes, 
inédits  l'un  et  l'autre,  sont  de  la  fin  du  xiii"  siècle  :  l'un  est  daté  de 
,1288;  l'autre  de  1294'^.,!  -.Rq  uiKumo-^  fi- 

Nos  deux  consultations  ne  sont  pas  des  œuvres  privées  :  elles  ont 
un  caractère  ofliciel,  nous  dirions  mieux  peut-être  un  caractère  judi- 
jpiaire.  Voici  à  quelle  occasion  elles  furent  délivrées. 
,  Amicie  de  Courtenai,  qui  avait  épousé  en  1262  Robert  II,  comte 
d'Artois,  mourut  en  1276.  Elle  laissait  deux  enfants  mineurs  :  Phi- 
lippe, qui  épousa  Blanche  de  Bretagne  en  1280  (toutefois  cette  date 
n'est  peut-êtie  que  la  date  des  fiançailles) ^^^;  Mahaut,  qui  épousa 
en  1285  Otton  IV,  comte  de  Bourgogne'^^.  Les  biens  tombèrent, 
jusqu'à  la  majorité  de  Philippe,  en  garde  seigneuriale. 
>  Le  partage  de  cette  succession  donna  lieu  à  de  très  longs  débats 
entre  Philippe,  arrivé  à  la  majorité,  et  Mahaut.  Au  cours  de  ces  dé- 
bats, qui  ne  prirent  fin  qu'en  1297,  les  parties  se  référèrent  à  la 
coutume  de  Normandie,  parce  que  les  biens  en  garde  (Couches  et 
iNonancourt)  étaient  sis  en  Normandie.  On  invoque  la  coutume  de 
Normandie,  et  cependant,  il  importe  de  le  remarquer,  le  Grand  Cou- 
tumier n'est  cité  nulle  part'^l  Certes  le  texte  du  chapitre  xxiv  n'eût 
pas  suffi,  comme  on  le  verra,  pour  résoudre  toutes  les  difficultés, 
mais  il  eût,  à  coup  sûr,  servi  de  point  de  départ  aux  avocats,  s'ils 
l'eussent  déjà  considéré  comme  officiel.  On  n'en  était  pas  là  en  1 288- 
1294.  C'est  en  i3o2  seulement  qu'un  chapitre  unique  du  Grand 
Coutumier,  le  chapitre  lxxxii,  De  clericis,  devait  prendre  ce  caractère 
officiel.  L'ensemble  de  l'œuvre  s'achemina  ensuite  progressivement 
vers  ce  degré  d'autorité  et  de  créance. 

■.<"  <(  m////  I  .\»Ai  ('.i.,M  i 

-''  Ces  deui  documents  sont  conservés  aux  et  de  Bourgogne,  Paris,  1887,  p.  5.  Le  P.  An- 

arcliives  du  Pas-de-Calais,  A  34",  A  I  il).  selme  donne  à  tort  la  date    de    1291    {Hisl. 

'*'  «Mariée  par  contrat   passé   au   mois  de  généal.  de  la  maison  de  France,  t.  I",  p.  383). 

juillet  laSo,»  lit-on  dans  le  P.  Anselme  (t.  I,  '*'  Il  est  possible  toutefois  qu'on  ait  consulté 

p.  385).  La  date   du  contrat  est  souvent  la  ce  document,  car  la  comtesse  Mahaut  possé- 

date  des  fiançailles.  dait  un  exemplaire   du  Grand  Coutumier  en 

'''  Cf.  Richard,    Mahaut,  comtesse  d'Artois  français  (Richard,  Mahaut,   p.  100). 


LES  CODTUMIERS  DE  NORMANDIE.  167 

Pour  se  faire  une  idée  du  débat,  ii  faut  connaître  le  contrat  de 
mariage  de  Mahaut;  il  est  daté  de  l'année  i285,  époque  à  laquelle 
Philippe,  son  frère  aîné,  était  encore  mineur.  Cet  état  de  minorité 
nous  est  révélé  par  la  seconde  des  deux  consultations,  et  c'est  précisé- 
ment un  des  faits  sur  lesquels  on  insiste  au  point  de  vue  juridique. 
Le  roi  Philippe  III,  qui  paraît  avoir  joué  un  rôle  décisif  dans  ces 
arrangements  de  famille,  constate,  par  acte  en  date  du  26  janvier 
laSô  (n.  st<),  que  la  dot  de  Mahaut  se  ramène  à  deux  éléments  bien 
distincts  :  1°  une  somme  de  dix  mille  livres  tournois  en  argent 
comptant,  somme  qu'on  déposera  au  Temple  et  que  le  futur  pourra 
toucher  immédiatement;  a"  des  droits  vaguement  indiqués  sur  la  suc- 
cession d'Amicie  :  Actumfuit  quod  idem  Oto  cum  eadem  Matildi  acciperpt 
et  haberet  ratam  sen  portinnem  ipsam  contingentem  m  bonis  materms.       ;î;  < 

Ratam  seii  portionem .  .  .  œntingentem  in  bonis  maternis  :  maïs,  c^ueWe  est 
cette  portto,  cette  quole-partde  la  fortune  qui  revient  à  Mahaut  d'après 
la  coutume  de  Normandie?  La  difficulté  est  sérieuse.  En  effet,  le 
contrat  de  mariage,  rédigé  très  probablement  loin  de  la  Normandie, 
sans  qu'on  eût  songé  à  consulter  quelque  praticien  normand,  se 
reporte  pour  déterminer  la  quotité  de  la  dot  de  Mahaut  au  droit  suc- 
cessoral de  Mahaut;  la  coutume  normande,  de  son  côté,  n'accorde 
aux  femmes  aucun  droit  successoral  proprement  dit.  Tout  leur  droit 
successoral  se  résume  précisément  dans  leur  maritacjinm  ou  dot  :  So- 
rores  autem  in  hereditate  patris  nullam  portionem  debent  reclamare  versus 
Jratres  vel  eorum  lieredes,  sed  maritagium  possiint  refjairere.  Et  ce  marita- 
gium  est  d'une  élasticité  singulière  :  Et  si  fratres  cas  ex  mobili  sine  terra 
vel  cum  terra,  tel  ex  terra  sine  mobili,  voluerint  maritare  vins  eis  idoneis 
sine  disparatione ,  hoc  eisdem  débet  su^cere^^\ 

La  question  se  compliquait  d'une  autre  difficulté  qui  ne  nous  est 
pas  exposée  en  termes  très  clairs.  Si  nous  interprétons  bien  les  textes, 
les  deux  terres  de  Normandie  ne  venaient  pas  l'une  et  l'autre  d'Ami- 
cie :  Couches  avait  bien  appartenu  à  Amicie,  mais  Nonancourt  n'était 
pas  succession  directe;  ce  domaine  provenait  d'un  parent  du  côté 
maternel.  À  ce  propos,  nouveau  doute  :  les  droits  des  parties 
étaient-ils  les  mêmes  sur  Conches  et  sur  N^onancourt?  r;n) 

On  discuta.  On  consulta.  Le  5  juillet  1288,  les  délégués  de  Phi- 

'*'  Grand  Coutiimier,  cliap.  xxiv,  S  i4,  édit.  Tardif,  p.  83-84- 


168  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

lippe  d'Artois  et  ceux  du  comte  de  Bourgogne  et  de  madame  Mahaut, 
sa  Femme,  se  réunirent  à  Conches,au  diocèse  d'Evreux.  Ils  interro- 
gèrent des  chevaliers,  des  clercs  et  d'autres  bonnes  gens,  «  c'est  assa- 
«Yoir:  Monseigneur  Pierres  de  Pommeruel,  Monseigneur  Rogier  de 
(I  Gourçon,  Monseigneur  Jehan  du  Fay,  Monseigneur  Richart  Ruffaut, 
«Monseigneur  Guillaume  de  Bordigni,  Monseigneur  Rovier  de 
(I  Portes,  Monseigneur  Jehan  de  Ghantelou  et  Monseigneur  Renaut 
«duMesnil,  chevaliers;  Mestre  Pierres  de  Houssemagne,  chanoine 
«d'Esvreues;  Monseigneur  Richart  Le  Gualois,  prestre  et  persone  de 
M  Sainte  Goulonbe  et  Robert  Gerart,  clerc ''^,  et  autres  bonnes  gens.  » 
Ces  Normands  arrêtèrent  la  réponse  suivante  :  «  Ladite  Mahaut  doit 
«  prandre  et  avoir  pour  sa  partie  le  tierz  en  la  terre  de  Couches  et  es 
«apartenances;  mais  ladite  Mahaut  ne  doit  rien  avoir  en  la  terre  de 
«Nonencourt  ne  es  apartenances,  pour  ce  que  ladite  terre  n'est  pas 
«  venue  de  droite  lingne,  einz  est  venue  d'une  escheance  de  costé'^'.  » 

La  seconde  partie  de  la  consultation  révèle  un  autre  chef  du  débat 
dont  nous  n'avons  encore  rien  dit:  Philippe  accusait  sa  sœur  de  s'être 
approprié  des  deniers  qui  ne  lui  appartenaient  pas,  soit  que  le  don 
ci-dessus  relaté  de  dix  mille  livres  tournois  lui  parût  excessif,  soit 
même  qu'on  eût  ajouté  de  la  main  à  la  main  à  cette  grosse  somme.' 
Cette  seconde  difficulté  est  résolue  en  ces  termes  :  «  Et  avons  trouvé 
«par  le  recort  des  devant  nommez  que,  se  ladite  Mahaut  enporta  rle- 
«  niersdeschatieus  dudit  Monseigneur  Phelippe  plus  que  il  ne  li  pouet 
«  afferir  pour  sa  partie  des  muebles,  que  il  tendront  leu  a  Monseigneur 
«Phelippe,  en  rabatant  sus  la  partie  de  l'eritage  a  ladite  Mahaut,  ou 
«les  deniers  seront  renduz  audit  Monseigneur  Phelippe.  » 

Telle  est  notre  première  consultation.  Comment  les  prud'hommes 
normands  ont-ils  trouvé  cette  quotité  du  tiers?  Rien  de  plus  simple. 
Elle  se  présentait  très  naturellement  à  leur  esprit;  car  il  était  admis, 
que,  si  le  frère  ou  les  frères  ne  veulent  pas  marier  ou  doter  leur  sœur^i 
celle-ci  pourra  réclamer  le  tiers  de  la  fortune  :  Et  si  eas  maritare  nnluc- 
rint,  terciam parteinhereditatis  habebant  loco  maritagii  (chap.  xxiv,  S  i4). 
Sans  doute,  on  ne  pouvait  soutenir  que  Philippe  n'avait  pas  voulu 
marier  sa  sœur  Mahaut;  mais  on  raisonnait  par  aaalogie  et  on  attri- 

k''  Ce  Gérard  tient  i>eut-étre  la  plume.  décision  du  Parlement  de  Pari»,  de  la  Pente- 

'*'  A  joindre  dans  le  même  esprit,  au  sujet        côte  1388  (Beugnot,   l^$  Œim,  t.  11,  |>.  277, 
des  revenus  sur   lesjuifs  à  Nonancourt , .  nue        n°  ix)»  itni-.tw"' 1  \.  m'.^    '* 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  169 

buait  à  celle-ci  un  tiers  de  la  fortune  de  sa  mère.  Raisonnement  vrai- 
semblable :  on  peut  admettre,  en  eflet,  que,  si  la  coutume  accorde 
un  tiers  à  la  sœur  ou  aux  sœurs  que  le  frère  n'a  pas  voulu  marier, 
c'est  parce  que  cette  quotité  du  tiers  est  la  part  communément  faite  à 
la  sœur  ou  aux  sœurs,  au  moment  du  mariage.  Quant  à  la  décision 
relative  à  Nonancourt,  elle  est  parfaitement  conforme  aux  règles  que 
pose  de  son  côté  l'auteur  du  Grand  Coutumier  normand.  Le  «  ma- 
»  riage  »  ou  dot  de  la  sœur  doit  être  imputé  sur  les  biens  venant  de  suc- 
cession directe,  mais  non  sur  ceux  qui  viennent  de  succession  colla- 
térale (chap.  XXIV,  S  1 5).  La  consultation  n'est  pas  pour  nous  très  nette 
en  ce  qui  concerne  l'argent  comptant  et  les  meubles  ;  la  pensée  des 
rédacteurs  de  cet  avis  juridique  est,  sans  doute,  que  Mahaut  a  droit 
au  tiers  du  mobilier  comme  au  tiers  des  terres  qui  ont  appartenu  à  sa 
mère;  c'est  aussi  la  doctrine  du  Grand  Coutumier,  lequel  ne  distingue 
pas  les  meubles  et  les  immeubles,  mais  parle  en  bloc  de  l'héritage  : 
terciam  partein  hereditads .  .  .  loco  maritagii. 

Cette  consultation  ne  fut  pas  acceptée  par  Philippe.  Les  discus- 
sions continuèrent.  Le  frère  fit  valoir,  ou  on  fit  valoir  pour  lui,  une 
série  de  considérations  juridiques  très  délicates,  qui  avaient  surtout 
pour  base  cette  observation  de  fait  :  Philippe  était  mineur  lors  de  la 
conclusion  du  contrat  de  mariage  de  Mahaut.  Une  consultation  beau- 
coup plus  importante  et  plus  solennelle  fut  demandée  par  Philippe. 
On  dressa  quatorze  propositions  qui  furent  soumises  à  l'Échiquier  de 
Rouen,  le  2  i  octobre  19.94;  l'Échiquier  libella  quatorze  réponses  à 
ces  questions.  Les  propositions  de  Philippe  et  les  solutions  de  l'Échi- 
quier furent  soumises,  le  19  décembre  suivant,  au  Parlement,  lequel 
appiouva  toutes  les  décisions  qui  lui  étaient  transmises.  C'est  notre 
seconde  consultation.  Voici  les  noms  des  membresde  l'Échiquier  qui 
l'ont  rédigée  ou  qui,  du  moins,  en  ont  pris  la  responsabilité  :  «Ce 
«  sont  coustumes  de  Normendie  approvées  a  l'Eschekier  de  Roem  par 
«  Maistre  Jehan  de  Forest,  Monseigneur  Estevene  de  Bienfete,  cheva- 
«  lier.  Monseigneur  Renaut  Le  Chambellenc,  chevalier,  visconte  de 
«  Faloise,  Jehan  de  Saint  Lyenart,  baillif  de  Caen,  Nicholas  de  Villers, 
«  baillus  de  Coustentin,  Maistre  Pierre  de  Carville,  maire  de  Roem, 
«  Guillaume  du  Gripeel ,  visconte  de  Caem ,  Raimon  Passemer, 
«visconte  de  Pont  Audemer,  et  Denis  Tavernier,  visconte  de  Mons- 
«  terviler.  »   Parmi   les  dix-neuf  personnes   présentes  au  Parlement 


HIST.  LITT.  XStlII. 


170  I.ES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

quand  l'affaire  y  fut  portée  et  qui  approuvèrent  à  leur  tour,  nous 
remarquons  le  bailli  de  Gisors  et  le  bailli  de  Caux. 

Cette  consultation  solennelle  fixe  la  solution  de  toute  une  série  de 
problèmes  juridiques.  L'un  des  articles,  le  cinquième'"',  est  la  repro- 
duction pure  et  simple  d'un  principe  posé  dans  la  consultation  de 
1  288  :  pœur,  en  échéance  de  côté,  ne  prend  rien  avec  frère.  Nous 
relevons  encore  l'énoncé  d'un  principe  connu  :  «On  propose  premie- 
«  rement  ke  suer,  puis  ke  ele  est  mariée,  ne  puet  demander  partie  a 
«  sen  frère.  »  Suit  la  réponse  de  l'Échiquier,  qui  reçut  l'approbation 
du  Parlement.  Cette  réponse  limite  la  portée  de  la  proposition,  qui 
est  inapplicable  dans  l'espèce  :  «  C'est  voirs  :  puis  ke  le  j)ere  et  le 
«  mère  l'aront  mariée  ou  fuu  d'ichiaus  sans  l'autre,  et  li  aront  donné 
«  certaine  portion  de  leur  biens,  ele  ne  puet  puis  demander  partie  a 
isen  frère.  Item,  se  ele  se  marie  de  se  volenté,  ele  ne  puet  puis  de- 

•  mander  partie.  Mais  se  aucune  demoisele  est  en  aage  de  marier  et 
«  ses  frères  soit  sousaagé  et  en  garde  de  seigneur,  les  amis,  par  le 
(I  congié  du  gardeeur,  pueent  bien  le  demoisele  marier  et  prometre 
«  lui  tel  droit  comme  ele  porroit  avoir  de  l'yretage  de  son  père  ou  de 
«  sa  mère,  se  il  estoient  mors.  Et  ceste  partie  li  doit  tenir  li  frères 
«  quant  il  venra  en  aage.  Et  sera  tenue  le  demoisele  a  rendre  au  frère 
«ce  ke  ele  en  ara  porté  de  ses  moebles  outre  sen  droit.  »i>  m.'IchI  mh»  » 

La  quatrième  proposition  prend  encore  pour  point  de  départ  "nu 
principe  général,  que  le  Grand  Coutumier  a  formulé  de  son  côté  au 
paragraphe  i5  du  chapitre  xxiv.  Elle  est  ainsi  conçue  :  «Item,  aussi 
«  comme  li  frères  aagiés  puet  marier  se  suer  tout  pour  deniers  sans 
«  donner  li  terre,  autel  pooir  ont  les  amis  quant  il  est  sousaagé;  car 
«  se  condicion  ne  doit  pas  estre  pire  pour  son  non  aage.  Et  se  les  amis 
«  avoient  donné  a  lesuergrant  moebleetyretage  avoekes,  li  frères  seroit 
«  ois  a  demander  le  desavenant.  Et  prenderoit  on  aussi  Iwen  regart  au 
«  moeble  comme  a  l'yretage.  »  A  cette  proposition  ou  question  voici  la 
réponse  entièrement  concordante  de  f  Échiquier  et  du  Parlement  : 
M  Le  coustume  est  bien  tele  d'effant  sousaagé  ke  se  condicions  n'em- 
«pire  pas  pour  son  non  aage  et  ke,  se  si  ami  ont  donné  a  se  suer  du 
«  sien  desaveuanment  a  mariage  en  mueble  ou  en  yretage,  il  le  puet 

•  bien  rapeler  en  l'an  de  son  aage,  si  comme  il  est  dit  par  desus.  »     * 

'*'  Numéroté  |xir  errenr  tiii  dnns  le  maiinscrit. 


l 


LES  GOUTCMfERS  DE  NORMANDIE.  171 

Parmi  les  autres  propositions,  la  troisième  et  la  onzième  attirent 
particulièrement  notre  attention.  La  troisième  serre  d'assez  près  l'es- 
pèce en  cause;  la  réponse  surtout  en  relate,  ce  semble,  la  circonstance 
la  plus  notable.  Proposition  et  réponse  concourent,  en"  définitive,  à 
établir  que  Philippe,  mineur  lors  du  contrat  de  mariage  de  sa  sœur, 
peut  répéter  ou  refuser  de  livrer  ce  qui  aurait  été  donné  ou  promis  en 
trop  à  sa  sœur.  Voici  le  sens  exact  de  la  proposition  :  urt  frère  est  mi- 
neur et  sa  terre  est  en  garde  féodale;  sa  sœur  est  en  âge  de  mariage; 
les  parents  («les  amis  duvallet  et  de  le  demoiselle  i>)vieiinent  trouver  le 
gardien  et,  d'accord  avec  lui,  déterminent  la  dot  («  mariage  »)  de  la  fiile^ 
legardien  cependant  conserve  le  bien  en  sa  main  ;  mais,  lorsque  le  frère 
sera  majeur  et  hors  de  garde,  si  le  don  fait  à  sa;  sœur  est  excessif,  iî 
pourra,  dans  l'année,  en  provocpier  la  révocation,  alors  même  que  sa 
sœur  et  son  mari  seraient  déjà  ensaisinés.  Telle  est  là  proposition.  La 
réponse  va  poser  une  autre  modalité ,  qui  corres])ond  probablement  à 
la  situation  exacte  des  parties''^;  on  va  y  examinei*  le  cas  où  les  biens 
immeubles  sont  resté»  en  la  main  du  gardien  :  kLa  coustume  est  bien 
«  tele  comme  il  est  desus  dit;  mais,  se  le  mariage  convenenchié  parleà 
<(  amis  de  le  demoisele  demeure  par  aucune  aventure  en  le  main  du 
«  gardeur,  pour  chou  ne  pert  pas  le  demoisele  ke  ele  ne  puist  de- 
u  mander  a  sen  frère  ce  ke  les  amis  li  aront  convenenchié  au  mariage. 
«  Et  est  bien  le  coustume  tele  ke ,  se  le  mariage  est  fait  et  livré  des- 
«  avenant  a  le  damoisele  par  les  amis,  le  frère  pu  et  rapeler  le  desave- 
«  nant  en  fan  de  ion  aage.  »  louioi 

Nous  croyons  pouvoir  résumer  en  ces  termes  la  penséd  fondamen- 
tale qui  se  dégage  de  cette  série  de  principes  :  sans  doute,  une  sœur 
ne  peut  demander  à  son  frère  un  partage  de  succession;  mais  elle 
peut  lui  demander  une  dot  promise.  D'autre  part,  le  frère  peut  con- 
tester la  quotité  de  cette  dot,  en  soutenant  qu'il  y  a  «  mariage  desave- 
i»nant».  Le  contrat  de  mariage  serait-il  un  obstacle  à  cette  solutiôh.i^ 
La  onzième  proposition  et  la  réponse  qui  la  suit  écartent  directement 
fautorité  de  cet  instrument. 

Telle  est,  en  son  essence,  cette  coiisultation  juridique.  Nous  omet- 
tons bien  des  détails  qui  compliquaient  le  problème  :•  cette  question, 

'''  Non  pas  toutefois  on  ce  qui  concerne  sien  effective  de  Nonancourt  :  c'est  ce  qui  res- 
Nonancourt,  car  il  nous  parait  cei-tnin  que,  sort  d'nne  décision  des  Olim  de  cette  année 
dès  1388,  Philippe  d'Artois  avait  pris'  posses-         {Olim,  t.  Il,  p.  t-j-j,  n°  ix).       ■ 


172  LKS  COUTUMIEUS  DK  NORMANDIR. 

entre  autres,  se  posait:  Robert  d'Artois,  veuf  d'Amicie,  n'a-t-il  pas 
un  droit  d'usufruit  sur  les  biens  de  sa  femme?  Mais  Robert  s'est  re- 
marié: il  a  épousé  en  secondes  noces '''  Agnès  de  Bourbon  (morte 
elle-même  en  it«83).  A-t-il  perdu  cet  usufruit?  Il  l'a  certainement 
perdu  :  «Item,  ke  quant  homme  tient  en  veveé  la  terre  de  sa  pre- 
«  miere  femme  et  il  se  marie  a  autre,  il  pert  le  terre  de  le  première 
«  femme.  — Response:  Le  coustume  est  tele.  »  Ce  principe  a  été  pro- 
clamé également  par  l'auteur  du  Grand  Coutumier'^l 

Il  n'y  a,  d'ailleurs,  aucune  parenté  de  texte  entre  ce  traité  et  notre 
Consultation.  Nous  pensons  que  les  rédacteurs  de  cet  avis  juridique 
n'ont  pas  eu  sous  les  yeux  le  Grand  Coutumier.  En  revanche,  il  est 
facile  de  constater  que  les  principes  fondamentaux  sont  identiques 
de  part  et  d'autre,  la  consultation  visant  de  plus  une  série  de 
questions  secondaires  que  l'auteur  du  Grand  Coutumier  n'avait  pas 
abordées. 

Le  débat  se  prolongea  et  aboutit  enfin  à  une  transaction  :  le  frère 
et  la  sœur  compromirent,  faisant  leur  propre  père  arbitre  du  litige. 
Cielui-ci  laissa  de  côté  tous  les  arguments  juridiques,  et,  statuant  eu 
fait  plutôt  qu'en  droit,  prononça,  le  i5  septembre  1296,  le  jugement 
arbitral  suivant  :  «  Disons  et  prononçons  en  arbitrant  seur  la  painne 
«contenue  audit  compromis  que  ladite  Mahaut,  pour  tout  le  droit 
«  que  a  li  apartient  et  puet  a])artenir  en  l'erytago  desus  dit  de  par  sa 
M  mère,  ait  et  preingne  herytablement,  a  tous  jours,  sis  cens  livrées  de 
«terre  n  tornois,  lesqueles  nous  volons  que  lidis  Phelippes  li  assiée 
«  très  maintenant  a  Chastiau  Renart,  a  Gharny  et  en  la  terre  que  lidis 
«  Phelippes  a  en  Borgoingne,  bien  et  soufisaument,  as  us  et  as  cous- 
«  tûmes  des  biens,  avuec  les  chastiaus,  maisons,  forteresses  et  justices 
«  et  segnories  toutes  desdis  biens,  qui  seront  prisiées  etmisesou  conte 
«  des  sis  cens  livrées  de  terre,  en  la  manière  que  la  coustume  des 
«  lieus  l'aportera,  se  la  coustume  le  donne '■^^.»  Cette  sentence  fut 
complétée  dans  l'automne  de  1297.  Robert  d'Artois  expliqua  par 
une  seconde  sentence  :  1°  que  le  comte  de  Bourgogne  et  Mahaut 
tiendraient  la  ville  de  Château-Renard  en  fief  de  Philippe;  2°  qu'ils 
seraient  tenus  d'acquitter  certaines  charges  envers  une  série  de  per- 

f  11  é|K)U»ern  en  truisiènies  noces  Mar^nierite  de  Ilainaut  (ir(98).  —  '*'  (Miai>.  .cxix,  I)v  iinpe- 
dilione  feodi  viri  viduati,  S  i ,  édif.  Tardif,  p.  307.  —  '''   Areliives  du  Pas-tle-Oalais,  A  4i" 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  173 

sonnes  désignées.  Les  parties  intéressées  acceptèrent  cette  solution'''. 
H  semble  pourtant  que  ce  ne  fut  pas  le  dernier  mot.  En  effet,  le 
P.  Anselme,  auquel  d'ailleurs  toutes  les  autres  pièces  de  ce  curieux 
dossier  paraissent  être  restées  inconnues,  analyse  un  acte  du  22  dé- 
cembre 1297,  que  nous  n'avons  pas  retrouvé  :  c'est  cet  acte  qui  au- 
rait terminé  le  litige.  En  voici  l'analyse  d'après  le  P.  Anselme  :  Otton 
de  Bourgogne  et  Mahaut  déclarent  se  contenter  de  ce  que  le  comte 
d'Artois,  père  de  Mahaut,  a  réglé  pour  tout  droit  à  la  succession 
d'Amicie  :  Mahaut  aura  la  moitié  des  chàtellenies  de  Château-Renard 
et  de  Charni,  l'autre   moitié  restant    à  Philippe,    son  frère '"^'. 

Conches  et  Nonancourt  ne  jouent  plus  aucun  rôle  dans  les  divers 
actes  par  lesquels  se  clôt  le  litige.  Les  droits  de  Mahaut  sur  Conches, 
et  d'ailleurs  tous  ses  droits,  quels  qu'ils  soient,  ont  été  ventilés  par 
l'arbitre  :  ils  sont  entièrement  transformés;  Philippe  reste,  sans  que 
son  père  ait  eu  besoin  de  relater  le  fait,  seigneur  sans  partage  de 
Conches  et  de  Nonancourt. 

Ces  longues  discussions  et  surtout  ces  remaniements  successifs  de 
la  sentence  arbitrale  décèlent  entre  les  deux  parties  une  hostilité  pro- 
fonde. 11  est  permis  de  se  demander  si  cet  obscur  débat  entre  Phi- 
lippe et  Mahaut  n'a  pas  quelque  intérêt  pour  l'histoire  générale.  On 
sait  quelles  interminables  et  terribles  rivalités  divisèrent,  à  la  mort  de 
Robert  ir(i3oa),  Mahaut  et  son  neveu  Robert,  fils  de  Philippe, 
prédécédé,  lesquels  prétendaient  l'un  et  l'autre  au  comté  d'Artois.  On 
pourra  désormais  rappeler  que  la  lutte  enli-e  ces  deux  branches  de  la 
famille  d'Artois  remontait  à  dix-sept  ans  en  arrière ,  c'est-à-dire  au 
contrat  de  mariage  de  Mahaut  :  ces  deux  branches  étaient  depuis  lors 
des  rivales,  des  ennemies;  le  procès  fameux  de  Mahaut  et  de  son 
neveu  Robert  fait  suite  dans  une  certaine  mesure  au  litige  de 
1285-1297  entre  Mahaut  et  Philippe. 

Un  débat  analogue  à  celui  dont  nous  venons  de  rendre  compte 
s'était  élevé  vers  ce  temps  entre  deux  autres  membres  de  la  famille 
de  Courtenai  :  Pierre  (branche  des  seigneurs  de  ChampignoUes)  et 
Marguerite,  sa  soeur,  épouse  de  Raoul  d'Estrées.  Pierre  de  Courtenai 
voulait,  lui  aussi,  revenir  sur  le  contrat  de  mariage  de  sa  sœur,  sp^s 


''■  Ari-liives  du  Pas-tle-Calais,  A   2,  Fol.   2.  — '*'   P.  Anselme,  Hist.  yènéulogique  de  la  maison 
royale  de  France ,  t.  l" ,  f>,  'SS^. 


174  iaffil.COOTBMIBRS  DE  NORMANDIE. 

prétexte  qu'il  était  mineur  au  temps  où  il  avait  consenti  à  ces  con- 
ventions matrimoniales.  L'affaire  lut  portée  devant  le  Parlement  et 
résolue,  en  1282,  contre  Pierre  de  Courienai.  Voici  les  considéranti 
dé  l'arrêt  :  Quia  dicte  convencionei  recordate  fuemnt  in  presencia  domini 
reçfis,  dicto  Petro  présente  et  consenciente ,  et  (fuia  dicte  convenciones  eidem 
Petro  dampnose  non  sunt,  set  pocimJructnose'^^K  ,,» 

Mahaut  eût  pu  songer  à  invoquer  contre  son  frère  cette  juristir^fi- 
dence  toute  récente.  Elle  le  fit  peut-être.  Mais  nous  ne  pouvons  rien 
bfiirmer  à  cet  égard.  Une  serait  pas  impossible  d'apercevoir  dans  la 
réponse  à  la  huitième  proposition  de  Philippe  une  confirmation  par 
le  Parlement  de  Paris  des  principes  qu'il  avait  posés  en  1282  dans 
l'affaire  de  Pierre  de  Courtenai  contre  Marguerite.  Vi<î>*Gi<  la  propo- 
sition et  la  réponse  auxquelles  uqus  faisons  allusion  :  jo i  ^  1  u  >  1,. 

■HH)  f'.imy.  *bI^'ii  '^imiliflM   ;i'.'>uiu>\''.iii.ji\ii'>i\i-n<ijii-i   \fu>f  *'li  :    1  itjf|ij;'| 
1  Item ,  propose  h  denênderres  ke,  comme  li  demandeur  fondent  moutleur  entenfion 

sur  une  lettre  seelée  du  seet  nostfé  seigneur  le  roy  Philippe ,  kë  cefe  lettre  ne  fè  li^  en 

riens ,  car,  par  le  couslume  de  Normandie ,  lettre  ne  fié  homme'  ki  né  ^'eist  obKgiés  où 

kî  n'est  côndempnés  par  droit;  '  '       , 

.  Rçsponse  :  Le  coustume  est  bien  tele  :  quant  enfant  sousaagé  est  en  garde  de 

siglKiur,  et  il  a  suer  ki  soit  fn  aagç  de  marier,  les  amis  et  le  si^neur  ki  le  gardât  le 

pue^t  bien  hier  en  fasant  mariage  avenant  a  sa  suer  '*'.  .      .   '  ■  • 

'■  Les  jfilîicdhtroitéi'qlri^'&li*XHt'  'et  ait  'xjv*  siècle,  i^dijs^eaî  flans 
hos 'provinces  des  coutumes  ou  des  coulumiers  prenaient  pour  base 
de  leurs  travaux  te  dixiit  pratiqué  dan*  les  tribunaux  et  dans  les  cours. 
Celaient  là  les  officines  du  droit.  C'est  M  que  le  droit  se  faisait  plutôt 
qtte  dans  les  assemblées  législatives  et  dans  les  livres.  Nous  ne  sau- 
rtOnS  donc  négliger  entiènentent  les  monuments  anciens  de  cette  jtii'is- 
prudence  dont  se  sont  inspirés  nopliieui  auteura.  Nous- les  étudierons 
d'a&îfeurs  très  sommairemeirt.""  '""''  '"'"*  '■  "';:ol»;(i,  h.l--!,  n  1 
'*''L'éà  sources  dé  la  jurisprudence  normande  anxm*  siècle  se  divisent 
^Ôut  naturelleitiénl  en  deux  parties  :  l'es  arrêts  de  l'Échiqtrier,  juri^ 
dictic'n"  sùpéricfure*  les  sentencesdès  nombreuses  juridictions  imW^ 

Les  juridictions  inférieures  et  l'Échiquier  ont  fait  consigner  de 

'"'  Olim.  t.  11,  p.  aoi  ,   n"  xvi.  Cf.  l.  I,  p.  485.—  <*'  Cf.  proposition  iiJ  .  ..«v 


LES  /COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


»7» 


bonne  heure  sur  rouleaux ,  puis  sur  registres,  sinon  toutes  leurs  déci- 
sions, au  moins  une  grande  partie  de  leurs  décisions.  Ces  rouleaux  ou 
ces'  registres  des  greffiers  du  xiii*  siècle  ne  sont  pas  parvenus  jusqu'à 
nous.  Mais  nous  possédons  divers  recueils  qui  eu  djèrivexiU  .,j,  .  .; 
Les  recueils  d'arrêts  de  l'Échiquier  sont:  .'\  /m  /d/  ..1 .1^  ')up  lainti 
1°  Plusieurs  compilations  allant  de  laoy  à  i248;ifi7B  'Vioiq/.'j  non 
-I)  1»*^  Un  recueil  intitulé  Arresta  communia  de  Scaccario,  de  i  2  7  6  à  1 2  90, 
et  an  petit  recueil  comprenant  des  arrêts  de  i  291  à  1  394-       >'' 

Quant  aux  juridictions  inféKeures,  un  recueil  fort  intéressant lest 

arrivé  jusqu'à  nous  :  ce  sont  les  Assises  de  Normandie.  lit  ii,q 

l'Nous  donnerons  ici  une  idée  sommaire  de  ces  collections.  >'tl 


".l'y. 


1.  OîMPILATlONS  D'ARRÊTS  DE  L'ÉCHIQUIER  DE  1207  À  12i8i(>nt  j    lu')3 


,|,M.  L.  Delisle,  dans  une  étude  déjà  ftuciepnje ''',  a  distingué  ainsi 
qu'il  suit  quatre  compilations  :        .^j  ,,„p  ^viJuO .. 

■'i/i; 


Première  compilation  :'  iH6f-i^ky^'' 
Deuxième  compilation  :  lao^-rîîô'*. 


»(! 


Ki)! 


!ii'iu|)(rrini 


k 


'.iii. 

-M  Mémoiies  de  1'AcadéfH.iit  jUs  iiuçriplions , 
t.  XXIV,  a' partie.  ,  ,!,  i;  ,       j 

'*'  Manuscrit  unique  :  Bibl.  Se  Rouen  Y.  9. 90, 
fol.  5»  v°-8-J  v°  (fin  du  xm*  siècle).  Edité  par 
L.  DelLsle ,  dans  Sotices  et  extraits,  t.  XX, 
3'[)artie,  Paris,  i8fî/»;  M.  Deiisle  a  fondu  dans 
Sun  édition  les  arrêts  fournis  par  les  autres  com- 
pilations. 

'''  Cinq  manuscrits  :  Bibl.  nat.,  latin  465 1, 
fol.  49-55  (fin  du  xiii' siècle);  latin  iio34, 
foL  1  v°-8  v°  (coiuinencement  du  xiv'  siècle);, 
latin  iio3.3,  fol.  52-6o  (manuscrit  copié  en 
i365);  latin  4653,  fol.  79  v°-90  v°  (copié 
en  i43o);  lat.  4653  A,  p.  243-376  (commen- 
cement du  xvi'  siècle).  La  Deuxième  compila- 
tion était  aussi  transcrite  dans  le  registre 
Saint-Just  de  la  Chambre  des  comptes,  re- 
gistre détruit  dans  l'incendie  de  1737.  La 
Deuxième  compilation  a  été  éditée  par  Lé- 
chaudé  d'Anisy,  d'après  le  ms.  latin  iio34, 
dans  les  Grands  rôles  des  Echiquiers  de  Norman- 
die, p.  137-144  {Mémoires  de  la  Société  des 
Antiquaires  de  Normandie ,  t.  XV,  Caen,  t845. 
Certains  exemplaires  de  ce  volume  portent 
aussi  le  titre  de  Documents  historiques,  t.  I). 
Brussel avait  publié,  d'après  le  registre  Saint- 


,M.'f    . 


t  Jost,'  plusieurs  «rréts  dans  le  Nouvel  examen  dà 
,  (usage  général  des  Jiefs.  Le  registre  Saint-.Iust 
Contenait,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  (ci-des- 
sns,  p.  67,  n;  4),  outre  lîi  Deuxième  compila- 
tion ,  un  texte  du  Grand  Coutumier.  A.  la  suite, 
du  Coutumier  on  lisait  ces  vers  :  i 

La  coustume  de  Normandie 
Est,  lionne  et  vraie,  ici  finie. 
Qui  fu  de  Lîsie  Bonne  estraite. 
S'est  or  muelx  ordonnée  et  faite. 
I    .\i  fm  Hr^t  prions  Dieu  le  haut  celestre 
Que  cil  puisse  en  paradis  estre 
Qui  si  très  bien  l'a  ordené[e]. 
Au  commua  peuple  soit  gardée 
Des  pleedeeurs  et  des  justices. 
Que  n'en  soit  nul  tenus  pour  niées.         . 
Les  bontés  sont  trop  dettenues ,     '    '        '. 
Et  trop  chierement  son  vendues.        "'  '''""'( 

En  tête  de  la  compilation  des  jugements'  de 
l'Echiquier  on  Usait  ;  ,1,)-); 

Versus  de  tempore  conqueste  facte  per  R.  Philip- 
pum  Augustum,  avum  beati  Ludovici  régis  Fran- 
corum. 

Bis  annos  apta  binis  cum  mille  ducentis  : 

Vi  France  gentis  tune  est  Normannia  capta. 

Set  cite  post,  dictus  rev  Philippus  fecit  ScaciJli'î* 


176 


LES  COCÏUMIERS  DE  NORMANDIE. 


"'  Troisième  compilation  :  1 107-1  a43 '". 

QuatrièiiKî  compilation  :  1  307-1  a 46  '^'. 

La  Quatrième  compilation,  qui  n'avait  pu  être  étudiée  par  M.  L.  De- 
Hsleque  sur  un  manuscrit  incomplet,  s'étend  en  réalité  jusqu'en  1  248, 
ainsi  que  M.  L.  Auvray  l'a  établi,  en  signalant  un  manuscrit  du  Vatican 
non  exploré  avant  lui. 

Un  nouvel  examen  de  ces  textes  confirme  pleinement  les  conclu- 
sions de  M.  Delisle  en  ce  qui  concerne  la  Première  compilation.  Elle  se 
rattache  de  très  près  aux  rôles  perdus  de  l'Echiquier;  les  noms  des 
parties  y  sont  la  plupart  du  temps  conservés.  Les  affaires  y  sont  rela- 
tées avec  des  détails  touchant  les  lieux  et  les  personnes  qui  placent, 
sans  hésitation  possible,  ce  recueil  au  premier  rang.  Il  contient  six 
cent  cinquante-neuf  articles,  c'est-à-dire  un  nombre  de  décisions 
près  de  deux  fois  plus  considérable  que  celui  de  chacune  des  trois 
autres  compilations.  Voici  quels  sont  les  caraétères  extrinsèques  de 
ces  trois  compilations.  Outre  que  les  dates  extrêmes  diffèrent  (  1 2  36'^', 
1243,  1248),  la  Deuxième  compilation  contient  certains  articles  qui 
manquent  dans  les  autres;  la  Troisième  et  la  Quatrième  donnent, 

f)our  les  années  i23o-i235,  divers  jugements  qui  font  défaut  dans 
a  Deuxième,  etc.  Quant  aux  caractères  intrinsèques,  dont  la  cri- 
tique doit  tenir  le  plus  grand  compte ,  les  compilations  dites  Deuxième , 
Troisième  et  Quatrième  accusent,  pour  les  années  1207  à  1229,  un 
procédé  de  rédaction  identique.  Le  lecteur  en  jugera  par  quelques 
exemples. 

La  Première  compilation  contient,  à  l'Echiquier  de  la  Saint-Michel 
de  l'an  1 207,  cet  arrêt  : 

Judicatum  est  c(uod  Radulfus  Gillani  de  Gavreio  et  Alexandra,  uxor  ejus,  tiabeanl 


in  Nopmannia,  a  quibiis  Jescenderunt  judicata  hic 
inferins  suscripta. 

(D'après  des  exlrails  du  Livre  de  Saint-Just 
pris  en  1 648  par  Nlcolas-Cliaiies  de  Sainle- 
Marthe,  ms.  français  ^JoGgo,  p.  167  et   i58.) 

(')  Bibl.  nat.,'  lat.  iio3a,  p.  i88-2i5 
(commencement  du  xiv*  siècle).  Edité  par 
VVarnkœnig,  avec  mélange  de  textes  provenant 
de  la  Deuxième  compilation ,  dan»  Franzôs. 
Staats-  iiiid  Rechlsgescliichte,  t.  II,  i8/|8,  Ur- 
knndenbiich  ,  p.  70-1  17. 

'*'  Texte  latin  dans  le  manuscrit  3q64  du 
fonds  Oltoboni ,  à  la  Bibl.  du  Vatican ,  fol.  8a  r"- 


io5  v"  (Gn  du  xni'  siècle).  Qnelijues  arrêts 
inconnus  jusque-là  et  conservés  dans  ce  ma- 
nuscrit ont  été  publiés  par  M.  L.  Auvrav, 
dans  la  Bibliothèque  île  l'Ecole  des  chiiiles , 
t.  XLIX,  p.  CiS-G^/i.  Texte  français  dans  le 
ms.  1 743  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève , 
fol.  257  r*-3i5  v°.  Cette  traduction  française 
a  été  éditée  par  Mamier,  Elablissciiieiils  il 
eoiitiimes,  assises  et  arrêts  de  l'Eehiquierde  Nor- 
mandie, p.  1  1  i-aoï. 

'•^'  Cl.  Léchaudé  d'Anisy,  p.  i44;  Delisle, 
Recueil  des  jugements  de  l'Echiquier,  note  4,  sur 
len*  601. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  177 

hereditatem  suani  quaai  Ricardus  deSancto  Dionisio  eis  difforciat,  quia ,  cum  eadem 
Alexandra  implacitaret  eumdeni  Ricaiilum  de  hereditate  illa  et  diceret  eum  esse  bas- 
tardum,  et  inde  appellaveiat  ad  doniiriuni  papam  de  coram  Willelmo,  Constanciensi 
episcopo,  idem  episcopus  per  suas  litteras  testificatus  fuit  quod  appi'llationem  suam 
non  prosecutus  fuerat  ad  terminum  sibi  positutn.  Preterea  judicatum  fuit  quod  non 
poterat  appellare  extra  Normanniam  ('*. 

Les  Deuxième,  Troisième  et  Quatrième  compilations  suppriment 
les  noms  propres  et  condensent  ainsi  cet  article  : 

Quia  episcopus  Constanciensis  per  litterus  suas  testificatus  est  quod  tenens  (|ui 
super  bastardia  inipetebalur  appellationein  ad  papam  interpositam  infra  termi- 
num sibi  assignatum  prosecutus  non  fuerat,  judicatum  est  quod  petens  habeat  ter- 
ram  illam.  Item  judicatum  super  hoc  quod  extra  Normanniam  non  potest  appei- 
iari  f^l. 

Certains  résumés  sont  très  heureusement  tracés  et  deviennent 
autant  de  règles  de  droit  nettement  dégagées.  A  l'Echiquier  de  la 
Saint-Michel  de  l'an  1210,  par  exemple,  nous  lisons  dans  la  Première 
compilation  :  Judicatum  fuit  (fuod  Symon  de  Aneseio  habeat  terrain  uxoris 
sue  dejuncte  (juamdiu  erit  ahscjue  muliere  desponsata ,  (luoniam  de  eu  hahmt 
lieredes.  Cette  décision  est  devenue  dans  les  Deuxième,  Troisième  et 
Quatrième  compilations  une  formule  juridique  ainsi  libellée  :  Judi- 
catum quod  maritus  (fui  hahuit  heredes  de  uxore  maritacjium  tenebil  ejus, 
(jnamdiu  erit  sine  uxore. 

A  la  session  de  Pâques  1^19,  le  relief  d'un  fief  et  demi  de  haubert 
appartenant  aux  enfants  de  Simon  d'Oumoi  fut  évaluée  22  livres  et 
10  sous,  monnaie  de  Tours  : 

Preceptum  est  quod  pueri  filii  Symonis  de  Oumei  habeant  lerram  suam,  que  in 
manu  domini  régis  ritione  custodie  [erat],  et  (piod  domino  régi  reddant  reieviun» 
terre  illius,  videlicetxxii  libras  turonensium  et  x  solidos  pro  uno  feodo  et  dimidio  '^'. 

2  2  livres  10  sous  pour  un  fief  et  demi  reviennent  tout  juste  à 
i5  livres  tournois  pour  un  fief.  Le  tarif  de  i5  livres  est,  en  efièt,  très 
ancien.  Le  compilateur  l'a  très  légitimement  dégagé  et  il  figure  en 
termes  identiques  dans  les  trois  dernières  compilations  : 

Judicatum  est  quod  feodum  lorice  relevât  per  quindecim  libras  turon.'**, 

i"'  Delisle,n''23,  '''  Delisle,  n"  2.5a. 

'*'  Léchaudé  d'Anisy ,  p.  137.  ''*  Warnkœnig,  p.  83. 

HIST.  I.ITT.  —  \x\iii.  a  3 


178  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

Ce  tarif  de  quinze  livres  se  retrouve  dans  la  seconde  partie  du  Très 
ancien  Coutumier'''  et  dans  le  Grand  Coutumier  ^^'. 

A  partir  de  l'année  iqSo,  les  comparaisons  que  nous  avons  faites 
nous  ont  conduits  au  résultat  suivant  :  les  Première,  Troisième  et 
Quatrième  compilations  se  rapprochent  souvent  et  elles  s'opposent  à 
la  Seconde  compilation.  Cette  position  des  Troisième  et  Quatrième 
compilations  leur  pourrait  valoir  pour  cette  période  un  meilleur  rang; 
mais  nous  croyons  prudent  de  ne  rien  changer  ici  aux  appellations 
habituelles.  Depuis  une  trentaine  d'années  ces  dénominations  sont 
reçues  parmi  les  érudits  :  il  ne  faudrait  pas  aujourd'hui  troubler  cette 
terminologie  acceptée  de  tous;  mais  il  devient  nécessaire  de  ne  pas 
attacher  aux  mots  Deuxième,  Troisième,  Quatrième  compilation  une 
valeur  qualificative  bien  précise. 

Il  nous  reste  à  justifier  ce  que  nous  venons  de  dire  touchant  les 
similitudes  qui  peuvent  être  constatées  entre  la  Première,  la  Troisième 
et  la  Quatrième  compilation  : 

Un  arrêt  de  l'Echiquier  de  Pâques  i23i  est  ainsi  libellé  dans  la 
Première,  danà  la  Troisième  et  dans  la  Quatrième  compilation  : 

Judicatum  est  quod  abbas  de  Pratellis  amodo  non  respondebit  erga  Rogerum  de 
Brottona  vei  heredes  suos  de  feodo  de  Spineto,  de  quo  contenlioerat  inter  eos,  cuni 
dictus  abbas  diclum  feodum  tenuerit  triginta  annis  et  amplius^*'. 

La  doctrine  de  cet  arrêt  a  été  condensée  en  ces  termes  dans  la 
Deuxième  compilation  ('"'  : 

Judicatum  est  quod  abbas  non  respondebit  laico  super  hoc  quod  tenuit  in  pace 
triginta  annis. 

Un  arrêt  de  l'Echiquier  de  i  3  3 5  est  ainsi  rédigé  dans  les  Première, 
Troisième  et  Quatrième  compilations  : 

Judicatum  est  quod  heredes  alicujus  hominis  sequentis  alium  de  membris  sive  de 
furto,  et  ipsev  ictus  fuerit  et  suspensus,  ipsi  habebunt  hereditates  suspensi,  non 
obstante  jndicio  quod  Faclum  fuit  per  episcopos  et  barones  et  milites  de  illis  qui 

''•  Ch.    Lxxxiv,    De    rrleviis ,    édit.    Tardif,  i -î.'Si  ).  Dans  la  Troisième  com|nlatu)n,  cet  niTét 

p.  q3.  Cf.  ci-dès*u»,  p.  6S.  «si  date  de  i  s.S-»  (ms.  [ai.  i  loS-s ,  fol.  -joi  r")  ; 

^'  Ch.  XXXII, 'Dp  rc/«;»ii.«,  S  3,  édition  Tardif,  imprimé  dans  VVarnkœnig,  p.  gi,  gS. 

p.  107.  '*'   liéchandc  d'Xnisy,  Grands  rôles  des  Kchi- 

<''  Dclisie,  11"  467   (fidriqnier  àe  Pâques,  qiiicrs  de  Normandie ,  p.  l4a. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  179 

sequebantur  alios  demembris,  quiajudicium  non  fiiit  faclum  de  hereditatibus ,  sed 
de  membris  '". 

L'arrêt  est  ainsi  libellé  dans  la  Deuxième  compilation  : 

Judicatum  est  qupd  heredes  alicujus  honiinis  sequentis  aliuni  de  membris  sive  de 
furto,  et  ipse  vinctus  (sic)  fuerit  et  suspeiisus,  habebunt  hereditatem  suspens!  patris 
sui,  non  obstante  quod  accordatum  per  regem  et  barones  fuit  quod  talis  appeliator 
si  vinctns  [sic)  esset  suspenderetur  quia  de  membris  tantum  dixenint  '*". 

La  Quatrième  compilation,  sur  laquelle  nous  appelons  particuliè- 
rement l'attention  du  lecteur,  peut  aujourd'hui  être  étudiée  de  plus 
près  qu'au  moment  où  M.  L.  Delisle  publia  son  Mémoire  sur  les  recueils 
des  jnyemeuts  rendus  par  rEclii(iuier  de  Normandie ,  sous  les  règnes  de  PAiV 
lippe  Auguste,  de  Louis  VI II  et  de  saint  Louis.  En  eflet,  à  cette  époque, 
on  ne  connaissait  la  Quatrième  compilation  que  par  une  traduction 
française.  M.  L.  xAuvray  en  a  retrouvé  le  texte  latin  à  la  Bibliothèque 
du  Vatican,  et  ce  texte  est  plus  complet  que  la  traduction  française: 
il  comprend  le»  années  iq47  et  i  2  48,  qui  manquent  dans  le  manuscrit 
unique  de  la  traduction. 

M.  L.  Delisle  avait  conjecturé  que  le  texte  français  qualifié  par 
lui  Quatrième  compilation  pourrait  bien  n'être  autre  chose  qu'une 
traduction  de  la  Troisième.  Le  fait  est  aujourd'hui  hors  de  doute.  Les 
différences  matérielles  qu'on  peut  remarquer  entre  les  Troisième  et 
Quatrième  compilations  proviennent  simplement  de  l'état  différent 
des  manuscrits. 

Cette  version  française  n'est  pas  toujours  très  nette.  Nous  signalons 
notamment  ce  passage  : 

li  fut  commandé  que  ta  fanie  Robert  du  Mesnii  Waçe  ait  en  doere  la  tierce  par- 
tie del'entage  qui  li  aferoit  a  sa  part  de  l'eritage  son  pere'^'. 

M  Qui  li  aferoit  »  offre  un  sens  obscur,  «  li  »  paraissant  se  rapporter 
à  la  femme,  tandis  qu'il  doit  se  rapporter  au  mari.  I^e  latin,  très  clair, 
porte  :  (juod  contingebat  viro  tu()^'*\ 

'''  Delisle,  ii"  Ô.Vt;  Bibl.  iiat. ,  lat.  iio3a,  fol.  8  i°.  Imprimé   dans  Léchaudé    d'Anisy, 

p.  no4;    Marniei-,   Etablissements  et  coutumes,  p.  i43. 
p.  i66  ;  manuscrit  Ottohoni  296/1.  '''  Marnier,  p.  M  5. 

'1    Lat.     465i,    fol.    55    r°;    lat.     iio.Vi.  (»)  Warnkœnig,  p.  72. 


180  I.KS  COITHMIKRS  DE  NORMANDIE. 

Nous  résumerons  ces  observations  en  disant  que,  jusqu'en  1229 
inclusivement,  les  Deuxième,  Troisième  et  Quatrième  comjiilations  ne 
font  qu'un;  qu'à  partir  de  1229  la  Deuxième  compilation  s'éloigne 
assez  souvent  de  la  Troisième-Quatrième  compilation,  celle-ci  se  rap- 
prochant davantage  de  la  Première. 

Ici  s'ouvre  une  question  nouvelle:  la  Troisième-Quatrième  compi- 
lation dérive-l-elle  directement  de  la  Première?  Nous  ne  possédons 
qu'un  seul  manuscrit  de  la  Première  compilation,  et  il  est  incontes- 
table que  ce  recueil  a  subi  diverses  altérations.  Les  comparaisons  que 
nous  pouvons  tenter  sont  donc  imparfaites  et  frappées  par  avance  d'une 
certaine  débilité.  En  l'état  des  manuscrits ,  nous  constatons  que  la  Troi- 
sième-Quatrième compilation  contient  huit  articles  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  le  manuscrit  unique  de  la  Première.  De  plus,  quelques  cha- 
pitres de  celte  Troisième-Quatrième  compilation  portent,  pour  l'Echi- 
quier de  la  Saint-Michel  1 286  et  pour  celui  de  la  Saint-Michel  1 289, 
des  titres  plus  complets  que  ceux  de  la  Première  compilation.  On 
serait  donc,  à  première  vue,  tenté  d'affirmer  que  le  rédacteur  a  puisé 
à  une  autre  source  qu'à  la  Première  compilation.  Nous  n'oserions 
pourtant  nous  arrêter  fermement  à  cette  conclusion ,  car  la  Première 
compilation  a  pu  se  présenter  au  rédacteur  de  la  Troisième-Qua- 
trième compilation  dans  un  manuscrit  meilleur  que  celui  qui  est  au- 
jourd'hui à  notre  disposition.  La  Première  compilation  serait  alors, 
mais  sous  une  forme  perdue,  la  source  de  la  Troisième-Quatrième 
compilation.  Enlin  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  la  Première 
compilation  ne  représente  pas,  en  l'état,  avec  une  parfaite  exactitude 
les  registres  et  surtout  les  rôles  originaux  de  l'Échiquier.  Ces  rôles  ou 
registres  ont  pu  être  consultés  accidentellement  par  tel  ou  tel  de  nos 
compilateurs  en  vue  d'améliorer  le  texte.  Mais  nous  admettrions  plus 
facilement  encore  que  les  registres  du  greffe  (plus  sommaires  que  les 
rôles)  ne  font  qu'un  avec  ce  que  nous  appellerons  l'original  de  la  Pre- 
mière compilation.  Cet  original  ou  une  bonne  cojiie  de  cet  original 
aurait  servi  à  l'auteur  de  la  Troisième-Quatrième  compilation.  Il  aurait 
été  connu  aussi  de  l'auteur  de  la  Deuxième  compilation. 

Il  est  facile  de  déterminer  quelques-uns  des  caractères  de  cet  ori- 
ginal perdu. 

L'auteur  de  la  Deuxième  compilation,  rappelant  un  procès  entre 
deux  frères,  Richard  et  Robert  de  Bois-Yvon,  jugé  à  l'Echiquier  de  la 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


181 


Saint-Michel  1212,  dit  que  ce  jugement  se  trouvait  à  l'avant  dernier 
chapitre  de  cette  session  :  in  peniiltimo  capitulo  lUias  Scacarii'^^K  Or,  dans 
la  Première  compilation  le  procès  des  frères  de  Bois-Y  von  termine  ce 
chapitre  :  il  y  manque  donc  un  arrêt.  L'auteur  de  la  Deuxième  com- 
pilation avait  sous  les  yeux  un  texte  plus  complet,  peut-être  le  registre 
ou  le  rôle  original.  Ce  registre  ou  rôle  original  contenait  l'arrêt  qui 
manque  dans  le  manuscrit  actuel  de  la  Première  compilation.  Il  est 
bien  clair  aussi  que  ce  registre  ou  rôle  original  ne  rapportait  pas  à 
l'Echiquier  de  la  Saint-Michel  i243,  comme  le  fait  la  Première  com- 
j)ilation ,  divers  arrêts  qui  sont  bien  antérieurs  à  cette  date  :  quelques- 
uns  de  ces  arrêts  figurent  à  leur  vraie  date  dans  la  Deuxième  compi- 
lation (^). 

Les  registres  ou  rôles  originaux  ont  pu  être  bien  des  fois  dépouillés 
partiellement  au  moyen  âge.  Nous  estimons  que  les  résultats  de  ces 
dépouillements  anciens  ne  sont  peut-être  pas  tous  connus  et  qu'il 
reste  quelque  espoir  d'enrichir  encore  le  précieux  recueil  de  l'an- 
cienne jurisprudence  de  l'Échiquier'^'. 

Nous  ne  connaissons  pas  les  noms  des  divers  greffiers  qui  ont  pu 
tenir  les  registres  ou  les  rôles  originaux,  auxquels  se  rattachent  plus 
ou  moins  directement  tous  nos  textes.  Un  seul  nom  a  été  relevé,  celui 
d'un  certain  Guillaume  Acarin,  qui,  d'après  un  acte  de  l'année  1217, 
était  alors  attaché  au  greffe  de  l'Echiquier  :  fV.  Acarin,  clericus,  qui 
tune  in  Scacario  scribebat.  M.  Delisle  a  suivi  ce  personnage  jusqu'en 
1  289.  11  était  probablement  mort  en  1  2^5  ''*'. 

Entre  1  2^9  et  i  276 ,  date  initiale  d'une  petite  collection  dont  nous 
parlerons  à  l'instant,  nous  ne  connaissons  que  des  arrêts  isolés. 
M.  Léopold  Delisle  a  recueilli  tous  ceux  qu'il  a  pu  rencontrer  jus- 
qu'en 1270.  Les  sources  principales  utilisées  par  M.  Delisle,  en  de- 
hors des  pièces  isolées,  sont  :  le  premier  volume  des  Olim;  le  registre 


'*'  T)eih\e,  Jugements  de  V Echiquier ,  note  i, 
sur  11°  108. 

'*'  Delisle,  ibid.,  note  6  sur  le  n*  717, 
notes  1,2,  sur  les  n"  719  et  720. 

'''  Nous  signalerons ,  à  ce  propos ,  le  ms.  fr. 
5333 ,  qui  contient  au  fol.  63  r°  un  arrêt  rendu 
à  l'Echiquier  de  Pâques  iai3,  tenu  à  Falaise; 
ce  ms.  attribue  au  même  Echiquier  une  déci- 
sion sur  le  serment  des  avocats,  fol.  207  v°; 
mais  ce  semient  ne  parait  guère  convenir  au 


commencement  du  xiii'  siècle;  il  contient  au 
fol.  62  v"  un  arrêt  attribué  par  erreur  a  la 
Saint-Michel  1207  :  il  faut  corriger  Pàqiies 
1287  à  l'aide  du  ms.  533o,  fol.  59  r°.  Enfin  il 
pourrait  être  utile  de  dépouiller  un  manu- 
scrit d'Oxford,  Bodléienne,  Selden  supra  70 
(xiv*  siècle),  dont  les  premiers  feuillets  con- 
tiennent des  arrêts  de  l'Ecliiquier. 

'*'  Delisle.  dans  Mémoires  de  l'Académie  des 
Inscript.,  t.  XXIV,  p.  368-371. 


182  LES  COLTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

des  Enquêteurs  de  saint  Louis;  les  notes  fort  curieuses  d'un  ano- 
nyme de  Coutances,  clerc  de  Jean  d'Essei,  évêque  de  Coutances, 
peut-être  ofïicial  de  ce  prélat;  le  registre  des  visites  d'Eudes  Rigaud  ; 
enfin  un  recueil  judiciaire,  dont  nous  nous  occuperons  ici  même, 
les  Assises  de  Normandie. 


2.  ARRESTA  COMMUNIA  DE  SCAGCARIO. 

Un  petit  recueil  de  jurisprudence,  dont  le  titre  primitif  paraît  être 
Arresta  communia  de  Scaccano'''\  appelle  notre  attention. 

iLe  compilateur,  en  choisissant  ce  titre,  Arresta  communia,  a  claire- 
ment indiqué  sa  pensée  :  il  s'est  attaché  de  préférence  aux  arrêts  de 
l'Échiquier  ayant  un  intérêt  général  ;  les  textes  que  notre  auteur  re- 
produit ou  résume  ont,  en  effet,  la  plupart,  une  valeur  doctrinale  ou 
administrative  vraiment  considérable.  Ce  pelit  recueil  est  assez  sou- 
vent confondu  dans  les  manuscrits  avec  des  textes  divers  ou  avec  des 
arrêts  postérieurs  dont  nous  dirons  un  mot.  Les  dates  extrêmes  sont 
1 276  et  1  290  ;  mais  les  textes  n'ont  pas  été  rigoureusement  groupés 
suivant  l'ordre  chronologique.  On  peut  y  distinguer  trois  séries  dont 
la  deuxième  et  la  troisième  sont  coupées  par  un  arrêt  isolé  :  1"  sé- 
rie, 1276  à  1278;  2*  série,  i285  à  1290;  acte  isolé  de  1288; 
3*  série,  1282  à  1284-  Tel  est,  du  moins  à  notre  sens,  l'état  primi- 
tif du  recueil,  qui,  dans  les  manuscrits,  est  distribué  très  diverse- 
ment. 

Ces  trois  groupes  correspondent  probablement  à  trois  séries  de 
rouleaux  de  l'Échiquier,  qu'on  peut  considérer  comme  la  base  de 
la  collection.  Ces  trois  séries  ne  tombèrent  pas  en  bon  ordre  sous 
la  main  du  compilateur.  Il  les  utilisa  comme  elles  se  présentaient. 
L'acte  de  1  288,  intercalé  entre  la  seconde  et  la  troisième  série,  est, 
non  une  décision  de  l'Échiquier,  mais  un  arrêt  du  Parlement ^^'  inté- 

'''  Manuscrits  :  Bibl.  iiat.,  lat.  ^790  ,  fol.  1-  en  |365.  — Kditions  :  Lëchaudé<rAni»y,  Grandi? 

i5  ;lat.ji65i  ,  fol. 6^-67  ;  lat.  1  io35,  ioL  iii6-  râles,  p.   ir>o-i53;  Warnkœnig,  Urkuivdà^iAuch 

i5a;   lat.   ia883,    foL   97-100;   Jat.   l5o68,  ziun  zweilen  Band dtti- franzôsischen  Slaats-  und 

fol.  ui  r"  et  V*;  ms.  lat.  1 1  o34 ,  fol.  1 5  V*- 1 9  r°.  Recbtufeschichte ,    Bile,    i848,    |».     120-1 34. 

Tous  ces  manuscrits  sont  du  coniniencement  Dans  cette  édition,  d'iiilleui'strës  défectueuse, 

du  XIV'  siècle.  —  Lat.  476/1 ,  fol.  âg  r°  et  v°  ;  les   arrêts   sont  placé»   dans  l'ordre    chrono- 

ce  manuscrit    a    été  exécuté  eu    i346.   Lat.  logique. 
1  io33,  fol.  69-73; ce  manuscrit  a  été  terminé  '*'   In    Pavlamento    Pentecostes    aiuio    octo- 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  183 

ressant  l'Échiquier  de  Normandie.  H  a  pu  être  copié  sur  l'un  des  rôles 
dont  nous  parlions  à  l'instant.  Il  a  pu  aussi  être  introduit  dans  le  re- 
cueil par  notre  anonyme. 

Nous  sommes  autorisés  à  parler  ici  de  rôles  de  l'Echiquier,  car, 
dans  l'un  des  manuscrits  des  Arresta  communia,  le  copiste,  s'aperce- 
vant  qu'il  se  répète,  s'interrompt  subitement  et  renvoie  au  premier 
rôle  qu'il  a  déjà  copié  :  De  hominibas  prisionem  tenentihus  recjuire  in 
primo  rotulo.  En  effet,  le  petit  texte  commençant  par  ces  mots  :  De 
hominibus  prisionem  tenentibus  (1283)  avait  déjà  été  transcrit^''.  Le 
copiste  allait  se  répéter;  il  s'arrête  à  temps.  Nous  ne  croyons  pas 
toutefois  que  les  articles  très  simples  et  très  concis  qui  composent 
notre  recueil,  articles  très  souvent  dépourvus  de  noms  propres, 
soient  la  copie  in  extenso  de  rôles  de  l'Echiquier  :  nous  pensons  que 
le  praticien  a  quelquefois  condensé  la  matière  juridique  qui  s'offrait 
à  lui.  Il  s'est  proposé  de  relever  ce  qui.,  dans  ces  rôles,  offrait 
pour  le  droit  public  et  privé  de  la  Normandie  un  intérêt  excep- 
tionnel. Ces  textes  nous  donnent,  en  effet,  une  très  haute  idée 
de  l'Echiquier,  qui  vraiment  légifère  pour  la  Normandie,  et  même 
modifie  au  besoin ,  sur  des  points  très  importants ,  certaines  or- 
donnances royales.  Nous  citerons,  à  titre  d'exemples,  deux  arrêts 
de  1277  et  1282  sur  le  service  militaire  et  sur  l'exonération  de  ce 
service  ;  un  arrêt  de  1277  sur  les  conséquences  juridiques  d'un  duel 
judiciaire  (il  résulte  de  cet  arrêt  que  la  pratique  du  duel  subsistait 
en  Normandie  dans  certaines  justices  seigneuriales,  après  f aboli- 
tion du  duel  par  saint  Louis  et  avant  sa  restauration  partielle  par 
Phihppe  le  Bel)'^^;  un  arrêt  de  1278  sur  la  propriété  des  archives 
des  vicomtes  (les  anciens  vicomtes,  en  se  retirant,  ne  peuvent  empor- 
ter avec  eux  que  des  copies;  ils  doivent  toujours  laisser  les  originaux 
à  leurs  successeurs);  deux  arrêts  de  1282  tendant  à  décharger  les  che- 
valiers pauvres  d'un  service  public  qui  les  entraîne  à  des  frais  parfois 
trop  lourds  pour  leur  modeste  fortune  (ce  service  est  celui  des  en- 
quêtes ou  «  vues»  si  fréquentes  en  droit  normand);  un  arrêt  de  1289 

gesimo  octavo.   Purifia»,  etc.  (ms.  Lit.  ^790,  est  de  128S  et  non  de  198a  ,  date  donnée  par 

fol.   6  ^°).    Wanikœniff  a   imprimé  pare,  au  le  manuscrit. 

lieude/'arùim.  Le  mot  pare  ne  |jrésente  aucun  '*'  D'autres    diieis   judiciaires   pendant    la 

sens. (^et  arrêt  important  ne  se  trouve  [MIS  dans  même  période  ont  été  déjà  signalés  dans    le 

les  Olim.  domaine  royal.  Voir  Paul  Viollet,  Les  Etabl. 

'''   Ms.  iat.  4790,  fol.  3  v°-7  v".  (iet  arrêt  de  mini  Lnnis ,  t.  l,  p.  567. 


184 


LES  COUTUMIERS  DE  NOIIMANDIE. 


qui  va  plus  loin  encore  dans  la  même  direction,  et  exempte  complète- 
ment les  chevaliers  du  service  des  enquêtes  pour  de  très  nombreuses 
catégories  d'affaires  *''  :  c'est  une  modification  formelle  aux  règles  in- 
scrites au  chapitre  lxv,  De  visionibns,  S  5,  du  Grand  Coutumier.  Nous 
signalerons  plus  ])artieulièrement  encore  deux  arrêts  relatifs  à  des  caté- 
gories d'affaires  qui  intéressent  fautorité  royale  et  les  droits  du  roi  : 
l'Echiquier,  «en  ces  deux  circonstances,  tranche  contre  le  roi  les 
questions  qui  lui  sont  soumises  ou  dont  il  a  d'oflice  abordé  l'examen; 
ces  deux  décisions  sont  datées  des  années  1282  et  1286.  En  1282, 
sous  Philippe  le  ïfardi,  la  question  qui  préoccupe  fEchiquier  est  celle 
de  savoir  si  les  sergents  du  roi  peuvent  instrumenter  sur  les  terres 
des  hauts  justiciers  pour  faire  exécuter  des  actes  passés  devant  un 
officier  du  roi  [pro  lltteris  doinini  refjis  inleijrandis)  :  l'Echiquier  dé- 
cide que  les  sergents  royaux  ne  seront  autorisés  à  agir  qu'au  défaut 
des  seigneurs  (/ijst  in  dejfectu  ipsoram),  c'est-à-dire  dans  le  cas  où  les 
seigneurs  ne  fourniraient  pas  eux-mêmes  des  agents  d'exécution '"'l 
La  question  qu'examine  l'Echiquier  en  1286  intéresse  les  débiteurs 
du  roi  :  d'après  la  législation  de  saint  Louis,  ils  ne  peuvent  échap- 
per parla  cession  de  biens  à  la  contrainte  par  corps '^';  leur  position 
est  donc  beaucoup  plus  mauvaise  que  celle  des  débiteurs  des  parti- 
culiers :  les  vénérables  maîtres  de  l'Echiquier  [vcnerabiles  mafjistn), 
émus  de  pitié  pour  ces  malheureux  prévôts  endettés  et  pour  tous 
autres  débiteurs  de  la  couronne,  leur  accordent,  contrairement  à 
l'ordonnance  de  saint  Louis,  le  bénéfice  de  la  cession  de  biens C*); 
un  pareil  arrêt  a,  comme  nous  le  disions,  toute  la  valeur  et  toute 
l'importance  d'une  ordonnance  royale. 

L'arrêt  du  Parlement  de  1288  mérite  aussi  une  mention  spéciale; 
il  a  pour  objet  de  préciser  les  obligations  des  évêquesencequi  touche 
la  présence  à  fEchiquier  :  les  évèques  normands  ne  sont  pas  tenus 


.  'V  Cf.  Warijkœnig,  p.  las,  ia5,  127,  128, 
i3a.  Voir,  déjà  en  n36,  une  décision  (|ui 
exempte  les  chevaliers  de  la  rharg?  des  en- 
quêtes ou  «  vues  »  clia(|ue  fois  que  le  procès  ne 
peut  donner  lieu  à  un  duel  jwliciaire.  (  Delisle , 
Recueil  des  jugements  de  l'Echiquier  de  Nor- 
mandie au  xiii'  siècle,  n°  601 ,  note  4.) 

'**  Warnkœnig,  p.  iti6,   127. 

'*'  Ord.  <le  I  a56 ,  art.  1 7  :  «  ...  ne  (|ue  nuis 
•  homs  soit  tenus  en  prison  pour  chose  que  il 


•  doie,  se  il  ubandonae  ses  biens,  fors  pournostre 
«  debte  tant  seulement»  [Grandes  chroniques, 
édit.  Paulin  Paris,  t.  IV,  p.  .345;  ms.fr.  17270, 
dernier  tiers  du  volume).  Ces  mots  essentiels 
«  se  il  abandonne  ses  biens  »  manquent  dans 
les  deux  textes  qu'a  publiés  Lauriére  (ord.  de 
laSii,  art.  19;  ord.  de  ia.56,  arî.  17,  dans 
Ord..  t.   I,  p."  72-80). 

'''   WarnkuMii,',  UrkuiuUnbuch  znm  zweilen 
Band.  Bàle,  i848,  p.  \i\. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  185 

de  venir  siéger  à  l'Echiquier,  à  moins  d'un  ordre  du  roi  ;  sauf  ce 
cas,  ils  siègent  seulement  quand  bon  leur  semble ''^ 

Nos  Arresta  communia  n'ont  pas  toujours  fixé  irrévocablement  la 
jurisprudence.  Il  nous  en  reste  une  preuve  curieuse  :  un  des  prati- 
ciens qui  firent  copier  ce  recueil  a  cancellé  deux  arrêts  qui  ne  lui 
plaisaient  pas  et  a  mis  en  marge  cette  observation  hostile  :  Vacat,  (juin 
fahum  et  contra  consuctudinem  Normannie^^K  Les  deux  arrêts  contestés 
par  un  juriste  au  commencement  duxiv^  siècle  sont  datés  de  1 277  et 
intéressent,  l'un,  la  garde  noble,  l'autre,  les  démembrements  de 
fief.  L'arrêt  relatif  à  la  garde  noble  était  très  favorable  aux  droits 
du  roi  mis  en  regard  des  droits  de  la  famille;  l'annotateur  anonyme 
est  évidemment  plus  défavorable  au  roi  que  les  juges  de  1277.  Sa 
pensée  se  dégage  moins  clairement  en  ce  qui  touche  les  démembre- 
ments de  fief. 

Notre  recueil  pourrait  servir  de  commentaire  à  un  certain  nombre 
de  chapitres  du  Grand  Coutumier.  Les  praticiens  l'avaient  vite  con- 
staté. Us  ont  puisé  à  celte  source  précieuse  et  en  ont  détaché  un 
certain  nombre  de  décisions  qu'ils  ont  transcrites  ou  fait  transcrire  en 
marge  du  Grand  Coutumier  latin,  avec  des  arrêts  plus  anciens,  anté- 
rieurs à  la  rédaction  du  Grand  Coutumier,  et  provenant  d'autres  collec- 
tions. Mais  ils  n'ont  pas  réussi  à  trouver  une  place  à  tous  les  arrêts  : 
il  est  resté  un  résidu  qu'on  a  transcrit  à  la  suite  du  Grand  Coutumier 
latin,  sous  ce  titre  :  Arresta  communia  (jue  non  habent  loca  propria  super 
textam  coustiime  precedentis^^K 

Une  petite  série  dont  nous  n'avons  pas  encore  parlé,  et  qui  ne  fait 
pas  partie,  croyons-nous,  des  Arresta  communia,  a  pris  place  dans  un 
manuscrite"'  à  la  suite  de  ces  Arresta.  Elle  s'étend  de  1291  à  1294  et 
doit,  elle  aussi,  correspondre  à  un  ou  plusieurs  rôles  de  l'Echiquier. 
Elle  est  moins  importante  que  le  groupe  précédent  et  a  eu,  autant 
que  nous  en  pouvons  juger,  moins  de  vogue. 

Nous  ne  connaissons  aucun  recueil  d'arrêts  postérieur  à  1294. 
A  partir  de  cette  date,  nous  ne  rencontrons  plus  que  quelques  ar- 

'"'  Warnkœnig,  p.  iSa.  contra  fuerunt    Normanniœ  (p.   122,   note  3). 

'''  Ms.  lat.  465 1,  fol.  64  v°.  —  Warnkœnig  «  Ms.  lat.  1  io35,  fol.  i46  v°.  Même  titre 

attribue  à  tort  cette  note  à  un  annotateur  du  dans  le   ms.  lat.   12883,  fol.  99  r°,  sauf  le 

XV'    siècle  ;  nous   l'attribuons  aux   premières  mot  precedeniis  qui  manque, 
années  du  xiv'  siècle  ;  enfin  le  même  savant  '''  Bibl.  nat. ,  ms.  lat.  4790,  fol.  i35-i4i. 

a  lu  fort  inexactement  :  Constat  qaodfaUam  et  Imprimé  dans  Warnkœnig,  p.  i34-i4i. 

BiST.  LrtT.  —  xx-.m.  ai 


186 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


rets  dispersés  dans  les  manuscrits,  arrêts  de  12^6''',  iSiy,  i323, 
1827'^^  etc.  La  série  des  registres  officiels  de  l'Echiquier  conservée 
à  Rouen  commence  avec  l'année  i336. 


3.  LES  ASSISES  DE  NORMANDIE. 


Peu  après  l'année  1237,  un  praticien  normand  rédigea  un  petit 
traité  de  droit  que  nous  intitulons  Assises  de  Normandie.  Il  en  existe 
plusieurs  manuscrits  latins,  et  un  seul  manuscrit  français,  mutilé  au 
commencement'^'.  Le  compilateur  y  a  résumé  les  doctrines  juridiques 
qui,  à  ses  yeux,  se  dégagent  d'un  certain  nombre  de  sentences  rendues 
aux  assises  présidées  par  les  baillis  royaux,  à  Caen,  à  Bayeux,  à  Falaise, 
à  Exmes  et  à  Avranches,  et  aussi  de  quelques  arrêts  de  l'Echiquier. 
Le  caractère  de  ce  traité  se  dessine  donc  facilement  :  c'est  un  écrit  sans 
prétention,  qui  a  pour  base  immédiate  la  jurisprudence  normande. 
L'allure  en  est  simple,  le  style  rapide.  Les  solutions  de  notre  juriscon- 
sulte se  présentent  fréquemment  sous  deux  formes  bien  distinctes  : 
tantôt  il  récapitule  en  quelques  lignes  les  décisions  parvenues  à  sa 
connaissance  et  ordinairement  rendues  en  sa  présence'*'  (exemple  : 
Uxor  militis  deffancti  non  habet  portionem  nec  dotalicium  in  concjuestis  immu- 
bilibus;  Pacr  infra  etatem  nonpotestfacere  attornatum);  tantôt  il  pose  une 
question  sous  forme  d'interrogation  et  la  résout  par  une  solution 
ferme  (exemple  :  Queritar  utram  tenens,  terra  visa  vel  antc  visionem,  pas- 
sif venderevel  donare.  Responsio  :  lite  mota,  nichil potcst  alienare^^^).  Mais 
les  solutions  ne  se  présentent  pas  toujours  avec  cette  netteté,  et  cela 
pour  diverses  raisons.  Ainsi  l'auteur,  après  avoir  exposé  la  doctrine 
qui  ressort  d'un  arrêt,  modifiera  l'espèce,  et,  n'ayant  plus  pour  cette 
espèce  nouvelle  de  décision  judiciaire  à  condenser  en  doctrine,  il 


t'»Ms.  lat.  12883,  fol.  63  v°.  Edité  dans 
Warnkœnig,  p.  i43-i44. 

'')  L.  Delisle,  Mémoire,  p.  354-355. 

'*'  Les  manuscrits  latins  des  Assises  de  Nor- 
mandie sont  :  B.  N.  lat.  465 1,  fol.  55  v°-6i  v° 
(xiii*  siècle),  sans  titre  ;  lat.  i  )  o34  ,  fol.  g  v°-i  3  v° 
(commencement  du  xiv'  siècle),  sans  titre; 
lat.  iio33,  fol.  6o  v°-67  r"  (écriture  de  l'an- 
née i365),  sans  titre  ;  lat.  4653,  fol.  73  (écri- 
ture de  l'année  i43o),  sans  titre;  lat.  4653  A, 
p.  378-288 ,  titre  :  Assisie  générales  (commence- 
ment du  XVI*  siècle);  lat.  iio3a,  p.  2i5-220 


(commencement  du  xiv'  siècle),  sans  titre; 
Vatican,  Ottoboni,  2964,  fol.  i23-i3i  (fin  du 
xiii'  siècle),  sans  titre. 

La  version  française  se  trouve  dans  le  manu- 
scrit 1 743  delà  Bibliothèque  Sainte-Geneviève, 

p.  i77-»93-.  .        .. 

*''  Aadivi  in  assista  que  sequuntur; —  Aadtvi 
ibi  qaod,  .  .  ;  —  Audivi  ibi  qaod.  .  .  {Assisiœ 
Normanniœ.  dans  Warnkœnig,  Urknndeiibuch , 
p.  48,  5i,  68.) 

'''  Assisiœ  Normanniœ,  ibid. ,  p.  56,  52, 
54. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  187 

indiquera  les  opinions  des  praticiens  :  Credunt  plures  (juod .  .  ,  D'autres 
fois,  il  nous  apprendra  que  les  juges  eux-mêmes  sont  restés  perplexes  ; 
Cam  qeneralis  constitutio  sit  (jnod  millier  habens  maritum  nichil  possit 
vendere  vel  donare  de  siio  maritagio,  (lueritur  iitram  possit  in  morte  sua 
dure  vel  legare  ecclesie  vel  alii.  Super  hoc  cousiilendus  est  rex  ''^. 

A  l'époque  où  écrivait  notre  jurisconsulte,  les  baillis  normands  fai- 
saient depuis  longtemps  consigner  sur  des  rôles  les  jugements  rendus 
aux  assises '"^^.  Nous  ne  serions  pas  surpris  que  notre  praticien  eût  con- 
sulté quelques-uns  de  ces  rôles,  surtout  pour  les  assises  où  il  ne  fait 
pas  appel  à  ses  souvenirs  personnels. 

Ce  petit  traité  est  de  peu  postérieur  à  l'année  1 287,  car  le  dernier 
arrêt  daté  que  mentionne  l'auteur  est  de  cette  année  laSy.  Anno 
Domini  m.  ce.  xxxvn.,  in  assisia  proxima  post  festum  sancti  Hylarii,  apud 
Abrincas ,  judicatum  qnod.  .  .  '^\  Les  plus  anciens  sont  de  1  2  34,  et  c'est 
par  le  résumé  de  ces  arrêts  de  1 2  34  que  débute  notre  auteur  :  Anno  ab 
Incarnatione  Domini  M.  ce.  xxxiv. ,  die  Martis  ante  festum  beati  Mathei 
apostoli^'*\  apud  Cadomum.  —  Die  Mercurii  sequente,  audivi  in  assisia  cjiie 
secjuiintur.  ..Ha  suivi,  non  l'ordre  systématique  de  matières,  mais 
simplement  l'ordre  chronologique  des  assises  dont  il  a  eu  connais- 
sance. 

L'auteur  ne  nous  apprend  rien  sur  lui-même.  Nous  sommes  donc, 
à  cet  égard,  réduits  aux  conjectures.  Nous  nous  demandons  si  notre 
praticienne  serait  pas  un  «attourné»,  ou,  pour  parler  plus  exactement, 
s'il  ne  remplissait  pas  très  fréquemment  la  mission  d'attourné  ou  pro- 
cureur. Nous  doutons,  en  effet,  qu'on  se  qualifiât  dès  lors  attourné  : 
on  était  l' attourné  d'un  plaideur  plutôt  qu'un  attourné.  L'intérêt  que  le 
jurisconsulte  porte  aux  questions  relatives  aux  attournés  nous  suggère 
cette  hypothèse  :  dans  les  vingt  pages  dont  se  compose  le  traité, 
l'attourné  revient  jusqu'à  douze  fois  sous  la  plume  de  l'auteur ^^l 
Nous  avons,  en  revanche,  une  brève  indication  de  lieu  :  Primogenitus 
habens  feoda  duo,  unum  citra  Secanam,  aliud  in  Caleto.  .  .  '*''.  Citra  Seca- 
nam,  opposé  à  in  Caleto  (pays  de  Gaux) ,  nous  indique  la  rive  gauche 

'*'  AssisîtB  Normanniee,  1.  cit.,  p.  49,  5i.  1  loSa,  p.  2i4,  porte  m°  ce"  xxxiii,  au  Heu  de 

'"^  L.  Delisle,  Mémoire,  p.  353-355.  m'cc'xxxiv. 

■«'  Warnkœnig,  p.  63.  W   Édit.  Warnkœnig,  p.  56,  57,  59,  63 

'*'  Warnkœnig  au  lieu  du  mot  apostoli  a  im-  64. 
primé  ici  Aprili  (p.  48).  Le   manuscrit   latin  '"'  Ibid.,  p.  49. 


I 


188  LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 

de  la  Seine;  c'est  donc  dans  cette  région  qu'écrivait  notre  auteur. 
Il  était  sans  doute  attaché  au  bailliage  de  Caen. 

Les  sujets  abordés  sont  très  divers,  et  —  conséquence  nécessaire  de 
l'ordre  chronologique  —  ils  sont  jetés  comme  au  hasard.  Nous  relè- 
verons, entre  autres,  les  matières  suivantes  :  mariage  encombré,  par- 
tage entre  cohéritiers,  devoirs  des  juges,  droit  de  retrait,  régularité 
des  semonces,  dot  [maritagium)  des  fdles,  attournés,  compétence,  les 
trois  aides,  situation  juridique  des  mineurs,  etc. 

Ce  petit  ouvrage  a  été  traduit  en  français  au  xiii'  siècle.  Le  texte 
original  latin  a  été  publié  par  Léchaudé  d'Anisy  et  par  Warukœnig. 
La  traduction  française  a  été  éditée  par  Marnier"'.  Il  y  aurait  lieu  de 
revoir  avec  soin  ces  éditions  sur  les  manuscrits.  Plusieurs  passages 
sont  maladroitement  répétés  dans  l'édition  de  Warnkœnig'^^  :  ces  ré- 
pétitions ne  sauraient  appartenir  à  l'œuvre  originale;  certaines  leçons 
adoptées  par  l'éditeur  sont  évidemment  défectueuses. 

Nous  soupçonnons  que,  dans  le  cours  du  xiii"  siècle,  un  Normand 
confectionna  une  compilation  juridique  sans  aucune  originalité,  qui 
ne  devait  être  autre  chose  qu'un  amalgame  du  Très  ancien  Coutu- 
mier  avec  les  Assises  de  Normandie.  Le  compilateur  aurait  tout  sim- 
plement rapproché  les  uns  des  autres  les  fragments  de  ces  deux  œuvres 
qui  lui  paraissaient  présenter  entre  eux  quelques  analogies.  Nous  ne 
connaissons,  à  la  vérité,  aucun  exemplaire  de  ce  travail  dans  l'état 
où  il  nous  semble  être  sorti  des  mains  du  compilateur,  mais  nous 
croyons  qu'il  se  présente  à  nous,  fractionné  en  morceaux  détachés, 
dans  le  manuscrit  latin  1 1 082  ;  ces  morceaux  sont  répartis  au  travers 
du  texte  français  du  Grand  Coutumier  ;  ils  sont  destinés  à  le  compléter 
ou  à  l'interpréter. 

Sans  doute,  on  pourrait  concevoir  aussi  que  l'annotateur  du  Grand 
Coutumier  fût  allé  chercher  lui-même,  d'une  part,  dans  le  Très 
ancien  Coutumier,  d'autre  part,  dans  les  Assises  dç  Normandie,  les 
textes  se  référant  aux  mêmes  matières  et  les  ait  rapprochés  pour  illus- 
trer le  Grand  Coutumier.  Mais  cette  hypothèse  ne  nous  paraît  pas  la 
plus  vraisemblable. 

'''  Léchaudé  d'Anisy,  Grands  i-âles,  p.  i44-  Établissements  et  coutumes.  Assises  et  arrêts  de 

i/ig.  —  Warnkœnig,  Urkundenhuch zum  zweiten  l'Échiquier  de  Normandie  au  Xlli"  siècle.  Pari», 

Band   der  franzôsischen   Staals-    und    Rechts-  iSSg,  p.  87-1  lo. 

geschichte,  Bâle,  1848,  p. /i8-69.  —  Mamier,  <•>  P.  5 1,  5a,  68,  69. 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE.  189 

A  i'appui  de  notre  manière  de  voir,  nous  présenterons  une  simple 
observation.  ; 

Nous  avons  déjà  dit  que  le  chapitre  xlviii  ,  De  tribus  auxiliis,  du  Très 
ancien  Coutumier  soulève  une  difficulté,  puisqu'on  y  trouve  seule- 
ment, en  dépit  de  ce  titre,  l'indication  de  deux  auxilia  ou  aides.  A  un 
jurisconsulte  étudiant  à  la  fois  le  Très  ancien  Coutumier  et  les  Assises 
de  Normandie,  le  chapitre  des  Assises  intitulé,  lui  aussi.  De  tribus 
auxiliis  offrait  une  manière  de  solution,  car  il  semblait  fournir  le 
troisième  anxilinm  manquant.  Or  ce  rapprochement  séduisant  a  été 
fait  :  parmi  les  fragments  transcrits  dans  le  manuscrit  latin  1 1082 
figure  un  morceau  intitulé  De  tribus  auxiliis,  où  sont  réunis  et  le  cha- 
pitre susvisé  du  Très  ancien  Coutumier  et  les  deux  lignes  des  Assises 
intitulées  aussi  De  tribus  auxiliis.  Voici  les  textes  : 

De  tribus  auxiliis.  —  Si  vero  aliquis  Tria  sunt  auxilia,  scilicet  de  filio  fa- 

dominus  filium  suum  primogenitum  mi-  ciendo  militem  ;  de  filia  marilanda;  de 

lilem  faciet,  homines  sui  debent  ei  auxi-  exercitu  domini  régis  :   que   non  pos- 

lium  quasi  de  dimidiorelevamine.  Simili-  sunt  quitari  per  aliquam  cartam'^'. 
ter  de  filia  sua  primogenita  maritanda  t''. 

Pris  isolément,  ce  texte  se  tient  assez  bien,  car  le  troisième  auxilium 
[De  exercitu  régis)  est  comme  retrouvé.  Mais  cette  combinaison,  au 
lieu  d'éclairer  quoi  que  ce  soit,  ajoute  au  contraire  une  difficulté 
nouvelle,  dès  qu'on  rapproche  ces  lignes  du  chapitre  xxxiii,  S  2,  du 
Grand  Coutumier,  où  il  est  question  des  trois  auxilia:  en  effet,  dans 
le  Grand  Coutumier,  le  troisième  auxilium  n'est  point  l'aide  fournie 
pour  l'ost  du  roi  ;  c'est  l'aide  fournie  pour  délivrer  le  seigneur  prison- 
nier à  la  guerre.  H  y  a  contradiction  évidente.  Mais  le  texte  que  nous 
venons  de  transcrire  a  été  copié  dans  le  manuscrit  latin  11082 
(p.  89-90)  à  titre  de  commentaire  et  d'illustration  du  chapitre  xxxiii 
du  Grand  Coutumier.  Singulier  commentaire!  Nous  pensons  donc  que 
notre  texte  n'avait  pas  été  originairement  constitué  à  cette  fin,  la- 
quelle serait  contraire  au  but  visé;  nous  estimons  que  l'annotateur 
du  Grand  Coutumier  dont  l'œuvre  nous  est  parvenue  dans  le  manu- 
scrit 11082  a  trouvé  ce  groupement  déjà  créé.  On  s'explique  fort 

'"'  Très  ancien  Coutamier,  chap.  lxviii,  $  i,  édit.  Tardif,  p.  Sg.  —  '*'  Assises  de  Normandie, 
chap.  De  tribus  auxiliis,  édit.  Warnkœnig,  p.  58. 


190 


LES  COUTUMIERS  DE  NORMANDIE. 


bien,  d'ailleurs,  que  ce  texte  relatif  aux  a«xi7fa  ait  été  originairement 
combiné  par  un  praticien  qui  n'avait  autre  chose  sous  les  yeux  que 
le  Très  ancien  Coutumier  et  les  Assises  de  Normandie.  Le  manu- 
scrit 1 1082  nous  offrant  un  bon  nombre  d'autres  combinaisons''^  du 
Très  ancien  Coutumier  et  des  Assises  de  Normandie,  combinaisons 
dispersées  par  petits  groupes  au  travers  du  texte  du  Grand  Coutu- 
mier, nous  nous  croyons  autorisés  à  supposer  qu'il  a  existé  une  sorte 
de  Coutumier  normand,  composé  d'un  mélange  artificiel  du  Très 
ancien  Coutumier  et  des  Assises  de  Normandie.  L'éditeur  du  Grand 
Coutumier  dont  l'œuvre  nous  est  parvenue  dans  le  manuscrit  latin 
1 1082  aurait  puisé  à  pleines  mains  dans  cette  compilation,  que  nous 
ne  connaissons  pas  sous  sa  forme  primitive. 

Elle  aurait  été  exécutée  postérieurement  à  l'année  1287,  puisque 
les  derniers  arrêts  cités  dans  les  Assises  de  Normandie  sont  de  l'an- 
née 1287, et,  suivant  loute  probabilité,  avant  1268,  puisque  le  Grand 
Coutumier,  presque  entièrement  rédigé  à  cette  date,  ne  semble  avoir 
fourni  aucun  élément  à  celte  œuvre. 

P.V. 


'"'  Nous  citerons  seulement  trois  passages 
du  manuscrit  1 1  o3a  : 

1°  p.  87,  88  :  De  relevamine,  cornes  releva- 
bit.  .  .  —  Rapprocher  le  Très  ancien  Coutu- 
mier, chap.  xLVii  (édit.  Tardif,  p.  3qa),  et  les 
Assises  de  Normandie  :  De  domino  Johanne  Mal- 
herbe (édit.  Warnkœnig,  p.  65); 

a°  p.  91  :  De  donalionibas  ecclesie,  Quilibet 
potesl  donare ...  —  Rapprocher  le  Très  ancien 
Coutumier,  cliap.  lxxxix  (édit.  Tardif,  p.  99 
et  suiv.),  et  les  Assises  de  Normandie  :  De  bas- 


tardia,  S  Bene polest  quis  dore.  .  .  (édit.  Warn- 
kœnig, p.  61); 

3°  p.  93-95,  De  exoniationibns ,  De  exoniis. 
De  dilalionibus  exoniorum  cl  langoris.  De  esso- 
gniis.  —  Rapprocher  le  Très  ancien  Coutu- 
mier, chap.  Lxxxii,  De  dilalionibus  el  cxoniis , 
chap.  XLlv,  De  dilalionibus  exoniorum  et  langoris 
(édit.  Tardif,  p.  87-91  ;  36,37) ,  '''  ^**  Assises 
de  Normandie,  De  tribus  auxiliis,  S  Anno  Do- 
mini,  etc.,  Bene  potest  guis;  Mulier  soluta,  S  Jn 
Normannia ,  etc.  (Warnkœnig, p.  58,  59,6a). 


RAIMOND   DE   BÉZIERS, 


TRADUCTEUR  ET  COMPILATEUR. 


Nous  ne  savons  de  cet  auteur  que  ce  qu'il  nous  apprend  lui-même 
dans  les  diverses  préfaces  ou  dédicaces  qu'il  a  mises  en  tête  du  seul  ou- 
vrage de  lui  qui  nous  soit  parvenu,  et,  probablement,  qu'il  ait  composé. 
Il  était  né  àBéziers,  et  il  fait  remarquer,  en  s'adressantau  roi  de  France, 
qu'il  est  de  regno  ejns  oriundus  ejuscjiie  snbditas  etfidelis  '"',  ce  qui  ne  l'em- 
pêche pas  de  se  qualifier  ailleurs  d'étranger'^',  sans  doute  parce  qu'il 
n'avait  pas  le  français  pour  langue  maternelle.  11  se  donne  le  titre  de 
médecin,  j)hysiciis^^\  mais  on  ne  voit  guère  dans  son  livre  la  trace  de 
ses  connaissances  médicales'*'.  Il  avait  quitté  son  pays  pour  venir 
s'établir  à  Paris  et  y  chercher  la  fortune,  qu'il  ne  paraît  pas  y  avoir 
trouvée.  Il  crut  un  jour  qu'une  heureuse  chance  allait  lui  fournir  le 
moyen  d'avoir  accès  et  faveur  à  la  cour.  Un  clerc '^',  ou,  d'après  un 
autre  passage,  un  noble '^',  avait  apporté  d'Espagne  à  Paris  la  tra- 
duction castillane  du  livre  arabe  de  KaJîlah  et  Dimnah  et  l'avait  offerte 
à  la  reine  Jeanne  de  Navarre-Champagne,  femme  de  Philippe  le  Bel. 
La  reine  Jeanne,  on  le  sait,  protégeait  la  littérature  et  s'intéressait  à 
divers  genres  d'écrits.  Elle  aurait  voulu  pouvoir  lire  ce  livre  que,  sans 
doute,  on  lui  avait  vanté;  mais  elle  ne  comprenait  pas  fespagnol. 
Raimond,  probablement  par  l'intermédiaire  du  personnage  qui  avait 
apporté  le  livre  et  qui  paraît  avoir  été  de  ses  amis''',  offrit  de  le  mettre 


'"'  Ms.  lat.  85o4  (Hervieux,  Jean  de  Capoue 
et  ses  dérivés,  p.  384;  L.  DeLsle,  Journal  des 
Savants,  1898,  p.  169). 

(')  Ms.  lat.  85o4  (Hervieux,  p.  38o;  L.De- 
lisle,  Journal  des  Savants,  1898,  p.  171).  Le 
manuscrit  et  l'éd.  Hervieux  portent  aligena, 
que  M.  Delisle  corrige  en  «Ke/ii^ena;  cependant 
la  forme  aligena  n'est  pas  inconnue  au  moyen 
âge  (voir  Du  Gange). 

''*  Mss. lat.  85o4  et  85o5  (Hervieux,  p.  382 
et  384;  Delisle ,  Journal  des  Savants,  1898, 
p.  160,  i64  et  169). 


'*'  Dans  la  liste  qu'a  donnée  M.  Delisle  {loc. 
cit.,  p.  167)  des  autorités  alléguées  par  Rai- 
mond dans  son  édition  amplifiée ,  on  ne  trouve 
aucun  livre  de  médecine. 

'='  Ms.  85o4  (  Hervieux ,  p.  386  ;  Delisle ,  loc. 
cit.,  p.  170). 

<•'  Ms.  85o5  (Delisle,  loc.  cit.,  p.  173). 

'''  Pev  dileclissimnni  qnendam  clericuni  (  à  l'en- 
droit indiqué  à  la  note  5);  mais  dans  le  style  em- 
brouillé de  l'auteur  on  ne  comprend  pas  bien 
si  dileclissimuin  se  rapporte  à  la  reine  ou  à  Rai- 
mond lui-même. 


192 


RAIMOND  DE  BÉZIERS. 


en  latin,  «langue  plus  commune  et  plus  généralement  compré- 
«  hensible''^»,  et  il  assure,  ce  dont  on  peut  toutefois  douter'"',  qu'il 
en  fut  expressément  chargé  par  la  reine  Jeanne'^'.  Il  se  mit  au 
travail,  et  il  avait  poussé  sa  tâche  assez  loin,  lorsque  la  mort  préma- 
turée de  la  reine  (2  avril  i3o5)  vint,  nous  dit-il,  interrompre  son 
œuvre  et  le  plonger  dans  la  désolation.  On  pouvait  voir,  dans  un 
exemplaire  (perdu)  qu'il  fit  exécuter  de  l'ouvrage  quand  il  l'eut,  plus 
tard,  terminé,  une  miniature  dont  nous  n'avons  gardé  que  la  ru- 
brique :  Figura  translatons  dimitlenlis  opus  propter regine  obitiim  desolati^'*\ 
—  Un  autre  ouvrage,  et  d'une  bien  autre  importance  que  celui  de 
Raimond,  fut  interrompu  par  la  mort  de  la  reine  Jeanne,  le  «  Livre 
«  des  saintes  paroles  et  des  bonnes  actions  du  roi  saint  Louis  » ,  que  Jean 
de  Joinville  avait  entrepris  pour  elle;  on  sait  qu'il  l'acheva  néanmoins, 
et  qu'il  le  dédia,  quatre  ans  plus  tard,  à  Louis,  fils  de  Jeanne. 

Raimond  de  Béziers,  lui  aussi,  reprit  le  travail  qu'il  avait  un  mo- 
ment laissé  de  côté;  nous  verrons  que  ce  qui  le  décida,  sans  doute, 
à  le  terminer,  ce  fut  un  secours  qu'il  trouva  pour  l'achever  et  dont  il 
fit  largement,  trop  largement,  usage.  Quand  il  eut  achevé  son  livre 
àeDina  et  Calila'^\  il  en  fit  exécuter  un  exeniplaire  magnifique,  qu'il 
offrit  au  roi  Philippe,  peu  après  la  Pentecôte  de  l'an  1 3 1  3,  et  qui,  après 
bien  des  vicissitudes,  est  arrivé  à  la  Bibliothèque  nationale.  Raimond 
avait  dû  dépenser  une  assez  forte  somme  pour  l'exécution  de  ce  vo- 
lume, orné  de  nombreuses  images'^';  il  s'en  promettait  une  récompense 
qui  explique  cette  mise  de  fonds.  Son  grand  désir  était  d'être  admis 
en  présence  du  roi,  faveur  qu'il  sollicitait  depuis  longtemps  sans 
succès  :  «  Peut-être,  dit-il  dans  une  de  ses  dédicaces'^',  ce  que  je  n'ai 
«  pu  obtenir  par  mes  amis  ou  mes  prières ,  je  l'obtiendrai  par  le  moyen  *^' 
«de  l'œuvre  que  j'ai  entreprise;  car  si  ce  livre  royal  vient  à  être 


'*'  Passage  indiqué  à  la  note  i  de  la  p.  191. 

'*'  Voir  les  réflexions  d'Hervieux ,  p.  44- 

'»)  Voir  ms.  85o4  (  Hervieux ,  p.  385  ;  Delisle , 
loc.  cit.,  p.  169),  ms.  85o5  (Delisle,  p.  171). 

'*'  M».  85o5  (Delisle,  loc.  cit..  p.  171). 

<'^  Raimond  emploie  tantôt  la  forme  Digna , 
tantôt  la  forme  Diiia  (c'est  ainsi  qu'on  rendait 
le  latin  hymnam  par  igné  et  inné).  La  graphie 
avec  gn  équivalant  à  celle  avec  n  simple ,  c'est 
celle-ci  que  nous  adoptons  en  parlant  du  livre 
de  Raimond.  Dans  le  titre  qu'il  donne  à  son 
œuvre.  Liber  Dine  et  Calile,  il  a  interverti  le» 


deux  noms ,  sans  doute  parce  qu'il  a  remarqué 
que  le  rôle  principal  appartenait  à  Dina  et  non 
à  Calila  :  cela  peut  servir  à  distinguer  son  ou- 
vrage des  autres  versions. 

<  '  D'autant  plus  que ,  conune  on  le  verra 
(p.  196),  il  avait  sans  doute  fait  faire  pour  le 
roi  un  premier  manuscrit,  orné  de  miniatures, 
qu'il  remplaça  plus  tard  par  celui  qui  nous  est 
parvenu. 

'''  Ms.  85o5  (Delisle,  loc.  cit.,  p.  171). 

(•'  Le  ms.  porte  opportentu ,  que  M.  Delisle 
propose  de  corriger  en  opportunilate. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


193 


«présenté  à  Votre  Grandeur,  on  demandera  qui  est  et  où  est  l'auteur 
«de  la  traduction  de  ce  livre,  et  ainsi  il  se  pourra  que  Votre  Majesté 
«  me  fasse  appeler  en  sa  présence,  et  alors,  s'il  lui  plaît,  je  lui  expli- 
«querai  tout  mon  dessein'*'.  »  Et  ailleurs'-'  :  «Voilà  longtemps  que, 
«  plaintif  et  désolé,  je  me  tiens  aux  abords  de  la  cour  royale,  n'ayant 
«ni  accès  ni  moyen  de  me  présenter  devant  la  Majesté  royale,  de 
«  façon  à  pouvoir  faire  connaître  à  notre  seigneur  le  roi  mon  affaire 
«  et  ma  supplication,  ce  à  quoi  je  n'ai  pu  arriver  pour  deux  raisons  : 
«  d'abord  parce  que  je  suis  étranger,  d'humble  condition,  et  inconnu 
«  de  ceux  qui  fréquentent  la  cour  et  de  ceux  qui  gardent  la  chambre  du 
«  roi;  ensuite,  peut-être,  parce  que  l'avenir  me  réserve  quelque  pros- 
«  périté  par  le  moyen  delà  Majesté  royale.  .  .  Et  comme  je  ne  pouvais 
«  recourir  à  des  amis  connus  qui  me  présentassent  à  la  Majesté  royale, 
«j'ai  essayé  de  réaliser  mon  dessein  par  la  voie  de  la  science...  et,  ne 
«trouvant  pas  de  meilleur  moyen,  j'ai  résolu  de  terminer  ce  livre, 
«que  j'avais,  au  temps  de  l'illustrissime  Jeanne,  reine  de  France  et 
«de  Navarre,  commencé  à  traduire  de  langue  espagnole  en  latin,  et 
«  que,  désolé  par  la  mort  de  cette  noble  dame,  j'avais  laissé  de  côté'"^'.  » 
Pour  essayer  de  trouver  de  nouveaux  appuis,  il  dit  encore  au  roi  qu'il 
compose  son  livre  en  l'honneur,  non  seulement  de  lui  et  de  sa  femme 
défunte,  mais  de  ses  enfants,  Louis,  roi  de  Navarre,  Isabel'*',  reine 
d'Angleterre,  Philippe,  comte  de  Poitiers  et  de  Bourgogne,  et  Charles 
(plus  tard  comte  de  la  Marche).  Il  avait  en  outre  fait  peindre,  dans 
six  miniatures  qui  furent  collées  sur  le  premier  feuillet  de  l'exemplaire 
de  dédicace,  le  jeune  roi  de  Navarre  recevant  l'ordre  de  chevalerie  à  la 
Pentecôte  de  i3i3'^',  d'autres  jeunes  nobles  faits  chevaliers  avec  lui, 
les  rois  de  France,  d'Angleterre  et  de  Navarre  prenant  la  croix  le  même 


'"'  Tanc  conceptam  mei  propositi,  si  placet, 
vestre  majestati  régie  declarabo. 

'*'  Ms.  85o4  (  Hervieux ,  p.  879  ;  Delisle ,  hc. 
cit.,  p.  173). 

'''  Le  style  de  Raimond  est  tellement  em- 
barrassé que  j'ai  été  obligé,  pour  traduire ,  en 
l'abrégeant ,  ce  passage ,  de  m  écarter  de  la  litté- 
ralilé;  les  phrases  et  les  propositions  mêmes 
sont  souvent  inachevées.  En  outre,  le  copiste  du 
manuscrit  a  ajouté  ses  fautes  à  celles  de  1  auteur. 

'*'  Raimond  dit  «Marguerite»,  mais  il  ne 
peut  s'agir  que  d'Isabel,  femme  d'Edouard  II 


et  fille  de  Philippe  IV,  puisqu'il  la  range  parmi 
les  enfants  de  celui-ci;  on  peut  croire  qu'il  l'a 
confondue  avec  la  fille  de  Philippe  III,  Margue- 
rite, femme  d'Edouard  I";  mais  peut-être  cette 
méprise  a-t-elle  une  autre  explication  (voir  la 
note  4  de  la  page  194). 

'*'  Il  dit  que  le  roi  d'Angleterre  reçut  l'ordre 
de  chevalerie  en  même  temps  que  Louis  de 
Navarre,  tandis  qu'il  assista  simplement  à  la 
cérémonie  (voir  Delisle,  loc.  cit.,  p.  160); cela 
semble  prouver  que  Raimond  vivait  en  effet 
assez  loin  de  la  cour. 


» 


194 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


jour,  les  réjouissances  des  Parisiens  à  cette  occasion''^,  les  représen- 
tants de  l'université  et  de  la  ville  défilant  devant  le  roi  et  le  cardinal 
Nicolas  de  Fréauville,  enfin  l'auteur,  sous  les  auspices  de  l'évêquede 
Châlons  et  chancelier  de  France  Pierre  de  Latilli,  présentant  son  livre 
au  roi^^'.  Cette  dernière  image  n'a  pu  être  ajoutée  au  livre  que  plus 
tard  :  dans  la  rubrique  qui  l'accompagne,  la  présentation  du  livre  est 
donnée  comme  un  fait  accompli ,:  presens  liber...  fait  presentatus.  Au 
reste,  comme  l'a  remarqué  Silvestre  de  Sacy'^',  la  présentation  n'eut 
sans  doute  pas  lieu  dans  les  fêtes  mêmes  de  la  Pentecôte  où  Raimond 
avait  terminé  son  ouvrage  et  qu'il  a  tenu  à  rappeler  dans  les  mi- 
niatures :  la  rubrique  dit  eodem  anno  et  non  eadem  die,  et  Pierre  de 
Latilli  y  est  qualifié  d'évêque  de  Châlons,  tandis  qu'à  la  Pentecôte 
de  i3i3  il  n'était  même  pas  élu,  et  qu'il  ne  fut  consacré  que  le 
2  décembre.  C'est  sans  doute  entre  cette  date  et  celle  de  Pâques 
i3]  /i  (n.  st.)  que  Raimond  put  réaliser  son  ardent  désir,  et  voir  enfin 
son  livre  remis,  par  l'entremise  du  prélat  qui  le  protégeait,  entre  les 
mains  du  roi'*^.  Obtint-il  ainsi  l'accès  à  la  cour  qu'il  ambitionnait? 


'"'  La  petite  image  qui  contenait  cette  repré- 
sentation a  malheureusement  été  enlevée. 

'''  Les  deux  dernières  miniatures  ont,  à 
notre  avis,  été  interverties  par  celui  qui  les  a 
collées  en  face  des  rubriques.  Celle  qui  occupe 
aujourd'hui  la  place  V  représente  un  évéque 
ofl'rant  au  roi,  par  l'intermédiaire  d'un  autre 
personnage ,  un  livre  relié ,  tandis  que  l'auteur, 
à  genoux  un  peu  plus  loin ,  adresse  au  roi  un 
geste  suppliant.  11  est  impossible  de  voir  dans 
ce  groupe ,  qui  ne  comprend  en  outre  qu'un 
quatrième  personnage,  les  représentants  de 
1  université  et  de  la  commune  de  Paris  dé- 
filant ciim  solempnilale  maxima  ante  conspectum 
régis  et  aliornm.  reqam  existencium  ad  Iwstiam  pa- 
lacii  circiimquaque  ciim  Iota  regati  milicia,  d'au- 
tant plus  que  le  roi  est  tout  seul.  Cette  des- 
cription convient  au  contraire  au  n°  VI ,  où  l'on 
voit  un  portique  dans  le  fond ,  à  gauche  le  roi 
de  France  et  le  roi  d'Angleterre ,  à  droite  le  roi 
de  Navarre ,  derrière  eux  de  nombreux  person- 
nages, et  sur  le  devant  une  foule  serrée  qui 
passe  en  levant  les  mains.  Il  est  vrai  que  le 
centre  du  tableau  est  occupé  par  la  figure ,  plus 
grande  que  toutes  les  autres ,  d'un  cardinal  qui, 
entouré  d'évéques,  ouvre  largement  les  bras; 
aussi  M.  Delisle  a-t-il  interprété  ainsi  notre 
image  :  •  Le  cardinal  Nicolas  de  Fréauville  pré- 


«  che  la  croisade  au  milieu  d'une  nombreuse 
«  assemblée ,  dans  laquelle  on  distingue  les  trois 
0  rois  de  France ,  d'Angleterre  et  de  Navarre.  » 
Mais  cela  n'est  indiqué  par  aucune  rubrique ,  et 
il  nous  semble  que  le  geste  du  cardinal  peut 
être  simplement  celui  de  la  bénédiction. 

'''  Not.  et  exlr.,  t.  X,  a'  partie,  p.  7  et  9. 

'*'  Qu'il  nous  soit  permis  d'émettre  une  con- 
jecture au  sujet  des  miniatures  de  ce  volume ,  dé- 
tachées visiblement  d'un  autre  exemplaire  pour 
être  collées  sur  le  nôtre.  On  y  remarque  l'omis- 
sion complète  des  trois  belles-fdles  du  roi ,  Mar- 
guerite de  Bourgogne  (ducale) ,  Jeanne  et  Blan- 
che de  Bourgogne  (comtale).  Or  on  sait  qu'au 
mois  de  mai  i3i4  ces  trois  princesses  furent 
arrêtées  et  emprisonnées  comme  adultères.  Il 
nous  parait  probable  qu'elles  figuraient  dans 
des  miniatures  appartenant  à  l'exemplaire  pri- 
mitif de  présentation ,  et  que ,  cet  exemplaire 
n'ayant  pu  être  prêt  à  temps,  Raimond  n'osa 
plus  l'ofinr  au  roi  tel  quel,  après  le  scandale 
de  mai,  en  fit  exécuter  un  autre,  sur  le- 
quel il  rapporta  celles  des  miniatures  où  ne 
figuraient  pas  les  femmes  coupables  :  c'est 
peut-être  ainsi,  par  une  méprise  du  rubrica- 
teur,  que  s'explique  la  substitution  au  nom 
d'Isabel  de  celui  de  Marguerite,  pris  dans  les 
rubriques  sacrifiées.  Dans  ce  cas,  le  ms.  85o4 


RAIMOND  DE  BÉZIERS.  195 

Nous  n'en  savons  rien.  Philippe  mourait  quelques  mois  plus  tard, 
Pierre  de  Latilli  était  bientôt  révoqué  de  ses  fonctions  de  chancelier, 
puis  jeté  en  prison,  et  si  Raimond  avait  obtenu,  grâce  à  lui,  quelques 
marques  de  la  faveur  royale,  elles  ne  lui  furent  sans  doute  pas  conti- 
nuées par  les  successeurs  de  Philippe  IV.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  n'a  re- 
trouvé son  nom  sur  aucun  registre,  sur  aucun  compte,  et  nous  ne 
connaîtrions  pas  son  existence  sans  les  deux  exemplaires  de  son  ou- 
vrage qui  se  sont  conservés  jusqu'à  nous. 

Le  premier  est  celui  dont  nous  avons  parlé  jusqu'à  présent,  et  qui 
fut,  comme  nous  l'avons  vu,  offert  à  Philippe  le  Bel.  Le  second  de- 
mande un  examen  à  part.  Il  diffère  du  premier  sous  tous  les  rapports. 
D'abord  il  n'est  qvi'une  copie  faite  en  1 496''*;  ensuite  il  est  sur  papier, 
d'une  écriture  fort  ordinaire,  et  ne  contient  pas  de  miniatures,  bien 

aue  le  copiste  ait  conservé  les  rubriques  qui  accompagnaient  celles 
e  l'exemplaire  qui  lui  a  servi  de  modèle '^\  Mais  ce  qui  le  distingue 
surtout  du  ms.  85o4,  c'est  qu'il  contient  un  texte  beaucoup  moins 
long.  Dans  la  préface  du  ms.  85o4,  Raimond,  après  avoir  parlé  de 
sa  traduction  du  Calila  et  Dimna  espagnol,  ajoute  :  In  (jno  libro  addidi 
versas,  proverbia,  anctoritates  et  alia  secundum  propositam  materiam^'^^ 
prout  in  ipso  libro  lector  poterit  intueri,  dictasque  addicwnes  duxi  per 
rubeiim,  ut  ab  ipso  libro  antiquo  discerni  valeant,  conscribendas'-'^K  Et  en 
effet,  le  ms.  85o4  présente  un  nombre  considérable  de  passages 
écrits  à  l'encre  rouge,  qui  sont  étrangers  au  livre  traduit  et  con- 
tiennent des  additions  de  Raimond,  sur  lesquelles  nous  aurons  à 
revenir.  Ces  additions  ne  se  trouvent  pas  dans  le  ms.  85o5.  Silvestre 
de  Sacy  avait  pensé  que  le  ms.  85o5  était  copié  sur  le  ms.  85o4, 
et  que  le  copiste  avait  supprimé  ces  additions,  soit  pour  abréger  son 
texte,  soit  parce  qu'il  les  trouvait,  non  sans  raison,  superflues  et 
même  fâcheuses.  Hervieux  a  montré  que  Sacy  était  dans  l'erreur, 
et  que  le  ms.  85o5  est  copié  sur  un  manuscrit  autre  que  le  ms. 
85o4.  D'une  part,  en  effet,  parmi  les  rubriques  de  miniatures  con- 

n'aurait  été  définitivement  terminé   qu'après  (Not.  et  extr.,  t.  X,    2*  partie,  p.  42)  et  par 

le  mois  de  mai  i3i4.  Hervieux  (p.  (ii). 

'"'  La  note  du  copiste»  Guillaume  de  Vassenex  '''  Voir  Hervieux,  p.  42;  Delisle,  loc.  cit., 

(  aujourd'hui  Vasseni ,  Aube  )  »  qui  l'écrivit  au  pi  64. 

collège d'Autun pour»  monsieur  maistre  Aubert  '''  Hervieux  a  imprimé  ici  memoriam,  mais 

•  (et  non  Ymbert)  Benot  »  et  reçut  deux  francs  correctement  materiam  à  la  p.  71. 
pour  sa  peine,  a  été  imprimée  par  S.  de  Sacy  '*'  Hervieux,  p.  385. 


196  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

servées  dans  le  ms.  85o5,  H  en  est  dont  les  sujets  ne  se  retrouvent 
pas  dans  le  ms.  85o/i;  d'autre  part  la  copie  de  1^96  a  très  souvent 
des  leçons  meilleures  que  celles  du  manuscrit  de  i3i4,  et  contient 
notamment  beaucoup  de  mois  omis  dans  celui-ci  et  qui  n'ont  pu 
être  suppléés  par  le  copiste;  enfin  les  dédicaces  et  préfaces  diffèrent 
sensiblement  dans  les  deux  manuscrits*''.  Cette  démonstration  est 
probante,  et  il  faut  admettre,  comme  l'a  fait  aussi  M.  Delisle*^',  que 
la  copie  du  ms,  85o5  a  été  prise  sur  un  manuscrit  autre  que  le  85o/l, 
manuscrit  de  luxe  également,  achevé  peu  après  la  Pentecôte  de 
i3i3,  et  destiné  à  être  ofîert,  comme  l'autre  le  fut  effectivement,  à 
Philippe  le  Bel.  Ce  manuscrit  contenait-il  les  additions  de  Raimond 
conservées  dans  le  ms.  85o/i?  On  ne  peut  le  dire  avec  certitude, 
mais  cela  ne  paraît  pas  probable.  Raimond  avait  sans  doute  fait  co- 
pier deux  exemplaires  de  son  œuvre,  l'un  ne  contenant  que  la  tra- 
duction du  livre  de  Calila  et  Dimna,  l'autre  renfermant  les  additions 
de  son  cru.  C'est  sur  le  premier  de  ces  exemplaires,  aujourd'hui 
perdu,  qu'a  été  prise  la  copie  de  1496.  Le  scribe,  sans  être  à  beau- 
coup près  irréprochable,  était  pourtant  un  peu  plus  instruit  et  soi- 
gneux que  celui  de  l'exemplaire  amplifié,  et  c'est  pour  cela  que  le 
manuscrit  du  xv"  siècle  permet  souvent  de  corriger,  dans  les  parties 
qui  leur  sont  communes,  les  leçons  du  manuscrit  de  i3i4. 

Cette  solution  si  simple  n'est  pas  celle  qu'a  cru  devoir  adopter 
Hervieux.  Pour  lui,  le  ms.  85o5  représente  seul  l'œuvre  de  Rai- 
mond de  Béziers;  le  ms.  85o4  est  dû  à  «un  religieux  lettré»,  qui, 
ayant  connu  la  traduction  du  Calila  et  Dimna  et  «  voulant  la  faire  ser- 
«  vir  à  l'enseignement  de  la  morale  chrétienne,  y  a,  dans  ce  but,  iu- 
«  troduit  à  profusion,  sous  la  forme  de  citations  en  prose  et  en  vers, 
«des  additions  qui  en  ont  doublé  le  volume'^'».  Les  raisons  que 
donne  Hervieux  à  l'appui  de  cette  thèse  sont  peu  solides**',  et  la 
thèse  elle-même  a  été  complètement  ruinée  par  M.  Léopold  Delisle, 
qui  a  démontré  que  le  ms.  85o4  est  bien  celui  que  Raimond  a  offert  à 
Philippe  le  Bel'*'.  11  fait  remarquer  en  effet  que  les  rubriques  qui, 
dans  les  deux  pages  précédant  la  préface,  accompagnent  les  six  mi- 
niatures indiquées  plus  haut  sont  de  la  même  écriture  que  les  pre- 

'"'  Voir  Hervieux ,  p.  66-70.  *''  Voir  aussi  G.  Paris , /oonia/  det  Savants, 

'*'  Loc.  cit..  p.  i63.  '899,  p.  218. 

(»'  Hervieux,  p.  58.  '''  Loc.  cit..  p.  160-168. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


197 


mières  pages  du  manuscrit,  en  sorte  qu'elles  n'ont  point  été,  comme 
le  dit  Hervieux,  écrites  postérieurement;  et  elles  l'ont  été  néces- 
sairement en  vue  des  miniatures,  bien  que  celles-ci  n'aient  pas  été 
peintes  directement  sur  le  parchemin  des  deux  pages  où  elles  se 
trouvent,  mais  aient  été  exécutées  à  part,  sur  un  vélin  plus  mince,  et 
collées  ensuite  en  face  des  rubriques.  Hervieux  remarque  d'ailleurs 
avec  raison  que  ces  miniatures  sont  d'un  autre  style  que  celles  du  reste 
du  volume.  H  est  permis  de  supposer  qu'elles  appartenaient  originai- 
rement à  l'exemplaire  sur  lequel  a  été  copié  le  ms.  85o5  :  Raimond, 
ayant  d'abord  destiné  au  roi  un  exemplaire  qui  ne  contenait  que  la 
version  non  interpolée,  se  sera  décidé  ensuite  à  lui  offrir  la  version 
amplifiée,  et  il  aura  détaché,  pour  en  orner  l'exemplaire  définitif, 
les  six  miniatures  qui  se  trouvaient  en  tête  de  l'autre ''\  Ce  n'est  pas 
la  seule  trace  d'hésitations  et  de  retouches  que  nous  trouvions  dans  la 
façon  dont  il  a  présenté  son  œuvre  au  roi. 

M.  Delisle  a  en  effet  montré  que  le  premier  feuillet  du  ms.  85o4, 
écrit  sur  le  verso  seulement,  ne  fait  point  corps  avec  ce  manuscrit  : 
«  Il  y  a  été  annexé  par  le  relieur,  pour  servir  de  garde  ;  il  contient 
«  le  commencement  d'un  avant-propos  qui  devait  être  placé  en  tête 
(1  d'un  exemplaire  du  livre  et  qui  fait  double  emploi  avec  les  détails 
«consignés  dans  la  préface  du  ms.  85oil  et  dans  l'épître  dédicatoire 
«du  ms.  85o5.  »  Nous  avons  donc  toute  une  série  de  préambules 
mis  par  Raimond  en  tête  de  son  œuvre  et  présentant  l'aspect  de 
remaniements  successifs  :  i°  le  fragment  copié  au  verso  du  feuillet  de 
garde  du  ms.  85o4;  2°  la  dédicace-préface  de  ce  même  manuscrit; 
3°  la  dédicace-préface  (incomplète  du  début)  du  ms.  85o5'^'.  Ces 
trois  morceaux,  auxquels  il  faut  joindre  les  souscriptions  des  deux 
manuscrits  et  les  rubriques  des  miniatures  du  ms.  85o4,  contien- 
nent, avec  quelques  variantes,  les  mêmes  renseignements.  Nous  en 
avons  extrait  ceux  qui  concernent  la  personne  de  Raimond. 


'"'  Certains  indicés  semblent  confirmer 
cette  hypothèse.  La  rubrique  citée  plus  haut, 
qui  montre  le  traducteur  désolé  par  la  mort 
de  la  reine,  et  dont  la  miniature  n'est  pas 
dans  le  ms.  85o/i,  doit  bien  provenir  d'un  ma- 
nuscrit destiné  à  être  offert  au  roi.  D'autre  part , 
S.  de  Sacy  et  M.  Delisle  (p.  i64)  ont  montré 
que  la  souscription  du  ms.  85o5  est  en  partie 
fabriquée  avec  les  rubriques  des  miniatures  du 


ms.  85o4 ,  qui  devaient  donc  se  trouver  dans 
le  modèle  de  Guillaume  de  Vasseni.  Nous 
avons  indiqué  plus  haut  (p.  194,  n.  4)  une 
explication  possible  de  la  mise  au  rebut  de 
i'exempLiire  primitif. 

'*'  Les  trois  préfaces ,  ainsi  que  les  souscrip- 
tions, ont  été  imprimées  par  M.  Delisle  (loc. 
cit.),  et  figurent  naturellement,  dans  le  volvme 
d'Hervieux. 


198 


RAIMOND  DE  BKZIERS. 


Nous  allons  maintenant  examiner  l'œuvre  de  Raimond  en  elle- 
même,  et  d'abord  voir  ce  qu'il  nous  en  dit. 

S'il  faut  l'en  croire,  un  clerc  ou  un  noble  (sans  doute  ces  deux 
mots  désignent  le  même  personnage,  clerc  de  haute  naissance)  avait 
apporté  d'Espagne  un  exemplaire  castillan  du  livre  de  Calila  et 
Dimna,  qu'il  avait  offert  à  la  reine  Jeanne,  et  celle-ci  avait  chargé 
Raimond  de  le  mettre  en  latin.  Ayant  commencé  son  travail,  il  l'avait 
interrompu  en  i3o5,  à  la  mort  de  la  reine,  puis  repris  et  terminé 
en  i3i3. 

La  traduction  castillane  du  Kalîlah  et  Dimnah  existe  en  eflet'*'. 
Silvestre  de  Sacy  ne  la  connaissait  que  par  le  fragment  qu'en  avait 
imprimé  Rodriguez  de  Gastro'^^  et  ce  fragment  lui  avait  suffi  pour 
en  apprécier  toute  l'importance.  Elle  a  été  imprimée,  en  1860,  par 
Pascual  de  Gayangos,  d'après  deux  manuscrits,  dont  le  plus  an- 
cien est  de  la  fin  du  xiv*  siècle,  l'autre  de  i566'^).  Le  premier  se  ter- 
mine par  la  note  suivante  :  Aqui  se  acaba  el  libro  de  Calira  (lis.  Calila) 
e  Dygna ,  et  faé  sacado  de  aràhyçjo  en  latyn  e  romançado  por  mandado  del 
infante  don  Alfonso,  hijo  del  muy  noble  rey  don  Fernando,  en  la  era  de  mill 
e  dozientos  e  noventa  e  nueve.  L'autre  manuscrit  omet  la  date.  Mais  un 
troisième,  qu'a  connu  le  P.  Sarmiento  et  qui  ne  se  retrouve  plus, 
portait  :  en  la  era  de  1389.  Comme  l'a  montré  Gayangos,  il  faut  cor- 
riger l'une  par  l'autre  ces  deux  dates  également  inadmissibles,  et  lire  : 
en  la  era  de  1289 ,  c'est-à-dire  en  1261  ''''.  L'infant  dont  il  s'agit  ici  est 
en  effet  Alfonse,  fils  du  roi  saint  Fernand,  qui  succéda  à  son  père  en 
laSa,  et  qui,  comme  on  sait,  fut,  directement  ou  indirectement,  le 
fondateur  de  la  littérature  espagnole  en  prose.  Il  n'y  a  pas  de  raison 
d'aller  plus  loin  que  ne  le  fait  cette  souscription,  et  d'attribuer  à  l'in- 
fant, comme  Beniey  est  porté  à  le  faire  **^  la  composition  même  de  la 


'■'  Rappelons  ici  que  Raimond  LuUe  avait 
donné,  vers  la  fin  du  xiii*  siècle,  dans  le  livre 
septième  de  son  Livre  des  merveilles,  une  imi- 
tation des  livres  I-l  bis  (  voir  pour  ces  désignations 
ci-dessous ,  p.  2 1 7  )  du  Kalîlah  et  de  plusieurs 
contes  épars  dans  tout  l'ouvrage.  Ces  imita- 
tions ,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer  dans 
un  de  nos  précédents  volumes  (t.  XXIX, 
p.  354-36o),  proviennent  directement  de  l'arabe, 
et  sans  doute  de  souvenirs  de  lecture.  On  ne 
saurait  les  rattacher  à  la  version  espagnole  : 
LuUe  fait  un  renard  (qu'il  appelle  bizarrement 


NaReiiart)  du  chacal  que  le  traducteur  espagnol 
(voir  ci-dessous,  p.  aai)  change  en  loho  cerval. 

'*'  Biblioteca  espanola,  t.  1,  p.  636  el  suiv.  ; 
S.  de  Sacy,  Notices  et  extraits,  1. 1,  i"  partie, 
p.  434. 

'''  Gayangos,  avec  sa  légèreté  ordinaire, 
donne  cette  date  à  la  page  4 ,  et  à  la  page  5 
il  indique  le  commencement  du  xv*  siècle. 

'*'  S.  de  Sacy  avait  déjà  proposé  de  lire  1 289 
pour  1389  dans  le  manuscrit  de  Sarmiento,  le 
seul  dont  on  eût  alors  connaissance. 

'*'   Orient  and  Occident,  t.  I,  p.  493. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


199 


traduction  dont  on  nous  dit  seulement  qu'il  fut  l'inspirateur.  Ajoutons 
que,  d'après  Raimond  de  Béziers,  qui  d'ailleurs  ne  mentionne  pas 
Alfonse,  cette  traduction  fut  faite  à  Tolède,  ce  qui  n'a  rien  que  de 
vraisemblable,  puisque  Tolède  était  alors  la  capitale  dès  rois  de  Castille. 
La  souscription  des  trois  manuscrits  espagnols  nous  donne  un 
autre  renseignement,  plus  contestable  :  le  livre  aurait  été  traduit 
d'abord  de  l'arabe  en  latin,  puis  du  latin  en  roman.  Gayangos  con- 
teste absolument  cette  assertion.  D'après  lui,  la  comparaison  du  texte 
arabe  et  de  la  version  castillane  montre  entre  eux  une  affinité  si 
étroite  qu'on  ne  peut  songer  à  admettre  une  version  latine  intermé- 
diaire. Les  deux  preuves  qu'il  en  apporte  (le  nom  d'abniie  donné  à  un 
chacal  d'après  l'arabe  âhn  âwi,  et  celui  de  tittnya  donné  à  un  oiseau 
de  mer  d'après  l'arabe  titdwa)  n'ont  pas  grande  force,  non  plus  que  le 
fait  que  l'arabe  nafs  est  rendu  par  aima  :  tout  cela  a  pu  aussi  bien  se 
produire  sous  la  plume  d'un  traducteur  latin  que  sous  celle  d'un 
traducteur  castillan''*.  Gayangos  assure,  à  la  vérité,  qu'il  y  a  dans 
l'espagnol  «  des  phrases  entières  et  des  tournures  qui  sont  traduites 
«littéralement  de  l'arabe,  et  qui,  certainement,  ne  se  seraient  pas 
«présentées  à  un  traducteur  qui  aurait  eu  sous  les  yeux  un  texte 
«latin».  Nous  ne  sommes  pas  compétents  pour  décider  ce  point; 
Benfey  pense  que  Gayangos  est  dans  le  vrai'"^*,  et  l'opinion  de  celui-ci 
était  déjà  celle  de  S.  de  Sacy.  La  question  n'a  d'ailleurs  que  peu 
d'importance,  puisque  l'intermédiaire  latin,  s'il  a  existé,  était  une 
traduction  littérale  de  l'arabe  et  a  été,  à  son  tour,  littéralement  traduit 
en  espagnol. 


'"'  Gayangos   confond   perpétuellement    la 

auestion  de  savoir  si  le  livre  espagnol  est  tra- 
uit  du  latin  et  celle  de  savoir  s'il  est  traduit 
du  latin  de  Jean  de  Capoue,  et  il  croit  avoir 
résolu  la  première  question  quand  il  a  montré 
que  la  seconde  se  résout  certainement  par  la 
négative,  ce  qui  ne  prouve  absolument  rien 
pour  la  première. 

'''  Il  montre  cependant  la  faiblesse  d'un  des 
arguments  de  Gayangos  (à  savoir  que  Raimond 
de  Béziers  ne  mentionne  pas  le  latin),  mais 
celui  qu'il  ajoute  pour  son  compte  n'est  pas 
plus  solide  :  «  Nous  n'avons  aucune  connais- 
«  sance  qu'il  ait  existé,  à  l'époque  de  la  version 
«espagnole,  une  traduction  latine  autre  que 
«  celle  de  Jean  de  Capoue ,  et  cela  serait  très 


'invraisemblable  (Or.  andOcc,  loc.  cit.).' 
Mais  cette  traduction  pourrait  fort  bien  avoir 
été  faite  sur  l'arabe  uniquement  pour  servir  au 
traducteur  espagnol,  et  avoir  ensuite  disparu. 
C'est  ainsi  que  Laurent  de  Premierfait  traduisit 
le  Décaméron  en  français  sur  une  traduction 
latine  qu'il  s'était  fait  faire  et  que  nous  n'a- 
vons plus.  —  J.  Derenbourg  a  donc  été  un 
peu  loin  [Joh.  de  Capua  Directorium,  p.  iv, 
n.  i)  en  disant  que  Benfey  «prouve,  d'accord 
«  avec  l'éditeur,  que .  .  .  cette  version  n'est  pas 
«  faite  sur  un  texte  latin  ».  Hervieux ,  qui 
n'a  pas  recouru  directement  à  Benfey,  écrit 
là-dessus  (p.  5i)  que  "Benfey,  en  admettant 
«  cette  opinion ,  a  démontré  qu'elle  était  par- 
«  faitement  fondée  ». 


200  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

Ce  qui  est  plus  intéressant,  c'est  de  constater,  comme  l'a  fait  Ben- 
fey,  et  comme  l'a  confirmé,  dans  le  détail,  notre  regretté  confrère 
J.  Derenbourg,  que  la  traduction  espagnole  repose  sur  un  texte  arabe 
identique  à  celui  dont  s'est  servi,  de  son  côté,  l'auteur  de  la  traduc- 
tion hébraïque  mise  en  latin  par  Jean  de  Capoue.  Mais  ce  point  de- 
mande quelque  développement  et  nous  amène  nécessairement  à  es- 
quisser ici  une  histoire  du  livre  même  connu  depuis  longtemps  sous 
le  titre  arabe  de  Kalîlah  et  Dimnah. 

C'est  Silvestre  de  Sacy  qui ,  le  premier,  a  essayé  d'écrire  cette  his- 
toire ;  s'il  en  a  parfaitement  dessiné  les  grandes  lignes  pour  la  partie 
qu'on  peut  appeler  arabe  (en  y  comprenant  tous  les  dérivés  de  l'arabe), 
il  n'avait  pas  encore  les  moyens  d'en  connaître  suffisamment  les  pre- 
mières parties,  indienne  et  pehlvie.  Théodore  Benfey  a  consacré  à 
ce  sujet  des  recherches  où  on  ne  sait  si  l'on  doit  plus  admirer  l'éten- 
due de  l'érudition  ou  la  finesse  de  la  critique,  et,  après  en  avoir  con- 
signé les  résultats  dans  le  volume  de  65o  pages  qui  sert  d'intro- 
duction à  sa  traduction  du  Pantchatantra  sanscrit,  il  les  a  continuées 
dans  de  nombreux  articles  à  propos  de  publications  nouvelles,  dont 
les  plus  importantes  furent  celles  de  la  version  espagnole  et  de  la 
version  syriaque.  Il  croyait  avoir  établi  sur  des  bases  assurées  l'his- 
toire de  ce  qu'il  appelait  «l'ouvrage  fondamental  [Grundwerk)  »  d'où 
étaient  issus  à  la  fois  le  Pantchatantra  indien  et  le  livre  pehlvi  (source 
du  syriaque  et  de  l'arabe) ,  plus  étendu  et  plus  voisin  de  l'original 
que  le  Pantchatantra;  mais,  depuis  lors,  des  découvertes  successives 
dans  le  domaine  de  la  littérature  sanscrite  ont  à  peu  près  ruiné  sa 
principale  hypothèse  et  obligent  de  se  représenter  les  choses  autre- 
ment qu'il  ne  le  faisait,  tandis  que  d'importantes  publications,  comme 
celles  de  M.  I.  Guidi,  M.  Noldeke,  de  Wright,  de  Keith-Falconer  et 
de  J.  Derenbourg,  venaient  aussi  compléter  et  préciser  notre  con- 
naissance de  la  partie  relativement  moderne  du  sujet.  Il  n'est  donc 
pas  inutile  de  présenter  aujourd'hui  sommairement,  d'après  les  tra- 
vaux les  plus  récents,  l'histoire  d'un  livre  auquel  le  succès  qu'il  a 
obtenu  pendant  des  siècles  chez  les  peuples  les  plus  divers  assure, 
même  indépendamment  de  sa  valeur  propre,  une  place  dans  l'his- 
toire générale  de  la  littérature. 

Sous  le  règne  de  Cosroès  le  Grand  ou  Anoûchirwàn  Khosrou,  le 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


201 


vingt-deuxième  des  rois  sassanides  de  Perse  (53 1-67 9),  qui  portait, 
comme  on  sait,  un  vif  intérêt  à  la  littérature,  fut  composé  dans  la 
langue  officielle  de  l'empire,  le  pehlvi,  qui  était  un  dialecte  iranien 
apparenté  de  près  à  l'ancien  perse  des  Achéménides,  un  livre  qui 
reçut  sans  doute  déjà  le  titre  peu  exact  de  Kalilak  et  Damnak,  d'après 
les  noms  de  deux  chacals  qui  ne  paraissent  en  réalité  que  dans 
le  premier  des  douze  chapitres  dont  se  composait  l'ouvrage.  Le  livre 
pehlvi  est  perdu,  comme  presque  toute  la  littérature  de  la  Perse  sas- 
sanide,  à  l'exception  des  livres  sacrés  du  mazdéisme;  mais  nous  en 
avons  une  reproduction,  qui,  pour  ce  qu'elle  contient,  paraît  très 
fidèle,  dans  la  traduction  syriaque  composée,  presque  aussitôt  après 
la  publication  du  livre,  par  un  personnage  connu,  Boud  «  le  pério- 
«deute»,  traduction  dont  on  avait  contesté  l'existence,  bien  qu'elle 
soit  mentionnée  dans  un  catalogue  du  xiii*  siècle ''\  et  qui,  retrouvée 
presque  miraculeusement,  en  1870,  à  Mardin,  par  M.  Albert  Socin, 
a  été  imprimée  et  traduite,  en  1876,  par  M.  G.  Bickell,  avec  une  in- 
troduction de  Benfey  '"^'. 

Le  manuscrit  unique  qui  nous  l'a  conservée  est  incomplet  du 
début  et  de  la  fin;  mais  il  est  extrêmement  probable  que  le  traduc- 
teur syrien  avait  omis  l'introduction  du  livre  pehlvi  et  n'avait  com- 
mencé son  œuvre  qu'avec  le  récit  proprement  dit  ^^K  Le  contrôle 
de  la  version  syriaque  nous  fait  donc  défaut  pour  apprécier  ce  qui, 
dans  les  préliminaires  de  la  traduction  arabe  dont  nous  allons  parler, 
appartenait  déjà  au  livre  pehlvi.  Ces  préliminaires,  sans  tenir  compte 
de  la  préface  personnelle  du  traducteur  arabe,  consistent  en  deux 
morceaux  distincts.  La  forme  la  plus  authentique  du  premier  nous  est 
conservée  dans  un  manuscrit  arabe  signalé  par  S.  de  Saoy'*^',  dans  les 


'"'  La  notice  de  ce  catalogue  était  de  nature 
à  inspirer  des  doutes  :  on  y  lit  que  Boud ,  vers 
570,  donc  à  peu  près  en  même  temps  que  le 
traducteur  pehlvi,  avait  traduit  le  livre  en 
question  «  de  la  langue  des  Indiens  »  ;  aussi  Sil- 
vestre  de  Sacy  avait-il  ét<^  jusqu'à  conjecturer 
que  dans  le  prétendu  Boud  il  fallait  tout  sim- 
plement reconnaître  Barzoùyah,  le  traducteur 
perse  (voir  plus  loin),  et  que  cette  notice 
était  prise  au  livre  arabe  et  n'avait  aucune 
valeur  pour  le  syriaque.  Mais,  dès  i856,E.  Re- 
nan avait  montré  (Journal  Asiat,,  5'  série, 
t.  VU,  p.  a56)  que  les  formes  données  par  le 

HISr.  LITT.  —  uxui. 


catalogue  syriaque,  Kalihig  et  Damnag,  ne 
pouvaient  provenir  des  formes  arabes  Kalîlah 
et  Damnah  et  renvoyaient ,  concurremment  avec 
elles,  à  un  pehlvi  Kalilak  et  Damnak,  adapta- 
tion du  sanscrit  Karalaka  et  Damanaka  con- 
forme à  la  phonétique  pehlvie.  L'erreur  du 
catalogue  était  de  dire  que  Boud  avait  tra- 
duit le  livre  «de  la  langue  des  Indiens»,  au 
lieu  de  dire  «de  la  langue  des  Perses». 

'''  Kalilaçj  and  Damnag,  Leipzig,  1876. 

'''  Voir  Benfey,  Kal.   und  Damn. ,  p.  xxxi- 

XXXII. 

'*'  Notre  confrère  M.  Hartwig  Derenbourg, 

26 


202 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


versions  hébraïque  et  espagnole,  et  nous  est  en  outre  attestée  par 
un  passage  du  Chah  Nameh  de  Firdoûçl*''.  On  y  raconte  que  Bar- 
zoûyah,  médecin  de  Khosrou  et  savant  philosophe,  lui  dit  un  jour  avoir 
lu  quelque  part  que  dans  l'Inde  il  y  avait  de  hautes  montagnes  sur 
lesquelles  croissaient  des  herbes  dont  on  pouvait  faire  des  breuvages 
capables  de  ressusciter  les  morts.  Il  demanda  au  roi  et  obtint  une 
mission  pour  aller  à  la  recherche  de  ces  simples;  mais  vainement  il 
explora  toutes  les  montagnes  de  l'Inde,  en  cueillit  et  en  éprouva 
toutes  les  herbes  :  aucune  ne  donna  le  résultat  espéré.  Enfin  les 
philosophes  de  l'Inde,  qu'il  consulta,  lui  apprirent  que  les  montagnes 
signifiaient  les  sages,  et  les  herbes  leurs  bonnes  paroles,  qui  ont  la 
vertu  d'éclairer  les  ignorants,  c'est-à-dire  de  ressusciter  les  morts.  Ces 
bonnes  paroles,  lui  dirent-ils,  ont  été  recueillies  dans  des  livres;  et  ils 
lui  désignèrent  particulièrement  un  livre  qu'un  des  rois  de  l'Inde 
gardait  parmi  ses  plus  précieux  trésors.  Barzoûyah  en  obtint  com- 
munication, le  traduisit  en  pehlvi  et  rapporta  sa  traduction  en  Perse. 
Il  en  donna  lecture  devant  une  nombreuse  assemblée,  qui  fut  remplie 
d'admiration.  Khosrou  lui  offrit  toutes  les  récompenses  qu'il  souhai- 
terait; mais  Barzoûyah  n'accepta  qu'un  riche  vêtement;  seulement  il 
demanda  au  roi  d'ordonner  que  sa  biographie,  écrite  en  son  nom 
par  le  vizir  Bouzourdjmihr,  fût  placée  en  tête  du  livre,  ce  qui  lui  fut 
accordé  '^'. 

D'après  Benfey  '^\  ce  récit  appartient  au  livre  pehlvi,  et  il  pourrait 
bien  être  de  Bouzourdjmihr  lui-même.  Cela  ne  nous  paraît  guère 
vraisemblable.  Il  a  toutes  les  allures  d'un  conte,  et  il  est  introduit 
par  la  formule  :  «Au  temps  du  roi  Anoûchirwàn  Khosrou»,  qui  ne 
convient  guère  à  un  contemporain  de  ce  roi.  H  y  a  beaucoup  plus  de 
chances,  à  notre  avis,  pour  qu'il  soit  l'œuvre  d'Abdallah  ibn-Almo- 
qafla,  qui  amis  le  livre  pehlvi  en  arabe.  L'auteur  de  ce  prologue 
prétend  que  Barzoûyah  a  traduit  de  l'indien  un  livre  appelé  Kalîlah  *'"' 


auquel  le  présent  article  doit  plus  d'une  in- 
dication utile,  nous  en  a  signalé  un  second 
exemplaire  à  Londres  :  voir  Rieu,  Sappl.  lo 
the  Catal.  of  arable  manuscripts ,  p.  783. 

'"'  Imprimé  et  traduit  par  S.  de  Sacy,  Not. 
et  extr.,  t.  X,  1"  partie,  p.  i45-i53.  On  peut 
maintenant  le  lire  dans  la  traduction  de  J.  Mohl, 
Le  Livre  des  Rois.  t.  VI,  p.  SS^. 
.    '*'  La  plupart  des  manuscrits  arabes,  ainsi 


que  la  version  grecque ,  ont  de  cette  histoire 
une  autre  forme,  qui  est  très  probablement 
plus  récente  :  voir  Benfey,  PantschaL,  t.  I, 
p.   60-66,   et  cf.   Journal  des  SavanU ,  189g, 

p.   3  11-3  13. 

<''  Pantschatantra ,  1.  I,  p.  64- 

'*'  Firdoùçi,  seul,  le  ait  expressément  (il 
faut  noter  que  la  forme  qu'il  emploie,  Kalilu, 
indique  qu'il  suivait  un  texte  ai^be  et  non 


RÀIMOND  DE  BÉZffiRS.  203 

(ce  serait  en  pehlvi  Kalilak,  en  sanscrit  Karataha);  or  il  n'a  jamais 
existé  de  livre  indien  de  ce  nom  :  c'est  le  titre  donné,  à  tort,  au  livre 
pehlvi,  qui  est,  comme  nous  le  verrons,  une  compilation  traduite 
d'après  divers  livres  sanscrits,  et  l'histoire  des  deux  chacals Âam^a/ca 
et  Danianaka  (devenus  en  pehlvi  Kalilak  et  Damnak,  en  syriaque  Kali- 
lag  et  Damnag,  puis  en  arabe  Kalîlah  et  Dimnah,  en  hébreu  Kelila  et 
Dimna,  en  espagnol  Calila  et  Dimna,  chez  Raimond  Ca/i7a  et  Dina), 
ne  forme  que  le  premier  chapitre  de  l'un  de  ces  livres  indiens,  le 
Pantcliatantra.  La  façon  dont  l'auteur  explique  la  présence  de  la  bio- 
graphie de  Barzoûyah  en  tête  du  livre  est  tout  à  fait  invraisemblable, 
ainsi  que  l'attribution  de  cette  biographie,  où  Barzoûyah  parle  à  la 
première  personne,  au  vizir  Bouzourdjmihr.  Il  y  a  donc  tout  lieu  de 
croire  que  le  livre  pehlvi  ne  contenait  pas  ce  prologue,  ajouté  au 
viii"  siècle  par  le  traducteur  arabe,  et  commençait  par  l'autobiogra- 
phie du  traducteur'".  Barzoûyah  y  mentionne  son  voyage  dans  l'Inde, 
et  c'est  de  là  que  l'auteur  du  prologue  a  tiré  toute  sa  petite  histoire. 
La  biographie  de  Barzoûyah  est  à  peu  près  identique  dans  tous  les 
njanuscrits  arabes,  ainsi  que  dans  les  versions  grecque,  hébraïque  et 
espagnole.  Elle  est  fort  intéressante.  Ce  n'est  pas,  à  vrai  dire,  une 
biographie  :  c'est  un  examen  de  conscience  et  une  méditation  sur  la 
meilleure  façon  d'employer  la  vie.  Elle  est  empreinte  de  sentiments 
très  élevés,  notamment  dans  le  passage  où  Barzoûyah  raconte  com- 
ment il  a,  au  moins  pendant  un  temps,  calmé  ses  doutes  sur  le  but 
de  la  vie  en  pratiquant  la  médecine  d'une  façon  désintéressée,  étant 
sûr  ainsi  d'être  utile  aux  hommes.  Mais  ayant  reconnu  que  les  maux 
du  corps  ne  sont  i-ien  à  côté  de  ceux  de  l'âme,  et  s'étant  convaincu 
du  néant  de  la  vie  présente,  il  s'est  tourné  vers  la  vie  future.  Il  a 
examiné  les  diverses  religions,  et  a  constaté  que  chacune  d'elles, 
incapable  de  prouver  la  vérité  de  son  enseignement,  se  borne  à 
l'affirmer  et  à  condamner  les  autres  (il  est  regrettable  qu'il  n'ait  pas 
spécifié  les  religions  qu'il  avait  en  vue); il  s'est  alors  décidé  à  conserver 

pehlvi);  d'après  les  versions  hébraïque  etespa-  '"'  La  traduction  espagnole  le  dit  expressé- 

gnole,  le  Kalilak  et  Damnak  aurait  seulement  ment  :  Et   la  una    de  aqaestas  escriptnras  fuc 

été  un  des  livres  indiens  qu'aurait  rapportes  de  aqucste  libro  que  dicen  Calila  e  Dimna,  et  eru 

son  voyage  et  traduits  Barzoûyah  ;  mais  il  faut  el  primera  capitalo  deste  libro  el  capitula  de  Ber- 

entendre  qu'il   en  traduisit  d'autres  en  dehors  sehuey,  et  de  la  que  dijo  de  si  et  de  su  linaje,  et 

de  celui-là,  qui  est  celui  en  tête  duquel  est  la  de  coma  era  movibile  en  las  casas,  tante  qae  el 

préface.  hnho  de  meterse  en  religion. 

56. 


204  RAIMOND  DE  BB:ZIERS. 

la  religion  de  ses  pères,  mais  a  résolu,  surtout  depuis  son  retour  de 
l'Inde,  de  mener  une  vie  ascétique.  Ce  passage  a  lait  croire,  déjà  au 
moyen  âge,  que  Barzoûyah  était  chrétien;  il  faut  bien  plutôt  y  voir, 
avec  Benfey,  l'influence  du  bouddhisme.  L'auteur  a  intercalé  dans 
son  discours  un  certain  nombre  de  contes  ou  fables  et  la  célèbre  para- 
bole de  l'homme  exposé  aux  plus  affreux  dangers  et  qui  les  oublie 
un  moment  en  savourant  quelques  gouttes  de  miel  qu'il  trouve  à 
portée  de  sa  bouche;  l'origine  de  cette  belle  allégorie  est  certainement 
bouddhique,  puisqu'elle  se  retrouve  dans  la  Vie  du  Bouddha  qui ,  à  peu 
près  en  même  temps  que  notre  livre ,  était  aussi  traduite  du  sanscrit  en 
pehlvi,  et  qui,  christianisée,  est  devenue  le  roman  grec  de  Barlaam  et 
Joasaph''^K 

C'est  après  ce  préambule  que  commence  la  traduction  de  Barzoûyah, 
et  nous  avons  à  partir  de  là  la  version  syriaque  pour  contrôler  les  re- 
présentants multiples  de  la  version  arabe.  L'ouvrage,  nous  l'avons 
dit,  comprend  douze  chapitres.  Les  cinq  premiers  correspondent,  pour 
le  récit  principal  formant  cadre,  et  pour  les  récits  quiy  sontencaarés, 
aux  cinq  chapitres  d'un  ouvrage  sanscrit  intitulé  précisément  le  Pant- 
chatantra,  «les  cinq  chapitres»,  qui  existe  en  plusieurs  versions  assez 
difiérentes,  et  qui  a  été  l'objet,  en  notre  temps,  de  diverses  traduc- 
tions en  langues  européennes.  Viennent  ensuite  trois  chapitres  dont 
le  contenu  se  retrouve  dans  la  grande  compilation  épique  du  Mahà- 
bhârata  (liv.  XII).  Le  neuvième  chapitre,  perdu  en  sanscrit,  est  con- 
servé dans  un  livre  tibétain  ,  Makdkdtyâyana  et  Tchanda-Pradyota. 
Mais  pour  la  suite  une  difficulté  sérieuse  se  présente.  La  version  sy- 
riaque, nous  l'avons  dit,  est  incomplète  de  la  fin  comme  du  début; 
mais,  à  la  fin,  il  paraît  ne  manquer  que  très  peu  de  chose,  et  il 
semble  bien  qu'elle  se  terminait  avec  le  dixième  chapitre.  Or  ce  cha- 
pitre, —  M.  Noideke  a  rendu  le  fait  extrêmement  vraisemblable,  con- 
trairement à  l'opinion  de  Benfey '^\  —  ne  provient  pas  de  l'Inde  et 
n'est  sans  doute  même  pas  de  Barzoûyah  :  composé  en  pehlvi,  il  avait 
été  ajouté  au  manuscrit  qu'a  eu  sous  les  yeux  Boud,le  traducteur 

'"'  Voir  sur  l'Iiistoire  de  celle  parabole  Chau-  bourg,  Director.,  p.  35o.  Benfey  avait  d'abord 

vin,  Bibliogr.  arabe,  t.  III,  p.  99-100.  lui-même  regardé  ce  chapilre,  qui  se  retrouve 

*''  Voir  Die  Erzàhliing  vom  Mâaseknnig  und  dans  quelques  manuscrils arabes,  comme  inter- 

seineii  Minislern.  .  .  von  Th.  Nôldeke,  Gôllin-  polé;  mais  le  fait  qu'il  est  dans  la  version  sy- 

gen,   1879,  in-4°  (tiré  des  Abhandlungen  der  risque  lui  avait  paru  en  établir  suffisamment 

K.  Ges.  der  Wiss.  zu  Gôtiingen),  et  cf.  Deren-  routhenticité  (voir  kalil.  und  Damn.,  p.  ix). 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


205 


syrien,  et  qui  ne  contenait  que  neuf  chapitres  avant  celui-là;  le 
manuscrit  qu'a  suivi  Abdallah  ibn-Almoqafla ,  au  contraire,  com- 
prenait trois  chapitres  après  les  neuf  premiers  et  n'avait  pas  cette 
intercalation.  Faut-il  en  conclure,  comme  M.  Nôldeke  semble  porté 
à  le  faire'",  que  l'ouvrage  de  Barzoûyah  ne  comptait  que  les  neuf 
cliapitres  du  manuscrit  traduit  par  Boud?  Nous  ne  le  pensons  pas, 
car  les  trois  chapitres  qui  se  trouvent  après  le  neuvième  dans  la 
traduction  arabe  ont  un  caractère  indien  très  marqué  :  le  premier 
[la  Lionne  pénitente)  est  très  probablement  bouddhique  '^',  et  les  deux 
autres  se  retrouvent  en  sanscrit '^^.  11  faut  donc  croire  que  Boud  n'a  eu  à 
sa  disposition  qu'un  manuscrit  qui,  d'une  part,  était  incomplet  de  trois 
chapitres,  et  qui,  d'autre  part,  avait  ajouté  à  l'œuvre  de  Barzoûyah  un 
chapitre  apocryphe.  Cela  ne  laisse  pas  d'être  surprenant,  quand  on 
songe  que  Boud  a  écrit  sa  traduction  une  vingtaine  d'années  peut-être 
après  la  composition  du  livre  pehlvi'''*;  mais  cela  n'a  après  tout  rien 
d'impossible.  Le  chapitre  additionnel  du  syriaque  est  d'ailleurs  mé- 
diocre '^\  et  comme  il  ne  figurait  pas  dans  la  rédaction  arabe  qui 
a  servi  de  base  aux  rédactions  qui  nous  intéressent'*^  et  n'a  conséquem- 
ment  point  passé  dans  celles-ci,  nous  ne  nous  en  occuperons  plus  par 
la  suite.  Nous  admettrons  donc  que  l'œuvre  de  Barzoûyah  se  com- 
posait de  douze  chapitres.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  chacun 
d'eux;  nous  nous  contentons  ici  d'en  signaler  le  nombre  et  d'en  indi- 
quer en  gros  l'origine. 

L'état  de  choses  qui  vient  d'être  exposé  a  amené  Benfey  à  former 
l'hypothèse  qu'il  a  cherché  à  démontrer  dans  tous  ses  écrits  relatifs  à 
notre  sujet.  D'après  lui,  la  traduction  pehlvie  représente  un  ouvrage 
sanscrit  composé  également  de  douze  chapitres,  et  très  antérieur  au 
Pantchatantra.  Cet  ouvrage  s'est  perdu  dans  l'Inde  sous  sa  forme  pre- 
mière; mais  on  en  a  détaché  à  une  certaine  époque  les  cinq  premiers 


'"'  Die  Erzàhlang  vom  Màusekônig ,  p.  16. 

'*'  Voir  Benfey,  Pantschat.,  t.  I,  S  aag. 

(3)  Voir  Benfey,  /.  c,  S  aSi  et  aSa. 

'*'  Boud,  d'après  le  catalogue  du  xiii"  siècle 
mentionné  plus  haut,  florissait  en  670;  Bar- 
zoûyah a  dû  écrire  son  livre  vers  55o,  avant 
que  Khosrou  fit  son  expédition  dans  l'Inde. 

'''  11  a  toutefois  l'intérêt  de  nous  offrir  la 
plus  ancienne  forme  connue  de  la  fable  des 
souris  qui  décident  d'attacher  une  sonnette  au 


cou  du  chat.  Cette  fable  ne  reparaît  qu'au 
XIII*  siècle,  en  Angleterre ,  d'abord  dans  les  Fa- 
bles d'Eudes  de  Cherriton  (éd.  Hervieux, 
n°nva),  puis  dans  les  Contes  moralises  de  Ni- 
cole Bozon  (n°  121),  qui  suivait  sans  doute  une 
fable  en  langue  anglaise  (voir  la  note  de 
M.  P.  Meyer). 

'"'  Il  a  cependant  été  introduit  dans  quelques 
manuscrits  arabes,  et  le  teste  arabe  en  a  été 
publié  par  M.  Nôldeke. 


20C 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


chapitres  pour  en  composer  le  Pantchatantra;  trois  antres  chapitres  ont 
a  trouvé  asile»  dans  le  Mahâbhdrata;  un  autre  a  été  conservé  dans 
un  livre  tibétain,  et  deux  ont  été  repris  plus  tard  par  des  remanieurs 
du  Pantchatantra ,  ce  qui  prouve  qu'à  l'époque,  certainement  peu  an- 
cienne de  ces  remanieurs,  l'ouvrage  primitif  existait  encore. 

Ce  système  a  été  ruiné  par  des  découvertes  récentes'''.  On  a  con- 
staté que  le  Pantchatantra,  essentiellement  identique  à  ce  qu'il  est 
encore  dans  ses  versions  les  plus  authentiques,  existait  dès  les  pre- 
miers siècles  de  notre  ère,  et,  peut-être,  bien  plus  anciennement.  En 
effet,  à  cette  époque,  un  poète  appelé  Gounâdhhya  l'insérait  dans 
une  immense  compilation  de  fables  et  de  contes  en  pràcrit,  et  deux 
abrég«''s  sanscrits,  indépendants,  de  sa  rédaction ,  l'un  par  Kchemendra, 
l'autre  par  Somadeva,  nous  ont  été  conservés'^'.  Il  faut  donc  ren- 
verser la  proposition  de  Benfey,  et  voir  dans  le  livre  de  Barzoûyah 
la  traduction  :  i°  des  cinq  chapitres  du  Pantchatantra;  2°  de  trois 
morceaux  qui  se  retrouvent  dans  le  Mahâbhdrata  *^';  3°  d'un  cha- 
pitre pris  au  Mahdkâtyâyana;  4°  de  trois  morceaux  pris  ailleurs.  La 
question  qui  se  pose  désormais  à  la  critique  est  de  savoir  si  ce  re- 
cueil existait  déjà  en  sanscrit  ou  si  c'est  Barzoûyah  qui  l'a  compilé  à 
l'aide  de  sources  sanscrites  diverses.  Nous  n'avons  pas,  cela  va  sans 
dire,  la  prétention  de  la  résoudre  :  nous  dirons  seulement  que  c'est 
la  seconde  alternative  qui  paraît  aujourd'hui  la  plus  vraisemblable'*'. 

Un  mot  encore  sur  une  particularité  qui  n'est  pas  sans  intérêt  pour 
l'histoire  littéraire.  Chacun  des  douze  chapitres,  dans  la  version 
arabe,  débute  par  un  court  dialogue  entre  un  roi  et  son  philosophe, 
le  roi  demandant  à  être  éclairé  sur  un  point  de  conduite  morale  ou 


'''  Il  avait  déjà  été  ébranlé  par  A.  Weber, 
le  connaisseur  par  excellence  des  choses  in- 
diennes, cfui  avait  montré  [Liter.  Centrulbl., 
1876,  col.  1031)  que  l'hypothèse  de  Benfey 
était  contredite  par  le  caractère  du  cliap.  ix, 
lequel  est  visiblement  détaché  d'un  ensemble 
qu'a  conservé  la  rédaction  tibétaine ,  et  par  les 
chap.  vi-viii,  qui  gardent  dans  la  version  sy- 
riaque une  visible  marque  de  leur  existence 
isolée  :  la  présence  en  tête  de  chacun  d'eux , 
comme  interlocuteur,  de  2^dachtar  et  Bi- 
chnm  (au  lieu  de  Debacherim  etBidwag).  Un 
peu  plus  tard,  M.  Prym  (Jenaer  Literatiirzei- 
tiing .  1 878 ,  p.  98  et  suiv.  )  se  ralliait  à  cette 
idée  et  faisait  trèsjustement  remarquer  que  les 


cinq  chapitres  empruntés  au  Pantchatantra 
offrent  un  caractère  et  un  système  de  rédac- 
tion très  différents  des  autres.  Benfey  n'a  pas, 
que  nous  sachions ,  répondu  à  ces  objections. 

'*'  Ces  constatations,  dues  d'abord  à  M.  G. 
Bûhler  et  à  M.  S.  Lévi ,  ont  été  fort  bien  expo- 
sées par  M.  de  Mankowski  dans  son  introduc- 
tion à  l'édition  et  à  la  traduction  du  Pant- 
chatantra de  Kchemendra  (1893]. 

'''  Naturellement  cela  ne  veut  pas  dire  qu'ils 
fussent  déjà  incorporés  au  Mahûbhârata ,  et  que 
cette  compilation  eût  déjà  reçu  la  forme  et  les 
divisions  que  nous  lui  connaissons. 

'''  C'est  aussi  la  solution  vers  laquelle  penche 
M.  de  Mankowski,  p.  xxii. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


207 


politique,  et  le  philosophe  lui  répondant  par  un  récit  dans  lequel  en 
sont  parfois  intercalés  plusieurs  autres.  Le  roi  est  appelé  en  syriaque 
Debacherim,  en  arabe  Dabc/ielim,  noms  qui  répondent,  d'après  Ben  fey, 
à  un  sanscrit  Dcvararman;\e  philosophe  est  appelé  en  syriaque  Bidwaïf, 
en  arabe  Bidbah  (plus  tard  Bidbai,  d'où  on  a  fait  Pilpai),  ce  qui  ré- 
pond peut-être  à  un  sanscrit  Vidyâpati,  «maître  de  la  science n ^''.  Ce 
nom,  grâce  à  des  traductions,  faites  au  xvii*  siècle  en  Occident,  de 
rédactions  secondaires,  a  passé  pour  celui  d'un  grand  fabuliste  in- 
dien ,  et  c'est  ainsi  que  le  bon  La  Fontaine  a  cru  à  «  Pilpay  »  non 
moins  qu'à  Esope*^\  L'allocution  du  roi  se  compose,  en  général, 
de  deux  parties  (sauf  naturellement  dans  le  premier  chapitre),  l'une 
rappelant  le  sujet  du  chapitre  précédent,  l'autre  donnant  le  sujet 
du  chapitre  qui  va  suivre.  Ces  débuts  créent  ainsi  un  lien  entre 
tous  les  chapitres  et  donnent  au  livre  sa  seule  unité.  Il  faut  donc  se 
demander  s'ils  remontent  au  sanscrit.  On  peut  le  croire  pour  les 
cinq  premiers  chapitres,  répondant  aux  cinq  chapitres  du  Pantcha- 
tantra,  bien  que  ces  préambules  n'existent  pas  dans  les  formes 
connues  du  livre  indien,  et  que  celui-ci  présente  une  introduction 
qui  attribue  le  recueil  en  général,  soit  comme  fond,  soit  même 
comme  forme,  à  un  philosophe  d'un  autre  nom  et  placé  dans 
d'autres  conditions'^'.  Mais  pour  les  trois  suivants,  empruntés  au 
Mahdblidrata,  nous  voyons  par  la  version  syriaque  que  le  dialogue 
avait  lieu,  non  plus  entre  Debacherim  et  Bidivag,  mais  entre  Ze- 
dachtar  et  Bicham,  noms  correspondant  à  ceux  de  Youdhichthira  et  de 
Bhiclima,  c'est-à-dire  au  roi  et  au  philosophe  qui  figurent  dans  le 
Mahâblidrala^'^K  En  tête  des  chapitres  suivants  reparaissent  les  inter- 
locuteurs des  cinq  premiers  chapitres,  que  la  version  arabe  a  d'ail- 
leurs substitués  aux  deux  autres  même  pour  les  trois  chapitres  en 


'">  Benfey,  Panlschat..  t.  I,  p.  34-35;  Kal. 
and  Damii.,  p.  xliu-xliv. 

''^  11  avait  cependant  quelques  doutes  :  «  J'en 
«dois,  dit-il  en  parlant  des  sujets  traités  dans 
«  les  livres  VU-XI ,  la  plus  grande  partie  à  Pilpay, 
«  sage  indien.  Son  livre  a  été  traduit  dans  toutes 
«  les  langues.  Les  gens  du  pays  le  croient  fort 
•  ancien ,  et  original  à  l'égard  d'Esope ,  si  ce 
«  n'est  Esope  lui-même  sous  le  nom  du  sage 
«  Locman.  »  Il  faut  avouer  que  ce  n'est  pas  fort 
clair. 

O'  Voir  Benfey,  Panlschat..  t.  I,  S  6.  Cette 


introduction  manque  dans  les  résumés  de 
Kchemendra  et  de  Somadeyaet  manquait  sans 
doute  déjà  dans  le  poème  de  Gounàdhya.  Il 
faut  remarquer  que,  si  on  la  place  en  tête 
du  livre,  les  cinq  chapitres  du  Pantchulantra 
n'ont  aucun  lien  commun  et  paraissent  réunis 
fortuitement. 

'*'  Nous  renvoyons  pour  le  détail  à  l'Intro 
duction  de    Benfey  (p.  xxxiii  et  suiv.).  Nous 
ne  lisons  plus  les   deux  noms   qu'en   tête  du 
premier  de  ces  trois  chapitres ,  mais  ils  ont  dû 
figurer  aussi  en  tête  des  deux  autres. 


208 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


question'*'.  Tout  cela  semble  bien  indiquer  un  arrangement  posté- 
rieur, et  contribue  à  faire  douter  que  le  recueil  de  Barzoûyah  ail 
existé  tel  quel  en  sanscrit. 

lienfey,  croyant  à  l'existence  de  ce  recueil  dans  l'Inde  à  une  époque 
fort  ancienne,  s'est  préoccupé  du  titre  qu'il  pouvait  avoir.  Il  a  pensé 
que  c'était  sans  doute  Nttiçdstra,  «  Règle  de  la  conduite  » ,  et  il  a  même 
supposé  que  ce  titre  avait  pu  se  maintenir  dans  le  livre  pehlvi  et  nous 
être  encore  représenté  par  le  titre  de  la  version  latine  de  Jean  de 
Capoue,  Directoriuni  liumane  vite.  J.  Derenbourg  a  montré  que  cette 
ingénieuse  hypothèse  n'est  pas  soutenable ''^'.  Dans  la  version  syriaque 
et  dans  la  version  .'.rabe  le  livre  s'appelle  Kalilacj  et  Damnag  ou  Kaltlali 
et  Dimnah  :  c'est  en  réalité,  on  l'a  vu,  le  titre  du  premier  chapitre, 
donné,  par  une  confusion  fréquente,  au  livre  tout  entier  ;  cela  montre, 
comme  Benfey  lui-même  l'avait  d'abord  remarqué,  que  le  livre 
n'avait  pas  de  titre  général,  et  cela  nous  engage  encore  à  croire  qu'il 
n'existait  pas  avant  que  Barzoûyah  le  formât,  en  compilant  les  cinq 
chapitres  du  Pantchatantra  avec  trois  chapitres  pris  à  un  livre  annexé 
plus  tard  au  Mahdbhârata  et  quatre  chapitres  de  diverses  provenances  ^^K 

Une  autre  suite  du  système  de  Benfey  a  été  de  hii  faire  considérer 
le  livre  entier  comme  bouddhique ''*'.  Il  s'appuie  d'une  part  sur  la  pré- 
sence d'un  chapitre  (le  neuvième)  qui  se  retrouve  dans  un  des  livres 
du  bouddhisme  tibétain  et  où  respire  d'ailleurs  la  haine  des  brah- 
manes, et  d'un  autre  (le  dixième),  dont  l'inspiration  semble  boud- 
dhiste; d'autre  part  sur  la  présence  d'un  certain  nombre  de  contes 
de  notre  livre  dans  des  livres  bouddhiques,  d'origine  indienne,  con- 
servés en  pâli,  en  tibétain  ou  en  chinois'*'. 

La  première  observation  est  juste'''';  mais  maintenant  que  l'on  sait 
que  le  livre  se  compose  de  morceaux  originairement  étrangers  l'un  à 


'''  H  faut  noter  que  le  traducteur  arabe, 
intercalant  un  chapitre  de  son  invention  (  voir 
ci -dessous) ,  l'a  muni  du  même  début  ;  autant 
en  n  fait  l'auteur  du  manuscrit  arabe  suivi 
par  le  traducteur  hébreu  et  par  le  traducteur 
espagnol  pour  les  deux  chapitres  qu'il  a  en 
plus  (voir  ci-dessous). 

'*'  Directoriitm ,  p.  x. 

'''  D'ailleurs  le  titre  de  Directorium  humant 
vite  ne  remonte  pas  à  Jean  de  Càpoue  :  il  est 
de  l'invention  de  celui  qui  a  imprimé  l'ouvrage 
nu  XV*  siècle  (voir  ci-dessous,  p.  aiQ). 


'*'  Pantschat.,t.\,  p.  xi-xii; /t«/.  undDamn., 

p.  VII-IX. 

'''  Notamment  dans  les  djùlakas  (voir  Word , 
Catal.  of  romances ,  t.  H,  p.  i55). 

'•'  "Toutefois  Benfey  semble  aller  trop  loin 
quand  il  dit  que  le  cnapitre  ix  est  tout  rem- 
pli, non  seulement  de  la  haine  des  brah- 
manes ,  mais  «  et  de  la  glorification  du  boud- 
dhisme»; nous  n'y  trouvons  pas  celte  glorifi- 
cation :  la  morale  que  débite  le  sage  I3Llnr 
n'a  pas  de  caractère  confessionnel  (cf.  Weber, 
Lit.  Cenlr<flbl. ,  1 876 ,  loc.  cit.). 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


209 


l'autre,  elle  ne  saurait  rien  prouver  que  pour  les  deux  chapitres  sur 
lesquels  elle  porte *'^.  Quant  à  la  seconde,  elle  se  rattache  à  une 
question  plus  générale.  Il  est  certain  que  le  houddhisme  a  fait,  pour 
la  propagation  de  ses  doctrines,  un  grand  usage  des  fables  et  des 
paraboles,  et  que  plus  d'une,  notamment  de  ces  dernières^^),  est 
née  dans  son  sein;  mais  il  paraît  certain  aussi  que  la  prédication 
bouddhique,  tout  comme  la  prédication  chrétienne  au  moyen  âge,  a 
pris  de  toutes  mains  les  «  exemples  »  dont  elle  illustrait  son  enseigne- 
ment, en  sorte  que  la  présence  d'un  conte  dans  des  recueils  boud- 
dhiques n'en  prouve  nullement  l'origine  bouddhique.  En  fait,  le  livre 
ne  contient  rien  qui  caractérise  une  religion  plutôt  qu'une  autre,  et 
les  idées  religieuses  qui  s'y  manifestent  sont,  comme  l'a  fort  bien 
remarqué  J.  Derenbourg '^',  d'une  banalité  si  grande  qu'elles  ont  pu 
être  transportées  successivement  dans  les  milieux  mazdéen,  chrétien, 
musulman  et  juif,  sans  y  subir  aucune  modification'*'.  Si  c'est  dans 
la  morale  du  livre  qu'on  veut  chercher  un  caractère  bouddhique, 
il  ne  sera  pas  moins  impossible  de  l'y  trouver.  Benfey  lui-môme 
a  reconnu'*'  que  cette  morale,  toute  pratique,  était  empreinte  de 
l'égoïsme  le  plus  terre  à  terre '^',  et  Derenbourg  a  même  jugé  que  les 
princes,  pour  qui  semblent  écrits  la  plupart  des  chapitres,  n'y  trou- 
veraient que  d'assez  fâcheux  enseignements'''.  En  somme,  les  diffé- 
rentes parties  dont  se  compose  le  livre,  et  dont  l'une  semble  bien, 
par  son  hostilité  contre  les  brahmanes,  trahir  une  origine  boud- 
dhique, ont  toutes  un  caractère  tout  à  fait  profane  et  n'accusent 


'"'  C'est  à  tort  que  Benfey  (Kal.  and  Damn., 
p.  vu)  généralise  en  disant  que  toute  l'inspira- 
tion du  (prétendu)  livre  indien  parait  lître 
celle  «  de  la  haine  la  plus  bridante ,  vraiment 
•  fanatique ,  contre  les  brahmanes  ». 

'''  Tel  est  le  cas ,  très  probablement ,  pour 
la  belle  parabole  citée  plus  haut  (p.  2o4);niais 
il  faut  remarquer  qu'elle  est  dan sjr autobiogra- 
phie de  Barzoûyah  et  non  dans  le  livre  même. 

<''  Directonum,  p.  xvi. 

'*'  Il  faut  cependant  noter  un  trait  curieux. 
Le  livre  pehlvi  avait  conservé  du  Mahdbhdrata, 
au  chapitre  viii,  qui  raconte  l'histoire  d'un 
chacal  pieux,  l'introduction  d'après  laquelle  ce 
chacal  était  un  roi  dont  l'âme  avait  été  con- 
damnée ,  pour  ses  péchés ,  à  passer  dans  le  corps 


d'un  chacal.  Ce  trait  tout  indien,  conservé 
dans  le  syriaque ,  a  été  supprimé  par  le  tra- 
ducteur arabe,  en  sorte  que  la  vertu  de  ce 
chacal  exceptionnel  reste  sans  explication  (voir 
Kal.  and  Damn. ,  p.  xi.vii). 

''*  Pantschat.,  t.  I,p.  397. 

'*'  On  est  même  surpris  de  trouver  en  tête 
d'un  livre  aussi  étroitement  utilitaire  la  préface 
de  Barzoùyah,  où  semblent  bien  se  manifester 
réellement  des  idées  bouddhiques ,  et  qui ,  en 
tout  cas,  est  d'une  inspiration  beaucoup  plus 
élevée. 

<''  DtVec/on'um,  p.  xvii-xviii.  Derenbourg  va 
cependant  peut-être  un  peu  trop  loin  :  la  con- 
duite du  lion  n'est  pas  précisément  proposée 
en  modèle  aux  rois. 


niST.  LITT.  ■ 


»7 


210  KAIMOND  DE  BEZIERS. 

l'empreinte    d'aucune    religion    particulière,    sauf    dans    quelques 
croyances  qui  appartiennent  à  l'Inde  entière. 

Le  livre  de  Kalilah  et  Dimnah  a  été  fort  admiré.  On  a  vanté  surtout 
l'excellence  des  conseils  qu'il  donne  aux  rois  et  aux  ministres,  et  on  a 
prétendu  y  trouver  tout  un  cours  de  politique.  S'il  fallait  en  croire 
les  auteurs  des  préfaces  des  diverses  traductions,  les  plus  grands 
monarques  de  l'Orient  auraient  désiré  passionnément  le  lire,  et  ceux 
qui  l'auraient  lu  y  auraient  trouvé  des  secrets  dont  ils  auraient  tiré 
grand  profit  pour  le  bon  gouvernement  de  leurs  empires  et  l'ac- 
croissement de  leur  puissance,  comme  déjà  le  prétendu  roi  indien 
Dabchelim  avait  dû  aux  leçons  de  Bidbah  de  devenir  plus  puissant 
que  tous  ses  voisins.  Le  moyen  âge  occidental  a  cru  à  ces  asser- 
tions, et  on  a  surtout  justifié  la  traduction  du  livre  en  insistant 
sur  l'utilité  dont  il  ne  pouvait  manquer  d'être,  soit  dans  le  gouverne- 
ment des  peuples,  soit  dans  la  conduite  générale  de  la  vie.  En  réalité, 
le  véritable  attrait  du  livre,  la  vraie  cause  du  succès  qu'il  a  eu  et  des 
traductions  qu'on  en  a  données,  ce  sont  les  contes  qui  y  sont  insérés. 
L'enseignement  en  lui-même,  outre  qu'il  est,  comme  nous  l'avons 
dit,  peu  élevé,  est  fort  banal  :  il  se  réduit  presque  tout  entier  à  ces 
préceptes,  qui,  d'ailleurs,  sont  aussi  ceux  des  fabulistes  antiques  et 
de  La  Fontaine  :  il  faut  être  prudent,  céder  à  la  force,  savoir  profiter 
des  circonstances,  être  modéré  dans  ses  désirs,  et  surtout,  surtout, 
se  méfier  de  tout  et  de  tous.  Reconnaissons  cependant  que  l'honnê- 
teté est  généralement  recommandée,  et  signalons  un  trait  sympa- 
thique qui  reparaît  tout  le  long  du  recueil,  et  qui  est  bien  dans  l'es- 
prit indien:  c'est  le  prix  extrême  attaché  à  l'amitié.  La  Fontaine,  qui 
mieux  que  personne  était  fait  pour  comprendre  un  pareil  trait,  en 
a  été  profondément  touché ,  et  c'est  à  «  Pilpay  »  qu'il  a  pris  les  fables 
délicieuses  des  Deux  Pigeons  et  des  Deux  Amis,  et  le  charmant  récit 
où  le  corbeau,  la  gazelle,  la  tortue  et  le  rat  luttent  de  courage  et  d'in- 
géniosité pour  se  sauver  réciproquement. 

Les  contes  et  les  fables  qui  remplissent  le  livre  en  ont  fait,  avons- 
nous  dit,  le  véritable  attrait.  Ils  sont,  à  vrai  dire,  d'une  valeur  fort 
inégale.  Ceux  que  le  Pantchatantra  avait  admis  étaient  certainement 
antérieurs  à  ce  recueil  tout  factice  et  remontent  donc  au  moins  à 
deux  mille  ans,  quelques-uns  peut-être  à  une  époque  bien  plus  reculée, 
ce  qui  n'empêche  pas  qu'il  n'y  ait  parmi  eux  un  ou  deux  apologues  qui 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  211 

semblent  d'origine  grecque;  les  autres  paraissent  en  général  moins 
anciens  et  sont  inférieurs.  Nous  allons  indiquer  très  sommairement 
le  contenu  des  douze  chapitres  et  les  principaux  récits  intercalés  dans 
plusieurs  d'entre  eux. 

Les  chapitres  i-v  composent  le  Pantchatantra.  Le  premier  seul  est 
consacré  à  l'histoire  du  chacal  Dimnah,  qui,  malgré  les  conseils  de  son 
ami  Kalîlah*'',  arrive  à  semer  la  zizanie  entre  le  lion,  roi  des  animaux, 
et  le  taureau  auquel  le  lion  avait  accordé  sa  laveur.  —  Le  chapitre  ii 
nous  montre  le  dévouement  mutuel  des  quatre  aniis  dont  nous  parlions 
tout  à  l'heure,  le  corbeau,  la  tortue,  la  gazelle  et  le  rat.  —  Le  troisième 
raconte  la  guerre  des  hiboux  et  des  corbeaux.  —  Le  quatrième  a  pour 
sujet  la  façon  ingénieuse  dont  un  singe  sut  échapper  à  la  mort  que 
lui  préparait  un  perfide  alligator.  —  Le  cinquième  est  l'histoire  cé- 
lèbre de  l'animal  fidèle  qui  défend  contre  un  serpent  l'enfant  de  son 
maître,  et  que  celui-ci  tue,  croyant,  à  lui  voir  la  gueule  sanglante, 
qu'il  a  dévoré  l'enfant.  Dans  tous  ces  chapitres  il  y  a  des  fables  ou  des 
contes  intercalés  en  plus  ou  moins  grand  nombre.  Parmi  ces  récits, 
il  n'en  manque  pas  de  plats,  d'insignifiants  et  de  bizarres;  mais 
beaucoup  sont  excellents,  et  quelques-uns  sont  de  petits  chefs-d'œuvre 
d'invention  et  décomposition.  Nous  citerons,  parmi  les  fables,  le  Lion, 
ses  ministres  et  le  Chameau  (origine  des  Animaux  malades  de  la  peste), 
le  Chat  ju(fe  entre  la  Gelinotte  et  le  Lièvre  {le  Chat,  la  Belette  et  le  Lapin)  ^ 
la  Souris  métamorphosée  enjille,  l'Ane  qui  n'avait  pas  de  cœur;  parmi  les 
contes,  la  Femme  au  nez  coupé,  le  Brahmane  dupé,  le  Vase  au  (jruau  [le 
Pot  au  lait). 

Les  trois  chapitres  empruntés  au  Mahdhhdrata,  qui  viennent  en- 
suite (vi-viii),  ont  un  caractère  assez  différent.  Ils  ne  contiennent  pas 
de  récits  intercalaires.  Ils  racontent  très  longuement  deux  fables  que 
La  Fontaine  a  brièvement  imitées,  le  Chat  et  la  Souris,  et  le  Boi  et 
l'oiseau  Pinzah  [les  Deux  Perrocfuets ,  le  Boi  et  son  Fils),  puis  f histoire 
d'un  chacal  vertueux  calomnié  par  les  courtisans  du  lion. 

Le  chapitre  ix,  où  se  trouvent  intercalées  deux  fables  insigni- 
fiantes, est  le  roman  bouddhique  dont  nous  avons  parlé  tout  à  l'heure 
et  où  les  brahmanes  sont  présentés  sous  le  jour  le  plus  défavorable. 

Le  chapitre  x  est  une  fable  bizarre,  sans  aucun  récit  intercalaire, 

<"'  Nous  donnons  aux  noms  propres  les  formes  qu'ils  ont  dans  l'arabe. 


212 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


d'un  caractère  d'ailleurs  tout  indien,  et  dont  La  Fontaine,  dans  la 
Lionne  et  l'Ourse,  s'est  sagement  borné  à  imiter  le  commencement. 

Le  chapitre-xi,  l'Homme  ingrat  et  les  Animaux  reconnaissants ,  est  un 
très  beau  conte,  qui  a  joui  en  Europe  d'une  grande  popularité, 
dès  une  époque  antérieure  aux  plus  anciennes  versions  occidentales 
de  notre  livre'*'. 

Enfin  le  chapitre  xii  est  une  nouvelle  assez  fantastique,  destinée  à 
montrer  la  force  inéluctable  du  destin,  et  dont  La  Fontaine  a  tout  à 
fait  transformé  l'esprit  en  l'imitant  de  fort  loin  dans  le  Marchand,  le 
Gentilhomme ,  le  Pâtre  et  le  Fils  du  roi. 

On  voit  que  les  chapitres  empruntés  au  Pantchatantra  présentent 
seuls,  à  part  des  exceptions  négligeables,  des  récits  secondaires  in- 
tercalés dans  le  récit  principal;  là  aussi  seulement  se  trouve  cette 
mode  indienne,  qui  ne  paraît  pas  d'ailleurs,  elle-même,  remonter 
aux  textes  primitifs,  d'intercaler  d'autres  récits  dans  ces  récits  secon- 
daires, en  faisant  raconter  les  seconds  par  les  personnages  des  pre- 
miers. Cet  artifice  compliqué,  qui  plaisait  aux  compilateurs  indiens, 
mais  qui  n'a  d'autre  résultat  que  de  fatiguer  l'attention  en  la  sus- 
pendant sans  cesse,  s'est  maintenu  dans  les  traductions,  mais  n'est 
jamais  entré  dans  les  habitudes  littéraires  de  l'Occident  (tandis  qu'on 
voit  par  les  Mille  et  une  Nuits  que  les  Arabes  se  le  sont  approprié)  : 
il  est  absent  des  récits  du  Pantchatantra  qui  ont  passé  dans  la  littéra- 
ture ou  dans  la  tradition  populaire  de  nos  pays,  et  les  contes  s'y 
présentent,  naturellement,  dans  toute  leur  teneur,  sans  être  inter- 
rompus par  des  récits  épisodiques.  Il  résulte  d'ailleurs  encore  de  cette 
constatation  que  les  cinq  chapitres  du  Pantchatantra  sanscrit  n'ont 
point  été  détachés  d'un  recueil  plus  long,  pareil  au  livre  pehlvi,  mais 
que  le  livre  pehlvi  présente  bien  une  compilation  du  Pantchatantra 
avec  des  morceaux  d'origine  étrangère'^'. 


'*'  Matthieu  de  Paris  le  fait  raconter  par  Ri- 
chard Cœur  de  lion  en  1 1 96 ,  et ,  comme  l'a  re- 
marqué Benfey,  la  forme  qu'il  donne  au  récit  se 
rapproche  de  celle  des  Gesta  Romanortim ,  assez 
éloignée  de  la  forme  primitive,  et  ne  permet 
pas  de  croire  que  Richard  l'eût  appris  des 
Arabes  en  Palestine.  Voir  sur  ce  conte,  ses 
diverses  formes  et  sa  popularité,  le  paragra- 
phe 7 1  de  l'Introduction  au  Pantchatantra ,  un 
des  plus  riches  en  idées  aussi  bien  qu'en  faits. 


'*'  Benfey  s'est  bien  rendu  compte  de  cette 
différence ,  mais  il  l'a  expliquée  (  Pantsch. .  t.  I , 
p.  XV;  Kal.  and  Damn.,  p.  vu)  en  disant  qu'ori- 
ginairement tout  le  livre  (1'»  ouvrage  fonda- 
«  mental  »  sanscrit)  était  composé  comme  les 
chapitres  vi-viii  (qui  se  retrouvent  dans  le 
Mandbhârata)  et  avait  un  caractère  plu»  stric- 
tement didactique  ;  qu'ensuite ,  le  livre  étant 
devenu  une  lecture  d'amusement  plus  que 
d'instruction,   on  développa   le    procédé  qui 


RAIMOND  DE  BÉZIERS.  213 

Une  dernière  observation.  Les  contes  et  fables  du  Pantchatantra 
et  des  sept  autres  chapitres  ont  encore  des  caractères  qui  les  distin- 
guent de  ceux  qu'on  trouve  dans  d'autres  pays.  Ils  sont  précèdes, 
suivis  et  très  souvent  interrompus  par  des  sentences  morales,  ordi- 
nairement en  vers,  que  débitent  les  personnages  du  récit.  En  outre, 
tous  les  personnages,  même  les  animaux  et  parfois  jusqu'aux  arbres, 
ont  des  noms  propres  et  demeurent  dans  des  localités  également  pour- 
vues de  noms.  Enfin  les  animaux  mis  en  scène  sont  souvent,  sans  que 
cela  serve  à  rien ,  qualifiés  de  «  rois  »  de  leur  espèce.  Toutes  ces  par- 
ticularités, bien  qu'essentiellement  indiennes,  étaient  sans  doute 
étrangères  à  la  forme  originaire  des  récits  et  font  partie  d'une  mode  lit- 
téraire plus  ou  moins  ancienne  dans  l'Inde.  Elles  ont  été  conservées 
dans  la  traduction  de  Barzoûyah,  et  aussi  dans  la  version  syriaque 
et  dans  la  version  arabe;  mais  déjà  quelques-unes,  notamment  en 
ce  qui  concerne  les  noms  propres,  ont  été  omises  dans  cette  der- 
nière, et  elles  l'ont  toutes  été  de  plus  en  plus  dans  les  transcriptions 
et  les  traductions  successives  par  où  elle  a  passé '^';  toutefois  il  en 
subsiste  des  traces  nombreuses  jusque  dans  les  plus  récentes  de 
celles-ci.  Il  va  sans  dire  qu'elles  ont  complètement  disparu  des  contes 
provenant  de  notre  livre  qui  se  sont  répandus  à  l'état  isolé  dans  la 
littérature  ou  la  tradition  orale  de  différents  peuples. 

Après  cette  digression,  dont  on  voudra  bien  excuser  la  longueur, 
nous  arrivons  à  la  traduction  arabe  du  Kalilak  et  Damnak  pehlvi,  à 
laquelle  se  rattachent  toutes  les  versions  postérieures,  et  entre  autres 
les  deux  dont  Raimond  de  Béziers  s'est  servi  pour  composer  son  livre. 

Soixante-treize  ans  seulement  après  la  mort  d'Anoûchirwàn  Khos- 
rou,  en  662,  la  Perse  fut  conquise  par  les  Arabes  musulmans: 
l'islamisme  remplaça  le  mazdéisme;  le  persan  moderne,  dont  la 
base  est  un  dialecte  iranien  différent  du  pehlvi,  se  forma,  et  le  pehlvi 
disparut  peu  à  peu  avec  sa  littérature  presque  entière,  excepté  ce 
que  les  Pareis  en  sauvèrent.  Toutefois  cette  littérature,  si  elle  ne 

existait  déjà  en  germe  dans  les  chapitres  i  et  galaka  (ch.  i),  qui  se  lit  dans  le  Pantchatantra, 

m.   Mais  la  différence  de  structure  générale  est  déjà  absent  du  manuscrit  syriaque  et  l'est 

entre  les  chapitres  l-v   [Pantchatantra]  et  les  de  toutes  les  versions  arabes  ;  mais  il  se  retrouve 

huit  autres  est  frappante,  du  moment  qu'on  dans  la  deuxième  version  syriaque,  faite  sur 

n'a  plus  la  préoccupation  de  Benfey.  l'arabe  :  il  avait  par  conséquent  subsisté  dans 

'"'  Voici  un  exemple  curieux  de  ce  qu'il  y  a  de  un  manuscrit  arabe   aujourd'hui  perdu  (voir 

fortuit  dans  ces  omissions.  Le  nom  du  lion  Pin-  Keith-FalconeretBenfey,Àa/.u«(/Damn.,p.43). 


214  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

s'enrichit  plus,  fut  encore  connue  pendant  assez  longtemps,  de  même 
que  la  religion  perse  ne  céda  pas  tout  de  suite  au  mahomélisme.  Le 
traducteur  du  livre  de  Barzoûyah  appartient  à  cette  époque  de  transi- 
tion. C'était  un  Perse  du  nom  de  Roûzbah,  qui,  en  se  convertissant 
à  l'islamisme,  prit  le  nom  d'Abdallah  ibn-Almoqaffa,  par  lequel  il 
est  généralement  désigné''^.  Sous  le  règne  et  par  l'ordre  du  calife 
Al-Mansoûr  (764-775),  il  traduisit  en  arabe  le  livre  pehlvi,  auquel  il 
conserva  son  titre,  avec  un  changement  normal  des  consonnes  finales, 
Kalîlah  et  Damnah,  devenu  plus  tard  KaWah  et  Dimnah,  puis  Calila 
et  Dimna^'^K  II  exécuta  sa  traduction  avec  une  grande  fidélité,  comme 
permet  de  l'établir  la  comparaison  du  syriaque,  sauf  qu'il  se  permit 
de  modifier  ou  de  supprimer  certains  traits  qui  auraient  choqué  les 
musulmans '^^;  mais  il  fit  au  livre,  sans  parler  de  la  relation  de  la 
mission  de  Barzoûyah,  que  nous  croyons  pouvoir  lui  attribuer, 
deux  additions  importantes,  qui  devaient  en  devenir  inséparables. 

D'abord  en  tête,  après  la  relation  de  la  mission  de  Barzoûyah,  il 
ajouta  une  préface  personnelle.  C'est  un  éloge  du  livre,  dont,  suivant 
la  convention  plus  ou  moins  hypocrite  que  nous  avons  déjà  signalée,  il 
exalte  surtout  le  mérite  didactique.  Pour  illustrer  son  discours,  il  ra- 
conte six  anecdotes,  qui  ont  toutes  pour  but  de  recommander  la  pru- 
dence et  de  détourner  de  la  précipitation.  Aucune  ne  semble  se  re- 
trouver dans  la  littérature  indienne '*'*.  Elles  peuvent  être  de  l'invention 
d'Abdallah,  ou,  ce  qui  semble  plus  probable,  être  empruntées  à  la 
tradition  orale  des  Persans. 

Beaucoup  plus  importante  est  l'interpolation  d'un  chapitre  entier 
qu'Abdallah  s'est  permise  entre  le  premier  et  le  second,  c'est-à-dire 
entre  le  premier  chapitre  et  le  second  du  Pantchatantra.  Le  premier 
chapitre,  auquel  seul  convient  le  titre  de  Kalîlah  et  Dimnah,  raconte 
comment  le  chacal  Dimnah,  jaloux  de  la  faveur  dont  un  taureau,  nou- 
veau venu  à  la  cour,  jouit  auprès  du  lion,  réussit  à  inspirer  au  roi  et 
à  sou  hôte  des  soupçons  mutuels,  et  finalement  à  faire  tuer  le  tau- 
reau par  le  lion.  L'histoire  est  terminée  là  et  n'a  pas  besoin  d'autre 

'''  On  l'appelle  même  souvent  simplement  '*'  Le    rapprochement  avec    une    légende 

Almoqalla,  mais  à  tort  :  c'est  le  nom  de  son  bouddhique   que  Benfey  (loc.  cit.,  p.  69)  a  in- 

père.  diqué  pour  la  deuxième  des  anecdotes  insérées 

'"'  Voir  Benfey,  Kal.  und  Damn.,  p.  1 3.  dans  la  préface  d'Abdallah  est  vague  et  peu 

'*)  Cf.  ci-dessus,  p.  'J09,  n.  4.  convaincant. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


215 


suite  :  elle  suffit  pour  donner  aux  rois  un  exemple  des  dangers  qu'ils 
courent  en  écoutant  de  perfides  conseils;  la  méchanceté  de  Dimnah 
est  d'ailleurs  stigmatisée  dans  les  reproches  que  lui  adresse  Kalîlah. 
Mais  cette  morale  n'a  pas  paru  suffisante  à  Abdallah  :  il  a  été  choqué 
de  voir  que  Dimnah  non  seulement  restait  impuni,  mais  jouissait  ap- 
paremment du  fruit  de  son  crime,  et  il  a  composé  le  chapitre  que 
nous  appellerons  i  bis,  où  le  calomniateur  subit  un  juste  châtiment. 
Déjà  avant  la  découverte  du  texte  syriaque  Benfey  avait  reconnu  que 
ce  chapitre  était  étranger  à  l'original  sanscrit  et  même  au  livre  pehlvi  : 
le  fait  qu'il  manque  dans  la  traduction  de  Boud  est  venu  confirmer 
d'une  façon  éclatante  la  démonstration  du  savant  indianiste'''.  Abdallah 
ne  s'est  pas  mis  pour  composer  ce  chapitre  en  grands  frais  d'imagina- 
tion; comme  ressort  principal,  il  a  employé  deux  fois  le  même  moyen  : 
un  entretien  de  Kalîlah  avec  Dimnah,  duquel  résulte  la  preuve  de  la 
culpabilité  de  celui-ci,  est  surpris  par  un  léopard,  et  Dimnah  est  mis 
en  prison;  un  second  entretien  est  de  même  surpris  par  un  loup,  et 
Dimnah  est  pendu;  le  rôle  de  la  mère  du  lion  et  d'autres  particu- 
larités sont  imités  du  chapitre  viii  de  l'œuvre  primitive'^l  Abdallah 
a  d'ailleurs  mêlé  à  son  récit  des  traits  qui  semblent  de  provenance 
biblique'''',  et  enfin,  si  nous  ne  nous  trompons,  il  a  signé  lui-même 
son  œuvre  en  donnant  au  chacal  sage  et  bien  intentionné  qui  rem- 
place Kalîlah,  après  la  mort  de  celui-ci,  auprès  de  Dimnah  le  nom 
de  Roûzbah,  qui  était,  nous  l'avons  vu,  le  nom  perse  d'Abdallah 
avant  sa  conversion  à  l'islamisme'*'.  Il  a  intercalé  dans  son  récit  du 
procès  quatre  anecdotes,  dont  les  personnages  sont  humains  comme 
dans  celles  de  la  préface,  et  qui  n'ont  pas  de  source  indienne'^'  et 
n'ont  point  passé  dans  les  littératures  européennes'^',  ce  qu'explique 
d'ailleurs  leur  peu  de  valur. 


'"'  Voir  Pantschat.,  1. 1,  S  109-1 1 1  ;  Kal.  and 
Dainn.,  p.  35. 

'''  Voir  Benfey,  Pantschat.,  t.  II,  p.  SSg; 
Derenbourg,  Director. ,  f.  17  (où  il  l'ant  lire 
i  du  pieux  chacal  »  au  lieu  de  «  du  pieux  Scha- 
f  kan). 

<''  Benfey  dit  (/oc.  cit.,  p.  298)  :  «Le  rôle 
■  que  joue  le  chef  des  cuisiniers  n'est  pas  seu- 
«  lement  tout  à  fait  étranger  aux  moeurs  in- 
«  diennes  ;  il  m'a  toujours  rappelé  celui  du 
«  chef  des  panetiers  dans  l'histoire  de  Jo- 
«  seph.  •  Ajoutons  que  le  titre  même  de  «  chef» 


ou  «  prince  des  cuisiniers  »  est  dans  la  Bible. 

'*'  Voir  Directoriuni ,  p.  126,  n.  1.  Jean  de 
Capoue  a  Resba,  l'espagnol  (p.  89)  Jaiizaha 
(et  Javzana)  pour  Rauzaha,  forme  de  plu- 
sieurs manuscrits  arabes. 

'''  Celle  des  deux  perroquets  rappelle  plu- 
sieurs contes  indiens,  et  notamment  le  cadre 
du  Çoukasaptati  ;  mais  il  faut  remarquer  que  le 
Çoukasaptati ,  comme  le  Pantchatantra ,  avait 
été  traduit  en  pehlvi  et  le  fut ,  de  très  bonne 
heure,  du  pehlvi  en  arabe. 

'*'  Benfey  est  porté  à  croire  que  le  procès  de 


216 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


En  dehors  de  ces  deux  additions  assurées,  faut-il  mettre  sur  le 
compte  d'Abdallah  un  chapitre  qui,  dans  la  plupart  des  manuscrits 
arabes,  suit  notre  chapitre  x''^  et  qui  n'a  pas  du  tout  le  caractère  in- 
dien'^'? Il  est  d'ailleurs  extrêmement  court,  et  non  seulement  insigni- 
fiant, mais  assez  absurde.  H  contient  une  fable  animale,  rentrant 
dans  le  groupe  des  fables  qu'on  appelle  «  étiologiques»'^*,  tandis 
qu'Abdallah,  dans  les  parties  qui  sont  de  lui,  n'emploie  que  des 
anecdotes  à  personnages  humains.  On  est  donc  porté  à  attribuer  cette 
addition  à  un  interpolateur  subséquent,  mais  encore  très  ancien, 
puisque  le  traducteur  grec  (xi'  siècle)  et  le  traducteur  persan  (com- 
mencement du  XII'')  la  connaissent  déjà,  ainsi  que  le  traducteur  hé- 
breu et  le  traducteur  castillan. 

La  recension  arabe  qui  est  la  base  des  deux  traductions  hébraïque  et 
espagnole  contenait,  à  la  fin  du  livre,  deux  chapitres  qui  manquent 
danspresque  tous  les  manuscrits  arabes  qu'on  a  jusqu'à  présentétudiés. 
Il  s'agit  ici,  plus  probablement  encore,  d'additions  étrangères  non 
seulement  au  sanscrit  et  au  pehlvi,  mais  à  Abdallah.  Le  premier  de  ces 
chapitres  est  d'ailleurs  expressément  désigné,  dans  le  seul  manuscrit 
arabe  où  on  l'ait  trouvé'*',  comme  n'appartenant  pas  au  livre,  mais  lui 
ayant  été  rattaché  à  cause  de  sa  ressemblance'*'.  Il  raconte  l'histoire, 
peu  claire  et  peu  intéressante,  des  machinations  d'un  oiseau  de  mer 
contre  deux  autres,  machinations  qui  aboutissent  à  leur  mort;  trois 
fables,  également  très  médiocres,  y  sont  intercalées.  Le  second  de 
ces  chapitres  additionnels  n'a  été  retrouvé,  en  dehors  de  nos  deux 
traductions,  que  dans  une  rédaction  arabe  peu  ancienne'®'.  Malgré 
sa  brièveté,  il  ne  manque  pas  de  valeur;  nous  y  reconnaissons  deux 
traits  du  Roman  de  Renard  :  l'oiseau  qui  jette  du  haut  d'un  arbre  ses 
petits  à  un  renard  qui  les  dévore ''',  et  la  ruse  du  renard  persuadant  à 


Dimnah  n'a  pas  été  sans  inflaence  sur  la  bran- 
che du  Roman  de  Renard  qui  raconte  le  juge- 
ment de  Renard  ;  mais  il  n'y  a  qu'un  rapport 
très  éloigné  entre  les  deux  récits,  et,  sauf  le  fait 
même  d'un  procès,  toutes  les  circonstances  sont 
différentes. 

'"'  Dans  la  traduction  grecque  ce  chapitre 
est  rejeté  à  la  fin  ;  mais  l'ordre  indiqué  ci-des- 
sus est  confirmé  par  la  version  persane  de 
Nasrallah. 

'*'  Benfey,  Panlschat. .  t.  1,  S  a  3o. 


'''  Il  s'agit  d'expliquer  la  démarche  gauche 
du  corbeau  :  il  a  voulu  imiter  jadis  celle  de  la 
perdrix,  et  n'a  réussi  qu'à  perdre  la  sienne, 
qui  était  fort  bonne. 

'*'  Il  faut  y  joindre  maintenant  le  manu- 
scrit de  Londres  cité  plus  haut  (p.  201,  n.  4)- 

'''  Voir  Dercnbourg,   Directorinm ,  p.  3a 3. 

'*'  Derenbourg,  Direcioriam,  p.  346. 

•')  Il  est  vrai  que  les  circonstances  sont  autres; 
mais  la  situation  est  bien  la  même,  et  dans  la 
branche  de  Renard  intervient  aussi  un  tiers. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


217 


un  oiseau,  pour  le  saisir,  de  cacher  sa  tête  sous  son  aile  (ou  de  fer- 
mer les  veux)'''.  Aucun  de  ces  deux  traits  ne  se  retrouve  d'ailleurs 
dans  l'Inde,  et  ce  chapitre  a  été  ajouté  à  l'ouvrage  en  pays  musulman, 
à  une  époque  qu'on  ne  peut  préciser,  mais  qui  est  ancienne,  puisqu'il 
figure  déjà  dans  la  traduction  hébraïque  de  Joël  (voir  plus  loin). 

Nous  demandons  la  permission  de  donner  ici  un  tableau  de  la  cor- 
respondance, dans  les  recensions  qui  nous  intéressent,  des  douze 
chapitres  du  livre  pehlvi  et  des  quatre  qui  leur  ont  été  ajoutés  dans 
certains  manuscrits  arabes. 


SANSCRIT 

PEHLVI 

SYRIAQUE 

AHABïC) 

HEBREU 

ESPAGNOL 

sujets''"' 

I 

Pantckat.  I 

I 

I 

V 

II 

III 

Les  Deuï  Chacals. 

lbi. 



— 



VI 

III 

IV 

Le  procès  de  Dimnah. 

II 

Pantchat.  II 

II 

n 

vn 

IV 

V 

Les  Quatre  Amis. 

m 

Pantchat.  III 

III 

VI(') 

vm 

V 

VI 

Les  Hiboux  et  les  Cor- 
beaux. 

IV 

Pantckat.  IV 

IV 

III 

IX 

VI 

VII 

Le  Singe  et  l'Alligator 
(Tortue). 

V 

PontcAoJ.  V 

V 

IV 

X 

VII 

VIII 

L'Animai  fidèle  tué  par 
son  Maître. 

VI 

JtfoAdAA<lr.  XII 

VI 

V 

XI 

VIII 

IX 

Le  Chat  et  la  Souris. 

VII 

Mahàbhâr.  XII 

VII 

VII 

XII 

IX 

X 

Le  Roi  et  l'Oiseau. 

VIII 

Mahàbhàr.  XII 

VIII 

VIU 

XIII 

XUI  C) 

XIV  C) 

Le  Chacal  vertueux. 

IX 

Roman  bouddli. 

IX 

KO 

XIV 

X 

XI 

Le  Roi  et  les  Brahmanes. 

X 

Conte  bouddL. . 

X 

— 

XV 

XI 

XII 

La  Lionne  pénitente. 

xbi. 

— 

— 

— 

XVI 

XII 

XIII 

Le  Religieux  et  l'Étran- 

XI 

Conte  indien 

XI 

— 

XVII 

XIV 

XV 

L'Homme  ingrat  et  les 
Ànim.  reconnaissants. 

XII 

Conte  indien 

XII 

— 

XVIII 

XV 

XVI 

Les  Quatre  Voyageurs. 

XII"' 

— 

— 

— 

— 

XVI 

XVII 

Les  Hérons  elle  Canard . 

XII"' 

— 

— 

'~~ 



XVII 

XVIII 

Le  Renard  et  l'Oiseau. 

!•)  Pir 

irahe  nous  désignons 

a   rédaction   p 

obllée  par  Si] 

vestre  de  Sac) 

l'i  Nou 

avons  indiqaé  par  q 

aelques  mots 

e  sujet  de  chi 

que  chapitre 

pour  faciliter 

les  identificat 

ons. 

l'I  L.  I 

nanascrit  unique  (le  la 

version  syrîa 

[uc  a  accident 

eltement  inler 

verti  l'ordre  d 

a  livre  en  pla 

çant  le  chapitre    VI  cotre  les 

cliapitres 

I  et  III. 

!•")     Le 

déplacement  aceidente 

du  chapitre  1 

III  ,  transport 

i  entre  l'"  et 

Xi ,  se  Ironva 

t  dans  la  rcce 

nsion  nrabe  qui  est   la  source 

cominuna 

de  l'hébreu  et  de  l'esp 

agooj. 

!•)     Le 

manuscrit  d«  la  verai 

on  syriaque  c 

omprend  enco 

re  le  conte  d 

DDt  nous  avon 

s  parlé  ci-des 

sus  ,    Lei  Sourie  et   ht  Chati , 

qu'oQ   pot 

rrait  appeler  il'"*,  et 

se  termine  u 

D  pea  avant  1 

a  fin  de  ce  co 

ute. 

Dans  nos  citations  subséquentes  nous  renverrons  toujours  aux  cha- 
pitres par  les  chifFres  placés  en  tête  de  chaque  ligne  de  ce  tableau 


'■'  Ce  thème,  qu'on  trouve  en  Europe  dès  le 
IX'  siècle,  et  qui,  comme  nous  l'avons  dit,  a 
passé  dans  ie  Roman  de  Renard,  a  été  récem- 


HIST.  LUT.  —  xxxui. 


ment  étudié  avec  beaucoup  de  soin  par  miss 
Kate  Oelzner  Petersen  et  par  M.  L.  Foulet  (voir 
Romania,  t.  XXVill,p.  2g6-3o3). 


218 


RAIMOND  DE  BKZIERS. 


(  pour  les  contes  et  fables  nous  emploierons  les  numéros  de  l'excellent 
sommaire  de  J.  Derenbourg  dans  son  édition  de  Jean  de  Capoue).  Si 
ia  rédaction  hébraïque  commence  au  chapitre  ii,  la  traduction  espa- 
gnole au  chapitre  m  et  la  rédaction  arabe  publiée  par  S.  de  Sacy  au 
chapitre  v,  c'est  que  la  première  compte  comme  chapitre  i  la  biogra- 
phie de  Barzoûyah,  la  seconde  comme  chapitre  i  l'histoire  de  la  mis- 
sion de  Barzoûyah  et  comme  chapitre  ii  sa  biographie,  la  troisième 
comme  chapitre  i  une  préface  d'un  écrivain  arabe  postérieur,  comme 
chapitre  ii  la  mission  de  Barzoûyah,  comme  chapitre  m  la  préface 
d'Abdallah,  et  comme  chapitre  iv  la  biographie  de  Barzoûyah,  tous 
morceaux  ajoutés  à  la  compilation  primitive. 

Nous  ne  nous  occuperons  pas  ici  du  sort  ultérieur  de  la  version 
d'Abdallah  ibn-Almoqaffa,  sauf  en  ce  qui  concerne  directement  la 
source  des  deux  traductions  qui  nous  intéressent ''\  D'une  part,  elle  a  été 
l'objet,  dans  les  très  nombreux  manuscrits  où  elle  a  été  copiée,  de  cor- 
ruptions qui  en  rendent  une  édition  critique  à  la  fois  très  désirable  et 
très  difficile  '^';  d'autre  part,  elle  a  été  traduite  en  une  foule  de  langues 
orientales,  ainsi  qu'en  grec,  et  ces  traductions  ont  aussi  leur  impor- 
tance pour  la  reconstitution  du  texte.  Nous  ne  nous  attachons  qu'à  la 
recension  qui  a  été  traduite  en  hébreu  et  en  espagnol.  Nous  disons  : 
la  recension,  car  les  deux  manuscrits  sur  lesquels  ces  traductions  ont 
été  faites  étaient  très  étroitement  apparentés.  C'est  ce  qu'a  montré 
J.  Derenbourg,  qui,  pour  son  édition  de  Jean  de  Capoue,  a  minutieu- 
sement collationné  la  version  espagnole  :  «  Je  me  suis  convaincu,  dit- 
«  il,  que  le  texte  arabe  traduit  pour  Alphonse  le  Savant  était  le  même 
«  que  celui  que  possédait  le  traducteur  hébreu.  Cette  identité  est  d'au- 
«  tant  plus  remarquable  que,  malgré  le  grand  nombre  de  manuscrits 


'''  Rappelons  seulement  qu'on  possède ,  d'un 
versificateur  italien  nommé  Baldo,  qui  vivait 
sans  doute  au  xii*  siècle,  vingt  fables  latines 
tirées  du  Kalllak  et  Dimnah , qui  paraissent  avoir- 
pour  source  directe  une  version  latine  en  prose , 
non  du  livre  entier,  nxais  de  contes  ou  fables 
choisis.  Ce  spicilège  avait  été  fait,  bien  proba- 
blement ,  dans  l'Italie  du  Sud ,  comme  le  furent 
plus  tard  la  version  de  Joël  et  celle  de  Jean  de 
Capoue,  et  d'après  une  bonne  recension  arabe, 
nous  ne  savons  ce  que  valait  le  travail  du  pro- 


sateur latin,  mais  l'arrangement  de  Baldo  est 
déplorable.  Voir  sur  ^slAo  Journal  des  Savants, 
1899,  p.  a  12-317. 

'*'  Le  texte  imprimé  par  S.  de  Sacy  se  trouve 
par  maliieur  être  un  des  plus  éloignés  de  l'ori- 
ginal. On  doit  souliaiter  que  M.  I.  Guidi  donne 
l'édition  qu'il  avait  fait  espérer  dans  ses  excel- 
lents Stadi  sul  testa  arabo  del  libro  di  Calila  e 
Dimna.  Les  versions  syriaque ,  hébraïque  et  es- 
pagnole apporteront  à  une  telle  édition  un  pré- 
cieux secours. 


RAIMOND  DE  BÉZIERS. 


!Î19 


«de  l'original  arabe,  dispersés  dans  les  dififérentes  bibliothèques,  on 
«  n'en  a  pas  encore  rencontré  un  seul  dont  le  texte  ne  diffère  sensible- 
«  ment,  pour  certaines  parties,  du  texte  que  l'hébreu  et  l'espagnol 
«  avaient  sous  les  yeux;  en  outre,  pas  un  seul  manuscrit  ne  renferme 
«  autant  de  chapitres'''.  » 

Cette  recension  ,nous  l'avons  vu ,  contenait,  — outre  l'autobiographie 
de  Barzoûyah,  la  relation  de  son  voyage  et  la  préface  d'Abdallah,  — 
seize  chapitres,  à  savoir  :  les  douze  de  l'ouvrage  pehlvi  et  les  quatre  que 
nous  venons  de  mentionner  et  que  nous  avons  appelés  1*"%  x*"",  xii""' 
etxii'".  Elle  fut  traduite  en  hébreu,  sans  doute  au  commencement 
du  XII*  siècle'^',  par  un  juif  italien  qui  paraît  s'être  appelé  Rabbi  Joël '^'. 
Sa  traduction  ne  nous  est  arrivée  directement  que  dans  un  seul  manu- 
scrit, et  encore  fort  incomplète  :  elle  ne  commence  que  vers  la  fin 
du  chapitre  i^".  Elle  a  été  publiée,  avec  une  traduction  française,  en 
1881,  par  J.  Derenbourg''''.  Mais  un  juif  de  Capoue,  qui,  s'étant  con- 
verti au  christianisme ,  avait  pris  le  nom  de  Jean  et  s'était  établi  comme 
médecin  à  la  cour  de  Rome,  en  fit  vers  1  276'**  une  traduction  latine, 
qui  nous  est  arrivée  complète  dans  plusieurs  manuscrits  du  xv*  siècle'*'', 
a  été  imprimée  quatre  fois  à  la  fin  de  ce  même  siècle  et  réimprimée 
de  nos  jours  par  V.  Puntoni,  J.  Derenbourg  et  A.  Hervieux'^'.  On  ap- 
pelle communément  l'œuvre  de  Jean  Directorium  vitae  humanae;  mais 
ce  titre  n'est  pas  dans  les  manuscrits  :  ceux-ci  n'ont  pas  d'autres  titres 
que  ces  premiers  mots  du  prologue  :  Hic  est  liber  parabolariim  anticjuo- 
rnm  sapientum  nacionum  mundi,  et  vocatur  «  liber  Kelile  et  Dimne  »;  c'est 
l'éditeur  du  xv*  siècle  qui  a  fabriqué  le  titre  Directorium  vite  hamane, 
alias  Parabole  anticjuorum  sapientum,  en  gardant  du  reste  le  début  au- 


'"'  Directorium,  p.  3-4. 

'*'  Cf.  Journal  des  Savants,  1899,  P'  ^^^  ^* 
n.  à. 

'''  \oiT  Derenbourg,  Directorium,  p.  ii-i4. 

'*'  Deux  versions  hébraïques  du  livre  de  Kalî- 
lah  et  Dimnah.  De  la  seconde  version ,  faite  au 
xiii' siècle  par  Jacob  ben  Eleazar,  on  n'a  que  le 
commencement,  dans  un  manuscrit  unique, 
et  elle  n'a  pas  d'importance  pour  nous.  Deren- 
bourg n'en  a  donné  que  le  texte ,  avec  des  re- 
marques, tandis  qu'il  a  joint  une  traduction 
française  à  son  édition  de  Joël. 

'**  11  dédie  son  œuvre  à  Matteo  de  Rossi, 
cardinal-diacre  de  Santa- Maria  in  Porticu  ;  Jean 
ne  donnant  pas  au  cardinal  certains  titres  im- 


portants qu'il  obtint  en  1378,"  il  est  à  croire, 
ainsi  que  l'a  remarqué  S.  de  Sacy,  qu'il  com- 
posa son  livre  avant  1278,  mettons  en  1276 
(on  a  d'autres  traductions  de  lui,  dont  l'une 
est  datée  de  i3oo  :  voir  Ward,  Cat.  of  rom. , 
t.  II,  p.  i53;  c'est  la  préface  de  celle-ci  qui 
nous  apprend  que  Jean  exerçait  sa  profession 
de  médecin  in  caria  romana). 

'*'  Voir  sur  les  manuscrits  Journal  des  Sa- 
vants, 1899,  p.  58i-,595. 

'''  L'édition  de  J.  Derenbourg ,  accompagnée 
de  remarques  comparatives  d'un  grand  prix, 
est  celle  qu'il  faut  consulter  jusqu'à  nouvel  or- 
dre. Voir  Journal  des  Savants,  1899,  p.  210- 
211. 

a8. 


220  RAIMOND  DE  BÉZIERS. 

thentique  '"  :  il  vaut  donc  mieux  renoncer  à  ce  titre  inexact  de  Direc- 
torium  et  appeler  simplement  le  livre  de  Jean  de  Gapoue  Kelila  et 
Dimna  :  la  substitution,  propre  à  l'hébreu,  de  le  à  l'a  dans  le  nom 
de  Kelila  le  distinguera  suffisamment  des  autres  versions.  Jean  était 
«  un  médiocre  hébraïsant  et  un  détestable  latiniste  »  ;  il  a  parfois  mal 
compris  son  original,  qui  était  d'ailleurs  lui-même  tbien  médiocre 
M  et  bien  lourd  '^'  »,  et  surtout  il  l'a  d'ordinaire  gauchement  et  obscuré- 
ment rendu.  Toutefois  sa  version  est,  au  moins  intentionnellement, 
fidèle  el  même  littérale,  en  sorte  qu'elle  peut,  corrigée  çà  et  là,  nous 
tenir  lieu  de  l'hébreu  pour  la  partie  où  elle  esl  seule  à  nous  le  re- 
présenter. Derenbourg  a  pu  l'éclaircir  et  la  rectifier  en  beaucoup  de 
points  à  l'aide  de  l'ancienne  traduction  allemande,  qui  a  été  faite  non 
sur  l'imprimé,  mais  sur  un  manuscrit  meilleur  que  celui  qui  a  servi 
de  base  aux  anciennes  éditions.  Malheureusement  il  n'a  pas  connu  les 
manuscrits  récemment  signalés,  qui  lui  auraient  permis  d'améliorer 
notablement  le  texte,  el  qui  permettront  quelque  jour  de  donner  une 
édition  plus  conforme  à  l'original  (édition  pour  laquelle,  comme  on 
le  verra  plus  loin,  les  manuscrits  de  Raimond  de  Béziers  apporteront 
aussi  une  utile  contribution).  Derenbourg  a  pu  d'ailleurs  corriger  la 
version  de  Jean  de  Gapoue  et  l'hébreu  lui-même  en  s'aidant  de  la  version 
espagnole,  qui,  comme  il  l'a  constaté,  suit  un  manuscrit  arabe  iden- 
tique à  celui  qu'à  traduit  Joël.  On  a  souvent  attribué  à  la  version  hé- 
braïque, qui  n'était  connue  que  par  la  traduction  de  Jean  de  Gapoue, 
une  importance  qu'elle  n'a  pas  en  réalité.  Il  est  vrai  que  la  version  de 
Jean  de  Gapoue,  qui  en  dérive,  a  été  traduite  anciennement  en  français 
(voir  ci-dessous,  p.  253),  en  allemand  (delà  eu  danois,  islandais  et 
judéo-allemand),  en  espagnol  (de  là  en  italien  et  de  l'italien  en  fran- 
çais), en  italien  (de  là  en  anglais  et  en  français)  et  en  tchèque'^'  ;  mais 
elle  n'a  pas  influencé  notablement  la  littérature  narrative  occidentale, 
et  les  contes  ou  fables  qui,  aux  xvii'  et  xviii*  siècles,  ont  été  imités 
du  Kalilak  et  Dimnah  l'ont  été  par  l'intermédiaire  de  versions  per- 
sanes ou  turques  provenant  directement  de  l'arabe**'. 

'''  Voir  Journal  des  Savants.  1899,  p.  584-  dierait  •l'influence  que  la  version  hébraïque  a 

C  Derenbourg,  Directorium ,  p.  j.  «exercée  sur  la  rédaction  des  fables  dans  les 

'*'  Nous  renvoyons  pour  les  détails  à  l'excel-  «  idiomes  européens  ».  Il  a  renoncé  à  ce  projet, 

lente  bibliographie  de  M.  Chauvin.  et  nous  pensons  qu'il  aurait  été  fort  embar- 

<•'  Derenbourg   avait  annoncé   (  Deux   ver-  rassé  de  le  réaliser.  Il  faut  noter  que  Jean  de 

sioiis ,  p.  10;  cf.  Directorium,  p.  i)  qu'il  étu-  Capoue  intercale  dans  le  chapitre  11  (=iv)  deux 


RAIMOND  DE  BÉZEERS. 


221 


La  version  hébraïque,  nous  l'avons  dit,  est  généralement  très 
fidèle.  Joël  paraît  seulement  avoir  çà  et  là  quelque  peu  abrégé,  et  il 
a  été  fort  souvent  incapable  de  traduire  les  noms  des  animaux  mis  en 
scène.  Déjà  ces  noms ,  cela  se  comprend,  avaient  embarrassé  Barzoûyah, 
soit  qu'il  n'en  sût  pas  le  sens  exact,  soit  qu'ils  désignassent  des  ani- 
maux propres  à  l'Inde  :  tantôt  il  leur  a  cherché  des  équivalents,  tantôt 
il  les  a  laissés  dans  le  vague,  tantôt  il  les  a  gardés  sous  leur  forme 
sanscrite.  Boud  et  Ibn-Almoqaffa  ont  éprouvé  le  même  embarras  et 
ont  eu  recours  aux  mêmes  procédés'*'.  Joël  à  son  tour,  quoiqu'il  con- 
nût bien  l'arabe,  n'a  pas  toujours  réussi  à  trouver  le  sens  des  noms 
qu'il  avait  sous  les  yeux.  Il  est  utile,  pour  juger  le  travail  de  Raimond 
de  Béziers,  de  réunir  ici  la  plupart  de  ces  cas.  Vu  la  fidélité  servilede 
la  traduction  de  Jean  de  Capoue,  nous  pouvons  nous  en  servir  pour 
apprécier  le  travail  de  Joël  dans  la  partie  qui  nous  manque  en  hébreu. 
Nous  rapporterons  en  même  temps  les  traductions  que  présente  des 
mêmes  mots  la  version  castillane. 

Le  nom  même  des  deux  animaux  qui  ont  donné  au  livre  son  titre 
reçu  a  été  pour  le  traducteur  hébreu,  qui  ne  connaissait  pas  le  chacal, 
une  énigme  insoluble'^'.  Kélila  et  Dimna  sont  pour  lui  simplement 
deux  «  animaux  »*'';  au  chapitre  x  (=xi),  le  chacal  qui  admoneste  la 
lionne  est  aussi  un  «animal».  Mais  au  chapitre  viii  (=xiii)  cette  tra- 
duction vague  était  difficile,  le  chacal  vertueux  et  calomnié  étant  le 
héros  même  du  conte  :  Joël  a  bien  commencé  par  l'appeler  aussi  «  un 
«  animal  »,  puis  il  s'est  décidé  à  en  faire  un  renard  (Jean  de  Capoue 
l'a  suivi  mécaniquement).  L'espagnol  fait  de  Calila  et  Dimna  deux 
«  loups-cerviers  »  ;  il  appelle  de   même  lobo  cerval,  au  conte  8  du 


fables  [f Homme  et  le  Serpent  et  le  Renard  et  le 
Coq)  qui  ne  sont  pas  dans  Joël  et  qn'il  a  bien 
probablement  ajoutées  de  son  cru.  Il  est  donc 
permis  de  croire  que  les  deux  contes  qui  lui 
sont  propres  dans  la  partie  où  nous  ne  possé-^ 
dons  pas  son  original  hébreu  (  le  Mari,  la  Femme 
et  la  Pie,  p.  89  ;  la  Femme  et  l'Apothicaire, 
p.  96)  ont  également  été  ajoutés  par  lui  à  sa 
traduction  de  Joël  (il  est  même  possible  que  le 
second  ait  été  ajouté  par  un  interpolateur  du 
livre  de  Jean  de  Capoue,  voir  ci-dessous, 
p.  aAî).  Benfey  était  porté  à  les  attribuer  déjà 
au  manuscrit  arabe,  et  Derenbourg  tout  au 
moins  au  copiste  du  manuscrit  hébreu  suivi 
par  Jean.  Ces  deux  fables  et  ces  deux  contes 


sont  d'ailleurs  également  de  provenance  orien- 
tale. 

'"'  Voir  dans  Benfey,  Kal.  and  Damn,,  p.  42, 
la  curieuse  histoire  du  mot  sanscrit  titawa, 
t  goéland  [Strftndlâafer)  »,  qui  a  été  conservé 
tel  quel  par  Barzoûyah ,  par  Boud ,  par  le  tra- 
ducteur arabe,  et  se  retrouve  encore  (tittuj) 
dans  la  version  espagnole. 

<*'  Au  conte  1  i  du  chapitre  i ,  il  rend  ce- 
pendant le  mot  qui  veut  dire  «  chacal  •  par 
«  renard  >. 

'^'  Rouzbah ,  au  chapitre  i"'  (=  m)  ,|est  égale- 
mentdésigné  comme  «  un  animal  >  ;  mais  il  n'est 
pas  sûr  que  l'original  le  désignât  comme  un  cha- 
cal, et  1  espagnol  aussi  a  simplement  una  beslia. 


i 


222  RAIMOND  DE  BÉZIERS. 

chapitre  i  (=in) ,  un  animal  que  l'hébreu  ne  désigne  pas,  et  au  conte  1 1 
le  chacal  que  celui-ci  change  en  renard;  mais  aux  chapitres  ix  (=xi) 
et  x*""  (=xiii)  il  donne  le  mot  anxahar,  que  nous  trouvons  à  peu 
près  tel  quel  dans  le  texte  arabe.  —  Le  conte  suivant  présente  un 
nom  qui  a  plus  d'une  fois  embarrassé  notre  auteur,  celui  du  héron  : 
il  se  contente  de  dire  «  un  oiseau  »,  tandis  que  l'espagnol  traduit 
exactement  par  garça.  —  Dans  le  conte  1 2  il  s'agit  de  truites  dans 
l'arabe  et  dans  l'espagnol  ;  l'hébreu  parle  simplement  de  «  poissons  ». 

—  Le  conte  i3  parle  d'un  canard  (esp,  anacle),  qui  est  pour  Joël 
«  un  oiseau  aquatique  »  ;  de  même  pour  les  deux  canards  du  conte  1 6. 

—  Le  tittâwa  du  conte  i5  (esp,  tiltiiy)  devient  «  un  oiseau  ».  —  Dans 
la  fable  20  figurent  en  sanscrit,  —  avec  une  écrevisse,  —  un  hé- 
ron, un  serpent  et  une  mangouste;  le  traducteur  hébreu  n'a  pas 
compris  le  dernier  mot,  et  a  mis  avec  embarras  :  «  une  bête  qui  res- 
(I  semble  à  un  chien»;  pour  le  héron  il  a,  suivant  sa  coutume,  «un 
«oiseau»;  l'espagnol  a  garza,  et  pour  la  mangouste,  assez  absurde- 
ment,  un  loir  [liron).  —  Au  chapitre  11  (=iv)'''  la  gazelle  de  l'arabe 
est  remplacée  par  un  cerf;  l'espagnol  en  fait  un  daim.  —  Les  acteurs 
de  la  fable  2  du  chapitre  m  (=  v)  sont  un  lièvre  et  un  oiseau  difficile 
à  déterminer  (probablement  une  gelinotte)  '^^  :  l'hébreu  ne  le  désigne 
que  comme  «un  oiseau»,  l'espagnol  le  change  en  une  genette,  ce 
qui  rappelle  l'écureuil  de  la  version  grecque  et  la  belette  de  la  fable 
correspondante  de  La  Fontaine*^'.  —  Dans  le  conte  5  du  même 
chapitre  il  est  singulier  de  voir  le  chevreau  de  l'arabe  (et  du  sans- 
crit) remplacé  par  un  cerf,  que  le  religieux  n'en  porte  pas  moins 
sur  son  épaule  ;  l'espagnol  a  encore  ici  un  daim ,  qui  ne  vaut  guère 
mieux.  —  Le  chapitre  iv  (=vi)  nous  offre  un  curieux  exemple  des 
vicissitudes  de  ces  noms.  Le  sanscrit  mettait  en  scène  un  alligator'''^ 
et  c'est  bien  l'animal  qui  convient  le  mieux;  Barzoùyah  en  avait  sans 
doute  déjà  fait  une  tortue,  car  c'est  ce  que  s'accordent  à  donner 
Boud  et  Abdallah.  Celui-ci  se  servait  d'un  mot,  gailam,  qui  n'est 
pas  le  même  que  celui  par  lequel  il  avait  désigné  une  tortue  au  cha- 

'"'  Nous  avons  à  partir  d'ici  l'original  hébreu  d'une  fois,  non  du  Livre  des  Lumières .  traduc- 

avec  lequel  Jean  de  Capoue ,  sauf  une  excep-  tion  de  ÏAnioar  i  Soiihaili  persan,  mais  de  ia 

tion  indiquée  plus  loin,  est  constamment  d'ac-  traduction  latine,  par  le  P.  Poussines,  delà 

cord.  version  grecque. 

'*'  Voir  Benfey,  Kal.  and  Damn.,  p.  ài-ii.  '*'  Voir  Benfey,  Pantsch.,  p.  4ao;  von  Man- 

'''  La  Fontaine  s'est  ici  servi,  comme  |>lus  kowski,p.  67. 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  223 

pitre  II  (=  vu);  Joël  ne  l'a  pas  compris  et  s'est  trouvé  fort  empêché  : 
il  parle  d'abord  d'un  «  animal  marin,  un  reptile  qui,  d'après  ce  qu'on 
«dit,  s'appelait.  .  .  »  et  il  donne  le  nom,  de  sens  obscur,  d'un  des 
animaux  impurs  du  LeriVi^ue''';  plus  tard  il  l'appelle  simplement  «  le 
«reptile».  Ce  qui  est  curieux,  c'est  que  Jean  de  Capoue,  cette  fois, 
s'écarte  de  son  modèle  et  met  exactement  testiido  :  il  est  probable  que 
dans  son  manuscrit  hébreu  la  correction  avait  été  faite  en  marge '^'.L'es- 
pagnol a  correctement  (jaîapago.  —  La  question  est  plus  compliquée 
pour  le  chapitre  V  (=vii).  C'est  la  célèbre  histoire  de  l'animal  fidèle 
qui,  couvert  du  sang  du  serpent  qu'il  vient  de  combattre  pour  dé- 
fendre l'enfant  confié  à  sa  garde,  est  pris  par  son  maître  pour  le 
meurtrier  de  l'enfant  et  mis  à  mort.  Cet  animal  est  dans  le  .sanscrit 
une  mangouste,  dans  différents  dérivés  une  belette  ou  un  putois;  Joël 
en  fait  un  chien  et  le  traducteur  espagnol  de  même,  et  comme,  dans 
la  version  de  ce  conte  qui  a  passé  dans  les  rédactions  hébraïque  et 
occidentales  du  livre  de  Siddhapati  ou  Sindibad  [Sept  Sages),  c'est  aussi 
un  chien,  on  a  pensé  que  l'auteur  de  la  recension  arabe  qui  est  la 
source  de  Joël  et  de  l'espagnol  avait  été  influencé  par  cette  version'^'. 
Rappelons  toutefois  que  dans  la  fable  20  du  chapitre  i  (=11)  et  an 
chapitre  xii*"'  (=  xvi)  Joël  rend  de  même  un  mot  arabe  signifiant 
«belette»  (au  lieu  de  la  mangouste  de  l'original)  par  «une  bête 
«qui  ressemble  à  un  chien*'')».  Il  e.st  donc  probable  qu'il  s'est  décidé 
spontanément  ici  à  faire  un  vrai  chien  de  cette  bête  semblable  à  un 
chien,  et  que  le  traducteur  espagnol,  d'autre  part,  comprenant  que 
le  «loir»  qu'il  avait  mis  à  deux  autres  endroits  était  absurde,  y  a 
substitué  le  chien,  si  naturellement  indiqué  comme  gardien  fidèle, 
de  même  qu'au  chapitre  xii*"'  (=  xvii)  il  y  a,  très  naturellement  aussi, 
substitué  un  chat.  —  Au  chapitre  viii  (=  xiii)  il  est  curieux  que  Jean 
de  Capoue  (p.  291)  appelle  seul  musfe/a l'animal  que  toutes  les  autres 

'"'  Voir  Derenbourg,  Direct.,  p.  2o3.  qu'il  s'est  faite  de  l'animai  inconnu.  De  même 

'*'  Ou  peut-être  Jean  de  Capoue  avait-ii  sous  il  a  pris  la  gazelle  du  chapitre  ii  et ,  ce  qui  est 

les  yeux  une  image  où ,  plus  perspicace  que  plus  étonnant ,  le  chevreau  du  conte  5  du  cha- 

Joël,  il  avait  reconnu  une  tortue  (cf.  la  note  pitre  m  pour  un  cerf.  On  comprend  qu'il  n'ait 

suivante).  pu  distinguer  sur  les  images ,  quand  il  ignorait 

'''  Cette  désignation  est  intéressante.  File  le  sens  précis  des  noms  arabes ,  quels  étaient 

prouve  très  probablement  que  Joël  avait  sous  les  oiseaux ,  les  reptiles  et  à  plus  forte  raison 

les  yeux  un  manuscrit  arabe  orné  d'images ,  et  les  poissons  représentés. 

que   c'est  dans  la    représentation ,  imparfaite  '*'  Voir  Benfey,  Pantschat.,  t.  I,  p.  48a  ;  De- 

d'ailleurs,  de  la  mangouste  qu'il  a  pris  l'idée  renbourg,  Director.,  p.  îiô. 


224  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

versions  laissent  anonyme.  — Au  chapitre  xn^"  (=  xvii)  il  s'agissait  en 
arabe  d'un  alcyon  et  de  canards  sauvages'''.  Joël  écrit  :  «  Il  y  avait  un 
<(  oiseau  appelé  en  arabe  aldjom,  pour  lequel  je  n'ai  pas  trouvé  de  nom 
«  dans  la  langue  sacrée  »,  et  «  un  oiseau  appelé  en  arabe  mourzoïim^^^  »  ; 
Jean  de  Capoue,  toujours  servile,  a  :  avis  (jue  hebraice  (lis.  arabice^  dici- 
tnrholgos,  etavemciuedicebaturmaizam  (impr.  mosam).  L'espagnol  a  (/arja 
et  zarapico^^K  —  Enfin  au  chapitre  xii'"  (=-  xvii)  l'oiseau  qui,  dans  le 
seul  texte  arabe  connu,  est  appelé  du  nom  obscur  de  malik  el-hazin^'^^ 
est  dans  l'hébreu  un  moineau,  dans  l'espagnol  un  butor  [alcaravan). 

Les  qualifications  données  aux  personnages  humains  dans  les  contes 
indiens  ont  aussi  plus  d'une  fois  embarrassé  les  traducteurs.  Les  brah- 
manes qui  y  figurent  souvent  étaient  devenus  chez  Barzoûyah,  à  en 
juger  parla  traduction  syriaque,  des  mages(chap.i,  conte  4;chap.  m, 
chap.  v),  sauf  dans  le  chapitre  ix,  où,  vu  le  rôle  odieux  que  jouent  les 
brahmanes,  il  leur  avait  laissé  leur  nom  indien.  Quelquefois  cepen- 
dant il  avait  employé  le  mot  pehlvi  dinik,  «  dévot  »,  qui  a  été  conservé 
dans  le  syriaque*^'.  Abdallah  a  généralement  rendu  les  deux  mots  par 
un  mot  arabe  signifiant  «religieux».  Au  chapitre  ix,  il  a,  comme 
Barzoûyah  et  Boud ,  conservé  les  brahmanes.  Joël  emploie  également 
des  mots  signifiant  «  religieux,  dévot  »  ;  au  conte  4  du  chapitre  i  (=ii), 
Jean  de  Capoue  donne  eremita,  dont  on  ne  voit  pas  bien  le  corres- 
pondant hébreu;  au  chapitre  ix(=x)  les  brahmanes  sont  des  «  hommes 
«savants  dans  l'interprétation  des  songes»  [viri  docti  chez  Jean  de 
Capoue).  L'espagnol  a  partout  religioso,  sauf  au  chapitre  ix  (=xi), 
où  il  a  conservé  le  mot  arabe  albarhamin. 

Il  faut  encore  noter  les  difficultés  qu'opposaient  aux  traducteurs 
successifs  certaines  données  mythologiques  de  l'original  sanscrit.  Le 
conte  1 5  du  chapitre  i,  pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  nous  présente 
un  goéland  qui,  le  génie  de  la  mer'^'  lui  ayant  enlevé  ses  œufs,  va  se 

'■'  Le  manuscrit   arabe  publié  par  Deren-  '*'  L'espagnol  moderne  dit  zarrt/>i7o,  «oiseau 

bourg  [Direct.,    p.   3a5,  Say)  intervertit  le»  «  marécageux  qui  ne  se  nourrit  que  d'insectes  ». 

noms  et  donne  deux  hérons  et  un  canard  sau-  <''  Derenbourg ,  Director. ,  p.  ^^6  (  d'après 

vage.  Derenbourg  ce  serait  un  nom  propre  ). 

'*'  Cest  à  M.  Rieu  {Supplément  to  the  Catal.  '''  Voir  Benfey,  Kal.  und  Damii.,  p.  73. 

ofthe  arab.  manuscripts  in  the  Brit.  Mas. ,  p.  733  )  '*'  Dans  la  forme  sanscrite  (  Pantschat.,  l ,  1  a  ; 

que  nous  empruntons  le  rapprochement  de  l'ar.  cf.  von  Mankowski ,  p.  io-i  i  )  ce  génie  n  existe 

'adjoum  avec  alcyon;  le  même  savant  fait  des  pas:  c'est  l'Océan  lui-même  qui  agit,  enlève  les 

remarques  conjecturales  sur  le  sens  précis  de  œufs ,  puis  les  rend.  Cette  idée  d'un  «  génie  de 

moarzoum  (il  vocalisa  marzim  ou  mirzem).  «  la  mer  •  est  sans  doute  de  provenance  persane. 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  225 

plaindre  à  Garouda,  le  roi  des  oiseaux;  Garouda  à  son  tour  se  plaint 
à  Vichnou,  et  Viclinou  oblige  le  génie  de  la  mer  à  rendre  ses  œufs  au 
goéland.  Barzoûyah  avait  remplacé  Garouda  par  le  Simour  ou  Si- 
nioiirg,  le  roi  des  oiseaux  dans  la  mythologie  zoroastrienne,  et  Boud  a 
conservé  ce  nom;  mais  pour  Vichnou Barzoûyah avait  mis  vaguement 
«l'esprit  auquel  le  Simour  sert  de  véhicule  »''l  Abdallah  a  misa  la  place 
du  mol  perse  un  mot  arabe,  anka,  qui  désigne  un  oiseau  fantastique^""^'; 
quant  au  représentant  de  Vichnou,  il  en  fait  vaguement,  comme  Bar- 
zoûyah, «le  maître  de  lanka»,  auquel  s'est  plaint  l'oiseau  lésé'^'.  Joël 
(représenté  par  Jean  de  Capoue)  est  fort  singulier  :  chez  lui  la  reine 
des  oiseaux,  qui  est  la  cigogne,  adresse  le  plaignant  à  son  mari,  qui, 
plus  puissant  que  le  chef  de  la  mer,  contraint  celui-ci  à  rendre  les 
œufs.  Dans  l'espagnol  (p.  3o-3i)  le  roi  des  oiseaux  est  \efalcon  oriol; 
le  chef  de  la  mer  est  bizarrement  appelé  el  mayordomo  del  mar,  et  toute 
trace  de  Vichnou  a  disparu  :  le  faucon  s'adresse  directement  au  «  major- 
«dome  de  la  mer»,  sans  qu'on  voie  par  quel  moyen  il  le  fait  céder. 
Nous  avons  dit  que  les  originaux  sanscrits  étaientïrempHs  de  noms 
propres  de  lieux,  d'hommes  et  d'animaux.  Le  traducteur  perse  et  le 
traducteur  arabe  les  ont  généralement  conservés,  bien  que  souvent 
ces  noms  soient  plus  qu'inutiles.  On  comprend  que  des  noms  sanscrits, 
en  passant  par  l'intermédiaire  du  ])ehlvi,  de  l'arabe,  puis  de  fhébreu 
ou  de  l'espagnol,  ont  subi  les  altérations  les  plu  s  extraordinaires.  Nous 
en  citerons  quelques  exemples.  Nous  avons  déjà  mentionné  lo  roi  De- 
viçarman  et  son  philosophe  Vidyapati,  devenus  en  arabe  Dabchelim  et 
Bidbah.  Du  premier  nom  Joël  a  ïnil  Disles,  du  second  Sanclebad ,  ayant 
lu  S  pour  B  à  l'initiale,  comme  il  arrive  facilement  dans  l'écriture 
arabe'''*;  les  copistes  deson  œuvre  etde  la  traduction  de  Jean  de  Capoue 
ont  souvent  écrit  Sendehai'^\  sans  doute  sous  l'influence  du  Livre  de 
Sendahar  [où  ce  nom  était  d'ailleurs  une  faute  pour  Sendahad- Sin- 
dibad).  L'espagnol  appelle  le  roi  Dicelem^^^  et  le  philosophe  Beiida- 

'''  kalilug  iind  Diimnaij ,  trad.  Bickeil,  p.  a5.  dans  Jean  de  Capoue  (mss.  de  Paris  el  de  Loii- 

'*'  Voir  sur  tous  ces  points  Bcnfe\  ,  K(il.  and  dres,  Raimond  de  Bé/.iers). 

Damn.,  p.  72-73.  '*'  Sandebar   dans  les  anciennes  éditions  de 

'''  Voir    la   traduction   de  Keilh-Falconer;  Jean  de  Capoue. 

KnatchbuU,  p.    1^7,  donne   tout  ce    passage  '"1  Le  manuscrit  vu  par  Castro  portail  cette 

d'une  façon  altérée.  forme.  Gayangos''(  p.  lia)  donne  Dicelen  (Rai- 

'''  La  forme  Sandebad  parait  être  celle  du  mond  de  ïîéziers  afOizalem  (c'est  la  leçon  du 

manuscrit  hébreu,   bien   que   Derenbourg  la  nis.  85o5,  fol.    35   v°)  ;   le   85o4   (Hervieux, 

rende  par  Sandebar;  elle  est  devenue  Sandcbat  p.  445)  a  Dizalen,  'et  ailleurs,  les  deux  mss. 


HIST.  UTT.  —  XXXIII. 


'9 


22C 


RAIMOND  DE  BRIZIERS. 


ie/j'"'.  Le  roi  du  chapitre  vu,  laissé  anonyme  par  Joël,  est  appelé  dans 
l'espagnol  Berarnant  (arabe  Barliainunt,  sanscrit  Braltmadattiy  Les 
personnages  du  chapitre  x  sont  en  arabe  (nous  n'essayons  pas  de  re- 
monter aux  noms  sanscrits)  le  roi  Sadaram,  sa  femme  Irad,  sa  concu- 
bine GuUiana,  le  ministre  Bilar,  le  tachygraphe  Kali  et  le  sage  Kinta- 
roun;  ils  sont  dans  Joël  Sederam^'^\  Hallabat^^\  Belad^''^  et  Kimirôn;  le 
tachygraphe  est  omis  et  la  concubine  n'est  pas  nommée.  L'espagnol 
les  nomme  Cederam,  Helhed,  Beled  et  Kayem;  le  scribe  s'appelle  Cali, 
la  concubine  J()rfate^^\ 

La  partie  préliminaire  du  livre,  qui  ne  vient  pas  du  sanscrit,  pré- 
sentait aussi  lin  certain  nombre  de  noms  propres,  qui  ont  été  fort  al- 
térés. Le  nom  du  roi  Anoùchirwdn  Khosroii  est  devenu  dans  certaines 
versions  arabes  Nichouriven  Cosre,  dans  l'hébreu  Anastar  Casri,  dans 
l'espagnol  Niujeren  fils  de  Cas^^K  Le  médecin  Barzoûyah  s'appelle 
Berozia  dans  l'hébreu,  Berzehuey  dans  l'espagnol.  Le  nom  du  vizir 
Bouzourdjmihr  avait  été  omis  dans  la  recension  arabe  d'où  pro- 
viennent nos  deux  traductions. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  noms  géographiques,  qui  nous  présen- 
teraient naturellement  les  mêmes  phénomènes;  mais  nous  devons  dire 
un  mot  des  noms  propres  donnés  aux  animaux  qui  paraissent  dans 
les  fables.  La  recension  à  laquelle  remontent  nos  deux  versions  paraît 
en  avoir  conservé  un  très  petit  nombre,  et  Joël  en  a  encore  supprimé 
plusieurs.  Les  noms  des  deux  chacals,  naturellement,  se  sont  main- 
tenus :  Kalîlah  a  été  changé  en  Kelila  (forme  qu'a  conservée  Jean  de 


;85o5,  fol.  69  v";  Hervieux,  p.  5o4),  donnent 
Dixlex.  En  tète  du  chapitre  viii  (=  xiv)  l'édition 
de  Gaynngos  porte  Dabxclim ,  mais  on  peut  se 
demander  avec  Benfey  [Or.  iind  Occ. ,1,  5oo) 
si   cette  forme  n'est  pas  due  à  l'éditeur. 

'''  En  lête  du  chapitre  i  (=  m),  au  lieu  de  : 
Dljo  el  rey  Abendabec  a  su  Jîlosnfo,  il  faut  évi- 
demment lire,  comme  l'a  proposé  Benfey  (Or. 
uiid  Occ. ,  1 ,  5oo)  :  Dijo  el  rey  de  India  [Dixalem] 
a  Bendabec  suJUosofo  (p.  i/i  Bnndabel  B,  Btir- 
diiben  A  est  le  même  nom ,  et  non  celui  de  Bou- 
zourdjmihr, comme  le  dit  Gayangos).  Haimond 
de  Bé/.iers  donne  d'après  son  manuscrit  :  Dixil 
Dizalen  rex  Indoriim  sno  philosopha  Bendabeh 
(Hervieux,  p.  445;  ms.  85o5,  fol.  4i  v°).  Cette 
forme  parait  préférable  à  Bendabec. 

'*'  Attesté  par  le  Sederas  de  Jean  de  Capouc  ; 


Ardoiim  du  manuscrit  hébreu  (pour  Sardoum) 
est  fautif  :  voir  Benley,  Kal.  iind  Damn., 
p.  5o. 

<^'  Dans  .lean  de  (Papoue  Helebat  :  il  y  a  évi- 
demment- plusieurs  fautes  de  lecture  ou  de 
copie. 

<''  BiMrdans  le  manuscrit  hébreu;  mais  la 
confusion  du  d  et  de  l'r  est  fréquente  dans 
l'écriture  hébraïque ,  et  la  forme  Beled,  attestée 
par  Jean  de  (Japoue  et  Haimond  de  Béziers 
[Bilai),  est  confirmée  par  l'espagnol. 

<''  Nous  restituons  ces  noms  à  l'aide  des  va- 
riantes très  confuses  des  manuscrits  do  Gayan- 
gos. 

'*'  Encore  ici ,  à  l'aide  des  deux  manuscrits  el 
de  Raimond ,  nous  rétablissons  la  forme  qui  a  dû 
être  celle  du  traducteur. 


RAIMOND  DE  BÉZIERS.  227 

Capoue).  En  dehors  de  ces  deux  noms,  il  n'y  en  a  pas  beaucoup  qui 
aient  persisté  :  dans  le  chapitre  ii,  le  corbeau,  qui  n'a  pas  de  nom 
dans  l'hébreu,  est  appelé  Geba  dans  l'espagnol'*',  tandis  que  la  souris, 
nommée  Sirac  dans  l'espagnol,  est  dans  l'hébreu  appelée  Sembar^^K 
—  Au  chapitre  vi  le  chat  et  la  souris  s'appellent  dans  l'hébreu  Pen- 
dem  eiRoumi,  dans  l'espagnol  Peridon  (plus  rapproché  de  l'original) 
et  Raner^^l  — L'oiseau  qui  est  le  principal  personnage  du  chapitre  vu 
n'était  pas,  en  sanscrit,  déterminé  dans  son  espèce,  mais  il  avait  \\n 
nom  propre,  Poudjdni;  ce  nom  est  devenu  en  arabe  Finzah,  d'où  l'hé- 
breu Pinza;  l'espagnol  en  a  fait  Catra,  «  par  un  déplacement  des  points 
«diacritiques''''»  qui  montre  bien  à  quelles  déformations  ces  noms 
étrangers  étaient  exposés  de  la  part  des  copistes.  —  Il  faut  mettre  à 
part  les  noms  des  trois  poissons  dans  la  fable  2  du  chapitre  i  :  ces 
noms  marquent  en  sanscrit  le  caractère  de  chacun  d'eux,  et  Bar- 
zoûyah,  au  lieu  de  les  transcrire,  les  a  traduits;  de  traduction  en 
traduction,  ils  sont  arrivés,  à  peu  près  intacts  comme  sens,  à  l'espa- 
gnol, qui  appelle  les  trois  truites  Envisa,  Delibre  et  Perezosa;  Joël 
(ou  du  moins  Jean  de  Capoue)  a  fait  de  ces  noms  de  simples  adjec- 
tifs, qu'il  a  appliqués  à  chacun  des  poissons  [sollicitas,  intelU(/ens , 
piger). 

Maintenant  que  nous  avons  amené  du  fond  de  l'Inde,  à  travers 
l'Asie  et  l'Europe,  le  livre  du  médecin  perse ,  dans  sa  forme  espagnole, 
jusque  sur  le  pupitre  du  médecin  biterrois,  voyons  comment  celui-ci 
s'est  acquitté  de  la  tâche  pour  laquelle  il  s'était  sans  doute  spontané- 
ment ollert. 

Il  est  clair  qu'au  moment  où  il  l'entreprenait  il  ne  connaissait  pas, 
et  on  ne  connaissait  pas  autour  de  lui,  l'œuvre  de  Jean  de  Capoue, 
composée  à  Rome  une  trentaine  d'années  auparavant.  Si  elle  avait  été 
connue,  on  n'aurait  pas  songé  à  traduire  en  latin  le  Calila  et  Dimna 
espagnol;  tout  au  plus  aurait-on  pu  avoir  l'idée  de  revoir  et  d'amé- 
liorer à  l'aide  de  celui-ci  la  traduction  latine  existante.  Mais  Raimond 

'''  P.  4i   h;  Gebaî  dans  Raitnond.  Cela  ne  <''  Ces  noms,  très  altérés  dans  les  manu- 

ressemble  guère  au  Jjaghupatanaka  du  sanscrit  scrits  espagnols,  sont  rétablis  ici  à  l'aide  de 

(Pantsck.,  t.  II,  p.  i56).  Le  syriaque  ne  lui  Raimond  de  Béziers  ;  l'arabe    a    Peridoun    et 

donne  pas  de  nom.  Boami  (  en   sanscrit  Palita    et   Lomaça  :  voir 

'*'  Sanscrit  Hiranyaka,  arabe  Zirak.  On  ne  Benfey,  Pantschat.,  t.  I,  p.  546). 
devine  pas  la  cause  de  l'altération  de  l'hébreu.  '*'  Derenbourg,  Direct.,  p.  236. 

39. 


228  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

a  certainement  commencé  son  travail  sans  autre  ressource  que  le 
manuscrit  rapporté  d'Espagne  et  sa  connaissance  du  castillan.  *• 

Cette  connaissance,  d'après  Hervieux''^  était  nulle  :  il  avait  accepté 
une  tâche  qu'il  était  absolument  incapable  de  remplir.  Nous  croyons 
que  cette  appréciation  est  quelque  peu  excessive,  et  que  Raimond 
était  en  état,  grâce  à  son  parler  languedocien  natal  et  au  latin,  de 
comprendre  en  gros  le  livre  qu'il  avait  sous  les  yeux  :  c'est  ce  qui 
ressortira  de  l'examen  que  nous  allons  faire  de  la  partie  de  son  œuvre 
qu'il  a  réellement  tirée  du  livre  espagnol  qu'il  avait  sous  les  yeux. 

Il  faut  en  effet  distinguer  dans  cette  œuvre  trois  éléments,  que 
nous  examinerons  successivement:  i"  la  partie  empruntée  à  l'espa- 
gnol avant  la  connaissance  de  la  version  latine  de  Jean  de  Gapoue, 
mais  qui  a  été,  plus  tard,  çà  et  là  retouchée  à  l'aide  de  celle-ci;  2°  la 
partie  copiée  purement  et  simplement  de  Jean  de  Capoue;  3"  les  addi- 
tions propres  à  Raimond.  Nous  ne  nous  occuperons  pour  le  moment 
que  des  deux  premières  parties;  nous  reviendrons  ensuite  sur  la  troi- 
sième. Nous  laisserons  aussi  de  côté,  provisoirement,  le  prologue,  la 
table  des  chapitres '^\  et  la  table  des  notahilia,  qui  demandent  à  être 
examinés  à  part. 

Le  chapitre  i  de  Raimond  correspond  au  «prologue»  du  livre  es- 
pagnol et  du  Kélila  et  à  la  préface  d'Abdallah  ibn-Almoqaffa^^l  11  suffit 
de  les  comparer  dans  le  texte  latin  et  dans  Raimond  pour  voir  que 
celui-ci  ne  s'est  pas  servi  de  Jean  de  Capoue,  qui  diffère  ici  assez  sen- 
siblement du  texte  espagnol.  Pour  les  considérations  morales  et  didac- 
tiques, Raimond  imite,  et  d'assez  loin,  l'espagnol  plutôt  qu'il  ne  le  tra- 
duit; il  en  a  cependant  conservé  des  expressions  caractéristiques,  comme 
juglaria,  rendu  par  verhajoculatoria;  mais  en  général  il  a  procédé  fort 
librement,  beaucoup  abrégé  et  aussi  quelque  peu  ajouté  (par  exemple 
la  réflexion  sur  les  honneurs  dont  jouissaient  autrefois  les  philosophes, 
la  comparaison  tirée  de  la  noix  qu'un  enfant  voudrait  manger  sans 
l'avoir  ouverte).  — Le  conte  1  nous  montre  le  procédé  que  Raimond  a 
constamment  employé  tant  qu'il  n'a  pas  connu  Jean  de  Capoue  :  ce  conte 
a  dans  l'arabe  une  vingtaine  de  lignes  :  Joël  (Jean)  et  l'espagnol  l'ont 
traduit  fidèlement  ;  Raimond  l'a  resserré  en  trois  lignes,  qui  n'en  don- 

'"'  Loc.  cit.,  p.  57.  précédé  de  quelques  lignes  concernant  l'his- 

'*'  Not.  et  extr.,   t.  X,  2'  partie,  j).  4o.  toire  antérieure  du  livre,  sur  lesquelles  nous 

'''  Dans  .lean    de   (lapoue  ce  prologue  est        reviendrons. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


229 


nent  que  le  squelette.  Cela  semble  bien  indiquer  qu'il  saisissait  en  gros 
le  sens  de  son  modèle,  mais  qu'il  était  incapable  d'en  reproduire  les 
détails,  caries  contes  ainsi  abrégés  perdent  souvent  presque  tout  leur 
intérêt.  —  Le  conte  2 ,  particulièrement  difficile  à  comprendre,  est  sim- 
plement omis.  —  Le  conte  3  n'est  pas  abrégé  comme  le  conte  1  '*',  et 
il  est  certainement  fait  sur  l'espagnol ,  qui  est  d'ailleurs  assez  librement 
traité;  nous  donnons  ici,  comme  spécimen,  les  trois  versions  corres- 
pondantes, pour  qu'on  voie  bien  que  Raimond  n'a  pas  utilisé  Jean  de 
Capoue;  nous  pourrions  en  faire  autant  pour  tous  les  contes  que 
nous  apprécions  de  même. 


ESPAGNOL. 

.  .  .  E^  atal  como  el  home 
que  dicen  que  entré  el  ladron 
en  su  casa  de  noche ,  é  sopo  el 
logar  donde  estaba  el  ladron , 
e   dijo  :  «  Quiero  callar  fasta 

•  ver  lo  que  fard ,  e  de  que  hu- 
■  biese  acabado  de  tomarlo  que 

•  quisiere ,  levantarme  hc  para 
"  gelo  quitar.  •  Et  el  ladron  an- 
duvo  por  casa ,  et  tomô  lo  que 
fallo,  et  entre  tanto  il  duefio 
dormiose  ;  ë  el  ladrou  fuése  con 
todo  cuanto  fallo  en  su  casa  ;  et 
despues  desperto  é  fallo  que 
habia  el  ladron  ievado  cuanto 
ténia,  et  entonce  comenzo  el 
home  bueno  ci  culparse  é  mal- 
traerse,  é  entendio  que  el  su 
saber  non  le  ténia  pro,  pues 
que  non  usara  dél. 


RAIMOND. 

.  .  .  Est  similis  cuidam  ho- 
mini  qui,  cum  vidisset  latro- 
nem  qucnidam  de  nocte  in- 
trantem  casam  suam ,  ut  ipsum 
in  culpa  comprehenderet ,  cau- 
telam  subtilissimam  cogita- 
vit,  scilicet  ut  fingeret  se 
dormire  '*',  ad  videndum  quid 
latro  perageret,  ut  ipsum  la- 
tronem  comprehensum  condi- 
gne  severe  legum  subjiceret 
ultioni  '''.  Et  tune  ipse ,  in  hac 
sagacitate  pertractans,  latrone 
discurrente  per  domum,  rea- 
liter obdormivit.  Et  tune  latro 
exspoliavit  domum  ejus  sine 
aliquo  nocumento  '*'.  Et  sic  illi 
homini  non  profuit  ''''  sua  sa- 
gacitas ,  quia  ipsam  ad  operam 
non  reduxit. 


JEAN  DE  CAPOUE. 

Cum  quidam  jaceret  nocte 
in  sua  domo,  percepit  quod 
fur  intendebat  intrare  do- 
mum. Et  scienspaterfamiliasea 
que  fur  intendebat,  dixit  intra 
se  :  «  Silebo  huic  furi  donec 
«  videbo  quid  agat  ;  et  dimittam 
«  ipsum  donec  congregetomnia 
«  que  voluerit  ;  postmodum  vero 
«  exurgam  adversus  eum ,  et , 
«  ablatis  omnibus  de  manu  sua , 
«  percutiam  eum  fortiter.  »  Fecit 
ita  (que)  paterfamilias ,  et  si- 
luit  furi,  donec  congregavit 
omnia  que  voluit.  Ultimo  vero 
rapuit  sopor  patremfamilias, 
et  fuit  hoc  in  bonum  furis ,  et 
abiit  fur  viam  suam  illesus. 
Posthec  vero  excitatus  pater- 
familias, et  videns  cuncta  que 
acta  fuerant  a  fure,  et  quia  re- 
cesserat,  cepit  conqueri  ad- 
versus seipsum,  et  sibi  tribuit 
culpam,  sciens  sibi  non  va- 
luisse  scientiam ,  postquam  non 
•  exercuit  illam. 


A  partir  d'ici  le  prologue  de  Raimond  n'a  presque  plus  aucun  rapport 
avec  son  original  :  Raimond  moralise  à  sa  façon,  et  nous  parlerons 


'"'  Quoi  qu'en  dise  Hervieux,  p.  407. 
'*'  Cela  n'est  pas  dans  l'espagnol;  peut-être 
Raimond   ne  comprenait-il  pas  le  mot  callar. 
''*  Addition  de  Raimond. 


'*'  Tout  ce  qui  est  entre  despiies  et  elsu  saber 
est  omis. 

'*'  Leçon  des  deux  manuscrits  ;  Hervieux 
imprime  proficit. 


230 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


plus  tard  de  ce  morceau.  Il  a  cependant  conservé  les  deux  derniers 
contes  d'Abdallah '^\  Dans  le  conte  des  deux  associés  dont  l'un  veut 
voler  l'autre  et  est  dupe  de  sa  propre  ruse,  il  s'agissait  dans  l'espa- 
gnol (et  dans  l'arabe)  de  sésame  (que  Jean  de  Capoue  a  rendu  bizarre- 
ment par  zizania)  :  Raimond  n'a  pas  compris  le  mot  et  a  mis  brave- 
ment bladum.  Il  n'y  a  dans  ce  prologue,  on  le  voit,  aucune  trace  de  la 
connaissance  de  Jean  de  Capoue. 

Il  en  est  de  même  pour  les  chapitres  consacrés  à  la  mission  et  à  la 
vie  de  Barzoûyah,  et  il  serait  fastidieux  d'en  donner  les  preuves;  re- 
marquons seulement  que,  le  manuscrit  qu'avait  Raimond  étant  fort 
bon,  sa  traduction  peut  quelquefois  servir  à  corriger  le  texte  espa- 
gnol'^^.  Mais  il  faut  noter  une  particularité  que  S.  de  Sacy  a  déjà  re- 
levée et  fort  bien  expliquée.  Tandis  que  le  médecin  de  Khosrou  est 
dans  le  texte  de  Raimond  appelé  Berzebny  (faute  de  lecture  pour  le 
Berzehay  que  portait  le  manuscrit  espagnol),  les  litres  des  chapitres 
et  les  légendes  des  figures  écrites  en  rouge  le  nomment  Berosias;  la 
première  de  ces  légendes  est  même  :  Figura  régis  locjuentis  cuin  Berosia 
vel Berzebny.  Ces  rubriques  sont  postérieures  à  l'achèvement  du  livre; 
les  légendes  des  figures  ont  même  été  exécutées,  suivant  toute  appa- 
rence, comme  nous  le  verrons,  ainsi  que  les  figures  elles-mêmes, 
d'après  un  manuscrit  de  Jean  de  Capoue.  La  traduction,  dans  les 
considérations  morales  qui  remplissent  la  plus  grande  partie  de  ce 
morceau,  est  abrégée  et  lointaine.  —  H  y  a  plus  de  précision  dans  la 
traduction  des  cinq  contes  insérés  par  Barzoûyah,  mais  elle  est  tou- 
jours très  abrégée.  Pour  aucun  de  ces  contes  on  ne  peut  constater 
d'influence  exercée  par  Jean  de  Capoue.  Le  conte  2  est  assez  obscur 
dans  toutes  les  rédactions,  mais  l'est  surtout  dans  celle  de  Raimond, 


'''  D'après  M.  Hervieux,  de  la  fable  de  L'A- 
veugle et  le  Clairvoyant ,  «  qui  devait  figurer  ici  » , 
le  sujet  est  seulement  indiqué.  Mais  il  en  est  de 
même,  à  quelques  mots  près,  dans  l'original. 

'''  Le  ms.  espagnol  de  Raimond,  pour  Ahou- 
chirvan,  devait  avoir  Nageren,  que  naimond  a 
conservé  (voir  Not.  et  exlr.,  t.  X,  2*  partie, 
p.  i4,  n.  4),  au  lieu  du  Nixhnen  ou  Sirechuel 
des  manuscrits  espagnols  qui  nous  sont  par- 
venus. —  La  biographie  de  Barzoûyah  com- 
mence ainsi  dans  ces  manuscrits  :  Mi  padre 
fuéde  Mercecilia  (A;  de  Mortadilla  B  )  ;  Gayangos 
remarque  que  l'arabe  porte  :  «  Mon  père  hit 


•  des  motacilat  (  guerriers  j  »  ;  Raimond  nous 
donne  :  Pater  meus  fuit  Jiliiis  Mocatalis  (cf. 
Not.  et  exlr.,  t.  X,  1"  partie,  p.  a5).  Joël  (re- 
présenté par  Jean  de  Capovie)  n'a  pas  essayé 
de  comprendre  ce  passage,  non  plus  que  le 
suivant:  «  et  ma  mère  hit  d'une  des  principales 
maisons  des  Acemacima  ou  mages  » ,  que  l'es 
pagnol  a  rendu  par  :  et  mi  madré  fué  de  los  del 
Algahe,  et  de  los  legislas;  Jean  a  naïvement  : 
Fuit  pater  meus  de  tali  progenie  et  mater  mea 
de  nobilibus  talium.  Raimond  a  pour  le  second 
membre  de  phrase  :  et  generosa  mater  mea  fuit 
in  scienciis  nataralibas  atque  legalibas  informata. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


231 


qui  n'y  a  rien  compris.  Il  s'agit  d'un  amant  auquel  la  femme,  le  mari 
survenant  à  l'improviste,  dit  de  s'enfuir  par  le  souterrain  qu'elle  a 
fait  pratiquer  auprès  du  puits  :  il  revient  en  disant  qu'il  n'a  pas  trouvé 
le  puits,  et  il  est  pris  par  le  mari.  Le  mot  pozo  paraît  n'avoir  pas  été 
compris  par  Raimond^'^  qui  a  ainsi  travesti  ce  conte,  d'ailleurs  peu 
intéressant  :  Fecit  [muUer]Jierl  in  domo  (juamdam fenestram.  et  posiiit^^^  in 
ea  (juemdam  alveiim  phunheum,  ut,  inarito  casiiahler  occurrente,  posset  per 
alveumjugere  J'ornicator.  Ambobus  vero  consislentibus ,  mantus  casaaliter 
supenenit,  et,  fornicario  volente  fmjere ,  alveas  cecidit^^\  et  J'ornicator  fait 
ab  hospite  comprehensns.  —  Dans  le  conte  3 ,  il  s'agit  de  pierres  pré- 
cieuses, comme  dans  l'espagnol,  et  non  de  perles,  comme  dans  Jean 
de  Capoue  et  certainement  dans  l'original.  —  La  fable  qui  suit  [Le 
Chien  (jui  lâche  la  proie  pour  l'ombre)  est  extrêmement  abrégée. 

Dans  le  chapitre  ii  (=iv),  le  plus  long  et  le  plus  important  du  livre, 
le  vrai  Calila  et  Dimna,  la  traduction  de  Raimond  n'est  pas  moins 
complètement  indépendante  de  celle  de  Jean  de  Capoue.  Les  rai- 
sonnements et  les  discussions  y  sont,  comme  précédemment,  plutôt 
imités  de  loin  que  traduits;  les  contes  et  les  fables  y  sont  d'ordinaire 
mal  traduits,  abrégés  et  souvent  défigurés;  mais  on  ne  rencontre  (sauf 
dans  des  intercalations  postérieures  sur  lesquelles  nous  revien- 
drons) aucune  trace  d'influence  de  la  version  de  Jean.  Nous  nous 
bornerons  à  énumérer  rapidement  ces  contes  et  fables,  en  notant, 
quand  il  y  aura  lieu,  quelques  particularités,  i .  L'Homme  prédestiné  à 
la  mort^'^K  —  2.  Le  Singe  pris  dans  la  poutre.  Raimond  supprime  la 
fin.  —  3.  Le  Renard  et  le  tambourin.  —  4-  Le  Religieux  et  le  Voleur. — 
5.  Le  Renard  et  les  deux  Boucs.  —  6.  L' Empoisonneuse  empoisonnée,  Rai- 
mond a  compris  tout  de  travers  ce  conte  singulier,  dont  le  traducteur 
espagnol  avait  d'ailleurs  atténué  l'indécence'*';  pour  lui  la  maîtresse 
de  la  maison  veut  tuer  sa  servante,  parce  que  la  mauvaise  conduite  de 


'"'  Cependant  il  a  bien  traduit  pozo  un  peu 
plus  loin. 

'''  11  semble  que  ce  posait  vienne  de  pozo  : 
cerea  del  pozo  do  tienen  a(jua. 

'''  Celte  chute  absurde  du  canal  en  plomb 
pratiqué  dans  la  fenêtre  (  !  )  doit  provenir  du 
mot  caido,  qui  dans  l'espagnol  s'applique  au 
puits. 

'''  Un  bœuf  ne  remplace  ici  l'homme ,  dans 
le  Directorium ,  que  par  une  altération  tout  à 


fait  propre  à  l'imprimé  (voir  Joiiin.  des  Sav., 

1899,  P-  5.93)- 

'*'  Tandis  que  dans  l'original  et  dans  Jean 
de  Capoue  la  méchante  femme  essaie  de  se- 
ringuer  du  poison  dans  le  fondement  de  celui 
qu'elle  veut  faire  périr,  ici  elle  veut  lui  en  in- 
jecter dans  les  narines.  Ce  changement  a  été  fait, 
indépendamment,  dans  l'ancienne  traduction 
allemande  de  Jean  de  Capoue  ;  d'autres  ver- 
sions ont  substitué  la  bouche ,  ou  même  l'oreille. 


232  RAIMONI)  DK  BKZIKRS. 

celle-ci  est  honteuse  pour  l'hôte  qu'elle  reçoit'",   tandis  que  dans 
l'original  elle  essaie  d'empoisonner  un  amant  auquel  s'obstine  à  rester 
fidèle  une  fdle  de  la  débauche  de  laquelle  elle  vit.  —  7.  Le  Nez  coupé. 
Ce  conte  célèbre  est,  —  sauf,  au  début,  une  abréviation  qui  le  rend 
un  peu  obscur,  —  traduit  assez  exactement  de  l'espagnol.  —  8.  Le 
Corbeau  et  le  Serpent.  Le  corbeau,  pour  se  défendre  du  serpent,  demande 
conseil,  dans  l'arabe,  à  un  chacal,  dont  l'espagnol  a  fait,  suivant  son 
habitude,  un  loba  cerval,  que  Raimond  a  changé  en  simple  loup;  Jean 
de  Capoue,  que  le  mot  ibnawâ  a  toujours  embarrassé,  y  substitue  un 
«  compagnon  »,  non  déterminé,  du  corbeau.  —  9.  Le  Héron,  les  Pois- 
sons et  l'Kcrevisse.  Raimond  a  gardé  le  nom  espagnol  du  héron,  (jarra 
(dans  Joël  «un  oiseau»);  mais  il  a,  le  plus  bizarrement  du  monde, 
rendu  cangrejo,  «  écrevisse  » ,  parrenafor(  cette  même  traduction  inepte 
se  retrouve  encore  plus  loin  )  ;  il  rend  par  turtures  les  truchas  de  l'espa- 
gnol. —  )  o.  Le  Lion  et  le  Lièvre.  —   11.  Les  trois  Poissons.  L'espa- 
gnol est  seul  à  appeler  ces  poissons  des  truites,  ce  que  Raimond  rend 
encore  par  turtures.  —  1  2.  Le  Pou  et  la  Puce.  —  i3.  Le  Canard  et  le 
rejlet  de  l'étoile.  Raimond  a  conservé  le  canard  [anade)  de  fespagnol, 
tandis  que  Jean  de  Capoue  a  simplement  «  un  oiseau  aquatique  ».  — 
ilx.  Le  Lion,  ses  trois  Conseillers  et  le  Chameau.  Les  trois  conseillers  du 
lion,  dans  cette  belle  fable  (origine  lointaine  des  Animaux  malades  de  la 
peste) ,  sont  en  sanscrit  une  panthère,  un  corbeau  et  un  chacal;  déjà  en 
pehlvi  (à  en  juger  par  le  syriaque  et  l'arabe)  la  panthère  était  deve- 
nue un  loup;  du  chacal,  Jean  de  Capoue  a  fait  cette  fois  un  renard, 
l'espagnol,  comme  toujours,   un  lobo  cerval;  Raimond,  qui  d'ordi- 
naire rend  lobo  cerval  simplement  par  «  loup  »,  a  été  embarrassé  parce 
qu'il  V  avait  déjà  un  loup  dans  l'histoire,  et  a  mis,  malencontreuse- 
ment, un  daim  [damna).  —  j  5.  Le  Courlis  et  le  Génie  de  la  mer.  Le  mot 
tittuy  pour  «  courlis  »,  qui  du  sanscrit  s'est  transmis  jusqu'à  l'espagnol 
(voir  ci-dessus,  p.  2  2 1 ,  n.  1  ),  a  suggéré  à  Raimond  l'invention  du  mot 
tibilonfja,  tandis  que  Jean  de  Capoue  en  fait  vaguement  «  un  oiseau  »; 
il  a  traduit  littéralement  le  mayordomo  del  mar  espagnol  (voir  ci-des- 
sus, p.   2  2  0),  par  majordomus  maris;  mais  il  ajoute  cette  remarque 
singulière  :  Est  aatem  majordomus  maris  (fuedam  avis  previa  tempestatis. 


'"'  H  faut  cerlainement  corriger  hospiti,  rcligiosus  (p.  46 1)  en  hospiti  religioso,  bien  que  les 
deux  manuscrits  nient  religiosus. 


EAIMOND  DE  BEZIERS.  233 

Il  y  a  du  reste,  à  l'endroit  où  il  s'agit  de  ce  personnage,  une  faute  qui 
se  retrouve  dans  Jean  de  Capoue  (où  il  est  appelé  diix  maris),  et  qui 
appartient  probablement  à  la  recension  arabe  qui  est  la  source  com- 
mune de  Joël  et  de  l'espagnol  *''.  Raimond  n'a  rien  compris  à  la  fin  de 
la  fable  et  l'a  supprimée.  —  16.  Les  deux  Canards  et  la  Tortue.  Rai- 
mond conserve  les  canards  [anodes)  de  l'espagnol,  dont  Jean  fait  sim- 
plement des  «  oiseaux  » ,  et  rend  galapago  par  tortaca  et  non  par  testudo 
comme  Jean.  —  17.  Les  Singes  et  le  Ver  luisant.  Raimond  a  bien  com- 
pris l'espagnol  luciérnaga^^\  et  l'a  rendu  par  (juemdam  vermem  haben- 
tem  lucemcjuinoticula  (1.  noctiluca)  nuncupatur;  Jean  de  Capoue  a  lucalam 
(jae  lucet  in  nocte.  —  18.  L'Arbre  pris  en  témoignage.  —  ig.  Le  Héron,  le 
Serpent  et  la  Mangouste.  Nous  retrouvons  ici  le  mot  espagnol  garça  con- 
servé par  Raimond;  il  appelle  vipera  le  serpent  qui  dans  notre  texte 
espagnol  esl  appelé  cnlebra;  l'espagnol  ayant  rendu  absurdement  par 
liron  le  nom  arabe  de  la  mangouste,  il  traduit  à  son  tour  //ron  par  sy h (- 
rioliis,  qui  ne  vaut  pas  mieux ,  et  encore  ici  il  traduit  cangrejo  par  venalor. 
—  20.  Le  Dépositaire  injidèle.  L'aborde  l'espagnol  est  dans  Raimond 
un  ancipiter,  tandis  que  Jean  de  Capoue,  suivant  son  habitude,  en 
fait  «  un  oiseau  »  quelconque.  Raimond,  soit  qu'il  n'ait  pas  bien  com- 
pris l'espagnol,  soit  de  son  plein  gré,  a  changé  certains  détails  du 
récit,  mais,  cette  fois,  assez  heureusement.  —  Nous  parlerons  plus 
loin  d'un  conte  étranger  à  l'original  et  à  l'espagnol,  que  Raimond  a 
plus  tard,  d'après  Jean  de  Capoue,  inséré  entre  les  n°'  19  et  20. 

Le  chapitre  i*"'  (v  de  Raimond,  m  de  Jean  de  Capoue),  avec  ses 
quatre  contes,  se  comporte  comme  le  précédent,  c'est-à-dire  que 
Raimond  imite  de  plus  ou  moins  loin  le  texte  espagnol  pour  les  dis- 
cours et  les  raisonnements  et  le  traduit  plus  ou  moins  imparfaitement 
pour  les  récils;  ce  chapitre  n'appelle  pas  de  remarque  particulière. 

Il  en  est  de  même  du  chapitre  11  (vi  de  Raimond,  iv  de  Jean)  jusqu'à 
l'endroit  que  nous  allons  indiquer.  Mais  à  cet  endroit  le  procédé  change 
tout  à  coup,  et  la  traduction  de  l'hébreu  par  Jean  de  Capoue  rem- 
place, pour  tout  le  reste  de  l'ouvrage,  celle  de  l'espagnol  par  Raimond. 
Celle-ci  va  jusqu'au  récit  que  la  souris  fait  à  ses  amis  des  malheurs 
de  sa  vie  passée.  Les  premières  lignes  de  ce  récit  sont  encore  traduites 

<"'  Derenbourg  pense  que  la  méprise  appar-  '''  L'édition  Gayangos  porte  ciérnaga,  mot 

lient  à  Jean  de  Capoue  ;  mais  alors  elle  ne  se  qui  n'a  jamais  existé ,  et  qui  aurait  dû  être 
retrouverait  pas  dans  l'espagnol.  corrigé. 

HIST.  LITT.  —  wxm.  3o 


234  RAIMOND  DE  BÉZIERS. 

de  l'espagnol  et  diffèrent  des  lignes  correspondantes  de  la  version  de 
Jean  de  Capoue,  comme  le  montre  la  juxtaposition  suivante  : 


ESPAGNOL  ,  p.  43  a. 

Do  yo  nascî  fué  en  casa  de 
un  religioso  que  non  habia  mu- 
jer  nin  hijos ,  et  traianie  cada 
dia  en  un  canastiello  de  co- 
rner, et  comia  dello  una  vcz  en 
el  dia ,  é  lo  que  le  sobraba  col- 
gâbalo  en  un  canastiello  que 
ténia  en  casa,  etyoacechâbalo 
fasta  que  salia  de  casa ,  et  desf 
veni'ame  para  el  canastiello ,  é 
non  dejaba  cosa  de  que  non 
comiese ,  é  lo  otro  echâbalo  à 
los  otros  mures  '"'. 


RAIMOND,  p.  842- 

Elgo  fui  natus  in  donio  cu- 
jusdam  religiosi  qui  non  habe- 
bat  fiiios  nec  uxorem ,  et  por- 
tabantur  sibi  cotidie  eiemosine 
quas  reponebat  in  quodam  ca- 
nastello  suspenso  in  medio 
domus,  et  postquam  ipse  dor- 
miebat,  saltabam  ad  canistrum, 
et  comedebam  secundum  libi- 
tum, et  residua  muribus  subsis- 
tentibus  dispergebam  '*'. 


JEAN  DE  CAPOUE,  p.     l4/|. 

Fuit  principium  habitationi» 
mee  in  tali  terra  in  domo  cujus- 
dam  viri  sancti ,  heremite ,  qui 
nunquam  habuerat  mulierem. 
Qui ,  cum  oflerrent  sibi  bomi- 
nes  singulis  diebns  panera  in 
canistro  et  comederet  ad  suam 
suflicienliam,  residuum  recol- 
ligens  in  canistro  suspendebat 
in  domo.  Ego  autem  observa- 
bam  donec  exiret  heremita, 
saltansque  ad  canistrum  nihil 
ibi  reiinquebatn ,  et  comedens 
quod  volebam  dabam  resi- 
duum aliis  muribus  qui  erant 
in  domo  '''. 


Mais  si  nous  continuons  la  juxtaposition  des  trois  textes,  nous  ver- 
rons que  celui  de  Raimond  s'écarte  de  l'espagnol,  et,  sauf  d'inutiles 
additions  (que  nous  signalons  par  des  italiques) ,  une  ou  deux  omis- 
sions et  des  fautes  de  copie,  n'est  que  la  reproduction  pure  et  simple 
de  celui  de  Jean  de  Capoue  : 


ESPAGNOL. 

Et  punnô  el  religioso  muchas 
veces  de  colgar  el  canastiello 
do  yo  non  lo  alcanzase ,  é  non 
pudo.  E  acaesciô  que  posé  con 
él  una  noche  un  huéspet, 
et  cenaron  amos,  et  estando 
amos  asf  fablando ,  dijo  el 
religioso  al  huéspet  :  «  De  que 
«  ères  é  do  quieres  ir  agora  ?  • 
Et  este  huéspet  habia  andado 
a  muchas  tierras  é  habia  visto 


RAIMOND. 

Et  post  malta  tempora ,  cum 
niteretur  heremita  suspendere 
canistrum  in  loco  luto  in  quo 
non  possem  pervenire,  nichil 
proficiebat  qain  facerem  meum 
velle.  Quadam  vero  die,  cum 
quidam  percgrinus  superve- 
niret ,  comcderunt  bene  simul 
et  biberunt,  et  accipiens  here- 
mita totum  residuum  quod  eis 
remanserat  post  comestionem , 


JEAN  DE  CAPOUE. 

Et  cum  niteretur  heremita 
suspendere  canistrum  in  tuto 
loco  in  quo  non  possem  perve- 
nire ,  nihil  ei  proficiebat.  Qua- 
dam vero  die  cum  superveniret 
ei  peregrinus  quidam ,  comedc- 
runt  et  biberunt  simul  bene.  Et 
accipiens  heremita  totum  resi- 
duum quod  eis  remanserat 
post  comestionem ,  reposuit  in 
canistro  et  suspendit  illud,  et 


'"'  Il  faut  restituer  à  l'espagnol  les  mots  cor- 
respondants à  ceux  de  Raimond,  suspenso  in 
medio  domus,  dont  l'équivalent  se  retrouve  dans 
toutes  les  versions.  De  même  veniame  doit  être 
corrigé ,  d'après  Raimond  et  les  autres  versions , 
en  saltaba. 

'*'  Raimond  a  passé  les  mots  et  comia  dello 
una  vez  en  el  dia,  é  lo  que  le  sobraba.  Il  a  sub- 


stitué le  sommeil  du  religieux  à  sa  sortie,  sans 
doute  parce  qu'il  n'a  pas  compris  acechàbalo. 

«  Le  ms.  B.  N.  nouv.  acq.  lat.  648  (  fol.  53  i ) , 
dont  nous  reproduisons  le  texte,  est  exempt  de 
plusieurs  fautes  de  l'imprimé  qui  ont  donné 
lieu  à  des  observations  de  Derenbourg.  Ainsi 
l'imprimé  omet  in  canistro  et  substitue  ut  à  et 
devant  comederet  ;  il  ajoute  me  avant  observabam. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


235 


maravUlas,  et  comeniole  & 
contar;  et  estando  asî  el  reli- 
gioso  comenzô  â  sonar  sus 
palmas  por  mi  facer  fuir  del 
canastiello,  et  ensanose  el 
huéspet  por  ello,  é  dijo  al 
religioso  :  «  Yo  departo  contigo, 
•  étu  menosprecias  mis  Tablas , 
«  é  suenastus  palmas;  por  que 
«  me  rogaste  que  depai-tiese 
«  contigo  ?  » 


cepit  loqui  cum  peregrino, 
qui  perambulaverat  mundum 
et  iverat  usque  ad  extremitates 
ejus,  nec  reliquerat  locum  in 
quo  non  fuisset ,  et  viderat  mi- 
rabilia  mundietmonstra.  Here- 
mita  vero,  nonattendens  verbis 
peregrini,  non  sinebat  trepi- 
dare  suis  manibus  adversus  ca- 
nistrum ,  ut  me  fugaret.  Et 
videns  hoc  peregrinus  turbatus 
est  contra  heremitam ,  dicens  : 
«  Ego  narro  tibi  verba  mea  ; 
«  tu  autem  non  attendis  ea ,  nec 
«  tibi  sapiunt  '''.  » 


illud  in  canistro  posuit  reli- 
quum  quod  remansit  et  illud 
suspendit  ubi  solebat ,  et  cepit 
loqui  cum  peregrino,  qui  per- 
ambulaverat totum  mun- 
dum ,  nec  reliquerat  locum  in 
quo  veraciter  non  stetisset,  et 
viderat  mirabilia  hujas  mundi 
et  monstra  que  eidcm  apparae- 
rant.  Heremita  vero,  non 
attendons  verbis  peregrini , 
non  sinebat  suis  manibus  ad- 
versus canistrum,  ut  me  fu- 
garet, continua  trepidare.  Et 
videns  hoc  peregrinus  contra 
heremitam  turbatus  est,  dicens 
ei  :  •  Ego  tibi  verba  mea  enarro  ; 

•  tu  autem  non  attendis  nec 
«  adverlis  ad  ea  que  tibi  morali- 
«  ter  sum  locutus ,  nec  tibi  sa- 

•  piunt  verba  mea  ''*.  » 

C'est  à  la  fin  du  passage  cité  précédemment  que  se  termine  l'œuvre 
de  traduction  de  Raimond.  Le  reste  du  livre  qu'il  a  présenté  à  Phi- 
lippe le  Bel  comme  étant  en  entier  traduit  par  lui  de  yspanico  in 
latinum  n'est  qu'une  simple  copie  de  Jean  de  Capoue  ^^K  Nous  n'au- 
rions plus  à  nous  en  occuper  (sauf  à  revenir  sur  les  interpolations 
que  présente  la  rédaction  amplifiée),  si  nous  ne  devions  appeler  l'at- 
tention sur  les  modifications,  très  légères  d'ailleurs,  que  Raimond  a 
fait  subir  au  texte  qu'il  copiait.  Nous  demandons,  à  cet  effet,  la  per- 
mission de  mettre  encore  en  regard  deux  passages  de  Jean  de  Capoue 
dans  le  texte  et  dans  la  copie  **^  Il  est  inutile  d'en  rapprocher  la  version 


'"'  Le  texte  de  Jean  de  Capoue  permet  de 
corriger  quelques  fautes  des  copistes  de  Rai- 
mond: lisez  dejiciebat  pour  projiciebat;  entre  re- 
mansit et  et  illud  les  deux  manuscrits  répètent  et 
post  comestionem  posait  in  canistro;  ils  donnent 
enarraho  pour  enarro,  et  le  ms.  85o5  change 
en  conséquence  attendis  et  advertis  en  attendes 
et  advertes  (leçons  qu'Hervieux  juge,  à  tort, 
préférables). 

'''  Le  texte  est  encore  ici  donné  d'après  le 
ros.  B.  N.  nouv.  acq.  lat.  648,  qui  est  géné- 
ralement d'accord  avec  Raimond  :  tuto  pour 
tuiiori;  omission  d'un  qui  fautif  avant  comede- 
rant;  cepit  loqui  cum  peregrino  pour  loqaebatar 
peregrinus.  En  revanche  le  manuscrit  a  à  tort 


sapervenire  pour  pervenire.  Le  manuscrit  et 
l'imprimé  ont  en  commun ,  comme  le  prouve 
le  texte  de  Raimond,  les  mauvaises  leçons 
perambalabat  et  viderit  pour  perambulaverat  et 
viderat. 

'''  A  ce  titre  le  livre  de  Raimond ,  depuis 
l'endroit  marqué,  sera  très  utile  à  un  futur 
éditeur  de  Jean  de  Capoue ,  puisqu'il  a  pour 
base  un  manuscrit  bien  plus  ancien  que  ceux 
qui  nous  sont  parvenus  et  à  peu  près  contempo- 
rain de  l'auteur. 

'*'  D'autres  passages  de  Jean  de  Capoue  et 
de  Raimond  ont  été  juxtaposés  par  S.  de  Sacy 
et  par  Hervieux  et  donnent  lieu  aux  mêmes 
observations. 


3o. 


236 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


espagnole.  Voici  d'abord  la  fin  du  chapitre  m  (vu  deRaimond,  v  de 
Jean)  : 

JEAN  DEnAPOUE,  éd.  Dercnbourg ,  p.  161. 

Inquit  rex  suo  philosophe  :  «  Perspiciendum 
«  est  in  hujusmodi  parabulis  quomodo  pervenit 
■  concilium  parvorum  animaliiim  et  vilium 
«  avium  juvancium  se  invicem  ;  maxime  homi- 
I  nés  qui  se  constituèrent  in  hac  consuetudine , 
«  pervenlret  eis  fructus  operacionum  suarum  et 
«  suorum  processuum ,  rectitude  in  conservando 
«  opus  misericordie  et  odiendo  pravitatem  et 
•  elongando  iniquitatem  '"'.  » 


RAIMOND  DE  BEZIERS,  p.   167. 

Inquit  rex  philosophe  suo  ista  rcrba  :  «  Per- 
«  spiciendum  est  in  hujusmodi  parabolis  quo- 
«  modo  pervenitconciliumparvorumanimalium 
ï  et  vilium  avium  Invicem  se  adjuvancium  ; 
«  maxime  homines  qui  se  constituèrent  in  hac 
«  consuetudine ,  eis  fructus  operacionum  suarum 
1  et  rectitude  suorum  processuum  in  conser- 
«  vando  opus  misericordie  teraciter  pervenirel, 
«  et  pev consequens  odiendo  pravilatem ,  et  iniqui- 
ntatem  procul  dubio  elongando  '*'.  » 


Nous  choisirons  pour  le  second  parallèle  le  conte  qui  termine  le 
chapitre  XII  (xvii  de  Raiinond,  xv  de  Jean),  et  qui,  bien  que  sûrement 
authentique,  manque  dans  le  texte  imprimé  de  Jean  de  Capoue  : 


JEAN  DE  CAPOUE,  ms.  de  Paris,  fol.  loa  h. 
Et  loquens  alius  dixit  :  Tenemur,  domine 
rex,  laudare  Deum  quia  te  regem  super  nos 
constituit ,  et  quia  omnia  sunt  a  Deo  predesti- 
nata.  Et  vebis  dico  quod  tempère  mee  puericie 
assistebam  cuidam  virorum  nobiiium  ;  sed 
cum  factus  fuissem  vir,  visum  est  michi  relin- 
quere  mundum  et  ejus  voluplates:  et  separa- 
tus  ab  eo  remanserunt  michi  de  mee  salarie 
due  denarii ,  et  deliberavi  in  mee  anime  dare 
unura  eerum  in  eleniesinam,  alterum  vero  pre 
meo  victu  retinere.  Et  cogitavi  dicens  :  «  Non 
«  est  in  munde  meritum  sicut  meritum  alicujus 
«  anime  redempcienis.  »  Et  cum  venissem  ad  fo- 
rum occurrit  michi  venalor  quidam  portans 
duas  celumbas ,  quarum  unam  emere  volui  pro 
une  argenleo,  et  noluit.  Et  cum  cogitassem  ne 
forte  masculus  et  femina  essent  et  eas  separans 
peccatum  incurrerem,  emi  utramque  pro  due- 
bus  argenteis.  Poslmedum    cogitavi,  dicens  : 

•  Si  liberavere  ees  circa  hominum  habitacio- 

•  nem  ,  dubito  ne  quande  ab  hominibus  capian- 


RAIMOND  DE   séziERS ,  p.  -jAl. 

Exsurgens  alius  dixit  eis  :  Tenemur,  domine 
rex,  laudare  Deum,  omnium  creuiorem,  quia  te 
super  nos  constituit  talem  regem ,  et  quia  om- 
nia sunt  a  Deo  predestinata  recio  ordine  et 
creata.  Et  dico  vobis  quod  in  tempère  mee 
puericie  cuidam  virorum  nobiiium  assistebam; 
sed  cum  factus  fuissem  vir,  visum  fuit  michi 
relinquere  istiim  mundum  ejusque  pariter  vo- 
luptates  ;  et  ab  eo  separatus  michi  duo  denarii 
de  meo  salarie  remanserunt,  et  deliberavi  in 
mee  anime  ununi  in  elemosina  pro  Dei  servicio 
elargiri ,  alterum  vero  pre  mee  viclu  pênes  me 
retinere.  Et  cogitavi  sic  dicende  :  t  Non  est 
0  in  munde  meritum  sicut  meritum  alicujus 
«  rederapcionis  anime  in  hoc  mnndo.  •  Et  cum 
ivissem  foras ,  quidam  venator  proiinus  obviavit , 
portans  duas  celumbas  in  suis  manibus  valde 
paieras,  quarum  unam  emere  volui  pro  uno 
argentée ,  sed  noluit  consenlire.  Et  cum  cogitas- 
sem ut  forsitan  essent  masculus  et  femella, 
et  eos  separans  peccatum ybrsifan  incurrerem, 


'"'  Ici  encore  nous  donnons  le  texte  du  ms. 
de  Paris  (fol.  58  i),  presque  partoutd'accord  avec 
celui  de  Raimond  :  c'est  ainsi  qu'il  a /)ara6u/is 
^UT  fabulis ,  quomodo  pour  qaando,  juvancium 
peurjuiare.  Les  mots  pravitatem  et  elongando, 
qui  sont  dans  le  ms.  6d8  et  dans  Raimond, 
manquent  dans  l'imprimé. 

<*'  La    comparaison   du    texte  de  Jean  de 


Capoue  permet  de  corriger  plusieurs  fautes 
des  copistes  de  Raimond,  qui  écrivent  prospi- 
ciendum  pour  perspiciendum,  changent  se  en 
si  avant  et  ajoutent  se  après  constituèrent ,  et 
répètent  eis  après  perveniret.  Nous  ne  relevons 
pas  ici  les  fautes  propres  à  l'un  eu  à  l'autre 
des  deux  manuscrits  de  Raimond  :  elles  n'ont 
que  très  peu  d'intérêt. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


23: 


•  tur,  cum  sinl  débiles  et  volare  non  poterunt.  » 
Et  exiens  ad  magnam  planiciem  procul  ab  ha- 
bitacione  hominum ,  liberavi  eos  ibi.  Qui  trans- 
volantes se  super  quamdam  arborem  posue- 
runt.  Et  volens  inde  discedere ,  audivi  alterum 
dicentem  alteri  :  «  Jam  eruit  nos  iste  a  magna 
«  tribulacione ,  cui  tenemur  bona  retribuere.  » 
Et  vocaverunt  mé ,  dicentes  :  «  Vere  nobis  ma- 
ie gnam  graciam  contulisti ,  quam  tibi  tenemur 

•  recognoscere.  Scias  igitur  quod  in  radiée  hujus 
«arboris  latet  thésaurus;  iode  ibi  et  invenies.  • 
Et  accedens  ad  arborem  fodi  parum  et  mox 
inveni.  Tune  invocavi  Deum  ut  eos  ab  homi- 
nibus  liberaret.  Et  dixi  ad  eos  :  «  Ex  quo  tanta 
«est  vestra  intelligencia,  et  volatis  intercelum 
■  et  terram ,  quomodo  in  hune  laqueum  inci- 
«  distisde  quo  vos  liberavi  ?  »  Dixerunt  autem  ad 
me  :  «  Vir  sapiens ,  nonne  scivisti  quia  non  valet 
«  cursus levibus  nec  bellacio  potentibus,  sed  in 
«  tempore divine  destinacionis  claudunturoculi , 
«  ut  quis  non  valeat  sibi  cavere  ab  eo  quod  super 
«  ipsum  scriptum  est  desuper'*'?» 


eml  utramque  pro  duobus  argenteis.  Postmo- 
dum  iii  animo  cogita vi  :  «  Si  eos  liberavero  circa 
«hominum  habitacionem , dubito  ne,  cum  sint 
«débiles  et  volare  non  poterunt,  abhominibus 
«  capiantur.  »  Et  exiens  ad  magnam  planiciem 
procul  ab  habitacione  hominum,  eos  ibidem 
liberavi.  Qui  statim  volantes  super  quadam 
arbore  i/i  inslanli,  et  volantes  inde  ab  arbore 
descenderunt ,  et  audivi  alterum  ipsum  alteri 
sic  dicentem  :  «  A  magna  tribulacione  iste  Homo 
«liberavit  nos,  cui  tenemur  boiia  retribuere 
«  sno  loco.  »  Tune  me  taliter  vocaverunt  :  «  Vere 
«  nobis  maximam  graciam  contulisti,  quam  tibi 
«  tenemur  cognoscerei/i/empoj'eop/)or/uno.Scias 
«  igitur  quod  in  radice  liujus  arboris  thésaurus 
•  maximum  est  absconsus;  fode  ibidem  et  inve- 
«  nies  absqae  inora.  »  Et  accessi  ad  arborem  et 
fodi  parum  et  inveni  que  dixerant  dicte  aves.  Et 
tune  invocavi  Deum  ut  eas  ab  omni  periculo 
liberaret,  et  ad  eas  dixi  l'sta  l'ccia  :  «  Ex  quo 
Il  tanta  est  vestra  intelligencia,  et  volatis  inter 
«  celum  et  terram  ,  quomodo  in  hune  laqueum 
«  incidistis  de  quo  vos  [hodie]  liberavi  ?  »  Et  dixe- 
runt tune  aves  ad  me  :  «  O  vir  sapiens,  nonne 
«  scivisti  (juia  non  valet  levibus  cursus  nec  po- 
«  tcntibus  bellacio ,  sed  tempore  destinacionis 
«  divine  claudunturoculi ,  ut  quis  non  valeat  sibi 
«  cavere  abeo  quod  super  ipsum  est  destinatum 
«  et  quod  est  scriptum  desuper  in  hoc  mando^'^?  » 

Il  est  facile  de  voir  que  le  texte  de  Raimond  ne  diffère  de  celui  de 
Jean  de  Capoue  que  par  de  rares  changements  de  mots,  quelques 
interversions,  et  surtout  l'addition  de  mots  inutiles,  particulièrement 
d'adverbes  et  de  compléments  superflus.  Hervieux  volt  dans  ces 
modifications  superficielles  un  effort  du  plagiaire  pour  «  démarquer  » 
ses  emprunts,  et  il  ajoute,  ce  qui  est  inexact,  que  plus  Raimond  avan- 
çait dans  sa  copie,  moins  il  essayait  de  dissimuler  ainsi  son  plagiat. 
Le  vrai  caractère  du  travail  auquel  s'est  livré  Raimond  de  Béziers 
apparaît  quand  on  remarque  que,  dans  les  parties  du  livre  qui  sont 
incontestablement  de  lui,  il  s'astreint  autant  que  possible  aux  règles 
du  cursus,  ou  plutôt  à  la  seule  qui  fût  comprise  et  usitée  de  son 


'"'  Nous  avons  constitué  le  texte  avec  l'aide 
du  ms.  de  Paris  et  de  l'imprimé  ;  nous  n'entrons 
pas  dans  les  détails.  Cf.  Ward,  op.  cit.,  p.  167. 

'''  Nous  avons  rectifié  le  texte  des  manu- 
scrits à  l'aide  de  celui  de  Jean  de  Capoue  ;  on 
verra  pourquoi  nous  avons  cru  devoir  ajouter 


hodie  avant  liberavi.  La  leçon  Et  volantes  inde 
ab  arbore  descenderunt  pour  Et  volens  inde  dis- 
cedere est  une  erreur  de  Raimond  ou  plutôt 
de  l'auteur  de  la  copie  qu'il  avait  sous  les  yeux  : 
l'hébreu  donne  (p.  200)  «  pendant  que  je  m'en 
retournais  ». 


238 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


temps,  et  qui.consisle  à  exiger  que  toutes  les  propositions  finales  et, 
autant  que  possible,  les  autres  propositions  se  terminent  par  un 
double  trochée  tonique  précédé  d'un  dactyle  tonique  (par  exemple, 
dans  le  chapitre  ii,  ceteris  honorabat,  pardhus  residebat,  incomparabilem 
et  immensnm;  dans  le  chapitre  m,  penitus  siint  incerta,  snavUer  super 
domum,  etc.).  C'est  à  cette  règle  qu'il  s'est  efforcé  d'assujettir  le  texte 
qu'il  copiait,  pour  le  conformer  à  ce  qu'il  avait  écrit  lui-même  :  qu'on 
veuille  bien  examiner  dans  les  morceaux  cités  les  mots  changés  ou 
déplacés,  et  surtout  les  mots  ajoutés,  qui  sont  imprimés  en  italiques; 
on  verra  que  changements,  déplacements,  additions  n'ont  (sauf  de 
très  rares  v6xceptions,  imputables  peut-être  aux  copistes)  qu'un  seul 
but  :  faire  que  le  plus  grand  nombre  possible  de  propositions,  et 
toujours  les  propositions  finales,  se  terminent  par  cette  chute.  Rai- 
mond  n'a  pas  été  difficile  pour  le  choix  de  ses  additions  ides  adverbes 
comme  taliter,  prodnus,  veraciter,  procul dabio ,  des  explétifs  comme  ista 
verba,  illa  die,  lïla  hora,  illomodo,  ahscjue  mora,  etc.,  composent  presque 
tout  son  arsenal,  et  il  les  emploie  souvent  d'une  façon  si  peu  justifiée 
qu'ils  donnent  à  la  phrase  une  lourdeur  choquante  et  parfois  même 
embarrassent  le  sens.  Si  on  les  retranche,  on  trouve,  sauf  les  quelques 
substitutions  d'homonymes  et  les  interversions,  un  texte  de  Jean  de 
Capoue  généralement  excellent,  tel  qu'on  devait  s'y  attendre  d'après 
la  date  du  manuscrit  suivi  par  Raimond''l  II  est  amusant  d'observer 
le  travail  puéril  et  acharné  que  s'est  imposé  le  plagiaire  pour  accom- 
moder ce  texte  à  des  règles  auxquelles  l'auteur  italien  n'avait  pas 
songé  à  se  soumettre. 

Quant  à  l'œuvre  de  Raimond  de  Béziers  comme  traducteur,  qui, 
nous  l'avons  dit,  est  terminée  au  moment  où  commence  son  travail 
de  copiste,  elle  est  assurément  fort  médiocre;  toutefois  elle  a  un  cer- 
tain intérêt  pour  l'histoire  littéraire,  puisqu'elle  est,  si  nous  ne  nous 


'*'  Les  différences  relevées  par  Hervieux 
(p.  49-5o)  entre  Jean  de  Capoue  et  I\aimond 
de  Béziers  sont  illusoires  à  partir  du  milieu  du 
chapitre  vi  (  =  viii).  Les  noms  Peridon  et 
Romi  donnés  au  chat  et  au  rat  de  ce  cha- 
pitre sont  ceux  des  manuscrits  de  Jean  de 
Capoue  (voir  ci-dessus,  p.  aay,  n.  3).  —  Les 
variantes  des  noms  du  chapitre  vu  sont  pure- 
ment graphiques.  —  C'est  bien  un  loup ,  dans 
les  manuscrits  de  Jean  de  Capoue  comme  dans 


Raimond,  et  non  un  renard  ,  comme  dans  le 
Jean  de  Capoue  imprimé,  qui  admoneste  Ja 
lionne  au  chapitre  x.  —  Le  conte  du  chapitre  xii 
qui  manque  dans  le  Direclorium  imprimé  est 
celui  que  nous  venons  de  donner  d'après  le  ma- 
nuscrit de  Paris.  —  Le  nom  de  l'oiseau  perfide 
du  chapitre  xii'"  (=xvi)  est  dans  Jean  de  Capoue 
(voir  ci-dessus,  p.  aa4)  maizam  d'après  les  ma- 
nuscrits, dont  le  maziam  (et  non  masia)  de  Rai- 
mond n'est  qu'une  légère  altération. 


MIMOND  DE  BEZIERS.  239 

trompons,  le  seul  essai  de  traduction  du  castillan  qu'ait  produit  la 
France  du  moyen  âge.  Pour  l'étude  de  l'histoire  du  Kalilah  et  Dimnah, 
elle  pouvait  avoir  de  la  valeur  tant  qu'on  n'en  connaissait  pas  l'origi- 
nal espagnol;  maintenant  que  nous  le  possédons, elle  peut  nous  donner 
une  idée  du  manuscrit  dont  Raimond  a  fait  usage  et  qui  était  sensi- 
blement plus  ancien  que  les  deux  qui  ont  servi  à  l'édition  moderne; 
mais  le  peu  d'exactitude  de  la  traduction  de  Raimond  ne  nous  permet 
guère,  d'ordinaii'e,  de  retrouver  les  leçons  de  son  manuscrit,  et  son 
livre,  dans  sa  première  partie,  ne  peut  servir  qu'à  rectifier  çà  et  là 
quelque  forme  altérée  de  nom  propre. 

11  nous  reste  à  revenir  sur  quelques  cas  où  Raimond  de  Béziers, 
même  dans  sa  première  partie,  a  utilisé  le  livre  de  Jean  de  Capoue. 
Mais  il  faut  d'abord  essayer  de  nous  rendre  compte ,  avec  plus  de  pré- 
cision que  nous  ne  l'avons  fait,  des  conditions  dans  lesquelles  est  née 
son  œuvre  à  moitié  personnelle,  à  moitié  plagiée.  Il  est  certain,  nous 
l'avons  dit,  que,  quand  il  entreprit  son  travail,  il  n'avait  à  sa  disposi- 
tion que  le  Calila  et  Dimna  espagnol  et  n'avait  aucune  connaissance  de 
Jean  de  Capoue.  Il  nous  paraît  Ibrt  probable  qu'à  la  mort  de  la  reine 
Jeanne  il  dut  restituer  le  manuscrit  qui  lui  avait  été  confié,  et  que 
c'est  pour  cela,  plus  encore  que  pour  la  «désolation»  que  lui  causa 
cette  mort,  qu'il  renonça  au  travail  commencé.  Le  fait  est  qu'à  partir 
de  fendroit  indiqué  on  ne  trouve  plus  dans  son  livre  aucune  trace  du 
livre  espagnol  :  il  aurait  pu  cependant  s'en  servir  pour  introduire  çà 
et  là  quelques  variantes,  ne  fût-ce  que  dans  les  noms,  et  masquer 
ainsi  quelque  peu  son  plagiat;  mais  il  ne  l'a  fait  nulle  part,  ce  qui 
démontre  à  nos  yeux  qu'il  n'avait  plus  le  manuscrit  espagnol  à  sa 
disposition. 

Il  ne  pensait  pas  sans  doute  pouvoir  jamais  reprendre  l'œuvre  inter- 
rompue, quand  un  hasard  inespéré  lui  mit  entre  les  mains  un  ma- 
nuscritde  Jean  de  Capoue  (apporté  peut-être  d'Italie  à  la  cour  papale, 
établie  à  Avignon  depuis  iSog).  Il  se  garda  bien  de  souffler  mot  de 
sa  trouvaille,  et  il  copia,  en  l'arrangeant  comme  on  vient  de  le  voir,  la 
seconde  partie  du  livre,  l'ajouta  tranquillement  à  ses  anciens  cahiers, 
fit  recopier  le  tout  dans  un  exemplaire  de  luxe,  et  l'offrit  à  Philippe 
le  Bel,  en  i3i4,  comme  entièrement  traduit  de  l'espagnol. 

En  fait,  la  première  partie  seule  avait  été  exécutée  par  lui  d'après 
la  version  castillane.  Quand  il  la  fit  recopier  pour  la  joindre  à  la  se- 


240  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

conde,  qu'il  empruntait  à  Jean  de  Capoue,  il  ne  paraît  avoir  fait 
subir  à  son  travail,  qui  aurait  cependant  pu  y  gagner  beaucoup, 
aucune  retouche  à  l'aide  de  la  traduction  latine  qu'il  s'appropriait 
pour  la  suite.  Il  s'en  servit  seulement,  comme  nous  le  verrons,  pour 
le  Proemium,  qui  n'était  pas  dans  l'espagnol.  Il  ne  fit  d'ailleurs 
au  livre  de  Jean  de  Capoue,  pour  la  première  partie,  qu'une  sorte 
d'emprunts.  Le  manuscrit  espagnol  dont  il  s'était  servi  paraît  avoir 
été,  comme  c'est  le  cas  pour  un  grand  nombre  de  manuscrits  du 
moyen  âge,  dépourvu  des  rubriques  qu'il  aurait  dû  contenir:  elles 
avaient  sans  doute  été  laissées  en  blanc  pour  être  remplies  par  un 
rubricateur,  lequel  n'avait  pas  accompli  sa  tâche.  Raimond  dut, 
sur  l'exemplaire  qu'il  destinait  au  roi,  combler  cette  lacune  :  il  le 
fit  avec  l'aide  du  manuscrit  de  Jean  de  Capoue, qui,  lui,  contenait  la 
série  complète  des  rubriques.  Mais,  agissant  à  l'étourdie  comme  il 
en  était  coutumier,  il  n'a  pas  pris  la  peine  de  corriger  certains  détails 
qui,  dans  les  rubriques  empruntées  à  Jean,  ne  cadraient  pas  avec  son 
texte,  emprunté  à  l'espagnol.  Contrairement  à  toutes  les  versions,  il  a 
fait  du  prologue  d'Abdallah  ibu-Almoqaffa  son  premier  chapitre,  qu'il 
a  intitulé,  de  son  chef.  De  condicionihus  antujuorum philosophoram ;  dans 
Jean  de  Capoue,  ce  prologue  était  simplement  désigné  comme  Proe- 
mium. Le  chapitre  suivant,  consacré  à  la  mission  de  Barzoûyah,  forme 
chez  Jean  de  Capoue  un  second  proemium^^^ -,  dans  le  manuscrit  espa- 
gnol imprimé  par  Gayangos  il  forme  le  chapitre  premier;  Raimond 
en  a  fait  le  chapitre  ii,  et  il  a  reproduit  le  titre  donné  par  Jean  de 
Capoue:  Quomodo  rex  misit  Berosiam,  sunm  medicum,  inprovincia  Indie^'^\ 
sans  faire  attention  qu'il  appelait  Berzehny  dans  son  texte  celui  qu'il 
nomme  Berosias  dans  la  rubrique.  —  L'autobiographie  de  Barzoûyah 
forme,  chez  Jean  de  Capoue,  le  chapitre  premier,  dans  l'édition  es- 
pagnole le  chapitre  ii;  chez  Raimond,  elle  forme  le  troisième,  et 
dans  toute  la  suite  du  livre  il  est  ainsi,  pour  le  compte  des  cha- 
pitres, en  avance  d'un  numéro  sur  l'espagnol,  de  deux  numéros  sur 
Jean  de  Capoue'^'.  Cette  autobiographie  a  pour  titre,  chez  lui  comme 

'')  Ms.  Bibl.  nat.  nouv.  acq.  lat.  648 ,  fol.  5  v°.  '*'  Le  ms.  85o5  présente  ici  une  sinf^ularité. 

Dans  Jean  de  Capoue,  ce  chapitre  n'a  ni  titre  La  table  des  chapitres,  dont  nous  parlerons 

ni  numéro.  plus  tard,  est  conforme  à  la  numération  du 

'"'  Ms.  nouv.  acq.  6(i8  :  Quomodo  re.v  [misit]  ms.  85o4;  mais  la  biographie  de  Bai-zoûyah, 

lieroziam,  medicum  suam,  in  provincia  Yndie.  (jui  dans  celle  table  et  dans  85o4  est  le  cha- 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


241 


chez  Jean  de  Capoue*''  :  De  Berosia  medico,  et  est  de  equitate  et  de  timoré 
Dei;  seulement  Raimond  a  cru  devoir  ajouter,  dans  l'édition  am- 
plifiée, ac  dilectione  Dei  et  proximi,  de  contentu  (sic)  mundi,  et  cetera. 
Les  chapitres  iv,  v  et  vi  de  Raimond  (ii,  m  et  iv  de  Jean  de  Capoue) 
ont  également  des  rubriques  prises  à  Jean,  mais  ces  rubriques  n'of- 
frent plus  rien  de  contradictoire  avec  le  texte. 

La  partie  de  l'ouvrage  de  Raimond  traduite  de  l'espagnol  a  en- 
core subi  d'une  autre  façon  l'influence  du  livre  de  Jean  de  Capoue. 
C'est  dans  ce  livre,  certainement,  que  Raimond  a  pris  tout  au  moins 
l'idée  et  le  sujet  des  images  dont  il  a  orné  l'exemplaire  royal  de  son 
ouvrage  et  les  rubriques  qui  les  accompagnent;  images  et  rubriques 
manquaient  dans  le  manuscrit  espagnol.  Aucun  des  trois  manuscrits 
de  Jean  de  Capoue  que  nous  connaissons  ne  contient  d'images;  mais 
tous  présentent  les  rubriques  destinées  à  guider  l'illustrateur  qui  n'est 
pas  venu  ^"*.  Le  manuscrit  que  Raimond  a  eu  sous  les  yeux  avait-il  les 
images?  Nous  n'en  savons  rien;  mais  il  avait  certainement  les  ru- 
briques. Raimond  les  a  reproduites  dans  l'exemplaire  de  luxe  qui  nous 
est  parvenu,  et  il  a  fait  exécuter  les  images,  soit  d'après  celles  du 
livre  de  Jean,  soit,  plus  probablement,  d'après  les  simples  indica- 
tions des  rubriques.  Mais  ces  rubriques,  pour  la  première  partie,  ne 
cadraient  pas  toujours  exactement  avec  son  texte,  et  il  a  cette  fois 
pris  soin  d'en  modifier  au  moins  une.  En  outre  il  en  a  ajouté,  dans 
le  chapitre  consacré  à  l'autobiographie  de  Barzoûyah,  plusieurs  qui 
se  réfèrent  à  ses  additions  personnelles,  dont  nous  parlerons  plus 
loin.  Laissant  ces  dernières  de  côté,  nous  allons  rapporter  ici  les  ru- 
briques qui  accompagnent  les  images  de  la  partie  du  livre  traduite  de 
l'espagnol,  en  mettant  en  regard  celles  du  Dircctorium  imprimé  et,  à 
partir  de  l'endroit  où  commence  le  manuscrit  hébreu,  celles  que  ce 
manuscrit  contient  (sans  images).  Le  ms.  85o5  de  Raimond  n'a  pas 


pitre  troisicme,  est  précédée  (fol.  36  r°)  des 
mots  :  Incipiant  capitula  libri.  Capituliim  pri- 
mum  de  Bosia  seti  Berzebuy  mcdici,  et  est  de 
equitate  et  timoré  Domini.  Il  est  très  curieux 
que  les  deux  Fautes  Bosia  pour  Berosia  et  medici 
pour  medico  se  retrouvent  dans  85o.4  (  (ol.  1 3 , 
c.  2;  Hervieux,  p.  4i8),  qui  porte  d'ailleurs  : 
Explicit  capitiiliim  secundum.  Incipit  capitalum 
tercium,  etc.  H  semble  que  l'original  des  deux 
manuscrits  portait,  conformément   à  la  pre- 


mière rédaction  de  Raimond  :  Incipit  capita- 
lum prlmum  de  [l'ita]  Berzebuy  medici,  et  que 
cette  rul)rique  a  été  corrigée  d'après  celle  du 
livre  de  Jean  de  Capoue.  —  Les  seize  cha- 
pitres suivants  sont ,  dans  85o5 ,  dépourvus  de 
la  désignation  numérique  qui,  dans  85o4, 
précède  l'incipit  pour  chacun  d'eux. 

'"'  D'après  le  ms.  648.  Le  Directoriam  a  un 
peu  modifié  ce  titre. 

'''  Voir  Journal  des  Savants ,  i8f)9,  p.  59). 

.il 


242  RAIMOND  DE  BEZIERS. 

d'images,  et  ne  présente  qu'un  petit  nombre  de  rubriques,  écrites 
à  l'encre  noire  et  non  distinguées  du  texte;  nous  noterons,  pour 
chacune  de  celles  que  nous  relevons  dans  85o4,  la  correspondance 
avec  85o5.  Nous  ne  commençons  naturellement  notre  relevé  qu'avec 
le  chapitre  ii  de  Raiinond  (second  proemium  de  Jean  de  Capoue),  par 
lequel  débutait  le  manuscrit  espagnol  de  Raimond,  comme  le  font 
les  deux  manuscrits  sur  lesquels  la  version  espagnole  a  été  imprimée. 

Pour  le  texte  même  du  livre,  Raimond  n'a  pas  cherché,  nous 
l'avons  (lit,  à  l'améliorer  à  l'aide  de  celui  de  Jean  de  Capoue;  mais  il 
a  inséré  dans  le  chapitre  i  (iv  de  Raimond,  ii  de  Jean)  un  conte 
(n"  21)  qu'il  n'avait  pas  trouvé  dans  l'espagnol  et  qui  ne  remonte 
en  efiet  ni  à  l'arabe,  ni  au  peblvi  mais  que  Jean  de  Capoue,  ou 
peut-être  déjà  Joël''',  avait  ajouté,  —  en  l'empruntant,  sans  doute 
par  tradition  orale,  au  livre,  également  indien  d'origine,  de  Sindibad, 
—  le  conte  de  la  Femme  et  l' Apothicaire.  Raimond  l'a  intercalé 
(p.  495)  tel  qu'il  se  trouve  dans  Jean  (p.  96),  avec  la  petite  intro- 
duction qui  le  précède.  Il  est  à  remarquer  qu'un  autre  conte,  inséré 
(un  peu  plus  haut)  comme  celui-ci  dans  la  version  de  Jean'^'  et  prove- 
nant aussi  de  Sindibad,  le  conte  célèbre  de  la  Pie  dénonciatrice  mise 
injustement  à  mort  par  son  maître'^',  n'a  pas  été  ajouté  par  Raimond; 
peut-être  ne  figurait-il  pas  dans  le  manuscrit  dont  il  s'est  servi  et 
a-t-il  été  ajouté  plus  tard  par  un  interpolateur  de  Jean  de  Capoue'*'. 

Dans  la  partie  de  son  ouvrage  qui  précède  le  livre  même  de  Dîna 
et  Calila,  Raimond  a  encore  fait  à  Jean  de  Capoue  un  emprunt  que 
nous  devons  signaler.  Celui-ci  avait  placé,  en  tête  du  prologue  qu'il 
traduisait  de  Joël,  et  que  Joël  traduisait  d'Abdallah  ibn-Almoqafia, 
un  petit  exposé  des  destinées  du  livre,  depuis  sa  première  forme  jus- 
qu'à celle  qu'il  lui  donnait.  Raimond  n'avait  rien  trouvé  de  pareil 
dans  la  version  espagnole,  et  le  manuscrit  qu'il  avait  de  cette  version 
était  sans  doute  dépourvu  de  la  rubrique  finale  (offerte  par  les 
deux  manuscrits  qui  ont  servi  de  base  à  l'édition),  d'après  laquelle 
la  version  castillane  aurait  été  faite  sur  une  première  version  latine 
du  livre  arabe '^'.  Aussi,  en  empruntant  à  Jean  de  Capoue  ses  rensei- 

'"'  Voir  ci-dessus,  p.  aai  '''  li  figure  dans  nos  manuscrits  de  Jean  de 

•  '*'  Ed.  Derenbourg,  p.  89;  l'-d.  Hervieux,  Capoue,  mais  il  peut  avoir  été  interpolé  dans 

p.{l58;  ce  conte  est  aussi  dans  le  ms.  648.  leur  original  commun. 
.  C  Voir  Journal  des  Savants,  iSyy,  p.  687.  '*'  Voir  ci-dessus,  p.  ig8. 


RAIMOND  DE  BEZIRRS. 


243 


gnements,  a-t-il,  par  une  erreur  naturelle,  rattaché  à  l'hébreu  la 
version  espagnole.  Il  a  d'ailleurs  placé  ces  renseignements  une  pre- 
mière fois,  tels  à  peu  près  que  chez  Jean,  dans  la  préface  de  la 
rédaction  conservée  dans  le  ms.  85o5,  et  une  seconde  fois,  en  en 
modifiant  la  forme,  dans  la  préface  de  la  rédaction  conservée  dans 
le  ms.  85o4.  Nous  donnons,  en  regard,  avec  le  passage  de  Jean  de 
Capoue,  celui  du  ms.  85o5  et  celui  du  ms.  85o4  : 


Jean  de  Capoce  '''. 

Et  prius  quidem  in  lingua 
fuerat  Indorum  (translatus  '*'), 
inde  in  linguam  translatus  Per- 
sarum ,  postea  vero  reduxerunt 
illum  Arabes  in  linguam  suam. 
Ultimo  exinde  ad  linguam  fuit 
reductus  hebraicam.  Nunc  au- 
tem  nostri  proposili  est  ipsum 
iç  linguam  fundare  latinam. 


Ms.  85o5  P'. 

Iste  autem  liber  prius  fue- 
rat in  lingua Yndorum, et post- 
modum  in  lingua  Persanim. 
Postea  vero  reduxerunt  eum 
Arabes  ad  linguam  suam.  Ul- 
timo exinde  ad  linguam  fuit 
reductus  ebraycam.  Processu 
vero  temporis  de  iiebrayca  lin- 
gua in  ydioma  hispanicum 
apud  Toletum  presens  liber 
ultimo  est  translatus. 


Ms.  85o4(''. 

Qui  quidem  ab  Indorum 
lingua  fuit  in  ydioma  persicum, 
satisque  subsequenter  in  ara- 
bicum ,  exhinc  in  ebraicum ,  a 
quo  finaliter  apud  Tholetum , 
ob  ejus  documentorum  mémo- 
randum ac  venerabile  myste- 
rium ,  in  hyspanicum  translatus 
est. 


On  voit  que  la  rédaction  du  ms.  85o5  (rédaction  simple)  est  sen- 
siblement plus  voisine  de  Jean  de  Capoue  que  celle  du  ms.  85o4 
(rédaction  amplifiée),  d'où  il  résulte  qu'elle  est  antérieure;  on  peut 
donc  croire  que  les  préfaces  et  dédicaces  du  ms.  85o4  sont  un  rema- 
niement de  celles  du  ms.  85o5. 

Nous  arrivons  maintenant  à  ce  qui,  dans  le  livre  de  Rairnond, 
n'est  ni  traduit  plus  ou  moins  fidèlement  de  l'espagnol,  ni  copié  de 
Jean  de  Capoue.  Il  faut  distinguer  ici  la  rédaction  simple  du 
ms.  85o5  et  la  rédaction  amplifiée  du  ms.  85o4.  Dans  la  première, 
on  ne  peut  considérer  comme  appartenant  au  médecin  de  Béziers 
que  les  divers  morceaux  qui  précèdent  le  livre  même.  Ces  morceaux 
ont  sans  doute,  dans  le  manuscrit  qui  a  servi  d'original  au  ms.  85o5, 
été  ajoutés  après  coup.  Us  remplissent  en  effet  dans  celui-ci,  comme 
l'a  remarqué  Hervieux,   un  cahier  à  part,  qui  a  eu  Sa  feuillets. 


'"'  Ms.  nouv.  acq.  648,  fol.  i  ;  éd.  Deren- 
bourg,  p.  8;  éd.  Hervieux,  p.  8o. 

'''  Le  mot  translatus  se  lit  à  la  fois  dans  les 
manuscrits  qui  nous  sont  parvenus  et  dans 
l'édition;  mais  c'est  une  faute  "de  l'original 
commun  des  diverses  copies.  S.  de  Sacy  [Not. 
et  extr.,  t.  X,  2*  part.,  p.   i  2 ,  n.  i)  l'avait  re- 


marqué avec  raison  (cf.  Hervieux,  p.  i3,  n.); 
on  voit  que  le  manuscrit  suivi  par  Raimond 
n'avait  pas  cette  faute. 

'''  Fol.  2  v°  ;  Hervieux ,  p.  43  ;  Journal  des 
Savants.  1898,  p.  172. 

'*'  Fol.  2  r°,  c.  2  ;  Hei-vieux ,  p.  .386  ;  Journal 
des  Savants,  1898,  p.  170. 

3i. 


244  RAIMOND  DE  BKZIERS. 

les  16  premiers  étant  signés  de  ai  à  a  xvi;  le  premier  feuillet  a  dis- 
paru, le  dernier  est  blanc.  Ce  cahier  comprend  quatre  morceaux  : 

1"  Une  épître  dédicatoire  à  Philippe  le  Bel,  dont  le  commence- 
ment, qui  occupait  le  premier  feuillet,  manque.  La  suite'"'  contient, 
sur  le  traducteur  elles  circonstances  dans  lesquelles  il  dit  avoir  exécuté 
son  travail,  des  renseignements  que  nous  avons  résumés  au  début  de 
cette  notice.  On  y  remarque  des  citations  en  vers  et  les  rubriques  de 
deux  images,  qui  représentaient  le  translateur  abandonnant  son 
livre  à  la  mort  de  la  reine  Jeanne  et  le  reprenant  plus  tard,  et  qui  ne 
se  retrouvent  pas  dans  le  ms.  85o4. 

2"  Une  préface,  commençant  au  haut  du  folio  an/v",  et  finissant 
au  milieu  du  folio  ai' v"'^'.  Elle  contient  des  remarques  sur  le  mérite  et 
l'utilité  du  livre,  appelé  Liber  anreus,  Liber  regius,  Liber  sensibilinm  mo- 
raliiim  (ms.  animaliujn)  exemplorumque  snb  exemplis  {l.fiç/uris?)  animalinm 
et  volalilium,  et  enfin  plus  communément  Liber  Digne  et  Calile,  plus  le 
passage  que  nous  avons  cité  sur  l'histoire  antérieure  de  l'ouvrage.  Elle 
se  termine  par  une  exhortation  à  ceux  qui  fréquentent  les  cours  des 
rois  de  lire  et  de  relire  sans  cesse  un  livre  aussi  utile,  au  lieu  de 
perdre  leur  temps  à  des  lectures  frivoles. 

3°  La  table  des  dix-neuf  chapitres  dont  se  compose  l'ouvrage. 
Cette  table,  assez  détaillée,  se  termine  à  l' avant-dernière  ligne  du 
feuillet  coté  a  ixr"  (p.  8  de  la  numérotation  moderne)'"^'. 

4°  Le  reste  du  cahier  préliminaire  est  occupé  par  une  table  mo- 
rale, avec  renvoi  aux  folios  où  se  trouve  chacune  des  moralités  qui 
y  sont  relevées.  Elle  est  précédée  des  mots  :  Incipit  tabula  et  aactori- 
tates.  La  présence  de  cette  table,  qui  paraît  rédigée  avec  soin,  montre 
bien  que,  dans  l'esprit  de  l'auteur  et  des  lecteurs,  c'étaient  les  pré- 
ceptes de  conduite  que  contenait  le  livre  qui  devaient  surtout  le 
rendre  précieux. 

Les  cahiers  suivants  contiennent  le  Liber  Dine  et  Calile,  composé 
comme  nous  l'avons  dit,  et  ne  présentent  rien  de  personnel  à  Raimond, 
sauf  ce  qui  peut  lui  appartenir  dans  les  passages  de  la  première  partie 

'''  Imprimée  par  Hervieux  (p.  t\\),  et  par  <''  On  remarquera,  dans  le  titre  du  cha- 

M.  Léopold  Delisle,   Joiirn.    des   Sav.,    1898,  pitre  11  :  de  ilinere  Bcrzebaii  vel  Betorias  (sic) 

p.  l'ji.  philosophi ,  et  dans  celui  du  chapitre  m  :  Be- 

'*'  Imprimée  en  petite  partie  par  M.  Delisle,  rozias  philosophns.   La   forme  Berozias  {Beto- 

loc.  cit.,  p.  l'ja.  lias)  provient  de  Jean  de  Capone. 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


245 


où  il  paraphrase,  plutôt  qu'il  ne  les  traduit,  les  considérations  poli- 
tiques et  morales  qu'il  trouvait  dans  le  livre  espagnol. 

Sa  part  est  plus  considérable  dans  la  rédaction  dums.  85o4.Nousen 
examinerons  d'abord  la  partie  préliminaire*".  Nous  avons  déjà  parlé 
du  double  feuillet  qui,  sur  deux  pages,  contient  six  miniatures  repré- 
sentant des  scènes  de  la  fête  chevaleresque  donnée  à  la  Pentecôte  de 
i3i3.  Au  verso  de  la  deuxième  de  ces  pages  commence,  après  une 
belle  miniature  représentant  Philippe  le  Bel  entouré  des  siens,  l'épître 
dédicaloire,  qui,  outre  les  louanges  de  Philippe,  les  protestations  de 
dévouement  de  l'auteur  au  roi  et  à  la  famille  royale,  et  des  réflexions 
empruntées  à  saint  Augustin  et  à  saint  Jérôme  sur  les  traductions, 
contient  le  passage  que  nous  avons  déjà  cité  (p.  iqS),  et  qu'on  a  sup- 
posé à  tort  être  d'un  interpolateur  :  In  quo  qindem  libro  addidi  versus, 
proverbia,  auctoritates  et  alia  secundam  propositam  matenam,  prout  in  ipso 
libro  lector  patent  intneri,  dictascjiie  addiciones  diixi  per  rabeum,  ut  ab 
ipso  libro  antiquo  discerni  valeant,  describendas.  Nous  reviendrons  tout  à 
l'heure  sur  cette  particularité. 

2°.  Après  l'épitre  dédicatoire  se  lit  le  Prohemium,  qui  débute  par 
une  invocation  à  la  sainte  Trinité,  et  qui  reproduit  en  partie  la  préface 
du  ms.  85o5.  La  remarque  sur  les  lectures  futiles  auxquelles  se 
plaisent  les  nobles  est  ici  plus  développée  et  mérite  d'être  citée  :  Vos 
igitur  re(jalem  curiam  fréquentantes,  qui  tempus  vestrum  in  narracionibus 
amba(jicis^^\  verbi  gracia  Lanceloti  et  Galvani^^\  consimilibusque  consumitis 
libris^''\  in  quibus  nulla  consistit  sciencia  tel  modica  viqet  utditas,  crebrius 
instudentes ,  abjecla  vanitatis  palea,  Librum  istum  recjium,  virtutum  qrani- 
ferum,  non  solum  semel,  immo  pluries  attentissime  perîegatis.  On  voit  par 
là  combien  la  lecture  des  romans  en  prose  de  la  Table  Ronde,  — 
c'est  certainement  de  ceux-là  qu'il  s'agit,  —  était  à  la  mode  au  com- 
mencement du  XIV*  siècle,  et  en  effet  c'est  de  cette  époque  que  datent 
la  plupart  des  manuscrits  qui  nous  en  ont  été  conservés. 


'''  Comme  feuille  de  garde  figure  un  feuil- 
let écrit  seulement  sur  le  recto  (devenu  le 
verso),  qui  contient  une  préface  inachevée 
(quoi  qu'en  dise  Hervieux)  et  mise  au  re- 
but (comme  l'a,  le  premier,  reconnu  M.  De- 
lisle).  Elle  ressemble  beaucoup  à  l'épitre  dé- 
dicatoire du  ms.  85o5. 

'''  Ce  mot  intéressant,  qui  rappelle  les  pul- 
cherrimas  régis  Arturi  ambages  de  Dante  [De 


valgari  eloquentia),  n'est  pas  dans  85o5.  Le 
copiste  de  85o4  ne  l'a  pas  compris:  il  a  écrit 
aubagacis,  puis  lui  ou  un  autre  a  effacé  le  se- 
cond jambage  du  deuxième  u,  ce  qhi  a  donné 
aubagicis,  que  M.  Delisle  a  laissé  tel  quel; 
M.  Hervieux  imprime  aubagicis. 

'''    Le    ms.    85o5    ne    cite    que    Lancelot. 

<*'  Le  ms.  850i4  porte  libros;  le  ms.  85o5 
a  correctement  :  el  aliis  libris  consimilibus. 


2/|6  RAIMOND  DE  BÉZIERS. 

3°  Vient  ensuite,  comme  dans  85o5,  le  sommaire  des  chapitres. 
Il  est  plus  détaillé,  et  comprend  l'indication  des  récits,  contes  ou 
fables,  insérés  dans  chacun  d'eux.  Il  donne  aussi  le  nombre  de  ces 
récits  et  des  miniatures  de  chaque  chapitre,  ainsi  que  des  vers  qui, 
au  commencement  de  ce  manuscrit,  sont  insérés  dans  chacun  d'eux; 
mais,  comme  l'a  constaté  M.  Hervieux  (p.  62  ),  le  compte  est  inexact 
et  constamment  inférieur  à  la  réalité. 

La  table  morale  qui  se  trouve  dans  le  ms.  85o5  ne  figure 
pas  ici.  Vu  le  nombre  immense  des  additions,  presque  toutes  morales, 
faites  dans  la  rédaction  amplifiée,  cette  table,  déjà  très  longue  pour 
la  rédaction  simple,  aurait  demandé  beaucoup  de  peine  et  aurait  pris 
des  dimensions  excessives. 

Nous  arrivons  maintenant  au  livre  même.  Disons  tout  de  suite  que 
d'un  bout  à  l'autre  la  rédaction  amplifiée  reproduit  intégralement  et 
sans  changement  la  rédaction  simple,  mais  en  y  faisant  des  adjonc- 
tions qui  consistent  à  peu  près  toutes  en  réflexions  morales,  les  unes 
en  prose,  les  autres  en  vers,  presque  toujours  empruntées  à  des 
auteurs  antérieurs.  L'éditeur  de  Raimond  a  identifié  un  grand  nombre 
de  ces  citations;  pour  les  identifier  toutes,  il  faudrait  se  livrer  à  un 
travail  considérable  et  d'une  médiocre  utilité.  M.  Delisle  a  relevé  les 
noms  des  auteurs  indiqués  par  le  manuscrit  même  :  c'est,  pour  la 
prose,  Sénèque,  Cassiodore  et  Pierre  Alphonse;  pour  les  vers,  Horace, 
Ovide,  Lucain,  Martial''',  Maximien,  le  Pseudo-Caton,  les  poèmes  de 
Tobie,  d'Alexandre,  d'Ysopus,  de  Pamphilas  et  du  Contemptus  miindi  :  on 
voit  qu'il  n'y  a  là  rien  de  rare  et  d'intéressant. 

La  façon  dont  ces  additions  sont  pratiquées  est  des  plus  simples.  Le 
texte  de  l'ouvrage  primitif  étant  lui-même  rempli  de  réflexions  mo- 
rales, l'auteur  accroche  à  telle  ou  telle,  par  les  mots  Unde  versus,  ou 
Unde  dicitar,  ou  par  quelque  formule  semblable ,  de  nouvelles  réflexions 
plus  ou  moins  analogues,  dont  il  enfile  parfois  une  série  longue  et 
confuse,  si  bien  que  le  rapport  avec  le  point  de  départ  devient  très 
lâche.  Les  interpolations  sont  d'ailleurs  faites,  en  général,  avec  beau- 
coup de  négligence  et  de  gaucherie  :  elles  sont  introduites  au  milieu 
d'un   récit,   parfois  même  au  milieu  d'une  phrase,   qu'elles  inter- 


'''  U  est  appelé  trois  fois  Martialis  Cocas,  suivant  un  usage  fréquent  au  moyen  âge,  et  dont 
l'origine  n'est  pas  bien  connue. 


i 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  24? 

rompent  mal  à  propos  et  dont  elles  rendent  l'intelligence  difficile. 
C'est  ce  qui  a  porté  Hervieux  à  penser  qu'elles  n'étaient  pas  de 
Raimond,  «  lequel  aurait  avec  plus  d'à-propos  évoqué  les  pensées  mo- 
«  raies  des  prosateurs  et  des  poètes,  et  ne  les  aurait  pas  intercalées  au 
«hasard  au  milieu  d'un  récit,  d'un  dialogue  et  même  d'une  simple 
«  phrase  brusquement  suspendus,  puis  repris  sans  transition.  »  Et 
il  conclut  que  ces  additions  sont  l'œuvre  «  d'un  moine  à  la  fois  1res 
«  dévot  et  très  érudil,  qui,  voyant  dans  la  traduction  du  médecin  de 
«  Béziers  un  monument  de  morale  païenne  conçu  et  exécuté  sous  une 
«forme  attrayante,  a  jugé  qu'il  en  pouvait  faire  et  en  a  fait  un  livre 
«  de  propagande  chrétienne.  »  Il  est  certain  que  l'amplificateur  du  Liber 
de  Dina  et  Calila  est  pieux  et  érudit,  qu'il  introduit  ses  citations  sans 
à-propos  et  les  multiplie  sans  ordre  et  sans  mesure.  Mais  cela  em- 
pèche-t-il  qu'il  puisse  être  Raimond  lui-même.»^  Dans  les  dédicaces 
et  préfaces  dont  Hervieux  ne  refuse  pas  la  paternité  à  Raimond,  ne 
le  voyons-nous  pas  invoquer  Celui 

Qui  rupem  siccam  fundere  jussit  aquas , 

et  produire  sans  grande  raison  des  vers  empruntés  aux  auteurs  mêmes 
qui  sont  le  plus  souvent  cités  dans  les  additions?  Il  suffit  d'ailleurs  de 
lire  ces  morceaux  préliminaires  et  aussi  le  chapitre  i,  imité  plutôt 
que  traduit  de  l'espagnol,  dans  la  partie  commune  aux  deux  rédac- 
tions, pour  se  convaincre  que  Raimond  était  un  esprit  confus  et 
mal  ordonné.  Il  faudrait  donc  des  raisons  d'une  tout  autre  valeur 
pour  nous  induire  à  regarder  comme  des  interpolations  étrangères 
et  la  phrase  de  la  prélace  du  ms.  85o5  où  il  parle  lui-même  des 
additions  qu'il  a  faites  au  texte  et,  par  suite,  ces  additions  elles- 
mêmes.  ,;;, 
Conformément  à  l'indication  donnée  dans  cette  phrase,  les  addi- 
tions de  la  rédaction  amplifiée  sont,  dans  le  ms.  85o4,  écrites 
en  rouge.  Hervieux  assure  (p.  70)  que  «cette  précaution  a  été  fort 
«  mal  observée  ».  Nous  n'avons  pas  eu  l'occasion  de  vérifier  l'exactitude 
de  cette  remarque^'',  et  Hervieux  lui-même,  dans  son  édition,  où 
il  a  pris  soin  d'imprimer  en  petit  texte  ce  qui  n'appartient  qu'à  la 

'''  M.  Delisle  (Journal  des  Savants,  1898,  «  vers,  les  proverbes  et  les  citations  ajoutés  au 
p.  167)  dit  au  contraire  que  «le  scribe  a  mis  «texte  primitif».  Ce  jugement  nous  semble  être 
«  beaucoup  d'attention  à  écrire  en  rouge  les        parfaitement  exact. 


2/i8  lUIMOND  DE  BEZIEKS. 

rédaction  amplifiée,  ne  signale,  si  nous  ne  nous  trompons,  aucun  pas- 
sage qui  aurait  dû  être  écrit  en  rouge  et  l'a  été  en  noir  ou  réciproque- 
ment. 11  est  donc  très  facile,  soit  dans  le  manuscrit,  soit  dans  l'édition, 
de  discerner  ce  qui  appartient  proprement  au  livre  de  Dina  et  Calila 
et  ce  qui  est  ajouté  par  Raimond.  Cela  est  d'ailleurs  rendu  plus  fa- 
cile encore  par  le  ms.  85o5,  qui  ne  contient  pas  les  additions,  et 
qui  est,  comme  nous  l'avons  vu  (p.  iQÔ],  copié  sur  un  original,  au- 
jourd'hui perdu,  autre  que  le  ms.  85o4.  Cet  original  contenait-il 
également  le  texte  amplifié,  avec  la  distinction  des  écritures  noire  et 
rouge  ? 

11  n'est  pas  vraisemblable,  de  prime  abord,  que  Ton  ait  exécuté 
deux  manuscrits  avec  un  tel  luxe.  En  outre,  nous  avons  vu  (p.  2  43) 
la  preuve  que,  dans  une  phrase  empruntée  à  Jean  de  Capoue,  le 
ms.  85o5  présentait  une  rédaction  plus  voisine  du  texte  de  Jean  que 
celle  du  ms.  85o4,  évidemment  remaniée.  Il  est  donc  probable  que 
le  ms,  85o5  nous  représente  le  premier  travail  de  Raimond,  c'est- 
à-dire  sa  version  partielle  de  l'espagnol  achevée  à  l'aide  de  Jean  de 
Capoue  et  complétée  par  les  pièces  préliminaires.  Ce  travail  avait  été 
transcrit  dans  un  exemplaire  destiné  au  roi,  exeniplaire  qui  a  servi  de 
modèle  plus  ou  moins  direct  au  ms.  85o5,  et  auquel  appartenaient 
les  miniatures  qui  ont  été  par  la  suite  annexées  au  ms.  85o4  et 
d'autres  dont  le  ms.  85o5  nous  a  conservé  seulement  les  rubriques. 
Plus  tard,  ayant  fait  à  son  œuvre  des  additions  qui  lui  semblaient 
en  augmenter  beaucoup  la  valeur,  Raimond  s'est  décidé  à  en  enrichir 
l'exemplaire  royal;  il  a  donc  fait  recopier  le  texte  primitif  et  les  addi- 
tions dans  le  manuscrit  définitif  qu'il  a  offert  à  Philippe  le  Bel,  en 
prescrivant  au  copiste  de  tracer  en  rouge  ce  qui  ne  faisait  pas  partie 
du  texte  primitif  et  qui  avait  sans  doute  été  écrit  par  lui,  soit  en 
marge  de  son  autographe,  soit  sur  des  feuillets  isolés *'^ 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  davantage  sur  les  additions  répandues 

'"'  Le  ms.  85o5  se  termine  par  une   sous-  (voir  Delisle,   /.   c,  p.    i64-5,   et  ci-dessus, 

cription  où  il  est  dit  que  l'auteur  a   offert  ce  p.  197).    La  rédaction  simple   avait   dû    être 

livre    au  roi   Philippe    à    l'occasion  des  fêtes  terminée  un  assez  long  temps  avant  l'insertion 

de  la  Pentecôte  de  l'an   i3i.^;  mais  il  est  pro-  des  additions  dans  le  manuscrit  qui  fut  rèelle- 

bahle  (|ue   cette  souscription  n  été  composée  ment  offert  au  roi  non  à  la  Pentecôte  de  I.^i3  , 

avec   des  éléments   empruntés   au   ms.  85o4  mais,  comme    on  l'a  vu  (p.  l^i),  en  i3i4 

ou  n    un    manuscrit    tout    à    fait    semblable  seulement. 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  249 

dans  tout  le  corps  de  l'ouvrage,  et  dont  nous  avons  indiqué  le  carac- 
tère général.  Mais  il  en  est  qui  ont  beaucoup  plus  d'étendue  et  d'im- 
portance, et  dont  nous  devons  dire  quelques  mots. 

L'autobiographie  de  Barzoûyah,  dans  sa  forme  authentique  trans- 
mise du  pehlvi  à  l'arabe  et  de  là  à  l'espagnol,  est,  nous  l'avons  vu,  la 
très  curieuse  confession  d'un  homme  à  la  fois  religieux  et  sceptique, 
qui  trouve  dans  la  morale  l'apaisement  des  anxiétés  de  son  esprit. 
Raimond  de  Béziers,  dans  son  chapitre  m,  l'avait  à  son  tour,  mais 
vaguement  (et  pour  cause),  traduite  de  l'espagnol.  Dans  sa  nouvelle 
rédaction,  il  a  transformé  Barzoûyah  en  un  pieux  chrétien,  qui  disserte 
d'abord  sur  la  foi,  l'espérance  et  la  charité,  puis,  très  longuement,  sur 
l'aumône,  et  enfin  adresse  à  Dieu  une  prière  en  vingt-six  vers.  Là- 
dessus  il  s'endort  et  est  transporté  en  songe  dans  le  paradis,  dont,  au 
réveil,  il  nous  décrit  en  trente  et  un  vers  les  splendeurs  et  les  délices, 
puis  dont  il  nous  énumère  les  habitants  en  plus  de  cent  cinquante 
vers.  Dans  toute  cette  longue  interpolation,  il  n'y  a  que  peu  de  chose 
de  Raimond  :  presque  tout,  prose  et  vers,  est  emprunté  à  des  sources 
dont  il  ne  nous  fait  connaître  qu'un  petit  nombre,  et  qu'on  pourrait 
sans  doute  retrouver  si  une  telle  recherche  valait  la  peine  qu'elle  coû- 
terait. Le  reste  du  chapitre  est  encore  agrémenté  de  sentences  et  sur- 
tout de  vers,  mais  il  ne  l'est  pas  plus  que  le  reste  de  l'ouvrage. 

Le  chapitre  i  **"  (v  de  Raimond,  m  de  Jean) ,  où  est  raconté  le  procès 
de  Dina,  a  subi  une  interpolation  presque  aussi  étendue.  Dina,  quand 
il  est  condamné  à  mort,  demande  un  confesseur,  et  c'est  «l'ermite 
«  Bérosias  »  que  Raimond  fait  venir  auprès  de  lui ,  par  une  singulière 
étourderie,  puisque  le  livre  même  où  figure  ce  récit  est  censé  avoir 
été  rapporté  de  l'Inde  et  traduit  de  l'indien  par  Bérosias.  La  confes- 
sion de  Dina,  que  l'on  peut  attribuer  en  propre  à  Raimond,  ren- 
ferme quelques  traits  qui  semblent  bien  être  des  traits  de  satire  contre 
certains  ministres  de  Philippe  le  Bel,  et  qu'on  est  assez  surpris  de 
trouver  dans  un  ouvrage  dédié  à  ce  prince'"'.  Dans  la  longue  exhor- 

'"'  Il  semble  qu'il  y  ait  à  la  tin  une  allusion  «  rialores  populi.  »  —  Raimond  s'est  avisé 
aux  révoltes  qui  marquèrent  les  dernières  an-  de  mettre  la  scène  en  pays  musulman  : 
nées  du  règne ,  et  la  dernière  phrase ,  d'ailleurs  Dina  va  en  ambassade  à  Bagdad  et  au  Ma- 
rnai placée  dans  la  bouclie  du  perfide  Dina,  roc,  et,  au  lien  de  l'église,  c'est  la  siiiagoga 
vise  clairement  la  cour  du  roi  :  «  Dico  quod  qu'il  s'accuse  d'avoir  peu  fréquentée  ;  ce  mot 
«  in  curia  régis  non  possunt  fidèles  diu  vi-  se  prend  souvent  au  moyen  âge  comme  syno- 
«vere,    sed  adulatores  et   bilingues  et  exco-  nymc  de  mosquée,  et  c'est  sans  doute  ainsi 

Hisr.  UTf.  —  .\x.\iii.  .3a 


250 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


talion  que  Bérosias  adresse  à  Dina  nous  remarquons  un  petit  traité 
de  la  confession,  avec  des  vers  sur  chacun  des  sept  péchés  capitaux 
et  de  leurs  quarante-deux  «  collatéraux  »  ''',  qui  ne  sont  certainement 
pas  l'œuvre  de  Raimond. 

La  plus  considérable  et  la  plus  déplacée  des  interpolations  se  trouve 
au  chapitre  m  (=  vu),  qui  roule  sur  la  guerre  des  corbeaux  et  des 
étourneaux  (mis  ici  par  Jean  de  Capoue  au  lieu  des  hiboux  du  texte 
original).  Elle  n'occupe  pas  moins  de  quarante-cinq  colonnes  du 
manuscrit.  Les  corbeaux  et  les  étourneaux  se  faisant  la  guerre ,  un 
corbeau  joue  le  rôle  de  Zopyre  dans  la  légende  antique,  et  se  fait 
accueillir  par  les  étourneaux,  qu'il  trahit  ensuite  au  profit  de  ses 
congénères.  Lorsque  les  étourneaux  le  trouvent  tout  sanglant  et  qu'il 
leur  raconte  qu'il  est  la  victime  des  siens  et  qu'il  veut  se  venger  d'eux, 
le  roi  des  étourneaux  délibère  avec  ses  trois  conseillers  pour  savoir 
quelle  créance  on  doit  accorder  aux  dires  du  transfuge  et  quel  trai- 
tement il  convient  de  lui  appliquer.  C'est  dans  la  réplique  du  premier 
conseiller  qu'est  insérée,  du  folio  84  /'  au  folio  96  è,  l'interpolation 
en  question.  Elle  consiste  en  un  traité  De  Consilio  et  Consiliariis , 
divisé  en  dix-sept  chapitres ,  lequel  est  suivi  des  chapitres  De  custodia 
persane  in  guerra  constitute,  De  turribus  et  altis  edificiis,  De  siiperbia,  De 
municione,  De  malis  guerre;  ces  chapitres  sont  introduits  par  une 
transition  d'une  remarquable  gaucherie  :  Hec  snnt  que  ego  tibi,  domine, 
consulo  in  presenti;  et  quia  tu,  domine,  multnm  anelas  ad  guerram, 
vola  tibi  aliqnid  de  guerra  et  persona  custodienda  in  gueiris  et  contencionibus 
declarare  (fol.  92  r°  a).  Il  est  clair  que  cette  digression  n'est  ici  nulle- 
ment à  sa  place.  Mais  le  plus  singulier,  c'est  que,  le  roi  ayant  répondu 
à  une  question  que  lui  adresse  l'orateur,  on  lit  ensuite  (fol.  98  r°  b)  : 


qu'il  faut  le  prendre  ici.  Hervieux  (p.  53o, 
n.  1  )  dit  que  ce  mot  «  et  plus  haut  consislorio 
«semblent    indiquer    que,   comme    Jean    de 

•  Capoue,  l'aniplificateur  était  un  juif,  et  dé- 
«  montrer  une  fois  de  plus  qu'il  ne  faut  pas 

•  attribuer  l'amplification  à  Raimond  de  Bé- 
■  ziers,qui  était  chrétien  «.11  oublie  qu'il  a  attri- 
bué cette  amplification,  dont  il  a  fait  remar- 
quer le  caractère  dévot,  à  un  moine,  à  un 

•  religieux  lettré  ». 

'''  Hervieux  dit  (p.  65)  que  «le  récit  est 
«  interrompu  par  la  description  des  sept  péchés 
«capitaux  en  quatrains  léonins  au  nombre  de 


0  deux  par  péché  ».  Cela  est  tout  à  fait  inexact  : 
chaque  péché  capital  remplit  un  vers,  chaque 
péché  collatéral  un;  le  nom  du  péché  capital 
est  en  tète ,  le  nom  des  trois  premiers  et  des 
trois  derniers  des  six  collatéraux  de  chaque 
péché  capital  est  écrit  après  les  trois  vers  qui 
les  désignent.  11  aurait  fallu  disposer  et  ponc- 
tuer ces  vers  et  ces  titres  tout  autrement  que 
ne  l'a  fait  l'éditeur.  Les  vers  contiennent 
nombre  de  fautes  que  l'éditeur  n'a  pas  toutes 
corrigées  ni  même  remarquées.  Nous  citerons 
seulement  nemiiii  pour  Veneri  au  vers  qui  s'ap- 
plique à  la  luxure. 


I 


RAIMOND  DE  BEZIERS.  251 

Corvus  respondit,  tandis  que  celui  qui  parle  est  un  conseiller  du  roi 
des  étourneaux.  D'après  l'éditeur  de  Raimond  (p.  ôgg),  l'incohé- 
rence et  la  prolixité  de  cette  intei'polation  ne  permettent  pas  de  l'attri- 
buer à  Raimond,  et  Hervieux  est  même  porté  à  croire  que  sur  l'œuvre 
du  premier  amplificateur  s'en  est  ici  superposée  une  seconde,  qui, 
à  en  juger  par  sa  nature  et  l'endroit  où  elle  a  été  intercalée,  ne 
saurait  être  attribuée  à  celui-ci.  Nous  croyons,  pour  notre  part,  que 
l'on  a  ici  simplement  l'effet  d'un  désordre  qui  s'est  introduit  dans  les 
notes  destinées  par  Raimond  à  être  incorporées  à  son  travail.  Quant 
au  manque  de  bon  sens  et  de  proportion  que  dénote  cette  longue  in- 
terpolation, nous  ne  trouvons  aucune  difficulté  à  l'attribuer  au  mé- 
decin biterrois.  Hervieux  n'a  pas  eu  le  courage  d'imprimer  ce  fatras, 
et,  bien  que  cela  soit  contraire  aux  principes  qu'il  a  suivis  dans  son 
édition,  nous  n'avons  pas  à  notre  tour  le  courage  de  l'en  blâmer  vive- 
ment. Nous  l'aurions  plutôt  approuvé  d'avoir  laissé  dans  le  manuscrit 
la  plus  grande  partie  de  l'œuvre  qu'il  a  publiée. 

La  dernière  grande  interpolation  de  Raimond  est  d'un  autre  genre. 
Elle  se  trouve  dans  le  chapitre  xii*"'  (xviii  de  Raimond,  xvi  de 
Jean  *'') ,  et  comprend  quatre  contes  copiés  dans  la  Disciplina  clericabs 
de  Pierre  Alphonse,  livre  auquel  Raimond  a  emprunté,  dans  tout 
le  cours  de  son  travail,  nombre  de  sentences  et  de  réflexions  morales. 
Les  quatre  contes  ne  sont  pas  insérés  en  bloc,  mais  sont  ajoutés  à 
quatre  endroits  difierents  du  récit  primitif. 

Telle  est  l'œuvre  de  Raimond  de  Béziers  dans  la  dernière  forme 
qu'il  lui  a  donnée.  Hervieux  l'a  imprimée  tout  entière,  sauf  l'omis- 
sion qui  vient  d'être  signalée.  Nous  ne  pensons  pas  que  cette  publi- 
cation fût  bien  utile.  En  ce  qui  concerne  la  rédaction  simple,  le  livre 
de  Raimond,  dans  sa  seconde  partie,  n'est  qu'une  copie  de  celui 
de  Jean  de  Capoue  avec  les  modifications  de  pure  forme  que  nous 
avons  indiquées  :  cette  partie  sera  très  utile  à  celui  qui  donnera  de 
Jean  de  Capoue  une  nouvelle  édition  fondée  sur  les  manuscrits,  mais  il 
n'était  guère  nécessaire  qu'elle  fût  imprimée  à  part.  La  première  partie 
pouvait  l'être,  ayant  cet  intérêt  de  nous  offrir  la  traduction,  d'ailleurs 


'■'  Hervienx  dit  par  erreur  qu'il  y  a  déjà  un  conte  interpolé  dans  le  chapitre  xii  (=  xvii):  voir 
Joarn.  des  Sav.,  1899,  p.  225,  n.  1,  et  cf.  ilnd.,  p.  587-588. 

33. 


252  RAIMOND  DE  BÉZIERS. 

bien  faible  et  souvent  bien  lointaine,  du  Calila  et  Dimna  espagnol;  on 
jDOUvait  y  joindre  les  pièces  préliminaires  contenues  dans  les  deux 
manuscrits. 

Quant  à  l'amplificalion  subséquente,  ce  n'est  guère  qu'un  cen- 
ton  de  prosB  et  de  vers  qui  ne  méritait  pas  d'être  mis  au  jour.  Il 
aurait  suffi  d'en  extraire  les  quelques  morceaux  qu'on  peut  attribuer 
à  Raimond  lui-même  (comme  la  confession  de  Dina)  et  d'indiquer 
autant  que  possible,  si  on  voulait  faire  de  laborieuses  et  difficiles 
recherches,  les  sources  où  il  a  puisé. 

La  publication  d'Hervieux  est  d'ailleurs  faite  avec  conscience  et 
lui  a  donné  de  la  peine.  Il  a  redressé  un  assez  grand  nombre  des 
fautes  souvent  grossières  commises  presque  à  chaque  ligne  par 
le  copiste  du  ms.  85o4;  le  travail  lui  a  été  quelque  peu  facilité  par  le 
uis.  85o5  pour  les  parties  qui  sont  communes  aux  deux  copies;  mais 
ce  secours  lui  manquait  pour  tout  ce  qui  est  ajouté  dans  la  rédaction 
amplifiée.  Il  resterait  après  lui  bien  des  corrections  à  apporter  à  ce 
texte  si  fâcheusement  défiguré;  mais,  encore  ici,  on  peut  dire  que  le 
résultat  ne  payerait  pas  la  peine. 

L'œuvre  de  Raimond,  depuis  que  Silvestre  de  Sacy  l'a  fait  con- 
naître, a  souvent  excité  la  curiosité  des  savants  :  on  a  cru  posséder  en 
elle  un  anneau  important  de  la  chaîne  qui  relie  le  vieux  livre  pehlvi 
venu  de  l'Inde  à  la  littérature  narrative  de  fEurope  moderne.  L'étude 
attentive  que  nous  en  avons  faite  dissipe  complètement  cette  illusion  : 
traduit,  et  très  mal,  dans  sa  première  partie,  d'un  original  que  nous 
possédons,  copié,  dans  fautre,  d'un  livre  qui  est  également  entre 
nos  mains,  le  Dina  et  Calila  du  médecin  de  Béziers  n'a  aucune  es- 
pèce de  valeur,  sauf  celle  de  pouvoir  fournir  quelques  leçons  utiles 
au  texte  du  Calila  et  Dimna  espagnol  et  surtout  du  Kelila  et  Dimna 
de  Jean  de  Capoue.  Maintenant  qu'il  est  publié  et  connu,  il  ne  sera 
plus  lu  par  personne,  si  ce  n'est  par  ceux  qui  voudront  rééditer  fun 
ou  l'autre  de  ces  deux  textes.  Quant  à  la  partie  personnelle  à  Raimond, 
elle  n'a  d'intérêt  qu'en  ce  qui  concerne  sa  biographie  et  ses  rapports 
avec  la  maison  de  France. 

Le  Liber  Dine  et  Calile  ne  paraît  pas  avoir  eu  de  succès.  Il  n'est  cité 
par  aucun  écrivain  postérieur.  La  seule  trace  d'un  intérêt  qu'y  aurait 
pris  la  postérité  est  la  copie  que  «  monsieur  maistre  Ymbert  Benot  » 


RAIMOND  DE  BEZIERS. 


253 


fit  exécuter  en  1^96  par  maître  Guillaume  de  Vasseni,  d'après  un 
manuscrit  qui  n'est  pas  parvenu  jusqu'à  nous  et  qui  contenait  la 
rédaction  simple.  Le  manuscrit  qui  contenait  la  rédaction  amplifiée 
n'a  sans  doute  été  lu  et  copié  qu'au  xix*  siècle  ^^'. 

G.  P. 


'■'  Le  roi  Jean  possédait  et  avait  muni  de  sa 
signature  un  manuscrit  auquel  l'inventaire  de 
la  librairie  royale  lait  sous  Charles  V  donne  jwur 
litre  :  ■  Le  livre  de  Quilila  et  Dymas ,  moralitez 
«  a  propos  aux  estas  du  monde  •  ;  le  livre  était 
•  rimé  et  historié  •  (  voir  L.  Delisle ,  Le  Cabinet 
des  manuscrits,  t.  lll,  p.  467).  Ce  manuscrit 
contenait  donc  une  traduction  en  vers  du  cé- 
lèbre ouvrage.  Il  a  disparu.  Loiseleur-Deslong- 
champs,  qui  en  a  le  premier  signalé  la  mention 
dans  l'inventaire  de  Charles  V  [Essai  sur  les 
fables  indiennes,  p.  22-a3),  pensait  que  cette 


traduction  avait  été  «  composée  probablement 
«  sur  la  version  de  Raymond  de  Béziers  » ,  et  tous 
ceux  qui  en  ont  parlé  après  lui  l'ont  répété ,  en 
supprimant  même  la  reserve  indiquée  par  le 
mot  «  probablement  ».  Mais  les  formes  Quitila 
et  Dyma{s) ,  qui  renvoient  au  Kelila  et  Dimna 
de  Joël  et  de  Jean  plutôt  qu'au  Dina  et  Calila 
de  Raimond ,  et  l'ordre  des  deux  noms ,  inter- 
vertis dans  Raimond ,  montrent  que  le  poème 
français  perdu  avait  pour  original  la  version 
latine  de  Jean  de  Capoue  (voir  Journal  des 
Savants,  1899,  P"  ^83,  n.  1). 


r 


254  VERSIONS  DES  VIES  DES  PERES. 

VERSIONS  EN  VERS  ET  EN  PROSE 
DES  VIES  DES  PÈRES. 


Sous  le  titre  de  Vitœ  pat  mm,  ou,  moins  correctement,  de  Vitas 
patrum^^\  on  désignait  au  moyen  âge  les  histoires  de  plusieurs  saints 
personnages  ayant  mené  dans  la  Thébaïde  la  vie  ascétique,  celles  de 
saint  Paul  l'ermite,  de  saint  Hilarion,  du  moine  Malchus,  par  saint 
Jérôme,  de  saint  Antoine,  par  saint  Athanase,  évêque  d'Alexandrie. 
En  un  sens  plus  large,  on  donnait  le  même  nom  à  des  compilations 
où  à  la  suite  de  ces  légendes  prenaient  place  celles  de  femmes  qui, 
dans  la  même  contrée,  s'étaient  soumises  à  une  dure  pénitence  (sainte 
Euphrasie,  sainte  Euphrosyne,  sainte  Thaïs,  etc.),  et  d'autres  écrits 
édifiants  relatifs  aux  anachorètes  du  désert,  tels  que  YHistoria  mona- 
chorum  de  Rufm  d'Aquilée,  les  Verba  seniorum  attribués  également  à 
Rufin,  et  trois  autres  recueils  analogues  et  portant  le  même  titre,  que 
l'on  sait  avoir  été  traduits  du  grec  par  le  diacre  Pelage,  le  sous-diacre 
Jean  et  le  diacre  Paschasius. 

Ces  divers  ouvrages  se  rencontrent  très  souvent  groupés  dans  les 
manuscrits  du  moyen  âge.  Il  en  a  été  formé  des  recueils  qui  ont  été 
imprimés  au  xv"  siècle  et  au  xvI^  Mais  ces  compilations,  soit  manu- 
scrites, soit  imprimées,  diffèrent  singulièrement  par  le  contenu  et  par 
l'ordre  des  matières.  Certaines  sont  plus  complètes  que  d'autres.  Et 
non  seulement  les  livres  distincts  qui  les  constituent  ne  se  présentent 
pas  selon  un  ordre  uniforme,  mais,  dans  certains  de  ces  livres,  par 

<■'   Vitas  patrum  se  lit  à   la   rubrique  ini-  Un  miracle  vueil  comenchier 

tiale  ou  à  la  formule  finale  de  divers  manu-  Que  Vitas  patrum  nous  raconte, 

scrits,    et  dans  plusieurs  anciennes  éditions;  ,y-^  j^  saint  Jean  Bouche  d'or.  v.  16-7.  Roma- 

voir   Rosweyde,   Vitee  patram,  éd.  de    1638,  nia,  VI,  33o!  d'.  Vil,  Coo. ) 
p.  Lx,  i.xi,  i.xii.  Cette  désignation  a  été  cou- 
rante pendant  tout  le  moyen  âge: 

En  Vitas  patrum .  un  haut  livre.  ^«''  «". ""  ^^ '"'''  "^  ♦^^^  . 

,^  „        ,     ,      .     ,       -,        ,»    ,  Que  Vitas  Patrum  est  apele. 

(Début  de   la  vie  de  saint  Jean  Paulus;  voir  ci-  ' 

après  p.  354.)  {Witt.deV/addingloa,  Manuel  det pécha,  \.  gi-j.) 


VERSIONS  DES  VIES  DES  PÈRES. 


255 


exemple  dans  les  diverses  collections  de  Verba  seniorum,  les  chapitres 
sont  souvent  classés  d'une  manière  variable.  Rosweyde,  qui,  en  161 5, 
puis  en  1628,  dans  une  édition  augmentée,  a  recueilli  tous  ces  textes 
en  un  gros  in-folio'*',  y  joignant  de  savants  commentaires,  a  le  pre- 
mier classé  les  anciennes  éditions  en  trois  groupes  nettement  dis- 
tincts'*'. Tout  récemment  les  nouveaux  Bollandistes  ont,  avec  plus  de 
détail  et  de  précision,  opéré  le  classement  des  mêmes  éditions'^'. 
Mais  le  même  travail  reste  à  faire  pour  les  manuscrits,  et,  tant  qu'il 
n'aura  pas  été  fait,  il  sera  impossible  de  rendre  un  compte  parfaite- 
ment exact  des  sources  auxquelles  ont  puisé  les  écrivains  en  langue 
vulgaire  qui  ont  traduit  les  Vitœ  patram  ou  qui  leur  ont  fait  des 
emprunts. 

Or  ces  écrivains  ont  été  nombreux  et  tiennent  une  place  considé- 
rable dans  la  littérature  édifiante  du  moyen  âge.  La  plupart  des 
auteurs  de  traités  moraux  ou  théologiques  ont  parsemé  leurs  écrits 


'"'  Vitm  patram,  de  vita  et  verbis  seniorum, 
sive  Hisloriœ  eremiticœ  libri  X,  aactoribus  suis 
et  nitori  pristino  restituti  tic  notationibus  illas- 
traii,  opéra  et  studio  Heriberti  Rosweydi  Ultra- 
jectini ,  e  Soc.  Jesu,  ihcologi.  Editio  secunda , 
varie  aucta  et  illustrata.  Antverpiae,  ex  ofTicina 
Plantiniana.  m.dc.xxviii. 

Voici  l'indication  des  dix  livres.  II  est  bien 
entendu  que  la  division  en  dix  livres  est  ab- 
solument arbitraire  :  I.  De  Vitis  patrum  liber 
primas,  auctore  divo  Hieronymo  et  aliis  variis, 
vies  des  saints  Paul  l'ermite,  Antoine,  Hila- 
rion.  Malchus,  Onuphre,  Pacôme,  Abraham, 
Basile ,  Ephrem ,  Siméon  le  Stylite ,  Jean  l'Au- 
mônier, Epictète ,  Macaire ,  Postumius ,  Fron- 

,  tonius ,  Barlaam  et  Josaphat ,  et  des  saintes 
Eugénie,  Euphrasie,  Euphrosyne,  Marie  la 
pécheresse,  nièce  de  l'ermite  Abraham,  Thaïs, 
Pélagie,  Marie  l'Egyptienne,  Marine,  Fa- 
biola ,  Paule ,  Marcelle.  La  vie  de  Barlaam  et  de 
Josaphat,  dont  l'introduction  parmi  les  vies 
des  saints  ou  saintes  de  la  Thébaïde  n'est  guère 

•  justifiée,  est  donnée  par  Rosweyde,  non  pas 
d'après  l'ancienne  traduction,  qui  remonte  au 
moins  au  xil'  siècle ,  mais  d'après  une  traduc- 
tion moderne  de  Jacques  de  Billy.  —  II.  De 
Vitispatram  liber secundas ,  auctore  RaJJino  Aqui- 
leiensi,  presbytero.  C'est  l'ouvrage  connu  ordi- 
nairement sous  le  nom  d'Histori»  monachorum 
on  d' H istoria  ère metica.  —  III.  De  Vids  patrum 


liber  lertias,  aactore  Ruffino  Aquileiensi,  pres- 
bytero. Ce  sont  les  Verba  seniorum.  —  IV.  De 
Vitis  patram  liber  quartas,  aucloribus  Severo  Sal- 
pitio  et  Joanne  Cassiano.  —  V.  De  Vitis  patrum 
liber  qaintus,  auctore  gneco  incerto,  interprète  Pe- 
laçfio ,  S.  R.  E.  diacono.  C'est  un  autre  recueil 
de  Verba  seniorum  divisé  en  dix-huit  lil^clli.  — 
VI.  De  Vitis  patram  liber  sextas,  auctore  grœco 
incerto,  interprète  Joanne,  S.  R.  E.  subdiacono. 
Troisième  recueil  de  Verba  seniorum ,  divisé  en 
quatre  libelli.  —  VII.  De  Vitis  patrum,  liber 
septbnus ,  auctore  grœco  incerto,  interprète  Pas- 
chttsio,  S.  R.  E.  diacono.  Ce  sont  encore  de» 
Verba  seniorum  répartis  en  quarante-quatre  cha- 
pitres. —  VIII.  De  Vitis  patram  liber  octavus. 
Palladii,  Helenopoleos  episcopi .  .  .,  HistoriaLaa- 
siaca.  —  IX.  De  Vitis  patrum  liber  nouas,  auc- 
tore Tlieodoreto  Cyri  ep.,  interprète  Gentiano 
Herveto.  —  X.  De  Vitis  patrum  liber  decimus . 
aactore  Johannc  Moscho,  interprète  Ambrosio 
camaldulensi.  —  Le  contenu  de  l'édition  de 
Rosweyde  est  réparti  entre  quatre  tomes  de  la 
Patrologle  latine  de  Migne  (XXI,  XXIII, 
LXXIII,  LXXIV). 

<')  Prolegomena,  xvii-xx;  édit.  de  1628, 
p.  Ivij  et  suiv. 

'''  Bibliotheca  hxtgiographica  latina  antiquœ  et 
mediœ  œtatis  (Bruxelles,  1900-1901),  II, 
p.  943,  sous  Patrum  vit*. 


256  VERSIONS  DES  VIES  DES  PÈRES. 

d'exemples  empruntés  aux  vies  des  Pères  du  désert  ou  aux  Verba 
seniorum.  Nous  l'avons  constaté  à  propos  du  Manuel  de  péchés  de  Wil- 
liam de  Waddington*'',  et  on  pourrait  faire  la  même  remarque 
à  propos  de  bien  d'autres  compositions. 

Les  vies  rimées  de  saint  Paul  l'ermite,  de  saint  Jean  l'aumônier, 
de  l'abbé  Moïse,  des  saintes  Euphrosyne,  Marie  l'Egyptienne,  Marine, 
Thaïs,  qui  seront  mentionnées  en  un  prochain  article,  ont  la  même 
provenance,  puisque  les  originaux  latins  de  ces  légendes  sont  ordinai- 
rement joints,  dans  les  manuscrits  comme  dans  les  éditions,  aux  Vitœ 
patram  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Athanase.  Mais,  en  outre,  les  an- 
ciennes collections  de  ces  écrits  ascétiques  ont  été  de  bonne  heure 
mises  en  français,  soit  en  vers  soit  en  prose. 


I.   —  VERSION    EN    VERS. 

HENKI  D'ARCI,  TRADUCTEUR. 

Les  traductions,  ou  plutôt  imitations,  en  vers  sont  partielles. 
Aucune  de  celles  que  nous  connaissons  n'embrasse  l'ensemble  ni 
même  une  partie  notable  des  écrits  latins  qu'on  a  groupés  au  moyen 
âge  et  depuis  (dans  le  recueil  de  Rosweyde)  sous  le  titre  général  de 
Vitœ  patrum.  Mais  il  est  à  croire  que  nous  ne  possédons  pas  tout  ce 
que  nos  anciens  poètes  ont  composé  d'après  ces  sources.  Plusieurs  des 
poèmes  dont  le  sujet  est  pris  dans  l'histoire  des  ermites  de  la  Thé- 
baïde  nous  sont  parvenus  par  un  ou  deux  exemplaires  seulement,  et 
il  n'est  pas  douteux  que  beaucoup  ont  dû  se  perdre. 

Ici  nous  devons  mentionner  en  passant  le  long  poème  connu  sous 
le  nom  de  Vie  des  Pères  ou  de  Vie  des  anciens  Pères ,  auquel  nos  devan- 
ciers ont  consacré  une  courte  notice '^\  et  qui,  à  s'en  tenir  au  titre, 
semblerait  être  une  traduction  des  Vitœ  patrum.  Mais  le  titre  fait 
illusion.  Ce  poème,  qui  comprend,  dans  les  manuscrits  non  inter- 
polés, soixante-quatorze  contes  dévots,  est,  d'après  les  dernières 
recherches  '^^ ,  l'œuvre  de  deux  auteurs  dont  le  second  écrivait  peu 
après  12^1.  Il  se  compose  de  deux  recueils  originairement  indépen- 
dants, dont  le  premier  contient  quarante-deux  contes  et  le  second 

(■'  Hist.  lia.  de  la  Fr..   XXVIII,   igS,    196,  '*'  HisL  lia.  de  la  Fr..  XIX,  857-861. 

aoi,  etc.  '''  flomania,  XIII,  260  et  suiv. 


VERSION  EN  VERS  DES   VIES  DES  PÈRES.  257 

trente-deux.  Le  premier  auteur  a  conté  la  vie  de  Thaïs'*';  l'un  et  l'autre 
ont  fait  divers  emprunts  à  YHistoria  monachorum  de  Rufin,  et  de  là 
vient  le  titre  général  Vie  des  Pères,  appliqué  à  une  compilation  dont 
les  sources  sont  très  variées. 

Nous  passons  maintenant  à  l'examen  d'un  poème  qui  appartient 
entièrement  au  sujet  étudié  dans  la  présente  notice.  Il  contient  la 
traduction  plus  ou  moins  libre  des  deux  traités,  intitulés  l'un  et 
l'a  vitre  Verba  seniorum,  qui  forment  les  livres  V  et  VI  des  Vitœ  patrum 
de  Rosweyde,  tous  deux  traduits  du  grec,  le  premier  par  le  diacre 
Pelage,  le  second  par  le  sous-diacre  Jean.  A  la  suite  vient  la  vie  de 
sainte  Thaïs '"^'.  Il  nous  en  est  parvenu  deux  copies  :  l'une  est  à 
Paris  (Bibl.  nat. ,  fr.  •J4862),  l'autre  à  Londres  (Musée  brit. ,  Harl. 
3  2  53)  *^'.  Dans  la  première  le  traducteur  s'est  nommé  :  c'est  un  cer- 
tain Henri  d'Arci,  qui  sera  mentionné  ultérieurement  dans  un  article 
sur  les  légendes  en  vers,  comme  auteur  d'un  poème  sur  l'Antéchrist 
et  de  la  version  d'un  apocryphe  latin  sur  la  descente  de  saint  Paul 
en  enfer  ''*' .  Cet  Henri  d'Arci  était  un  frère  du  Temple  de  la 
Bruère,  maintenant  Bruer  Temple,  dans  le  comté  de  Lincoln.  Il  nous 
le  fait  savoir  au  commencement  de  son  poème'*'  : 

En  l'onur  Damnedeu,  le  roi  omnipotent, 
E  de  Marie  sa  duce  mère  ensement, 
E  de  tuz  seinz  e  seintes  comunement, 
Dirai  vos  un  sermun  que  ci  truis  en  présent  : 
Ço  est  de  Vitas  patrum,  issi  cum  je  l'entent, 
Que  translaté  fu  par  divin  aspirement 
Al  Temple  de  la  Bruere  tut  veraiment. 
Nient  pur  les  ciers,  mes  pur  la  laie  gent. 

A  la  fin  de  la  vie  de  Thaïs,  il  se  nomme  et  donne  quelques  indi- 
cations sur  la  façon  dont  il  a  accompli  sa  tâche  : 

Henri  d'Arci,  frère  del  Temple  Salemun, 
Pur  amur  Deu  vus  ai  fet  cest  sermun  : 
A  vus  le  présent  e  as  frères  de  la  maisun. 
Ne  quer  loer  de  vus,  si  bone  volonté  nun; 

'■'  Ci-après,  p.  375.  XXXV,   i"  partie,   iSy  et  suiv.  (Notice  sur  le 

'''  Rosweyde,  p.  Sy/i.  ms.fr.  2i862  de  la  Bibliothèque  nationale). 

'''  Des  morceaux  tirés  de  ces  deux  copies  <'  Ci-après,  p.  SSg  et  372. 

ont  été  publiés  dans  les  Notices   et  extraits.  '^'  Ms.  de  Paris ,  fol.  60. 

UIST.  LITTÉn.  —  WMII.  33 


9,58  VERSION  EN  VERS  DES  VIES  DES  PERES. 

Mes  ore  larrai  l'escrire ,  par  le  vostre  congié , 
Ke  le  mielz  de  l'essamplere  ai  enromancié; 
Mes  asquanz  des  chapitles  ai  je  enticlessié , 
Ces  en  qui  je  ne  vi  g[u]eres  d'utilité. 

II  annonce  ensuite  l'intention  de  mettre  en  français  «  la  venue  de 
«  l'Antéchrist  »,  et  le  récit  «  des  peines  que  saint  Paul  vit  en  enfer  ».  Les 
deux  poèmes  qu'il  a  composés  sur  ces  sujets  font  suite  à  la  vie  de 
Thaïs  dans  le  manuscrit  de  Paris. 

Comme  on  l'a  vu  par  les  vers  précités,  Henri  d'Arci  n'a  pas  cru 
devoir  traduire  tous  les  chapitres  des  Verba  seniorum.  L'ordre  des 
chapitres  traduits  n'est  pas  exactement  le  même  que  dans  l'édition  de 
Rosweyde,  mais  il  n'est  pas  prohable  que  le  traducteur  ait  introduit 
de  son  chef  aucun  changement.  On  sait  que  les  manuscrits  des  Verba 
seniorum ,  comme  ceux  de  VHistoria  monachorum  deRufm,  présentent, 
dans  l'ordre  des  chapitres,  de  nombreuses  différences.  La  traduc- 
tion est  d'un  style  pénible,  et  la  langue,  comme  aussi  la  versification, 
présente  les  incorrections  qu'on  rencontre  dans  les  œuvres  les  plus 
médiocres  de  la  littérature  anglo-normande.  On  s'en  convaincra  par 
les  extraits  qui  en  ont  été  publiés  dans  la  notice  du  ms.  fr.  24862  à 
laquelle  nous  avons  renvoyé  dans  une  note  précédente.  Nous  ne 
savons  sur  Henri  d'Arci  rien  de  plus  que  ce  qu'il  a  bien  voulu  nous 
dire  de  lui-même.  Sa  langue  et  sa  versification  nous  portent  à  croire 
qu'il  écrivait  dans  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle. 

II.  —  VERSIONS    EN   PROSE. 

WAUCHIER   DE   DEMAIN,   TRADUCTEIR. 

Les  traductions  en  prose  paraissent  avoir  été  plus  goûtées.  Nous 
en  connaissons  quatre,  qui  diffèrent  très  notablement,  et  de  chacune 
desquelles  nous  possédons  plusieurs  copies.  Nous  les  examinerons 
suivant  l'ordre  chronologique. 

Nous  étudierons  en  premier  lieu  l'œuvre  d'un  traducteur  qui,  par 
une  heureuse  et  trop  rare  inspiration,  nous  a  fait  connaître  son  nom 
et  son  surnom,  et  qui,  de  plus,  nous  a,  dans  son  prologue,  appris 
pour  qui  et,  par  suite,  à  quelle  époque  il  écrivait.  Cet  écrivain  s'ap- 
pelait Wauchier  de  Denain.  Il  fil  sa  traduction  pour  Philippe,  niar- 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 


259 


ffuis  (le  Namur,  mort  en  1312.  Les  passages  où  ces  précieuses  notions 
nous  sont  données  seront  imprimés  plus  loin . 

Présentement,  il  convient  d'énumérer  les  écrits  latins  qui  ont  été 
translatés  par  ce  Wauchier. 

Le  manuscrit  dont  nous  nous  servirons  est  un  gros  livre  en 
])archemin,  composé  de  cent  quarante  feuillets  à  deux  colonnes, 
exécuté  vers  le  milieu  du  xiii*  siècle  '''.  Il  est  conservé  à  la  Bibliothèque 
de  Carpentras,  sous  le  n"  AyS'^'.  C'est,  à  notre  connaissance,  le  seul 
manuscrit  qui  renferme,  sinon  la  totalité,  du  moins  la  plus  grande 
partie  des  traductions  faites  par  Wauchier.  Nous  verrons  plus  loin 
que  quelques-unes  se  rencontrent,  mêlées  à  des  écrits  d'une  autre 
origine,  en  certains  légendiers  français  du  xiii*  ou  du  xiv"  siècle. 
Nous  verrons  aussi  qu'il  existe,  en  dehors  du  manuscrit  de  Carpen- 
tras, quelques  traductions  et  compositions  variées  qu'il  est  légitime 
d'attribuer  au  même  écrivain.  Nous  commencerons  notre  examen 
par  les  ouvrages  que  renferme  le  manuscrit  de  Carpentras  et  dont  la 
liste  suit  : 

1 .  La  vie  de  saint  Paul  l'ermite,  par  saint  Jérôme  ; 

2.  La  vie  de  saint  Antoine,  abbé,  composée  en  grec  par  saint  Athanase,  évoque 
d'Alexandrie,  mise  en  latin  par  le  prêtre  Evagrius; 

3.  La  vie  de  saint  Hilaiion,  abbé,  par  saint  Jérôme; 

i.  La  vie  de  saint  Malchas,  le  moine  captif,  par  saint  Jérôme; 

5.  La  vie  de  Paul  le  Simple ,  ermite ,  ch.  xxxi  de  VHistoria  monachorum  de  Rufin 
d'Acpiilée  ; 

6.  Les  livres  I  et  III  du  Dialogue  de  saint  Grégoire  le  Grand; 

7.  Ij  Historia  monachorum  de  Rufin  d'Aquilée,  moins  quelques  chapitres; 

8.  Les  Verba  seniorum  de  Rufin  d'Aquilée. 


'"'  Les  versions  dont  nous  avons  à  nous  oc- 
cuper sont  comprises  dans  les  cent  vingt-neuf 
f)remiers  feuillets.  Vient  ensuite  (fol.  lag-i^o) 
a  Conception  de  Wace.  Les  feuillets  qui  suivent 
appartiennent  à  un  autre  manuscrit  (l'écriture 
est  sensiblement  différente)  et  contiennent 
une  grande  partie  de  la  version  anonyme 
en  vei-s  de  Barlaam  et  Josaphat.  Le  premier  de 
ces  deux  manuscrits  reliés  en  un  volume  (ou 
du  moins  la  partie  qui  renferme  les  traductions 
faites  par  Wauchier)  a  dû  être  fait  pour  une 
dame,  car  on  lit  dans  la  marge  inférieure  du 
foL  1  ag  recto  les  quatre  vers  qui  suivent  : 


La  Jame  de  qui  est  cest  livre 
A  grant  Iionor  puisse  elle  vivre, 
Et  li  maistre  qui  l'a  escrit 
Ja  il  n'et  honte  ne  despit. 

Dans  nos  citations  nous  nous  référerons  à 
l'ancienne  |)agination  (en  chiffres  romains) 
du  manuscrit,  la  pagination  moderne  étant 
erronée. 

'''  D'après  le  nouveau  catalogue  {Catalogue 
général  des  manuscrits  des  Bibliothèques  publiques 
de  France,  t.  XXXIV);  c'est  le  n°465  du  Cata- 
logue des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  de  Car- 
pentras par  Lamherl  (Carpentras,  1863). 

33. 


260  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

Reprenons  une  à  une  ces  diflférentes  parties  de  la  compilation  de 
Wauchier. 

1  •  La  vie  de  saint  Paul  l'ermite  et  celle  de  saint  Antoine  ont  été 
détachées  de  l'ensemble  que  nous  offre  le  manuscrit  de  Carpentras, 
et  ont  pris  place  dans  un  légendier  français,  formé  d'éléments  divers, 
qui  est  conservé,  depuis  un  siècle,  à  la  Bibliothèque  impériale  de 
Saint-Pétersbourff,  et  dont  une  analyse  détaillée  a  été  donnée  dans 
les  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  XXXVl,  67  7-7 1 6 ''l 

Le  prologue  qui  précède  la  vie  de  l'ermite  saint  Paul  paraît  s'appli- 
quer à  l'ensemble  des  traductions  que  renferme  le  manuscrit  de  Car- 
pentras. L'auteur  y  insiste  sur  l'utilité  qu'il  y  a  à  entendre  conter 
les  vies  des  saints.  Les  termes  dont  il  se  sert  indiquent  clairement 
qu'il  écrit  pour  des  gens  qui  entendent  lire,  mais  qui  ne  lisent  pas 
eux-mêmes.  Le  même  prologue  se  termine  par  un  passage  qui  est 
diversement  corrompu  dans  le  manuscrit  de  Carpentras  et  dans  celui 
de  Saint-Pétersbourg,  mais  d'où  il  résulte  clairement  que  Wauchier 
a  entrepris  la  série  de  traductions  qui  commence  par  la  vie  de  Paul 
l'ermite  à  l'instigation  de  Philippe,  comte  de  Namur,  fils  de  Bau- 
douin, comte  de  Hainau  et  de  Flandre,  et  de  Marguerite,  comtesse 
de  Flandre. 

Philippe  de  Namur  étant  décédé  en  1  2  1 2 ,  le  traducteur  a  dû  se 
mettre  à  l'œuvre  avant  cette  date.  Toutefois,  les  termes  dont  il  se  sert 
indiquent  qu'au  moment  où  il  écrivait  son  prologue  Philippe  ne 
vivait  plus. 

Voici  ce  prologue,  avec  le  commencement  de  la  vie  rédigée  par 
saint  Jérôme  : 


Ci  comence  a  dire  de  saint  Pol  l'Ermite,  le  premyer  ermite  qui  uiKjaesfu 


(2) 


A  cex  qui  volentiers  oient  et  entendent  les  escritures  doit  l'en  conter  les  anciens 
faiz  ou  l'en  puet  bon[e]s  essemples '''  prendre,  et  les  vies  des  sainz  pères,  si  que  la 
mémoire  de  lor  bonnes  ovres  poist  lor  cuers  ratendrir  et  radocir  et  ensevir  les  ovres 
par  que  l'en  puet  venir  a  la  miséricorde  de  Dé,  ce  est  a  la  vie  parmenable;  mes  a 
ceis  qui  de  ce  n'ont  cure  ne  fait  mie  bon  parler  de  lui  ne  de  cels  qui  les  ovres  ont 
ensevi  de  bien  faire,  quar  cil  qui  de  Dé   n'a  talant  ne  donroit  gaires  de  ses  sainz. 

'"'  La  vie  de  Paul  l'ermite  occupe  dans  ce  le  même  manuscrit,  est  ajouté  en  écriture  cur- 
manuscrit  les  feuillets  80  à  83.  sive  de  In  fin  du  xiil*  siècle. 

'*'  Ce  titre,  comme  tous  ceux  que  renferme  '''  Ms.  essemplaif. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  261 

El  por  cex'"  ne  conte  l'en  mie  les  dolces  paroles  ne  les  granz  faiz  ne  les  dures  vies  que 
li  saint  home  ont  menées  ça  en  arrière  et  menront  encor  por  lor  enmes  sauver, 
quar  ce  seroit  perdue  chose,  por  ce  qu'entendre  ni  vorroient,  quar  l'en  dit,  et  voirs 
est,  que  parole  est  perdue  qui  n'est  entendue  de  cuer.  Mes  a  cels  qui  l'entendent 
volentiers  vodrai  je  conter,  por  ce  qu'il  i  praignent  bones  essamples  et  retiegnent,  les 
vies  des  sainz  pères  que  li  bons  cuens  Pinlippes,  marchis  de  Naimur,  qui  fu  fil 
Baudoin,  le  bon  conte  de  Flandres  et  de  Haino''^',  [et]  la  bonne  contesse  Margarite, 
qui  les'^'  a  faites  translater  '*'  de  latin  en  ronmanz,  après  saint  Jeroime,  qui  ensint 
conmence. 

Entre  '^'  les  plusors  a  esté  mainte  questions  sovent  et  mainte  dotance  qui  premiers 
conmença  religion  d'ermitage.  Li  plusor,  qui  darriere  venoient  et  hâtivement'*'' 
voloient  enquerre  et  demander,  disoient  qu'ele  commença  d'Elie  lo  prophète  et  de 
saint  Johan  Baptiste;  mes  Helyes,  selon  ce  qu'il  nos  semble,  fu  plus  que  moines  ne 
hermites,  et '"'sainz  Johans  ausint,  quar  il  commença  a  prophetizir,  si  conme  l'Es- 
criture  testemoigne,  très  cpiil  estoit  el  ventre  sa  mère;  et  por  ce  di  je  qu'il  fu  pro- 
phètes et  plus  que  hermites.  \A  autre  dient  et  alTerment,  et  li  pueples  s'i  asent  plus, 
que  sainz  Anlhoines  fu  chiés  et  coiimencement  de  cest  huevre;  et  c'est  veritez  en 
partie,  et  il  ne  fu  pas  tant  devant  toz  les  autres  hermites  com  il  conmença  devant 
toz'*'  a  faire  et  a  ensevre  les  ouevres  d'ermitage.  Amatas  et  Macharies,  qui  furent 
deciples  saint  Hîinthoine  et  qui  l'ensevelirent  et  enfuirent ,  dient  et  tesmoignent  que 
sainz  Pois,  qui  fu  de  Thebcs  nez^'',  conmença  premiersla  règle  et  les  ouevres  d'ermites 
a  faire,  et  si  dient  et  racontent  plusors  choses  qui  li  avindrent  et  qu'il  solfri,  dont 
oiseuse  chose  seroit  de  raconter,  la  ou  il  habitoil  en  une  fosse ,  et  que  lor  chevox 
les  couvroient  jusque  a  terre,  ne  n'avoient  autre  vesteùre ''•".  Et  por  ce  vos  recon- 
lerons  nos  de  lui  et  de  sa  vie  un  poi,  et  si  lairons  a  dire  de  saint  Antboine  très 
qu'a  tant  que  nos  en  dirons  et  conterons  plus  ententivement'"'. 

'*'  Lems.de  Saint-Pétersbourg  porte  ce,  qui  hautement,  dans  le  latin  altius,  mal  compris, 

détruit  le  sens.  Saint-Pétersbourg  :  Li  plusor  qui  ça  arrier  huu- 

'*'  Ms.  baino.  tentent  voloient  enquerre.  .  . 

•''   Il  faut,  croyons-nous,  supprimer  qui  les.  <''  Carp.  ajoute  que. 

'''  Voici  la  leçon,  évidemment  corrompue,  '*'   Toz  manque  dans  Carp. 

du  ms.  de  Saint-Pétersbourg  :«...  por  ce  qu'il  '*'   Carp.   nos;   corrigé  d'après  Saint-Péters- 

•  le  relaignent  et  bons  examples  i  praignent ,  si  bourg  ;  latin  :  «  Paulum  quemdam  Thebaeum 
«cum  li  bons  cuens  Phelippes  de  Namur  mar-  «principem  istius  rei  fuisse.  » 

■  tyrsles  a  faiz  translater  »( iVo<ices  et  extraits,  '"'  Le  traducteur  a  omis  intentionnellement 

XXXVI ,  685).  cette  phrase  :  «  Quorum,  quia  impudens  men- 

'''   Ici  commence  la  traduction  du  texte  de  «  dacium  fuit ,  ne  refellenda  quidem  sententia 

saint  Jérôme ,  dont  voici  les  premières  lignes  :  «  videtur.  » 

«  Inter  multos  sœpe  dubitatum  est  a  cpo  potis-  '"'    Saint-Pétersb.    entérinement,    qui    parait 

«simum  monachorum  eremus  habitari  cœpta  préférable.  Ici  le  traducteur  s'éloigne  du  texte  : 

«sit.  Quidam  enim  altius  repetentes,  a  beato  saint  Jérôme  dit  au  contraire  expressément  qu'il 

•  Elia  et  Joanne  sumpsere  principium.  Quorum  n'a  pas  l'intention  d'écrire  la  vie  de  saint  An- 
«et  Elias    plus    nobis  propheta  videtur  fuisse  toine  :«  Igitur,  ^uia  c?e  Antonio  <am  ^rœco  ^uani 

•  quam  monachus,  et  Joannes  ante  prophetare  iromano  stylo  dili(ienter  memoriœ  traditam  est, 

«cœpisse   quam  natus  est »   (Rosweyde,  «pauca  de  Pauli  principio  et  fine  scribere  dis- 

p.  i7;Migne,  Pair. /at..  XXIII,  17).  «posui,  magis  quia  res  omissa  erat  quam  fretus 

'*'  //a<ivenienf  est  une  mauvaise  leçon  pour         «ingenio.  >> 


262  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 

Maintes  '"  églises  furent  degastées  par  la  tempeste  de  IV^nnemi  en  la  terre  d'Egypte 
et  de  Thebes,  au  tens  que  Decies  et  Valeriens  estoient  emperaor  a  Ronme,  qui 
saint  Comille  martirierent  et  saint  Cyprien  en  la  cité  de  Cartage;  et  en  cel  tens 
voloient  li  crestïen  por  Nostre  Seignor  morir  et  desirroient <•''  par  martyre,  mes  li 
enemis  ne'*>  voloit  mie  que  cil  qui  desiroient  morir  por  Nostre  Signor  fussent  main- 
tenant ocis,  enz  voloit  qu'en  lor  feïst  griés  tormenz  et  Ions  martires  solfrir,  por  ce 
([«'il  se  repentissent  de  la  bone  pensée  ou  il  estoient,  quar  il  ne  voloit  mie  avoir  lor 
cors,  mes  les  âmes,  ensi  '*'  com  saint  Cypriens  dist  et  testemoigne,  qui  demostre 
|en]  escriture,  qui  dist  :  «  A  cels  qui  morir  voloient  ne  losoit  il  mie  reçoivre  la  mort.  « 

On  peut  voir  par  ce  court  morceau  que  le  traducteur  ne  se  piquait 
pas  d'une  parfaite  fidélité  au  texte.  H  y  a  même  chez  lui  des  inexacti- 
tudes voulues,  comme  lorsqu'il  atténue  de  propos  délibéré  la  défiance 
que  saint  Jérôme  exprime  à  l'endroit  de  la  vie  de  saint  Antoine,  con- 
sidérée comme  indigne  de  créance  :  il  ne  pouvait  pas  jeter  la  défa- 
veur sur  des  récits  qu'il  allait  traduire  ou  qu'il  avait  même  déjà 
traduits.  Wauchier  écrit  d'un  style  simple,  parfois  familier,  et  en 
somme  approprié  à  la  lecture  publique;  mais  il  était  peu  instruit.  On 
peut  relever  dans  son  œuvre  bien  des  faux  sens,  bien  des  interpré- 
tations incorrectes  de  noms  de  lieux.  Ainsi  il  traduira  ces  mots  du 
chap.  IV  :  Paulas.  .  .apud  injenorem  Thebaidam.  .  .relictus  est,  par 
«  Messire  sainz  Pois  li  hermites  estoit  remés  a  Thebes  la  petite^^^n.  On 
pourra  noter  dans  la  suite  beaucoup  d'inexactitudes  de  ce  genre. 

Nous  citerons  encore  la  fin  de  la  vie,  parce  que  le  traducteur  y 
introduit  quelques  traits  qui  lui  sont  propres: 

[Fol.  vb  )  Après  ce  que  la  nuit  fii  trespasée  et  li  autre  joiz  repariez,  sainz  An- 
thoines  prist  la  cotte  saint  Pol  qu'il  a  <*'  fait[e]  et  entesue  <^'  de  fuelles  de  paumier;  et 
puis  s'en  repaira  a  son  luec  et  conta  a  ses  deciples  tôt  par  ordre  ensi  con  li  estoit 
avenu;  et  bien  sachiez  que  au  jor  de  Pasques  et  de  Pentecostc  vestoit  il  adès  celle 
vesteûre  saint  Pol,  quar  il  la  tenoit  en  grant  chierté  et  en  grant  veneracion.  Ainsi 
lina  saint  Pol,  li  premiers  heraiites,  con  je  vos  ai  conté  et  dit,  et  fu  enseveliz  et 
mis  en  terre  par  les  mains  de  saint  Anthonne,qui  molt  fu  prodom ,  et  encore  est  de 
grant  mérite  envers  Nostre  Seignor'*'.  Et  que  feront  li  riche  qui  ont  les  granz  pa- 
trimoines et  les  riches  palais  et  les  cointes  aorncmenz  de  diverses  menieres,  quant 

'"'  Carp.  Saintes  {faute  du  rubricafeur).  '*'  Corr.  qu'il  ol?  Latin  :  •  c|unm   in  sportii- 

'''  Plus    clairement,   dans   Pétersbourg,    en  « i-um  modum de palmarum  foliis  ipse  sibi  con- 

cel  tens  desirroient  li  crestïen  et  voloient  morir.  «texuerat.  » 

'''  Carp.  nel.  '''  Et  entesue  écrit  sur  grattage. 

'*'  Carp.  et  si.  ■''  Cette  phrase  est  du  traducteur.  Rien  de 

'*'   Ms.  de  Carpentras,  fol.  ij  a.  tel  dans  Je  latin. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


263 


cil  lu  toz  tens  en  tel  vestciire  com  je  vos  ai  dit,  faite 'i'  defuelle,  et  li  seinbloit  que 
nulle  rien  ne  li  defaillistP  Li  riches  boivent  as  riches  henas  les  bon[s]  boivres,  et  cil 
bevoit  a  ses  nues  mains  les  aiguës  des  fontainnes  et  des  ruissels.  Mes  encontre 
ce  est  paradis  aovert  a  celui  qui  povres  estoit ,  et  enfers  recevra  cels  qui  sont  doré  et 
des  granz  richeces  plain,  qui  n'ont  de  Dieu  cure.  Se[i]nz  Pois  gist  povrement  ense- 
veliz  en  sa  fosse,  coverz  de  sablon  et  de  terre,  et  de  la  se  lèvera  il  et  venra  son 
cors  proprement  en  parmenable  gloire;  et  cil  sont  couvert  en  lor  tonbes  de  granz 
pierres,  qui  ardront  ensemble  ex  et  ensemble  lor  pierres  et  lor  maies  ou[e]vres'^>  el 
parmenable  feu.  Miclz  venroit  qu'il  esparnasent  lor  granz  richeces,  qu'il  on[t]  tant 
aenmées,  et  si  n'ensevelissent  pas  lor  cors  de  riches  dras,  mes  douassent  por  Deu; 
quar  ausi  plainement  porrissenl  les  cors  qui  sunt  es  dras  de  soie  con  il  feroientt^' 
en  la  pure  terre;  et  qui  conques  list  ceste  vie,  si  li  souviegne  de  saint  Jeroime 
qui  dist  que,  se  Nostre  Sires  li  donnoit  qu'il  peûst  eslire  a  sa  volenté  et  prendre,  il 
esliroit  ainçois  et  prendroit  la  coite  saint  Pol,  ensemble  ses  désertes,  que  toz  les 
dras  de  soie  de  rois  qui  sont,  ensemble  lor  roiaumes.  Ainsi  define  de  nionseignor 
saint  Pol,  et  si  commence  après  de  monseignor  saint  Anthoine'^'. 

C'est  bien  plutôt  une  paraphrase  qu'une  traduction. 

2.  Les  derniers  mots,  ajoutés  par  le  traducteur,  annoncent  la  vie 
de  saint  Antoine,  qui  en  effet  prend  ici  place  dans  le  manuscrit  de 
Carpentras.  L'original  est  la  traduction  latine  faite  par  Evagrius  du 
texte  grec  d'Athanase.  Omettant  le  prologue  d'Evagrius  et  celui 
d'Athanase,  Wauchier  commence  ainsi **^  : 

Ci  comence  la  vie  monseygnor  sayni  Anthoyne. 

{Fol.  V  d)  Mesire  sainz  Anthoines  fu  nez  d'Egypte,  si  ot  un  mult  haut  home 
a  père  et  mult  haute  dame  a  mère,  et  de  grant  religion  plainne.  Si   fu  gardez  et 


'"'  Carp.  quant  cil  qui  fu  losteiis  eu  tel  me- 
niere .  .  .  fere.  Corrige  d'après  S'-Pétersbourg. 

'*'  Pétersb.  qui  ardront  ensemble  aus  et  en- 
samhle  lor  oevrcs. 

'''  Pétersb.  car  ausi  porrissent  li  cors  des  ri- 
ches genz  en  dras  de  soie  com  en. 

'*'   Voici  la  fin  du  texte  latin  : 

«  Libei  in  fine  opusculi  eos  interrogare  qui 
sua  patrimonia  ignorant,  qui  domos  marmo- 
ribus  vestiunt,  (|ui  uno  filo  villaruni  insuunt 
praedia.  Huic  seminudo  quid  unquam  defuit? 
Vos  gemma  bibitis;  ille  concavis  mnnibus  sa- 
tisfecit. Vos  in  tunicis  auruni  texitis;  ille  ne  vi- 
lissimi  quidem  indumentum  habuit  mancipii 
vestri.  Sed  e  contrario  illi  paupemdo  paradisus 
patet;   vos  auratos  gehenna  susripict.  IHe  ves- 


tem  Christi,  nudus  licet,  tamen  servavit;  vos 
vestiti  sericis  indumentum  Christi  perdidistis. 
Paulus  vilissimo  pulvere  coo[)ertus  jacet  resur- 
recturus  in  gloriam  ;  vos  opei'osa  saxis  sepuicra 
premunt  cum  vestris  opibus  arsuros.  Parcile , 
quaiso  vos,  parcite  saltem  diviliis  quas  amatis. 
Cur  et  mortuos  vestros  auratis  obvolvitis  vesti- 
bus?  Cur  ambitio  inter  luctus  lacrymasque  non 
cessât?  An  cadavera  divitum  nisi  in  serico  pu- 
trescere  nesciunt?  Obsecro,  quicunque  hiec 
legis,  ut  Hieronymi  peccatoris  memineris,  cui 
si  Dominus  optionem  daret,  multo  magis  eli- 
geret  tunicam  Pauli  cum  meritis  ejus  quam 
regum  purpuras  cum  pœnis  suis.  » 

'*'  Rosweyde,   éd.  de  1628,  p.  36;  Migne, 
Patr.  lut..  lAXIII.col.  127. 


264  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

norriz  par  si  grant  anior  et  par  si  grant  diligence  et  par  tel  cure  qu'il  ne  quenois- 
soit  nulc  rien  se  son  perc  non  et  sa  mère  et  la  maisnie  de  sa  maison.  Et  quant  il 
fu  onfes,  unques  ne  fu  ensiniez  ne  apris  ensemble  autres  anfanz  de  fables  que 
l'escriture  contoit,  que  li  poète  avoient  lait  et  c'onlisoit  es  escoles"*.  Mes  il,  qui  estoit 
ententis  a  totes  bones  buevres,  demoroit  toz  tens  et  arestoil  en  maison  sanz  faire 
nule  folie  ne  nule  mauvaise  anfance,  et  mult  sovent  aloit  a  l'igliese  ensemble  son 
père  et  sa  mère,  ne  ne  sivoit  unques  les  anfanz  qui  estoient  de  son  aage  de  faire 
enfances.  Mes  les  cboses  con  ii  conseilloit  en  sainte  Iglise,  qui  au  salu  de  femme 
estoient  et  au  profit  des  conmandemenz ,  gardoit  il  et  retenoit  en  son  cuer,  et  ert 
mult  humilianz  et  obedianz  a  som  père  et  a  sa  mere'^';  ne  unques  n'enoia  a  cels 
qui  ensemble  lui  estoient,  si  con  li  plussor  enfant  suelent  faire  qui  sont  norri  doce- 
ment  [fol.  vj)  et  soef;  n'onques  ne  demanda  nulles  viandes  si  non  celés  qui  apa- 
reillies  li  furent,  ne  ne  requeroit autre[s]  choses  que  ce  c'on  li  donnoit,  et  ce  li  sofi- 
soit  mult  bien. 

La  traduction  est  par  place  très  abrégée.  Le  long  sermon  d'Antoine 
aux  frères  qui  étaient  venus  l'entendre  (ch.  xv-xx)  a  été  allégé  d'un 
grand  nombre  de  préceptes  moraux.  Wauchier  résume  le  texte  en  peu 
de  lignes,  où  il  ne  conserve  guère  que  ce  qui  était  de  nature  à  frapper 
l'imagination  populaire  : 

[Fol.  X  d)  Après  lor  commença  a  sarmoner  mult  longuement  et  a  mostrer  la 
voie  de  salu  en  totes  menieres  que  bon  ior  estoit,  et  lor  traboit'''  avant  les  autoritez 
des  évangiles  et  les  escritures  des  profetes,  et  lor  disoituncore  qu'il  se  gardassent  des 
agaiz  au  diable,  quar  ii  enemi  se  tresmuoit  en  plusors  menieres  de  bestes  :  en  ors, 
en  lions,  en  serpenz  et  en  formes  de  bêles  damoiseles  por  deçoivre  cex  qui  a  la 
hauteco  des  cielx  s'atendoient  ;  et  si  lor  disoit  encore  :  «  Hé  !  mi  biau  frère ,  par  quantes 
«  menieres  et  sovent  li  deable  sunt  venu  a  moi ,  ausi  com  cbevalier  armé ,  sor  escor- 
«  pions  qu'il  cbevachoient ,  et  si  amenoient  serpenz  et  bestes  de  diverses  menieres, 
«  tcmt  qu'il  nemplissoient  et  avironnoient  tote  la  maison  ou  je  estoie,  [fol.  xj)  et 
«  quant  je  les  v[e]oie  en  tel  meniere,  je  disoie  :  Hii  in  curribus  et  hii  in  equis,  nos 
«  aatem  in  nomine  Domini  nostri  magnijtcabimur[ys.  xix  ,8]  ;  tantoit  com  je  avoie  ce  dit, 
«  il  estoient  chacié  en  voie  par  la  haute  miséricorde  de  nostre  seignor  Jbesu  Crist'*'.  » 

La  vie  de  saint  Antoine  est  incomplète  dans  le  manuscrit  de  Car- 
pentras  par  suite  de  l'enlèvement  du  feuillet  xxiij,  qui  contenait  la 
fin  de  la  vie  (chap.  lx-lxii)  et  le  début  de  la  vie  de  saint  Hilarion. 

'•'  Latin  :  «Et  cuni  jam  puer  esset,  non  se  '"'  Ms.  trohait. 

«littcris  erudiri,  non  ineptis  infantiutn  jungi  '''  Cf.  le   texte   latin,  ch.   xx  (Rosweyde, 

«  pasius  est  fabulis.  »  P^g^   4^)-    H    y    *"*'    bien    question    de    ce» 

'*'   Latin  :  «  Sed   tantuin  ea  quac  legehantur  apparitions  fantastiques,  mais  il  n'est  pas  dit 

«auscultans,  utilitatem  praBceptonim  vita;   in-  que  les  diables  fussent  à  cheval  sur  les  scor- 

«  stitutione  servabat  ».  pions. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  2(55 

Mais  nous  en  possédons  trois  autres  copies,  insérées  clans  des  recueils 
de  vies  de  saints  en  français,  à  savoir  dans  le  manuscrit  précité  de 
Saint-Pétersbourg''',  qui  contient  aussi  la  vie  de  saint  Paul,  et  dans  les 
manuscrits  807  d'Arras  et  B.  2.  8  de  Trinity  Collège,  à  Dublin.  Dans 
ces  deux  dernières  copies  la  vie  est  incomplète  du  début,  par  suite 
de  la  perte  des  premiers  feuillets'^'. 

3.  La  vie  qui  suit,  dans  le  manuscrit  de  Carpentras,  est  celle  de 
saint  Hilarion ,  dont  le  commencement  a  disparu  avec  le  feuillet  xxiij  ^^K 
Elle  est  traduite  de  saint  Jérôme'*',  comme  celle  de  Paul  l'ermite. 
Nous  possédons  de  la  même  traduction  deux  autres  copies,  insérées 
dans  des  recueils  de  vies  de  saints  en  français  :  Bibl.  nat.,  fr.  23 1 1  2 , 
fol.  274;  Arras  807,  fol.  84  (où  le  début  manque  par  suite  de  la 
perte  d'un  feuillet).  On  verra,  parles  premières  lignes  que  nous 
citons  d'après  le  manuscrit  23 1 1 2 ,  que  le  traducteur  a  omis  le  pro- 
logue de  saint  Jérôme  : 

Sains  Hylaires  fu  nés  de  Tabathe,  de  une  vile  qui  près  est  a  .y.  liues  d'une  chité  de 
Palestine  qui  Gase  estoit  apelée.  Il  avoit  père  et  mère  qui  saiTazin  estoient  et  qui 
les  ydeles  aoroient,  mais  il  n'ensivi  mie  ior  loi  ne  ne  tint  lor  créance,  ains  fu  le  rose 
bêle  qui  douche  et  souef  ist  de  l'espine.  Ses  pères  et  se  mère  l'envoierent  en  Alixandre 
pour  gramaire  iiprendre.  La  aprist  il  et  fu  de  molt  bon  engien  si  com  jones  enfes, 
car  adont  estoit  il  encore  de  molt  petit  aage.  Molt  estoit  saiges  de  parler,  et  de  totes 
gens  amés  en  s'enfance,  et  si  creoit  en  nostre  seigneur  Jhesu  Criit,  qui  plus  grans 
cose  estoit  que  toutes  les  autres.  Il  n'avoit  cure  de  vanités  ne  de  gex  ne  des  luxures 
que  li  autre  enfant  demenoient,  ne  ne  s'i  delitoit  mie,  ains  estoit  s'entente  et  se 
volentés  de  bien  faire  et  d'aler  a  sainte  Eglise.  Adonc,  en  cel  tempoire,  01  cil  joven- 
ciaus  parler  de  [saint  Antoine  de]  oui  li  bons  renons  couroit  par  toute  les  contrées 
d'Egypte,  et  molt  bons  talens  li  prist  de  lui  aler  veïr  el  désert.  .  . 

En  l'état  actuel,  la  vie  de  saint  Hilarion  commence  ainsi  dans  le 
manuscrit  de  Carpentras  : 

[Fol.    xxiiij)    qui   mult   dolenz  en   estoit;   et   que  faisoit  li   bons  jovenciax   de 

<"'  Voir  la  notice  de  ce  manuscrit  dans  les  S   ^,  et  le  ms.  aSiia,  fol.  27/»  c)  :  «nuz,  ne 

Notices  et  extraits ,  XXXVI ,  688.  «  n'avoit  vestu  qu'un  sac  tant  solement ,  dont  il 

'*'  Dans   le  ms.   d'Arras  (Romania,  XVII,  «  covroil  ses  membres,   et   une   pel  que    sainz 

38o),  le  texte  commence  au  chap.  iv;  dans  le  "Aiitoines  li  avoit  donée.  Ce  a 

ms.  de  Dublin,  au  chap.  xi.  «  quar  ses »  Nous  imprimons  en  italiques 

'^'  11  subsiste  du  fol.  xxiij  un  débris  où  l'on  les  parties  restituées, 

peut  lire ,  au  verso,  ces  mots  qui  appartiennent  >'•  Rosweyde,  éd.  de  i6?,8,  p.  76;  Migne, 

à  la  vie  de  saint  Hilarion  (cf.  le  texte  latin,  Pair,  lut.,  XXill,  3o. 

HIST.  LITTÉR.  —  XWIU.  34 


266  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 

ccstes  {sic)  chose?  Il  ert  mult  corrocyez  a  lui  meïsmes  quant  il  pensoit  a  nul  délit 
terrestre;  si  se  feroit  del  poing  cl  piz  nu»i  con  s'il  peïist  les  maies  pensées  fors  de  son 
cors  mètre  par  batre,  et  disoit  a  sa  char  qu'il  la  jostiseroit  si  de  fain  et  de  soif  qu'ele 
n'avroit  cure  de  révéler,  et  qui  jostiseroit  si  par  chalors  et  par  froidures  qu'ele  pen- 
seroit  ençois  a  la  viande  qu'a  joliveté  ne  a  folie.  Dont  conmença  li  sainz  si  dure  vie 
qu'il  ne  menjoit  s'au  tierz  jor  non  et  au  quart  tant  solement  por  sostenir  sa  vie  et  son 
cors  ensemble,  et  adonc  ne  menjoit  il  si  jus  d'erbes  non  et  petit  d'eschalonges. 

La  vie  de  saint  Hilarion  se  termine,  à  la  façon  d'un  sermon,  par 
cette  phrase  qu'ajoute  le  traducteur  : 

[Fol.  xxxvij)  Ainsi  trespassa  li  sainz  boni  de  ce[s]te  mortel  vie,  et  fu  en  joie 
parmenable  ;  ou  Dex  nos  dont  toz  parvenir  '"  par  sa  doçor  et  par  sa  miséricorde.  Amen. 

Nous  retrouverons  plus  loin  des  conclusions  de  ce  genre.  Tout 
montre  que  la  compilation  de  Wauchier,  composée  de  parties  faciles 
à  détacher,  était  en  un  certain  sens  un  recueil  de  lectures  édifiantes. 

k.  À  la  vie  de  saint  Ililarion  fait  suite,  dans  notre  compilation,  la 
traduction  d'un  autre  écrit  de  saint  Jérôme,  la  Vita  Malclii,  monacin 
caplivi^^\  Cette  traduction  est,  comme  celle  des  écrits  précédents, 
assez  libre.  Jérôme  nous  dit,  en  son  prologue,  avoir  composé  cet 
opuscule  comme  préparation  à  une  œuvre  plus  grande  :  l'histoire  de 
l'Eglise  depuis  l'époque  apostolique  jusqu'à  son  temps.  Use  compare 
aux  marins,  qui,  avant  de  livrer  des  combats  en  haute  mer,  s'exercent 
dans  le  port,  en  eau  calme,  à  la  manœuvre  navale.  Cette  comparaison , 
assez  fidèlement  traduite  dans  une  compilation  dont  nous  traiterons 
plus  loin,  a  été  entièrement  laissée  de  côté  par  Wauchier,  qui  lui 
substitue  un  lieu  commun  sur  l'utilité  de  mettre  en  pratique  les  bons 
enseignements  que  notis  donnent  les  pieux  écrits.  Voici  le  début  : 

{Fol.  xxxvij  b)  S.  Jberoimes  nos  raconte  et  dit  que  ci!  qui  ot  es  saintes  escritures 
lo  bien  conter  et  dire  lo  devroit  retenir  en  sa  mémoire  et  ensivir  par  ses  ovres;  et 
por  ce  nos  dist  sainz  Jeroimes  .j.  aventure  qu'il  vit,  que  li  plusors  i  praignent  es- 
semplc.  Il  conte  qu'il  esloit  une  foiz  en  une  vile  qui  près  estoit  d'Antioche  .\\x.  miles; 
celé  vile  si  ert  Romanias  apelée,  et  n'ert  mie  molt  grant;  la  trova  il  un  viel  home 
qui  Malcus  avoit  non,  et  bien  sembloit  qu'il  fust  de  la  contrée  par  nacion  et  par 
langage.  Une  famé  estoit  ensemble  lui,  mult  vielle  et  de  grant  aage,  et  si   ert 

'"'  Ms.  a3ii2  (fol.  285  c)  et  fu  portés  ses  '*'  Rosweyde,éd.  de  ibsS,   p.  9^:  Migne, 

efpris  en  j.  p.;  ou  D.  n.  vnele  tons  mètre.  Patr.  lut.,  XXII I,  ^f). 


i 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  267 

conbrisiée  par  viellesce  qu'il  sembloit  que  la  morz  lui  fust  inult  prochaine.  Cil  viex 
honi  et  celé  vielle  famé,  fait  sainz  Jeroinies,  se  maintenoient  en  tel  manière  et  tel 
religion  qu'adès  estoient  au  mostier  et  faisoient  lor  oroisons  et  lor  proieres  a  Nostic 
Seignor.  .  . 

La  vie  de  Malchus  se  termine  connue  un  sermon  : 

[Fol.  xlj  h)  Quar  li  hom  qui  s'est  donez  a  Nostre  Seignor  et  ses  ovres  velt  ensivir 
puet  bien  morir  et  trespasser  de  ceste  vie,  mais  il  ne  puet  mie  legierement  est[re] 
Surmontez  a  choses  faire  qui  li  toUent  la  vie  parmenable,  et  a  celi  vie  nos  dont 
parvenir  ensemble  qui  vit  et  règne  par  tôt  les  siècles  des  siècles.  Amen  "'. 

La  vie  de  Malchus,  fait  prisonnier  par  les  Sarrasins,  marié  contre 
son  gré,  par  son  maître,  s'évadant  à  grand'peine  et  au  prix  de  mille 
dangers,  avait  de  quoi  exciter  la  curiosité  naïve  des  gens  du  moyen 
âge,  et  nous  nous  étonnons  qu'il  ne  se  soit  pas  rencontré  un  trouvère 
pour  en  tirer  la  matière  d'un  édiliant  roman  d'aventure  ^^'.  Mais  du 
moins  a-t-elle  été  plus  d'une  fois  mise  en  prose  française,  comme  on 
le  verra  dans  une  autre  notice.  La  version  la  plus  ancienne,  celle  de 
Wauchier,  paraît  avoir  été  goûtée,  car  elle  a  pris  place  dans  plusieurs 
légendiers  français,  à  savoir  dans  le  manuscrit  Soy  d'Arras'^',  puis 
dans  quatre  manuscrits  qui  appartiennent  à  un  même  groupe  : 
Musée  brit.,  Addit.  17276,  art.  119;  Bibl.  nat.,  fr.  i85,  art.  69; 
fr,  i83,art.  55(*';  Bibl.  roy.  de  Belgique,  9226,  fol.  178  v". 

5.  La  vie  de  Paid  le  Simple,  qui  vient  ensuite  dans  le  manuscrit 
de  Carpentras,  est  la  traduction  du  chapitre  xxxi  de  VHistoria  mona- 
chomm  de  Rufin  '^l  Elle  a  eu  le  même  succès  que  celle  du  moine  Mal- 
chus, car  elle  lui  fait  suite  comme  ici  dans  les  mêmes  légendiers ^^'. 

De  Pol  le  Simple  (fol.  xljc). 

Uns  hom  fu  en  celé  contrée  ou  sains  Anthoines  abitoit;  si  ert  apelez  Pous  par 
non,  et  en  somon  Simples.  Cil  hom  se  rendi  en  moniage;  si  vos  dirai  i'ocoison.  Il 

'■'  Il  y  a  seulement  dans  le  latin  :  «...   et  '^'   Bomunia.  XVII,  79. 

«hominem  Christo  tledituni  posse  mori,  non  ''>  Pour  ces  trois  manuscrits,  voir  Notices  et 

«  posse  superari  ».  extraits,  XXXVI,  456  [Notice  sur  trois  légen- 

<*'  Elle   a  été  paraphrasée   en   vers  latins;  diers français  attribués  à  Jean  Belet). 

voir  Hist.   lilt.   de  la  Fr. ,  IX,  1  71  ;  X,  334;  '*'  Rosweyde,  p.  Z|83  ;  Migne ,  Putrol.  lut.. 

Th.    Wright,   Bio<fraphia    hritannica  literaria,  XXI ,  457. 

II,  78. —  On  sait  que  La  Fontaine  a  traité  '"'  Notices  et  extraits,  notice  précitée;  voir 

en  vers  l'histoire  de  saint  Maichus.  aussi  Bibl.  roy.  de  Belgique,  9225,  fol.  180  v". 

34. 


268  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

avoit  famé,  je  ne  sai  s'ele  ert  laide  ou  bêle,  quar  ï'estoire  ne  le  devise  mie;  mes  ele 
entendi  tant  qu'ele  ama")  autrui  que  son  mari;  et  tant  ala  la  chose  que  Pous  le 
Simples,  ses  barons,  latrova  et  vit  a  ses  propres  iauz  que  elle  avoit  a  son  enmi 
charnel  compaignie,  dont  Dex  desfende  tôles  autres  dames!  Quant  Pous  li  Simple 
vit  ce,  unques  n'e[n]  fist  semblant  ne  ne  lo  dist  a  home  n'a  famé.  Adont  issi  fors  de 
la  maison  toz  dolanz  et  plains  d'ire;  et  por  la  grant  tristece  qu'il  avoit  en  son  corage 
s'en  ala  il  el  désert,  ne  ne  dist  a  nelui  ou  il  devoit  alcr.  Et  quant  il  fu  el  désert  entrez, 
il  ala  amont  et  aval  mult  dolanz  et  mult  angoissox,  tant  qu'il  parvint  a  l'abaïe  saint 
Anthoine,  qui  adonc  esloit  encor  en  vie.  Dont  parla  a  lui,  si  li  dist  la  confesse  de 
ce  qu'il  avoit  veù,  et  li  proia  por  Dieu  qu'il  li  ensinast  la  voie  de  salu  et  la  meniere 
conment  il  se  porroit  salver,  que  jamais  ne  relorneroit  ariere.  Sainz  Anthoines 
lo  regarda;  si  lo  vit  de  simple  nature;  si  li  respondi  et  dist  que  bien  se  porroit  salver 
a  la  parfm,  si  voloit  obéir  au[s]  corunandemens  de  son  maistre,  quar  mult  est 
halte  chose  d'obédience  :  par  li  porroit  il  venir  a  vie  parmenable. .  . 

On  reconnaît  à  première  vue  que  nous  avons  affaire  à  une  version 
fort  libre.  Le  style  en  est  aisé  et  même  ne  manque  pas  d'une  certaine 
verve;  çà  et  là  le  traducteur  ajoute  à  son  original  certains  traits  qui 
sont  peu  en  rapport  avec  la  gravité  du  récit  de  Rufin,  par  exemple 
lorsqu'il  introduit  une  incidence  pour  nous  dire  que  le  texte  (^ï'estoire) 
ne  nous  apprend  pas  si  la  femme  de  Paul  était  belle  ou  laide.  Voici  du 
reste  le  latin  : 

Fuit  quidam,  inter  discipulos  sancti  Antonii,  Paulus  nomine,  cognominatus 
Simplex.  Hic  initium  conversionis  su£c  hujusmodi  habuit.  Gum  uxorem  suam  oculis 
suis  cum  adultero  cubantem  vidisset,  nulli  quidem  dicens ,  egressus  est  domum  ,  et, 
mœslitia  animi  tactus ,  in  eremum  semetipsum  dédit,  ubi,  cum  anxius  oberraret, 
ad  monasterium  pervenit  Antonii,  ibique  ex  loci  admonitione  et  opportunitate  con- 
silium  cepit.  Cumque  adisset  Antonium  ut  iter  ab  eo  salutis  inquireret,  ille  intucns 
hominem  simplicis  naturœ  esse,  respondit  ei  ita  demum  eum  posse  salvari  si  bis 
quœ  a  se  dicerentur  obediref. 

Cette  légende  se  termine,  comme  les  trois  précédentes,  par  une 
conclusion  de  sermon  :  «  Et  tantost  fu  cil  gariz  par  la  volenté  Nostre 
«  Seignor,  qui  [lire  cui)  tote  créature  humaine  doit  servir  et  ennorer 
«por  avoir  parmenable  vie.  Celui  nos  otroit  Pater  et  Filius  et  Spiritus 
«sanctus!»  Aussitôt  après,  le  traducteur  introduit  un  prologue  de 
quelques  lignes,  formant  transition  entre  les  vies  des  Pères  et  un  autre 
livre  qui  est,  comme  celles-ci,  une  œuvre  d'édification  plus  que 


(') 


Mieux ,  Arrns  :  •  Mais  tant  dist  H  estoire  qu'ele  ama  ». 


VP:RS10NS  en  prose  des  vies  des  pères.  269 

d'histoire.   C'est  le   Dialogue  de  saint  Grégoire,  dont  le  manuscrit 
de  Carpentras  place  ici  le  premier  et  le  troisième  livre. 

6.  Le  Dialogue  de  Grégoire,  dont  les  deux  interlocuteurs  sont 
saint  Grégoire  et  son  disciple  Pierre,  est  peut-être  de  tous  les  écrits 
patristiques  celui  qui  a  été  le  plus  goûté  et  le  plus  cité  au  moyen  âge. 
L'auteur  s'était  mis  d'avance  à  la  portée,  et  même  au  niveau,  des  plus 
humbles  esprits.  Sermonnaires,  moralistes,  collecteurs  d'exempla  l'ont 
mis  perpétuellement  à  contribution  ;  les  écrivains  en  langue  vulgaire  lui 
ont  fait  de  nombreux  emprunts  et  l'ont  traduit,  à  plusieurs  reprises, 
en  vers  et  en  prose.  H  y  a  entre  le  Dialogus  de  Grégoire  et  les  Vitœ 
patrum  (ce  dernier  titre  étant  entendu  au  sens  très  large  où  on  l'a 
employé  au  moyen  âge)  un  certain  rapport.  De  part  et  d'autre,  il  s'agit 
d'histoires  édifiantes,  où  le  merveilleux  tient  une  grande  place,  con- 
cernant des  hommes  pieux  qui,  pour  la  plupart,  ont  renoncé  au 
monde  pour  se  consacrer  à  la  vie  ascétique.  Seulement,  dans  les  Vitœ 
patriim,  la  scène  est  placée  en  Egypte,  particulièrement  dans  la  Thé- 
baïde,  tandis  que  chez  Grégoire  le  Grand  elle  est  placée  en  Italie.  Il 
semble  même  que  cette  analogie  ne  soit  pas  fortuite,  puisque  certains 
passages  du  prologue  placé  en  tête  du  Dialogas  donnent  à  penser  que 
Grégoire  a  voulu  précisément  faire  pour  les  saints  de  l'Italie  ce  que 
saint  Jérôme,  Rufin  et  d'autres  avaient  fait  pour  les  saints  de  la  Thé- 
baïde.  Aussi  est-il  fréquent  de  trouver,  dans  les  manuscrits,  le  Dia- 
logas joint  à  quelque  partie  des  Vitœ  patram.  Il  n'est  pas  téméraire 
de  supposer  qu'il  en  était  ainsi  du  manuscrit  dont  s'est  servi  notre 
Wauchier. 

La  traduction  du  Diaîogus  n'est  pas  complète.  Le  second  livre,  con- 
tenant la  vie  de  saint  Benoit,  a  été  laissé  de  côté''',  ainsi  que  le  qua- 
trième livre,  dont  le  sujet  (le  sort  des  âmes  après  la  mort)  lui  a  sans 
doute  paru  au-dessus  de  la  portée  du  public  à  qui  il  s'adressait.  Il  a 
aussi  supprimé  le  prologue  de  saint  Grégoire,  et  l'a  remplacé  par 
quelques  lignes  qui  servent  de  lien  entre  la  vie  des  Pères  d'Egypte  et 
les  récits  tirés  du  Dialogue. 

Cette  traduction  partielle  du  Dialogue  a  pris  place  à  la  fin  d'un 
des  légendiers  français,  où   nous  retrouverons    d'autres   morceaux 

'"'  On  verra  plus  loin  que   la  vie  de  saint         comme  livre  à  part;  c'est  pourquoi  elle  ne  se 
Benoit  avait  été  traduite  par  notre  Wauchier,        trouve  pas  dans  le  manuscrit  de  Carpentras. 


270  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

empruntés  à  l'œuvre  de  Wauchier,  dans  le  manuscrit  fr.  281 12 
(fol.  285  d)  de  la  Bibliothèque  nationale,  où  elle  fait  suite  à  la 
légende  de  saint  Hilarion. 

Voici,  d'après  le  manuscrit  de  Carpentras,  le  prologue  qui  précède 
la  version  du  Dialogue  : 

[Fol.  xliij)  Or  ai  je  dit  et  conté  une  partie  de  la  vie  des  sains  Pères  qui  habitè- 
rent en  la  terre  d'Egypte ,  por  ce  que  cil  qui  croient  les  saintes  ovres  qu'il  fissent  et  la 
sainte  vie  qu'il  menèrent  i  preïssent  essemple ,  quar  de  bien  oïr  et  entendre  doit  li 
bien  venir  et  naistre.  Or  vos  voldrai  conter  une  partie  des  ovres  et  des  vies  de  cex 
qui  habitèrent  en  Lonbardie,  si  con  sainz  Grigoires,  cui  en  doit  bien  croire,  lo 
raconté  a  Peron  son  clierc,  car  il  vielt  faire  savoir  et  entendre  de  quel  vie  et  de  con 
îirant  mérite  li  sainz  home  furent  en  celé  contrée;  si  conmence  ainsi'". 

Des  diz  saynt  Gregoyre''^\ 

S.  Gregoires  nos  retraist  et  dist  c'une  vile  estoit  en  une  des  parties  de  Lombardie , 
si  conme  prodome  et  saint  home  li  avoi[en]t  conté  et  dit,  cu[i]  il  en  devoitbien  croire, 
ou  il  avoit  un  prodome  et  une  prode  famé  manant  qui  un  fd  avoient  :  Honoires  estoit 
apelez  par  non.  Cil  enfes  avoit  en  lui  astinence  dès  s'anfance,  par  quoi  il  voloit  et 
covoitoit  a  avoir  la  celestial  vie,  et  ensemble  tôt  ce  qu'il  avoit  en  lui  si  grant  vertu 
d'astinence  si  con  de  boivre  et  de  mengier,  et  de  tote  hoiseuse  parole  dire  se  tenoit 
il  plainnement. .  . 

C'est  dans  celte  partie  de  son  oeuvre  que  Wauchier  s'est  nommé.  Ici, 
comme  en  d'autres  de  ses  traductions  qui  seront  étudiées  plus  loin, 
il  aime  à  introduire,  de  temps  à  autre,  dans  sa  prose,  des  réflexions 
morales  rédigées  en  vers.  Nous  n'en  avons  pas  rencontré  d'exemple 
jusqu'à  présent,  mais  nous  aurons  à  en  signaler  plusieurs  au  cours 
de  celte  analyse.  C'est  dans  un  de  ces  intermèdes  poétiques  qu'il 
s'est  fait  connaître  à  nous.  L'intercalation  a  lieu  à  la  suite  du  cha- 
pitre IX,  où  est  conté  un  trait  singulier  de  l'évêque  Boniface  de 
Ferentino.  Cet  évêque,  voulant  faire  faumône  à  des  pauvres  qui 
étaient  venus  l'implorer,  et  se  trouvant  sans  argent,  avait  forcé  la 
huche  de  son  neveu,  où  il  savait  trouver  douze  pièces  d'or,  et  les 
avait  distribuées  à  ces  mendiants.  Mécontent,  le  neveu  réclama  son 
or.  L'évêque,  se  mettant  en  prière,  obtint  de  la  Vierge  qu'elle  le 
lui  rendît.  En  le  restituant  au  réclamant,  il  lui  dit:  «Voilà  ton 
M  or,  mais  sache  qu'en  raison  de  ton  avarice  tu  ne  seras  pas  évêque 

'■'  Ce  prologue  ne  se  trouve  pas  dans  le  vas.  23i  la.  —  <*'  Dialogue,  livre  I,  chap.  u. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


271 


«  après  moi.  »  Le  Iraducleur,  entrant  dans  les  idées  de  son  auteur, 
nous  communique  à  ce  propos  ses  réflexions,  d'abord  en  prose,  puis 
en  vers  : 

{Fol.  /t'y  c)  Or  poez  savoir  que  mult  est  maie  chose  d'avarice;  que  par  avarice  pert 
en  en  .ij.  manières:  l'ennor  terriene  et  celestial  gloire.  Hon  ne  porroit  dire  les  granz 
(Jolors  et  les  granz  malaventures  que  (lire  (jui)  les  avers  atendenl'*'. 


Nus  tiom  avers  n'nvra  ja  preu , 
Quar  totens  cuide  il  avoir  peu  : 
Quant  plus  a  avers  hom  avoir, 
Mains  a  en  lui  sens  et  savoir. 
D'avers  ne  vos  sai  plus  que  dire  : 
Diex  les  het  trop;  ce  les  empire; 
Lor  avoir  preu  ne  lor  vaudra , 
Quar  petit  lor  profilera , 
Très  puis  que  Diex  lor  voira  nuire; 
Qu'il  par  avoir  cuident  soduire. 
Non  mie  Dex  tant  solement. 
Mais  toz  li  monz  igalement  '*'  ; 
Et  il  en  lor  vie  perdront 
Quanqu'a  Dieu  et  au  siècle  avront. 
Ne  vos  en  quier  plus  a  retraire , 
Quar  des  bons  hai  asez  afaire; 
Des  avers  hai  la  boche  amere  : 
Qui  en  paroi'*'  trop  lou  compère. 
Lor  ovre  amere  est  plus  que  suie , 


Por  ce  le  parler  m'en  annuie; 

Mais  ensivir  me  '*'  convient  l'esloire. 

Si  con  je  le  '*'  trus  en  saint  Grigoire. 

Et  je  sui  Wauchiers  de  Denaing, 

Qui  voldroie  que  un  '"'  tel  balng 

Lor  donast  Diex  que  l'avarice 

Laissassent,  et  [a]  genteilisce 

Se  tornassent  et  a  largesce  ; 

Ce  seroit  droiture  et  proesce. 

Mais  Diex  en  fera  son  voloir. 

Qui  que  s'en  doie  après  doloir. 

Quar  il  est  rois  et  emperere 

Sor  tote  rien.  A  la  matere 

Voil  revenir  si  con  suel  estre. 

Si  vos  dirai  avant  de!  prestre 

Qui  les  deniers  ot  de  fin  or 

Et  les  ot  mis  on  son  trésor. 

Si  con  vos  orendroit  oites , 

Se  vos  de  cuer  i  entendîtes. 


Le  livre  II,  comme  nous  l'avons  dit,  ne  fait  pas  partie  de  la  com- 
pilation du  manuscrit  de  Carpentras.  Le  premier  chapitre  du  livre  111 
est  consacré  à  Paulin  de  Noie.  Ce  chapitre  a  été  extrait  de  l'ensemble 
et  inséré  comme  vie  de  saint  Paulin  dans  quelques-uns  de  nos  anciens 
légendiers  français*''.  Nous  en  transcrirons  le  début  : 

[Fol.  lix)  El  tens  que  li  Wandele  orent  gastée  ia  terre  de  Lonbardie  et  plusors 
genz  en  furent  menées  en  la  région  d'Aufrique,  estoit  cils  sainz  hom  Paulins  evesques 
de  la  cité  de  Noie ,  si  con  vos  m'avez  oï  dire  davant.  Tôt  ce  qu'il  pooit  avoir  et  aquerre 


<"'  Des  vers  qui  suivent,  le  ms.  aSiia 
n'a  conservé  que  les  premiers,  écrits  ainsi 
(fol.  392)  : 

Nus  avers  liom  n'ara  ja  assés,  car  tous  tans  cuide 
!1  avoir  peu.  Com  plus  a  avers  hom  avoir,  tant  a  il 
plus  sens  et  savoir  (c'est  le  contraire).  D'aver  ne  vue! 
ore  plus  (lire  :  Dex  les  het  trop,  che  les  empire. 

'*'  On  préférerait  :  «  Non  mie  Deu . . .  Mais 
lot  le  mont  igalement.  » 


(>) 

(4) 
(S) 

m 
") 

379) 
Bibl. 


Ms.  parole. 

Suppr.  me 

Gorr.  jel. 

Ms.  quen. 

Ms.  .S07  d'Arras,  fol.  61  [Romania,  XVII , 

;   Musée   brit. ,   Add.    17275,  art.    ii8; 

nat.,fr.  i83,  art.  54;  fr.  i85,  art.  58 
{Notices  et  extraits.  XXXVI,  456);  Bibl.  roy. 
de  Belgique,  9225,  fol.  177  v°. 


272  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

(le  s'esveschié  donoit  ii  et  departoit  a  cex  qui  pris  estoient;  et  tant  dona  por  ex 
rachaterque  ii  n'ot  plus  que  despendre.  Dont  avint  un  jor  q'une  famé  veve  vint  a  lui 
mult  povre  ;  si  Ii  dist  que  ii  genres  au  roi  de[s]  Wandelles  avoit  son  fil  en  chativoisons 
mis;  mes,  por  Deu,  aidast  ii  tant  qu'ele  eûst  son  fd  racliaté  et  qu'il  peiist  en  son  pais 
repairier  arrière.  .  . 

La  traduction  du  livre  III  s'arrête  un  peu  avant  la  fin  du  dernier 
chapitre  : 

[Fol.  Ixxxv)  Pierres,  fait  sainz  Grigoires,  mult  t'eusse  eiicor  a  conter  et  a  dire  des 
vertuz  des  sainz  pères  de  cest[e]  contrée  qui  furent  esleû  a  ami  Nostre  Seignor,  et 
bien  lo  deiisse  faire,  mes  je  me  haste  si  d'autre[s]  choses  que  je  icestc  voil  ore  mètre 


en  SI 


lence. 


7.  La  version  de  l'Historia  monachornm,  ou  Historia  ercmuica^^\  qui 
suit  dans  le  manuscrit  de  Carpenhas  le  troisième  livre  du  Dialogue, 
est  incomplète.  On  n'y  trouve  pas  lescliapitres  m,  iv,  x,  xvii,  xxii, 
xxv-xxix  et  XXXI  *^',  de  l'édition  de  Rosweyde.  L'ordre  des  chapitres 
traduits  n'est  pas  non  plus  le  même  que  dans  cette  édition.  Le  voici 
avec  les  numéros  de  Rosweyde:  i  (Joannes),xv  (Apelles)  ,xvi(Paphnu- 
tius),  XII  (Elias),  xiii  (Pythyrion),  xiv  (Eulogius),  vu  (Apollonius 
d'Hermopolis),  viii  (Ammon),  ix  (Copres),  xi  (Elenus),  vi  (Theon), 
XX  (Dioscorus),  ii  (Hor),  y  (la  cité  d'Oxyrinchus),  xviii  (Sera- 
pion),  XIX  (Apollonius,  moine  et  martyr),  xxi  (les  moines  de  Nitri), 
xxiii  (Ammonius),  xxiv  (Dydimus),  xxx  (Ammon,  moine  de  Ni- 
tri), xxxii  (Piamon),  xxxiii  (Joannes). 

La  place  que  VHisloria  monachorum  occupe  dans  le  manuscrit  de 
Carpentras  est  bien  celle  que  Wauchier  a  voulu  lui  assigner.  Le  court 
prologue  qu'il  a  placé  en  tête  de  sa  traduction  ne  laisse  aucun  doute 
sur  son  intention  :  «  Je  vous  ai  conté,  nous  dit-il,  une  partie  des  faits  et 
«  des  vies  des  saints  pères  qui  habitèrent  en  Lombardie;  je  vous  conte- 
«  rai  ensuite  les  œuvres  des  saints  pères  qui  habitèrent  en  Egypte.  » 
Il  ne  faut  pas  croire  que  ces  mots  soient  une  phrase  de  transition 
rédigée  par  un  copiste  :  ils  se  lisent  dans  une  autre  copie  que  ren  Terme 
le  ms.  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  fr,  10128  (foi.-a^5),  oîi  ils  n'ont  guère 
déraison  d'être,  puisque  ce  manuscrit  ne  contient  pas  la  version  du 
Dialogue  de  Grégoire.  Disons  en  passant  que  cette  seconde  copie  est 

'■'  Rosweyde,  p.  ifi8\   Migne,   Patr.   lai.,  '*'  Le  ch.  xxxi  avait  été  traduit  à  part  (ci- 

XX!,  387.  dessus,  p.  267). 


VERSIONS  E\  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  273 

loin  d'être  complète  :  elle  s'arrête  à  la  fin  de  l'iiisloire  de  Paj)liiiutius, 
qui  est  le  troisième  chapitre  de  la  version  de  Waiichicr  (chap.  xvi  de 
Rosweyde)  '''. 

Dans  l'une  et  l'autre  copie  l'œuvre  est  attribuée,  non  pas  à  Rufin, 
le  véritable  auteur,  mais  à  Poslumien,  le  pieux  voyageur  qui  tient 
une  si  grande  place  dans  le  premier  des  Dialogues  sur  saint  Martin 
de  Sulpice  Sévère.  Il  est  vraisemblable  que  Wauchier  a  fait  usage 
d'un  manuscrit  où  YHistoria  monachorum  était  mise  sous  lé  nom  de 
Poslumien.  Rosweyde  a  mentionné  des  manuscrits  de  YHistoria  qui 
portaient  celte  fausse  alti'ibution'"^',  facilement  explicable  d'ailleurs. 
Poslumien  avait  visité  les  anachorètes  de  la  Thébaïde  et  admiré  leur 
genre  de  vie.  Son  récit,  qui  est  comme  un  supplément  au  livre  de 
Rufin,  occupe  la  plus  grande  partie  du  premier  Dialogue  de  Sulpice 
Sévère  ('). 

Voici  le  commerjcement  de  YHistoria  monachorum,  d'après  le  texte 
de  Carpentras  : 

(Fol.  Ixxxvc)  Ci  comence  a  conter  Poslemiens ,  li  sayns  moynes,  les  vies  des  autres 
sayns  qa'il  vit  en  son  vivant. 

Or  vos  ai  je  conté  et  dit  une  partie  des  faiz  et  [des]  vies  des  sainz  pères  qui  habitèrent 
en  la  contrée  de  Lonbardie,  si  com  sainz  (iregoires  meïsmes  lo  tesmoigne;  or  vos 
retrairai  je  après  les  faiz  et  les  ovres  des  sainz  pères  qui  habitèrent  en  la  terre  d'Egypte , 
si  con  Posluiniens  li  moignes,  qui  partot  fut  et  les  vit,  les  raconte;  et  si  dist  qu'il 
avoit  veù  tant  de  prodomes  et  de  si  sainte  vie  qu'il  avoit  veù  a  ses  propres  elz  lo 
trésor  Jhesiicrist  repost  es  humains  cors,  ne  n'estoit  mie  droiz  qu'il  cesl  trésor,  ce 
est  les  boncs  ovres  d'elx,  vosist  celer  ne  repondre  si  con  envielz'*',  ainz  lo  voloit 
demostrer  en  la  conmunité  de  cex  qui  bien  voloient  faire ,  quar  bien  estoit  sers  que  '*', 
de  tant  con  plus  de  gent  en  seroient  enrichi,  de  tant  en  aquerroit  il  plus  grant 
prophit  et  plus  grant  loange;  et  bien  dist  que  si  granz  paisibletez  de  corage  et  si 
granz  bontez  estoit  en  elx'*'  que  bien  sembloit  que  por  elx  eûst  esté  dit  :  Fax  multa 
diligeniibas  nomen  taum,  Domine  *"  ;  ce  est  a  dire  :  «  Biax  sire,  granz  pais  est  a  celx  qui 
«  ton  non  aiment.  »  Il  manoient  par  l'ermitage '*'  espessement''^',  chacuns  en  sa  celle, 
mes  il  estoient  tuit  ensemble  en  charité  conmune.  Por  ce  estoient  il  devisé  li  uns 

'''  Nous  verrons  plus  loin  qu'il  y  a,  à  cet  saint  M.irtin;  voir  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  II,  207. 

endroit,  une  coupure  bien  marquée  dans  le  ms.  '*'  Ms.  10128  envieus. 

de  Carpentras.  '''  Carp.  qui. 

'''    Vitœ  patriim,  1628,  p.  \\v;cl'.  Hisl.  litt.  '"!   Ms.  exls. 

de  la  Fr.,  II,  207.  '''  Ps.  cxviii,  i65. 

<''  On  lui  a  même,  par  suite  de  celte  cir-  '''  Mieux,  10128  :  par  les  hermitaiges. 

constance,     attribué    aussi    le    Dialogue    sur  '"'  Corr.  esparseiiient. 

iiiST.  LiTTKR.  —  xxxni.  35 


274  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

en  sus  des  autres  qu'il  voloient  paisiblement  tenir  ior  silence  et  que  aucune  voiz  et 
que  aucune  oiseuse  parole  ne  les  trobtast;  ne  nus  n'i  îestoit  qui  fust  eu  soing  de  sa 
viande  ne  de  sa  vesteùre.  Del  tôt  en  tôt  estoit  Ior  ententions  mise  a  Nostre  Soigner, 
et,  s'il  avenoit  que  aucuns  i  eùst  besoigne,  de  que  que  soit  qui  fust  nécessaire  a  fus 
de  Ior  cors,  il  ne  lo  queroit  mie  au  siècle,  ainz  lo  demandoit  a  Nostre  Seignor  ausi 
conme  a  son  père,  et  Nostre  Sire  Ior  donoit  errament  ce  qu'il  demandoi[en]t.  Si 
granz  foiz  estoit  en  elx  que  si  conmandassent  a  une  montaigne  qu'ele  se  reraeiist, 
ele  se  tres|)orlast  par  lo[r]  conmant  d'un  leu  a  altre.  Soventes  foiz  avint  que,  quant 
li  grant  flueve,  ce  sont  les  granz  rivières,  sorcroissoient  tant  qu'il  issoient  de  Ior  clia- 
nox,  si  qu'il  s'espandoient  par  la  contrée,  que  li  sainz  hom'"  les  faisoicnt  rentrer 
par  Ior  oroisons  en  ior  rives  et  retraire  arrière;  et  soventes  foiz  avint  qu'il  alerent  a 
sec  pie  desore  les  aiguës,  et  firent  morir  maint  grant  serpent  par  la  force  de  Ior 
saintes  paroles.  Tant  firent  deplusors  autres  signes  et  d'autres  miracles  par  Ior  bones 
ovres  que  nus  ne  doit  doter  que  Ior  mérites,  ce  est  ce  qu'il  deservirent '^',  n'aident 
encor  mult  a  sostenir  le  monde.  Il  estoient  aorné  de  si  bones  mors  et  de  si  paisibles 
et  de  si  grant  charité  que  chacuns  n'avoit  envie  ne  altre  entente  c'a  bien  faire.  Chas- 
cuns  se  penoil  qu'il  fust  plus  humles  et  plus  bénignes  et  plus  piex  et  plus  pasciens 
de  son  frère.  S'il  en  i  avoit  aucun  qui  fust  plus  sages  des  autres,  ce  est  de  plus  grant 
cscience,  cil  estoit  si  dehonaires  a  toz  les  autres  qu'il  voloit  estre  desoz  '''  toz  il 
mcnres  et  Ior  sers  por  aemplir  le  conmandement  Nostre  Seignor  a  faire.  Por  ce, 
fait  Postumiens,  que  Nostre  Sire  me  dona  pooir  que  je  ce  veïsse  et  que  fuse  avec  si 
sainz  homes  ''*'  por  esgarder  plusors  choses  de  Ior  ovres,  conterai  de  chascun  (jui  me 
revenra  a  mémoire,  par  la  volenté  Nostre  Seignor'^',  aucune  chose,  si  que  cil  qui  ne 
les  virent  mie  poissent  entendre  et  oïr  les  ovres ,  si  qu'il  i  praignenl  exemple  d'aquerre 
gloire  parmenable. 

Tut  a  comencement,  fait  Postumiens,  ferons  nos  lo  fondement  de  nostre  ovre, 
por  ce  que  li  bon  [i  prengnent  '*']  exemple,  de  Johan,  qui  asez  devroit  [a]  toz  sels 
soffire  [qui  sont]  des*'''  religioses  pensées,  [et]  faire  entendre  par  ses  saintes  ovres  au 
venir  au  comble  de  totes  vertuz  et  a  la  perfection  de  hautesce.  Quar  tant  ot  en  lui  de 
bien,  si  con  voz  orez  conter  et  retraire,  si  vos  atalante,  qu'il  n'est  nus,  por  qu'il  a 
Nostre  Seignor  vuelle,  ne  petit  ne  grant,  entendre,  qu'il  n'i  deûst  de  bien  exemple 
prendre  '*'.  Celui  Johan  veïsmes  nos  en  la  contrée  de  Tliebaïde.  La  manoit  il  en  une 
roche  d'une  halte  montaigne  qui  près  estoit  del  désert,  qui  voisins  est  a  la  cité  qui 
Lyco  est  apelée ... 

La  traduction  de  YHistoria  monacltnriim  est  divisée  en  plusieurs 
morceaux  dont  chacun  est  de  longueur  suffisante  pour  une  lecture 

'■'  Mieux,  10128  :  li  saint  home.  '"'  Les  mots  entre  []  sont  omis  dans  Carp. 

'*'  M»,  «e  serrent,  corrigé  d'après  lOiaS.  '''  Ms.  10128  de. 

'•'"'   Mi.  desor.  '''   Ms.  10118  car  tant  ot  en  lui  bien  fi  coiimc 

'*'  (jarp.  me  dona  que  je  eusse  si  sainz  homes  vos  orroiz  retraire  que  l'en  i  puet  bon  example 

tt  que  fuse  avec  ex;  corrigé  d'après  10128.  prendre.  Il  n'y  a  rien,  dans  le  latin,  qui  corres- 

'*'  Ce  mot  est  ajouté  en  interligne.  ponde  à  cetle  phrase. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


275 


édifiante.  Le  premier  se  termine  (fol.  96  c  du  manuscrit  d:;  Car- 
penlras)  avec  le  chapitre  de  Paphnulius,  et  a  une  conclusion  de 
sermon  :  «  Nostre  Scignor,  a  cui  honors  et  gloire  soit  par  toz  les 
«  siècles  des  siocle[s].  Amen.  »  C'est  ce  morceau,  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  qui  a  été  admis  dans  le  légendier  conservé  sous  le  n°  loiaS  des 
Nouvelles  acquisitions  françaises  à  la  Bibliothèque  nationale.  Le  se- 
cond morceau  se  compose  du  seul  chapitre  sur  Apollonius  d'Hermo- 
polis,  qui  est  fort  long,  et  finit  par  Amen;  le  reste  de  la  colonne 
reste  en  blanc.  Le  troisième  s'étend  jusqu'à  la  fin  de  l'ouvrage. 

Ici  encore,  le  traducteur  présente  occasionnellement  ses  réflexions 
en  rimes.  Voici  ce  que  nous  lisons  au  chapitre  de  Dioscurus'''  : 

[Fol,  cxj)  Quant  nos  fumes  de  la  parti,  nos  en  alamcs,  fait  Postumiens,  si 
veïsmes  en  la  pa[r]tie  de  Thebaïde  un  saint  prestre,  Dioscorus  avoit  non,  qui  avoit 
en  s'abaïe  près  de  .c.  moines  dont  il  estoit  pères  en  Nostre  Signor,  ce  est  qu'il  les 
doctrinoit  de  venir  a  vie  parmenable.  Cil  sainz  pères  doctrinoit  ses  frères  mult  hum- 
lement  et  mult  dolcement,  si  con  nos  veïsmes,  que  nus  d'elx  n'aprochast  au  sacre- 
ment de  sainte  iglise,  tant  con  il  eùst  en  lui  malvaise  conscience  ne  vilté  orde,  mes 
il  les  espurjassent  et  lavassent  par-sainte  confession  et  par  oroisons  et  par  jeûnes; 
quar  ce  devoit  l'en  faire.  Des  plusors  autres  saintes  paroles  les  doctrinoit  ïi  sainz 
pères,  dont  longue  chose  seroitde  raconter  tote  i'ordenance  et  del  dire. 


Quar  Ions  sermons  trop  fort  annaie 
Plus  que  laiz  tens  ne  longue  pluie  ''' 
A  cex  qui  ament  Dieu  petit. 
Dex  !  com  en  ont  poi  de  ''^'  profit 
Tuil  li  riche  homme ,  ce  me  semble  ! 
Quant  .iiij.  ou  trois  en  a  [enjsembie, 
Plus  volentiers  oient  parler 
D'un  riche  aver  qui  fait  ma[r]ler 
Ses  terres  a  ses  coruées , 
Et  «le  lor  granz  '  coppes  dorées 
A  quoi  il  boivent  lor  forz'''  vins, 
Qu'il  n'oient  les  sermons  devins. 
Petit  lor  tient  cil  mal  au  cuer. 
Hé!  que  ne  lor  sovient  del  fuer 
Ou  les  lor  âmes  seront  mises! 
Si  griément  seront  entreprises 
Quant  devant  lor  seignor  vendront, 
Qui  jugera  trest[ot]  le  mont! 


Dex!  que  porront  il  devenir? 
Feront  il  enparliers  venir  ? 
Nenil,  certes  :  vaines  et  foies 
Seront  [tresjtotes  lor  paroles. 
Chascuns  hom  i  trovera  pertes  ■''  ; 
Jugié  seront  sus  lor  désertes. 
Ses  désertes  ne  dote  nus  ; 
La  n'avra  force  rois  ne  dus, 
Ne  qucns,  ne  prince  de  parage; 
N'i  vairont  rien  li  eritage. 
Ne  li  pris  de  chevalerie. 
Dieux  !  qu'  iert  '''  de  la  bachelerie 
Qui  si  se  font  ardi  et  preu  ? 
Corront  il  la  si  sore  Dieu 
Com  il  font  ci?  Nenil,  ce  croi; 
La  n'ierent  pas  lor  li  desroi  : 
Plus  coarz  i  seront  que  lièvres. 
Se  por  mil  anz  avoir  '*'  les  fièvres 


'"'  Cil.  x\,  Rosweyde,  p.  /f]i;  Migne,  Pair. 
/«(.,  XXI,  Ma. 

'*'  Ms.  longues  pluies. 
'■''  Ms.  petit. 
'*'   Ms.  rp-tiiil. 


'>>  Ms.  fort. 

'"'  Ms.  prestes. 

'''  Ms.  qui  ert. 

''^  Ms.  avaient. 


35. 


276 


VERSIONS  E\  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


En  pooient  sol  esclinper, 

Jamais  ne  querroient  aper 

Rien  a  povre  home  n'abbeie, 

Que  il  eussent  en  bailiie. 

Fol  sont  liaut  home  qui  n'entendent 

Quex  biens,  qucx  mais  qui  iapendenl; 

[II]  atendenl  qu'il  doivent  faire. 

Tant  Guident  savoir  de  l'afairc 

N'i  a  celui  ne  cuide  bien 

Qu'en  lui  n'ait  nés  nul'autre  rien 

Que  aens ,  cl  que  ce  soit  folie 

Q'uns  autres  li  recont  et  die. 

Se  trop  n'est  bien  a  son  acori. 

Par  ce  sont  li  haut  home  moit. 

Ce  ior  fait  Diex  qu'il  en  despisent  : 


Ses  paroles  si  petit  prisent 

Que  neïs  li  oirs  Ior  grieve , 

Que  poi  faut  que  Ior  cuers  ne  crieve  ; 

Mes  sachient  bien  certainement 

Que  Dex  en  prendra  vengement, 

Ou  en  cest  mont  par  tel  manière 

Qui  mult  Ior  ert  cruose  et  fiere , 

Ou  en  l'autre  par  tel  dolor 

Qui  ne  Ior  faudra  a  nul  jor. 

Se  Diex  Ior  done  ci  lo  bien , 

!\'oblie  il  Ior  malice  rien, 

Ain/,  en  avront  [tôt]  Ior  mérite; 

En  nule  rien  n'en  ierent  quite, 

Si  con  lesmoigne  l'Escriture, 

Qui  vérité  dit  et  droiture. 


Or  laisoiis  nos  ester  de  cex  qui  a  cnviz  oient  la  parole  Nostre  Seignor  reconter  et 
dire,  et  qui  cuidenl  estrc  sage;  si  sunt  tuil  farsidc  foiie,  si  con  l'en  les  porroit  bien 
provor  par  droit,  s'il  ert  qui  faire  le  vosist.  Si  dirons  l'uevre,  si  com  Postumiens 
le  continue,  et  si  dui  compaignon  qui  lo  lesmoignent,  qui  dient  qu'il  virent  un 
autre  saint  home,  quant  il  se  furent  parti  de  celui  dont  je  vos  ai  devant  conté.  Cil  '" 
saint  home  qu'il  troverent  estoit  pères  de  mult  d'abcïes  por  sa  sainte  vie  qu'il  avoit 
lontens  menée.  Or  l'apeloient  cil  de  la  contrée  par  non  '^'.  Quant  nos  venimes 
a  lui,  fait  Postumiens,  si  avoit  il  nouante  anz  d'a'age.  .  . 

8.  C'est  encore  à  Postumien  que  Wauchier  attribue  les  Verba  sc- 
iiiorum^^^  de  Rufin,  qui  terminent  sa  compilation  dans  le  manuscrit 
(le  CarpeiitiMS.  Il  commence  ainsi,  traduisant  le  prologue  : 

[Fol.  cxviij)  Certes,  il  n'est  liom  crestïrns  qui  doive  doter  que  par**'  les  vies 
des  sainz  homes  qui  ont  esté  et  sont  encore,  et  par  les  ovres  et  par  les  mérites  des 
sainz  pères,  dont  je  vos  racont  les  faiz  en  cest  livre,  ne  dure  li  siècles,  quar  il 
fuirent  luxure  et  totc  malvaistié,  et  si  se  mistrent  el  parfont  hermitage  et  es  orribles 
roches  de  la  grant  desertine  et  es  fosses  obscures  et  solitaires.  \a\  n'avoient  il  ne 
fain  ne  soif;  si  les  sostenoit  Nostre  Sire.  Nos  racontons  es  escritures  les  saintes  foiz 
des  palriarcas  et  des  prophètes,  ce  est  d'Abraham  et  d'Isaac  et  de  Jacob,  de  Moysen 
et  d'Elie  et  de  saint  Joham  Baptiste  et  d'autres  sainz  homes,  non  mie  por  ce  que 
nos  les  glorefiomes,  quar  Nostre  Sire  les  a  bien  gloreficz,  mais  por  ce  que  cil  qui  les 
liront  et  orront  en  metent  avant  la  doctrine  et  les  exemples'^'  de  vérité  et  de  salu  a 
oes  les  âmes,  si  que  eles  puissent  eschaper  des  tormenles  maies  parmenables. 

Or  vos  conterai  je  avant,  fait  Postumiens,  ce  que  nos  oïnies  et  entendîmes  des  faiz 
et  des  paroles  des  sainz  pères. 


<"'  Ch.  n,  Rosweyde,  p.  467;  Migne,  Pair. 
/«/.,XXI,4o5. 

'"'  Le  blanc  est  dans  le  manuscrit  ;  le  nom 
qu'il  faut  rétablir  est  llur. 


'''  Rosweyde,   n.   4f)'i;    Migne,    Puh\    lat. 
LXXI!I,739. 
'*'   Ms.  par  que. 
'''  Ms.  esxempics. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


277 


Moines  estoient  une  foiz  ensemble,  devant  lor  saint  pere  ;  si  li  demandèrent  con- 
ment  en  devoit  maintenir  astinence.  Il  lor  respondi ,  si  dist  :  «  Mi  bel  fil,  il  covient  que 
«  nos  ahomes  lot  lo  repos  de  ceste  présente  vie,  et  lescorporex  deliz,  et  que  nos  ne 
«  queromes  mie  les  honors  des  homes,  quar  eles  sont  vaines  et  trespassables.  Se  nos 
«  de  ce  nos  atenomes ,  Nostre  Seignor  nos  doni  a  les  colosfiex  repos  en  vie  parmenable 
«  et  gloriose  leesce  ensemble  ses  frères*''  angcles.  » 

Wauchier,  ici  comme  ailleurs,  aime  à  interrompre  de  temps  à 
autre  sa  traduction  par  des  réflexions  morales  auxquelles  il  lui  plaît 
de  donner  la  forme  poétique.  A  la  suite  de  l'histoire  de  deux  moines 
qui,  tout  entiers  à  la  récitation  du  psautier,  oublièrent  leur  repas '^*, 
le  traducteur  introduit  ces  réflexions  : 


Seignor,  tex  geru  ne  sont  or  mie  :  {fol.  cxix) 

Miilt  est  plus  la  viande  amie 

A  eex  d'ore  qu'adonc  ne  fust. 

Nonporquant  n'ierent  pas  de  fust 

Li  saint  horae  qui  ce  fasoiont  ; 

Lor  cors  pas  del  toi  n'aaisoicnt 

As  viandes  n'aus  bons  morsiax. 

Or  cuide  en  que  cil  de  Citiax 

Traient  grief  paine  de  ramine[s]  : 

Qu'iert  '''  dont  de  cex  qui  de  racines 

Vivoient  et  d'erbe  menue  ? 

Certes ,  lor  chose  ert  si  venue , 

Par  l'astinence  qu'il  avoient. 

Que  nule  autre  rien  ne  faisoient; 

Mes  or  vielt  chascun  lo  bon  vin, 

Chascuns  demande  le  farsin , 

Chascun  dote  qu'il  n'ait  ja  preu. 


Chascun  maldit  et  het  lo  keu 

Qui  petit  atorne  viande. 

Se  se[s]  sires  ne  li  conmande  ; 

Et  se  li  sire  vielt  petit , 

Chascun  hait  son  fait  et  son  dit. 

Nus  n'est  or  qui  voille  astinence 

Avoir  por  Dieu  ne  pascience. 

Guerpie  l'ont  abé  et  moine , 

Arcevesque ,  vesque'*'  et  chaloine , 

Chevalier  [et]  clierc  et  vilain. 

Laisie  l'ont  arrière  main  : 

N'en  tiegnent  mes  ne  plait  ne  conte  ; 

De  Dex  servir  a  ch[asc]uns  honte. 

En  la  fin  s'en  repentiront 

Quant  il  a  jugement  seront 

De  celui  qui  tôt  jugera 

Et  qui  tôt  fist  et  desfera. 


Ne  Yoil  plus  dire  ne  parler  de  cex  qui  n'ont  en  ex  astinence,  ainz  vos  dirai,  fait 
Postumiens,  d'une  aventure  qui  avint  a  un  abbé  qui  Zenon  estoit  apelez  par  non. 
Prodom  ert  et  de  bone  vie.  .  . 

La  version  suit  l'ordre  du  texte;  du  moins  n'y  avons-nous  pas  re- 
marqué de  transpositions.  Mais  tout  n'est  pas  traduit  :  çà  et  là  quel- 
ques paragraphes  ont  été  omis.  Il  est  probable  que  Wauchier,  ou  le 
copiste  du  texte  latin  qu'il  avait  sous  les  yeux,  est  responsable  de  ces 
omissions.  Mais  nous  n'avons  aucune  raison  de  croire  que  Wauchier 
n'ait  pas  poursuivi  sa  traduction  jusqu'à  la  fin  de  l'ouvrage.  Or  le 
manuscrit  de  Garpentras,  jusqu'à  présent  le  seul  exemplaire  connu  de 


'"'  Frères   n'est  pas  dans  le  latin.  —  '^'  S  6 ,  Rosweyde,  p.   AgS;  Migne,  LXXIH,  7^2.  — 
—  *''  Ms.  qui  ert.  —  '*'   Ms.  vesques. 


278  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

cette  version,  arrête  le  texte  au  paragraphe  65.  Les  Verba  seniorum  de 
Rufin  sont  divisés,  dans  l'édition  deRosweyde,  en  220  paragraphes. 
Il  nous  manque  donc  plus  des  deux  tiers  de  la  traduction.  Comme  le 
texte  du  manuscrit  s'arrête  à  la  première  colonne  du  feuillet  129,  et 
que  la  seconde  colonne  est  occupée  par  le  commencement  de  la 
Conception  de  Wace,  qui  est  d'une  autre  main,  il  faut  bien  admettre 
que  le  copiste  a  laissé  sa  copie  inachevée.  Voici  le  dernier  paragraphe 
de  la  traduction  (S  64  de  Rosweyde)  : 

Frère  qui  travaillé  estoient  {fol.  vj"ix)de  malvaisses  pensées  en  lor  corages 
vinrent  a  l'abé  Elye  por  conseil  qucrre  qu'il  feroient.  Li  saint  pères  les  esgarda ,  si 
vit  qu'il  estoient  gras  et  refait'";  si  comença  a  sorrire  et  dist  a  l'un,  ausi  con  s'il 
l'usl  ses  disciples  :  «  Certes,  frères,  j'ai  honte  de  toi ,  de  ce  que  lu  as  norri  si  ton  cors, 
«et  si  regehis  que  tu  ies  moines.  Pale  colors  et  maigresce,  ensemble  humilité,  est 
"biautez  et  honors  a  moine.  Li  moines  qui  mult  manjue  et  mult  mes  ovrer'"^'  ne 
«  doit  mie  en  lui  avoir  fiance;  mais  cil  qui  petit  manjue  et  a  en  lui  aslinence,  encore 
«  ovre  il  petit,  doit  bien  en  lui  avoir  fiance.  » 

Il  avint  une  autre  foiz  qu'une  da[moiselle  <"] .  .  . 


Nous  avons  dit  plus  haut  que  le  manuscrit  de  Garpentras  ne  conte- 
nait pas  tous  les  écrits  hagiographiques  traduits  par  Wauchier  de 
Denain.  Nous  croyons  en  effet  pouvoir  lui  attribuer  avec  toute  certi- 
tude la  traduction  des  vies  de  saint  Jérôme,  de  saint  Benoit  (livre  II 
du  Dialogue  de  Grégoire  le  Grand),  de  saint  Martin,  de  saint  Brice 
et  enfin  celle  des  Dialogues  de  Sulpice  Sévère  sur  saint  Martin.  Ces 
écrits  ne  se  rencontrent  pas  isolés  :  ils  ont  été  admis  de  bonne  heure 
en  divers  recueils  de  légendes  françaises  dont  il  est  à  propos  de 
donner  ici  la  liste  : 

Manuscrits  où  se  trouvent  à  la  fois  les  vies  de  saint  Jérôme,  saint 
Benoit,  saint  Martin  et  saint  Brice  : 

Arras,  Soy. 

Chanlilli ,  Musée  Condé  ,456  '»'. 

'■>  Latin  ■  corpulenti  ».  à  la  suite,  mais  ces  lignes  ont  été  couvertes  |)ar 

'''  Corr.  et  neis  mult  ovre?  Lalin  :  «  Monachus  une  miniature  qui  se  rapporte  à  la  Conception 

«  edens  muHum  et  operans  multum ,  non  con-  de  Wace ,  dont  le  texte  c  minence  à  la  colonne 

«lidat;  qui  autem  panim  edit,  etiam  si  piarnm  suivante 

«operatur,  confidat  et  viriliter  agat.  »  '*'  Ce  manuscrit   et  celui    de    Cheltenhani 

l'>  C'est  le  début  du  paragraphe  65  du  latin.  (  Biblioliièque  Philiipps) ,  qui  suit ,  contiennent 

La  ligne  finit  avec  da;  le   reste    du  mot,  et  à  peu  près  les  mêmes  légendes  et  dans  le 

sans  doute  quelques  lignes  de  plus,  venaient  même  ordre. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES.  279 

Cheltenham,  Bibl.  Phillipps,  366o. 

Londres,  Musée  brit.,  Roy.  ao  D  vi'";  Addit.  17275'^'. 

Paris,  Bibl.  nal.,  fr.  i83,  i85,  4i  i,  4  1  2,  a3i  i  7. 

Paris,  Bibl.  Mazarine,  1716. 

Oxford,  Queen's  Coll.,  3o5. 

Manuscrits  n'ayant  que  les  vies  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Benoit  : 

Paris,  Bibl.  nat. ,  fr.  13/496. 
Saint-Pétersbourg,  Bibl.  imp. ,  fr.  35. 

Manuscrits  n'ayant  que  ia  vie  de  saint  Jérôme  : 

Arias,  1  39. 

Bmxel les,  Bibl.  roy.,  g-aaS. 
Dublin,  Trinity  Coll.,B2.8. 
Lyon,  772. 

Manuscrits  n'ayant  que  les  vies  de  saint  Martin  et  de  saint  Brice  : 
Paris,  Bibl.  nat.,fr.  6647,  23i  12. 

Manuscrits  n'ayant  que  la  vie  de  saint  Martin  : 
Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  /122,  1722g. 

Enfin  la  traduction  des  Dialogues  de  Sulpice  Sévère  ne  paraît  s'être 
conservée  que  dans  un  recueil  dont  nous  avons  trois  copies:  Bibl. 
nat.,  fr.  4 1 1  et  4 1 2  ;  Musée  brit. ,  Roy.  20  D  vi ^^K 

Une  circonstance  matérielle,  qui  doit  être  relevée  ici,  suffirait  à 
nous  faire  conjecturer,  à  défaut  même  d'autres  motifs  plus  forts,  que 
les  traductions  des  légendes  de  saint  Jérôme,  saint  Benoit,  saint  Mar- 
tin et  saint  Brice  ont  un  auteur  commun  :  c'est  qu'elles  se  suivent 
dans  un  grand  nombre  de  manuscrits,  notamment  dans  les  mss.  fr. 
i83  (Jérôme, art.  5o;  Benoit,  art.  5i  ;  Martin,  art.  5 2  ;  Brice ,  art.  53); 


'''  Ce  manuscrit  et  les  n°'  4i  i  et  4i2  de  la 
Bibl.  nat.  contiennent  les  mêmes  légendes. 

'*'  Ce  manuscrit  et  les  n"  i83  et  i85  de  la 
Bibl.  nat.  sont  de  la  même  famille ,  ou  du  moins 
ont  un  fond  commun. 

'^'  Certains  de  ces  manuscrits  ont  été  l'objet 
de  notices  détaillées,  où  sont  citées  les  premières 
lignes  de  chaque  légende  :  Arras  807  [Roma- 
nia,  XVII,  366);  Clieltenham  [Noticea  et  extraits. 


XXXIV,  1"  partie,  i85);  Londres,  Musée  bri- 
tannique, add.  17275;  Lyon,  772  {Bull,  de  la 
Soc.  des  anc.  textes  fr.,  i885,  p.  4o);  Paris, 
Bibl.  nat.,  fr.  i83  et  i85  {Notices  et  extraits, 
XXXVI,  409);  fr.   6447   {Notices  et  extraits, 

XXXV,  435);  Saint-Pétersbourg  {Notices  et 
extraits,  XXXVI,  677).  La  table  des  autres 
légendiers  sera  donnée  plus  loin  dans  la  notice 
des  légendes  en  prose. 


280 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 


—  i85  (Jérôme,  art.  54;  Benoit,  art.  55;  Martin,  art.  5G;  Brice, 
art.  57);'  —  Bruxelles  9225  (Jérôme,  art.  ^9;  Benoit,  art.  5o; 
Martin,  art.  5i  ;  Brice,  art.  02  ).  —  Il  en  est  à  peu  près  de  même  du 
ms.  Add,  17275  du  Musée  britannique  (Jérôme,  art.  ii3;  Benoit, 
art.  1 1 5  ;  Martin ,  art.  1 1 6  ;  Brice ,  art.  117  ),  où  les  vies  de  saint  Jérôme 
et  de  saint  Benoit  sont  accidentellement  séparées  par  la  translation 
de  saint  Nicolas  (art.  1 14),  qui  aurait  dû  évidemment  prendre  place 
après  la  vie  du  même  saint  (art.  112).  Dans  le  ms.  807  d'Arras,  les 
vies  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Benoit  se  suivent  (art.  10  et  11),  et 
c'est  probablement  par  une  inadvertance  du  copiste  que  la  vie  de 
saint  Martin  (art.  2  3)  est  placée  loin  de  celle  de  saint  Brice  (art.  12)'''. 
La  famille  composée  des  mss.  20  D  vi  du  Musée  britannique,  4i  1  et 
4i2  de  la  Bibliothèque  nationale,  nous  présente  ces  quatre  vies  en 
deux  groupes  :  d'abord  saint  Martin  et  saint  Brice,  puis,  un  peu  plus 
loin,  saint  Jérôme  et  saint  Benoit. 

Sans  insister  sur  cette  circonstance,  nous  donnerons  les  raisons 
qui,  à  notre  avis,  permettent  de  désigner  Wauchier  de  Denain  comme 
le  traducteur  de  ces  quatre  légendes.  Et  d'abord,  ici  comme  dans  les 
versions  que  renferme  le  manuscrit  de  Cai-pentras,  nous  rencon- 
trons de  temps  à  autre  des  réflexions  morales  exprimées  en  vers. 
Plus  d'un  écrivain  du  moyen  âge  peut  avoir  eu  la  même  idée,  mais 
les  vers  que  nous  allons  citerne  peuvent  guère  avoir  été  écrits  que  par 
Wauchier.  Prenons  la  vie  de  saint  Jérôme''^'.  Elle  est  pleine  de  récits 
fabuleux,  comme  l'a  reconnu  D.  Martianay,  qui  en  a  publié  l'ori- 
ginal latin '^'.  Entre  ces  récits,  l'un  des  plus  connus  est  celui  où  il  est 
question  d'un  lion  apprivoisé  qui  servait  Jérôme  et  ses  moines,  et 
que  ceux-ci  avaient  injustement  soupçonné  d'avoir  mangé  un  ànc 
dont  il  avait  la  garde.  La  vérité  était  que  l'àne  avait  été  volé  par  des 
marchands,  mais  le  lion,  ayant  fini  par  le  retrouver,  le  ramena  au 
logis,  et,  se  présentant  à  chaque  moine,  témoigna  par  ses  gestes 


'''  Remarquons  que ,  dans  le  même  manuscrit 
d'Arras,  les  légendes  de  saint  Jérôme,  de  saint 
Benoit,  de  saint  Brice  sont  suivies  de  celles  des 
saints  Paulin,  Malchus,  Paul  le  Simple  et 
Antoine,  qui  sont  aussi  de  Wauchier,  et  qui 
sont  comprises  dans  le  ms.  de  Carpentras. 

'*'  En  voici  le  début,  d'après  le  ms.  Bibl. 
nnt. ,  fr.  4 1  3  : 

(Fol.  157)  «Seinz  Jerosnie  fu  nez  de  haute 


iignie ,  d'un  chastcl  qui  fu  apelez  Slridons  : 
si  estoit  en  la  marche  Dalinasse  et  de  Pan- 
nonie ,  mes  il  est  destruit  grant  tens  a ,  si  corne 
sont  pluseurs  autres  viles  qi  ja  furent  de  grant 
nobleté.  Li  pères  seint  Jcronie  eut  a  non 
Kusel)ius ,  qi  moût  fu  preudom  et  sages.  Li  filz 
l'ensivi  moût  bien  de  science,  si  coni  vos 
porroiz  oïr  et  entendre ...» 

«  Migne,  Pulr.lut..  XXII,  aoi. 


VF>RSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


281 


qu'il  était  innocent  du  méfait  dont  on  l'avait  accusé.  Les  moines 
crurent  devoir  s'imposer  une  pénitence  pour  expier  leur  jugement 
téméraire.  D'où  le  Iraducleur  prend  occasion  de  nous  dire  en  vers 
que  les  moines  de  ce  temps  valaient  mieux  que  ceux  du  temps 
présent.  Voici  le  texte,  d'après  le  ms.  Bibi.  nat.  fr.  4 1 2  ,  fol.  1 58  : 

Li  lions  comença  a  aler  molt  liement  par  tout  l'encloistre  de  Tabeie;  si  se  coucha 
devant  chascun  frere  aussi  com  s'il  vousist  dire  qu'il  n'avoit  mie  faite  la  félonie  c'on 
li  avoit  sus  mise.  Quant  ce  virent  li  frere,  il  firent  lor  peneance  por  la  cruiauté  dei 
blasme  dont  il  l'avoient  reté  a  tort;  car  adonl  estoient  moine  plu  et  doz,  ne  ne 
savoient  mie  tant  de  mal  com  il  sevent  ores. 


Ceus  qi  or  sont  liet  Nostre  Sire  ; 
Nus  n'en  porroit  conter  ne  dire 
Lor  maus  ne  lor  malavenlures  : 
Deu  héent  et  les  Elscritures 
Et  lor  ordre,  mes  c'est  del  meins  : 
Ja  nus  preudom  n'ert  lor  compein» 
Qi  ne  s'en  plaigne,  c'est  la  finï. 
En  moine  a  plus  de  iarrccins 


Qu'en  usurier  de  fauselé. 
Et  se  li  cuens  la  vérité 
Savoit  de  ior  cuers  les  félons , 
Ja  ne  seroit  li  ans  si  lous 
Que  por  eus  fcïst  nule  rien  ; 
Car  je  li  mant,  sel  sace  bien, 
Qe  por  lui  feroient  petit 
N'en  orissons ,  n'en  fet ,  n'en  dit. 


Li  frere  seint  Jeroime  disoient  dei  lion  :  «  Veez  ici  nostre  pasteur  que  nos  damp- 
«  nions  si  cruelment  com  se  ce  fust  uns  devorrieres,  et  Nostre  Sires  nos  a  demostré 
«  mont  beau  miracle  por  ce  qu'il  fust  de  cest  blasme  escusez  "'.  » 

Le  comte  auquel  s'adresse  l'auteur  ne  peut  guère  être  différent  du 
comte  Philippe  de  Namur,  nommé  dans  le  prologue  du  manuscrit  de 
Carpentras  (ci-dessus,  p.  261  ).  D'ailleurs,  nous  trouverons  plus  loin, 
dans  la  traduction  des  Dialogues  de  Sulpice  Sévère,  un  témoignage 
plus  positif.  11  est  à  remarquer  que  ce  hors-d'œuvre  poétique  a  été 
omis  dans  la  plupart  des  copies.  En  fait,  nous  ne  l'avons  trouvé 
que  dans  la  famille  formée  par  les  manuscrits  Bibl.  nat.  fr.  4 1 1 ,  4 1  a  , 
et  Musée  brit.  20  D  vi.  La  même  observation  s'applique  aux  passages 
que  nous  allons  rapporter. 

La  vie  de  saint  Benoit''^*  contient  aussi  quelques  morceaux  en  vers. 


'*'  Hya  seulement  dans  le  latin  (Migne, 
XXII,  312):  «Quo  viso,  fratres  pœnitentiam 
«  agentesquod  ei crudelitatis  intulissentcrimen, 
«  dicebant:Ecce  pastorem  nostrum ,  quem  paulo 
«  ante  ut  voratorem  crudeliter  damnabamus  : 
«  cum  quanto  eum  praeconii  miraculo,  ut  huic 
•  crinien  auferret ,  ad  nos  dignatus  est  mittere 
«Dominus!  » 

'*'  Début,  d'après  le  ms.  Bibl.  nat.  IV.  4i2  : 

RIST.  LITTÉR.  —  XXXIII. 


(Fol.  ib8  d)  «  Uns  hom  fu  de  moût  seinte  vie, 
«si  com  seinz  Gregoires  nos  raconte.  Cil  hom 
«  estoit  Beneoiz  apelez  par  non ,  qi  très  s'en- 
«  fance  avoit  en  lui  cuer  de  viellece  ;  science  et 
«  ses  sens  et  ses  meurs  trespassoient  son  aage. 
«  Dont  il  avint  q'il  onques  ne  vout  atonier 
«son  corage  as  deliz  de  cest  siècle,  einz  des- 
«  pist  le  monde  et  totes  les  oevres  qui  veines 
«estoient.  .  .  » 


36 


282  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 

Au  chapitre  xxiii  de  l'original  latin  (deuxième  livre  du  Dialoffus  de  saint 
Grégoire)  est  contée  l'aventure  de  deux  religieuses  de  noble  naissance 
qui  avaient  pris  l'habitude  de  parler  sur  un  ton  hautain  à  un  homme 
pieux  qui  les  servait.  Benoit,  l'ayant  appris,  les  avertit  qu'il  les  ex- 
communierait si  elles  ne  se  corrigeaient  pas.  Elles  ne  tinrent  pas 
compte  de  cette  menace,  sur  quoi  le  traducteur  fait  cette  sortie  contre 
les  femmes  : 

Car  feines  tencent  volentiers,  (fol.  16ù  c)  Dex  qi  les  fist  si  les  consaut 

Ce  leur  samble  moût  bons  inestiers.  Et  nos  ausint!  car  moût  sovent 

Puis  que  tences  ont  entreprisses.  Avons  a  eles  mal  covent, 

?]les  n'en  erent  ja  souprises,  Voire  as  pluiseurs,  non  mie  a  totes. 

Ainz  liment  tant  qe  mal  lor  vaut.  Mal  font  celés  qui  sont  estoutes; 

si  com  cez  .ij.  nonein  estoient  vers  lor  convers,  qui  onqes,  por  le  mandement  saint 
Beneoit,  ne  s'amendèrent.  .  . 

Un  peu  plus  loin,  ce  sont  les  moines  qui  sont  pris  à  partie  : 

[Fol.  167]  Et  bien  saciez  que  adonc  fist  il  la  riule  et  escrist  qe  les  moines  ont 
en  lor  abbeïes,  et  qu'il  doivent  tenir,  se  il  seint  Beneoit  ne  béent; 

Mes  lant  lor  a  fel  et  tant  dit  Meinlicgne  Dex  en  droite  voie, 

Q'il  li  sont  trestoz  contrctlif ,  Et  les  autres  puist  ravoier''* 

Tiens  i  a  ,  et  non  mie  touz.  Si  qe  Dex  a  merci  les  voie  ! 
Cens  qi  ne  sont  fel  ne  estouz 

Or  saciez  bien  qe,  en  la  riule  qe  sainz  Beneoiz  fist,  puet  l'en  bien  trovor  tout  si 
com  il  vesqi  et  ses  lez  et  tout  si  com  li  moine  doivent  vivre. 

On  voit  que  le  traducteur  de  la  vie  de  saint  Benoit  manifeste,  à 
l'égard  des  moines,  les  mêmes  sentiments  de  défiance,  sinon  d'hosti- 
lité, que  le  traducteur  de  la  vie  de  saint  Jérôme.  Il  est  bien  évident 
que  l'une  et  l'autre  légendes  ont  été  mises  en  français  par  le  même 
écrivain. 

Les  vies  françaises  de  saint  Martin  et  de  saint  Brice  se  suivent  dans 
les  manuscrits.  On  ne  rencontre  guère  l'une  sans  l'autre*^'.  Il  n'est  pas 
douteux  qu'elles  ont  été  mises  en  français  par  le  même  traducteur, 
et  il  est  plus  que  probable  que  ce  traducteur  est  celui  des  vies  de 
saint  Jérôme  et  de  saint  Benoit.  De  plus  nous  verrons  que  trois  manu- 
scrits joignent  à  ces  deux  légendes  la  traduction  des  Dialogues  de 

'"'  Cevcrs  reste  sans  correspondant.  En  outre,  '''  Les  mss.  Bihl.  nat.  fr.  43S  et  lyî'igfont 

il  devrait  prendre  place  après  le  suivant.  La  exception:  ils  ont  la  vie  de  saint  Martin,  mais 
leçon  du  ms.  fr.  /|i  i  (fol.  a48)  est  identique.         non  celle  de  saint  Brice. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  283 

Sulpice  Sévère  sur  saint  Martin.  Il  n'est  guère  douteux  que  le  traduc- 
teur a  eu  sous  les  yeux  un  recueil  latin,  comme  il  en  existe  beaucoup, 
où  les  trois  ouvrages  étaient  groupés. 

La  vie  de  saint  Martin,  traduite  de  Sulpice  Sévère,  commence  par 
un  prologue  qui,  bien  qu'écrit  comme  prose  dans  les  manuscrits,  est 
certainement  en  vers,  au  moins  pour  le  début  que  nous  rapportons 
d'après  le  ms.  4 1 2  :  ^ 

[Fol.  103)  Moût  doit  on  doucement  et  volentiers  le  bien  oïret  entendre,  car  par  le 
bien  savoir  et  retenir  puet  l'en  sovent  a  bien  venir.  Qui  bien  ne  seit  ne  bien  n'entent 
de  bien  faire  n'a  nul  talent.  Mes  del  bien  nest  sovent  li  biens,deImallimaus,sicom 
dist  l'Escripture.  Por  ce  se  doit  l'en  au  bien  avoier  et  le  bien  feire,  si  com  li  seint 
home  firent  ça  en  arrière  de  cui  nos  trovons  les  oe\Tes  et  les  vies  [es]  escriptures.  Et 
bien  sacent  tuit  cil  qi  vivent  qe  ja  n'avront  tant  de  bien  fet  en  totes  lor  vies  qe, 
qant  la  mort,  dont  nule  rien  n'eschape,  les  poindera  au  cuer,  q'il  ne  cuident  petit 
avoir  fait.  Dex  !  que  feront  dont  cil  qui  riche  sont  et  aise  de  l'avoir  de  cest  siècle, 
ne  en  eus  n'ont  douçor  ne  humilité  ne  miséricorde,  ainz  sont  plein  d'angoisse  et 
de  traïsson  et  de  félonie  et  de  grant  avarice,  qe,  com  plus  ont  richesces  et  avoirs, 
plus  en  desirrent  a  avoir P  Ce  fet  li  deables,  qi  en  tel  manière  les  a  laciez  et  pris  q'il 
les  en  meine  en  infer  le  grant  chemin  plenier.  De  ce  se  gard[er]ent  li  seint  home ,  qi ,  par 
dolereuses  peines  et  par  griez  tormenz  et  par  veilles  et  par  geûnes  et  par  toutes  bones 
oevres,  firent  tant  q'il  vindrent  a  vie  parmenable  et  a  la  corone  de  gloire.  A  ce  regar- 
dèrent li  seint  confesser  et  messires  seinz  Martins,  dont  ci  comence  la  vie. 

Plus  loin,  Sulpice  Sévère  (ch.  xx)  rapporte  un  trait  de  la  vie  de 
saint  Martin  pour  montrer  en  quelle  estime  l'empereur  Maxime  tenait 
le  saint  évêque  de  Tours  : 

[Fol.  109  h)  Li  empereres  coumanda  a  celi  qi  agenoilliez  estoit  q'il  baillast  a 
i'evesqe  la  coupe ,  por  ce  q'il  voloit  qe  li  seinz  hom  li  donast  de  sa  mein  a  boire. 
Mes  seinz  Martins  but ,  et,  tantost  q'il  ot  beCi,  si  bailla  la  coupe  au  preslre  qi  a  la 
table  seoit  et  venuz  ert  en  sa  compaignie,  por  ce  q'il  cuidoit  qe  nuz  de  toz  ceus 
qi  la  dedenz  seoient  fust  si  dignes  de  boivre  après  lui  com  li  prestres;  car  grant  chose 
est  de  prestre,  et  li  doit  chascuns  porter  grant  seignorie.  Car,  com  plus  est  li  hom 
de  haute  lignie  et  acomphz  de  grant  richesce,  tant  doit  il  plus  grant  iionor  porter 
au  prestre  qi  Nostre  Seignor  lieve  et  couce,  de  cui  tous  li  biens  vient  en  terre  et 
el  ciel  lassus. 

Dont  cil  serront  mat  et  confus''',  Et  cil  qi  ses  comans  feront 

Qi  bien  servi  ne  l'averont  ;  Averont  joie  et  tel  leesche , 

'"'  Ce  vers  paraît  rimer  avec  la  prose  qui  fournit  un  vers  de  plus,  et  peut-être  trois  :>■  car 
précède;  toutefois  il  y  a  dans  le  ms.  fr.  /ta 2  (foi.  «  de  liai  vient  tous  li  biens  qui  est  el  siècle  ter- 
91  d)    une    leçon,    peut  être    préférable,    qui         «  rien,  et  trestot  cil  del  ciellassus,  dont  cil.. .  » 

36. 


284 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 


Tel  signorie  et  tel  hautesce , 
Ke  nus  deviser  nel  savroit. 
[Certes,  boin  pourcacier  l'eroit'"'] 
Riches,  povres  communément 
Qui  a  cel  esjoïssement 
Peûssent  servir  sanz  desfcnsc  ; 
Et  cil  qi  ia  venir  ne  pense 
Elst,  certes,  en  niolt  maie  voie, 
Car  li  deables  le  desvoie  , 
Qi  o  lui  est  soir  et  matin. 


Qi  la  vie  ot  de  seint  Martin 
Aucun  bien  en  doit  retenir. 
Car  del  bien  doit  bien  sovenir; 
Le  mal  doit  l'en  lessier  aler; 
Ce  oï  sovent  dire  et  conter 
Qe  del  bien  doit  nestre  li  biens , 
Del  mal  le  mal ,  as  anciens. 
Ne  vos  en  sa!  plus  qe  retraire  : 
Buer  fu  nés  qi  le  bien  puet  faire 
Car  Dex  l'aime,  mon  essient"'. 


Quant  li  emperere  o  sagenl'^'  vit  que  seinz  Martins  ot  premiers  la  coupe  baillie  au 
prestre  cj'a  nul  des  autres,  il  s'en  esmerveillierent  de  grant  manière,  et  si  plot 
moût  a  l'empereor  el  a  toz  cels  qi  environ  lui  estoient. 


La  vie  de  saint  Martin  se  termine  par  ces  vers 


(") 


Tant  truevel'en  en  l'escriture'''  (fol,  H3) 

Qi  del  trestot  nos  assegure 

Et  qi  la  vérité  en  dist , 

Tout  ausi  com  Sevrins  l'escrit. 


Qi  sa  vie  nous  a  retrete 
El  latin,  qi  molt  bien  l'a  fcte. 
Au  tesmoing  cens  qi  l'ont  leûe 
Et  tote  oïe  et  entendue. 


Au  cours  de  la  légende  nous  avons  rencontré  un  passage  en  vers, 
qui,  de  même  que  ceux  qu'on  a  lus  plus  haut,  a  le  caractère  d'une 
satire  morale  (Bibl.  nat.,  fr.  4i2,  fol.  io5  cd)  : 

Car  qi  son  signcur  voit  bien  faire  Icgierement  i  puet  example  prendre.  Et  qant 
li  sires  qi  les  aulres  doit  governer  n'entent  s'a  mal  non  fore,  li  autre  s'avoient  par 
aulel  manière  a  tele  oevre  et  a  tel  costume.  Ce  puet  l'en  veoir  sovent  en  cel  tens 
d'ore  plus  que  l'en  ne  feïst  adonques,  car  par  les  seignors  qi  poesté  ont  et  signorie 
empire  li  .siècles  et  va  a  honte. 


Car  chascuns  veut  trestot  avoir'*'. 
Et  chascuns  tient  a  grant  savoir 
Que  la  ou  doit  douer  souvent 
Doinst  a  chascun  pou  ou  noient  ; 
Mes  je  vous  di  que  mal  esploite 
Qui  tout  a  retenir  convoite , 

"'  Ce  vers,  omis  dans  le  ms.  4i2,  est  réta- 
bli d'après  le  ms.  422.  Le  ms.  il  i,  (|ui  est  de 
la  même  famille  que  4i2,  donne  pour  ce  vers 
une  leçon  inadmissil)le,  ja  tant  ne  s'en  entre- 
metroit,  vers  de  pur  remplissage  qui  se  joint 
mal  à  ce  qui  suit. 

'*'  Ailleurs,  par  exemple  dans  le  ms.  Bibl. 
nat.  fr.  17229  (fol.  i35  d),  les  quatre  pre- 
miers vers  seulement  sont  rapportés,  et  le 
dernier  est  ainsi  modifié  :  Avront  grant  joie  et 
grant  leesce. 

'''  Ces  mots  forment  un  vers  qui  rime  avec 


Car  morir  convient  en  la  fin. 
Qui  souvendroit  de  seint  Martin 
Et  qui  ses  voies  ensivroit 
,1a,  certes,  avers  ne  serroit 
Ne  n'avroit  en  lui  félonie 
Ne  mauvestie  ne  vilonie. 

le  précédent.  11  est  difficile  toutefois  de  ne 
pas  le  joindre  à  la  phrase  en  prose  dont  il  est 
le  début. 

'*'  Au  lieu  des  vers  qui  suivent ,  il  y  a  sim- 
plement dans  le  ms.  17229  (fol.  i4i  b),  et 
dans  la  plupart  des  autres  copies  :  «  Ce  trueve 
l'en  en  l'escripture.  » 

'*'  Ms.  Tant  en  trueve  l'en  l'escripture. 

'*'  Le  premier  seulement  de  ces  vers  est  con- 
servé dans  la  plupart  des  manuscrits  :  voir,  par 
exemple,  inss.  17229  (fol.  i3oc),  Bibl.  Maza- 
rine,  1716  (fol.  5a). 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES.  285 

Si  en  devroit  bien  sovenir  Qi  la  mort  tienent  a  folie , 

A  tous  cens  qui  cuident'''  morir.  Ne  qui  ne  cuident  ja  Unir 

Mes  autres  ne  le  dient  mie  '''  Ne  de  cest  siècle  départir. 

A  ce  ne  pensoient  mie  li  deciple  seint  Martin ,  ainz  cremoient  la  mort  et  doutoicnt. 

Le  récit  de  la  translation,  qui  suit  ordinairement  la  vie  de  saint 
Martin  dans  les  manuscrits,  peut  bien  avoir  été  traduit  aussi  par 
Wauchier,  mais  nous  n'y  avons  pas  remarqué  de  vers. 

La  vie  de  saint  Brice  est  traduite  d'une  légende  latine  qui  se  ren- 
contre souvent  à  part  (elle  est  imprimée  dans  le  Sanciuarium  de  Mom- 
britius],  mais  qui  n'est  autre  chose  qu'un  extrait  de  Vliistona  Fran- 
coram  de  Grégoire  de  Tours  (livre  11).  C'est  vers  le  commencement 
que  le  traducteur  a  intercalé  quelques  vers  de  sa  façon.  Nous  citerons 
tout  le  début  de  cette  légende;  on  pourra,  en  comparant  avec  le 
latin,  voir  comme  le  traducteur  paraphrase  et  même  développe  son 
texte  (fr.  4 1 2 ,  fol.  127  b)  : 

Quant  seinz  Brices  cstoit  jovenceaus,  il  guaitoit*^'  moût  seint  Martin  por  ce  qu'il 
le  veoit  vicl  home  et  de  grant  abstinence  et  de  seinle  vie  ;  et  li  jovenceaus  avoit  le 
cuer  jovene;  si  ne  li  pleisoient  mie  les  oevres  del  seint  home  qi  estoit  archevesqcs, 
car  il  vousist  bien  (|'il  se  meintenist  de  dras  et  d'autres  choses  plus  bêlement,  si 
com  li  pluiseur  feroient  encore,  qe  s'il  veoienl  les  cvesques  et  les  hautes  persones 
déduire  povrement  et  en  vielz  habiz  et  en  granz  abstinences  por  l'amor  Nostre 
Siguor,  il  les  en  blasmeroicnt  et  diroient  que  ce  seroit  ypocrisie. 

Por  ce  ne  set  l'en  mes  qe  fere  ;  Qi  se  meintient  moienement 

Nus  ne  se  set  auquel  chief  trere  :  L'on  li  met  sus  q'il  est  escharz; 

Beghins  est  qi  viut  fere  bien,  Si  est  li  maus  par  tout  esparz 

Ne  nus  nel  tient  a  crestïen  Qe  nus  ne  set  qe  devenir 

Qi  le  mal  fet  apertement.  Ne  la  quel  voie  il  puist  tenir. 

Un  jour  avint  qe  uns  hom  estoit  entrepris  de  grant  enfermeté  ;  si  aloil  queranl 
seint  Martin  por  avoir  santé  et  aide,  car  li  seins  hom  vivoit  '*'  encore  adonc.  Seinz 
Brices  estoit  lors  dyacres,  et  si  estoit  en  la  place  ou  cil  demandoit  le  seint  arche- 
vesqe.  Quant  seinz  Brices  l'oï,  il  li  dist  :  «  Se  tu  le  vius  conoistre,  regarde  de  loing, 
«  car  il  est  dervez,  si  le  porrasbien  reconoistre,  car  il  est  borgnes  et  aussi  regarde  il 
«  vers  le  ciel  com  il  fust  dervez.  »Qant  li  povreshom  entendi  ce,  il  ne  l'en  fu  gueres  , 
einz  ala  tant  qerant  le  seint  home  q'il  l'ot  trové,  et  si  fu  touz  gueriz  de  s'enfermeté. 
Et  seinz  Martins  vint  a  seint  Brice,  qi  diacres  estoit,  et  parla  en  tel  manière  :  «  Brices, 
«  dont  ne  te  samble  je  borgnes  et  dervez  .»>.  .  .'^'.  » 

'"'  Fr.  42  3  (fol.  87)  doivent.  «  Turonicae  civitatis  episcopi,  sunimi  et  incom- 

'*'  Fr.  422  Mes  as  autres  ne  di  jou  mie.  «  parabilis  viri ,  de  cujus  virtutibus  magna  apud 

'''  Plusieurs  mss.  ont  gaboit.  «  nos  volumina  retinentur,  Briccius  ad  episco- 

'*'  'SU.  li  seint  home  vivoient.  «patum  succedit.  At  vero   Briccius   iste,cuni 

'''  Voici  le  latin  (Greg.  Tur. ,  Hist.  Franc.  «  esset   primiEvae  aetatis  juvenis,  sancto  adhuc 

II,  i)  :  «Igilur,   post  excessum  beati  Martini  i  Martino  viventi  in  corpore  multas  tendebat 


286 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PERES. 


C'est  dans  la  version  des  Dialogues  de  Sulpicc  Sévère  sur  saint 
Martin  que  se  trouve  le  témoignage  le  plus  précis  sur  l'œuvre  de 
Wauchier.  Il  ne  le  cède  pas  en  importance  à  ceux  que  nous  a  fournis 
le  manuscrit  de  Garpentras. 

La  version  des  Dialogues  sur  saint  Martin  nous  a  été  conservée 
par  trois  manuscrits  qui  forment  une  famille  très  nettement  définie, 
étant  trois  exemplaires  à  peu  près  identiques  d'un  même  recueil 
(Bibl.  nat. ,  fr.  4 1 1  et  4 1 2  ;  Musée  brit. ,  20  D  vi).  A  la  fin  de  cette  tra- 
duction se  lisent  des  vers,  écrits  comme  prose,  où  on  apprend  que  le 
traducteur  des  Dialogues  est  en  même  temps  celui  de  la  vie  de 
saint  Brice  ;  qu'il  s'appelait  Gauchier,  ce  qui  est  le  même  nom  que 
Wauchier,  et  qu'il  écrivait  pour  le  comte  de  Namur.  Le  passage  est 
malheureusement  corrompu  dans  les  trois  manuscrits,  qui  dérivent 
évidemment  d'un  même  original  déjà  fautif;  cependant  le  sens  géné- 
ral n'est  pas  douteux.  Voici  le  texte  d'après  le  manuscrit  Bibl.  nat. 
fr.  4 1  ^  ,  fol.  127.  Nous  mettons  les  vers  à  la  ligne  : 


Or  vos  ai  l'uevre  consommée  ''' 
Des  miracles  de  saint  Martin  , 
Si  com  jes  trovai  el  latin  , 
Que  Severus  fist  et  treta. 
Mes  Gauchiehs,  qi  les  translata 
En  ronianz ,  avant  nos  raconte 

De  Namur  son  signer 

Avant  la  vie  de  seint  Brice  sans  sejor''' 

Qui  fu  esleûz 

«  insidias  pro  eo  quod  ab  eodem  plerumque  cur 
«  faciles  res  sequeretur  arguebatur.  Quadam 
«  autem  die ,  dum  quidam  infirmus  medicinam 
«a  beato  Martine  expeteret,  Briccium  adhuc 
•  diaconum  in  platea  cenvenit ,  cui  simpliciter 
«  ait  :  «  Blcce  ego  praestolor  bcatum  virum  et 
«  nescio  ubi  sit ,  vel  quid  eperis  agat.  »  Cui  Bric- 
«cius  :  «Si,  inquit,  delirum  illum  quaeris , pro- 
ie spice  eminus  :  ecce  caelum  solite ,  sicut  amens , 
«  respicit.  »  Cuinque  pauper  ille  ,  eccursu  rcd- 
«  dite ,  tpied  pcticrat  impetrasset ,  Briccioneni 
«  diaconum  vir  beatus  alloquitur  :  «  En  ego, 
«  Bricci,  delirus  tibi  videor  ?  » 

'"'  Ce  vers  parait  isolé  :  en  réalité  il  rime 
avec  la  fin  du  paragraphe  précédent,  qui  se 
termine  par  ces  mets  :  «  Et  il  se  levèrent  tuit 
«  et  départirent,  car  ja  estoit  près  de  la  vesprée.  » 

'*'  Ms.  lin  :  Avant  la  vie  sanz  sejor  De  saint 
Brice,  ce  qui  parait  meilleur. 


A  arclievesque  del  pais 

Après  la  mort  de  ce  seint  home  '*' 

Dont  contée  vous  ai  la  some. 

Or  aiez  pais  et  si  oie/.  '*' 

Et  vos  cuers  a  '*'  bien  apoiez, 

Car  pou  puet  li  biens  profiter 

Celui  qui  nel  viut  escouter; 

A  enviz  fet  bien ,  ce  m'est  vis  '*', 

Qui  le  bien  escoute  a  enviz'''. 


'"'  Saint  Martin. 

'*'  Le  ms.  4ia  de  la  Bibl.  nat.  et  le  ms.  du 
Musée  brit.  portent  aiez. 

'''  Les  deux  mômes  mss.  omettent  a. 

'*'  Les  deux  mss.  portent  :  ce  m'est  a  vis. 

'''  \'oici  deux  essais  de  restitution  dont  au- 
cun ne  nous  satisfait  pleinement  : 

1°  Mes  Gaucliiers,  qui  les  translata 
En  roman z,  avant  nos  raconte. 
Par  le  comanciement  le  conte 
De  Namur,  Felip ,  son  signor. 
Avant  la  vie  sans  sejor 
De  saint  Brice  qui  fu  esiit 
A  archevesque  de!  pais. 

2°  Mais  Gaucliiers,  qui  les  translata 
Kn  romanz  par  romani  le  conte 
De  -Namur,  son  signor,  nos  conte, 
[  Si  com  il  plot  a  cel  signor,] 
Avant  la  vie,  etc. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


281 


Il  n'est  pas  hors  de  propos  de  transcrire  un  passage  de  cetle  version 
(les  Dialogues  de  Sulpice  Sévère,  pour  montrer  quelles  libertés 
Wauchier  prenait  avec  son  texte,  abrégeant  le  plus  souvent  et  n'hé- 
sitant pas  à  omettre  les  passages  difficiles. 


DiAL.   I,  XXVII. 

«Ego  plane,  inquit  G;iHus,  licet  impar  siin 

1  lanto  oneri,  tamen,  relatis  suporiiis  a  Postu- 

iniano  obœdientiœ  cogor  exeniplis  ut  munus 

1  istud  quod  imponitis  non  recusein.  Scd,  dum 

1  cogito  me  hominem  Gailum   inter  Aquitanos 

1  verba    faclurum,   vereor   no    ofiV'iidat   vestras 

1  nimiuniurbanas  auiessernio  nisticior.  Audietis 

1  me  tamen  ut  giirdonicimi  hominem,  nihil  cum 

1  fuco  aut  cothurno  loquenlem.  Natn  si  mihi  tri- 

i  buistis  Martini  me  esse  discipuluin,  iHud  etiam 

1  concedite  ut  mihi  iiceat,  exemple  illius,inancs 

sermonum  pbaleras  et   verborum  ornamcnta 

contemnere.  »   —    «Tu    vero,    inquit    Postu- 

t  mianus ,  vel  celtice  aut  si  mavis  gallice  loquere, 

1  dummodo  Martin umloquaris.  Egoaulem  credo 

quia,  etiam  si  mutas  esses,  non  defutura  tibi 

verba  quibus  Martinum  facundo  ore  loquereris, 

sicut  Zacharia)  in  Johannis  nomine  lingua  reso- 

luta  est.  Ceterum,  cum    sis  scbolasticus,  hoc 

ipsum  quasi  scholaslicus  artificiose  facis,    ut 

excuses  imperitiam,  quia  exuberas  eloqiientia; 

sed    neque    monachum    tam    astutum  neque 

Galium  decet  esse  tam  callidum.  Verum  adgre- 

dere  potius  et  quod  te  manet  explica  :  nimium 

enim    dudum  aiias   res    agentes   consumimus 

tempus,  et  jam  solis  occidui  umbra  prolixior 

1  monct  non   multum  diei   vicina   nocte  supe- 

;  resse.  » 


BiBL.   NAT.  ,  FR.  4  1  3  ,   FOL.   1  IQ. 

Lors  respondi  Gaulus  et  si 
dist  :  «  Enrore  no  soie  je  mie  sidi- 
«  gnes  do  raconter  si  grant  oevre, 
«  li  example  d'obodience  qe  Pos- 
«  tumiens  nos  raconte  me  con- 
«  streint  a  ce  qe  je  ne  refuse  mio 
"  ce  que  vos  me  rovez  et  proies  qo 
«je  die.  Mes  je  me  criem  molt 
«  qo  mes  paroles  ne  soient  mie  si 
"  bien  assises  coin  les  pluisors  qo 
Il  vos  avez  oïes.  Mes,  nonporqant, 
Il  je  vos  conterai  ce  qe  je  en  avrai 
«  veii  a  la  plus  bêle  manière  que 
«je  porai  et  savrai.  »  Dont  dist 
Postumiens  :  «  Galle,  di  et  parole 
Il  seûrement,  car  je  rejehis  et  croi 
«qe,  se  tu  estoies  mus  et  sanz 
«parole,  et  tu  de  saint  Martin 
«  parler  voloies  et  ses  fèz  racontei', 
«  qe  tu  ta  parole  raveroies,  aussint 
«  conme  Zacharie  le  rot  por  de- 
II  mostroi'  le  non  seint  Jehan  Bap- 
II  tiste.  Mes  or  conmence  heitie- 
«  ment  et  si  nos  raconte  ce  qe  tu 
«  en  sez  et  veïs,  car  nos  avons 
Il  auques  de  tens  gasté  en  autres 
«  paroles,  et  la  nuiz  aproche  qi 
«  nos  semont  qe  tu  de  conter  ne 
«  targes  mies.  » 


Les  vies  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Benoit,  la  vie  de  saint  Martin, 
dont  les  Dialogues  de  Sulpice  Sévère  sont  le  complément,  celle  enfin  de 
saint  Brice,  disciple  et  successeur  de  saint  Martin ,  se  rattachent  assez 
naturellement  aux  récits  sur  les  Pères  de  la  Thébaïde  et  au  Dialogue 
de  saint  Grégoire.  Saint  Jérôme  vécut  de  la  vie  des  anachorètes  qu'il 


288  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PEIŒS. 

a  contribué  à  nous  faire  connaître.  Les  Dialogues  de  Sévère  sur  saint 
Marlin  sont  conçus  dans  le  même  esprit  que  le  Dialogue  de  Grégoire. 
Il  est  naturel  que  tous  ces  écrits  hagiographiques,  inspirés  par  un 
même  sentiment  et  présentant  une  réelle  analogie ,  aient  été  mis  en 
français  par  le  même  écrivain. 

Il  est  une  autre  légende  française,  d'un  caractère  fort  différent,  que 
nous  croyons  pouvoir  joindre  à  l'œuvre  littéraire  de  Wauchier,  bien 
que  les  preuves  en  faveur  de  cette  attribution  ne  soient  pas  aussi 
décisives  que  pour  les  ouvrages  précédents.  C'est  une  vie  de  sainte 
Marthe,  l'hôtesse  du  Christ,  dont  l'original  a  été  imprimé  dans  le 
Sanctuariiim  de  Mombritius.  La  traduction  dont  nous  voulons  parler 
ne  paraît  pas  avoir  été  fort  répandue,  car  nous  n'en  connaissons  que 
deux  copies,  l'une  qui  fait  partie  d'un  grand  légendier  français,  le 
manuscrit  Bibl.  nat.  fr.  6/4^7  ''\  l'autre  insérée,  entre  divers  écrits 
pieux  en  vers  ou  en  prose,  dans  le  manuscrit  Bibl.  nat.  fr.  igôSi  '"^'. 
Elle  est  précédée  d'un  long  prologue  en  vers  octosyllabiques,  et 
contient  au  moins  deux  morceaux  qui  présentent  la  même  forme. 
Dans  le  prologue  et  dans  l'un  des  passages  en  vers,  l'auteur  exhorte 
ses  contemporains  à  faire  le  bien,  à  se  garder  de  l'amour  des  richesses, 
afin  de  n'être  pas  pris  au  dépourvu  le  jour  redouté  du  jugement  der- 
nier. C'est  une  idée  que  Wauchier  a  plus  d'une  fois  développée.  Le 
prologue,  qui  est  fort  long,  ayant  été  publié  ailleurs'^',  nous  ne  le  re- 
produirons pas  ici;  nous  lui  emprunterons  toutefois  quelques  vers 
qui  peuvent  être  utilement  rapprochés  de  certains  passages  cités  plus 
haut.  L'auteur,  parlant  du  jugement  dernier,  s'exprime  ainsi  : 

Por  Dieu,  sigiior,  dont  ke  feront  Biautés,  cointise  ne  rikece? 

Cil  ki  el  siècle  poi  bien  font  Nenil,  se  par  Dieu  n'est  donée, 

Quant  venra  a  cel  jugement  ?  Ja  n'i  iert  nule  riens  contée 

Li  vauront  auques  li  parent ,  Par  amparlier 

Force ,  valors  ne  grant  noblece , 

Comparez  ces  vers  insérés  dans  la  version  de  YHisloria  monachorum 
(ci-dessus,  p.  276)  : 

Dex!  que  porront  il  devenir  ?  Seront  [tresjtotes  lor  paroles.  .  . 

Feront  il  emparliers  venir  ?  N'i  valront  rien  li  eritage 

Nenil  certes  :  vaines  et  foies  Ne  li  pris  de  chevalerie. 

'''  Une  notice  détaillée  de  ce  manuscrit  a  '*'  Ce  manuscrit,  qui  n'est  que  du  xv* siècle, 

été  publiée  dans  les  Notices  et  extraits,  XXXV,  n"a  pas  été  mentionné  dans  la  notice  citée  à  la 

435-5io.  Pour  la  vie  de  sainte  Marthe,  voir  noie  précédente, 
p.  5oo-5o3.  '•'*  L.  L,  p.  5oi-5oa. 


VERSIONS  EN    PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 


280 


Il  y  a,  dans  le  prologue  de  la  vie  de  sainte  Marthe,  une  indication 
précise  des  circonstances  dans  lesquelles  cette  légende  a  été  mise  en 
français  : 


F'.nsi  le  coininande  ma  daine. 
Gui  Die\  garisse  cors  et  aine , 
Et  ait  merchi  de  son  bon  père, 
Ki  fu  et  quens  et  emperere 
De  Constant  inople  le  grant. 


Et  de  sa  inere  le  vaillant , 

Ki  fu  très  jentils  dame  et  sainte  ; 

Onques  de  li  ne  fisent  plainte 

A  Dieu  les  glises  ne  les  gens, 

Ains  lorfist  mains  hiaus  dons  et  jens'''. 


Baudouin,  comte  do  Hainau  et  de  Flandre,  empereur  de  Gonstan- 
tinople  en  1 2o4 ,  mort  en  i  206,  laissa  deux  fdles,  Jeanne  et  Margue- 
rite, qui  furent  l'une  après  l'autre  comtesses  de  Hainau  et  de  Flandre, 
Ja  première  après  la  mort  de  son  père,  de  1206  à  i244i  la  seconde 
de  1244  à  1280.  Si  nous  supposons  que  l'auteur  de  ces  vers  était 
Wauchier,  nous  devrons  nécessairement  admettre  que  c'est  pour  la 
première  de  ces  deux  dames  que  la  vie  de  sainte  Marthe  fut  tra- 
duite'^l 

Les  ti-aductions  que  nous  avons  assignées  à  Wauchier  sont-elles 
les  seules  qu'il  ait  composées?  Nous  n'oserions  l'affirmer.  Toujours 
est-il  que  nous  n'avons  reconnu  sa  manière  dans  aucune  autre  des 
nombreuses  vies  de  saints  en  prose  française  qui  nous  sont  parvenues, 
et  qui  fourniront  la  matière  d'une  prochaine  notice  dans  le  présent 
volume.  Il  ne  serait  pas  impossible,  toutefois,  qu'il  fût  l'auteur  d'une 
vaste  compilation  d'histoire  ancienne,  s'étendant  de  la  création  du 
monde  jusqu'au  temps  de  César,  qui  fut  composée,  entre  1228  et 
1280,  pour  un  châtelain  de  Lille,  appelé  Roger.  L'auteur  anonyme 
de  cette  composition  aime,  comme  Wauchier,  à  joindre  à  certains  de 
ses  récits  des  réflexions  morales  rédigées  en  vers  octosyllabiques  *'^'. 


\ 


'"'  Dans  la  notice  précitée  (p.  5oi),  on  a 
supposé  que  la  dame  désignée  était  Marguerite , 
la  seconde  fille  de  Baudouin  ;  mais  rien  ,dans  le 
texte ,  ne  favorise  cette  identification  plus  que 
l'autre ,  et  si  on  admet  que  le  traducteur  était 
Wauchier,  qui  écrivait  du  temps  de  Philippe, 
comte  de  Namur,  c'est-à-dire  vers  i  a  1 2  ,  il 
devient  infiniment  probable  qu'il  est  ici  ques- 
tion de  Jeanne. 

'''  Notons  ici  que  leur  mère ,  la  femme  de 
Baudouin,  Marie  de  Champagne  (fiao^), 
passait  pour  une  femme  instruite.  Sur  le  tom- 
beau de  son  frère ,  Thibaut  II 1 ,  comte  de  Cham- 


IIIST.  LrrTER.  —  \x\ui. 


pagne,  mort  en  laoi,  elle  était  représentée, 
ainsi  que  d'autres  membres  de  sa  famille ,  et  à  sa 
statue  était  jointe  une  inscription  ainsi  conçue  : 

Hec  est  germanu ,  Oos  unicus ,  una  Maria , 
Circa  quam  studuit  Ibrmandam  tota  sopliia. 

(H.  d'Arbois  de  Juhainville,  Hist.  des  durs 
et  des  comtes  de  Ckampar/ne ,  IV,  q5.) 

'"'  Cette  compilation  a  été  analysée  dans  la 
Roniania,  XIV,  87  et  suivantes.  Quelques  addi- 
tions à  cet  article  ont  été  faites  dans  le  Bulletin 
de  la  Société  des  anciens  tea-tcs  français,  i8g5, 
p.  83-96. 

37 


290  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PERES. 

Ces  vers  lie  présenlent  rien  de  bien  caractéristique  et  la  valeur  poé- 
tique en  est  médiocre,  en  quoi  ils  ne  se  distinguent  guère  de  ceux 
que  nous  avons  rapportés  dans  les  pages  précédentes.  On  y  trouve 
aussi,  comme  chez  VVauchier,  des  exhortations  à  fuir  le  péché  et  à 
vivre  saintement,  fondées  sur  la  pensée  de  la  mort,  et  en  même  temps 
une  tendance  à  blâmer  la  vie  des  nobles  et  notamment  leur  vanité  et 
leur  avarice.  Ce  sont  là  des  lieux  communs,  qui,  en  l'absence  de 
preuves  positives,  ne  nous  permettent  pas  d'aller  au  delà  d'une 
hypothèse. 

Nous  présenterons  une  dernière  hypothèse  au  sujet  d'un  ouvrage 
de  tout  autre  nature,  que  des  raisons  assez  fortes  permettent  d'attri- 
buer à  notre  Wauchier  de  Denain.  Il  s'agit  de  l'une  des  continuations 
du  Percevalde  Chrétien  deTroyes,  dont  l'auleur  a  élé  jusqu'ici,  non 
sans  vraisemblance,  appelé  Gaucher  de  Dourdan.  Mais,  comme  on  l'a 
fait  remarquer  dans  un  précédent  article'"',  ce  nom  se  présente  dans 
les  manuscrits  avec  de  nombreuses  variantes  :  Ganchier  de  Doleris, 
Gauchier  de  Doudain,  Gauchier  de  Dordans ,  Chaucer  du  dous  tans,  Gau- 
tier de  Denet,  Gautier  de  Dons'^K  Or  un  manuscrit  de  Perceval  récem- 
ment acquis  par  le  Musée  britannique  (Addit.  366i4'''')  porte  Gau- 
chier de  Donaing,  et  il  n'est  pas  douteux  que  Donaimj  est  une  ancienne 
forme  du  nom  actuel  Denain,  qui,  selon  une  obligeante  communi- 
cation de  notre  confrère  M.  Longnon,  était  en  latin  Donincuin'-'*K  Le 
nom  du  continuateur  de  Chrétien  est  donc  identique  à  celui  de  notre 
traducteur  de  pieuses  légendes.  Il  y  a  une  autre  raison  d'identifier  le 
premier  avec  le  second.  La  continuation  de  Perceval  qui  a  pour  auteur 
Gauchier  ou  Wauchier  de  Denain  est  restée  inachevée.  Par  une  cause 
ignorée  elle  s'arrête  au  milieu  d'une  phrase.  L'œuvie  interrompue  fut 
reprise  par  le  poète  Manessier,  qui,  d'après  son  propre  témoignage, 
travaillait  pour  la  comtesse  Jeanne  de  Flandre.  Il  n'est  pas  invrai- 
semblable de  supposer  que  Wauchier  avait  entrepris  de  continuer  le 
Perceval  à  la  requête  de  la  même  dame,  de  sorte  que  l'identité  du  nom 
et  fidentité  des  circonstances  conduisent  à  la  même  conclusion. 


<')  Ilisl.  lia.  de  la  Fr..  XXX,  38.  logue  de  vente  (1901).  Voir  Bibl.  de  l'Ec.  des 

'''  Voir   l'édition   de   Potvin,  note   sur  le  cWtej,  LXllI,  56. 
V.  33755.  '*'   Flodoard,i4;inaiej, ad  ann. ((3 1.  L'édition 

'''  Ancien  ms.  Barrois  1  ,  ayant  appailenu  au  des  Monamenla  Germaniae  historica  a  adopté  la 

comte  d'Ashburnham;  c'est  le  n"  463  du  cala-  mauvaise  leçon  DomincHHi, mais  voirla  variante. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  291 

Nous  ne  savons  pas  quelle  était  la  condition  sociale  de  Wauchier 
de  Denain.  Nous  pouvons  conjecturer  qu'il  était  clerc,  quoiqu'il  ne 
prenne  cette  qualité  en  aucun  des  passages  où  il  s'est  désigné.  Mais 
devait  être  un  clerc  séculier  ou  un  de  ces  chapelains  vivant  dans  le 
ce  monde  que  les  seigneurs  avaient  habituellement  dans  leur  mesnie. 
Assurément  il  n'appartenait  pas  à  un  ordre  religieux  :  l'opinion  défa- 
vorable qu'il  exprime  au  sujet  des  moines  ne  laisse  guère  de  doute 
sur  ce  point.  C'était  un  homme  pieux,  ayant  de  la  pitié  pour  le 
pauvre  peuple  et  poursuivant  d'une  haine  vigoureuse  1  avarice  et 
la  cupidité  des  «  hauts  hommes  »''\  d'ailleurs  médiocrement  instruit, 
ce  qui  ne  nuit  pas  à  son  style,  qui  est  en  général  simple  et  clair.  Les 
seules  données  chionologiques  que  nous  possédions  sur  sa  vie  et  sur 
son  activité  littéraire  se  déduisent  des  passages  que  nous  avons  cités. 
C'est  du  vivant  de  son  protecteur,  le  comte  de  Namur,  qu'il  traduisit 
les  vies  de  saint  Jérôme,  de  saint  Benoit,  de  saint  Martin  (y  compris 
les  Dialogues  de  Sévère) ,  de  saint  Brice,  par  conséquent  avant  1212; 
c'est  plus  tard  sans  doute  qu'il  entreprit  de  mettre  en  français  les  Vies 
des  Pères  et  les  livres  l  et  III  du  Dialogue  de  saint  Grégoire.  Ce  qui,  du 
moins,  paraît  assuré,  c'est  que  le  prologue  des  Vies  des  Pères,  ou  plus 
])articulièreinent  de  la  vie  de  saint  Paul  l'ermite,  a  été  écrit  après  la 
mort  de  Philippe  de  Namur.  Quant  à  la  vie  de  sainte  Martl)e,  si, 
comme  nous  le  pensons,  elle  doit  être  attribuée  à  Wauchier,  elle  ne 
peut  évidemment  être  antérieure  à  1206,  année  où  .leanne  de  Flandre 
succéda  à  son  père,  Baudouin  de  Constantinople.  Il  est  même  très 
probable  qu'elle  est  postérieure  à  1211,  c'est-à-dire  au  mariage 
de  Jeanne  avec  Ferdinand  de  Portugal.  Depuis  la  mort  de  son  père 
jusqu'à  cette  date  la  princesse  fut  sous  la  garde  de  Philij)pe  Auguste 
qui  la  tenait  prisonnière,  et  il  n'est  guère  vraisemblable  qu'on  lui  ait 
oIFert  une  composition  littéraire  avant  sa  libération.  La  même  conclu- 
sion s'applique  à  la  continuation  de  Perceval,  qui ,  étant  restée  inache- 
vée, peut  passer  pour  l'une  des  dernières  œuvres  de  Wauchier.  Nous 
n'oserions  affirmer  que  ce  fût  exactement  la  dernière  de  ses  œuvres. 
On  a  remarqué,  en  effet,  que  l'histoire  ancienne  composée  pour  le  châ- 
telain Roger  entre  1228  et  1  280,  que  nous  sommes  portés  à  attribuer 
à  Wauchier,  est  incomplète.  L'auteur  annonce   dans  son   prologue 

'"'  Voir  ci-dessus,  p.  275. 

37. 


292 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 


l'intention  de  traiter  des  premiers  temps  de  l'histoire  de  France  et  de 
l'histoire  des  Flandres.  Son  travail,  tel  qu'il  nous  est  parvenu,  s'ar- 
rête à  l'époque  de  César*''.  11  est  d'ailleurs  fort  possible  que  Wau- 
chier  ait  poursuivi  simultanément  la  rédaction  de  ses  compilations 
historiques  et  celle  de  la  continuation  de  Perceval. 


TRADLCTION  EN  PROSE,  FAITE  POUR  BLANCHE,  COMTESSE  DE  CHAMPAGNE. 


Vers  le  temps  où  Wanchier  traduisait  pour  le  comte  de  Namur 
les  vies  des  Pères  ermites  et  de  quelques  autres  saints,  peut-être 

3uelques  années  plus  tard,  un  écrivain  anonyme  composait  une  œuvre 
u  même  genre  pour  Blanche  de  Navarre,  épouse  ou  veuve  de  Tlii- 
baut  111,  comte  de  Champagne.  Il  traduisait  plusieurs  des  écrits  con- 
sacrés aux  anachorètes  de  la  Thébaïde,  ignorant  très  probablement 
qu'il  avait  eu  un  devancier.  Son  œuvre  paraît  avoir  été  bien  accueillie. 
Nous  n'en  connaissons  pas  plus  de  deux  copies  complètes,  l'une  à  la 
Bibliothèque  nationale,  fr.  io38'^',  l'autre  à  la  Bibliothèque  munici- 
pale de  Lyon,  n°  778,  mais  des  parties  plus  ou  moins  considérables 
s'en  trouvent  dans  d'autres  manuscrits  que  nous  énuméreions  à  la 
fin  de  la  présente  notice.  Avant  d'aller  plus  loin,  nous  transcrirons 
tout  d'abord,  d'après  le  ms.  fr.  io38,  le  prologue  en  vers  qui  nous 
fournit  toutes  les  notions  que  nous  possédons  sur  les  conditions  dans 


•''  Voir  Romaiiia,  XIV,  57. 

'*'  Ce  manuscrit,  exécuté  en  France  vers  ie 
commencement  du  xiv'  siècle,  l'ut  bientôt 
transporté  en  Angleterre.  Une  uote  tinaie , 
d'une  écriture  anglaise,  nous  apprend  qu'il  ap- 
partint ,  dans  la  seconde  moitié  du  même  siècle , 
à  la  comtesse  d'Oxford,  Philippe  de  Couci,  fille 
d'Enguerran  VII  de  Couci.  D  après  une  autre 
note ,  écrite  au  folio  4  v°,  il  fut  acquis ,  après  le 
décès  de  cette  •  dame ,  par  Sibille  de  F'elton , 
abbesse  de  Barking  (  FIssex  ) .  Acheté  en  Angle- 
terre, probablement  par  Charles  d'Orléans,  il 
revint  en  France  au  xv*  siècle  et  fit  partie  de 
la  librairie  de  Blois,  avec  laquelle  il  entra,  en 
i544,  dans  la  bibliothèque  royale,  à  Fon- 
tainebleau. Voir  Delisle,  Le  Cabinet  des  manu- 
scrits,!, 110. —  Nous  faisons  usage  de  ce  manu- 
scrit parce  qu'il  est,  avec  l'exemplaire  de 
Lyon ,  le  seul  complet.  Mais  nous  ne  nous  dis- 


simulons pas  qu'il  contient  beaucoup  de  mau- 
vaises leçons,  comme  on  le  constate  facilement 
par  la  comparaison  avec  d'autres  copies  (voir 
plus  loin,  p.  29g,  note  4).  Le  texte  de  Lyon 
n'est  pas  plus  correct. 

La  langue  du  manuscrit  1  o38  présente  cer- 
taines particularités  entre  lesquelles  deux  se 
rencontrent  fréquemment  dans  les  textes  fran- 
çais de  la  Champagne  :  les  groupes  an  et  en 
avaient  pris  le  même  son,  et,  par  suite,  sont 
souvent  écrits  l'un  pour  l'autre;  ainsi  comende- 
rcnt,  conlenence,  qucnque ,  tent  (tant),  et  inver- 
sement van:  (vents).  L's  placée  avant  une 
consonne,  n'étant  plus  prononcée,  est  souvent 
omise  :  crrticns ,  montrer,  tretot  ;  d'autres  fois, 
celte  même  lettre ,  considérée  comme  muette , 
est  introduite  en  des  mots  où  elle  n'a  que 
faire  :  ausire,  aast rement,  meslre  (mestre),  usl 
(eut). 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


293 


lesquelles  l'ouvrage  a  été  fait.  Nous  ne  l'avons  rencontré  que  dans  les 
deux  manuscrits  précités*''. 


I  2 


Seinte  '^'  Escriture  fet  savoir  (fol.  à  b) 
A  ceus  qui  ont  sens  et  savoir 
Qu'il  enseignent  si  con  il  doivent, 
Ix  Car  cil  qui  l'avoir  Dieu  reçoivent, 
S'il  ne  l'emploient  et  éprennent, 
L'Escriture  dit  qu'il  mesprennent. 
Ore  est  moult  sHges  qui  emploie 
8   Et  despende  bien  la  monnoie 
Que  Damedieux  li  a  bailliée, 
Que,  s'il  ne  l'a  monteploiée, 
Jesu  Crist  li  demandera 
Au  jour  ou  nus  ne  pledera. 
Gentil  contessc  de  Champaigne, 
Fille  au  bon  roy  Sansse  d'Espaigne , 
Ge  n'ai  mie  en  moi  grant  science. 
Et  nepourquant  vostre  excellence, 
Qui  ne  fet  pas  a  correcier. 
Me  fist  ceste  euvre  comencier. 
Par  vous  encomençai  ceste  euvre 
Por  cuers  de  crestiens  esmeuvre 
A  bien  penser  et  a  bien  faire , 
Et  pour  eus  de  pechié  retraire. 
Les  autres  dames  de  cest  mont , 

2  4   Qui  plus  pensent  aval  qu'amont , 
Si  font  les  mençonges  rimer 
Et  les  paroles  alimer 
Pour  les  cuers  mielz  enrooillier 

28  Et  pour  honesté  avillier. 

Dame,  de  ce  n'avez  vos  cure  : 
De  mençonge  qui  cuers  oscure, 
Corrompent  la  clarté  de  l'ame, 


20 


Sa   N'en  aiez  cure,  douce  dame. 
Leissiez  Ciigès  et  Perceval, 
Qui  les  cuers  tue  et  met  a  mal, 
Et  les  romanz  de  vanité;  (c) 

36  Assez  trouverez  vérité. 

Jeroimes  dit  que  cuers  entiers 
N'ot  pas  mençonge  volontiers. 
Toute  mençonge  Dieu  desplest; 

4o  Et  ce  que  Dieu  het,  si  vous  plest. 
C'est  granz  maux  et  grant  vilenie. 
Or  se  giirt  chaucuns  qu'il  ne  die 
Chose  qui  a  mal  faire  apraigne 

^  /i   Et  qui  les  cuers  des  genz  espraigne 
De  rage  et  de  maie  aventure. 
Tout  va ,  mes  que  bien  fait  qui  dure  : 
Force,  biauté,  chevalerie, 

US  Aise  de  cors  et  seingnorie. 

Et  quanc'on  voit  tretout  trespasse. 
S'uns  riches  hom  avoir  amasse 
Tout  per t  quanqu'il  a  en  ime  heure  ; 

62   Chose  qu'il  a  ne  li  demeure. 
Il  meurt  et  on  le  met  en  terre. 
Dieux!  pour  qu'est  on  si  chauz  de! 

[querre 
Puis  c'on  pcrt  ce  c'on  a  si  tostP 

56  La  mort  est  celé  qui  tout  toust. 
Qui  bien  penseroit  a  la  mort, 
Con  parfondement  ele  mort , 
Tost  despiroit  tretout  ce  monde. 

60  Qui  des  deliz  du  mont  se  monde. 
En  son  cuer  en  souztret  et  oste, 


8.  Corr.  despent  en  bien?  —  910.  Lyon  baillie.  Que  s'il  bien  ne  la  multeplie.  —  3i.  Corrompent  pour  cor- 
rompant? Lyon -Et  c.  la  cl.  dame.  —  34.  Lyon  perce  et  trait  a  vaul.  —  io.  si,  Lyon  j'z7.  —  /16.  Lyon  Tôt 
aa  ma»  qui.  Le  sens  est  :  Tout  passe;  seuls  les  bienfaits  durent.  C'est  l'ancien  proverbe  :  «Tout  passe  fors 
que  le  bienfait»  (Le  Roux  de  Lincy,  Livre  des  prov.,  II,  437).  —  53.  met,  Lyon  mot. 


'*'  Un  bibliophile  du  xviii*  siècle,  M.  de 
Bombarde ,  possédait  un  manuscrit  de  la  même 
version,  ainsi  décrit  dans  un  ancien  cata- 
logue :  «  La  vie  des  Pères  du  désert ,  en  prose , 
•  avec  une  épitre  dédicatoire  en  vers»  (H.  Mar- 


tin, Histoire  de  la  Bibliothèque  de  l'Ai'senal, 
p.  286  ).  Nous  ignorons  le  sort  de  ce  manuscrit. 
Peut-être  est-ce  l'exemplaire  de  Lyon. 

'''   L'j  initiale  contient  une  miniature  repré- 
sentant un  moine  écrivant. 


294 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 


H  a  Nostre  Seingnor  a  oste. 

N'est  il  buer  nez  a  cui  manoir 
6ti   Daingne  cil  qui  tout  fisl  manoir  ■' 

N'est  il  merveilles,  quant  en  cendre 

Daingne  li  roys  du  ciel  descendre? 

Vilz  est  li  monz  et  home  et  feme; 
68  Tuit  sonmcs  boc,  fors  que  l'anie 

Qui  fait  vivre  et  mouvoir  le  cors. 

Li  cors  put  et  lame  en  est  l)ors. 

—  Conment?  Il  est  et  biaux  et  genzP 
n  2   —  Non  est ,  mes  il  le  semble  as  genz 

Par  ce  qu'il  ont  foible  regart  : 

Nus  n'est ,  qui  par  dedenz  regart. 

Nous  lisonnies  en  escritures  [d) 
-j  6  Que  nus  n'est  biaux  en  ses  natures. 

Ce  qu'en  tient  home  et  famé  a  bêle 

Ce  par  ce  que  li  jours  chancelé; 

Et ,  qui  esgarde  bien  a  droit , 
8o  Soit  uns  bons  trop  biax  orendroit , 

Si  le  change  une  fièvre  et  mue 

Qu'il  a  sa  grant  biauté  perdue. 

Tout  vet  défaillant,  toi  empire; 
84   Pour  ce  si  doit  on  tout  despire. 

Et ,  puis  qui  n'est  rien  qui  ne  faille , 


Foux  est  cil  qui  se  fie  en  faille; 
Ge  di,  qui  veut  si  m'en  desdie, 

88  Foux  est  qui  en  ce  mont  se  fie. 
Nous  trouvons,  lisant  en  cest  livre. 
Que  cil  qui  vouloient  bien  vivre 
Laissassent  viles  et  citez, 
9'2   Que  tout  leur  sembloit  vanilez. 
Et  fuioient  quanqu'il  veoient  : 
Tuit  seul  es  deserz  s'en  fuioient 
Pour  conquerre  iluec  paradis, 
96  Car  il  leur  estoit  bien  a  vis 
Qu'il  n'a  riens  estable  sor  terre; 
Si  vouloient  le  ciel  conquerre  : 
El  ciel  a  quanqu'en  puist  voloir. 

1 00  Metez  i  tout  vostre  vouloir. 
Gentil  contesse,  fille  a  roi. 
Les  autres  facent  lor  derroi , 
Et  vous  ailliez  la  loial  voie , 

1  o  4   Si  que  li  rois  des  rois  vos  voie 
Vivre  en  cest  siècle  loiaument , 
Et  vous  regart  si  doucement 
Qu'il  vos  traie  a  sa  compaignie 

1 08  Par  la  bonté  de  vostre  vie. 

Cijenist  li  prologues. 


62.  Vers  omis  dans  Lyon.  —  70.  et,  Lyon  i/uant.  —  71.  Lyon  csl  il.  —  75-6.  Lyon  escriptuie.  .  .  sa 
nature.  —  78.  Lyon  Ce  est.  —  79.  Lyon  Et  qu'il  n'esgardent.  —  88.  Vers  proverbial:  Fox  est  qui  ou  siècle  se 
fie  est  le  premier  vers  d'un  des  contes  de  la  Vie  des  Pères  {Jahrbuckf.  rom.  u.  ertgl.  Literatur,  VU,  iïj).  — 
gi.  Lyon  leissoient.  qni  vaut  mieux.  —  gS.  Lyon  E  fui  noienz.  —  98.  .S'i,  Lyon  SU.  —  101.  Ms.  Gentille. 


Ces  vers  expriment  avec  une  lacililé  commune  des  idées  banales. 
On  n'y  trouve  presque  rien  qui  s'applique  particulièrement  aux  Pères 
du  désert,  rien  qui  ne  puisse  être  dit  à  propos  d'un  ouvrage  d'édi- 
fication quelconque.  La  parabole  du  talent  enfoui,  d'où  est  tiré 
l'exorde,  avait  été  maintes  fois  utilisée  par  de  pieux  trouvères,  et  les 
développements  sur  la  vanité  des  biens  de  ce  monde  sont  un  lieu 
commun  très  rebattu.  D'autre  part,  la  recherche  des  rimes  léonines, 
qui  a  comme  résultat  la  prépondérance  des  finales  féminines,  dénote 
un  versificateur  exercé.  Nous  ne  serions  pas  surpris  que  fauteur  de  ce 
prologue  eût  composé  quelqu'un  des  poèmes  hagiographiques  dont 
nous  donnerons  la  liste  en  un  prochain  article.  Nous  n'avons  d'ail- 
leurs aucun  renseignement  sur  sa  personne.  Sans  nul  doute  c  était 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  295 

un  clerc.  Peut-être  était-il  le  chapelain  de  la  comtesse  Blanche.  Nous 
verrons  plus  loin  qu'il  devait  appartenir  au  clergé  séculier.  Il  est 
permis  de  supposer  qu'il  était  Champenois.  Nous  désignerons  sa  ver- 
sion parle  nom  de  «version  champenoise». 

L'usage  de  mettre  un  prologue  on  vers  au-devant  d'un  écrit  en 
prose,  sans  avoir  été  très  fréquent,  est  attesté  par  un  certain  nombre 
d'exemples  qui,  assez  naturellement,  se  placent  dans  les  premières 
années  du  xiii''  siècle''^,  alors  que  la  prose  commençait  à  obtenir  fa- 
veur pour  les  compositions  historiques  et  surtout  pour  les  traductions. 
Par  une  sorte  de  concession  à  l'usage  plus  ancien  d'écrire  en  vers, 
qui  devait  se  continuer  longtemps  encore,  on  rimait  la  préface,  ou,  si 
on  intercalait  dans  la  traduction  quelques  réflexions  personnelles,  on 
les  rédigeait  en  vers,  comme  faisait  Wauchicr  de  Denain. 

Notre  traducteur  nous  fait  part  de  temps  à  autre  des  idées  que  lui 
inspirent  les  récils  qu'il  met  en  français,  mais  il  les  exprime  en  prose. 

Blanche  de  Navarre,  parle  commandement  de  qui  l'ouvrage  fut 
composé,  épousa  en  1 199''''  Thibaut  III,  comte  de  Champagne.  Elle 
devint  veuve  en  1 201,  quelques  mois  avant  la  naissance  de  celui  qui 
devait  être  Thibaut  le  Chansonnier.  Elle  exerça  la  régence  jusqu'à  la 
majorité  de  son  fils,  en  1222,  et  mourut  en  1229.  C'est  donc  entre 
1 199  et  1229  que  se  place  la  rédaction  de  l'ouvrage,  plus  près,  vrai- 
semblablement, de  la  seconde  date  que  de  la  première. 

La  comtesse  de  Champagne  était  femme  de  tête,  car,  pendant  la 
minorité  de  son  fils,  elle  eut  à  faire  face  à  bien  des  difficultés  et  s'en 
tira  à  son  honneur'^';  mais  elle  paraît  avoir  eu  peu  d'inclination  pour 
la  littérature  vulgaire,  qui,  de  son  temps,  fut  si  florissante  en  Cham- 
pagne; en  quoi  elle  différait  sensiblement  de  sa  belle-mère  (qu'elle 
ne  connut  jamais),  Marie  de  France,  femme  du  comte  Henri  le  Libé- 
ral. L'auteur  du  prologue  pouvait  donc,  sans  l'étonner,  lui  parler 
avec  mépris  de  CUcjès,  de  Perceval,  et  envelopper  dans  une  même 
réprobation  tous  les  c  romans  de  vanité».  Ses  goûts  étaient  sérieux. 
Elle  avait  prié  Adam,  abbé  de  Perseigne,  de  lui  envoyer  ses  sermons. 
Celui-ci  les  lui  adressa,  avec  une  lettre  où  il  exprimait  des  doutes  sur 

'"'  Une  histoire  en  prose  de  Philippe  Au-  '''  Voir,  pour  celte  date ,  H.  d'Arbois  de  Ju- 

guste  commençait  par  un  prologue  versifié  ;  voir  bainville ,   Histoire  des  ducs   et  des   comtes   du 

Romania,  VI,  49^.  De  même  encore  l'histoire  Champagne,  IV,  89. 

ancienne  jusqu'à  César  qu'il  est  permis  d'attri-  '''  Voir  pour  l'histoire  de  sa  régence ,  l'ou 

buer  à  Wauchier  (ci-dessus,  p.  28g).  vrage  cité,  IV,  101  et  suiv. 


296 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 


l'aptitude  de  la  comtesse  à  comprendre  des  écrits  latins  :  à  la  vérité  elle 
pourrait  se  les  faire  expliquer,  «  mais,  ajoutait-il,  sache  bien,  ma  fille, 
M  qu'un  ouvrage  traduit  d'une  langue  en  uneautre  perd  toute  saveur'''  ». 

La  défiance  d'Adam  de  Perseigne  à  l'endroit  des  traducteurs  n'em- 
pêcha point  la  comtesse  de  faire  faire  la  compilation  dont  nous  allons 
distinguer  les  éléments  à  l'aide  du  ms.  fr.  io38  de  la  Bibliothèque 
nationale.  Les  manuscrits  qui  contiennent  quelques  parties  du  même 
ensemble  de  traductions  seront  examinés  et  classés  plus  loin. 

L'ouvrage  est  divisé,  dans  les  manuscrits  complets,  en  deux  livres 
qui  renferment  chacun  la  traduction  d'écrits  assez  divers.  Le  premier 
livre  contient  les  vies  de  saint  Paul  (par  saint  Jérôme)  et  de  saint  An- 
toine (par  saint  Athanase),  avec  YHistoria  monachorum  de  Rufin.  Les 
traités  dont  se  compose  le  second  livre  sont  les  Verba  semonim.  attri- 
bués à  Rufin  (hvre  m  du  recueil  de  Rosweyde),  les  Excerpta  de 
Sulpice  Sévère  et  de  Cassien  (livre  IV  de  Rosweyde),  des  extraits  des 
Verba  seniorum  traduits  par  le  diacre  Pelage  (livre  V  de  Rosweyde); 
puis  les  vies  des  saintes  Marine,  Euphrosyne,  Marie  la  pécheresse, 
nièce  de  l'abbé  Abraham,  Thaïs  (fin  du  livre  I  de  Rosweyde),  suivies 
de  quelques  morceaux  d'origines  diverses;  enfin  les  vies  de  saint 
Hilarion  et  du  moine  Malchus.  Après  la  vie  de  Malchus  se  trouve  l'ex- 
plicit  du  second  livre.  Les  manuscrits  de  Paris  et  de  Lyon  con- 
tiennent encore  quelques  écrits  français  dont  nous  parlerons  plus 
loin,  mais  qui  n'ont  guère  de  rapport  avec  les  vies  des  Pères. 

Nous  donnerons  présentement  quelques  extraits  qui  permettront 
d'apprécier  le  caractère  des  traductions  et  de  distinguer  cette  compi- 
lation d'autres  de  même  genre.  Voici  le  début  (Rosweyde,  p.  17  b; 
Migne,  Pair,  lat.,  XXlll,  19),  qu'on  pourra  comparer  à  celui  de 
Wauchier  (ci-dessus,  p.  260)  : 

(Fol.  1  '*')  Le  premier  livre  des  sainz  Pères. 

Ici  conmencc  la  vie  des  sainz  Pères;  premièrement  de  saint  Pol  l'ermite  ^^\ 


'''   Durand  et  Martène,  Amplissima  Colleclio, 

I,   1035. 

*''  C'est  en  réalité  le  cinquième  feuillet ,  mais 
les  quatre  premiers,  contenant  la  table  et  le 
prologue,  ont  une  pagination  à  part. 

'''  Ici  le  nis.  de  l-yon  773  introduit,  en  ren- 
voi dans  la  marge  inférieure,  un  prologue,  em- 
prunte à  une  autre  version  de  la  vie  de  saint 
Pan!  l'ermite,  commençant  ainsi  :  «Assez  de 


«  gent  ont  scjuvent  doute  qui  lu  H  premiers 
«hermites  qui  premièrement  habitast  es  forez,, 
«quar  li  aucun  dient  (]ue  sainz  Helyes  et  saint 
«Jehanz  furent  cbiés  et  commencement  de  tel 
«  manière  d'ordre ...»  C'est  la  traduction  du 
prologue  de  saint  .Icrome.  Nous  aurons  à  men- 
tionner, dans  une  prochaine  notice,  plusieurs 
copies  de  la  traduction  française  à  laquelle  a|V 
pariient  re  prologue 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  297 

Sainz  Giroimes  conte,  el  comencement  de  ceste  vie,  de  .ij.  emperieres  qui  moût 
furent  crieus  et  meut  tourmentèrent  de  cretïens.  Entre  ces  choses  que  li  dui  empe- 
reeurs  firent,  si  en  furent  .ij.  que  sainz  Giroimes  conte  pour  moutrer  leur  grant 
cruiauté  et  pour  moutrer  en  quel  persécution  sainte  Yglise  estoit  au  tens  saint  Pol, 
le  premerain  hermite,  cui  vieil  conte  cy.  La  première  chose  fu  que,  quant  il  orent 
assez  tormenté  saint  Gyprien ,  le  beneoit  hermite  et  martyr,  par  une  manière  de  tour- 
ment que  l'en  apeloit  chevau  de  fut,  et  il  l'orcnt  gité  en  feu  et  en  flambe  et  mis  en 
paelles  ardenz,  si  comenderent  que  en  l'oinsist  de  miel  et  si  le  meist  l'en  u  plus 
ardent  soleil,  les  mains  liées  deriere  le  dos,  pour  ce  que  les  mouches  le  poinsissent 
de  leur  aguillons .  .  . 

Voici  maintenant  le  début  de  la  vie  de  saint  Antoine  par  saint 
Athanase  (Rosweyde,  p.  35;  Migne,  Patr.  lat.,  LXXIII,  i  9,5)  : 

(Fol.  3  d)  Ici  conmence  la  vie  saint  Anloinne. 

Li  evesque[s]  delà  cité  d'Alixandre  qui  avoit  o  non  Athenaises,  qui  preudom  estoit 
et  bons  clers,  escrist  premiers  la  vie  saint  Antoine  en  grieu,  et  .j.  prestrcs  qui  avoit 
non  Evagre  la  translata  de  grieu  en  latin,  par  la  prière  d'un  preudom  qui  avoit  non 
Innocensies.  Moût  par  fu  saint  Antoinnes  de  haute  vie,  si  come  vous  orreiz  en  cel 
livre.  Nous  lisons  qui  fu  d'Egypte  nez  et  hauz  hons  de  lignage.  Ses  pères  et  sa  mcre 
le  firent  si  près  d'eus  nourrir  que  il  ne  quenoissoit  nului  se  euz  non  et  cens  de  leur 
meson.  .  . 

La  traduction  de  i'Historia  monachorum  de  Rulin  fait  suite  à  la  vie 
de  saint  Antoine.  Le  prologue  y  est  plutôt  abrégé  que  traduit.  On  lira 
plus  loin  ce  prologue,  ainsi  que  les  premières  lignes  de  YHistoria  pr.o- 
prement  dite.  L'ordre  des  chapitres  n'est  pas  le  même  que  dans 
l'édition  de  Rosweyde,  mais,  par  contre,  il  est,  pour  les  parties  com- 
munes, semblable  à  celui  de  Wauchier'*'.  Voici  comment,  dans  notre 
traduction,  se  suivent  les  chapitres'"^'  : 

I  (Johannes),  xv  (Apeiles),  xvi(Paphnutius),  xu  (Elias),  xiii  (Pithyrion),  xiv(Eu- 
logius),  VII  (Apollonius  d'Hermopolis),  VIII  (Ammon),  ix  (Copres),  xi  (Helonus), 
VI  (Theones),  XX  (Dioscorus),  ii  (Hor),  v  (la  cité  d'Oxyrinchus),  xviii  (Serapion), 
xrx  (Apollonius,  moine  et  martyr),  xxi  (les  moines  de  Nitri),  xxii  (Cellia),  xxiii  (Amnio- 
nius),  XXIV  (Didymus),  xxx  (Ammo,  moine  de  Nitri),  xxxi  (Paulus  Simplex),  xxxii 
(Piammon),  i!i(Ammo),  iv  (Benus),  x(Syrus),  xvn  (le  monastère  de  l'abbé  Isidore), 
xxviii  (Macarius  senior),  xxix  (Macarius  junior),  xxx  (fin  de  ce  chapitre),  vu  (fin  de 

'''  Voir  ci-dessus,  p.  272.  —  '"'  Nous  faisons  précéder  chaque  nom  du  numéro  du  chapitre 
selon  l'édition  de  Rosweyde. 

HIST.   LITTÉB.  XXXIII.  38 


298  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

ce  chapitre),  xxiii  (fin  de  ce  chapitre),  xxv-xxvii  (Cronius,  Origenes,  Evagrius, 
Johannes). 

La  traduction  est  complète,  sauf  qu'il  y  manque  l'épilogue. 

La  version  de  notre  anonyme,  bien  que  parfois  abrégée,  se  tient 
ordinairement  plus  près  du  latin  que  celle  de  Wauchier.  11  s'en  faut 
cependant  qu'elle  soit  littérale  :  c'est  une  traduction  assez  libre, 
écrite  en  un  style  simple  et  facile.  Le  traducteur  y  a  introduit  sur  les 
moines  de  son  temps.  Comparés  aux  pieux  solitaires  de  la  Thébaïde, 
quelques  réflexions  d'où  l'on  peut  induire  que,  s'il  était  chapelain  de 
la  comtesse  Blanche,  comme  nous  sommes  portés  à  le  croire,  il  n'ap- 
partenait probablement  pas  à  un  ordre  religieux. 

Cette  version  de  YHistoria  monachorum  se  rencontre,  plus  ou  moins 
complète,  en  divers  manuscrits  qui  seront  étudiés  plus  loin.  Mais,  dès 
maintenant,  nous  pouvons  dire  que  le  manuscrit  français  35  de  la 
Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg  présente,  du  feuillet  19^ 
au  feuillet  2  3 1 ,  la  même  seriedetextesquelesmss.Bibl.nat.fr.  io38 
et  Lyon  773,  à  commencer  par  la  version  de  YHistoria  monachorum  de 
Rufin,  pour  finir  avec  celle  de  Yldnerarium  Antonini^^K 

La  traduction  de  YHistoria  monachorum^'^^  commence  ainsi  : 

(Fol.  11c)  Ici  conmence  li  prologues  sus  la  vie  des  seinz  Pères  hermites. 

Diex,  qui  fist  toute  créature,  si  est  tant  douz  et  tant  debonneires  qu'i  voudroit  que 
tuil  fuissent  sauf,  et  que  tuit  coneïissent'^'  la  voie  de  vérité.  Les  uns  atreit  par  beilies 
paroHes,  les  autres  par  menaces;  les  .j.  bat  et  chastie  pour  eus  amender,  et  les  autres 
pour  son  exemple.  Exemple  est  une  chose  qui  moût  feit  bien  [et]  mal ,  dont  je  di,  a 
mon  esgart,  que  cil  pèche  plus  morteiment '*'  qui  pesche  en  espérance  et  en  espert"' 
que  cil  ne  feit  qui  pèche  en  repost.  Savez  por  quoi?  Cil  qui  pèche  en  espert  corront 
soi  et  autrui,  soi  par  som  pechié,  autrui  par  mauvese  essample;  mes  cil  qui  pèche 
en  repost  ne  feit  mal  s'a  lui  non.  Assez  trocAC  l'en  essemple  de  bien  feire  ans  bons  exam- 
ples des  preudes  homes  et  aus  livres  des  sainz.  Pour  bonne  example  donner  a  ceus 
qui  voudroient  a  bien  entendre,  fist  uns  preudons  ce  livre,  et  aia  cerchant  toute 
Egypte  pour  les  bons  homes  (|ui  i  souloient  estre;  et  quant  il  ost  veù  et  cerchié  les 

'''  Des  extraits  du   texte  de   Saint-Péters-  '''  Lyon  et  Saint-Pét.,  yricmc»/. 

bourg  ont  été  publiés  dans  les  Notices  et  ex-  '*'  Dans  le  ms.  i  o38 ,  au-dessus  de  ce  mot 

traits ,  XXXYl ,  704  et  suiv.  est  écrit  apert.  Ms.  de  Lyon  :  qui  p.  en  esgart. 

'''  Rosweyde,  p.  448;  Migne,  XXL  391 .  Ms.  de  Saint-Pétersbourg:  ^«e  cil  peclic  plus 

'''   Ms.  covoitassent ,  corrigé  d'après  Lyon  et  grieinent  qui  pechc  en  apert  que  cil  qui  mespmnt 

Saint-Pétersbourg.  en  repost. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES.  299 

morz  et  la  contenence  a  chascun ,  il  s'en  revint  en  la  terre  de  Jérusalem  ,  et  par  la 
prière  des  moinnes  qui  habitoient  u  mont  Oiiveile,  escript  il  la  vie  des  Pères'",  et 
si  leur  donna  bonne  essample  de  vivre,  et  premièrement  de  saint  Jahan  l'ermite. 

Ici  conmence  la  vie  saint  Jehan  li  ermites^'^\  Sainz  Jehans  li  ermites  habitoit  en  une 
partye  de  Baythe  [Us.  Thebayde),  en  .j.  désert  de  la  cité  de  Liquesor,  en  une  moût 
roite  roche.  Moût  i  montoit  l'on  a  painiie,  et,  se  l'en  i  montoit  par  aventure,  l'en 
trovoit  l'uis  de  son  moustier  clos,  nen  i  pooit  l'en  entrer.  Illec  fu  li  bons  [hom]  en- 
clos dès  ce  que  il  ot  .xl.  anz  juques  a  tant  qu'il  en  ost  .iiij".  et  .x.  Ceuls  qui  venoient  a 
lui  regardoit  par  une  fenestre,  fors  les  famés  qui  ne  vouloit  veoir.  De  tant  conme 
il  plus  s'esloingnoit  des  terriennes  choses,  de  tant  estoit  il  près  de  Dieu.  Damedieu  li 
avoit  donné  sa  [lis.  sij  grant  grâce  de  prophecic,  qu'il  ne  disoit  mie  tant  seullement 
aus  païsanz'^'  les  choses  qui  souloient  avenir,  ainz  disoit  neis  a  l'empereeur  Theodose 
conment  il  li  cherroit  de  ses  batailles  et  par  coi  il  avroit  la  victoire .  .  . 

Le  traducteur  supprime  ou  abrège  les  longues  observations  mo- 
rales que  l'auteur  de  YHisioria  moncichoram  place  dans  la  bouche  de 
l'ermite  Jean.  Mais  en  revanche  il  ajoute  çà  et  là  quelques  remarques 
de  son  cru,  par  exemple  à  la  fin  du  chapitre  sur  la  cité  d'Oxyrynchus, 
qui  était  toute  peuplée  de  moines  et  de  nonnes  très  charitables  '''^  : 

[Fol.  21  d)  En  la  contrée  de  Thebayde  avoit  une  cité  qui  avoit  nom  Oritun.  S'i 
avoit  tent  [sic]  de  bien  et  de  rehgion  que  nus  ne  le  porroit  dire.  Tout  estoit  celle 
cité  plaine  de  moines  et  de  nonnains  et  d'autre  religieuse  gent.  et  tuit  estoient  preu- 
donmes  en  la  ville,  si  qu'il'''  i  avoit  gardes  atiriées  a  toutes  les  portes  pour  recevoir  les 
povres  genz  el  les  pèlerins  qui  passoient,  et  pour  eus  livrer  quenque  mestiers  seroit.  Li 
evesques  de  la  ville  tesmoingnoit,  et  li  bourj  ois,  qu'il  avoit  bien  en  la  ville  .xx"'.  moines 
et  .x".  nonnains.  Se  aucuns  passoit  par  mi  la  ville  qui  hebergier  vouioit,  chascune 
yglise  le  vouloit  avoir  a  hoste,  tant  y  avoit  de  bien  et  de  charité.  Or  est  moût  nustre- 
ment  par  les  abbaï[e]s,  que,  quant  l'en  y  a  assez  hurlé,  si  n'i  puet  l'en  entrer,  ainz  despendent  li 
moine  et  li  autre  barateeurs  quenque  il  devroient  mestre  en  leur  hospitalité. 

Nous  citerons  le  début  de  la  vie  de  saint  Paul  le  Simple  [Hist.  mo- 

'"'  On  lit  dans  le  prologue  de  Rufin  :  «Tamen,  gemment  les  mots  H  ermites  du  texte  qui  suit. 
«  quoniam  fratrum  caritas  eorum  qui  in  monte  '''  «  Non  tantum  civibus    et  provincialibus 

«  sancto  Oliveti  commanent  hoc  a  nobis  l'requen-  «suis.  »  Chap.  l. 

«ter  exposcit  ut  /Egyptiorum  monachorum  vi-  <*'  Hist.  monuch.,  ch.  v,  Rosweyde,  p.  45g. 

«  tam  virtutes([ue  animi  et  cultum  pietatis  atque  Le  même  morceau  a  été  cité  dans  la  notice  du 

«abstinent!»  robur  quod  in  eis  coram  vidimus  ms.  de  Saint-Pétersbourg  {Notices  et  extraits, 

«.explicemus ,  precibus  ipsorum  qui  hoc  impe-  XXXVI,  706),  qui  offre  souvent  un  texte  pré- 

«rantjuvandum  mecredens,  aggrediar.  »(Ros-  férable  à  celui  du  ms.  l'r.   io38.  —  Les  addi- 

weyde,  p.  /i48;  Migne,  XXI,  387.)  tions  du   traducteur  sont  imprimées  en   plus 

'*'  Cette  faute  {li  ermites  pour  l'ermite)  vient  petit  texte. 
de  ce  que  le  rubricateur  a  reproduit  ininlelli-  '*>   Ms.  1  o38  :  et  cil  qui. 

38. 


300  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

nach.,  ch.  xxxi),  à  titre  de  comparaison  avec  la  version  de  Wauchier 
(cf.  plus  haut,  p.  267)  : 

{Fol.  23  c)  Entie  les  deciples  saint  Antoyne  en  ot  .j.  qui  ot  non  Pois;  Simples 
estoit  apelez  par  seurnon.  Tiex  fu  11  conmencemenz  de  sa  vie.  Il  trouva  avec  sa 
famé  .j.  lecheeur  gisant;  et  quant  il  l'ot  trouvé,  onques  nul  dist,  ainz  s'en  foui  u 
désert  plainz  d'esreur  et  de  tristesce.  La  ou  il  s'en  aloit  forvoiant  par  le  désert,  si  vint 
au  moutier  saint  Antoine.  Pensa  il  :  «  Or  les  tu  bien  venuz.  Cil  preudons  t'ensein- 
(1  gnera  bien  que  tu  doiz  feire.  »  Ala  s'en ,  et  li  pria  qui  li  donast  aucune  forme  de 
vivre.  Saint  Antoinnes  le  vit  de  si  simple  chiere  ;  si  li  di[s]t  :  «  Se  tu  veus  faire  ce  que 
«  je  t'enseignerai ,  tu  seras  saus ...» 

Voici  le  dernier  paragraphe  de  la  version  [Hist.  monach. ,  ch.  xxv- 
XXVII  et  xxxiii;  Rosweyde,  p.  479  et  484;  Migne,XXI,  448  et  46o)  : 

[Fol.  28)  Quatre  preudonmes  avoit  en  ce  désert  de  moût  grant  religion*"  et  de 
niout  hautes  mérites  vers  Dieu.  Crones  avoit  non  li  uns ,  et  li  autres  Origenes,  li  autres 
Evagres ,  et  li  quarz  estoit  apelez  Jehans.  Entre  les  autres  vertuz  que  li  premiers  es- 
toit,  si  estoit  de  si  grant  humilité  que  nus  plus.  Li  autres  estoit  de  si  grant  sens  et  de 
si  grant  pascience  que  ce  estoit  une  merveille.  Li  tierz  avoit  grâce  de  Nostre  Seigneui' 
de  connoistre  esperiz  s'il  estoient  ou  bon  ou  mal ,  ne  ne  menjoit  nulle  foiz  de  pain. 
Li  quarz  '^',  qui  Jehans  avoit  non,  avoit  si  grantgrace  de  Dieu  que  nus  ne  fust  ja  si 
destorbez  ne  si  courouciez,  s'il  l'oïst  parler,  qui  ne  fust  joianz. 

Ici  fine  li  premiers  livres  de  la  Vie  des  Pères,  et  conmence  li  secons. 

Ce  que  les  manuscrits  Bibl.  nal.  fr.  io38  et  Lyon  773  qualifient 
de  «  second  livre  »  est  une  suite  d'ouvrages  divers,  savoir  : 

Les  Verba  seniorum,  attribués  à  lUifin  (livre  III  de  Rosweyde); 

Les  Excerpla  Cassianiet  Sulpicii Severi  (livre  IV  de  Rosweyde); 

Des  exiraits  des  Verba  senioram,  traduits  du  grec  en  latin  par  le 
diacre  Pelage  (livreV  de  Rosweyde),  auxquels  sont  entremêlés  quel- 
ques morceaux  tirés  de  deux  autres  recueils  de  Verba  seniorum,  ceux 
du  sous  diacre  Jean  (livre  VI  de  Rosweyde)  et  du  diacre  Paschasius 
(livre  VII  de  Rosweyde)  ; 

Les  vies  des  saintes  Marine,  Euphrosyne,  Marie  la  pécheresse,  fille 
de  l'abbé  Abraham,  Thaïs  (fin  du  livre  I"  de  Rosweyde); 

Plusieurs  récils  d'origines  diverses; 

Les  vies  de  saint  Hilarion  et  de  saint  Malchus. 


'■'  Ms.  religiona.  —  ''*'  Ch.  xx\iv. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  301 

Ce  second  livre  commence  ainsi'**  : 

[Fol.  28)  Moinnes  demandèrent  a  .j .  saint  home  conment  il  seroient  abstinent.  «  Biauz 
«  fiuz,  dist  li  preudons,  ii  covientque  vous  lessiez  touz  les  repos  de  ceste  mortel  vie, 
«  les  deliz  de  la  char  et  les  précieuses  viandes,  et  que  vous  ne  querez  nulles  des  hen- 
<■  neurs  du  monde.  Se  vous  ce  feites ,  Damedieu  vous  hennorera  '^'.  » 

Ici  encore  le  traducteur  ne  se  fait  pas  faute  de  manifester  son  anti- 
pathie pour  les  moines  de  son  temps.  Ainsi,  à  la  fin  du  paragraphe  6 
(Rosweyde,  p.  493  h;  Migne,  LXXIII,  742)  : 

[Fol.  29)  Uns  preudons  si  ala  visiter  .j.  autre  et  saluer.  Cil  le  reçut  moût  Hée- 
ment  et  a  belle  chiere  et  appareilla  lentilles  a  mengier'^'.  En  ce  qu'eles  cuisoient,  si 
distrent  entr'eus  :  «  Alons,  si  chantons  nos  heures  et  nos  siaumes;  après  si  men- 
«  gérons.  »  Us  alerent;  onques  ne  cessèrent  juques  a  tant  qu'il  orent  tout  chanté  le  sau- 
tier.  Quant  il  orent  tout  chanté  le  sautier,  si  lurent  d'autres  escritures  si  ententive- 
ment  qu'il  ne  sorent  onques  l'eure  qu'il  fujorz.  Et  quant  il  aperçurent  le  jour,  si  con- 
mencierent  a  parler  d'autres  escritures ,  juques  a  nonne.  Lors  s'entresaluerent  et  con- 
menderent  a  Dieu  li  uns  li  autres'*',  et  cil  s'en  râla  en  sa  celle  qui  son  compaingnon 
estoit  alez  veoir.  Ambedui  avoiant  [sic)  oublié  a  mengier  por  l'Escripture;  si  trouva 
li  bons  bons  l'uille  et  les  lentilles  dedanz;  si  dist  :  «Dex,  merci!  conment  avons 
nous  oublié  a  mengier  por  noiant  ?  »  Maint  sont  ores  de  moines  par  le  monde  qui  n'enten- 
dront a  pièce  tant  au[s]  siaimies  ne  aus  oroisons  que  il  en  oublient  le  bolvre  et  le  mengier. 

Il  n'épargne  pas  les  religieuses  (S  33  ;  Rosweyde,  p.  5o4b;  Migne, 
LXXIII,  760): 

[Fol.  35  d)  Uns  autres  moinnes  avoit  une  sereur.  Si  oïdire  que  elle  estoit  malade; 
si  l'ala  veoir.  Elle  estoit  nonne  religieuse,  et  renonmée  de  grant  sainteé  et  de  bon 
contenement.  Ses  frères  estoit  une  foiz  venuz  en  s'abaïe,  mes  elle  nu  vout  point 
recevoir,  pour  ce  qu'elle  nevouloitmie  que,  pour  achaison  de  lui,  parlât  aus  austres 
nonnains,  ainz  li  manda  par  une  vielle  famé  :  «  Biau  sire  frère,  alez  vous  en;  vous 
«  me  verrez  en  1  autre  siècle.  »  Or  sont  les  nonnains  d'autre  manière,  qu'elles  font  venir  a  elles, 
souz  couverture  de  parenté, leur  amis  et  leur  privez,  (JUi  sont  leur  amis  par  parolies,  mes  l'uevre 
que  il  font  coupe  le  parage. 

Le  traducteur  a  omis  les  articles  4i  à  43  des  Verha  seniorum,  parce 
qu'ils  se  trouvaient  déjà,  à  quelques  mots  près,  dans  YHistoria  mona- 

'■'  Cf.  ci  dessus,  p.  277,  la  version  de  Wau-  weyde.p.  492;  Migne ,  Pair. /at. , LXXIII ,  739. 
chier.  <')  Ms.  menchier. 

'*'    Verba   seuioram    de    Ruûn,    I,    i;    Ros-  '*'  Lire /i  on /«  «a<re,«? 


302  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 

chorum,  chap.  xxvii  et  xxix.  La  traduction  des  Verba  seniorum  se  ter- 
mine ainsi  (S  2 19  de  l'original)  : 

[Fol.  57  d)  Uns  frères  de  Nitre  avoit  espargnié  .c.  s.  de  lin  qu'il  avoit  ouvré,  vl 
plus  les  avoit  gardez  pour  espargnierque  por  avarice.  Il  fu  morz;  si  lessa  les  deniers, 
et  li  preudome  du  désert ,  dont  ill  i  avoit  plus  de  .v"". ,  que  tuit  habitoicnt  cliascun  par 
soi  en  sa  celle ,  si  oïrent  dire  que  cil  frères  estoit  morz  o  tout  propre,  et  pristrent  con- 
seil qu'i  feroient  de  li  et  de  l'argent.  Li  uns  dient  que  l'en  les  doint  aus  povres,  Il 
austre  dient  qu'en  les  rendist  au[s]  parenz.  Maint  conseil  en  firent  puis,  et  tant  que 
.iij.  abez,  par  qui  li  Sainz  Esperiz  parloit,  atirerent  que  l'en  les  metroit  en  terre  avec  lui , 
et  diroit  l'en  :  «  Ta  pecune  soit  avec  toi  en  perdicion  !  »  Li  livres  dist  qu'il  nu  firent  mie 
tant  por  cruauté  conme  pour  donner  example  a  ceus  qui  vifestoient  qu'il  ne  meïssent 
ensemble.  Tuit  li  moinne  d'Egypte  orent  si  grant  poor  de  celle  vanjance  qu'il  tenis- 
sent  puis  a  grant  crieme  se  uns  frères  eûst  a  sa  mort  .xij.  d.  ensemble. 


La  traduction  des  Excerpta  de  Cassien  et  de  Sulpice  Sévère  (livre  IV 
de  Rosweyde),  qui  fait  suite  à  celle  des  Verba  seniorum,  paraphrase 
le  texte,  mais  l'abrège  plus  souvent  encore.  Certains  chapitres  ont 
même  été  omis  de  propos  délibéré.  Le  traducteur  supprime  tout  ce 
qui  a  un  caractère  proprement  théologique.  Voici  le  commencement 
(Rosweyde,  p.  536;  Migne,  LXXIIl,  81 5)  : 

(Fol.  58)  Cornent  cil  qui  fist  cest  livre  cercha  les  divers  règnes  por  trovcr  les  hermi- 
tages  des  seinz  Pères.  Cil  qui  ce  livre  fist  conte  qu'il  ala  en  Quartage  pour  vcoir  lesleus 
aus  sainz  homes  qui  illec  esloient,  et  meesniement  por  veoir  le  sepulclire  saint  Cy- 
priem ,  le  beneùré  martir  qui  fu  martyriez  soz  les  empereres  Datyen  et  Valeriam ,  qui 
lors  resnoient.  Quant  il  ost.xv.  jours  est6,  si  rentra  en  mer  etvoutaleren  Alixandre, 
mes  li  vanzleurfu  contraires,  si  brisa  li  maz,  et  les  voiles  rompirent,  etparpoi  que  la 
nef  ne  fu  perie.  Mes  li  notonnier  giterent  leur  ancre  et  sauvèrent  la  nef  au  mieuz  qu'il 
porent.  Près  d'euls,  ce  leur  sembla,  virent  sèche  terre,  et  se  mistrent  en  la  barge  et 
alerent  la.  Quant  il  furent  entré  en  celle  illeite,  si  atendirent  li  un  l'autre  a  la  rive, 
tant  que  la  tampeste  s'apaiast;  et  cil  qui  ce  livre  fist  ala  avant  par  curiosité  de  res- 
garder  et  por  savoir  s'il  troveroit  nul  leu  ou  il  pouïst  prandre  bon  essample.  Onques 
n'oï  l'en  dire  qui  pleûst  nulle  foiz  en  celle  ille.  Vanzetestorbcillonsdoutoientmoutli 
habitant.  Nul  blé  n'i  croissoit  ne  nulle  herbe ,  fors  que,  la  ou  la  terre  estoit  .j.  poi  plus 
freche,  iluec  venoit  .j.  pou  d'erbe  pongnanz,  mes  tant  y  aVoit  que  elle  estoit  bonne 
aus  brebiz  du  pais.  Lipaïsant  ne  menjoient  se  leit  non,  et  liplus  riches,  c'est  voirs, 
avoient  .j.  pou  de  pain  d'orge,  mes  je  ne  sai  ou  il  le  prenoient,  se  por  ce  non  qu'il 
avoit  .j.  petit  tertre  en  celle  ille  qui  portoit  tel  blé  conme  c'estoit  ;  .xxx.  jourz  après  ce 
que  l'en  i  avoit  semé ,  coilleit  l'en  blé ,  tant  par  i  estoit  grant  la  chalor  du  solleil.  Nul 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PERES. 


303 


autre  ne  fest  la  gent  u  pais  demorer,  se  pour  ce  non  qu'il  sont  franc  de  treû  et  de 
servage'''. 

Partout  ala  cil  qui  ce  livre  fist.  Si  vist  devant  lui  une  petite  brouceite'^',  et  ala  la , 
si  trouva  dedanz  .j.  viellart  vestu  d'une[s]  piaus  de  moutons,  et  tornoit  une  muelle. 
Salua  lui''',  et  cil  le  reçut  moût  debonnerement,  et  ne  sai  quanz  frères  qui  estoienl 
ensemble  o  lui.  Entre  les  autres  choses  qu'il  parloient,  si  distrent  cil  qu'i  estoient 
crestïen''';  et  li  bons  bons,  quant  il  oï  ce,  si  conmenra  a  plorer  de  joie  et  leur 
chaï  aus  piez.  Il  l'en  levèrent,  et  il  gi  ta  jus  ses  piaus  de  mouton;  si  les  fist  asseoir 
et  mengier,  et  aporta  la  moitié  de  .j.  pain  d'orge  que  .j.  ricbes  hom  du  pais  li 
avoit  envoie.  Moût  les  conroia  bien  de  ce  pain  et  de  une  berbe  qu'i  leur  aporta 
qui  plus  estoit  douce  que  miel.  Li  livres  ne  la  nonme  pas,  mes  il  dist  qu'elle  sem- 
bloit  mente,  et  babondoit  de  fueilles. 

Il  furent  .viij.  jours  entour  celui ,  et  tant  que  aucunes  des  gens  du  pais  conmen- 
cierent  a  venir  a  eus,  et  leur  distrent  que  leur  ostes  estoit  prestres,  et  leur  avoit 
moût  bien  encelé®.  Au  moutier  alerent  avec  lui,  qui  n'estoit  guieres  mieudres  de  la 
meson  au  provoire,  et  demandèrent  des  afaires  du  pais  et  conment  l'en  vivoit. 
L'en  li  respondi  que  l'on  n'ivendoit  ne  n'acbetoit,  ne  n  avoit  l'en  cm'e  ne  d'or  ne 
d'argent;  et  cil  l'esproverent  et  offrirent  de  leurs  deniers  aus  païssanz,  mes  ne  tro- 
verent  onques  que  nul  en  preïst.  A  ce  qu'il  orent  ce  veii,  si  entrèrent  en  la  mer 
avec  leurs  compaingnons.  (  Ch.  ii  )  Quant  li  tens  fus  apessiez ,  si  vindrent  en  Alixandre , 
ou  il  avoit  grant  lençon  et  grant  descorde  entre  les  evesques  et  les  moines  de  la 
terre  por  les  livres  Origenes.  Li  uns  disoient  que  l'en  les  devoit  bien  lire,  quar  moût 
i  avoit  de  bien ,  li  austre  disoient  que  non ,  que  moût  i  avoit  de  desreson ,  et  que 
plus  tost  en  pooit  venir  trop  plus  mal  que  bien.  (Ch.  m)  D'ilec  en  alerent  em 
Bethléem,  qui  est  loing  de  Jherusalem  .vj.  railles,  et  .vj.  jornées  i  avoit  d'Alixandre; 
illuec  trouveront  saint  Jeroisme,  ou  il  trouvèrent  tant  de  bien,  si  com  il  disoient 
et  tesmoingn[oi]ent,  que  ce  estoit  une  merveille.  Quatre  langages  savoit  :  latin, 
grieu,  hebrieu,  caldieu,  et  adès  estoit  en  oroison  ou  en  leçon.  Moût  leur  plot 
leur  affaires,  ne  jamès  ne  se  queïssent  movoir  de  lui;  mes  il  tentoient'*'  a  aler  en 
Egj]pte  en  la  parfonde  Thebaïde.  Si  li  conmenderent  touz  les  escriz  et  touz  leur 
contes'''.  (C/i.  iv)  Congié  pristrent;  si  s'en  alerent  et  vinstrent  en  .j.  désert  pr^s  de 


'''  Nous  citerons  quelques  iig-nes  du  texte 
latin  pour  permettre  d'apprécier  le  caractère 
de  la  traduction  : 

«  IncolcP  loci  illius  lacté  vivunt.  Qui  soler- 
tiores  sunt  vel,  ut  ita  dixerim,  ditiores,  hor- 
daceo  pane  utuntur.  Et  ibi  sola  messis  est  qua' 
celeritate  proventus,  per  naturam  solis  sive 
aeris,  ventorum  casus  evadere  solet  :  quippe 
fertur  a  die  jacti  seminis  trigesimo  die  matu- 
rescere.  Consistere  autem  ibi  homines  non  alla 
ratio  facit  quani  quod  oinnes  tributo  liberi 
sunt.  » 

Suit  une  phrase  omise  par  le  traducteur,  où 
Sulpice  Sévère  dit  que  cette  ile  est  voisine  de 


la  Cyi'énaïque ,  où  Caton  ,  fuyant  devant  César, 
conduisit  son  armée. 

'''  «  Tugurium.  » 

(')  Ms.  loi. 

'*'  Le  traducteur  n'a  pas  suivi  exactement 
le  latin ,  qui  emploie  la  forme  directe ,  et  passe 
gauchement  du  singulier  au  pluriel.  Il  y  a  dans 
le  texte  :  «  Invenio  ibi  senem  in  veste  pelli- 
«  cea. .  .  Ejectos  nos  in  illud  littus  exponimus. .  . 
«  Christianos  nos  esse ...» 

'*'  «  Quod  summa  nos  dissimulatione  cela- 
B  verat.  » 

'*'  Corr.  tendoienl? 

'''  La  traduction  est  ici  très  fautive  :  «  Huic 


304  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 

Nil,  le  flneve  qui  cort  par  Egypte,  ou  il  trouvèrent  moût  d'abaïes,  et  virent'",  que 
illecques  que  en  austre[s]  lieux  qu'il  cerchierent,  ces  contes  que  nos  conterons  ci  après. 

Les  chapitres  xv  à  xxiv  ont  été  omis  par  le  traducteur,  qui  s'ex- 
plique à  ce  sujet  en  ces  termes  : 

[Fol.  61b)  Li  livres  parolle  ci  après  d'abaïes  qui  estoient  en  Egypte,  conment 
li  moines  i  estoient  vestu  el  quiex  huevres  il  fesoient.  Li  uns  habitoient  par  euls 
en  leur  celles  et  li  austres  en  leur  celles  et  en  covant;  si  fesoit  chacuns  sa  semaine  la 
cuisine  et  appareilleit  aus  frères  a  mengier.  Et  quant  il  a  tout  ce  conté,  si  revient 
assa  matire.  Nous  n'en  voulons  riens  dire,  qu'il  y  a  pou  de  prru  et  assez  de  parolles, 
et  avons  de tiex  choses  a  conter  qui  moût  sont  bonnes,  et  toute  nostre  entente  i 
voulons  mestre.  Et  pour  ce  que  Jehans  sonne  autretanz  comme  «  la  grâce  de  Dieu'"^'  », 
si  conmencerons  a  saint  Jehans,  et  Diex  envoit  sa  grâce  a  nous! 

Vient  ensuite  la  traduction  des  chapitres xxvi  à xxx,xxxn à xxxviii, 
XL  à  XLvni,  L  et  liv,  les  chapitres  xxxi,  xxxix,  xlix,  li,  lu,  lui  et  lv 
étant  omis'"*'.  Le  chapitre  liv,  l'avant-dernier  de  la  compilation  latine 
(De  monacho  qui,  in  solitadine ,  noctu  vidit  multitudinem  dœmonum,  Ros- 
weyde,  p.  556;  Migne,  LXXIII,  847),  commence  ainsi  : 

[Fol.  65)  Uns  frères  aloit  par  le  désert;  si  trouva  une  fosse.  IHec  s'arestut  et 
chanta  les  psaumes,  selon  ce  que  sa  coustume  estoit.  Quant  il  ost  ses  oroisons  fmées, 
et  il  se  vout  couchier  dormir,  que  lassez  estoit,  si  vit  une  grant  compaignie  de 
deables,  et  avec  eus  leur  prince  et  lor  seingnor,  qui  estoit  moût  grant  de  nature 
et  plus  orrible  de  semblant. .  .  . 

Nos  deux  manuscrits  ne  marquent,  à  la  suite  de  ce  chapitre,  aucune 
coupure.  Ils  poursuivent,  pendant  environ  vingt-cinq  feuillets'*',  par 
une  série  d'exemples  tirés  :  i°des  Verba  seniorum  traduits  du  grec  par 
le  diacre  Pelage  (livre  V  de  Rosweyde);  2°  des  Verba  senioram  traduits 
parle  sous-diacre  Jean  (livre  VI  de  Rosweyde);  3°  des  Verba  seniorum 
traduits  par  le  diacre  Paschasius  (livre  VII  de  Rosweyde). 

Les  morceaux  empruntés  à  chacun  de  ces  trois  livres  sont  à  peu 

«  ergo  traditis  atque  cominissis  omnibus  meis ,  tatio  nominam  liebraicnrani   de   saint   Jérôme , 

«  omnique  famiiia  quae  me,  contra  voluntatem  manque  dans  l'original. 

«animi,  secuta,  tenebat  implicilum,  exonéra-  ''^'  Toutefois  les  chapitres    i,ii,  i.iii,  lv  ne 

«tus  quodam   modo   gravi   fasce,  penitus   ac  sont  que  déplacés  :  on  les  retrouvera  plus  loin, 

«  liber,  egressus  sum  ad  Alexandriam.  »  ms.  fr.  io38,  fol.  67  d  el  68. 

'"'  Corr.  oîrcnt?  '*'  Dans  le  manuscrit  io38  du  folio  65  au 


''  Cette  étymologie ,  empruntée  à  l'Interprc-        fol.  88  d. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES.  305 

près  groupés  selon  leur  origine,  mais  l'ordre  méthodique  d'après  le- 
quel les  exemples  sont  rangés  dans  les  originaux  n'est  nullement  res- 
pecté. Les  Verba  seniorum  de  Pelage  sont  divisés  en  dix-huit  lihelli 
ayant  pour  titres  respectifs  :  i,  De  profeclii  patram;  ii,  De  qaiete; 
III,  De  compunctione ;  iv,  De  continentia;  v,  De  fornicatione;  vi.  De  eo 
(juod  moiiaclius  nilnl  debeat  possidere,  etc.  Le  traducteur,  soit  qu'il  ait 
suivi  un  recueil  d'extraits  où  cet  ordre  était  bouleversé,  soit  qu'il 
ail  pris  sur  lui  de  faire  un  choix  d'exemples  et  de  les  disposer  à  sa 
guise,  brouille  l'ordre  des  UbelU  et  intercale  çà  et  là ,  parmi  les  éléments 
empruntés  aux  Verba  seninram  de  Pelage,  divers  autres  éléments  tirés 
des  recueils  similaires  de  Jean  et  de  Paschasius. 

Nous  ne  pourrions  rendre  compte  de  l'ordre  adopté  par  le  traduc- 
teur sans  citer  au  moins  quelques  lignes  de  chacun  des  morceaux  tra- 
(hiits,  ce  qui  équivaudrait  à  une  publication  partielle.  Nous  essaierons 
cependant  de  donner  une  idée  de  la  façon  dont  a  procédé  notre  tra- 
ducteur; nous  suivons,  comme  précédemment,  le  ms.fr.  io38. 

Le  premier  morceau,  après  les  extraits  de  Cassien  et  de  Sulpice 
Sévère,  est  tiré  des  Verba  seniorum  de  Pelage,  îibell.  i,  S  lo  (Rosweyde, 
p.  562;  Migne.LXXllI,  856)0): 

[Fol.  65  b)  Exemple.  Quant  li  abes  Jehans  se  inouroit,  si  vinstrent  si  deciple  a 
lui  et  li  prièrent  qu'il  leur  lessat  aucune  bonne  parolle  en  leu  d'eritage  par  coi  il 
pouïssent  plus  tost  venir  en  hausteice  de  perfection.  Li  bons  bons  gemy  et  soupira 
parfondement ,  et  leur  dist ,  tout  en  ploranl  :  «  Je  ne  fis  onques  ma  propre  volenté , 
«  ne  onques  a  autrui  n'enseignai  chose  que  je  ne  feisse  avant.  » 

L'exemple  qui  vient  ensuite  est  formé  des  paragraphes  19  et  22 
du  même  libellas  (Rosweyde,  p.  563;  Migne,  LXXIII,  857)  ^^': 

Exemple.  L'en  demanda  a  .j.  preudomme  conment  la  poor  Dieu  venoit  en 
borne.  Il  respondi  briément  :  «  Se  bons  a  humilité  et  povreté ,  et  il  ne  juge  autre ,  c'est 
«  la  poor  de  Dieu '^'.  La  vie  au  moine  c'est  adès  de  pensser  a  sainte  Escripture,  et  de 
«  adès  ouvrer  a  ses  mestres,  et  que  il  ne  juge  nului  ne  ne  mesdie  d'austrui  ne  ne  soit 
«  murmureeur,  car  il  est  escript  :  «  Vos  qui  amez  Nostre  Seingneur,  heez  mal.  » 

Les  feuillets  65  à  67  du  ms.  io38  sont  occupés  par  des  exemples 

'"'  Ce  morceau  est  originairement  emprunté  '*'  La  fin  du  paragraphe  22  n'est  pas  tra- 

au  traité  de  Cassien  De  cœnobiorum  institiiiis,  duite. 

1.  V,  ch.  xxvin.  '''   Latin  :  «  sic  venitjln  eo  timor  Domini.  » 

niST.  LiTTÉn.  —  xxxni.  Sg 


300  VERSIONS  EiN  l>aOSE  DES  VIES  DES  PERES. 

empruntés  aux  Uhelli  m,  v,  vi,  vu,  ix,  x.  Aux  il".  67  cl  et  68  nous  trou- 
vons la  version  des  chapitres  lu,  lui  et  Lvdes  extraits  de  Cassien  et  de 
Sulpice  Sévère  ^''.  Suivent  quelques  morceaux  pris  au  libellas  xviii 
(le  Pelage.  Au  folio  69,  le  traducteur  emprunte  aux  Verba  senionimde 
Paschasius  (chap.  xxv,  4;Bosweyde,  p.  678)  l'apologue  des  arbres 
du  Liban,  source  de  la  fable  de  La  Fontaine  La  Forêt  et  le  Bûcheron, 
et  deux  exemples  aux  Verba  senioram  de  Jean  [libell.  m,  4,  etiv,  i3; 
Roswcyde,  p.  653  et  659).  Il  revient  ensuite  (fol.  69  d)  aux  Verba  se- 
nioriim.  de  Pelage.  Les  récits  qu'il  en  tire  appartiennent  aux  libelli  v 
(fol.  69  d-7  1  c),  IX,  XIII  (fol.  72),  XVII,  xiv,  XII  (fol.  73),  de  nouveau 
AU.  libellas  V  (fol.  7 4-7 5), puis  aux  /iie//t  vu,  vi,  x,xiii,  ix,x(fol.  75-77), 
XV,  XVI,  xviii  (fol.  78-80).  Du  folio  80  au  folio  85  nous  trouvons  toute 
une  suite  de  récits  tirés  dos  quatre  libelli  des  Verba  senioram  de  Jean. 
Le  premier  récit  est  la  vision  de  la  vierge  qui  vit  son  père  en  paradis 
et  sa  mère  en  enfer  (i,  i5?  Rosweyde,  p.  646).  Les  exemples  qui 
suivent  sont  empruntés  aux  trois  derniers  libelli  du  même  recueil.  An 
folio  85  d  nous  revenons  aux  Verba  senioram  de  Pelage  [libelli  iv,  vu, 
VI,  II,  IV,  V,  VI,  XII ).  Le  morceau  linal  (xii,  3;  Rosweyde,  p.  61 3; 
Migne,  LXXIII,  941)  est  celui  qui  commence  ainsi  : 

[Fol.  88  d)  Li  abes  Dulas,  qui  fu  deciplos  l'abé  Besarion,  disoit  :  «  Je  alai,  dist  il, 
une  foiz  en  la  ceile  mon  abé,  si  le  trovai  en  oroison.  .  .  » 

A  la  suite  de  ce  morceau  le  traducteur  a  placé  une  sorte  d'épi- 
logue de  sa  façon,  ainsi  conçu  : 

De  tiex  choses  et  de  tiex  miracles  est  touz  11  livres  plains  ci  arriéres,  mes  orc 
conmencent  les  vies  aus  hauz  homes  sainz  et  religieus,  [si  connie]  saint  Geroisme.s 
et  li  haust  clerc  et  li  bon  le  descristrent.  Qui  i  prandra  exemples  de  bien  faire  il 
fera  que  sages. 

Il  semble  bien  résulter  de  ces  paroles  que  le  traducteur  ne  s'est  pas 
astreint  à  mettre  en  français  tout  le  recueil  latin  qu'il  avait  sous  les 
yeux,  et  qui,  bien  évidemment,  commençait  par  les  vies  attribuées  à 
saint  Jérôme,  à  qui  il  fait  honneur  du  tout.  À  mesure  qu'il  avançait 
il  prenait  plus  de  libertés  avec  son  texte,  abrégeant  souvent,  et  choi- 
sissant à  son  gré.  Mais  il  ne  paraît  cependant  pas  probable  qu'il  ait  à 

'''  Cf.  plus  haut ,  p.  3o4 ,  note  3. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  307 

plaisir  mêlé  les  livres  qu'il  prétendait  traduire;  il  est  plus  vraisem- 
iDlable  qu'il  a  fait  usage  d'une  compilation  où  le  même  désordre 
existait  déjà.  Dans  cette  partie  de  l'œuvre,  le  traducteur,  sans  doute 
pressé  de  finir,  est  sobre  de  réflexions  morales.  En  voici  cependant 
une  qui  fait  suite  à  un  bref  récit  des  Verba  seniomm  de  Pelage 
(ix,  10;  Rosweyde,  p.  ôgô  b;  Migne,  LXXIII,  912)  : 

(Fol.  72)  Uns  preudons  dist  :  «  Se  tu  es  chastes,  ne  juges  pas  celui  qui  feit  for- 
«  nication,  cjuar  tu  foroies  aussi  contre  loi  connie  il  feit.  »  Cil  qui  dist  :  «  Ne  feire  pas 
«  fornication  »,  dist  aussi  :  «  Ne  juges  iiului.  »  Trop  en  est,  liui  li  jourz,  touz  ii  siècles  en  est 
|>iainz  et,  enfechiez,  que,  tantost  comme  l'en  voit  que  auquns  mesurent,  si  queurent  tuit  seure  et 
tuit  Je  jugent;  et,  ce  (|ui  encor  vaut  pis,  la  ou  il  ne  sevent  point  de  mal,  la  dient  il  assez  mal 
et  trop. 

L'épilogue  que  nons  citions  tout  à  l'heure  annonçait  «  les  vies  aus 
«  hauz  homes  sainz  et  religieus  ».  Nous  rencontrerons  en  effet  plus  loin 
la  vie  de  saint  Hilarion  et  celle  de  saint  Malchus,  mais  ce  que  nous 
trouvons  d'abord  dans  nos  manuscrits,  c'est  la  vie  de  quelques  saintes 
femmes  d'Egypte,  en  premier  lieu  celle  de  sainte  Marine,  dont  voici 
le  début  : 

(Fol.  88  d)  Ici  conmence  la  vie  de  sainte  Marine,  virgC^^K  II  fu  .j.  preudons  au 
siècle  qui  avoit  une  fdle  que  il  moût  amoit.  Talent  li  prist  d'aler  en  religion  ;  si  con- 
menda  sa  chiere  fdle  a  .j.  sien  ami,  et  après  si  sala  randre  a  une  abaïe.  L'en  le 
reçust  [fol.  89)  moût  volentiers,  et  il  fu  moût  douz  et  si  debonneires  et  serviables 
que  li  abes  se  merveiUeit  moût,  et  l'enmoit  plus  que  touz  les  autres  moines  de 
leanz,  por  ce  qu'il  estoit  leaus  bons  et  moût  obedianz.  .  . 

Vient  ensuite  la  vie  de  sainte  Euphrosyne'"^'  : 

(Fol.  90)  Ci  conmence  la  vie  de  sainte  Euf résine,  virge,  (jai  se  faisait  apeler  frère 
Marin  Mareit^^K  Un  preudons  fu  qui  avoit  non  Panuces,  moût  hennorables  a  toutes 
genz  et  bons  vers  les  bomes  et  vers  Dieu.  11  se  maria  moût  ricbemeiit  et  prist  une 
famé  de  haut  lingnage  qui  moût  esloit  preuz  et  honeste,  mes  elle  estoit  brahaingne, 
si  ne  pooit  avoir  nul  enfant. .  .  . 

Puis  l'histoire  de  Marie  la  pécheresse,  nièce  de  l'ermite  Abraham'*'  : 

(Fol.  98)  D'une  recluse  qui  s'en  ala  au  siècle  por  .j.  moine  qui  la  corrumpi.  Li  abes 
Abraham  avoit  .j.  frère,  et  cil  frères  mourut,  si  lessa  une  seue  fdle  qui  encor  n'avoit 

'"'  Rosweyde,  p.  SgS;  Migne,  Pair,   lut.,  ''''  Cette  leçon  ne  s'explique  guère  :  iSmara^- 

LXXIII,  6gi.  Jh>-,  dans  le  latin. 

''1  Itosweyde,  p.  363;  Migne,  LXXIII,  643.  ''  Rosweyde,  p.  368;  Migne,  LXXUI,  65 1. 

39. 


308  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 

que  .vij.  anz.  Petite  estoit  et  orfeline.  Si  la  pristrent  li  ami  son  frère  et  la  menèrent 
a  son  oncle  la  ou  il  estoit,  en  sa  celle.  Li  preutlons  si  avoit  double  celle,  si  tenoient 
l'un[e]  a  l'autre.  Si  fist  mestre  sa  nièce  en  l'une,  et  li  livroit  par  une  fenestrece  que 
mestiers  li  estoit,  et  ii  aprenoit  son  sautier. ... 

L'histoire  de  Thaïs'''  : 

(Fol.  96  d)  D' une  folle  famé  qui  avoit  non  Tays.  Enciannement  fu  une  soudoiere 
qui  avoit  non  Tays,  tant  belle  et  tant  gente  que  maint  bome  vandirent  pour  lui  leur 
beritage,  et  furent  povre  et  chetis  au  darrenier.  Moût  avoit  la  damoiselle  d'amis  qui 
l'amoient  follement,  et  si  qu'il  s'entrebeoient  et  s'entrocioient  a  son  huis.  .  . 

À  la  suite  de  la  vie  de  sainte  Thaïs  la  version  champenoise  intro- 
duit une  légende  qui  n'a  rien  de  commun  avec  les  Vies  des  Pères,  à 
savoir  l'histoire  de  saint  Hospitius,  contée  par  Grégoire  de  Tours, 
Historia  Francoram,  VI,  6,  et  ahrégée  par  Paul  Diacre,  Ilistoria  Lango- 
bardorum,  III,  1,  2.  Le  nom  du  saint  n'est  pas  donné  dans  la  version 
française,  dont  voici  les  premières  lignes  : 

(Fol.  95  c)  D'un  reclus  qui  estait  ceinz  de  chaannes.  En  la  cité  de  Nicée*'"  avoit  .|. 
reclus  de  grant  abstinence  qui  estoit  ceinz  de  cbaannes  de  fer  en  pur  le  cors  et 
la  baire  par  desus,  et  ne  menjoit  nule  foiz  que  pain  sangle  et  .j.  poi  de  dates;  en 
quaresme  menjoit  racines  de  berbes  que  l'en  li  aportoit.  Premièrement  usoit  l'eive 
ou  elles  estoient  cuites,  et  après  si  menjoit  les  racines. .  .  . 

Nous  revenons  aux  Vitœ  patrum  avec  la  vie  de  saint  Fronton  (en 
latin,  Frontonias  oaFronto),  que  le  traducteur  appelle  Frontin.  C'est 
un  abrégé,  bien  plutôt  qu'une  traduction,  du  texte  latin'^': 

(Fol.  96  d)  Comment  Nostre  Sires  pourvist  saint  Froniin  de  viande.  Quiconque»  a 
en  soi  sens  et  discrétion  si  doit  niout  volentiers  oïr  et  entendre  les  vies  aus  sains, 
quar  illeques  puent  il  aprandre  exemple  de  bien  vivre,  et  leur  aines  sauver,  s'en  eus 
ne  demeure.  Et  por  ce  que  tuit  doivent  vouloii-  le  salu  de  leur  amcs  et  de  leur 
proimes,  veil  ge,  ïeit  cil  qui  descript  ceste  vie,  conter  .j.  conte  qui  avint  en  Capadoce 
n'a  mie  encore  lonc  tans. 

Un  preudome  i  avoit,  qui  avoit  non  Frontins,  plains  et  abevrez  du  Saint  Esperit, 
ne  n'avoit  cure  de  la  gloire  du  monde,  ainz  pensoit  du  tout  en  tout  a  la  vie  pardu- 
rable,  pour  qui  amor  il  s'en  ala  u  désert,  soi  soissantieme  de  compaingnons 

Mais  à  partir  d'ici  jusqu'à  la  vie  de  saint  Hilarion  (fol.  100  b)  nous 

'■'  Rosweyde,  p.  SyA;  Migne,  LXXUI,  de  Lyon  et  de  Saint-Pétersl)ourg  ont  con- 
66 1 .  serve  la  bonne  leçon. 

'*'  Judée,  dans  le  ms.  i o38.  Les  manuscrits  <''  Rosweyde,  p.  aSS;  Migne,  LXXIII,  437. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  309 

trouvons  une  suite  d'historiettes  pieuses  qui  n'ont  aucun  rapport 
avec  les  anachorètes  de  la  Thébaïde. 

La  première  est  la  légende  bien  connue  du  crucifix  de  Beirouth. 
Elle  apparaît  pour  la  première  fois  dans  un  sermon  attribué  à  saint 
Alhanase''',  d'après  lequel  elle  est  ici  traduite  : 

(F'ol.  97)  Coiiment  U  juif  trouvèrent  l'image  du  cracefiz  et  le  ferirent  a  costé  d'une 
lance,  et  il  sainna  sanc  et  eive.  Saint  Athenayses,  li  evesques,  si  conte  miracles  d'un 
ymage  Nosire  Seingneur  qui  esloit  en  une  cité  que  l'en  apeloit  Brito,  entre  Tyr  et 
Sydoine;  si  rendoit  treiï  a  Anthyoche. .  .  . 

La  seconde  est  l'histoire,  empruntée  à  Bède  [Hisloria  ecclesiaslica , 
1.  V,  ch.  xiii),  d'un  homme  qui,  ayant  trop  tardé  à  faire  pénitence, 
mourut  désespéré  : 

(Fol.  97  d)  Duserjant  a  ./'.  roi  qui  fu  dampnez  por  ce  qu'il  ne  se  voulait  confesser. 
Uns  lions  fu  en  la  contrée  de  Perse  l"^'  moul  pesme  et  moût  crueil.  Si  vit  une  avision 
qui  riens  ne  ii  valut,  mes  moût  aida  a  autrui.  De  la  cort  le  roi  Choerant  estoit,  et 
maintes  foiz  li  amonestoit  li  rois  qui  se  confessa[s]t  de  ses  péchiez  et  se  repenlist 
ainçois  que  Diex  le  tuast  si  soudainnement.  .  . 

Un  prêtre  nommé  Plegiles  doutait  de  la  présence  réelle  du  Christ 
dans  l'Eucharistie.  Mais  le  Christ  lui  apparut  sur  l'autel  sous  la  forme 
d'un  enfant.  Ce  récit  ne  se  trouve  pas  dans  tous  les  textes  des  Verba 
seniorum  de  Pelage.  Rosweyde  l'a  publié,  dans  les  notes  du  libellus  xvii 
(p.  643  b],  d'après  deux  des  anciennes  éditions  : 

(Fol.  98  c)  D'un  prestre  a  qui  Diex  s'aparut  por  sa  prière  en  char  et  en  os  et  en  sanc. 
H  estoit  .j.  prestre  qui  avoit  non  Plegiiles,  moût  religieus,  et  moût  volentiers  chan- 
toil  sa  messe  a  l'autel  ou  li  confessors  Nime  gisoit .  .  . 

La  vision  de  ce  moine  dissolu,  forgeron  de  son  métier,  qui,  au  mo- 
ment de  mourir,  vit  le  lieu  qui  lui  était  réservé  en  enfer  et  mourut  sans 
confession,  est  encore  tirée  de  Bède  [Hisloria  ecclesiaslica,  1.  V,  ch.  xiv)  : 

(Fol.  98  d)  D'unfevre  moine  qui  vist  son  lieu  dedanz  enfer.  Cil  qui  ce  livre  fist 
dist  qu'il  vit  .j.  frère  en  une  moût  liche  abbaïe  qui  moût  vivoit  vilment  plus  que 
mestiers  ne  li  fust .  .  . 

<''   Publié  parmi  les  Sporw  de  ce  Père  (Migne,  Chrisli,  n°  v.  Cf.  Notices  et  extraits ,  XWYl , 

Patr.  yr<pc« , XXVIII ,  8 1 3-820 ).  Pour  d'autres  710,  note  1. 

rédactions,  qui  toutes  dérivent  de  ce  sermon,  '''  Sic  dans  le  ms.  io38;  Merce  dans  le  ms. 

yoir  lu  Biblintheca  hagiogruphica  latina  des  Hol-  778  de   Lyon;    dans  Bède   in  provincia  Mer- 

iandistes,  1,  637,  sous  Miracala  in  imaginibus  cioram. 


310  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 

Suivent  quatre  récits  empruntés,  directement  ou  par  l'intermé- 
diaire de  quelque  recueil  d'extraits,  à  YHistoria  triparlila  de  Cassio- 
dore.  Le  premier  est  relatif  à  une  statue  de  Jésus-Christ  au  pied  de 
laquelle  croissait  une  plante  qui  acquérait  la  \ertu  de  guérir  toutes 
les  maladies  dès  qu'elle  avait  poussé  au  point  de  toucher  la  bordure 
de  la  robe  dont  le  Christ  était  vêtu.  Ce  récit,  relaté  originairement 
par  Eusèbe,  a  été  reproduit  par  Grégoire  de  Tours  [Liber  in  (jloria 
martyrum,  xx)  d'après  la  version  de  Rufin  (VII,  xiv).  Mais  notre 
traducteur  ne  l'a  pris  ni  à  Grégoire  de  Tours  ni  à  Rufln,  car  il  y 
mentionne  des  circonstances  dont  ne  parle  pas  Eusèbe,  celle-ci 
notamment  que  l'image  du  Christ  avait  été  abattue  par  l'empereur 
Julien  et  remplacée  par  une  statue  érigée  en  son  honneur  :  il  l'a 
tiré  de  VHistoria  tripartita,  1.  VI,  .chap.  xli''^  : 

(Fol.  9g)  D'un  ymage  Nostre  Seingneur,  por  qui  il^'^^fesoit  pluseurs  miracles  Dieu 
meismes.  Il  avint  .j.  miracle,  au  tens  Julien  l'empereeur,  d'une  ymage  Nostre  Sein- 
gneur, (pie  la  famé  que  Diex  guéri  de  l'emfermeté  du  sanc  quant  elle  toucha  a  lui, 
avoitmise  en  Ceseire  Phelippe,  une  cité  de  Phenice  qu'il  apeloient  Paneam.  Ici! 
emperieres  Juliens  en  oy  parler,  et  la  fist  jus  mestre  du  lieu  ou  ele  estoit.  .  . 

C'est  encore  à  VHistoria  tripartita  (1.  VI ,  chap.  xlii)  qu'a  été  emprunté 
le  récit  relatif  à  une  source  miraculeuse  située  près  d'Emmaûs,  qui 
commence  ainsi  : 

(Fol.  99)  D' une  fontaine  ou  Jesacrist  et  ses  deciples  lavèrent  leur  piez.  Il  aune  cité 
en  Nycliopole,  et  delez  celle  cité  avoit  une  ville  que  li  sainz  livres  des  euvangilles 
apelle  Emaûs,  et  li  Romain  l'apeloient  Nichopolam.  .  . 

Un  évangile  apocryphe '^^  conte  que,  pendant  la  fuite  en  Egypte,  un 
palmier,  sur  l'ordre  de  Jésus,  abaissa  sa  cime  jusqu'aux  pieds  de 
Marie  pour  qu'elle  pût  en  cueillir  les  fruits.  Cette  légende  a  été 
recueillie  par  Cassiodore  dans  le  chapitre  précité,  d'où  elle  a  passé 
dans  notre  compilation  : 

(Fol.  99  b)  D'an  arbre  qui  enclina  a  Jesucrist  et  a  sa  mère  quant  il  aloient  en  Egypte. 
L'en  conte  que  en  une  cyté  de  Thebaïde  qui  a  non  Hermopolis  a  .j.  arbre  que 
l'en  appelle  persidre,  de  telle  vertu  que,  quant  l'en  en  pant  au  col  a  .j.  malade  du 
fruit  ou  de  la  feiuUe  ou  de  l'eschorche,  qu'il  est  gueriz  isnellement.  .  . 

'"'  Migne,  Pair,  lat.,  LXIX,  io58.  (Tischendorf,   Evangelia  upocrypha);  Liber  de 

'*'  Corr.  i.  inftmlia   Matiae  et   Christi  Salvatoris.  .  .    édit. 

'''  Pseado- Mutthuel    evangelium,    chap.    xx         Schade  (Halle,  1869),  p.  Sg. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PERES.  311 

Enfin  ce  recueil  d'histoires  édifiantes  se  termine  par  deux  récits  dont 
le  héros  est  saint  Spiridion,  évêque  de  Trimithonte,  en  Chypre.  Ils  se 
retrouvent,  contés  en  termes  différents,  dans  VHistoria  ecclesiastica  de 
Rufin  (1.  I,  chap.  v)'*'  et  dans  YHistoria  tripartita  de  Cassiodore  (1.  I, 
chap.  x)(^',  mais  il  ne  paraît  pas  qu'ils  aient  été  pris  directement  à 
aucun  de  ces  deux  auteurs,  car  notre  version  commence  par  placer 
l'histoire  au  temps  de  Constantin,  ce  qui  ne  vient  ni  de  Rufin  ni  de 
Cassiodore.  H  est  probable  que  notre  traducteur  aura  eu  sous  les 
yeux  un  extrait  modifié  de  Cassiodore  commençant  par  ces  mots  : 
Tempore  Constant ini  perspeœimus  fuisse  Spyridionem,  Tremithiindum  epi- 
scopum.  .  . ,  qui  se  trouve  en  divers  manuscrits'^'.  Voici  les  premières 
lignes  de  la  version  : 

(Fol.  99  c)  D'an  evesquc  de  Cliipre  (^ui  ostfame  et  enfanz  a  qui  larrons  voulaient  eni- 
bler  ses  brebiz.  Au  tans  Costantins  vit  cil  qui  escript  cest  conte  .j.  evesque  eu  Ciiipre 
qui  touz  crouieit  de  veilleisce;  si  contoit  l'en  de  lui  maintes  choses,  et  il  en  retint 
auguiies;  si  les  escrit  por  donner  example  de  bien  feire  aus  genz.  .  . 

La  vie  de  saint  Hilarion''*'  est  traduite  assez  librement  :  le  prologue 
est  très  abrégé;  dans  la  traduction  deWauchier  de  Denain  (ci-dessus, 
p.  265)  il  avait  été  complètement  supprimé.  Ce  qui  vient  ensuite  est 
paraphrasé  et  même,  en  certains  endroits,  développé  : 

(Fol.  1  oo  b)  Ici  commence  li  prologues  de  la  viesain[i\  Ylariom.  Saint  Giroimes,  qui 
fu  bons  clers  et  sainz  bons,  descrist  la  vie  saint  Ylarion,  et  apela  le  Saint  Esperit  en 
aide  qu'il  li  doint  sanz  et  pooir  de  descrivre  les  vertuz  que  sainz  Ylarions  fist.  Moût 
grant  et  grief  [fu]  la  matire,  si  que  sainz  Giroimes  dist  que,  se  Omers,  li  poestes,  en 
vousist  parler,  n'en  poïst  il  pas  si  a  droit  parler  conme  la  matire  le  requiert;  et  por 
ce  apela  il  le  Saint  Esperit  qui  les  cuers  escbaufe  en  s'aide  et  les  langues  feit  parler, 
qui  lui  doint  et  ostroit  qu'il  puist  ce  saint  dignement  loer.  .  . 

Saint  Hylarions  fu  nez  d'une  ville  que  l'en  apeloit  Chothabatam ,  près  d'une  cité 
de  Palestine  qui  a  non  Audres'^'.  Ses  percs  et  sa  mère  furent  paien  :  si  aouroient  les 
ydolles;  et  il  fu  nez  d'euls  ausint  conme  la  rose  de  l'espine.  L'espine  est  dure  et  pon- 
gnant,  et  la  rose  tandre  et  soef  fiera  nt  :  ainsint  estoient  ses  pères  et  sa  mère  dur  et 
mescreant,  et  il  estoit  douz  et.debonneires.  Moût  l'amoient  tendrement.  Si  l'envoierent 
a  l'escole  en  Alixandre.  Illec  aprist  si  bien ,  tant  conme  aages  et  sans  d'enfant  se  puet 
estendre ,  que  tuit  se  merveilloient  de  son  angin .  .  . 

'"'  Migne ,  Patr.  lat. ,  W\ ,  i"] i .  '*'  Rosweyde,   p.    75;    Migne,   Patr.   lai., 

O  Ibid.,  LXIX,  895.  XXIII,  19. 

'''  Par  exemple  dans  le  ms.  IMbi.  nat.  lat.  ''>  «Hilarion,  ortus  vico  Thabatlia ,  qui  cir- 

i6o5i,  fol.   7g;  cf.  Bibliotheca  lia^iograpkica  «citer  quinque  niiilia  a  Gaza  urbe  Palsestinaî 

lalina,  sous  Spyriijion  (p.  ii34).  «ad  Austrum  situs  est.» 


312 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


Dans  la  vie  fie  saint  Malchus''',  le  prologue  de  saint  Jérôme,  qui  était 
difficile  à  traduire,  a  été  assez  bien  rendu  : 

(Fol.  io"7  c)  Comment  .j.  moine  fa  en  servage  trante  .y.  anz.  Cil  qui  se  doivent  en 
mer  combattre,  si  essoient  premièrement  en  la  coie  mer  conment  il  le  feront  en  la 
parfonde  mer,  se  besoinz  lor  croissoit.  Leurs  gouvernaus  fléchissent  et  traient  les 
avirons  et  apparellent  leur  cros  et  ordonnent  leur  batailles  seur  le  planchier  de  la 
nef,  par  ceste  reson  que  il  ne  criement  mie  se  il  venoient  au  besoing.  Ausint,  feit 
sainz  Giroimes,  je,  qui  mesui  longuement  teûz,  me  vueil  essaier  en  une  petite  euvre, 
ausint  conme  [pour]  le  reoil  oster  de  ma  langue,  pour  ce  que  je  puisse  venir  a 
descrivre  plus  grant  istoire  que  je  ai  en  proposement,  se  Diex  me  donne  vie.  .  . 

A  la  suite  de  la  vie  de  saint  Malchus,  le  ms.  fr.  io38  (fol.  i  lo)  in- 
dique par  une  rubrique  la  fin  de  la  Vie  des  Pères  et  le  commencement 
d'un  autre  ouvrage  :  «  Ici  fine  la  Vie  des  Pères,  et  cil  qui  ce  livre  fist 
«  raconte  les  voyages  que  saint  Antoine  fist  en  la  terre  d'outremer.  » 
Ces  prétendus  voyages  de  saint  Antoine  ne  sont  pas  autre  chose  que 
Vltinerarium  Antonini  martyris,  récit  d'un  pèlerinage  en  Terre  Sainte 
attribué  à  Antonin,  non  Antoine,  natif  de  Plaisance,  qui  vivait 
au  VI"  siècle  et  ne  fut  point  martyr*^'.  Il  est  infiniment  probable  que 
la  version  française  de  cet  itinéraire  est  l'œuvre  de  notre  traducteur 
anonyme.  Elle  se  trouve  en  effet  à  la  même  place,  c'est-à-dire  à  la 
suite  de  la  vie  de  saint  Malchus,  dans  le  ms.  778  de  Lyon*^'  et  dans  le 
ms.  de  Saint-Pétersbourg.  Le  traducteur  aura  rencontré  Vilinerariam 
dans  le  manuscrit  d'après  lequel  il  a  mis  en  roman  la  vie  des  Pères, 
et,  confondant  Antoninus  avec  Antonius,  il  aura  cru  utile  de  le  trans- 
later, comme  un  appendice  à  l'histoire  de  saint  Antoine  l'ermite. 

La  version  de  l'Histoire  de  Barlaam  et  Josaphat,  qui  suit  i'Idnerariam 
Antonini  dans  le  ms.  io38  (fol.  1 14),  se  rencontre  en  plusieurs  manu- 
scrits dont  quelques-uns  renferment  des  extraits  en  français  des  Vies  des 
Pères,  ce  qui  n'autorise  nullement  à  l'attribuer  au  même  traducteur^'*'. 


<"'  Rosweyde,  p.  q3;  Migne,  XXllI,  55. 

'''  h' Ilinerariam  Antonini,  dont  il  existe  deux 
rédactions,  a  été  plusieurs  fois  édité,  notam- 
ment dans  les  Itinera  et  descriptiones  Terrae 
sanctae  de  T.  Tobler,  t.  I ,  p.  9 1  et  36o  **** 
(Société  de  l'Orient  latin,  1877-1880). — 
La  traduction  a  été  publiée  d'après  notre 
ms.  fr.  io38  par  M.  Aug.  Molinier,  ibid.,  p.  383. 
On  ne  croit  plus  que  cet  ouvrage  soit  d'Antonin 
de  Plaisance. 


'"'  Dans  le  ms.  de  Lyon  la  version  de  l'Iti- 
néraire est  comprise  dans  la  Vie  des  Pères, car 
c'est  à  la  suite  de  cette  version  qu'est  placée  la 
rubi-ique  :  Cifenist  la  Vie  des  Pères. 

'*'  Des  spécimens  de  cette  version  de  Bar- 
laam et  Josaphat  ont  été  publiés  dans  Barlaam 
a.  Josaphal  ,Jranzôsisc.hes  Gedichi  des  dreizeknten 
Jahrhunderls  von  Gui  de  Cambrai,  hgg.  von 
H.  Zotenberg  u.  P.  Meycr  (Stuttgart,  i864), 
p.  347  et  suiv. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES.  313 

La  compilation  que  nous  venons  d'étudier,  étant  formée  d'ouvrages 
analogues  par  le  sujet,  mais  originairement  distincts,  se  prêtait  assez 
naturellement  à  la  division  en  recueils  partiels.  S'il  n'existe  plus,  à 
notre  connaissance,  de  la  compilation  précédée  du  prologue  en 
vers,  que  deux  exemplaires  (Bibl.  nat.  fr.  io38,  et  Lyon  773),  nous 
pouvons  en  indiquer  plusieurs  copies  moins  complètes,  et  il  est  bien 
probable  que  toutes  celles  qui  existent  ne  nous  sont  pas  connues.  Il 
est  à  noter  que  les  vies  de  saint  Paul  l'ermite  et  de  saint  Antoine  ne 
se  trouvent  que  dans  les  deux  exemplaires  pourvus  du  prologue.  Si  on 
ne  les  a  pas  fait  entrer  dans  les  recueils  de  légendes  françaises  en 
prose  dont  nous  parlerons  en  un  autre  article,  c'est  vraisemblablement 
parce  que  la  place  était  déjà  occupée,  soit  par  la  version  de  Wauchier, 
soit  par  une  autre  version  qui  sera  mentionnée  en  son  lieu. 

Les  manuscrits  où  nous  avons  reconnu  des  parties  plus  ou  moins 
considérables  de  la  compilation  champenoise  sont  : 

1°  Le  ms.  de  Saint-Pétersbourg,  déjà  mentionné  plus  haut,  qui 
renferme  (fol.  194-229)  toute  la  compilation  sauf  le  prologue,  les  vies 
de  saint  Paul  et  de  saint  Antoine  dans  le  premier  livre,  et  sauf  la 
vie  de  sainte  Thaïs  dans  le  second ''', 

2"  Le  ms.  Bibl.  nat.  fr.  -24430,  exécuté  en  Flandre  vers  l'an  i3oo, 
renferipant:  I  (fol.  83),  ÏHistoria  monachoram ,  qui  commence  au  cours 
du  chapitre  1"  (saint  Jean  l'ermite) ,  à  ces  mots  :  «  .j.  '^'  Il  fu  uns  hom  de 
M  la  cité  de  Thebayde  qui  menoit  molt  maie  vie  et  estoit  partout  nou- 
«  mes  de  lecherie  et  de  mauvaistié.  Il  se  repenti  pour  la  pitié  de  Dieu, 
«et entra  en  .j.  sépulcre...  »  (cf.  ms.  io38,fol.  i3;Rosweyde,p.  454  b; 
Migne,  XXI,  4oo).  A  la  fin  :  «  Chi  finist  li premiers  livres  de  Vita  Pa- 
triim.  »  —  II  (fol.  90),  les  Verba  seniorum  attribués  à  Rufm  :  «  xlij.  Moine 
«demandèrent  a  .j.  saint  père  comment  il  seroient  astinent...»  — 
III  (fol.  95  d),  les  Excerpta  de  Sulpice  Sévère  et  de  Cassien  :  «  Ixxxxij. 
«  Unsbienprodom,unboinsabes,sienvoia  a.j.  hermitain.  .  .  «(cf.  ms. 
fr.  io38,fol.  38  b).  —  IV  (fol.  108  d).  Vies  de  sainte  Marine,  de  sainte 
Euphrosyne,  de  saint  Fronton,  etc.  (cf.  ms.  fr.  io38,  Col.  88  d  et 
suiv.).  —  Cet  exemplaire  se  termine  par  les  deux  récits  relatifs  à  saint 
Spiridion,  mentionnés  plus  haut  (p.  3i  i)  d'après  le  ms.  io38,fol.  99  c. 

'''  Voir,  pour  une  description  détaillée,  No-        manque  par  suite  d'une  lacune  du  manuscrit. 
tices  et  extraits,  XXXVI,  703-713.  Une  partie  '*'   Dans  cet  exemplaire  les  paragraphes  sont 

de  la  traduction  des  Verhu  senioram  de  Rufin        numérotés  en  série  continue  dej  à  ccxxxj. 

HIST.   I.ITTKR.  XWIII.  ^O 


31^1  VKRSIONS  EN  PROSK  DES  VIES  DES  PERES. 

3°  Le  ms.  Bibl.  nat.  fr.  249^71  du  commencement  du  xiv'^  siècle, 
renfermant  :  I  (fol.  1  ),  YHisturia  monachorum  à  partir  du  chapitre  ix 
(saint  Aymon); —  II  (fol.  4ov°),  les  Ker/taseaiorum  attribués  à  Rufin;  — 
III  (fol.  1 06  v°) ,  les  Excerpla  de  Sulpice  Sévère  et  de  Gassien  ;  —  IV,  les 
vies  de  Marine  (loi.  179  v"),  d'Euphrosyne  (fol.  i84  V) ,  etc.  — 
Après  les  récits  concernant  Splridion  (fol.  199),  vient  la  vie  d'Hila- 
rion  (fol.  201),  avec  laquelle  se  termine  le  volume.  Le  texte  de  ce 
manuscrit  est  fort  abrégé. 

4°  Le  ms.  772  de  la  Bibliothèque  de  Lyon  (xiii*  siècle),  qui,  ren- 
fermant un  assez  grand  nombre  de  légendes  hagiographiques  en  prose 
et  quelques  autres  opuscules*'^,  contient  aussi  une  partie  de  la  version 
champenoise.  On  y  trouve,  d'après  cette  version,  mais  en  texte  assez 
abrégé,  les  vies  de  Marine  (fol.  109),  d'Euphrosyne  (fol.  109  d),  de 
Marie,  nièce  d'Abraham  (fol.  111  b),  de  Thaïs  (fol.  1 13).  Enfin  les 
derniers  feuillets  (fol.  278b-28i)  sont  occupés  par  un  extrait  des 
Verba  seniornm  de  Rufin,  d'après  la  même  version,  i^es  premiers  cha- 
pitres font  défaut,  le  texte  commençant  avec  le  S  65  des  Verba  seniorum 
(Rosweyde,  p.  5i  1),  à  ces  mots  :  «  Si  con  l'abes  Assenés  se  seoit  en 
«un  camp,  si  vint  une  rice  feme  a  lui;  virge  estoit  et  moût  doutoil 
«Dieu.  ..  »  (cf.  ms.  io38,  fol.  39  d).  Le  manuscrit  de  Lyon  a  perdu 
ses  derniers  feuillets  :  dans  l'état  actuel  cette  copie  s'arrête  au  S  1^3 
des  Verba  seniorum. 

5"  Le  ms.  B.  N.  fr.  17231,  du  xv*^  siècle,  incomplet  du  début  et  de 
la  fin,  renfermant,  sous  forme  rajeunie,  de  nombreux  extraits  de  la 
version  champenoise  :  la  vie  de  saint  Malchus,  à  laquelle  manquent 
les  premières  lignes  (fol.  1);  des  extraits  de  Rufin,  Verba  seniorum 
(fol.  5  c);  des  extraits  de  Pelage,  Verba  seniorum  (fol.  20  c);  la  vie  de 
Marie,  nièce  de  l'ermite  Abraham  (fol.  34  b);  celles  de  Thaïs  (fol.  38)  ; 
d'Hilarion  (fol.  4i  d);  le  voyage  du  faux  saint  Antoine  (fol.  69  c;  cf. 
ci-dessus,  p.  3 12).  Suivent  (fol.  67)  de  nouveaux  extraits  des  Verba 
seniorum  de  Pelage,  des  récits  variés  empruntés  à  des  sources  diverses, 
l'un  desquels  se  rapporte  à  saint  Louis  (fol.  92  d),  la  vie  de  sainte 
Euphrosyne  (fol.  96  c) ,  etc. 

Nous  signalerons  plus  loin  une  copie  partielle  de  la  version 
champenoise  combinée  avec  une  compilation  que  nous  allons  faire 
connaître. 

(')  Décrit  en  détail  dans  le  Bulletin  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français ,  i885,  p.  4o  etta'v. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  315 


COMPILATION  DE  LHISTORIA  MONACHORUM  DE  RUFIN 
ET  DE  DIVERS  RECUEILS  DE  DITS  DES  PERES. 

Cette  compilation  se  compose  essentiellement  d'extraits  de  VHis- 
toria  monachoriim  de  Rufin  et  des  Verba  seniorum  du  diacre  Pelage, 
mais  elle  comprend  aussi  divers  morceaux  étrangers  à  ces  deux 
ouvrages.  Nous  en  connaissons  deux  manuscrits  :  Bibl.  nat.  fr. 
aSi  1  1,  de  la  fin  du  xiir  siècle  ou  des  premières  années  du  xir*",  et 
9088,  du  xv*".  Ces  deux  copies  sont  loin  d'être  semblables  :  la  seconde 
contient  un  petit  nombre  de  paragraphes  qui  manquent  dans  la  pre- 
mière, mais  par  contre  la  première  en  renferme  beaucoup  qui  ne 
sont  pas  dans  la  seconde.  Nous  suivrons  le  manuscrit  281 1 1.  Nous 
ne  savons  ni  quand  ni  par  qui  a  été  faite  la  compilation.  Elle 
nous  parait  postérieure  à  la  version  champenoise,  et  nous  inclinons 
à  la  placer  vers  la  fin  du  xiir  siècle.  La  traduction  n'est  pas  toujours 
très  fidèle,  mais  elle  est  d'une  bonne  langue  et  le  style  en  est  simple 
et  coulant. 

Le  récit  du  début  est  donné  comme  étant  de  saint  Jérôme,  et  il 
est  probable  que  le  traducteur  étendait  cette  attribution  à  tous  les 
livres  où  il  prenait  ses  extraits.  On  mettait  fréquemment  sous  le  nom 
de  saint  Jérôme  l'ensemble  des  écrits  variés  que  l'on  désignait  par  le 
titre  vague  de  Vitœ  ou  Vitas  pat  mm. 

Les  trois  premiers  morceaux  sont  empruntés  à  l'histoire  de  l'ermite 
Jean  qui  forme  le  premier  chapitre  de  YHistoria  monachorum,  mais  ils 
ne  se  suivent  pas  dans  le  même  ordre  que  dans  le  latin.  Nous  donne- 
rons le  texte  entier  du  premier,  qui  ne  correspond  pas  au  début  de 
VHistoria,  et  les  premières  lignes  des  deux  autres.  Nous  transcrirons 
en  note  quelques  lignes  de  la  version  champenoise  pour  qu'on  puisse 
bien  se  rendre  compte  de  la  différence  des  deux  traductions'''. 

'"'  {B.  N.fr.  1038.fol.  12  d)  Uns  moines,  pensoit   qu'il   les   avoit   de    soi   meïsmes,    ne 

tlist   saint  Jehans,   estoit  qui   habitoit   en   ce  mie  de  Dieu.  Li  deables  sot  celé  pensée;  si  se 

désert  ou  .j.  [Us.  li,  c.-à-d.  S.  Jean)  sainz  hons  pensa  que  il  l'engingneroit.  Et,  quant  ce  vint 

habitoit.  Moût  estoit  de  grant  abstinence  et  a  .j.  jour  a  la  vesprée,  si  prist  forme  d'unemout 

gaaingnoit  a  ses  mains  ce  que  il  menjoit.  De  bielle  famé,   et  vint  a  luis   au  moine,  moût 

toutes  bonnes  vertuz  estoit  aourne;;,  et  si  ma-  lassée  et  moût  travailliéc,  et,  par  semblant, 

noit  en  une  croûte  u  désert.  Un  petit  se  com-  si  se  lessa  cheoir  au[s]  piez  au  moine  et  li  pria 

mença  a  eslever  des  vertuz  que  il   avoit,  et  qu'il  eûst  merci  de  lui.  «La  nuit,  feitel,  m'a 

4o. 


316  VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

[Fol.  156)  Ci  commence  la  vie  des  Pères  en  prose^^\  Sainz  Jeroimes  nos  raconte, 
es  vies  des  sainz  pères,  d'un  hermite  qui  ot  bon  commencement  et  malvese  fin.  11  fu, 
ce  dit,  .j.  liermite  qui  abitoit  en  une  bove  :  si  estoit  de  granl  abstinence.  II  gaaignoit 
a  son  iahor  ce  dont  il  devoit  vivre.  Il  estoit  en  oroison  par  jor  et  par  nuit;  il  estoit 
floriz  de  toutes  bones  vertuz.  Quant  lonc  tens  ot  menée  tel  vie,  si  se  commença 
a  fier  en  ses  biens  et  a  cuider  que  il  fust  mieudres  que  uns  autres.  Quant  li  anemis 
aperçut  que  il  lu  cheûz  en  tele  pensée,  si  s'aprocha  de  li  et  li  tendi  ses  laz.  Un 
jor,  au  vespre,  se  mist  li  deables  en  la  forme  d'une  moût  bêle  femme  :  si  vint 
ausi  comme  lassée  a  l'uis  de  la  bove  a  l'ermite;  si  se  lesse  dedenz  cheoir  ausi  comme 
s'ele  ne  peùst  aler  avant,  et  vient  as  piez  celui,  et  li  crie  merci.  «  La  nuit,  dist  ele, 
«  m'a  ci  souprise;  suefre  moi  que  je  me  repose  huimès  en  .j.  angle  de  ta  celle,  que 
«  les  bestes  sauvages  ne  me  dévorent.  »  Cil ,  par  pitié  qu'il  en  ot ,  la  reçut  dedenz  sa  bove 
et  demanda  l'achoison  de  sa  voie.  Celé  li  feint  une  chose  assez  voiseusement ,  et  entre 
ses  paroles  mesloit  uns  moz  envenimez  de  folie,  si  que  par  ses  blanches  paroles  com- 
mence a  bestorner  li  corage  de  celui  et  a  fléchir  de  foie  amor.  Après  vienent  plus 
blanches  paroles ,  mellées  de  gious  et  de  ris.  Après ,  celé ,  comme  hardie ,  met  sa  main 
a  la  barbe  et  au  menton  celui.  Que  vos  diroie  je  plus?  Au  derreain  trébuche  li  che- 
valiers Jhesucrist,  car  tantost  commença  a  eschaufer  dedenz  soi  du  feu  de  luxure;  si 
oublia  toutes  les  poines  (pie  il  avoit  soufertes  lonc  tens  por  Dieu ,  puis  s'abesse  li  fols 
vers  celé  por  pechier  la  ou  il  la  cuidoit  embracierl  Celé,  qui  n'estoit  pas  femme,  mes 
malvès  esperit ,  commence  a  braire  et  a  crier  et  a  uUer,  et  s'esvanouï  dedenz  les  braz 
celui ,  et  tout  maintenant  s'assemble  une  grant  tourbe  de  deables  en  fair,  si  com- 
mencent a  huchier  :  «Ha!  moines,  qui  estiez  eslevez  jusques  au  ciel,  comment 
«  es  tu  descendus  jusqu'en  abisme.3  Apren  que  cil  qui  se  soushauce  sera  humiliez.  » 
Et  cil ,  ensi  comme  desvez ,  ne  pot  soffrir  la  honte  ;  si  se  commence  a  désespérer.  Et 
quant  il  dut  reperier  a  lui  meïsmes  et  amender  son  forfet  par  penitancc  et  par 
larmes,  il  ne  le  fist  pas,  ainz  s'en  ala  au  siècle  et  s'abandonna  a  toute  vilanie  de 
pechié.  Il  guerpi  la  compaignic;  des  sainz  homes  por  ce  que  il  nu  rapelassent  par 
bonnes  paroles  ;  et  se  il  vosist  estre  repériez  a  la  première  vie,  il  eûst  sans  doute 
recouvré  son  lieu  et  sa  grâce  de  Dieu. 

Après  ce  nos  raconte  saint  Jeromes  d'un  autre  qtii  ot  bonne  fin  et  malvès  con- 
mencement.  Il  fu,  ce  dit,  uns  bons  en  une  cité,  qui  menoit  moût  orde  vie  de 
pechié;  et  disoient  les  genz  que  il  estoit  le  plus  malvès  du  monde'-'.  .  . 

Puis  le  traducteur  revient  au  début  de  YHistoiia  monachorum  avec 
l'histoire  du  moine  Jean'^'  : 

[Fol.  156  d)  Uns  sainz  hermites  qui  avoit  non  Jehans  habitoit  en  la  roche  d'une 

«seurpris;  soufrez,  feit  elle,  que  je  ine  repose  commencement ,  la  Vie  <ips7'èrM,  en  vers,  c'est - 

«  mèsennuitceanz  en  .j.  angleitde  vostrc  celte,  à-dire  l'ouvrope  indiqué  ci-dessus,  p.  a 56,  dont 

«que  les  bestes  ne  me  menjucent  ça  fors.  »  Cil  certains   éléments  seulement    sont  empruntés 

en  ot  j)itié,  mist  la  dedanz  sa  croûte,  et  si  11  aux  récits  latins  relatifs  aux  Pères  du  désert, 
demcnda  qu'elle  aloit  (juerant  par  ce  désert.  '*'   Rosweyde,  p.  454  b;  Migne,  XXI,  4oo. 

'"'  Le  même  manuscrit  aSiu  contient,  au  '''  Rosweyde,  p.  449  b;  Migne,  XXI,  Sgi. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES.  317 

moût  grant  montaigne  dont  la  montée  estoit  griés  et  l'entrée  estroite.  Onques, 
dedenz  .xl.  anz,  nus  n'entra  dedenz  sa  celé.  11  parioit  a  cels  qui  a  lui  venoicnt  par 
une  fenestre  et  les  edifioit.  Il  ne  voloit  soufrir  que  femme  venist  devant  soi.  H  avoit 
une  celle  par  dehors  ou  il  herbejoit  les  pèlerins,  et  il  estoit  en  la  seue  ententis  a  Dieu 
du  tout 


Nous  avons  imprimé  plus  haut  le  début  de  ce  morceau  d'après  la 
version  de  Wauchier  (p.  27/i)  et  d'après  la  version  champenoise 
(p.  299)  :  on  se  convaincra  facilement  que  ces  trois  traductions  sont 
indépendantes. 

Immédiatement  après  ce  récit,  le  traducteur,  abandonnant  pour 
un  temps  YHistoria  monachorum,  passe  aux  Verba  seniorum  de  Pelage  : 

{Fol.  157  b)   L'abes  Pieur  mengoit  en  alant,  et  quant  l'on  li  demandoit  por  quoi 
il  le  fesoit,  il  disoit  :  «  Por  ce  que  je  ne  voil  avoir  nul  délit  en  mengant.  » 
[Lihell.  IV,  S  34;  Rosweyde,  p.  670  b;  Migne,  LXXIII,  369.) 

Le  compilateur  suit  assez  exactement  l'ordre  des  Lïbelli  de  l'ori- 
ginal, prenant  dans  presque  tous  quelques  paragraphes ''^  Puis  il 
passe  aux  Verha  seniorum,  traduits  par  le  sous-diacre  Jean  flivre  VI 
de  Rosweyde),  auxquels  il  emprunte  quelques  morceaux*^'.  Il  re- 
vient ensuite  à  YHistoria  monachorum^^^  et  aux  Verba  seniorum  de 
Pelage,  mais  en  intercalant  parmi  les  extraits  de  ces  deux  ouvrages 
un  grand  nombre  de  récits  pris  ailleurs,  par  exemple  dans  les  Verba 
seniorum  de  Rulin  (livre  III  de  Rosw^eyde)  '''',  dans  les  extraits  de  Cas- 
sien  (livre  IV  de  Rosweyde)  '*',  les  morceaux  empruntés  à  ces  deux 
recueils  étant  toutefois  peu  nombreux.  Nous  ne  sommes  pas  surpris 
qu'il  ait  traduit  la  vie  de  sainte  Marine  '**',  et  probablement  aussi  celle 
de  sainte  Thaïs  :  l'auteur  de  la  version  champenoise  les  avait  tra- 
duites aussi;  mais  il  est  plus  digne  de  remarque  que  notre  compila- 
teur a  puisé  dans  des  écrits  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  les 
ermites  de  la  Thébaïde  tels  que  le  Dialogue  de  saint  Grégoire ''l 

W  Libellus  V,  fol.   i58;  libell.  vi,  fol.  169;  ">  Chap.  ui,  lui  (fol.  176). 

Ubell.  VII ,  ibid.  :  libell.  VIII ,  fol.  1 60 ;  libell.  ix ,  <«'  Ms.  23 1 1 1 ,  fol.  1 83  d ;  ms.  gBSS ,  fol.  33. 

fol.     161;    libell.    X,    ibid.;    libell.    xi,     ibid.;  Le  second  de  ces  manuscrits  contient  aussi  la 

libell.  XIV,  ibid.;  libell.  xv,  fol.  162;  Ubell.  xvii,  vie  de  Thaïs  (fol.  32),  qui  fait  défaut  dans  le 

foi.  i63;  libell.  xviii,  ibid.  ms.  a3iii.  Cette  légende  et  celle  de  sainte 

'''   Libelli  l,  11,  m  (fol.  i65  et  166).  Marine  font  partie  du  livre  I   de  Rosweyde, 

''*  Chap.   II,  XVI,  XXIX  (fol.   167  à   169);  p.  374,  393;  Migne,  LXXIII,  661,  691. 
chap.  XIV  (foi.  172).  <'!  Ms.    23iii,   foi.    179-182;   ms.    9688, 

'*'  SS  14,  i5,  23,  26  (fol.  172),  3i,  35,  foi.  26-29. 
37,  89  (foL  173,  174),  198,  208  (loi.  175). 


318  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 

Nous  nous  bornons  à  ces  indications.  Après  le  premier^  tiers  environ 
de  la  compilation,  les  sources  varient  tellement  qu'il  serait  impos- 
sible de  rendre  un  compte  détaillé  des  éléments  qui  la  composent, 
à  moins  d'en  donner  une  édition  où  la  source  de  cbaque  para- 
graphe serait  indiquée.  Il  est  même,  en  certains  cas,  fort  difficile  de 
déterminer  quel  était  l'état  primitif  de  la  compilation,  plusieurs  des 
morceaux  étrangers  aux  Vies  des  Pères  ermites  ne  se  rencontrant 
que  dans  le  manuscrit  281 1 1,  qui  est  le  plus  ancien  des  deux,  mais 
où  néanmoins  des  interpolations  ont  pu  se  produire.  Parmi  les  récits 
propres  à  ce  manuscrit  nous  citerons  :  le  conte  des  deux  frères  qui 
vient  originairement  de  Bailaam  et  Josapliat,  mais  qui  n'a  probable- 
ment pas  été  emprunté  directement  à  ce  pieux  roman'"';  l'histoire 
bien  connue  de  ce  jeune  homme  de  haute  naissance  qui,  prié  par 
son  père  de  quitter  le  monastère  où  il  s'était  rendu ,  refuse  de  le  faire 
tant  que  son  père  n'aura  pas  supprimé  une  mauvaise  coutume  en 
vigueur  dans  sa  terre,  c'est  que  les  jeunes  meurent  aussi  tôt,  souvent 
plus  tôt  que  les  vieux '^';  une  rédaction  abrégée  de  la  vie  de  saint 
Gilles'^';  un  récit  donné  comme  tiré  de  la  vie  de  saint  Sevrin,  mais 
dont  nous  n'avons  pas  retrouvé  la  source,  où  l'on  voit  un  usurier, 
enseveli  par  faveur  dans  une  église,  soulever  sa  pierre  tombale  au 
moment  du  service  divin,  et  sortir  de  l'édifice'*'.  On  conçoit  que  ces 
l'ecueils  d'histoires  édifiantes  se  prêtaient  facilement  à  des  additions 
variées  et  conservaient  toujours  un  caractère  un  peu  flottant. 

C'est  ici  le  lieu  de  faire  connaître  un  manuscrit  où  sont  juxta- 
posées une  partie  de  la  compilation  dont  nous  venons  de  traiter  et  une 
partie  de  la  version  champenoise  étudiée  précédemment.  C'est  le 
manuscrit  fr.  ^22  de  la  Bibliothèque  nationale,  dont  l'écriture  est  de 
la  fin  du  XIII*  siècle  '*'.  Il  ne  devra  pas  être  négligé  si  un  jour  on 

'■'    Ms.    a3iii,   fol     i85  c   La  rédaction  rfe  Bocon  (Pari»,  1889,  Soc.  des  ancien»  textes 

semble    se    rapprocher    particulièrement    de  l'rançais) ,  p.  397. 

celle   de  Jacques    de    Vitri,    imprimée   dans  '''  Fol.  187. 

la  Romaniu ,  XllI,  691,   et  dans   Crâne,    The  ''   Fol.  182  c. 

Exempla  of  Jacques  de  Vitry  (London,  1890),  ''''  Le  manuscrit  0   appartenu  à  Alexandre 

n°  XLll.  Petau,  coiiune  le  montre  une  note  inscrite  au 

'*'  Fol.  i85  b.  La  source  est  probablement  bas  de  la  première  pnpfe.  Il  porte  une  ancienne 

un  conte  de  Jacques  de    Vitri  qui  n'est  pas  |)aginatinn  (|ui  rominence  au  loi.  iii/'"ri/ et  se 

compris  dans  le  recueil  de  Cranc,  mais  dont  continue  jusqu'au  fol.  ccxiiij.  Nous  ignorons 

le  texte  est  imprime  dans  les  notes  des  Contes  ce  que  sont  devenus  le»  86  première  feuillets. 


VERSIONS  E\  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  319 

entreprend  la  publication  de  la  version  champenoise,  car  il  a  souvent 
de  meilleures  leçons  que  le  manuscrit  fr.  io38,  dont  nous  avons 
fait  usage.  Les  trois  premiers  morceaux  sont  empruntés  à  la  compi- 
lation des  manuscrits  'i3iii  et  9088,  bien  qu'ils  ne  soient  pas 
placés  tout  à  fait  de  même.  Le  texte  commence  ainsi  : 

(Fol.  1)  Sains  Jheromes  nous  raconte,  es  vies  des  sains  Pères,  d'un  hennite  ki 
eut  molt  boin  commencement  et  malvaise  lin.  Il  fut,  ce  dist,  uns  hermites  ki  liabi- 
toit  en  une  bove:  si  estoit  en  grant  abstinence  et  gaaignoit  a  sa  labour  ço  dont  il 
vivoit.  li  erl  en  orison  par  jor  et  par  nuit;  il  ert  lloris  de  toutes  boines  vertus.  Quant 
il  ot  lonc  tant  mené  tel  vie ,  si  se  commença  a  fier  en  ses  biens  et  a  cuidier  k'il  fust 
miudres  c'uns  autres.  Quant  li  anemis  .s'aperçut  k'il  fu  chaùs  en  tel  pensée,  si  aprocba 
vers  lui  et  se  ii  tendi  ses  las.  Un  jor,  au  vespre,  se  mist  li  dyables  en  forme  d'une 
molt  bêle  famé;  si  vint  aussi  comme  lassée  al  huis  del  boin  hennite;  si  se  laisca 
dedens  chaoir  aussi  com  s'ele  ne  peiist  aler  avant,  et  vint  as  pies  celui,  si  li  cria 
merchi  :  «La  nuis,  dist  ele,  m'a  souprise;  sueffre  que  jou  me  repose  en  un  angle 
«  de  ta  celé  huimais,  ke  les  bestes  sauvages  ne  me  dévorent.  »  Cil,  por  pitié  k'il  en 
ot,  le  recbut  dedens  sa  bove  et  li  demanda  l'ocoison  de  sa  voie.  Celé  li  fainst  une 
cause  assés  visseusement,  et  entre  ses  paroles  melloit  mos  envenimés  de  folie,  si 
que ,  par  ses  blanges ,  commence  a  descolvrir  son  corage  celui  et  a  flecir  en  foie  amor. 
Après  vinrent  plus  blances  paroles,  mellées  de  giu  et  de  ris.  Après  celé,  com  hardie , 
mist  sa  main  a  le  barbe  et  al  menton  celui.  Que  vous  diroie  plus?  Al  daarrain  Ire- 
buce  le  chevalier  Jhesu  Crist,  car  tanlost  commence  a  escaufer  dedens  lui  de  fu  de 
luxure;  si  oblia  toutes  les  paines  k'il  avoit  lonc  tans  eues  pour  l'amour  de  Dieu, 
puis  s'abaisça  li  fols  vers  celi  pour  pecier.  Si  com  il  le  cuida  embracier,  celé,  ki  n'es- 
toit  pas  feme  mais  malvaise  esperite,  commence  a  braire  et  a  uiler;  si  s'esvanuï 
d'entre  les  mains  celui,  et  tout  maintenant  une  grans  torbe  de  dyables  en  l'air  si  com- 
mencierent  a  hucier  :  «O  moignes,  ki  estoies  ellevés  dusques  au  ciel,  comment  os 
«tu  descendus  dusques  en  abysme?.  .  .  » 

Les  deux  récits  qui  suivent  sont  tirés  des  Verba  senioriim  de  Pelage  '''. 
On  les  retrouve  compris  dans  la  compilation  des  manuscrits  aSi  1 1 
et  9688,  mais  à  une  autre  place  ^'^^  Aussitôt  après  ces  deux  récits,  le 
manuscrit  42 2  revient  à  la  vie  de  saint  Jean  l'ermite^^'  par  laquelle 
s'ouvre  VHistoria  monachornm  de  Rufin,  et  conle  l'histoire  du  moine 
repentant  de  ses  péchés  qui,  durant  trois  nuits  consécutives,  fut 
assailli  et  battu  par  les  démons''''.  A  partir  de  cet  endroit  le  texte  est 
celui  de  la  version  champenoise,  plus  correct  à  certains  égards  que 

'''  Li6eW.  XIV,  SS  1 7  et  i8;Rosweyde,p.  619;  '"'  B.  N.  fr.  42a,  loi.  1,  col.  b  c. 

Migne.  LXXIII,  962.  ('>  Rosweyde,  p.  454  b;  Migne,  XXI,  4oo. 

<•)  Ms.  23iii,  loi.  i6i  d  et  162,  ms.  gSSS,  On  a  donné  plus  haut,  p.  316-7,  le  début  de 

fol.  g  v'  et  10.  ce  récit  d'après  le  ms.  23n  1. 


320 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 


dans  le  manuscrit  fr.  io38.  On  en  jugera  par  ce  court  extrait  où  les 
deux  leçons  sont  rapprochées  : 


B.  N.  fr.  4 2 2, fol.  1  d. 

H  fu  uns  hom  en  le  cité  deTebayde  ki 
menoit  molt  maie  vie,  et  estoit  partout 
nummés  de  lecherie  et  de  malvaistié.  H 
se  repenti  par  la  pitié  de  Diu  et  entra 
en  un  sépulcre  ''',  et  ploroit  illuec  et  sos- 
piroil  et  prioit  Dieu  merchi  sans  cou  k'il 
n'osoit  nomer  le  non  de  Dieu.  Quant 
il  ot  esté  une  semaine  en  cel  sépulcre,  si 
vint  ly  deables  a  lui  par  nuit,  et  se  li 
dist  :  «  Mal  vais  lechieres,  que  fais  tu  chi? 
«  Tu  as  faites  toutes  les  lecheries  et  toutes 
n  les  malvaistiés  que  nus  hom  peùst  faire  : 
«  or  veus  devenir  castes  et  relegieus  ; 
«  quant  tu  ne  te  pues  mais  aidier,  si  veus 
«faire  ta  penitance.  Tu  ics  aussi  coni 
Il  uns  de  nous,  et  si  ne  pues  autres  estre. 
«  Revien  t'ent  avec  nous,  et  cou  tantet  ke 
Il  t'as  a  vivre  emploie  en  tes  delis  et  en  tes 
Il  volentés  '*'.  Nous  te  donromes  assés  de- 
II  lisses  et  bêles  femes,  et  quankes  tes 
Il  cuers  devisera ,  et ,  se  tu  vels  mal  soffrir. 
Il  atent  .j.  petitet;  tu  en  aras  assés.  Çou 
Il  eiisces  tu  en  infer  que  tu  suefTres  ci  : 
Il  onques  ne  te  haster  de  mal  traire. 
Il  quant  tu  i  venras  assés  par  tans.  » 

À  la  suite  des  paragraphes  relatifs  à  Crones,  Origenes,  Evagres  et 
Jean  (cf.  ci-dessus,  p.  3oo)  est  indiquée  la  fin  du  premier  livre  :  «  Ci 
«  fenist  li  premiers  livres  de  Vids  patram  »  (fol.  1 6  d). 

Le  texte  se  poursuit  ainsi,  toujours  d'accord,  sauf  de  nombreuses 
variantes, avecle  manuscrit  io38,  jusqu'à  la  vie  de  sainte  Thaïs,  dont 


B.  N.  fr.  io38,fol.  i3. 

Il  fu  uns  bons  de  la  cité  de  Thebayde 
qui  menoit  moût  maie  vie,  et  estoit  par- 
tout nommez  de  lecherie  et  de  mau- 
vestié.  Il  se  repenti  par  la  pitié  de  Dieu  et 
entra  en  un  moutier.  Si  vindrent  li  deable 
a  lui  par  nuit ,  et  si  li  distrent  :  «  Mauves 
Il  licbierres ,  que  les  tu  ci  ?  Tu  as  feit 
Il  toutes  les  lecheries  que  nus  hom  pouist 
«  feire ,  et  or  veus  devenir  chastes  et  reli- 
«  gieus  ;  quant  tu  ne  puez  mes  rien  feire ,  si 
Il  veus  ta  pénitence  feire.  Tu  es  ausi  comme 
«  .j.  de  nous,  ne  ne  puez  autre  estre,  et 
Il  vien  t'en  encore  a  nous,  et  ce  tentet  que 
Il  tu  as  encore  feit  te  quiton.  Revien  en  tes 
Il  délices  et  en  tes  volentez.  Nous  te  don- 
«  rons  délices  et  belles  famés ,  et  quanque 
Il  tes  cuers  devisera.  Se  tu  veus  mal  sou- 
«  frir,  atant  .j.  petit  :  tu  en  avras  assez. 
«  Ce  eusses  tu  en  enfer  que  tu  suefTres  ci  ; 
Il  onques  ne  te  haster  de  mal  traire  :  tu 
Il  y  venras  assez  a  tans.  » 


'"'  C'est  la  bonne  leçon  comme  aussi  pour 
la  suite  :  •  .  .  .et  intra  sepulcrum  se  quoddam 
»  concludens ,  priorum  scelenim  poUutiones  la- 
iicrymarum  fontibus  diluebat,  diebus  ac  noc- 
«  tibus  in  faciem  prosiratus.et  ne  allevarequi- 
mlein  ausus  oculos  ad  caelum,  neque  vocem 
«cmittere  et  nomen  Dei  nominare.sed  in  solis 


«  geinitibus  et  flotibus  perdurabat  ...»  11  est 
visible  que  la  version  est  abrégée ,  mais  la  leçon 
de  io38,  comme  on  peut  le  voir,  écourie 
encore  cet  abrégé. 

'*'  Latin  :  «  Redi  ergo  magis,  redi  ad  nos; 
•  et  quod  superest  tibi  tcmpus  in  perlmenda 
«  voluptate  non  perdas.  > 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  321 

nous  n'avons,  dans  le  manuscrit  fr.  4'i2,  que  les  premières  lignes 
(cf.  ci-dessus,  p.  3 08)  : 

{Fol.  83  c)  H  fut  anchienement  une  soldoicre  qui  .ivoit  non  Thays,  tant  beie  et 
tant  gcnte  que  maint  home  vendirent  pour  ii  leur  iretage,  et  furent  povre  caitif  al 
daarrain.  Molt  avoit  li  damoisele  d'amis  qui  l'anioientfolenient,  et  [si]  qu'il  s'entre- 
haoient  et  s'entrocioient ,  tele  eure  estoit,  a  son  huis. 

Suit  immédiatement,  sans  rubrique,  la  vie  de  saint  Martin  dont 
nous  avons  traité  précédemment  à  propos  de  Wauchier  de  Denain''^. 
Puis  viennent  la  vie  en  prose  de  saint  Nicolas  et  sa  translation 
(fol.  97  d),  une  traduction  de  la  lamentation  de  la  Vierge  au 
pied  de  la  croix ''^'  (fol.  i2'i),  une  vie  en  prose  de  sainte  Marie-Made- 
leine (fol.  126),  et  enfin  (fol.  127  c)  la  version  du  traité  sur  l'Anté- 
christ d'Adson,  abbé  de  Montier-en-Der'"''.  Ce  dernier  texte  est  incom- 
plet, le  manuscrit  ayant  perdu  son  dernier  feuillet. 

TRADUCTION    DES   VEliBA   SElSIOIiVM  DE  PELAGE, 

DE  VHISTORIA  MONACUORVM ,  DES  VIES  DE  SAINT  l'AUL  L'ERMITE, 

DE  SAINT  MALCHUS  ET  DE  SAINT  FRONTON. 

Les  versions  que  nous  avons  étudiées  jusqu'à  présent  n'avaient 
d'autre  objet  que  de  mettre  à  la  portée  d'un  public  peu  lettré  des  his- 
toires édifiantes.  Elles  ne  prétendaient  nullement  à  l'exactitude.  Leurs 
auteurs  ne  se  croyaient  obligés  ni  de  tout  traduire,  ni  même,  parfois, 
de  conserver  l'ordre  suivi  dans  les  recueils  latins  qu'ils  s'étaient  donné 
la  tâche  de  faire  passer  en  français.  C'étaient  des  adaptations  plutôt 
que  des  traductions.  Le  recueil  dont  nous  allons  parler  présente  un 
tout  autre  caractère.  H  est  l'œuvre  d'un  écrivain  qui  a  fait  effort  pour 
rendre  les  textes  avec  une  exactitude  rigoureuse.  Aussi  son  style  est-il 
parfois  pénible  et  embarrassé.  Nous  pensons  que  ce  traducteur,  qui 
ne  s'est  pas  fait  connaître,  était  Français.  Il  est  vrai  que  les  deux  manu- 
scrits qui  nous  ont  conservé  son  œuvre  ont  été  exécutés  dans  le  nord 
de  l'Italie,  la  forme  de  l'écriture  ne  laisse  point  de  doute  à  cet  égard, 

'"'  Ci-dessus,  p.  a83.  (inciens  textes  français,  1875,  p.  64-  Une  autre 

'*'  D'après  un  opusrule  latin  attribué  à  saint  copie  de  la  même  version   se  trouve  dans  le 

Bernard  et  qui  a  été  plusieurs  fois  traduit  en  nis.  ^■ja  de  Lyon  {Bulletin,  i885,  p.  5o). 
français.  I-a  version  (pie  renferme  le  nis.  /(sa  '''  On  possède  bien   d'autres  copies  de   la 

a  été  signalée  dans  le  liallelin  de  la  Société  des  inènie  version  :  voir  Romunia ,  XVII,  383.  • 

iiisr.  i.iTTKB.  —  xxxni.  4i 


322  VERSIONS  KN  PUOSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 

mais  la  langue  esl  exempte  d'italianismes,  (^e  sont  deux  transcriptions 
fidèles  de  textes  originairement  écrits  en  France,  (les  deux  copies 
sont  contenues  dans  les  manuscrits  B.  N.  fr.  43o  et  9760.  Elles  ren- 
ferment ou  du  moins  ont  renfermé  (car  l'un  des  deux  manuscrits 
esl  incomplet)  les  mêmes  écrits,  bien  que  dans  un  ordre  différent. 
Voici  l'indication  sommaire  de  ces  écrits  : 


B.  N.  IV.  9760.  B.  N.  Ir.  kS 


(). 


I.  (Foi.  1)  Les  Verba  seniorum  de  Pelage.        i.  (Fol.  2)   Le  Dialogue  de   saint   (iré- 

•1.  (Fol.  yS)  Vie  de  saint  Paul  l'ermite.  goire. 

3.  (Fol.   -78  c)  Historia  monachorum  de        -2.  (Foi.  89)  Vie  de  saint  François. 

Ruiin.  3.  (Fol.  97  y")   Les    Verba  seniorum  de 

'i.  (Fol.  128)  Vie  du  moine  Malclms.  Pelage, 

f).  (l'^ol.  I  3o)  Vie  de  saint  Fronton.  /|.  (Fol.  i36)  Vie  de  saint  Paul  l'ermite. 

6.  (Fol.  1 33)  Le  Dialogue  de  saint  Gré-        5.  (Fol.    139)    h' Historia    monachorum. 

goire.  —  La  version  s'arrête  à  la  (in  du 

7.  (Fol.  2;i8)  Vie  de  saint  François.  chap.  xxviti  {de  duobus  Macariis), 

au  foi.  1 60 ,  qui  termine  un  cahier. 
La  suite  de  Y  Historia  monachorum , 
et  probablement  aussi  les  vies  de 
saint  Malchus  et  de  saint  Fronton , 
manquent  par  suite  de  la  perte  des 
derniers  feuillets  du  manuscrit. 

11  nous  semble  bien,  à  en  juger  par  le  style,  que  toutes  ces  traduc- 
tions sont  l'œuvre  du  même  auteur.  Toutefois  nous  ne  nous  occu- 
pons présentement  que  des  cinq  articles  qui  ont  trait  à  la  vie  des 
Pères.  Nous  suivrons  naturellement  le  manuscrit  97 Co,  le  seul 
complet. 

Les  Verba  seniorum  de  Pelage  ne  sont  pas  compris  dans  l'en- 
semble des  traductions  faites  par  Wauchier  et  ne  figurent  que  par 
extraits  dans  la  compilation  étudiée  à  l'article  précédent,  de  même 
que  dans  la  version  champenoise.  Ici  cet  ouvrage  est  traduit  fort  exac- 
tement, l'ordre  des  morceaux  étant  le  même  que  dans  Rosweyde.  Les 
titres  des  lihelli  sont  parfois  mis  en  français*''.  Pour  un  motif  que 
nous  ne  saurions  deviner  (simplement  peut-être  parce  que  le  traduc- 

'''  Ms.  9760,  fol.  5  h.  De  componction  [U-  contre  fp.<  batailles  de  fornication  quant  elles  se 
hell.  lu);  fol.  8  c,  De  continence  (libell.  iv);  eslievent  entre  les  homes  (UMI.  v,  De fornica- 
l'ol.  i5  c.  Relation  des  cauteles  qui  doivent  estre         tione),  etc. 


à 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  323 

teiir  aura  fait  usage  d'un  manuscrit  incomplet),  la  traduction  n'est  pas 
poussée  au  delà  du  Ubelliis  xii. 

Nous  allons  donner  quelques  échantillons  de  cette  traduction,  dont 
l'auteur,  comme  ses  devanciers,  ne  manque  pas  de  faire  honneur  à 
saint  Jérôme  de  tous  les  écrits  relatifs  aux  vies  des  Pères  : 

(Fol.  i)  Ci  comencent  les  cnhortemens  des  sains  Pères  et  les  perfections  des  moines, 
les<fuels  sains  Jeromes  translata  et  niist  de  grec  en  latin.  Uns  hons  demanda  a  l'abbé 
Antoine  et  dist  :  «  Que  garderai  je  por  plaire  a  Dieu  ?  »  Et  li  viels  respondant  li  dist  : 
«  Garde  ce  que  je  te  coniande  ici  :  en  quelconque  lieu  tu  vas,  aies  tousjours  Dieu 
«  devant  tes  iex ,  et,  en  ce  que  tu  fais,  ajousle  la  tesnioignance  des  escriptures,  et, 
«  en  quelconque  lieu  tu  seras ,  ne  te  remue  pas  tost.  Garde  ces  trois  choses  et  tu 
«  seras  sauf.  » 

Li  abbes  Pambo  demanda  a  l'abbé  Antoine,  disant  :  «  Que  ferai  je. •*  »  Li  viels  li  re.s 
pondi  :  «  Ne  te  vueilles  pas  trop  fier  en  ta  justice  ;  ne  te  repent  de  chose  trespassée 
«  et  soies  continens  de  ta  langue  et  de  ton  ventre'".  ».  .  .  . 

[Fol.  1  d)  \Â  abbes  Cassiaii  raconta  de  un  abbé  Jehan,  qui  estoit  le  premier  de 
la  congrégation,  que  il  fu  en  sa  vie  de  grant  non.  Et  quant  vint  que  il  dut  morir  et 
partir  de  ce  monde,  o  grant  aliegrece  et  a  bon  propos  de  pensée  a  Dieu,  ses  frères 
furent  entour  lui,  et  si  li  prièrent  que  il  leur  deïist ,  en  lieu  de  héritage ,  laissicr  aucune 
brieve  parole  de  salut,  par  laqueie  il  peûssenl  monter  a  la  perfection  qui  est  en 
Jhesucrist.  Et  il,  en  souspirant,  dist  :  «  Je  ne  fis  ma  propre  volenté  ne  ne  ensei- 
«  gnai  a  autrui  chose  que  je  ne  feïsse  avant'".  » 

Cette  version  est  matériellement  fort  exacte,  mais  elle  n'est  pas  tou- 
jours correcte;  ainsi  ces  mots  du  latin  Dixit  sanctœ  memoriœ  Syncletica 
ilibelL  III,  16)  sont  rendus  par  «  Uns  sains  hons  qui  ot  non  Sincletice  » 
(fol.  7).  Syncletica  est  le  nom  d'une  femme. 

La  traduction,  nous  l'avons  déjà  dit,  s'arrête  à  la  fin  du  lihellus  xii. 
Vient  ensuite  la  vie  de  saint  Paul  l'ermite,  qui  commence  ainsi  : 

(Fol.  yS  b)  Ci  comence  la  vie  de  saint  Pol  hermite,  selonc  saint  Jérôme  '•^'. 

Entre  maint  home  fu  souventes  fois  douté  qui  fu  li  premiers  moinnes  qui  comencza 
a  habiter el désert ,  quar  aucuns,  vueillans comencier  de  lonc  tans  ariere,  distrent  de 
saint  Helye  et  de  saint  Jehan  Baptiste ,  li  uns  desquels  me  samble  que  il  fu  plus  que 
moinnes;  li  autres  comencza  a  prophetisier  avant  tpie  il  nasquist;  les  autres  dient 
que  sains  Antoines  fu  chief  de  ceste  riegle ,  et  a  ce  s'acorde  tous  li  peuples.  Et  c'est 

'"'   Verba  seniorum.  libell.l,  i,3  (Rosweyde,  semblance  parait  accidentelle,  car  elle  ne  se 

p.  5a a;  Mi<,'ne,  LXXIIl,  855).  poursuit  pas  plus  loin. 

'*'  /61V/. , /i6pK.  I ,  I  o.  La  traduction  du  même  '''  Rosweyde,  p.   17;    Migne,    XXIIl,    17. 

passage  dans  la  version  champenoise  (ci-dessus.  Cf.  ci-dessus,  p.  ■^61,  la  version  de  Wauchier 

p.  3o5)est  presque  semblable;  mais  cette  res-  et,  p.  297,  la  version  champenoise. 


324  VERSIONS  EN  PROSE  DES   VIES  DES  PÈRES. 

voirs  en  partie,  quar  il  ne  iupas  de  tousU  premiers,  mais  il  solicita  et  dunna  exemple 
a  tous  les  autres;  mais  Amalhas  et  Machaires,  deciples  de  saint  Antoine,  li  uns  des- 
(|uels  enseveli  le  cors  de  son  maistre,  afiemient  que  uns  qui  ot  non  Pol  deThehes  lu 
li  premiers  hermites,  mais  il  n'en  ot  pas  le  non.  Et  ceste  oppinion  approuvons- 
nous.  .  . 

{Fol.  73  (l)  Ou  tans  que  Decius  et  Valeriens  parsivoient  et  destruisoient  crestïenté, 
ouquel  tans  sains  Cornilles  sousiint  martyre  a  Rome  et  sains  Cypriens  a  Cartage, 
maintes  eglyses  furent  gaslées  en  Egipte  et  en  Thebayde.  Les  crestiVns  esloient  ardans 
el  volenteïz  de  morir  por  le  non  de  Nostre  Seigneur  Jesucrist;  mais  li  anemis  de 
l'umainne  génération,  qui  tant  par  est  malicieus,  querant  ocquoison  de  delaier  la 
mort  de  cels  que  il  veoit  appareilliés  de  morir  pour  Dieu,  desiroit  la  mort  des  âmes, 
non  pas  celé  des  cors;  et,  si  corne  Cyprien  meesme  dist,  lecpiel  Decius  fistmartyrier, 
il  ne  le[s]  laissoit  occire*".  Et  pour  faire  savoir  a  lagentla  cruauté  de  lui,  nous  en  ra- 
conterons briement  .ij.  exemples.  Il  fist  prendre  un  martyr  lerme  en  la  foi  de  Jhesu- 
crist,  et,  puis  que  il  l'ot  tourmenté  en  feu  et  en  oile  boulant,  il  le  fist  oindre  de  miel 
et  li  fist  loier  les  mains  derrière  le  dos  et  mètre  le  au  soleil  qui  moult  estoit  ardans, 
quidant  a  ce  cjue  cil  doutast  les  aguillons  des  mouschesqui  les  paeles  de  Toile  ardant 
avoit  souffertes  et  vaincues .  .  . 

h'Historia  monachoruin  de  Riifin,  ici  allribuée  à  saint  Jérôme,  est  tra- 
duite tout  aussi  littéralement.  Voici  les  premières  lignes  du  texte, 
que  l'on  pourra  comparer  à  la  traduction  de  Wauchier  (ci-dessus, 
p.  272),  où  est  omis  le  commencement  du  prologue,  et  à  la  version 
champenoise  (p.  298],  qui  est  beaucoup  plus  libre  : 

(Fol.  78  c)  Ci  comciicc  la  vie  des  Pères  selonc  Jérôme  '^l 

Beneois  soit  Diex  cpii  vuet  que  tuit  soient  sauf  et  parvieignent  a  cognoissance  de 
vérité,  qui  adrecza  neiz  nostre  voiage  en  Egypte  et  nous  moustra  grans  miracles  (pii 
seront  pourfitables  a  cels  qui  après  nous  vendront,  desquels  nous  n'avrons  tant  seu- 
lement ocquoison  de  sauvement,  ainz  en  avérons  neiz  estoire  pourfitable  qui  mous- 
trera  la  voie  de  vertus  a  tous  cels  qui  vodront  aprendre  doctrine  de  foi  et  de  vérité 
et  de  pitié.  Quar,  ja  soit  chosi;  que  noz  ne  soions  souffisans  a  si  grans  choses  ra- 
conter, ne  me  samble  digne  chose  que  home  de  petite  auctorité  s'entremete  de  haute 
matere  et  raconte  par  humie  sermon  les  hautes  vertus.  Toutes  voies,  pour  ce  que  la 
charité  des  frères  qui  avueques  nous  mainnent  ou  mont  d'Olivet  nous  requiert  cl 
prie  souvent  que  nous  escrisons  la  vie  et  les  vertus  des  moinnes  d'Egypte  et  leur 
habit  et  leur  pitié  et  leur  haute  abstenance,  je  l'essaierai  de  faire,  aians  fiance 
d'estre  aidiés  par  les  prières  de  cels  qui  m'en  requièrent,  non  mie  tant  pour  pris 
acquerre  dou  bien  dire  come  pour  le  pourlit  et  pour  l'edellement  de  cels  <[ui  les 

'  ''  Il  y  a  dans  le  texte  :  volenlibus  mori  non  permittebatur  occidi,  —  '''  Rosweyde ,  p.  448  ;  Migne , 
X\I,  387. 


VERSIONS  EN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES.  325 

pstoirps  liront,  quant  chascuns  sera  enflaniez  des  bons  exenipies  et  despitera  les  deliz 
dou  siècle  et  se  tournera  a  repos  et  a  oevre  de  pitié .  .  . 

(Fol.  80)  De  saint  Jehan.  Adonques  premièrement  prendons  [a]  Jehan ,  11  quels  toz 
seuls  vraiement  puet  assez  soulïire  a  esveillier  et  adrecier  tous  les  corages  religieus  et 
devos  a  Dieu  a  hautece  de  vertus  et  esmouvoir  a  trace  de  perfection.  Cestui  Jehan 
veïmes  nous  en  la  contrée  de  Tliebayde ,  el  désert  séant  près  de  la  cité  de  Lico ,  et  ha- 
bitoit  en  la  roche  d'une  haute  montaigne.  Moult  fu  grieve  et  anuieuse  la  montée,  et 
l'entrée  dou  moustier  fii  close  et  fermée,  si  (jue  del  quarantime  an  de  son  aage 
jusques  au  lxx\"",  ouquel  il  fu  quant  nous  le  veïmes,  nus  lions  n'entra  en  son  her- 
mitage,  mais  il  se  laissoit  veoir  par  une  fenestre  a  cels  qui  la  venoient,  et  d'ilueques 
leur  sermonnoit  pour  leur  edeliement,  ou  leur  respondoit,  se  aucuns  requeroit  de 
lui  conseil.  Nule  famé  mais  ni  ala  ne  onques  ne  l'i  vit;  neiz  les  homes  i  aioient  pou 
souvent  et  a  certainne  saison ... 

Nous  transcrirons  ici  le  début  de  la  vie  de  Paul  le  Simple,  que  l'on 
pourra  comparer  avec  la  traduction  de  Wauchier  (ci-dessus,  p.  267) 
et  avec  la  version  champenoise  (p.  3oo)  : 

(Fol.  12a  b)  De  saint  Pol  le  Simple,  hennite. 

Entre  les  desciples  d'Antoine,  en  fu  uns  qui  ot  non  Pol,  et  parsurnon  li  Simples. 
Cis  ot  tel  comencement  de  sa  conversation.  Come  il  eûst  sa  feme  trouvée  avuec  un 
pautonnier,  il  n'en  dist  mot  a  nului,  ainz  issi  del  bostel  dolans  et  tristes,  et  s'en  ala 
el  désert,  et  erra  tant  qu'il  vint  au  moustier  d'Antoine,  et  ilueques,  pour  le  lieu  que 
il  trouva  aaisié ,  prist  conseil  de  soi  meesme ,  et  s'adrecza  a  saint  Antoine  pour  lui 
demander  cornent  il  se  peûst  sauver.  Cils ,  regardans  l'ome  de  simple  nature ,  li  dist  que 
il  se  porroit  sauver  se  il  voloit  obeïr  a  ce  que  il  li  diroit.  .  . 

A  la  suite  de  la  traduction  de  VHistoria  monaclwrum  prennent  place 
les  vies  de  saint  Malchus  [Vita  sancti  Malch'i  captivi  monaclii)  et  de 
saint  Fronton.  La  première  avait  déjà  été  traduite  par  Wauchier  (ci- 
dessus,  p.  266),  l'une  et  l'autre  font  partie  de  la  version  champe- 
noise (ci-dessus,  pp.  3i 2  et  3o8).  Début  de  la  vie  de  saint  Malchus  : 

(Fol.  125  b)  Ci  comence  l'estoire  dou  nwinne  chetif. 

Cels  qui  en  mer  se  doivent  combatre  essaient  premièrement  leur  nez  et  leur  galies 
dedens  le  port  et  en  la  mer  quoie,  et  tournent  les  avirons  sus  et  jus  et  essaient  leur 
rames  et  leur  aprest,  et  se  garnissent  de  crans  de  fer''',  et  metent  la  gent  d'armes  sur 
les  galies  pour  els  aûser  de  la  manière  et  de  la  contenance  qui  en  l'estour  est  néces- 
saire, et  que  il  aprengent  a  els  fermement  tenir  en  estant,  si  que,  quant  ce  vendra  au 
combatre  et  a  hurter  l'un  a  l'autre,  que  il  n'aient  paour  de  ce  que  il  avront  devant 
apris.  Ansinques ,  je ,  qui  longuement  me  sui  teûs ,  me  vueil  premièrement  exerciter  par- 

(')  ,  Ferreas  manus  et  uncos  préparant.  » 


326  VERSIONS  KN  PROSE  DES  VIES  DES  PERES. 

lant  des  oevres  des  simples  homes  et  moi  aprendre  de  parier  et  oster  aussi  come  la 
ruille  de  ma  langue,  si  que  je  puisse  parvenir  a  parler  de  la  grant  estoire,  (juar  je  ai 
propos,  se  Die\  me  donne  vie,  et  mes  anemis  me  laissent,  de  escrire  l'estoire  de  la 
venue  de  nostre  Sauveur  jusques  a  nostre  tans ... 

À  la  (liflFérence  de  la  version  champenoise,  la  vie  de  saint  Fronton, 
qui  vient  ensuite,  n'est  pas  traduite  d'après  le  texte  publié  par  Ros- 
weyde  (p.  238),  mais  d'après  une  autre  légende,  dont  quelques  ex- 
traits ont  été  imprimés  par  Paillon,  dans  ses  Monuments  inédits  sur 
l'apostolat  de  sainte  Marie-Madeleine  en  Provence,  II,  428,  43o,  432. 
Nous  citerons  plus  loin,  en  note,  le  début  de  cette  vie  d'après  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  nationale.  Notre  traduction  de  la  vie  de 
saint  Fronton  contient  le  prologue,  qui  manque  dans  beaucoup  des 
manuscrits  latins,  et  dont  il  suffira  de  rapporter  les  premières  lignes  : 

(Fol.  i3o  b)  Ci  comence  la  vie  de  saint  Frontin.  Qui  a  comencié  a  estre  hons  de 
Dieu  et  de  Jhesucrist ,  qui  est  chevaliers  de  Dieu  et  qui  a  espérance  dou  règne  de  Jhe- 
sucrist,  il  doit  avoir  si  granl  cuer  et  si  ferme  espérance  que  il  n'ait  paor  de  nule  aver- 
sité  ne  de  tempeste  nule,  quar  victoire  ne  puet  estre  se  bataille  ne  est  avant.  Qui 
vaintra  la  bataille,  il  sera  couronnez.  Li  nochiers  cognoist  bien  quant  la  mer  est 
tempesteuse  '",  li  chevaliers  se  cognoist  en  la  bataille.  La  tempeste  ou  il  ne  a  péril  est 
déliée'**.  Au  péril  de  l'aversité  s'esprueve  la  vérité.  Très  chiers  frères,  soions  appa- 
reilliés  de  tote  nostre  pensée,  o  ferme  foi  et  ruste  vertu ,  a  souffrir  toute  la  volenté  de 
Nostre  Seigneur.  .  . 

{Fol.  131)  Uns  vieils  moinnes  fu  qui  ot  non  Frontins,  qui  de  s'enfance  avoit  esté 
dévot  a  Dieu,  et  avoit  assamblé  en  la  ville  ou  il  fu  nez  .Ixx.  moinnes  pour  servir  a 
Dieu  ;  et  lonc  tans  habita  avueques  els  en  la  ville  desus  dite ,  et  tous  jours  ci  eissoit  et 
amendoit  en  oevre  de  Dieu,  et  moult  fu  loez  des  gens  et  maiement  de  cels  qui 
amoient  la  foi,  mais  moult  li  anuioit  de  ce  que  il  ne  demouroit  en  aucun  désert  ou 
que  il  ne  vivoit  a  l'exemple  de  Helye.  11  fu  enflammés  dou  Saint  Esperit  et  prist  par 
conseil  de  conforter  ses  frères  et  d'abandonner  le  moustier  a  tout  son  meuble  et 
d'aler  s'en  tout  nut  el  désert,  disant  que  li  couvens  des  frères  estoit  gaaing  dou  trésor 
celestial'^'.  .  . 

'"'  Contre  sens;  latin;  «Gubemator  in  tem-  dein  tempore  iu  predicta  civitate  cum  eis  ha- 

pestate  dinoscitur.  •  (B.  N.  lat.  17623,  fol. 63.)  bilans,   in   opère    Dei    rrescebat.  Laudabatur 

'•'   «  Delicata  jactatio  est  cum  periculuni  non  quoque  a  piuribus  ;  sed ,  cum  esset  magno  tedio 

est.  >  afllictus ,  eo  quod  non  [ad]  aliquam  solitudinem 

''^'  Lat.  12396  (xn"  s.),  fol.  i58  :  «  Erat  qui-  ad  Heliae  pergeret  exemplum,  iniit,  accensus  a 

dana  senex  monarhus,  a  prima  étale  Deo  de-  Spiritu  Sanrto,  consilium  ut,  confortalis  fratri- 

volus,   nomine    Frontonius.    Hic,    ut    septua-  bus,  reliclo  monasterio  sic  cum  ovibus,  bnre- 

giiita  monachos  in   civitate  qua  natus  est   ad  nium  peterci  nudus,  asserens  Iratribus  ccnlii- 

serviendum  Domino  congregavit,  multo  qui-  plum  esse  thesnurorum  caelestium  lucrum. .  .  • 


VERSIONS  KN  PROSE  DES  VIES  DES  PÈRES. 


327 


Les  diverses  compilations  relatives  aux  vies  des  Pères  que  nous 
avoHsS  analysées  dans  les  pages  précédentes  ne  sont  pas  les  seules  qui 
nous  aient  été  conservées.  Mais  nous  ne  pouvons  maintenant  traiter 
d'œuvres  qui  sont  postérieures  à  l'époque  où  nous  devons  nous  ar- 
rêter. Nous  nous  bornerons  donc  à  mentionner  une  compilation  du 
XV"  siècle,  qui  nous  est  connue  par  un  manuscrit  daté  de  1496  (Bibl. 
nat.,  fr.  2291  1),  où  ont  été  réunis  :  1"  (fol.  1)  ÏHistoria  monachorurn 
de  Rufin,  y  compris  le  prologue  (livre  II  de  Rosweyde);  2°  (fol.  87) 
les  vies  de  saint  Paul  l'ermite,  de  saint  Antoine,  de  saint  Hilarion, 
de  saint  Malchus,  de  sainte  Paule,  de  sainte  Pélagie, de  sainte  Marie 
l'Egyptienne,  de  sainte  Marine,  de  sainte  Euphrosyne,  de  saint  Fron- 
ton, de  saint  Siméon  Stylite,  de  sainte  Euphrasie,  de  saint  Macaire 
romain,  de  saint  Posthumius,  de  saint  Onuphrius,  de  saint  Abra- 
ham l'ermite,  de  saint  Pachoine,  de  saint  Chrétien  du  Mans*'',  de 
saint  Jean  l'Aumonier,  de  sainte  Eugénie,  de  saint  Basile,  de  saint 
E])hrem;  3"  (fol.  2i3)  les  Verba  seniorum  du  même  (livre  III  de  Ros- 
weyde), avec  le  prologue,  qui  n'a  pas  été  traduit  dans  les  versions 
étudiées  précédemment;  4°  (fol.  272  d)  les  Verba  seniorum  traduits 
du  grec  par  Pelage  (livre  V  de  Rosweyde);  5°  (fol.  388)  les  Verba  se- 
niorum traduits  du  grec  par  Jean  (livre  VI  de  Rosweyde)  ;  6°  (fol.  4o3) 
les  extraits  de  Sulpice  Sévère  et  de  Gassien  (livre  IV  de  Rosweyde); 
7"  (fol.  420)  les  Verba  seniorum  traduits  par  Paschasius  (livre  VII 
de  Rosweyde)  '"■^'. 

Nous  croyons  utile,  en  terminant  cette  notice,  de  donner  la  liste, 
par  bibliothèques,  des  manuscrits  que  nous  avons  utilisés  : 


M,%M;»cniT». 


HA^ICftCBITS, 


Arras  iSg  (prose) ayj) 

—  307  (prose)    a65,  378 

Bruxelles  9325  (prose) 267,  379 

Carpentras  /173  (prose) 359 

Chantilly,  Musée  Condé  (prose) 378 

Cheltenham,  Bibl.  Phillipps366o (prose)      379 


Dublin, TrinilyCollegeB. 2. 8(prose).  265,  279 

Londres,  Musée  brit. ,  Roy.  30.  D.   vi 

(prose).. 379,281,286 

—  Harl.  3  353  (poème  de  Henri 

d'Arci  ) 257 

—  Add.  17375  (prose) 267 


'"'  Cette  vie  est  tout  à  fait  étrangère  auv 
Vies  des  Pères. 

'*'  Notons  encore  que  le  tns.  B.  N.  Ir.  991 
(xv*  siècle),  qui  renferme  des  ouvrages  très 
divers,  contient  aux  ff.  i5o  et  i5i,  la  vie  de 
Thaïs ,  un  dit  de  saint  Ephreoi  (  Vorba  seniorum 


de  Pélaffc ,  lihcll.  x ,  S  3  1  ) ,  et  la  vie  de  Pélagie 
(Rosweyde,  p.  376),  d'après  une  traduction 
différente  de  toutes  celles  que  nous  avons 
passées  en  revue.  Du  reste,  la  vie  de  Pélagie 
n'est  comprise  dans  aucune  de  ces  traduc- 
tions. 


328 


F.KGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


MANOSCRIT». 


Lyon  77a  (prose) 379,  3i4 

—    773  (  prose) • 392 


Oxford,  Queen's  Coll.  3o5  (prose) 


279 


P<iris,  Bibl.  nat. ,  l'r.  i83  (prose)  .  .    367,  279 

—  —     —   i85  (prose).  ..    367,  279 

—  - —     —  /iii  (prose).  279,  281,  286 

—  —     —  /il  a  (prose).  279,  381,  28G 

—  —     —  /i3a  (prose).  279,  3i8,  3ao 

—  —     —  43o  (prose) 322 

—  —     —   io38  (prose). .   392,313, 

3i5,  330. 

—  —     —  6447  (prose)    .    379,  a88 

—  —     —  9688  (prose] 3i5 

—  —     ' —  9760  (prose) 3aa 

—  —     —   13/196  (prose) 27.;^ 


Mi!!  vftcftiTs. 

fAUKS. 

Paris 

Bil)l.nat.,fr 

17339  (prose). 

•    279 

384 

— 

—     — 

17231  (prose). 

•    •    .    . 

3i4 

— 

—     — 

19531  (prose). 

.    .   .    . 

a88 

- 

—     — 

3391 1  (prose). 

.... 

.i27 

— 

—     — 

a3i  1  I  (prose). 

.  3i5 

3i8 

— 

—     — 

33i  13  (prose). 

.  365, 

279 

— 

—     — 

i3\  17  (prose) 

.... 

379 

— 

—     — 

a/i43o  (prose) 

3i3 

— 

—     — 

24862  (poème 

de  H. 

_ 



d'Arci).  .  .. 

•r»7 

34947  (prose) 

.... 

3.? 

— 

—  N.  acq.  Ir.  ioia8  (prose). 

37a , 

J75. 

— 

Bibl.  Mazar. 

1716  (prose).  . 

•    379. 

a84 

Saint- 

Pétersbourg , 

Bibl.  iinp.,  fr. 

35  (prose). 

260,379, 

3i3. 

P.  M. 


LEGENDES   HAGIOGRAPHIQUES 

EN   FRANÇAIS. 


I.     LEGENDES  EN  VERS. 

Sous  le  litre  de  Légendes  hagiographiques  nous  comprenons  tous 
les  récits  ayant  pour  ohjet  l'histoire  du  Christ,  de  la  Vierge  Marie  et 
des  saints,  qui  ont  été  composés  par  des  écrivains  chrétiens  en  vue 
de  l'instruction  ou  de  l'édification  des  fidèles,  depuis  les  preniiers 
temps  du  christianisme  jusque  vers  le  xT  siècle,  époque  où  la  j^ro- 
duction  des  légendes  s'est  arrêtée,  ou  du  moins  a  revêtu  un  nouveau 
caractère.  Les  plus  anciennes  de  ces  compositions,  évangiles  apo- 
cryphes, vies  des  apôtres,  passions  des  premiers  martyrs,  appar- 
tiennent au  christianisme  oriental,  et  leur  forme  originale  est  grecque. 
Traduites  de  honne  heure  en  latin ,  elles  se  sont  rapidement  propagées 


I.  LEGENDES  EN  VERS.  329 

dans  l'Occident  chrétien,  tantôt  isolément,  tantôt  groupées  avec  des 
légendes  d'origine  purement  latine,  en  des  recueils  très  variés.  Au 
cours  du  moyen  âge  leur  nombre  s'est  grandement  accru.  La  pro- 
duction des  vies  de  saints  a  été  considérable  chez  nous  du  vi"  au 
XI''  siècle;  pendant  le  même  temps  de  nombreuses  légendes,  rédi- 
gées en  grec  dans  l'empire  d'Orient,  reçurent,  ordinairement  dans 
le  sud  de  l'ItaHe,  la  forme  latine,  et  de  là  se  répandirent  dans  la 
chrétienté  occidentale.  Ces  innombrables  écrits,  pour  la  plupart  d'une 
véracité  douteuse,  dontplusieurs  rnème  étaient  qualifiés  d'apocryphes 
dès  l'antiquité,  ont  été  pour  les  littératures  en  langue  vulgaire,  et  par- 
ticulièrement pour  noire  littérature,  une  source  inépuisable  de  com- 
positions variées,  en  vers  et  en  prose.  Sous  la  forme  romane  ils  ont 
acquis  une  vitalité  nouvelle  et  retrouvé  faccès  des  ànies  simples  et 
naïves  auxquelles  leurs  auteurs  ignorés  les  avaient  destinés. 

L'analogie  du  sujet  nous  conduit  à  ranger  parmi  les  légendes  un 
certain  nombre  d'écrits  qui,  bien  qu'ayant  pour  but  fédilication  des 
fidèles,  ont  cependant  à  un  beaucoup  plus  haut  degré  que  les  anciennes 
légendes  le  caractère  historique.  Telles  sont  les  vies  des  saints  du  xu'' 
et  du  xiii''  siècle  :  celles  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  de  saint 
François  d'Assise,  de  saint  Domhiique,  de  saint  Antoine  de  Padoue  et 
de  quelques  autres.  L'histoire  de  ces  personnages  a  été  de  bonne 
heure  popularisée  par  la  poésie  française. 

Les  premières  légendes  pieuses  que  nous  rencontrons  dans  notre 
ancienne  littérature  sont  en  vers.  La  forme  rythmique  et  rimée  s'im- 
posait dès  qu'il  s'agissait  d'œuvrcs  faites  pour  être  chantées  ou  réci- 
tées devant  un  public  illettré.  Il  ne  faut  pas  chercher  dans  ces  poèmes 
une  originalité  qui  en  est  à  peu  près  exclue  par  leur  caractère  même. 
Leur  intérêt  est  ailleurs.  Certains  sont  au  nombre  des  plus  anciens 
monuments  des  langues  romanes.  Il  suflira  de  rappeler  les  deux 
poèmes  (la  vie  de  saint  Léger  et  la  Passion  du  Christ)  que  nous  a 
conservés  un  manuscrit  de  Clermont-Ferrand.  D'autres,  tels  que  la 
vie  de  saint  Alexis  et  celle  de  sainte  Thaïs,  se  recommandent  par 
l'élégante  simphcilé  de  la  narration,  par  l'habileté  avec  laquelle  les 
données  hagiographiques  ont  été  mises  en  œuvre,  par  l'incontestable 
valeur  du  style.  Et  celles  mêmes  de  ces  légendes  en  vers  qui  sont 
l'œuvre  de  versificateurs  de  second  ordre  peuvent  fournir  d'utiles 
notions  à  l'histoire  des  idées  et  des  croyances  sujîerstitieuses.  Aucun 

HIST.   LITTÉn.  XXXIII.  42 


:ViO  LKGKNDKS  HAGlOfiMPElIQUKS  EN  FRANÇAIS. 

des  écrivains  qui  ont  mis  en  vers  la  vie  de  sainte  Catherine  et  celle  de 
sainte  Marguerite  ne  s'est  élevé  au-dessus  de  la  médiocrité  :  le  fait 
seul  que  chacune  de  ces  légendes  a  fourni  la  matière  de  dix  ou  onze 
poèmes  témoigne  avec  éclat  de  la  popularité  dont  jouirent  ces  deux 
saintes  à  partir  du  xiT  siècle. 

Il  est  sûrement  intéressant,  à  un  point  de  vue  purement  histo- 
rique, de  constater  en  quels  sens  se  manifestaient  les  goûts  variés 
du  public,  et  la  masse  énorme  de  légendes  versifiées  qui  nous  sont 
parvenues  fournit  à  cet  égard  de  précieux  indices. 

L'Eglise,  indifférente  ou  même  hostile  aux  compositions  en  langue 
vulgaire,  faisait  une  exception  en  faveur  des  écrits  hagiographiques. 
On  a  souvent  cité  le  passage  d'une  somme  de  pénitence  du  xin'  siècle 
qui,  invoquant  l'autorité  du  pape  Alexandre  III,  excepte  de  la  répi-o- 
bation  qu'encouraient  les  jongleurs  ceux  d'entre  eux  (jui  cantant  gesta 
principum  et  vitas  sanctorum^^K  On  a  lieu  de  supposer  que  beaucoup  de 
nos  légendes  pieuses  ont  été  mises  en  vers  par  des  personnes  ecclé- 
siastiques. Le  fait  est  certain  pour  plusieurs  :  Thibaut  de  Vernon, 
qui,  d'après  le  témoignage  d'un  moine  de  Saint- Wandrille,  aurait 
composé  au  xi*^  siècle  plusieurs  vies  de  saints,  et  notamment  celle 
de  saint  Wandrille,  était  chanoine  de  Rouen'^l  L'auteur  du  plus 
ancien  poème  sur  sainte  Catherine  était  une  religieuse  bénédictine; 
celui  d'une  des  vies  de  saint  Grégoire  était  moine  à  Oxford;  une 
des  vies  de  saint  Thibaut  et  celle  de  saint  Mathurin  de  Larchant 
ont  été  rédigées  en  vers  par  des  membres  du  clergé  séculier,  etc. 
Si  les  indications  de  ce  genre  ne  sont  pas  plus  nombreuses,  c*e.st  que 
la  plupart  de  nos  versificateurs  ont  gardé  l'anonyme,  outre  que, 
bien  souvent,  les  copistes  ont  supprimé  les  vers  où  les  auteurs  se 
nommaient. 

Les  écrivains  qui  ont  versifié  en  langue  vulgaire  les  légendes  des 
saints  croyaient  faire  œuvre  pie  en  mettant  à  la  portée  des  lais,  «en 
«  plain  romanz  »,  comme  dit  l'auteur  de  la  vie  de  sainte  Julienne,  des 
écrits  édifiants,  accessibles  à  ceux-là  seulement  qui  savaient  le  latin. 

'''  Ce  texte,  signnlé  par  M.  L.  Delisle  à  Fr.  moignage,  relativement  récent,  d'après  lequel 

Guessard,  a  été  cité  in  extenso  par  ce  dernier  Israël,  grand  chantre  de  la  roHégialc  de  l)orat 

dans  la  prélace  de  H  non  de  Bordeaux,  p.  vi.  (diocèse  de  Limoges)  au  xi*  siècle ,  aurait  mis 

'•'  Ce  témoignage  a  été  cité  et  discuté  par  «  en    vers   et  en    langue   vulgaire  »   l'Histoire 

G.   Paris,    La  vie  de  saint  Alexis,   p.  43.  —  sainte  jusqu'à  l'ascension  du  Christ  {Hist.  litl. 

Nous  accordons  moins  de  confiance  A  un  té-  de  lu  France,  Vil,  a3o). 


1.   LEGENDES  EX  VERS.  331 

Des  poète  squi,  dans  leur  jeunesse,  s'étaient  laissés  aller  à  composer  des 
poésies  légères,  faisaient  plus  tard  amende  honorable  en  traduisant 
la  vie  d'un  saint.  C'est  le  sentiment  qu'exprime  l'auteur  de  la  vie  de 
saint  André  lorsqu'il  dit  : 

Ju  ai  sovent  traitiét  d'ainur, 
De  joie  grant  et  de  dolzur, 
De  vaniteit  et  de  folie, 
Degas,  de  ris,  de  legerie; 
J'ai  loliiét  en  ma  jovente  : 
En  altre  liu  or  ai  m'enlentt*. 
Gant  jovenes  fui,  teii  ctiosc  fis 
Et  mon  penseir  en  tel  liu  mis 
Dont  moi  repent  et  vul  retraire. 
Car  teil  chose  est  a  Deu  contraire'". 

Denis  Piramus  nous  apprend,  dans  le  prologue  de  sa  vie  de  saint 
F^dmond,  qu'au  temps  où  il  hantait  les  cours,  il  avait  fait  des  serven- 
tois,  des  chansonnettes,  des  saints  d'amour,  mais,  sentant  la  vieillesse 
approcher,  il  se  repent  et  veut  s'appliquer  à  une  œuvre  plus  louable. 
C'est  de  même  encore  que,  vers  la  fin  du  xiii"  siècle,  Richier,  le  tra- 
ducteur de  la  \ie  de  saint  Rémi  par  Hincmar,  s'accuse  d'avoir  «  semé 
«(  sur  grève,  en  rivage  de  mer  »,  jusqu'au  moment  où  des  prudhommes 
lui  ont  indiqué  une  œuvre  plus  profitable  : 

Et  Richiers,  qui  soloit  semer 

Sor  grève ,  en  rivage  de  mer. 

En  terre  qui  fruit  ne  puet  rendre , 

Ne  vueit  mais  a  oiseuse  entendre; 

Car  mauvais  fruit  li  a  rendu 

Tant  com  il  i  a  entendu 

Et  a  sa  perte  i  a  pené; 

Mais  or  l'ont  preudonie  assené 

Qui  li  ont  enseigné  une  wevre 

Dont  grant  matere  li  awevre'^'. 

Les  écrivains  qui  se  sont  imposé  la  tâche  de  versifier  les  vies  des 
saints   n'étaient  pas  toujours  inspirés   par  une  piété  éclairée.  Les 

'■'   Arclt.  des  Missions ,  2'  série,  t.  V,  p.  209.  —  '*'   Vers  i3  et  suiv.  [Notices  ci  extraits  dei  manu- 
scrits, XXXV,  i"  partie,  p.  12 4). 

42. 


332  LKGEiNDES  HAdlOCRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

légendes  qui  ont  été  le  plus  souvent  traduites  et  dont  le  succès  a  été 
le  plus  durable  sont  au  nombre  des  plus  fabuleuses,  il  suffit  de  citer 
celles  de  saint  Alexis,  de  saint  Euslache,  de  saint  Georges,  de  sainte 
Marguerite,  de  sainte  Catherine.  Certaines  passaient  pour  de  vérita- 
bles talismans  ayant  la  vertu  de  protéger  contre  des  dangers  déter- 
minés ceux  qui  les  lisaient  ou  même  en  portaient  sur  eux  des 
copies;  tel  est  le  cas  des  vies  de  saint  Georges  et  de  sainte  Marguerite. 
Le  mérite  littéraire  n'entrait  pour  rien  dans  leur  succès. 

Les  vies  dont  nous  possédons  des  traductions  en  vers  peuvent  se 
répartir  en  trois  classes  : 

1"  Un  groupe  considérable  de  légendes  appartenant  aux  premiers 
siècles  du  christianisme  et  qui,  entrées  dans  la  composition  des  offices 
liturgiques,  ont  pris  place  dans  la  plupart  des  bréviaires.  Entre  ces 
légendes  figurent  celles  que  nous  venons  de  mentionner  comme  par- 
ticulièrement fabuleuses.  Elles  se  recommandaient  ordinairement  à 
la  curiosité  non  moins  qu'à  la  piété  des  fidèles  par  les  récits  mer- 
veilleux et  souvent  dramatiques  dont  elles  sont  remplies.  Elles  ont 
eu  le  plus  grand  succès.  On  en  possède  généralement  plusieurs  ver- 
sions, dont  quelques-unes  nous  ont  été  conservées  par  de  très  nom- 
breux manuscrits. 

2°  Des  vies  de  saints  vénérés  en  des  localités  déterminées,  intro- 
duites, sous  forme  de  leçons,  dans  les  bréviaires  de  certains  diocèses, 
ont  été  mises  en  français  pour  satisfaire  la  piété  des  fidèles  de  ces 
localités.  De  ce  nombre  sont  :  la  vie  de  saint  Wandri Ile,  traduite  par 
Thibaut  de  Vernon,  qui  ne  nous  est  pas  parvenue;  les  vies  de 
saint  Evroul,  du  bienheureux  Thomas  de  Biville,  en  Normandie; 
de  saint  Thibaut,  en  Champagne;  de  saint  Mathurin  de  Larchant,  en 
Gàtinais;  de  saint  Germer,  à  Beauvais;  de  saint  Eloi,  à  Noyon; 
de  saint  Quentin,  en  Vermandois;  de  saint  Yves,  en  Bretagne; 
de  saint  René,  à  Angers;  de  saint  Alban,  de  saint  Edouard  le 
Confesseur,  de  saint  Edmond,  de  sainte  Etheldreda,  de  sainte  Mod- 
wenne,  de  sainte  Ositha,  en  Angleterre. 

3"  Des  vies  de  saints  récents,  souvent  contemporains,  tels  que 
saint  Thomas  de  Canlorbéry,  saint  François,  saint  Dominique,  sainte 
Elisabeth  de  Hongrie,  saint  Antoine  de  Padoue. 

Enfin,  certains   livres  de   l'Ancien   et   du    Nouveau   Testament, 


I.  LÉGENDES  EN  VERS.  333 

plusieurs  évangiles  apocryphes,  de  pieuses  fictions  de  divers  genres, 
ont  fourni  la  matière  de  poèmes  que  nous  avons  cru  pouvoir  classer 
avec  les  vies  des  saints.  Tels  sont  les  poèmes  sur  Joseph,  sur  Tobie, 
sur  le  Christ,  sur  la  Vierge  Marie,  les  traductions  de  l'Evangile  de 
Nicodème,  de  l'Évangile  de  l'Enfance,  du  traité  d'Adson  sur  l'Anté- 
christ, etc. 

Ces  poèmes,  de  provenances  très  diverses,  mais  ayant  tous  en  vue 
l'instruction  religieuse  et  l'édification  des  fidèles,  ont  été  classés  à  leur 
rang  alphabétique  dans  le  catalogue  qui  suit.  Le  nombre  en  est  extrê- 
mement considérable.  Nous  en  avons  enregistré  plus  de  deux  cents, 
et  il  n'est  pas  douteux  que  plusieurs  nous  ont  échappé.  Considérons 
aussi  que  beaucoup  d'entre  eux  ne  nous  sont  parvenus  que  par  des 
copies  uniques,  d'où  l'on  peut  induire  qu'un  grand  nombre  sont 
irrémédiablement  perdus.  Ici,  comme  en  d'autres  brandies  de  la 
littérature,  la  fécondité  de  nos  anciens  auteurs  a  été  incomparable. 

Celles  des  traductions  en  vers  dont  nous  pouvons,  avec  plus  ou 
moins  de  certitude ,  déterminer  l'origine ,  appartiennent  presque  toutes 
à  la  Normandie,  à  l'Ile-de-France,  au  Beauvaisis,  à  la  Picardie,  à 
l'Artois,  à  la  Flandre  française,  à  la  Champagne.  L'Angleterre  aussi 
fournit,  au  xii*^  siècle  et  au  xiii%  un  contingent  fort  important.  Mais 
nous  ne  voyons  guère  de  ces  compositions  qu'on  puisse  "attribuer  à 
la  Lorraine,  sinon  la  vie  de  saint  Jean  l'Evangéliste  par  Thomas  de 
Vaucouleurs,  et,  quant  h  la  région  située  entre  Paris  et  les  pays 
de  langue  d'oc,  elle  est  pauvre  en  légendes  versifiées  comme  en  tout 
genre  de  poésie  vulgaire.  Une  vie  de  sainte  Catherine,  probablement 
poitevine,  l'histoire  de  saint  Martin,  par  Péan  Gastinel,  composée  à 
Tours,  une  rédaction  lyonnaise  de  la  légende  de  Théophile,  voilà 
à  peu  près  tout  ce  que  nous  pouvons  attribuer  sans  hésitation  à  la 
région  moyenne  de  la  France. 

Les  légendes  en  vers,  si  grande  que  soit  la  place  qu'elles  occupent 
dans  les  littératures  vulgaires  du  moyen  âge,  et  paiticulièrement  dans 
notre  ancienne  poésie  française,  ne  constituent  cependant  pas  un 
genre  à  forme  déterminée.  Tandis  que  la  chanson  de  geste  adopte  dès 
l'origine  la  disposition  en  laisses  monorimes  de  longueur  variable,  et 
s'y  tient  jusqu'à  la  fin,  tandis  que  les  romans  d'aventure  et  les  fableaux 
sont,  à  bien  peu  d'exceptions  près,  en  vers  octosyllabiques  à  rimes 
appariées,  les  versificateurs  de  nos  légendes  ont  employé  les  formes 


334  LÉGENDES  HAtilOClRAPHIQLES  EN  FRANÇAIS. 

les  plus  diverses,  entre  lesquelles  deux  sont  particulièrement  fré- 
quentes :  le  couplet  de  vers  octosyllabiques  et  le  quatrain  de  vers 
alexandrins  ('';  mais  on  a  aussi  des  exemples  de  poèmes  en  laisses 
monorimes  (saint  Alban,  saint  Alexis,  saint  Eustache),  en  vers  de  six 
syllabes  (Job,  Joseph),  en  alexandrins  à  rimes  appariées  (l'Antéchrist, 
saint  Jean-Baptiste,  la  vision  de  saint  Paul),  en  stances  de  cinq  vers 
de  dix  syllabes  (saint  Alexis)  ou  de  douze  (saint  Thomas  de  Gantor- 
béry,  sainte  Marie-Madeleine),  en  quatrains  de  vers  octosyllabiques 
(saint  Jean-Baptiste)  ou  décasyllabiques  (sainte  Agnès),  en  sixains 
(saint  Denis,  saint  Thomas  de  Cantorbéry),  en  huitaius  (saint  Eu- 
stache, saint  Georges),  etc.  La  plupart  de  ces  poèmes  ont  été  cer- 
tainement composés  pour  être  lus  ou  récités,  soit  en  privé  soit  en 
public ^^^  mais  certains  assurément,  parmi  les  plus  récents  comme 
parmi  les  plus  anciens,  ont  le  caractère  de  cantiques,  et  devaient  être 
chantés  aux  pèlerinages. 

On  voit  que  les  légendes  versifiées  présentent,  à  divers  points  de 
vue,  un  intérêt  varié,  alors  même  que  la  valeur  littéraire  en  est  mé- 
dioci'e  ou  nulle,  ce  qui  est  souvent  le  cas.  Et  cet  intérêt  est  d'autant 
plus  grand  que  le  genre  qu'elles  constituent  a  été  plus  longtemps 
cultivé.  En  effet,  fusage  de  mettre  en  vers  les  vies  des  saints,  les 
récits  pieux,  s'est  continué  jusqu'à  la  fin  du  xv^  siècle.  A  cette  époque 
appartiennent  certaines  parodies  des  vies  des  saints,  telles  que  les 
sermons  joyeux  de  saint  Raisin,  de  saint  Faulcet,  de  saint  Belin,  de 
saint  Haren,  de  saint  Ongnon ,  etc.  ^^\  preuve  que  les  légendes  pieuses 

C  L'auteur  anonyme  d'un  Art  de  rhétorique  leur  chante  un  jongleur  {Romania,  XIX,  334). 

composé  dans  la  première  moitié  du  xv*  siècle  Celte  vie  de  saint  Maurice ,  pour  le   dire  eu 

dit,  à  propos  du  quatrain  d'alexandrins  mono-  passant,  ne  nous  est  pas  parvenue.  —  Il  faut 

rimes  :  «  ...et  en  fait  on  tout  communément  dire  que  certaines  vies  de  saints,  composées  en 

diz  de  vies  de  saints.  »  Recueil  d'Arts  de  rhélo-  An^eterre ,  ont  été  faites  ])ien  plutôt  pour  être 

riqac,  p.  p.  E.  Langlois  [Doc.  inédits),  p.  28.  conservées  dans  de  riches  bibliothèques  ecclé- 

'''   Notamment  dans  les  établissements  reli-  siastiques  ou  seigneuriales  qu'en  vue  d'une  ve- 

gieux,  et  spécialement  dans  les  couvents  de  ritable  publicité.  Telles  sont   notamment  les 

femmes.  A  la  fin  d'un  recueil  de  vies  de  saints  vies  de  saint  Alban  ,  de  saint  Edouard  le  Con- 

et  de  saintes  en  vers  exécuté  en  Angleterre  au  fcsseur(la  première  des  trois  mentionnées  dans 

commencement  du   xiv'  siècle,  on  lit  :  «Ce  la  liste  ci-après ) ,  de  saint  Thomas  de  Cantor- 

livre  [est]  deviseie  a  la  priorie  de  Kempseie  béry  (la  troisième  delà  liste),  qui  nous  ont  été 

(Campseye,   en   SulTolk)  de  lire  a   mengier»  conservées  chacune  par  un  manuscrit  luxueu- 

(Welbeck,  Bibl.  du  duc  de  Portland).  —  Un  sèment  orné  de  nombreuses  et  belles  minia- 

iioèuie  composé  au  commencement  du  xiii*  »iè-  tures. 

cle  nous  montre  de  jeunes  écuyers,([uivontêtre  ^    '^  Voir  Hist.  litt.  de  la  lù.,  XXIII,  ^g-J: 

adoultés  chevaliers,  écoutant,  pendant  la  veil-  E.  Picot,  Le Monoloijne driimiitiqiie ,  dans  Romu- 

lée  des  armes,  la  vie   de  saint    Maurice,  que  nia,  XV,  363  et  sniv. 


I.  lk(;endes  en  vers.  335 

en  vers  jouissaient  encore  d'une  grande  popularité.  Et  cependant  dès 
le  commencement  du  xiu''  siècle  ces  mêmes  légendes  apparaissent 
sous  la  forme  de  traductions,  plus  ou  moins  libres,  plus  ou  moins 
abrégées,  en  prose.  A  la  différence  des  vies  versifiées,  qui,  le  plus 
ordinairement,  se  présentent  isolément,  les  versions  en  prose  sont  de 
très  bon  nebeure  groupées,  selon  un  ordre  variable,  dans  des  recueils 
qu'il  n'est  pas  impossible  de  répartir  en  un  certain  nombre  de  classes. 
Ces  recueils  de  légendes  en  prose,  qui,  sans  cesse  accrus,  ont  eu 
bien  des  éditions  successives  depuis  environ  le  milieu  du  xiri' siècle 
jusque  vers  le  xv%  seront  étudiés  dans  la  seconde  partie  de  la  pré- 
sente notice. 

Il  serait  assurément  désirable  de  classer  en  ordre  à  peu  près  chrono- 
logique les  légendes  en  vers,  d'indiquer  le  caractère  de  chacune 
d'elles,  d'en  apprécier  la  valeur  littéraire,  qui  est  fort  variable,  de 
fléterminer  la  petite  part  d'originalité  qui  peut  s'y  rencontrer,  et  qui, 
pour  être  limitée,  n'en  existe  pas  moins  à  un  plus  haut  degré  que  dans 
les  vies  en  prose,  ])lus  fidèlement  traduites  du  latin.  Le  sujet,  pris  dans 
son  ensemble,  ne  manquerait  pas  de  nouveauté;  car  la  plupart  des 
légendes  en  vers  sont  encore  inédites,  beaucoup  n'ont  jamais  été 
signalées  à  l'attention  des  érudits,  et  bien  peu  ont  été  fobjet  d'une 
étude  suffisante.  Nos  devanciers  les  ont  négligées,  à  quelques  excep- 
tions près.  Toutefois  nous  nous  ferions  scrupule  d'introduire  ici  une 
longue  suite  de  notices  qui  auraient  pu  figurer  légitimement  dans  les 
volumes  consacrés  au  xii'  siècle  et  au  xiii',  mais  qui,  actuellement, 
seraient  hors  de  leur  place.  Tout  ce  que  nous  croyons  pouvoir  faire, 
en  vue  d'atténuer  une  lacune  qui  désormais  ne  peut  plus  être  com- 
blée dans  cet  ouvrage,  c'est  de  dresser  une  table  alphabétique  des 
légendes  en  vers  français  dont  nous  avons  connaissance,  indiquant 
pour  chacune  d'elles  la  forme  de  la  versification,  le  siècle  auquel 
nous  croyons  pouvoir  fattribuer*'',  les  manuscrits  qui  nous  l'ont  con- 
servée, les  éditions  ou  notices  dont  elle  a  été  l'objet. 
lii 

'"'  Cette  indiciition  ne  peut  être,  en  général,  lenir    compte    de    ce    fait    que   plusieurs   des 

donnée  que  d'une  façon  assez  vague  et  reste  poèmes  dont  la    composition   est   placée    au 

souvent  hypothétique ,  les  seuls  éléments  pou-  xiii*  siècle  ou  au  xiv"  peuvent  êti'e  des  rédac- 

vant  servir  à  déterminer  l'Age  de  ces  poèmes  tions  nouvelles  de    poèmes  plus   anciens.   L<î 

étant  le  plus  ordinairement  le  caractère  de  la  Voyage  de  saint  Brendan ,  composé  dans  le  se- 

versiGcation  et  de  1«  l.inguc.  11  faut  en  outre  cond  quart  du  xiT  siècle,  a  été  remanié,  une 


330  LEGENDES  HAdKKlRAPHJQlJES  EN  FRANÇAIS. 

L'ordre  alphabétique,  qui  a  l'inconlestable  avantage  (Je  faciliter 
singulièrement  les  recherches,  est  le  seul  auquel  nous  puissions  nous 
arrêter.  Le  classement  en  ordre  chronologique  ne  pourrait  être  que 
très  incertain,  et  en  bien  des  cas  il  serait  absolument  arbitraire;  il 
exigerait  d'ailleurs  des  discussions  qui  occuperaient  trop  d'espace. 
Son  utilité  principale  serait  de  nous  permettre  de  grouper  les  légendes 
qui  ont  un  auteur  commun;  mais  le  cas  où  plusieurs  légendes  versi- 
fiées peuvent  être,  avec  certitude,  attribuées  a  un  même  poète  est 
rare.  Il  ne  se  présente  guère,  dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances, 
que  pour  les  vies  de  saint  Germer,  de  saint  Josse  et  pour  l'une  des  vies 
de  sainl  Eustache,  composées  au  commencement  du  xiii''  siècle  ])ar 
l'ierre  (de  Beauvais),pour  quelques  légendes  mises  en  vers  par  Wace, 
par  Ghardry,  par  Gautier  de  Goinci,  par  Rutebeuf,  et  pour  un  certain 
groupe  de  vies  de  saintes,  dont  l'auteur  commun  paraît  avoir  été  le 
frère  mineur  Nicole  Bozon,  qui  écrivait  en  Angleterre  dans  la  pre- 
mière moitié  du  xiv'  siècle  et  auquel  nous  consacrerons  une  notice 
dans  un  de  nos  prochains  volumes. 

La  liste  qui  suit  embrasse  tout  le  moyen  âge.  Nous  y  avons  lait 
entrer  des  poèmes  qui  appartiennent  aux  premiers  temps  de  notre 
littérature,  comme  la  vie  de  saint  Léger,  et  des  poèmes  du  xv*"  siècle. 
Si,  d'une  part,  nous  revenons  en  arrière  sur  des  périodes  que  ÏHistoire 
littéraire  de  la  France  a  dépassées,  d'autre  part  nous  anticipons  sur 
l'œuvre  de  nos  successeurs.  Mais  ceux  qui  viendronta|)rès  nous  ne  nous 
reprocheront  pasde  leuravoir  épargné  quelques  recherches,  et  il  n'était 
pas  inutile  que  la  table  de  nos  légendes  en  vers  lût  une  fois  dressée*''. 


centaine  d'années  plus  lard,  par  un  écrivain  qui 
s'esl  donné  la  tàchede  rajeunir  la  langue  et  d'al- 
longer d'une  syllabe  les  vers  féminins ,  les((uels , 
dans  la  réduction  priuiitive,  n'ont  que  huit  syl- 
labes, l'accent  final  portant  sur  la  seplième.  L'an- 
cienne vie  de  saint  Alexis,  en  couplets  de  cin([ 
vers,  a  été  systématiquement modiliec  et  ampli- 
fiée à  plusieurs  reprises.  La  vie  de  saint  Josse, 
écrite  au  commencement  du  xill'  siècle,  a  été 
démesurément  alionpéc  au  xiv'.  Si  les  rédac- 
tions originales  de  ces  poèmes  s'étaient  pei'- 
dues ,  nous  serions  exposés  à  prendre  ces  rajeu- 
nissements pour  les  rédactions  primitives. 


'''  Nous  ne  croyons  pas  devoir  faire  entrer 
dans  l'énuniération  qui  suit  les  courtes  légendes 
en  vers  qui ,  sans  avoir  le  caractère  proprement 
liturgique,  étaient  chantées  dans  les  églises  à 
cei-taines  fêtes,  telles  que  les  Kpitres  farcies  de 
saint  Etienne,  de  sainl  Jean  rEvangélisle,des 
saints  Innocents,  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry 
(36-2()  décembre),  de  saint  Biaise  (3  février), 
de  saint  Thibaut  de  Provins  (3o  juin),  sur  les- 
([uelles  on  peut  voir  Hist.  tilt,  de  la  /"'r.,  XIII, 
109  et  suiv. ,  et  Bulletin  du  Comité  de-:  travaux 
historiques ,  section  d'histoire  et  de  philologie, 
année  1887,  p.  3i6  et  suiv. 


I.  LEGENDES  E\  VERS.  337 

Agathe  (Sainte). 

Vie  en  vers  octosyllabiques,  composée  en  Angleterre  au  commencement  du 
xiv'  siècle,  probablement  par  Bozon  (le  frère  mineur  ISicole  Bozon.^).  Ms.  :  Londres, 
Mus^e  britannique,  Cotton,  Domilien  xi,  fol.  io5.  Voir  Fr.  Michel,  Rapports  au 
Ministre  [Doc.  inéd.),  p.  269.  Premier  vers  : 

Or  voyie  cunter  de  sainte  Agace. 
Agnès  (Sainte). 

1 .  Vie  en  quatrains  de  vers  décasyllabiques,  xm"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  1  553 , 
fol.  '100  v".  Premier  vers  : 

Ki  bien  velt  comenchier  a  parler. 

'!  .;w,t 

2.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xui"  siècle.  Ms.  :  Carpentras,  106, 
fol.  126.  Premier  vers  : 

D'une  france  pucele  vos  vuei  dire  et  conter. 

3.  Vie  en  vers  octosyllabiques ,  composée  en  Angleterre  au  commencement  du 
xiv"  siècle  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  Bozon!').  Ms.  :  Londres,  Musée  brit. , 
Cotton,  Domitien  xi,  fol.  io3  v".  Extrait  dans  Les  contes  moralises  de  Nicole  Bozon, 

frère  mineur,  publ.  par  L.  Toulmin  Smith  et  P.  Meyer  (Paris,  i  889,  Soc.  des  anc. 
textes  français),  p.  xlviu.  Premiers  vers  : 

Jeo  sui  prié,  meis,  sans  prier. 
Me  deit  amour  bien  charger. 
Alban  (Saint). 

Vie  en  laisses  rnonorimes  de  vers  alexandrins,  composée  au  xin°  siècle  en  Angle- 
terre, à  Saint-Albans,  et  publiée,  d'après  un  ms.  unique  et  incomplet  du  début,  par 
M.  R.  Atkinson,  Vie  de  seint  Auban,  a  poem  in  Norman  Frencli  ascribed  lo  Matthew 
Paris  '",  nowfor  the  first  time  editedjrom  a  manuscript  in  thc  library  of  Trinity  Colle(je, 
Dublin  (London.  1876,  in-/i")'^J. 

Alexis  (Saint). 

1  a.  Vie  en  couplets  monorimes  (assonances)  de  cinq  vers  décasyllabiques, 
xi' siècle,  plusieurs  fois  pubUée.  Mss.  :  Hildesheim  (église  de  Saint-Godoard ) ,  fol.  29; 
Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  fr.  ^5o3  (ancien  Libri  i  12),  fol.  1  1  v°;  fr.  19525,  fol.  26. 
Editions  nombreuses;  il  suffira  de  citer  G.  Paris  et  L.  Pannier,  La  vie  de  saint 
Alexis,  Paris,  1872  [Bibliolh.  de  l'Ecole  des  hautes  études,  fasc.  vu);  VV.  Fôrster  et 
E.  K.oschwitz,  Altfranzôsisches  Uebungsbach,   2'  éd.  (1902),  col.  97.  Premier  vers  : 

Bons  fu  H  siècles  al  tens  ancienor. 

''*  Cette  attribution  n'est  pas  fondée.  bali,    de  qiiodam    libro  galtico  excerptus  et  in 

<*'  11  existe  au  Musée  britannique  (Cotton,  latinam    translatns.    Un    autre    manuscrit    du 

Claud.  E IV  )  un  manuscrit  de  la  fin  du  XIV' siècle  même  ouvrage  est  conservé  à  la  Bodléienne 

contenant,  fol.  .^34  v°,  un  Tractatus  de  nobiti-  (Bodley  .'}85).Cf.  Th.  Duffus  Hardy, /Je.'cri/jtofi 

tate,vita  et  martirio  sanctorum  Albaniet  Amplii-  Catalogue,!,  n"  33  et  .34. 

IlIST.  I.ITTF.B.  XXXIII  43 


338  LKGENDES  HAGIO(iRAPHlQUES  EN  FRANÇAIS. 

1  b.  Vie  en  laisses  monorimes  (assontinces),  renouveHemenl  de  la  vie  précédente, 
dite  «  rédaction  interpolée  »,  fin  du  xii"  siècle  ou  commencement  du  xiii*.  JVls.  :  Bihl. 
nat.  fr.  i  2/17  1 ,  fol.  5 1 .  Edition  :  G.  Paris  et  L.  Pannier,  ouvr.  cité,  p.  1  9g  et  suiv. 
Premier  vers  : 

Signour  et  dames ,  entendes  un  sermon. 

1  c.  Vie  en  laisses  monorimes  (rimes),  remaniement  de  la  vie  précédente, 
xm"  siècle.  G.  Paris  et  L.  Pannier,  ouvr.  cité,  p.  279  et  suiv.  Premier  vers  : 

Cha  en  arrière,  au  tens  anchienors'''. 

I  (/.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins  monorimes,  remaniement  de  la  vie  pré- 
cédente, xiv'  siècle.  G.  Paris  et  L.  Pannier,  ouvr.  cité,  p.  336.  Premier  vers  : 

Ens  en  l'onneur  de  Dieu  le  père  tout  puissant  '''. 

I.  Vie  en  laisses  monorimes  de  vers  alexandrins,  rédigée  directement  d'après 
le  latin.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2  1  62  ;  Oxford,  Bodl. ,  Ganonici  mise.  7/1.  Edition  :  De 
saint  Alexis ,  eine  altfranz.  Alexiaslerjende  aus  Aem  13.  Jaltrhunder,  hgg.  von  Joseph 
Hertz,  K'rancfort-sur-le-Mcin,  1879  (Programme  de  la  Realschiile  israélite  de  Franc- 
fort). Premier  vers  : 

Plaist  vos  a  escolteir  d'un  saint  homme  la  geste. 

3.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  commencement  du  xm"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat., 
fr.  2  54o8,  fol.  3o.  Édition  :  par  Hippeau  dans  les  Mémoires  de  l'AcaxUmie  de  Caen, 
année  i856,  puis  par  G.  Paris,  Romania,  VIII,  169.  l'remier  vers  : 

Bone  parole  boen  leu  tient. 

II.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  très  abrégée,  faisant  partie  du  Tomhel  de  Char- 
treuse, par  FjUStache,  prieur  de  la  Fontaine-Notre-Dame  (dioc.  de  Soissons). 
xiv" siècle.  Mss.:  Bibl.  d'Avranches,  2/i4;  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  fr.  6835  (ancien  Asb- 
burnham,  Appendix  175),  fol.  82.  Publiée  en  extraits,  d'après  le  premier  de  ces 
manuscrits ,  par  l'abbé  Desroches  :  Extraits  de  plusieurs  petits  poèmes  écrits  à  la  fin  du 
\iv'  siècle  par  un  prieur  du  Mont-Saint-Michel  (Caen,  1839),  p.  4 2.  Premier  vers  : 

Il  ot  en  cei  temps  de  jadis. 

Ami  et  Amile. 

Ces  deux  frères  ne  sont  assurément  pas  des  saints  authentiques.  Ils  ont  été  cepen- 
dant considérés  comme  tels  au  moyen  âge.  La  légende  latine  a  été  discutée  par  les 
BoHandistcs  (12  octobre),  et  imprimée  en  dernier  lieu  par  M.  E.  Kôlbing,  Amis 
and  Amylouns,  zugleich  mit  dcr  altfranzôsischen  Que/Ze  (Heilbronn,  1 88/1,  deuxième  vo- 

'■'  Le»  éditeui-s  n'ont  connu  de  celte  redac-  '*'  L'un  des  manuscrits  ( celui  d'Ai-ras)  coni- 

tion  qu'un  seul  manuscrit  (Bibl.  nat.,  l'r.  1 553).  mence  par  :  Oês ,  seigneur,  pour  Dieu  le  très  doalz 

Depuis,   un   second  manuscrit,  appartenant  à  roy  amant  {(].  Paris  et  L.  l'annier,  p.  337). 

la  bibliothèque  du  chapitre  de  CarHsle,  a  cte  —  Un  manuscrit  resté  inconnu  aux  éditeurs 

découvert.  G.   Paris  en  a  donne  les  variantes  a  été  signalé  récemment  à  Bruxelles,  Romania, 

dans  la  Romania.  XVII,  io()  et  suiv.  XXX,  3oo. 


I.  LEGENDES  EN  VERS.  339 

lume  de  Y  A  Itemjlische  Bibliothek  du  même  savant).  D'après  cette  légende  a  été  composé , 
au  xiii' siècle,  par  un  écrivain  anglais  le  poème  français  d'Amis  et  Ainiliin,  publié 
par  M.  Kôlbing ,  ouvrage  cité ,  p.  i  i  i .  Sur  les  manuscrits ,  voir  cette  édition ,  p.  i.xxui. 
Premier  vers  : 

Ki  veut  oïr  chançoun  d'amour'''. 

André  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques.  Première  moitié  du  xiii" siècle.  Mss.  :  Oxtord,  Bodl., 
Canonici  mise.  7/1,  loi.  120;  Paris,  Arsenal  35  1  6,  fol.  fiy.  Extraits  du  ins.  d'Oxford 
dans  P.  Meyer,  Documents  manuscrits  de  l'ancienne  littérature  de  la  France,  p.  2o5. 
Premier  vers  : 

Une  raison  dire  vos  vulli  [Ari:.  d.  volon). 

Antéchrist.  On  connaît  au  moins  trois  poèmes  français  sur  l'Ant/'cbrist  : 

1.  Un  poème  composé  en  Angleterre  par  un  templier  nommé  Henri  d'Arci'-'.  La 
versification  en  est  fort  incorrecte  ;  on  peut  cependant  supposer  que  l'auteur  a  visé  à 
faire  des  vers  alexandrins  rimant  deux  par  deux.  11  existe  deux  copies,  assez  diffé- 
rentes ,  de  ce  poème.  Elles  ont  été  indiquées  dans  les  Notices  et  extraits  des  manuscrits , 
I.  XXXV,  Impartie,  p.  26.  Premier  vers  : 

Si  d'Anlecrist  volez  oïr  la  mémoire. 

2 .  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  composé ,  dans  la  première  moitié  du  xiii"  siècle , 
en  Lombardie.  Ms.  :  Paris,  Arsenal  36i!i5,  fol.  /i  v°.  Le  poème  est  daté,  à  la  fin, 
de  Vérone,  laSi,  date  qui  doit  venir  d'une  copie;  antérieure,  le  manuscrit  de 
l'Arsenal  n'étant  guère  que  de  la  fin  du  xiii'  siècle.  Premier  vers  : 

Pour  ce  que  je  saile  françois. 

3.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  compris  dans  la  compilation  que  Geufroi  de 
Paris  a  intitulée  La  Bible.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  1  526,  fol.  1  79.  Premier  vers  : 

Oez  por  Dieu  et  por  son  non. 

4.  Poème  composé  en  Angleterre  au  xiii"  siècle  et  qui  n'a  pas  l'Antéchrist  pour 
sujet  imique.  La  versification  en  est  très  irrégulière.  La  plus  grande  partie  est  en  vers 
octosyllabiques;  la  fin  est  en  vers  de  dix  à  douze  syllabes.  Ms.  :  Oxford,  Bodléienne, 
Rawlinson  Poetry  24  1,  p.  aSg.  Extraits  dans  Romania,  XXIX,  79.  Premier  vers  : 

Seignurs,  vous  qe  en  Dieux  créez. 

Antoine  de  Padoue  (Saint). 

1 .  Vie  en  cpiatrains  de  vers  alexandrins,  xiv' siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2  1  98,  fol.  4o. 
Premier  vers  : 

Jhesucrist,  qui  en  la  crois  laissa  son  corps  estendre. 

'"'  Nous    mentionnons     pour   mémoire    la  fait  entrer  dans  son   œuvre  d'autres  éléments, 

chanson    de    geste    d'Ami   et  Amile  [Histoire  '*'  Le  même  qui  a  mis  en  vers  les  Verba  se- 

littéraire  de  la   France,    \X1(,  388   et   g5o),  niornm  (ri-dessus,  p.  aSy),  la  vision  de  saint 

dont  l'auteur  a  utilisé  la  légende  latine ,  mais  a  Paul  et  ia  vie  de  sainte  Thaïs  (  ci-après ,  p.  376  ). 

43.       • 


340  LKGE\DES  HACJIOOKAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

2.  Couplets  devers  décasyllabiques,  rimant  ababbcbc.  xv' siècle.  Bibl.  nal.,  fr. 
5o36,  fol.  j  I  y.  Premier  vers  : 

Pour  plaire  a  Dieu,  qui  est  sur  tous  puissant. 

AuDRÉE  (Sainte),  Etueldreda,  abbesse  d'Ely. 

Vie  en  vers  octosyllabiques ,  composée  en  .\ngieterre.  xiii*  siècle.  Ms.  :  Welbeck , 
Bibl.  du  duc  de  Portland,  i  C  i ,  fol.  i  ooc.  Premiers  vers  : 

En  bone  houre  e  en  bon  porpens 
neveroit  chascuu  user  son  tens. 

AvENTiN  (Saint). 

Les  Bollandistes  ont  connu  une  vie  en  vers  français  de  .saint  Avcntin,  évêque 
de  Châteaudun ,  que  nous  n'avons  pas  pu  retrouver.  Ils  on  ont  donné  un  abrégé 
sous  ce  titre  :  Vita  ex  rhylhino  gallico  succincte  concinnata  [AA.  SS.,  février,  I,  488). 
Ils  font  connaître  en  ces  termes  le  manuscrit  dont  ils  se  sont  servis  : 

Ex  ejus  (5.  Mcdurdi  Custroiluncnsù)  ecclesù-p  ms.  codice  vitain  S.  Avpntini  nacti  suinus, 
rhythino  gallico  scriptam,rudi  satis  et  impolitu,  quam  ita  vei-timus  ut  sententiain  omneni 
redderemus ,  non  quae  superflup  multa  adjecta  eraiit,  neutiquani  ad  inodernam  gailica>  lin- 
guae  elegantiam  cxacla. 

Barbe  (Sainte). 

1.  Poème  d'environ  620  vers  octosyllabiques.  Fin  duxiii'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  roy. 
(le  Belgique  io295-3o/i,  fol.  5g.  Le  début  dans  flomanm,  XXX,  Soh-  Premiers 
vers  : 

Qui  a  talent  de  Dieu  servir 
Si  viegne  avant  pour  moy  oyr. 

2.  Poème  en  quatrains,  xiv'  on  xv"  siècle.  Ms.  :  Avignon  61  5,  fol.  ()6  (copie 
inachevée  du  xvi"  siècle).  Premier  vers  : 

Jhesus  Crist ,  qui  pour  nous  heut  persecusion. 

Barlaam  et  JosAPHAT  (Saints). 

1.  Poème  d'environ  12,000  vers  octosyllabiques,  composé  vers  le  commence- 
ment du  règne  de  saint  Louis  par  Gui  de  Cambrai.  Mss.  :  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  i553, 
fol.  197;  Mont-Cassin,  329.  Publié,  d'après  le  premier  de  ces  mss.,  par  H.  Zoten- 
berg  et  P.  Meyer  (Stuttgart,  j  864).  Premiers  vers  : 

Qui  bien  commence  et  qui  bien  sert 
Gueredon  au  doble  désert. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques  ayant  h  peu  près  la  même  étendue  que  le  pré- 
cédent. xm°  siècle.  M.ss.  :  Carpentras  473  (anc.  465),  fol.  139;  Tours  949; 
Besançon  552   (fragments).  Extraits  dans  l'ouvrage  cité,  p.  336'".  Premier  vers  : 

Li  cuers  me  dit  et  amoneste. 

'■'  Ce  poème  a  été  mis  en  prose.  On  possède  trois  copies  de  cette  rédaction  en  prose.  Voir 
Notices  et  extraits  des  mnnuscrits,  \XXVI,  713. 


!5 


I.  LÉGENDES  ES  VERS.  341 

3.  Poème  en  295/i  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre,  vers  le  coni- 
nienceraent  du  xui"  siècle,  parChardri.  Mss.  :  Londres,  Musée  brit.,  Cotton,  Cali- 
gula  Aix,  fol.  1  95  ;  Oxford,  Jésus  Coll.  29,  fol.  68.  Edition  :  C/ia/f/ry's  Jojiap/iaz,&< 
Dormans  and  Petit  plet...,  hgg.  \on  John  Koch  (Heilbronn,  1879;  1. 1  de  VAltfran- 
zôsische  Bibliothek) ,  p.   1 .  Premier  vers  : 

Ki  vout  a  nul  ben  entendre. 

Plusieurs  des  paraboles  que  renferme  l'histoire  de  Barlaani  et  de  Josaphat  ont 
été  détachées  de  la  légende  latine  vers  le  xii"  siècle ,  et  ont  fourni  la  matière  de  divers 
petits  poèmes  qui  ont  été  mentionnés  par  nos  devanciers  '". 

Bon  ou  Bonet  (Saint),  évèque  de  Clermont.  Une  légende  relative  à  ce  prélat 
fait  partie  de  plusieurs  recueils  latins  de  Miracles  de  la  Vierge f^'  et,  par  suite,  a  été  à 
diverses  reprises  mise  en  français. 

1 .  Poème  en  vers  octosyllabiques,  faisant  partie  des  Miracles  de  la  \  ierge  traduits 
par  Adgar,  dit  Willame.  Ms.  :  Londres,  Musée  brit.,  Egerton  612,  fol.  82.  Édition  : 
Adgar's  Marienlegenden ,  hgg.  von  Cari  Neuhaus  (Heilbronn,  1886,  p.    1  loj.   Pre 
miers  vers  : 

En  Auverne  a  une  cité 
Dunt  li  nuns  est  ja  treslumé. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques  faisant  partie  d'un  recueil  de  Miracles  de  la 
Vierge  mis  en  français  par  un  écrivain  anglais  resté  anonyme.  Ms.  :  Musée  brit.,  Roy. 
20  B  XIV,  fol.  1  45.  Premiers  vers  : 

En-Alverne  est  une  bonne  cité 
Noble ,  de  grant  antiquité. 

3 .  Poème  en  vers  octosy  Uabiqucs ,  par  Gautier  de  Coinci ,  publié  par  l'abbé  Poquet , 
Les  Miracles  de  la  sainte  Vierge ,  colonne  3o3.  Premier  vers  : 

Que  que  volenté  me  sèment. 

6.  Poème  anonyme  en  vers  octosyllabiques.  xiu"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  /|23, 
fol.  102.  Premiers  vers  : 

Puis  que  parler  ay  commencié 
De  ma  dame  sainte  Marie. 

Brendan  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques ,  les  vers  féminins  accentués  sur  la  septième  syllabe , 
composée  par  un  certain  Benoit,  à  la  demande  de  la  reine  Aélis,  femme  de  Henri  J", 
roi  d'Angleterre,  probablement  peu  après  1121,  date  du  mariage  de  celte  reine. 
Mss.  :  Musée  brit.,  Cotton,  Vesp.  B  x.;  Oxford,  Bodléienne,  Rawl.  mise.  1870, 
foi.  85  (fragment);  Paris,  Bibi.  nat.,  nouv.  acq.  fr.  /i5o3,  fol.  19  (ancien  Libri- 
Ashburnham  112,  volé  à  Tours  par  Libri)  ;  \  ork.  Bibliothèque  du  Chapitre ,  16  k  1  2 . 

'■'  Voir   Hisl.  lilt.    de  la    Fr.,  XMII,    76,  B.    V.  Marine,  rédigé  par  le   P.  Poncelet  et 

77,  357;  voir  aussi  Romania,  XIII,  Ô91.  publié   dans  le  tome  XXI   des  Amilecla  Bol- 

'''  C'est  le  n°  1  73  de  l'Index  Miraculoriini         landiunu. 


342 


LÉGENDES  HAGIO(àRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


Edition  :  par  H.  Suchier,  clans  Romanisvhe  Stadicn,  1,  867  (iSyô);  c'est  une  repro- 
duction figurée  du  ms.  cottonien  ;  Fr.  Michel ,  La  Vie  (le  saint  Brandaii  [ Paris,  1 88t>). 
Premier  vers  : 

Donna  Aaliz  ]a  reïne. 

Ce  vieux  poème  a  été  renouvelé  dans  la  première  moitié  du  xiii'  siècle  ;  les  vers 
féminins  ont  été  ramenés  à  la  forme  usuelle  par  l'addition  d'une  syllabe,  et  la  langue 
a  été  rajeunie.  Ms.  :  Arsenal  35  16,  fol.  96.  Edition  en  copie  figurée  dans  la  Zcit- 
schriftfûr  romanischc  Philologie,  II,  li^Q.  Premier  vers  : 

Seignor,  oies  que  jo  dirai. 

On  sait  que  la  légende  de  saint  Brendan  a  été  introduite  par  Gautier  de  Metz 
dans  la  seconde  rédaction  de  son  Imacje  da  monde^^\  Cet  épisode  a  été  publié  par 
i\\}r>mA\,  LaLé(jende  de  saint  Brandaine  iJPdiYh,  1  836),  d'après  le  ms.  B.N.  fr.  ihliU. 

Catherine  d'Alexandrie  (Sainte). 

1.  Me  en  vers  octosyllabiques,  par  Clémence,  religieuse  bénédictine  du  mo- 
nastère de  Barking  (Essex)  '2',  remaniement  d'une  version  antérieure  que  nous  n'avons 
plus.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  fr.  /|5o3  (anc.  Libri  i  12),  fol.  83;  fr.  23i  1  •> , 
fol.  317  v°;  Welbeck,  Bibl.  du  duc  de  Portland,  iC  i,fol.  2^6.  Les  deux  premières 
de  ces  copies  ont  été  publiées  en  l'egard  l'une  de  l'autre,  dans  les  Mémoires  de  l'Aca- 
démie des  sciences  de  Prague ,  par  M.  U.  Jarnik ,  avec  préface  et  notes  en  tchèque 
(Prague,  189a,  in-4°).  Premier  vers  : 

Cil  kl  le  bien  set  et  entent. 

2.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  composée  en  poitevin.  L'auteur  est  désigné  à  la 
fin,  dans  des  vers  latins  ajoutés  par  le  copiste,  sous  le  nom  de  Anmericiis,  Pictnvc 
gentis  aniicus.  Ms.  :  Tours,  g/iS,  incomplet  du  début.  Edition  :  La  Passion  sainte 
Catherine ,  poème  du  xiif  siècle  en  dialecte  poitevin,  parAumeric,  moine  du  Mont- 
Saint-Michel '•'*',  publié  pour  la  première  fois,  d'après  le  ms.  de  la  Bibl.  de  Tours, 
par  F.  Talbert  (Paris  et  Niort,  i885,  in-4°). 

3.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Gui,  conservée  dans  le  ms.  de  La  Clayette 
(voir  Notices  et  extraits,  XXXIII,   1"  partie,  p.  62).  xiii°  siècle.  Publiée  par  Henry 


(')  Voir  Hht.  litl.  de  la  Fr..  XXIU,  324. 
L'opinion  exprimée  à  cet  endroit  que  la  rédac- 
tion, dite  interpolée,  de  Xlmaije  du  mnndc, 
serait  l'œuvre  d'un  copiste  messin,  n'est  plus 
admise.  L'inlerpolateur  est  l'auteur  lui-même, 
Gautier  de  Metz.  Voir  Romania,  XXI,  /iSa. 

("  L'Hùt.Uu.dekFr.{\X\in,i:^i)nomme 
l'auteur  Dimence,  selon  le  ms.  fr.  a3)  13  (dési- 
gne à  tort  comme  portant  le  n°  i6.'')65),  et  lui 
attribue  une  oriffine  flamande.  Ces  erreurs  ont 
été  partiellement  rectiliées  dans  Romania,  Wll , 
4oi,  d'après  l'autre  manuscrit. 


'''  Les  vers  latins   de  la  fin  ne  disent  pas 
qu'Aumeric  fût  moine  du  Mont-Saint-Michel  : 
Sic  Aiinicrirus,  Pictavc  gentis  amioiis, 
Ëximie  vitain  Ratlieriae  Iranstiilit  istaiii. 
Sit  locus  in  cetis  moiiacliis  Sanrti  Micliaelis, 
Quorum  pars  siimus.  Per  secula  vivat  liic  unus. 

H  semble  que  l'auteur,  le  Poitevin  Aumeric , 
soit  distingue  du  copiste,  moine  de  Saint-Mi- 
chel ,  et  rien  ne  prouve  que  le  monastère  soit 
celui  du  Mont-Saint-Michel  in  periciilo  maii.i. 
Il  s'agit  plus  probablement  de  Saint-Michel  au 
diocèse  de  Lucnn. 


1.  LKGENDES  EN  VERS  343 

Alfred  Todd,  Publications  of  tkc  modem  lan^aacje  Association  of  America,  XV,  17  et 
suiv.  (Baltimore,   1900).  Premier  vers  : 

Pour  l'amitié  de  Jhesucrist. 

fi.  Version  en  vers  octosyllabiques,  dont  on  connaît  neuf  copies  qui  ont  été  indi- 
quées dans  les  Notices  et  extraits,  XXXIII,  1"  partie,  p.  60,  XXXIV.  i"'  partie, 
p.  i65;  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes  français,  1896,  p.  ào;  Romania, 
XXX,  3  10.  Des  extraits  en  ont  été  publiés  par  le  P.  Cahier,  d'après  un  manuscrit 
de  l'Arsenal,  dans  les  Nouveaux  mélanxjes  d'archéologie,  III  (  1  875),  7/».  Premier  vers  : 

Nous  trovomes  en  nos  escris. 

5.  Vie  en  sixains  de  vers  décasyllabiques.  xiif  siècle.  Ms.  :  Tours,  9'j8, 
fol.  122  v°.  Premier  vers  : 

Por  amer  Dieu  vos  pri ,  genz  bone  et  bêle. 

6.  Vie  anonyme  en  vers  octosyllabiques.  xm"  siècle.  Ms.  :  Paris,  Arsenal  36^5, 
fol.  26'".  Des  extraits  en  ont  été  publiés  par  M.  Ad.  Mussafia,  dans  les  Comptes 
rendus  de  l'Académie  de  Vienne,  classe  de  philosophie  et  d'histoire,  LXXV  (  187/1), 
249;  cf.  Notices  et  extraits ,  XWÎll ,  i"  partie,  p.  61.  Premier  vers  : 

De  laiser  les  mauvais  pensez. 

7.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  rédigée  en  forme  d'oraison.  xv° siècle.  Mss.  :  Chan- 
tilly, Musée  Condé  101;  I^ondres,  Musée  brit.,  Lansdownc  38o,  fol.  2  04  v"; 
Paris,  Bibl.  nat. ,  fr.  24864,  fol.  1  12.  Premier  vers  : 

Ave,  très  sainte  Catherine. 

8.  Vie  en  septains  de  vers  octosyllabiques  [ahahcch),  rédigée  en  forme  d'orai- 
son, xv'  siècle.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  18026.  fol.  219  v°;  Saint-Brieuc  1,  fol.  195 
(incomplet  du  commencement).  Premier  vers  : 

Dieu  vous  sauve  [lis.  saut),  vierge  Katerine. 

().  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xv'  siècle.  Deux  anciennes  éditions  : 
livret  gothique  de  24  ff. ,  s.  1.  n.  d.,  Bibl.  nat.,  Réserve  Ye  847;  édition  de  Jean 
Treperel,  Paris,  s.  d.,  Bibl.  nat..  Réserve  Ye  820.  Premier  vers  : 

Au  nom  de  Jhesucrist  qui  les  fins  cueurs  affine. 

10.  Vie  en  couplets  de  formes  variables,  en  vers  de  dix  et  de  sept  syllabes,  com- 
posée par  un  certain  Destrées  en  i45i.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  14977,  fol.  4i.  Pre- 
mier vers  : 

Comme  le  cerf  désire  soy  retraire. 

I  1 .  Vie  en  forme  de  prière ,  composée  de  neuf  couplets  à  refrain,  xiii"  siècle.  Ms.  : 
'''  Sur  ce  manuscrit  exécuté  en  Lombardie,  voir  plus  haut,  art.  Axtéchhist. 


344  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Londres,  Musée  brit.,  Egerton  6i3,  fol.  6  v".  Edition  :  P.  Meyer,  Recueil  dancicns 
textes,  partie  française,  n°  Ixj.  Refrain  : 

Très  duce  Katerine, 
Seez  nostre  mecine. 

Christine  (Sainte). 

1 .  Poème  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  par  Gautier  de  Coinci  '".  Mss.  :  Car- 
pentras  io6,  fol.  66;  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  817,  fol.  171.  Premier  vers  : 

Li  sages  Salomons  qui  fluns  fu  de  savoir. 

2.  Poème  en  vers  alexandrins  rimant  deux  à  deux.  Cette  vie,  de  la  fin  du 
xiii"  siècle,  semble-t-il,  n'est  connue  que  par  quelques  vers  du  début  que  cite  le 
président  Fauchet  ( Œuvres,  1  6 1  o ,  p.  553).  Premier  vers  : 

Seigneurs  qui  en  vos  livres  par  maistrie  metez. 

3.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  composée  en  Anglelerre  au  commencement  du 
XIV*  siècle,  probablement  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  BozonP).  Ms.  :  Londres, 
Musée  brit. ,  Cotton,  Domitien  xi,  fol.  101  v°;  voir  Fr.  Michel,  Rapports  au  Ministre 
{Doc.  inéd.),  p.  268.  Premiers  vers  : 

Ore  esculez  de  nne  virgine 
Ke  est  appelle  Oistine. 

/j.  Poème  en  huitains  de  vers  octosyllabiques  rimant  en  ahuhbchc,  w'  siècle. 
Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  24865,  fol.  74.  Premiers  vers  : 

C'ensuit  la  vie  et  la  légende 
f         De  madame  saincte  Christine. 

5.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  w'  siècle.  PMition  gotbique,  Paris,  s.  d., 
décrite  par  H.  Harrisse,  Excerpta  Colombiniana ,  n°  2  4o,  p.  180.  Premier  vers  : 

Au  nom  de  Dieu  victorieux. 
Christophe  (Saint). 

1 .  Vie  en  vers  octosyllabiques.  xiii'  siècle.  Le  seul  ms.  connu  faisait  partie  de  la 
collection  du  baron  Dauphin  de  Veriia  (n°  i  286  du  catalogue  de  vente''^').  11  a  été 
décrit  sommairement  par  M.  Drlisle,  Bibl.  de  l'Ecole  des  chartes,  L\l  (1896),  683. 

Premier  vers  : 

En  nom  de  sainte  Trinité. 

2.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xiv*  siècle.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  26549; 
Bibl.  Pbillipps,  3668,  à  Chellenbam.  Premier  vers  : 

Seigneurs,  j'ay  oy  dire  souvent  en  aucuns  lieux. 

'''  Gautier  de  Coinci   ne  s'est  pas  nommé  vers,  Gautier  affirme  qu'il   a  jadis  rimé  l'his- 

dans  cet  ouvrage.  Toutefois  il  n'est  guère  dou-  toire  de  sainte   Christine    (voir  G.  de  Bure, 

teux  (|u'il  en  soit  l'auteur.  On  y  a  reconim  son  Cataloijiic   (1rs   livres   ilr  feu   M.  le  duc  de  La 

style  (P.  Paris,  Manuscrits  français,  VI,  Sig).  Vnllicre,  Supplément,  p.  la). 

et,  de  plus,  en  un  des  miracles  qu'il  a  mis  en  '''  Le  sort  de  ce  manuscrit  est  inconnu. 


I.  LÉGENDES  EN  VERS.  345 

3.  Vie  très  courte  (environ  deux  cents  vers)  en  couplets  do  cinq  vers  (quatre 
vers  décasyllabiques  rimant  ensemble  et  un  vers  de  deux  syllabes  rimant  avec  le 
vers  correspondant  du  couplet  suivant),  mv"  siècle.  Bibl.  nat.,fr.  i  555,  fol.  126  v°. 
Premier  vers  : 

Poy  a  de  bien  en  cest  siècle  mortal. 

Clément  (Saint) ,  pape. 

Poème  en  vers  oclosyllabiques,  composé'en  Angleterre  d'après  les  Reco(initiouc>! 
attribuées  au  pape  Clément.  Commencement  du  xin"  siècle.  Ms.  :  Cambridge.  Tri- 
nity  Coll.  R.  3./|6,  fol.  122.  Extrait  dans  Notices  et  extraits,  XXXVIII,  3o6.  Pre- 
mier vers  : 

Li  clerc  de  scole  ki  apris  unt. 

Croix  (Invention  de  la  sainte). 

Poème  en  vers  octosyllabiques  faisant  suite  à  la  Vie  de  saint  Silvestre  (vers  SgS  et 
suivants).  Fin  du  xn'  siècle  ou  commencement  du  xiri".  Ms.  appartenant  à  M.  le  mar- 
quis d(^  ViHoutreys.  Edition  :  La  Vie  de  saint  Silvestre  et  l'Invention  de  la  sainte  Croix, 
à  la  suite  du  Cartalaire  du  Chapitre  de  Saint-Laud  d'Angers  publié  par  A.  Planche- 
nauit  (Angers,  1903).  Premiers  vers  : 

Deus  cenz  ans  peis  el  .xxx.  trois 
Qu'en  croiz  fut  mis  Dieus  ii  haut  rois. 

Croix  (Légende  de  l'arbre  dont  fut  faite  la).  Voir  Seth. 

Crucifiés  (Les  dix  mille)  du  mont  Ararat. 

Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiv'  ou  xv"  siècle.  Ms.  :  Besançon,  2oà,  fol.  159. 
Edition gotbique,  s.  1.  n.  d.,  16  fl'.;  voirH.  Harrisse,  Excerpta  Colombiniana ,  n°2/j8, 
p.  i83.  Premiers  vers  : 

A  la  loenge  et  a  i'onneur 

De  Jhesucrist ,  nostre  sauveur. 

Denys  (Saint). 

1.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xv'  siècle.  Mss.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  igi86, 
fol.  i/i3  v°;  24433,  fol.  186  v".  Premier  vers  : 

Monseigneur  saint  Denis ,  trésor  de  sapience. 

2.  Vie  en  sixains  de  vers  octosyllabiques  {aabccb).  xv"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat., 
fr.  1741,  incomplet  de  la  fin  et  mutilé  en  divers  endroits.  Premier  vers  : 

Nul  ne  repute  pour  merveylie. 

DiELDONNÉE  (Sainte),  mère  de  saint  Jean  Chrysostome. 

Poème  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  dans  lequel  est  introduite  la  légende 
de  saint  Jean  Bouche  d'or,  xiv*  siècle.  Ms.  :  Bruxelles,  Bibl.  roy.  de  Belgique, 
1  0298-304,  fol.  47  v°.  x\nalyse  et  extraits  dans Romania ,  XXX,  3oo.  Premier  vers  : 

Pour  chou  que  on  liesmoigne  partout  generaument. 

IIIST.  I.ITTÉn.  XXXIII.  44 


346  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Dominique  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  peu  après  laSA.  Mss.  :  Arras,  3o-, 
fol.  282;  BibL  nat.,  l'r.  igSSi;  fol.  22.  Extraits  dans  Romania,  XVII,  Sgâ. 
Premier  ^  ers  : 

Li  clerc  truevent  en  l'escripture. 

DoitMANTS  (Les  sept). 

Poème  en  1 898  vers  octosyllabiques*  composé  en  Angleterre,  vers  le  commence- 
ment du  xiii"  siècle ,  par  Cliardri.  Mss.  :  Londres ,  Musée  brit. ,  Colton ,  Galigula  A  ix , 
fol.  2  16;  Oxford,  Jésus  Goll.  29,  fol.  83.  Edition  :  Chardij's  Josaplmi,  Set  âormanz 
and  Petit  plet.  .  .,  bgg.  von  John  Kocb  (Heilbronn,  1879;  t.  I  de  V Altjranzôsische 
Bihliothek) ,  p.  76.  Premier  vers  : 

La  vertu  Deu  ki  tuz  jurs  dure. 

Edmond  (Saint),  roi  d'Estanglie. 

1.  Vie  en  quatrains  monorimes  devers  octosyllabiques,  composée  vers  la  fin 
du  xii"  siècle  en  Angleterre.  Ms.  :  Cambridge,  Caius  and  Gonville  Goll.  li'iô,  p.  1  o5 
et  suiv.  ;  1  700  vers.  Premiers  vers  : 

Ore  entendez  la  passion 

De  saint  Edmunt  le  bon  barun. 

2,  Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  au  xiii' siècle,  en  Angleterre,  par 
Denis  Piramus'".  Ms.  :  Musée  brit.,  Cotton,  Domit.  xi,  fol.  1  (incomplet  de  la  fin). 
Extrait  dans  Fr.  Michel,  Rapports  au  Ministre  (i836.  Doc.  inédits),  p.  268;  édition 
dans  Memorials  of  Saint  Edmond  abbey,  ediled  by  Th.  Arnold,  t.  II,  p.  1  37  (London, 
1892,  Rolls  séries).  Premier  vers: 

Mult  ai  usé  cum[e]  pechere. 

Edmond  (Saint),  archevêque  de  Cantorbéry. 

Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  à  la  requête  d'une  comtesse  d'Arundel. 
Ms.  :  Welbeck,  Bibl.  du  duc  de  Portiand,  i  G  1  ,  fol.  85  d.  Premiers  vers  : 

Ki  de  un  sul  felun  ad  victoire 
Mut  pot  aver  joie  et  gloire. 

Edouard  le  Go:<kesseur  (Saini),  roi  d'Angleterre. 

I .  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  composé  au  milieu  du  xiii*  siècle  pour  Aliénor, 
femme  de  Henri  III,  roi  d'Angleterre,  d'après  Aelred  de  Ricvaulx.  Ms.  :  Gambridge, 
Bibl.  de  l'Université,  Ee  m  Sg.  Edition  :  par  H.  R.  Luard,  Lires  of  Edward  the  (lon- 
fessor  (Londres,  1 858,  Rolls  séries).  Gf.  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  t.  XXV  II,  p.  1 .  Premier 
vers  : 

Kn  mund  ne  est ,  ben  vus  l'os  dire. 

'"'  On  a  supposé,  sur  la  foi  du  prologue  de  cette  opinion,  qui  résulte  d'une  interprétation 

cette  vie  de  saint  Fjdmond,  que  Denis  Piramus  erronée  des  vers  de  Denis  Piramus,  a  été  plus 

était  aussi  l'auteur  du  roman  de  Partonopeus  d'une   fois    réfuléi-  :   voir  Ronuitiia ,  IV,   i48; 

de  Blois  (Hist.  lilt.  delà  l''r.,  XIX,  629).  Mais  Ward,  Cal(d.  of  romances,  I,  700,  etc. 


1.  LEGENDES  EN  VERS.  347 

2.  Poème  envers  octosyliabiques ,  composé ,  comme  le  précédent,  en  Angleterre, 
au  XIII*  siècle,  d'après  Aelred.  Ms.  :  Vatican, /?<"(/.  489.  Fragment  dans  la  publication 
précitée  de  Liiard,  p.  384-  Les  premiers  et  les  derniers  vers  ont  été  imprimés  par 
M.  Ernest  Langlois,  Notices  et  extraits,  XXXIII,  a"  partie,  p.  10.  Premier  vers  : 

Le  tens  aveit  ja  sun  curs  fait. 

3.  Poème  en  vers  octosyliabiques,  composé  en  Angleterre,  xiif  siècle.  Ms.  :  Wel- 
beck,  Bibl.  du  duc  de  Portland,  i  C  1  ,  fol.  56.  Premiers  vers  : 


Al  loenge  le  Creatur, 
Commenc  cest  ovre  et  sa  v.ilur'''. 


ÉlelthÈre,  voir  Leiiire. 


Elisabeth  de  Hongrie  (Sainte). 

1 .  Poème  en  vers  octosyliabiques  par  frère  llobtut  de  Cambligneul.  xiii'  siècle. 
Ms.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  igSSi,  fol.  112.  Edition  :  par  Jubinal,  Œuvres  de  Rutebeuf, 
i™  édit. ,  II,  36o'*'.  Premier  vers  : 

Hoin  qui  sambiance  enformé  a. 

a.  Poème  en  vers  octosyliabiques,  comjiosé  par  Rutebeuf  pour  Isabel,  comtesse 
de  Champagne,  fille  de  saint  Louis,  par  conséq^uent  entre  i255  et  1271.  Edi- 
tion :  Jubinal,  Œuvres  de  Rutebeuf ,  nouv.  édition,  II,  3 10.  Cf.  Hist.  litt.  de  la 
Fr.,  XX,  780. Premier  vers  : 

Cil  Sires  dist  que  l'en  aeure. 

3.  Poème  en  vers  octosyliabiques.  Fin  du  xm' siècle.  Ms.  :  Bruxelles,  Bibl.  roy.de 
Belgique  i0295-3o/j,  fol.  i58  v°.  Extraits  dans  Romania,  XXX,  3io.  Premiers 
vers  : 

Sire  Diex,  plains  de  [grant?]  douçour, 
Fontaine  de  bien  et  d'onnour. 

4.  Poème  en  vers  octosyliabiques,  composé  au  commencement  du  xiv"  siècle  et 
en  Angleterre,  probablement  par  Bozon  (Nicole  Bozon,  frère  mineur?).  Mss.  :  Lon- 
dres, Musée  brit. ,  Cotton,  Domitien  xi,  fol.  99;Welbeck,  Bibi.  du  duc  de  Port- 
land, I  C  I,  fol.  1.  Un  extrait  du  premier  de  ces  manuscrits  a  été  publié  par 
Fr.  Michel,  Rapports  au  Ministre  [Doc.  inéd.),  p.  267.  Premiers  vers  : 

Novelc  chose  '''  en  nostre  verger 
A  nus  se  mustra  avant  lier. 

Éloi  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyliabiques.   xiii"  siècle.   Ms.  :  Oxford,  Bodl.,   Douce  gà, 

'''  Il  existe  de  ce  poème  une  rédaction  en  '"'  Ce  poème  n'a  pas  été  reproduit  dans  la 

prose  conservée  dans  le  ms.  Egerton  -j^b  du        seconde  édition  de  Jul)inal. 
Musée  britannique.  '''   Manuscrit  du  duc  de  Portland  :  rose. 

44. 


348  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

daté  de  129/1;  incomplet  du  début.  Edition  :  Les  Miracles  de  sainl  Eloi,  poème  du 
XI  n' siècle,  publié...  par  M.  Peigné-Delacourt.  Béarnais,  Noyon  et  Paris,  s.  d. 
(1859),  extrait  des  Mém.  de  la  Soc.  archéol.  de  l'Oise,  t.  IV'". 

Etheldreda  ,  voir  Audbke. 

EupHROSYNE  (Sainte). 

Poème  en  laisses  monorimes  de  dix  vers  alexandrins,  composé  probabiemcnidans 
le  Nord  de  la  France,  au  commencement  du  xni°  siècle.  Mss.  :  Bruxelles  92 '29-30, 
fol.  61  v°  [Romania,X\l,  169);  La  Haye,  Bibl.  roy.  265,  fol.  61  \°  [Romania,  XIV, 
i3o);  Oxford,  Bodl.,  Canonici  mise,  -jli,  fol.  87;  Paris,  Arsenal  52o/i,  fol.  87  v°. 
Extraits  dans  P.  Meyer,  Documents  manuscrits  de  l'anc.  litt.  de  la  France,  p.  2()3; 
Recueil  d'anc.  textes,  p.  33/i.  Premier  vers: 

Nove  chançon  vos  dîmes  de  bêle  antiquité. 

EiisTACHE  (Saint)  ou  Placidas. 

1.  Poème  en  laisses  monorimes  devers  alexandrins,  dont  il  ne  subsiste  plus 
qu'un  fragment  contenant  36o  vers,  par  un  certain  Benoit.  Commencement  du 
xiii'  siècle.  Ms.  :  Londres,  Musée  brit.,  Egeiton  i('66. 

2.  Version  envers  octosyllabiques.  Commencement  du  xiii°  siècle.  Mss.  :  Madrid, 
Bibl.nat.,  Fe  i4g  (voir  BaM.  delaSoc.  des  une.  textes  français,  1878,  p.  17);  Paris, 
Bibl.  Sainte-Geneviève,  792,  fol.  111  {\o\r  Romania,  XXUI,  5o3).  Premier  vers  : 

Qui  weult  oïr  sarmon  novel. 

3.  Version  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines,  par  Pierre  (de  Beauvais). 
Commencement  du  xui'  siècle.  Mss.  :  Londres,  Mnsée  brit.,  Egerton  7/15,  fol.  i; 
Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  !35oa,  fol.  76;  fr.  igSSo,  fol.  1;  Moreau  1715,  fol.  i  (ms. 
de  La  Clayette).  Extraits ,  d'après  le  dernier  de  ces  manuscrits ,  dans  Notices  et  extraits , 
XXXIII,  I  "  partie,  p.  6 1 .  Premier  vers  : 

De  diverses  meurs  se  diversent. 

à.  Version  en  vers  octosyllabiques.  xni"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  Phillipps  Cheltenham), 
4i56,  fol.  i3i.  Extraits  dans  Notices  et  extraits,  XXXIV,  i""  partie,  p.  227.  Pre- 
miers vers  : 

Jhesucrist,  par  scinl  Eiistace, 

Nus  tramette  la  sue  grâce. 

5.  Version  en  vers  irréguliers  do  dix  à  douze  syllabes  rimant  deux  à  deux,  faite  en 
Angleterre  p;ir  Guillaume  de  Ferrières.  xni'  siècle.  Ms. :  Bibl.  du  cbapitre  d'York, 
1  6  K  1 3,  fol.  1  o4.  Premiers  vers  : 

Un  riches  hom  estait  en  Rome  jadis. 

Ben  dei  emperor  e  de  mult  fjrand  pris.  * 

<■'  11  y  avait  dans  la  librairie  du  Louvre  une  III,  iSy).  Ce  livre,  aujourd'hui  perdu,  ronfer- 
copie  de  ce  poème  (n°  928  de  l'inventaire  pu-  niait  aussi  les  vies  rimées  de  saint  Quentin  et 
blié  par  M.  Delisle,  Le  Cabinet  des  manuscrits,        de  saint  Julien. 


I.  LKGEXDES  EN  VERS.  349 

6.  Version  en  vers  octosyllahiques  faite  en  Angleterre.  xin'  siècle.  Ms.  :  Dublin, 
Trinity  Collège  D.  4. 1 8,  fol.  ii.  Premier  vers  : 

Au  tens  que  {'estât  de  seintee. 

y.  Version  en  quatrains  de  vers  décasyllabiques.  xiii'  siècle.  Bibl.  nat.,  fr.  i  Sy^, 
loi.  1 65.  Premier  vers  : 

Seignor  et  daines,  entendez  tuit  a  moi. 

8.  Version  en  vers  oclosyllabiques.  xiv' siècle.  Ms.  :  Bruxelles ,  Bibl.  roy.  de  Belgique 
loagS-SoA,  foi.  i65.  Extrait  dans  Romania,  XXX,  3i  i.  Premier  vers  : 

Au  tamps  l'empereur  Traiicn. 

g.  Version  en  sixains  [aabccb).  Il  n'en  subsiste  qu'un  fragment  consistant  eu  un 
feuillet  rogné  qui  sert  de  garde  au  ms.  1 85  de  S.  Jobn's  Coll.,  Oxford,  et  qui  a  été 
publié  par  M.  Stengel  à   l'appendice  de  sa  description   du  ms.   Digby  86  (p.  126- 

lay). 

10.  Version  en  quatrains  de  vers  alexandrins.  Fin  du  xiv' siècle  ou  commence- 
ment du  w'.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  i555,  fol.  97'".  A  été  imprimée  à  la  lin  du 
XV*  siècle  :  voir  Brunet,  Manuel  du  libraire,  b'  éd.,  V,  1  1  8g.  Premier  vers  : 

Tout  mon  {wurpensement  ay  mis  en  biaus  moz  dire. 

1  1 .  Version  en  huitains  de  vers  octosyiiabiques  [abnbbcbc).  Fin  du  xv'  siècle. 
Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2^95 1 .  Premiers  vers  : 

A  l'honneur  du  Père  et  du  Filz  , 

Kt  du  beooict  Saint  Esperit. 

EvRouL  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyiiabiques.  xiv'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  1  9867.  Édition  :  par 
i'abbé  Blin,  Bulletin  de  la  Société  historique  de  l'Orne,  t.  VI,  p.  1 .  Premier  vers  : 

Li  haut  conseil  et  l'ordenance. 

Fanl'EL. 

I^oème  en  vers  octosyiiabiques.  xm°  siècle.  On  en  possède  plusieurs  copies  qui 
dînèrent  considérablement  les  unes  des  autres;  voir  Revue  des  langues  romanes, 
y  série,  XIV,  119;  Romania,  XVI,  216,  236,  XXV,  546;  Bibl.  de  l'École  des 
chartes,  LVI,  682,  LXII,  6o3.  P^dilion,  d'après  un  manuscrit  de  Montpellier,  par 
M.  Chabaneau,  Revue  des  langues  romanes,  3'  série,  XIV,  1  07.  Premier  vers  : 

Dieus  qui  ccst  siècle  {ou  le  monde]  commença. 

''^  Une  autre  copie  du  même  poème  se  trouve  (  n"  97  du  catalogue  dressé  pour  la  vente  de  cette 
dans  un  manuscrit  qui  faisait  jadis  partie  de  la  collection ,  Londres,  1901).  Nous  ne  savons  qui 
collection  Barrois ,  à  Ashburnham  pLice,  n"  4 1 3         s'en  est  rendu  acquéreur. 


350  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Ce  poème,  que  précède  ordinairement  dans  les  manuscrits  une  Histoire  de  Jésus 
cl  de  Marie  dont  il  sera  question  plus  loin  (à  l'art.  Jésus),  conte  la  conception  mira- 
culeuse d'un  certain  Fanuel,  qui,  d'une  façon  non  moins  surnaturelle,  donna  nais- 
sance à  sainte  Anne,  la  mère  de  la  Vierge  Marie.  L'original  de  ce  récit  est  inconnu. 
Le  nom  de  Fanuel  est  emprunté  à  l'évangile  de  saint  Luc  (ii,  36),  où  la  prophé- 
tesse  Anne  (qui  n'est  pas  la  mère  de  la  Vierge)  a  pour  père  Phanuel. 

Fiacre  (Saint). 

Poème  en  huitains  [ababbcbc).  xv"  siècle.  Edition  de  Denys  Meslier,  Paris,  s.  d., 
Bibl.  nat. ,  Réserve,  Ye  819.  Premiers  vers  : 

Tout  ainsi  comme  l'aigle  instniit 
Sespetis  poucins  a  voler'*'. 

Foi  (Sainte). 

Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Simon  de  Walsingham,  moine  de  Bury-Saint- 
Edmond.  Ms.  :  Welbeck,  Bibl.  du  duc  de  Portland  ,  i  G  1 ,  fol.  1 Z17  d.  Premiers  vers  : 

Seignurs ,  vus  que  en  Deu  créez 
E  en  la  fei  estes  fermeez. 

François  d'Assise  (Saint). 

1.  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiii' siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  aogà,  fol.  1. 
Premiers  vers  : 

A  la  loenge  et  a  l'onor 

De  JhesuCrist,  nostre  seignor. 

2.  Poème  composé  en  Angleterre,  xiii'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  1  35o5.  Premier 


vers  ; 


La  grâce  Deu  bien  aparust. 

3.  xiii*  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  1 983 1 ,  fol.  68.  Premiers  vers  : 

Amers  est  [et]  pons  et  passages 
Ue  paradis  ou  chascuns  sages. 

k.  xiv'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2093.  Premiers  vers  : 

Dieu  le  Père,  Dieu  le  Filz,  Dieu  le  S.  Esprit''', 
Qui  tout  a  créé  et  tout  fit. 

Ge.neviève  (Sainte). 

Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  dans  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle  par 
un  certain  Renaut,  qui  se  qualifie  de  clerc,  pour  une  dame  de  Valois,  peut-être  l'une 

'■'  Une  autre  vie  de  saint  Fiacre,  en  fran-  mention  des  première  mots  du  second  feuillet 

cais,  Caisail  partie  de  la  librairie   du   Louvre  suffit  à  montrer  qu'elle  était  différente  de  celle 

{DeMile ,  Le  Cabinet  des   manuscrits,  III,   167,  qu'a  imprimée  Denys  Meslier. 
n"  929).  Les  anciens  inventaires  n'indiquent  '''  Faul-i\  corriger  Dieu  Père  et  Filz  et  Saint 

pas  si  elle  était  en  vers  ou  en  prose.  Mais  la  Esprit  ? 


I.  LÉGENDES  EN  VERS.  351 

des  femmes  de  Charles  de  Valois,  frère  de  Philippe  le  Bel*''.  Mss.  :  Bibl.  nat. , 
lat.  5667,  fol.  35  (voir  Delisle,  Catal.  des  mss.  des  fonds  Libri  et  Barrais ,  p.  208); 
fr.  i35o8;  Sainle-Geneviève,  ia83,  fol.  80  (voir  Ch.  Kohier,  Etade  critique  sur  le 
texte  de  la  vie  latine  de  sainte  Geneviève  de  Paris,  p.  xlviii).  Premier  vers  : 

Ma  dame  de  Valois  me  prie. 

Georges  (Saint). 

1 .  Poème  en  vers  de  sept  syllabes  composé  en  Angleterre,  vers  la  fin  du  xn°  siècle 
ou  au  commencement  du  xiii*,  par  Simund  de  Fresne.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  902, 
fol.  I  08.  Extraits  dans  Zeitschr.f.  roman.  Philologie,  V,  5  i  a.  Premier  vers  : 

Sages  est  qui  sen  escrist. 

1.  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  publié  par  V.  Luzarche  sous  le  nom  de  Wace, 
mais  qui  n'est  pas  de  cet  auteur'^'.  Ms.  :  Tours,  927,  fol.  lij.  Édition  :  La  Vie  de  la 
Vierge  Marie ,  de  maître  fi" ace.  .  .,  suivie  de  la  Vie  de  saint  Georges,  poème  inédit  du 
même  froar^re  (Tours  iSSg),  p.  93.  Premier  vers  : 

Bel  gent  qui  venuz  este  ensemble. 

3.  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiv* siècle.  Ms.  :  Bibl.  Pliillipps,  à  Cheltenham, 
3668  (non  folioté).  Edition  :  par  J.-E.  Matzke,  dans  Publications  of  the  modem 
language  association  of  America,  t.  XVIII  (1 903),  p.  1 58- 1  7  1 .  Premier  vers  : 

De  par  le  tilz  sainte  Marie. 

!i.  Poème  en  huitains  [ababbcbc).  xiv°  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  Nouv.  acq.  fr. 
44 1 2  ,  fol.  k']  i  ■  Premiers  vers  : 

De  saint  George  et  preu  chevalier, 
Pour  le  preu  qui  nous  en  poet  venir, 
Vuell  briefment  sa  vie  rimer. 
Germer  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  par  Pierre  (de  Beauvais)  au  commen- 
cement du  xiii'  siècle.  Ms.  de  La  Clayette ,  p.  1 9  ( Bibl.  nat. ,  Moreau  1715).  Extraits 
dans  Notices  et  extraits,  XXXIII,  1"  partie,  p.  1  2.  Edition  :  par  le  vicomte  de  Caix 
de  Saint-Aymour,  Mémoires  et  documents  pour  servir  à  l'histoire  des  pays  qui  forment 
aujourd'hui  le  département  de  ÏOisc  (Paris,  1 898),  p.  i  73.  Premier  vers  : 

Au  tans  que  Dagoubers  li  rois. 

'''  La  Gallia  chrislianaj  VII,  7^8,  identifie  effet,  une  ancienne  rédaction  en  prose  de  ce 

ce  Renaut  avec  un  prieur  de  Marizi-Sainte-Ge-  poème,  conservée  en  plusieursmanuscrits,  porte 

neviève  qui  devint  chancelier  de  l'abbaye  de  «  La  dame  de  Flandres  »  (  voir  Notices  et  ex- 

Sainte-Geneviève  en   i3o6,    opinion   adoptée  traits,  t.   XXXiV,    1"  partie,   p.   igS).  Cette 

par  M.  Joseph  Petit,  CAar/es  (/e  Ka/ois,  p.  a 3 8.  leçon    serait   préférable,   si,   comme   nous   le 

Mais,  outre  que  cette  identification  est  une  pure  pensons,  le  poème  est  antérieur  à  ia  fin  du 

conjecture,  nous  ferons  remarquer  que  la  leçon  xiu"  siècle. 

«Madame  de  Valois»,   bien    tpe  se  trouvant  '''  Voir  A.    Weber,   dans  Zeitschr.f.  rom. 

dans  les  trois  manuscrits,  est  contestable.  En  Pliii.,  V,  5,S''u 


352  LÉGENDES  HAGiOCJUAPHlQUES  EN  FRANÇAIS. 

Gilles  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques  par  Guillaume  de  BemeviHe.  Fin  du  xii*  siècle. 
Mss,  :  Florence,  Laurentienne ,  Conventi  soppressi  99,  fol.  111  V;  Musée  brit. ,  Hari. 
91a,  fol.  i83  V,  fragment  contenant  les  vers  agyS-SoSy  {Romania,  XXXIII,  95). 
Edition  :  La  Vie  de  saint  Gilles,  par  Guillaume  de  Berneville,  poème  du  xii*  siècle 
publié  par  G.  Paris  et  A.  Bos  (Paris,  1 88 1 ,  Société  des  anciens  textes  français).  Pre- 
mier vers  : 

D'un  dulz  escrit  orrez  la  sume. 

Grégoire  le  Grand  (Saint),  pape. 

1.  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  achevé  en  iiili  parAnger,  moine  de  Sainte- 
Frideswide,  à  Oxford.  Ms. ,  probablement  autographe:  Bibl.  nat. ,  fr.  24766, 
fol.  i53.  Édition  :  par  P.  Meyer,  Romania,  XII,  1  52.  Premier  vers  : 

Descrite  avons,  la  Dé  merci. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  achevé  en  i326.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  914, 
fol.  369;  Evrèux,  franc.  8  (ancien  gS),  fol.  i35.  Edition  (d'après  le  second  de 
ces  mss.)  par  A.  de  Montaiglon,  Romania,  \IU,  5  18.  Premier  vers  : 

Saint  Gregore ,  le  très  noble  homme. 

Grégoire,  saint  apocryphe. 

1.  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xii'  siècle.  Mss.  :  Tours  927,  fol.  109;  Arsenal, 
35i6,foi.  101;  Arsenal,  3527,  fol.  i55;  Bibl,  nat. ,  fr.  i545,  fol.  121;  Musée 
brit.,  Egerton  612,  fol.  76;  Cambrai,  812.  Sur  les  cinq  premiers  de  ces  mss.  et 
leurs  rapports,  voir  Zeitschr.f.  roman.  Philologie,  X,  32  1 .  Édition  :  Vie  du  pape  Gré- 
(joire  le  Grand,  légende  française  publiée  pour  la  première  fois  [d'après  le  ms.  de 
Tours],  par  V.  Luzarche  (Tours,  1857).  Premiers  vers  : 

Or  escotez,  por  Deu  amor, 
La  vie  d'un  l)on  pecheor. 

2.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xiv"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  1707, 
fol.  8.  Édition  :  Légende  de  saint  Grégoire,  rédaction  du  xiv"  siècle  publiée.  .  .  par 
Cari  Fant  (Upsala,  1  887).  Premier  vers  : 

Or  entendes,  seigneurs,  que  Jhesus  vous  beneye! 

Guillaume,  roi  d'Angleterre,  saint  apocryphe. 

1.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Chrestien.  Fin  du  xii"  siècle.  Mss.  :  Cam- 
bridge, Saint  John's  Collège,  B  9,  fol.  55  [Romania,  VIII,  3i6);  Paris,  Bibl.  nat., 
fr.  375,  fol.  24o. Éditions  :  Fr.  Michel,  Chroni(jaes  anglo-normandes ,  III,  39  (d'après 
le  ms.  de  Paris);  W.  Fôrster,  Christian  von  Troyes  sàmtlichc  fVerke ,\\\  2  55  et  suiv. 
(d'après  les  deux  mss.).  Premier  vers  : 

Crestïens  se  vuet  cntremetre. 

2 .  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins.  Fin  du  xin°  siècle  ou  commencement  du 
XIV'.  Mss.  :  Londres,  Musée  brit.,  Add.  i56o6,  fol.  i4o  [Romania,  VI,  37);  Paris, 


I.  J.KGENDES  EN  VERS.  353 

Bibl.  nat.,  fr.  2  4632,  fol.  i.  Edition  (d'après  ie  second  de  ces  mss.)  :  Fr.  Michel, 
ouvr.  cité,  III,  i  yS.  Premier  vers  : 

Por  rccordcr  un  dit  sui  ci  endroit  venuz. 

HiLDEVERT  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques.   xiv°  ou  xv"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2/1 865, 

fol.  90.  Premier  vers  : 

Dieu  le  puissant,  père  de  gloire. 

Ildefonse  (Saint). 

Légende  qui  se  rencontre  en  un  grand  nombre  de  recueils  des  Miracles  de  Notre- 
Dame  en  latin'",  et  a  pris  place  dans  les  recueils  français  dont  l'indication  suit  : 

1.  Dans  les  Miracles  traduits  par  Adgar,  dit  William.  Edition,  d'après  le  nis. 
Edvvardes'-',  fol.  3  v",  par  J.  A.Herbert,  dans  Romania,  XXXII,  /|0i.  Premier  vers: 

En  Tuiette  la  grant  cite, 

2.  Dans  les  Miracles  mis  en  vers  par  un  écrivain  anglais  anonyme.  Ms.  :  Musée 
brit. ,  Roy.  20.  B.  xiv,  fol.  laS.  Premier  vers  : 

En  ia  bone  cité  de  Tuiette. 

3.  Dans  les  Miracles  de  Gautier  de  Coinci.  Nombreux  manuscrits.  Edition  :  Poquet , 
Les  Miracles  de  la  sainte  Vierge,  col.  7 y.  Premier  vers  : 

Un  arcevesqae  ont  a  Tholete. 
Invention  de  la  sainte  Croix,  voir  plus  haut  Croix. 

Jacqijes  le  Majeur  (Saint). 

x\ucune  rédaction  en  vers  de  la  vie  de  ce  saint  ne  nous  est  parvenue,  mais  il 
en  existe  une  rédaction  en  prose  qui  parait  avoir  été  faite  d'après  un  poème  en 
vers  octosyllabiques  actuellement  perdu.  Ms.  :  Arsenal,  35 16,  fol.  61.  Edition: 
par  P.  Meyer,  Romania.  XXXI,  202  et  suiv. 

Jean  l'Aumônier  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques  (environ  y  y  00  vers)  composée  en  Angleterre.  Com- 
mencement du  xni'  siècle.  Ms.  :  Cambridge,  Trinily  Coll.,  R.  3.  46.  Extraits  dans 
Notices  et  extraits ,  XXXVIII  ,292.  Premier  vers  : 

Li  siècle  voit  mult  en  déclin. 

'"'  N°  1 1 7  de  l'Index  miracalorum  B.V.  Marine  ainsi  désigné  parce  qu'il  a  figuré  à  la  vente  des 

publié  par  le  P.  Poncelet  dans  le  tome  XXI  des  livres  de  Sir  Henry  Hope  Edwardes  (  Londres , 

Analecta  Bollandiana.  Christie,   1901).  11  a  été  acquis  à   cette  vente 

'*'  Le  ms.Egerton  6 12,  d'après  lequel  le  recueil  par  un  Ijibliophile  anglais ,  dont  le  nom  ne  nous 

de  miracles  traduit  par  Adgar  a  été  publié  par  est  pas  connu,  qui  a  autorisé  M.  J.  A.  Herbert, 

M.  Neuhaus(voir  ci-dessus  l'art.  Bon),  a  perdu  du  Musée  britannique,  à  en  publier  une  des- 

les  feuillets  où  devait  se  trouver  cette  légende.  criplion    et   des    extraits    (Romania,    XXXII, 

Le  ms.  Edwardes,  qui  nous  l'a  conservée,  est  Sg/i-ZiiS). 

uiST.  irrrÉn.  —  wxui.  45 


354  LKGENDKS  HACJIOdRAPHlQUKS  EN  FRANÇAIS. 

Jean  Baptiste  (Saiiii). 

1.  Vie  en  vers  alexandrins  rimant  deux  à  deux.  Ms.  :  Florence,  Laurentienne , 
(jonventi  soppressi  99,  fol.  i44  (copie  inachevée  renfermant  244  vers).  Edition  : 
(J.  Paris  et  A.  Bos,  La  vie  de  saint  Gilles  (Paris,  1881,  Société  des  anciens  textes 
français),  p.  vj.  Premier  vers  : 

De  saint  Johan  dirai  ço  que  jo  truis  escrit. 

2.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  divisée  en  huit  livres  et  datée  de  1822.  Mss.  : 
Bibl.  nat.,  fr.  2182;  N.  acq.  fr.  ySiS  (ancien  ms.  Ashburnhani,  Appeniix  i55), 
incomplet  des  premiers  feuillets  et  du  dernier.  Premier  vers  : 

Ou  nom  de  Dieu ,  devant  tout  euvre. 

3.  Vie  en  quatrains  de  vers  octosyllabiques  [abah).  xv"  siècle.  Ms.  :  Arsenal, 
649,  fol.  I  i3.  Plusieurs  éditions  gothiques  :  voir  Brunet,  Manuel,  V,  i  192-3.  Cette 
vie  a  été  réimprimée,  d'après  une  édition  de  Jean  Treperel,  par  A.  de  Montaiglon  et 
J.  de  Rothschild,  Recueil  de  poésies  françoises  des  xv'  et  xvi'  siècles,  X,  298.  Pre- 
mier vers  : 

Au  nom  de  la  vierge  Marie. 

Jean  Bocche  d'or  (Saint) '•'. 

Version  en  vers  octosyllabiques  composée  dans  la  première  moitié  du  xni*  siècle , 
parRenaut.  Mss.  :  Arsenal,  35  16,  fol.  -ji  v°;  35 17,  fol.  216;  Arras,  58-.  Publié 
par  A.  Weber,  Romania,  VI,  828,  d'après  le  ms.  35  16  de  l'Arsenal;  cf.  Romania, 
VII,  600,  où  sont  données  les  variantes  du  ms.  35 1  7.  Premier  vers  : 

Se  cil  qui  les  roumans  ont  fait. 

Jean  l'Evangéliste  (Saint). 

1 .  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins.  Commencement  du  xui'  siècle.  Mss.  : 
Arras,  807,  fol.  172;  Madrid,  Bibl.  nat.,  Ee  i5o(anc.  F.  149);  Bibl.  nat.,  fr. 
2089,  fol.  22.  Extraits  dans  Bullet.  de  la  Soc.  des  anc.  tex  tes  français,  1878,  p.  54 
et  61  ;  Romania,  XVII,  387.  Premier  vers  : 

L'autorités  nos  dist  une  raison  por  voir'''. 

2.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Thierri  de  Vaucouleurs,  moine  de  Saint- 
Arnoul  de  Metz.  Première  moitié  du  xm"  siècle.  Mss.  :  Berne,  388,  fol.  1;  Car- 
pentras,  467  (anc.  489).  Extraits  (d'après  le  ms.  de  Berne)  dans  Franz  Thormann, 
Thierri  von  Vaacoalears'  Johannes-Legende  (Darmstadt,  1892).  Premier  vers  : 

A  la  loange  et  a  la  gloire. 

Jean  Paulus  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques.  Première  moitié  du  xiii'  siècle.  Mss.  :  Arsenal, 

'"'  Cette  légende  a   été  intro<liiite ,  comme  '*'  C'est  la  leçon  du  ms.  de  Madrid;  Arras  : 

on  l'a  dit  plus  haut  (p.  345),  dans  le  poème         et  lesnwigne  por  voir;  Bibl.  nat.  :  Salemoiis  disi 
relatif  à  sainte  Dieudonnée.  et  conte  une  ruison  por  voir. 


I.  LKGENDES  EN  VERS.  355 

35i8,fol.  2o3  v°;  Bibl.  nat.,  fr.  i553,  fol.  hii.  Une  courte  analyse  de  ce  poème 
est  donnée  dans  Romania,  VI,  3 29.  Premier  vers  : 

En  Vitas  patram,  .j.  liaut  livre. 

Jésus. 

Nous  rangerons  ici  un  certain  nombre  de  poèmes  qui  retracent ,  soit  l'histoire  com- 
plète du  Sauveur,  d'après  les  Evangiles  ctcertaines  données  apocrv  plies,  soit  des  parties 
de  cette  histoire,  et  particulièrement  les  traductions  plus  ou  moins  libres  des  évan- 
giles de  l'Enfance  et  de  Nicodème.  En  premier  lieu  nous  placerons  une  suite  de  trois 
poèmes  en  vers  octosyllabiqnes,  qui,  d'après  le  caractère  de  la  versification,  peuvent 
être  attribués  à  la  fin  du  \ii' siècle,  mais  qui  ne  sont  pas  nécessairement  du  même 
auteur.  Nous  les  intitulerons  respectivement  Y  Histoire  de  Marie  et  de  Jésiis,  la  Passion, 
la  Descente  de  Jésus  aux  enfers.  On  les  rencontre  ordinairement  copiés  en  série 
continue  dans  les  manuscrits.  Souvent  ils  sont  comme  soudés  ensemble,  sans  qu'aucun 
indice  extérieur,  tel  qu'une  rubrique  ou  une  grande  capitale,  marque  le  passage  de 
l'un  à  l'autre.  Très  fréquemment,  ils  sont  joints  à  d'autres  poèmes  :  à  la  légende 
de  Fanuel ,  qui  en  forme  comme  l'introduction ,  au  poème  de  l'Assomption  de  Notre- 
Dame,  qui  en  est  la  conclusion.  Parfois  d'autres  éléments  sont  introduits  dans  cette 
compilation,  par  exemple  la  version  de  l'évangile  de  l'Enfance,  qui,  en  un  manu- 
scrit de  Grenoble,  a  été  intercalée  dans  l'Histoire  de  Marie  et  de  Jésus. 

Histoire  de  Marie  et  de  Jésas.  Fait  suite,  en  certains  manuscrits,  au  roman  de 
Fanuel.  Commence  à  la  naissance  de  la  Vierge  et  se  poursuit  jusqu'à  l'entrée  de 
Jésus  à  Jérusalem ,  de  façon  à  se  relier  au  poème  de  la  Passion  indicjué  ci-après. 
Nombreux  manuscrits  qui  présentent  des  variantes  de  rédaction  très  considérables 
et  des  interpolations  diverses.  Extraits  dans /iomanm ,  XVI,  44,  218,  237;  XXV, 
55o.  Editée,  d'après  un  manuscrit  de  Montpellier,  sous  le  titre  général  de  Roinanz  de 
saint  Fanuel,  par  M.  Chabaneau,  Revue  des  langues  romanes,  i'  série,  XIV,  178. 
Commence  ordinairement  par  un  prologue  dont  le  premier  vers  est  :  Qui  Dieu  aime 
parjitcment;  mais  dans  certains  manuscrits  (Arsenal,  8201,  et  Musée  Fitzwilliam) 
il  y  a  un  autre  prologue  commençant  par  ce  vers  :  Or  escoutés  (ou  entendes)  por  Dieu 
amor. 

Passion.  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  qui  se  rencontre,  en  des  états  très  diffé- 
rents, dans  beaucoup  de  manuscrits,  et  qui,  en  sa  forme  première,  pourrait  être 
plus  ancien  que  le  poème  précédent,  auquel  il  fait  suite  dans  la  plupart  des  manu- 
scrits. Dans  certains,  il  se  termine  au  crucifiement;  ailleurs  il  se  continue  jusqu'à 
l'ascension.  On  trouvera  l'énumération  de  ces  manuscrits  et  des  extraits  de  plusieurs 
d'entre  eux  dans  Romania,  XVI,  47,  227,  244;  XXV,  55  i;  ]Sotices  et  extraits, 
XXXIV,  1"  partie,  p.  i64.  Un  abrégé  de  ce  poème  est  compris  dans  la  compi- 
lation du  manuscrit  de  Montpellier  que  M.  Chabaneau  a  publiée  sous  le  titre  de  Ro- 
manz  de  saint  Fanuel;  voir  Revue  des  langues  romanes,  à'  série,  XIV,  23o.  Premier 
vers,  selon  diverses  leçons  : 

Oez  moi  trestuit  doucement. 
(Jr  escoutez  mut  doucement. 

iô. 


350  LKGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Seignor,  oiez  moût  doucement. 
Oés  trestuit  iiiout  humblciiiont. 
Oez  trestuit  communément. 

Descente  de  Jésus  aux  enfers.  Ce  poème,  fondé  esscntielietnent  sur  la  seconde 
partie  de  l'évangile  de  Nicodème  [Descensus  Cliristi  ad  inferos^  ne  se  rencontre  ja- 
mais isolément,  mais  fait  toujours  suite  au  précédent,  avec  lequel  il  ost,  dans 
certains  manuscrits,  en  quelque  sorte  soudé.  Il  a  été  introduit  par  Geufroy  de  Paris 
dans  le  second  livre  de  sa  «Bible  des  set  estaz  du  monde»  (Bibl.  nat.,  fr.  i5a6, 
fol.  lia  d).  Les  copies  présentent  des  variantes  très  considérables,  surtout  dans 
la  partie  qui  se  rapporte  à  l'histoire  du  Christ  entre  la  résurrection  et  l'ascension. 

Premier  vers  : 

Or  entendez  selon  l'escrit  [Arsenal,  oaoi). 

Or  cscoutez  qu'en  la  fin  dist  (  Musée  Filzwilliam). 

Or  entendes  tuit  par  amor  [Grenoble). 

Nous  mentionnerons  présentement  les  poèmes  relatifs  à  la  vie  du  Christ,  qui  sont 
restés  indépendants  de  la  compilation  dans  laquelle  sont  entrés  les  trois  poèmes 
ci-dessus  énumérés*".  Nous  n'espérons  pas  en  dresser  une  liste  complète,  ces 
poèmes  ayant  été  fort  nombreux,  et  plusieurs  d'entre  eux  n'ayant  fait,  jusqu'à 
présent,  l'objet  d'aucune  étude'-". 

Evangile  de  l'Enfance. 

1.  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiii°  siècle.  Mss.  :  Grenoble,  i  iSy,  fol.  3a  v°, 
oîi  ce  poème  est  intercalé  dans  Y  Histoire  de  Marie  et  de  Jésus:  Bibl.  Didot,  n°  26  du 
catalogue  de  la  vente  de  1881  ;  Oxford,  Bodléienne,  Selden  supra  38;  Cambridge, 
University  Library,  GG.  1.1,  fol.  7/19  v"'^'.  Extiaitsdans  Romania,  XV,  336;  XVI, 
•i2  1;  XVIII,  1  29.  Premier  vers  : 

Dire  vos  veul  clii  et  retraire. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  au  \ni°  siècle  en  Angleterre.  Ms.  :  Cam- 
bridge, Corp.  Chr.  Coll.  66,  fol.  227,  copie,  peut-être  incomplète,  qui  fait  suite  au 
poème,  indiqué  plus  loin,  sur  la  légende  de  Seth.  Premier  vers  : 

En  ce!  tens  ke  Herodes  saveit. 

Evangile  de  Nicodème.  Trois  versions  en  vers  octosyllabiques. 

I.   Version  de  Chrestien,  composée  au  commencement  du  xiii'  siècle,  el  proba- 


'"'  Toutefois  la  version  de  l'i^aMplo  do 
l'Knfance  fait  partie  de  cette  compilation  dans 
le  ms.  de  Grenoble. 

'*'  Notons  en  passant  que  nous  ne  possédons 
certainement  pas  tous  les  poèmes  qui  ont  jiour 
objet  l'histoire  de  Jésus.  Ainsi,  un  manuscrit 
(le  la  librairie  de  Charles  V  renfemiait,  à  la 
suite  du  «  Trésor  en  prose  »  (  Bi-unet  Latin  )  : 
«  la  vie  Jhesu  (^rist  rymée  que  fist  saint  l\obert  • 
(  I.ibrairie  du  Louvre ,  n°  45a  ;  Delisle,  Lr  Cabinet 
des  mannscrils,  111,  i36).  Saint  Robert  est  très 
probablement    Robert   Grossetête,  évt^que  de 


Lincoln  ,  qui  ne  fut  jamais  canonisé,  mais  qui, 
dans  im  poème  français  composé  en  Angle- 
terre, est  qualifié  de  saint  [Romania,  X\1X , 
54)-  Mais  aucun  des  poèmes  relatifs  i»  Jésus- 
(;hrist  qui  nous  sont  parvenus  ne  porte  le  nom 
(le  cet  (-crivain,  ni  ne  semble  pouvoir  lui  être 
attribué. 

<''  Dans  ie»  mss.  d'Oxford  et  de  Cambridge, 
exécutés  en  Angleterre,  le  texte  est  remanié 
de  façon  que  les  vers  riment,  non  plus  deux 
par  deux,  mais  quatre  par  quatre;  voir  Boma- 
nia ,  XVI,  aai. 


I.  LKGENDES  EN  VERS.  357 

blement  en  Angleterre.  Mss.  :  Florence,  Convenu  soppressi  gg,  fol.  ga;  Bibl.  de 
M.  Mac  Lean,  à  Tunbridge  Wells,  fol.  lo  (voir  Bail,  de  la  Soc.  des  anc.  textes jran- 
çais,  1898,  p.  81).  Edition  (d'après  le  ms.  de  Florence)  :  G.  Paris  et  A.  Bos,  Trois 
versions  rimées  de  l'évangile  de  Nicodèine  (Paris,  i885,  Société  des  anciens  textes 
français),  p.  1.  Premiers  vers  : 

En  l'onur  de  la  Trinité 
Ai  en  curage  et  en  pensé. 

2.  Version  d'André  de  Coutances.  Commencentient  du  xm*  siècle.  Ms.  :  Musée 
brit.,  Add.  10289,  fol.  6^  v".  Édition  :  G.  Paris  et  Bos.  ouvr.  cité,  p  -jh.  Premier 

vers  : 

Seignors,  meslre  André  de  Costances. 

3.  Version  anonyme  composée  en  Angleterre  à  la  fin  du  xm'  siècle.  Ms.  :  Londres, 
Palais  de  Lambeth,  522,  fol.  85.  Édition:  G.  Paris  et  A.  Bos,  ouvr.  cité,  p.  iSg. 
Premiers  vers  : 

En  le  nun  de  la  Trinité , 
TreU  persones  en  unité. 

Histoire  de  Jésus-Christ  jusqu'à  la  Passion  exclusivement.  Poème  en  vers  octosylla- 
biques.  xiii'  siècle.  Mss.  :  Paris,  Arsenal ,  52o4  ,  fol.  1  ;  Bibl.  nat. ,  fr.  9588 ,  fol.  'i-j  v°. 
Dans  ces  deux  copies  le  poème  est  suivi  de  la  Passion  en  vers  octosyllabiques  men- 
tionnée plus  haut.  Le  ms.  de  l'Arsenal  est  précédé  de  cette  rubrique  :  Ci  endroit 
commencent  les  Enfances  nostre  sire  Jhesucrist,  et  parle  premièrement  de  sa  naissance  et 
de  ce  qui  s'en  sait.  Premiers  vers  : 

Or  escoutés  [Ars.  entendez),  si  faites  pais. 
De  Jhesucrist  [Ars.  Damedieu)  et  de  se»  fais. 

La  Nativité  de  Jésus-Christ.  Poème  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines,  qui 
paraît  être  du  Gautier  de  Coinci  (i8'7/i  vers).  Première  moitié  du  xm"  siècle.  Ce 
poème  comprend  l'histoire  de  la  V  iei^e  depuis  sa  troisième  année ,  et  conduit  celle 
de  Jésus  de  sa  naissance  au  retour  de  la  terre  d'Egypte.  Mss.  :  Paris ,  Ai'senal ,  35 1  -, 
fol.  1  10  v°;  Bibl.  nat.,  fr.  22928,  fol.  10;  25532,  fol.  ilik  V  (rubrique  initiale  : 
Ci  commence  la  Nativité  nostre  seigneur  Jhesucrist  et  ses  enfances).  Edition  (d'après  le 
ms.  25532)  par  Reinscli,  Archiv  fàr  dus  Studium  der  neueren  Sprachen,  t.  LXMI, 
p.  2  38.  Premiers  vers  : 

Qui  vient  oïr  la  vérité 
De  la  sainte  nativité 
Jhesucrist,  si  escout  men  conte. 

Histoire  de  Jésus-Christ  après  son  enfance.  Poème  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léo- 
nines qui  fait  suite  au  précédent  et  qui  paraît  être  du  même  auteur.  Mss.  :  Arsenal, 
35 1  y,  fol.  i3i  v"  (rubrique  initiale  :  Chi  commenche  la  Nativité  saint  Jehan  et  li  fais 
Jhesucrist);  Bibl.  nat.,  fr.  25532,  fol.  266  (rubrique  initiale  :  C'est  si  comme  Nostre 
Sires  ala  par  terre].  Premier  vers  : 

Ki  a  voir  dire  met  sentante. 


358  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Histoire  de  Jésus-Christ  jasçiaà  son  baptême  par  saint  Jean  Baptiste.  Poème  en  vers 
octosyllabiques.  xiu'  siècle.  Ms.  :  Vienne,  Bibl.  impériale,  343o,  fol.  89,  où  le 
poème  est  suivi  de  la  Passion  en  vers  octosyllabiques  mentionnée  plus  haut,  p.  355. 
Premier  vers  : 

Entendez,  seigneurs,  un  petit. 

Histoire  de  Jésus-ChrLit.  Poème  en  vers  monorimes  de  dix  à  douze  syllabes,  composé 
au  commencement  du  xin'  siècle  et  en  Angleterre.  Ms.  :  Musée  brit. ,  Cotton ,  Vitellius 
D  m,  dont  il  ne  subsiste  que  des  fragments  très  endommagés,  de  sorte  qu'on  ne 
peut  savoir  quelle  était  l'étendue  de  ce  poème.  On  peut  voir  cependant  qu'il  contient 
divers  éléments  apocryphes  (par  exemple  la  légende  du  bois  de  la  croix).  Extraits 
dans  Romania,  XVI,  2  53. 

Passion.  Poème  en  vers  alexandrins  nionorimes  par  le  prêtre  Herman  de  Valen- 
cit-nnes.  Ein  du  .xii*  siècle.  Ce  poème,  ordinairement  joint  à  la  Bible  en  vers  du 
même  auteur,  se  rencontre  isolément  dans  trois  mss.  :  Londres,  Musée  brit., 
Harl.  2253,  fol.  23;  Egerton  2710,  fol.  112;  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  19525, 
fol.  191  v°"' (voir  Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français ,  1889,  p.  8zj).  Premier 
vers  : 

Mult  par  fu  grant  icele  élection. 

Passion.  Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  au  xiv°  siècle  d'après  les  données 
évangéiiqui's.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  i53/i,  foi.  1  ;  i555,  fol.  iôà\  19186,  fol.  129; 
2/1865,  fol.  1  1  1  ;  Rome,  Vatican,  Reg.  lij'i,  fol.  1.  Premier  vers  : 

Bonnes  genz ,  plaise  vous  a  taire. 

Passion.  Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  en  Angleterre,  xm*  siècle. 
Ms.  :  Cambridge,  Trinity  Collège,  B.  i/i.  39,  fol.  74.  Extraits  dans  Romania, 
XXXII,  38.  Premiers  vers  : 

Seignurs ,  piaist  vus  [a]  esculer 

Cuni  Deus  vint  en  terre  pur  nus  sauver? 

Pas.<iion.  Poème  en  vers  alexandrins  monorimes  par  Nicolas  de  Vérone.  Milieu 
du  xiv' siècle.  Ms.  :  Venise,  Bibl.  Saint-Marc,  ZZ4,  provenant  de  la  bibliothèque 
de  Francesco  Gonzague,  capitaine  de  Mantoue  (voir  Romania,  IX,  5o5),  et  acquis 
en  1893,  par  la  Bibliothèque  Saint-Marr.  Extraits  publiés  par  P.  Meyer  [Romania, 
IX,  006)  et  par  A.  Thomas  [Biblioth.  des  Écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome, 
fasc.  XXV,  p.  2  3).  Premiers  vers  : 

Seignour,  je  vous  ay  ja,  pour  vet's  et  iwur  sentante, 
Contié  maintes  istoires  en  la  langue  de  France. 

'■'  Dans  ces  trois  manuscrits  les  quinze  pre-  traits,  XXXIV,  i"  partie,  p.  199),  dans  le  ms. 

miers  vers  sont  de  dix  syllabes.  Cette  forme  i63'j8  de  ia  même  collection,  etc.  Mais,  en 

a  été  conservée  plus  ou  moins  exactement  en  d'autres  manuscrits,  les  vers  de  dix  syllabes  ont 

plusieurs  des  mss.  où  la  Passion  est  jointe   à  été  convertis  en  vers  de  douze,  par  exemple 

la  Bible,  par  exemple  dans  le  ms.  4i56  de  la  flans  le  ms.  Bibl.  nat.,  i'r.  20089  (fi"''^'"'  ''« 

Bibl.  PhiUipps,  à  Cheltenham  {Notices  et  ex-  la  Soc.  des  anr.  textes  français ,   1889,  p.  83). 


I.  LEGENDES  EN  VERS.  359 

Passion.  Poème  en  vers  décasyllabiques  monorimes,  composé  dans  l'Italie 
du  Nord,  peut-être  par  Nicolas  de  Gasola,  l'auteur  d'un  long  poème  sur  Attila. 
Milieu  du  xi\'  siècle.  Ms.  :  Venise,  Bibl.  Saint-Marc,  cod.  gall.  VI,  daté  de  i37i. 
Edition  :  par  A.  Boucherie,  Revue  des  langues  romanes,  I  (1870),  82,  108,  208. 
Premiers  vers  : 

Après  la  Passe ,  quand  Yhesus  dure  paine 

Doul  e  travaille  sol  por  la  jens  humaine ... 

Job. 

Poème  en  vers  de  six  syllabes,  imitation  très  libre  du  livre  de  Job.  Commencement 

du  xiii'  siècle.  Ms.  :  Arras  807,  fol.  1  -9.  La  copie  est  incomplète  par  suite  de  lacunes 

du  manuscrit.  Ce  qui  en  reste  (SSg  vers)  a  été  publié  dans  la  Romania,  XVII,  889. 

Premiers  vers  : 

La  vie  d'un  saint  honine 
Voel  raconter  par  conte ... 

JosAPHAr,  voir  Barlaam. 

JosEPU,  fils  de  Jacob. 

Vie  en  vers  de  six  syllabes.  Fin  du  xii*  siècle  ou  conmiencement  du  xiii".  Mss.  : 
Bibl.  nat. ,  fr.  2^429,  fol.  gl^  v°;  Nouv.  acq.  fr.  ioo36  (anc.  Barrois  171,  à  Ash- 
burnham  place),  fol.  io5'";  Rome,  Vatican,  Reg.  1682,  fol.  9/1  (E.  Langlois, 
Notices  et  extraits,  XXXIII,  2°  partie,  p.  2o3).  Le  début  dans  Romania,  XXIII,  10. 
Edition:  Die  altfranzôsisclie  «  Histoire  de  Joseph  »...  von  Wilhelm  Steuer  (  Erlangen , 
I  Qo3).  Premiers  vers  : 

D'une  ancienne  esloire 
Vous  veil  faire  mémoire  '*'. 

JossE  (Saint). 

I .  Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  au  commencement  du  xm'  siècle  par 
Pierre  (de  Beauvais).  Ms.  de  La  Clayette  (Bibl.  nat.,  Moreau  1715),  p.  29.  Extrait 
dans  Notices  et  extraits,  XXXIII,  i"*  partie,  p.  1 6.  Premiers  vers  : 

In  nomine  Domini  dit 

La  vie  saint  Joce  et  descrit. 

•i.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  développement  de  la  précédente,  par  un  moine 
de  Saint-Josse-sur-Mer  (Pas-de-Calais).  Fin  du  xiv'  siècle  on  commencement 
du  XV*.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  2101.  EIxtrait  dans  la  notice  et  à  l'endroit  précités. 
Premier  vei's  : 

Raisons  et  volenté  ensemble. 


*''  Ce  manuscrit,  qui  appartenait  jadis  à  Le  Bibliothèque  nationale  et  du  ms.  de  Rome; 

Rouv  de  Lincy,  est  mentionné  dans  l'Hist.  litt.  le  début  du  ms.  Nouv.  actj.  ioo36  est  un  peu 

de  la  Fr.,  |XVIII,  SSy,  note    i.  Il  est  décrit  difierent  : 
dans  la  Bibl.  de  FEc.  des  ch.,  LXII,  601 -4.  Sienor,  or  entendes, 

'''  Telle  est  la  leçon  du  ms.    a^^ag  de   la  Qui  DamelHieu  amés. 


360  LKCIENDES  HAG10(JR APHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

3.  Quatrains  composés  pour  servir  de  légendes  à  une  suite  de  peintures  sur  la 
vie  du  saint.  xv°  siècle.  M.s.  :  Bibl.  roy.  de  Belgique,  logSS.  Premiers  vers  : 

S'ensieul  la  vie  de  saint  Josse, 
Les  miracles  et  les  mérites. 
Judas. 

1  °  Vie  en  vers  oclosyllabiques ,  rédigée  au  xm"  siècle ,  d'après  une  légende  latine  in- 
sérée textuellement,  semble-t-il,  par  Jacques  de  Varazze  dans  la  vie  de  saint  Ma- 
thiasl".  Ms.  :  Turin,  Bibl.  roy.,  L  ii,  i4  (anc.  ms.  fr.  G  i  i.i3),  fol.  Syg.  Edition: 
A.  d'Ancona,  La  leggenda  di  Vergogna  e  la  le(jgendadi  Giuda  (Bologne,  1869,  Scella 
di  cnriosità  letterarie,  dispensa  XCIX),  p.  -yS.  Premiers  vers  : 

Dieus  qui  le  [lis.  de)  scienche  devine 
Les  entendemens  enlumine. 

2°  Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  au  xiii"  siècle  en  Angleterre.  Ms. : 
Oxford,  Bodléienne,  Laud.  mise.  /171,  fol.  1  lii.  Extraits  dans  P.  Meyer,  DocumeaU 
manuscrits  de  l'une,  littér.  de  la  France,  p.  242.  Premier  vers  : 

Seignurs,  pur  Deu,  ça  escutei. 

Julien  L'HosprrALiER ,  ou  de  Brioude. 

Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  par  «  Rogier  »  pour  un  comte  Philippe. 
Fin  du  xii°  siècle  ou  commencement  du  xiii'.  Ms.  :  Arsenal,  35  16,  fol.  84.  Extrait 
dans  Notices  et  extraits,  XXXV,  487.  Edition  par  M.  Ad,  Tobler,  dans  Archivfûr  das 
Studiwn  der  neaeren  Sprachen,  Cil  (1899),  1.  Premier  vers  : 

Cil  troveor  qui  biaus  dis  truevent. 

Julienne  (Sainte). 

1 .  Poème  en  vers  octosyllabiques.  Commencement  du  xiii"  siècle.  Mss.  :  Bruxelles, 
Bibl.  roy.  de  Belgique,  io295-3o4,  fol.  iSy;  Cheltenham,  Bibl.  Phillipps  3668; 
Oxford,  Bodléienne,  Canonici  mise,  -jk,  fol.  63;  Douce  38 1  (fragment);  Paris, 
Arsenal,  35i6,  fol.  iiy  v";  Bibl.  nat.,  fr.  1807,  fol.  i64v°;  2094,  fol.  2o4. 
Extraits  des  deux  manuscrits  d'Oxford  dans  P.  Meyer,  Documents  manuscrits  de 
l'anc.  litt.  de  la  France,  p.  199;  édition,  d'après  ces  deux  manuscrits,  dans  «  Li  ver 
del  jaise  «,  en  fornfransk  predikan,  akademisk  afliandiing  af  Hugo  von  Feilitzeri 
(Upsala,   i883),  appendice  paginé  1-24.  Premier  vers  : 

Or  escotez,  bon  creslïen'*'. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre,  au  commencement 
du  xiv" siècle,  probablement  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  Bozon. 3).  Ms.  :  Musée 
brit.,  Colton,  Domitien  xi,  fol.  .102  v°.  Voir  Fr.  Michel,  Rapports  aa  Ministre  [Doc. 
inédits),  p.  268.  Premier  vers  : 

Ore  escutez  une  eslorie. 
Laurent  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques  composée  en  Angleterre  dans  la  première  moitié  du 
xiii*  siècle.  Mss.  :  Musée  brit.,  Egerton  2710,  fol.  1  48  \^(voir  Bull,  de  la  Soc.  des 

'"'   lA'qcnda  aiirt'ii ,  ch.  xi.v.  On  a  dit  et  ré-  '*•   Le  ms.  Bibl.   nat.    fr.    1807  n    un    pro- 

pété à  tort  qu'elle  avait  pris  place  dans  la  le-         loguc  particulier.   Déliut  :  Diex  de  loin  bicnz 
gende  de  saint  Matliieu.  veille  entreduire. 


I.  I.KGENDES  EN  VERS.  361 

anc.  textes  français ,  1889,  p.  56);  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  igoao,  fol.  1.  Édition;  De 
saint  Laurent,  poème  anglo-normand  du  xii"  sièclo,  publ.  par  Werner  Sôderhjelni 
(Paris,  1888);  cf.  le  même  dans  Mémoires  de  la  Société  néo-philologiqae à Helsingfors , 
(1893),  p.  2  1.  Premier  vers  : 

Maistre ,  a  cest  besoing  vus  dreciez. 

LÉGER  (Saint). 

Vie  en  sizains  de  vers  oclosyliiibiques  (aabbcc).  V  siècle.  Ms.  :  Clermont-Ferrand , 
i8q.  Fac-similé  dans  Les  plus  anciens  monuments  de  la  langue  française  (Société  des 
anciens  textes  français,  187.")),  pi.  --9.  La  bibliographie  de  ce  poème,  souvent 
publié,  a  été  donnée  dans  Ed.  Koschwitz,  Les  plus  anciens  monuments  de  la  langue 
française  (ô'  édition,  Leipzig,  1897),  p.  35.  et  dans  Stengel,  Die  ûltesten  alffran- 
zôsischcn  Sprachdenkmâler  (2'^  édition,  Marburg,  1901),  p.  2  3.  Premier  vers  : 

Domine  De  devemps  iauder. 
I.1EHIBE'"  (Saint). 

Poème  en  vers  alexandrins  à  rimes  accouplées,  xiii"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr. 
2  443o,  fol.  117.  Premier  vers  : 

En  l'ouneur  de  celui  ki  fist  le  lirmament. 

Léocadie  (Sainte). 

Légende  qui  ne  concerne  pas,  à  proprement  parler,  la  vie  de  cette  sainte.  C'est 
l'histoire  de  ses  reliques,  portées  de  Tolède  à  Soissons  par  Louis  le  Pieux,  et  qui, 
volées  en  1219,  furent  miraculeusement  retrouvées  au  bout  de  quelques  jours.  Ce 
récit  a  fourni  à  Gautier  de  Coinci  la  matière  d'un  assez  long  poème  en  vers  octosyl- 
labiques,  publié  par  Méon,  Nouv.  recueil,  I,  270,  et  par  Poquet,  Les  Miracles  de  la 
Sainte  Vierge,  p.  1  i  1  ;  cf.  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XIX,  847.  C'est  la  suite  de  la  légende 
de  saint  Ildefonse  mentionnée  plus  haut.  Premier  vers  : 

Que  de  mémoire  ne  déchoie. 
Leu  (Saint). 

Poème  en  63  quatrains  de  vers  alexandrins,  xiv"  siècle.  Mss.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  1  555, 
fol.  i3o;  1809,  fol.  69.  Premiers  vers  : 

Le  roi  de  paradis,  qui  pour  nous  s'estendy 
En  l'arbre  de  la  crois  au  jour  de  vendredy. 
Llcie  (Sainte), 

Poème  en  vers  octosyllabiques  composé  au  commencement  du  xiv"  siècle  en  An- 
gleterre, probablement  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  Bozon?).  Ms.  :  Musée 
Brit. ,  Cotton ,  Domitien  xi ,  fol.  9 1 .  Premier  vers  : 

De  seinte  Lucie  vus  dirray. 
Magloire  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques ,  composée  en  i3i9  par  Gefroi  des  Nés'"^'.  Ms.  :  Ar- 
senal, 5 122.  Un  fragment  en  a  été  publié  dans  le  Recueil  des  Historiens  de  la  France, 
XXII,  166-1  70.  Premier  vers  : 

David ,  li  glorieus  prophètes. 

'"'  Eleutherius,  évêque  de  Tournai.  —  '''  Appelé  par  erreur  «  Clefroi  de  Metz»  dans  l'Hist. 
liU.de  laFr..  XWII,  187. 

IIIST.  UTTÉR.  WXHI.  A6 


362  LKGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Marguerite  (Sainte). 

On  connaît  de  cette  légende  neuf  versions  rimées,  toutes  en  vers  octosylla biques, 
sauf  les  n°'  a  et  3  de  la  liste  qui  suit  : 

I.  Version  de  Wace.  xii'  siècle.  Mss.  :  Paris,  Arsenal,  35 16,  fol.  cwx  (extraits 
dans  Cahier,  Nouveaux  mélaïujes  d'archéologie,  Paris,  iSyS,  p.  71);  Tours,  927, 
fol.  2o5,  incomplet  du  commencement;  Troyes,  igoS.  Edition  :  La  vie  de  sainte 
Marguerite,  poème  inédit  de  VNace...  par  A.  Joly,  Paris,  1879  (extrait  des 
Mémoires  de  la  Société  des  antiquaires  de  Normandie,  3'  série,  t.  X),  d'après  le 
manuscrit  de  Tours.  Premier  vers  : 

A  l'onor  Deu  et  a  s' aïe. 

a.  Version  en  laisses  de  quatre  à  neuf  vers  alexandrins  monorimes,  composée  en 
Angleterre.  Fin  du  xn'  siècle  ou  commencement  du  xiii'.  Ms.  :  Cambridge,  Bibl. 
de  l'Université,  Ee.  vi.  1  i ,  fol.  i  ;  voir  Romania,  XV,  269.  Edition  :  La  vie  de  sainte 
Marguerite,  an  anglo-norman  version  of  tbe  xui""  century,  now  first  edited  from  the 

unique  ms.  in  the  University  library  of  Cambridge by  Fr.  Spencer,  s.  1.  n.  d. 

(1889).  Premier  vers  : 

Puis  ke  Deus  nostre  sire  de  mort  resucitn. 

3.  Version  anonyme,  en  68  laisses  monorimes  formées,  le  plus  ordinairement, 
de  six  vers  alexandrins,  composée  en  Angleterre,  xni*  siècle.  Ms.  :  Bibl.  du  chapitre 
d'York,  16  K  i3,  fol.  119.  Premier  vers: 

La  vie  d'une  vierge  vus  voil  issi  conter. 

f\.  Version  anonyme  en  (juatrains  de  vers  décasyllabiques ,  composée  en  Angle- 
terre, xiii"  siècle.  Ms.  Edwardcs,  fol.  1  '".  Premiers  vers  : 

A  la  Deu  loenge  e  a  la  sue  gloire 
Faire  vélums  d'une  virgine  mémoire .  .  . 

5.  Version  de  Fouque.  xin"  siècle.  Ms.  de  La  Clayette,  p.  37  (Bibl.  nat.,  Mo- 
reau  1  715).  Extrait  dans  Notices  et  extraits,  XXXHI ,  impartie,  p.  ui.  Premiers 
vers  : 

Après  la  sainte  passion 
Et  après  la  surrection 
De  nostre  maistre  Jhesucrit. 

6.  Version  anonyme ,  peut-être  composée  en  Angleterre,  mu' siècle.  Ms.  :  Bibl. 
nat.,  fr.  198 a 5,  fol.  1I12.  Editions  :  Deux  rédactions  diverses  de  la  légende  de  sainte 
Marguerite  en  vers  français .  .  .  par  Aug.  Scheler,  Bruxelles,  1877,  p.  7"^    (extrait 

t''  Sur  ce  manuscrit,  qui  contient  en  outre  premiers  quatrains  de  cette  Vie  de  sainte  Mar- 
une  partie  des  Miracles  de  la  Vierge  par  Adgar,  guérite  ont  été  publiés  dans  la  Ronuima , 
voir  ci-dessus  l'article  Ii.dkfonsk.  —  Les  trois         XXXII ,  896. 


I.  LEGENDES  EN  VERS.  363 

des  Mémoires  de  l'Acadtmie  d'archéologie  de  Belgique).  La  vie  de  sainte  Marguerite  .  .  . 
par  A.  Joly,  p.  83.  Premier  vers  : 

Escotez,  tote  bone  gent. 

•j.  Version  anonyme,  dont  on  possède  plus  de  cent  copies  du  xui*  au  xv'  siècle, 
et  qui  a  été  notamment  introduite  en  un  grand  nombre  de  livres  d'heures.  Editions 
nombreuses  de  la  fin  du  \v°  siècle  et  du  xvi'  siècle;  voir  Brunet,  Manuel  du  libraire, 
5"  éd.,  V.  Soi.  Editions  du  xviii'  siècle  et  du  xtx'  dans  ia  Bibliothèque  bleue;  voir 
Ch.  Nisard,  Histoire  des  livres  populaires ,  a'  éd.,  II,  167.  Plusieurs  éditions  de  la 
même  version  ont  été  publiées  au  \ix*  siècle  d'après  des  manuscrits,  la  dernière 
dans  La  vie  de  sainte  Marguerite,  poème  de  Wace, .  . .  par  A.  Joly,  p.  99.  Premiers 
vers  : 

Après  la  sainte  passion 

Jesuclirist,  a  l'assencion, 

Quant  il  fu  en  son  (00  ens  ou)  ciel  montés. 

8.  Version  anonyme  en  vers  octosyllabitpies  très  irréguliers  faite  en  Angleterre 
au  XIII*  siècle.  Ms.  :  Musée  brit. ,  Sioane  161  1,  fol.  liy  v°.  Premiers  vers  : 

Qui  cest  escrit  vodra  entendre , 
Par  bel  essample  purra    aprendre. 

9.  Fragment  comprenant  80  vers  octosyllabiques ,  trouvé  el  publié  par  M.  Zin- 
gerle,  Romanische  Forschungen,  VI  (1891),  4i6.  xni'  siècle. 

1  o.  Version  anonyme ,  composée  en  Angleterre ,  probablement  par  Bozon  (le  frère 
mineur  Nicole  Bczonl').  xiv'  siècle.  Ms.  :  Musée  brit.,  Cotton,  Dom.  xi,  fol.  98 . 
Premier  vers  : 

Vus  qui  avez  desirance. 

I  1 .  Version  anonyme,  xiv*  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  Nouv.  acq.  fr.  6352.  Premier? 
vers  : 

Kscoutez  tuit ,  par  tel  couvent 
Que  Dieu  vous  doint  entendement. 

Marie,  mère  du  Sauveur. 

Entre  les  nombreuses  compositions  en  vers  qui  ont  été  consacrées  à  la  Vierge 
Marie ,  on  n'a  admis  ici  que  celles  dont  fobjet  est  de  conter  quelque  partie  de  son 
histoire.  Le  poème  de  Wace  sur  l'établissement  de  la  fête  de  la  Conception,  étant  le 
récit  du  miracle  à  la  suite  duquel  cette  fête  fut  instituée,  au  xi'  siècle,  aurait  pu  être 
omis.  Nous  l'avons  inscrit  sur  notre  liste  parce  qu'il  contient,  outre  ce  miracle, 
riiistoire  de  la  Vierge  jusqu'à  la  naissance  de  Jésus.  Nous  rappellerons  que  Y  Histoire 
de  Marie  et  de  Jésus,  classée  plus  haut  à  l'article  Jéscs,  peut  être  jointe  aux  poèmes 
qui  concernent  l'histoire  de  la  Vierge. 

Conception.  Poème  en  vers  octosyllabiques  par  Wace.  Milieu  du  xii'  siècle. 
Ce  poème  se  compose  de  deux  parties.  La  première  (vers  i  à  170)  est  relative 
à  rétablissement  de  la  fête  de  la  Conception  de  la  Vierge  à  la  suite  d'un  miracle  ac- 
compli au  profit  de  Helsin,  qui  fut  abbé  de  Ramsay,  au  xf  siècle.  L'original  suivi 

i6. 


364 


lé(;km)es  hacio(;r\phiques  en  français. 


par  Wace  est  un  opuscule  latin  attribué, mais  à  tort,  à  saint  Anselme'".  La  seconde 
partie  commence  à  ces  vers 

Biens  est  et  droiz  que  l'en  vos  die 
De  ma  dame  sainte  Marie. 

(éd.  Mancel  et  Trébutien,  p.  9;  éd.  Luzarcbe,  p.  10);  elle  contient  le  récit  de  la 
naissance  de  la  Vierge  d'après  Y  Evangelium  de  nativitale  Mariée ,  et  son  histoire  jusqu'il 
la  venue  au  monde  de  Jésus.  Ce  poème  est  toujours  joint  à  l'Histoire  des  Trois  Maries 
mentionnée  ci-après.  Mss.  :  Cambridge,  S.  John 's  Coll.  B  9,  fol.  1  (iîomania,  VIII, 
3io);  Carpenlras,  k'ji  (anc.  465),  fol.  i35;  Londres,  Musée  brit.,  Add.  j56o6. 
foL  37;  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  818,  fol.  4'''';  iSay,  fol.  1;  19166,101.  186  d; 
•i44'i9  ,  fol.  73;  25532  , fol. 32o;Moreau  1716, p.  i4i  (ms.Noblet  de  La  Clayette); 
Rome,  Vatican,  Re^.  1682,  fol.  58;  Tours,  925,  fol.  61.  B^ditions  :  L'étahiisse- 
ment  de  la  fête  de  la  Conception  Notre-Dame ,  dite  Fête  aux  Normands,  par  Wace... 
publié  par  Mancel  et  Trébutien  (Caen,  1842),  d'après  le  ms.  Bibl.  nat.,  fr.  25532; 
La  vie  de  la  Vierge  Marie  de  maître  Wace . . .  (Tours,  1859),  publiée  par  V.  Lu- 
zarche,  d'après  le  manuscrit  de  Tours.  Premiers  vers  : 

Ou  nom  Dieu,  qui  nos  doint  sa  grâce, 
Oe/.  que  nos  dit  maistre  Wace. 

fr.  25532,  suivi  par  Mancel  et  Trébutien,  les  six  pre- 

Se  aucuns  est  cui  [lis.  qui)  Dieu  ait  chier. 
Sa  parole  et  son  mestier. 


Dans  le  ms.  Bibl.  nat. 
niiers  vers  sont  différents 


Dans  certaines  copies  de  cet  ouvrage  ont  été  intercalés ,  en  totalité  ou  en  partie ,  d'au- 
tres poèmes.  Ainsi,  dans  le  texte  que  nous  offre  le  ms.  Add.  i56o6  du  Musée  bri- 
tannique, ont  été  introduits  le  roman  de  Fanuel  (ci-dessus ,  p.  349),  une  grande  partie 
de  YHistoire  de  Marie  et  de  Jésus  (p.  355)  et  le  récit  de  la  Passion  qui  lui  fait  suite 
en  beaucoup  de  manuscrits  [ibid.).  Ces  interpolations  ont  été  étudiées  dans  un  ar- 
ticle de  la  Romania,  XVI,  2 3 2.  Dans  le  texte  dums.  Noblet  de  La  Clayette  a  été  intro- 
duite une  partie  de  l'Histoire  de  Marie  et  de  Jésus  et  de  la  même  Passion  :  voir 
Notices  et  extraits,  XXXIII,  1"  partie,  p.  49- 

Histoire  des  Trois  Maries  et  Assomption  Nostre  Dame.  Poème  en  vers  octosyllabiques, 
par  Wace,  faisant  suite  à  la  Conception  dans  tous  les  mss.  énumérés  à  l'article  pré- 


'"'  Miracidum  de  conceptione  sanctœ  Mariœ, 
dans  les  œuvres  de  saint  Anselme,  éd.  fierbe- 
ron,  i>.  507;  M  igné.  Pair.  /«/.  ,CLIX,  coI.Sig; 
reproduit ,  d'après  l'édition  de  D.  Gerberon , 
dans  l'appendice  de  la  publication  de  Mancel  et 
Trébutien  citée  plus  loin.  Ce  récit  a  pris  place 
en  plusieurs  recueils  de  miracles  de  la  Vierge 
et  a,  par  suite,  été  plus  d'une  fois  traité  en  vers 
français  :  ainsi,  dans  le  recueil  d'Adgar  (éd. 
Neuhaus,  p.  i36),  dans  celui  de  Gautier  de 
Coinci  (éd.  Poquet,  col.  5i5),  etc. 


'''  Dans  ce  manuscrit  le  poème  est  suivi 
d'une  courte  composition  en  148  vers  octo- 
syllabiques sur  l'établissement  de  la  fête  de 
la  Nativité  de  la  Vierge.  Ce  poème,  dont  les 
premiers  vers  sont  :  A  la  Jhesii  beneïçon ,  Vous 
ai  dit  la  Conception ,  ne  saurait  être  attribué  à 
Wace;  il  semble  plutôt,  d'après  les  rimes, 
avoir  été  composé  dans  le  Lyonnais,  pays  où 
le  ms.  818  a  été  exécuté.  Il  a  été  publié  par 
R.  Reinsch ,  Die  Pseiido-Erangelien  von  Jesn  iind 
Maria' i  Kindheit,  p.  31. 


I.  LKGBINDES  EN  VERS. 


365 


cèdent  (éd.  Mancel  et  'rrébulien,  p.  Sa;  éd.  Luzaiche,  p.  56).  Mais  de  plus,  il  se 
trouve,  sans  l;i  Conception  ,  dans  les  mss.  ci-après  indiqués  :  Oxford,  University  Coll. 
loo,  fol.  loo;  Paris,  Arsenal,  35 16,  fol.  52  (rubrique  :  De  la  mort  l\ostre  Dame); 
Bibl.  nat.,  lat.  5ooi,  fol.  ii-j  (le  début  seulement'");  fr.  aSZiSg,  fol.  i88  v"  (voir 
Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français,  189g,  p.  02  ).  Dans  les  trois  derniers  de  ces 
manuscrits  le  poème  est  précédé  d'un  prologue  commençant  par  ce  vers  : 

Gace  ai  nom  qui  fas  cest  escrit. 

(Mancei  et  Trébutien,  p.  5^  ;  Luzarcbe,  p.  56)'"'".  Dans  le  ms.  d'Oxford,  le  prologue 
manque;  le  poème  commence  ainsi  :  Parleram  a  la  Deu  aïe  (cf.  Mancei  et 
Trébutien,  p.  53;  Luzarcbe,  p.  ôy).  La  seconde  partie  de  ce  poème,  L'Assomption, 
ou,  selon  la  rubrique  de  certains  manuscrits,  Le  Trespassement  Nostre  Dame,  se 
rencontre  en  deux  rédactions  d'inégale  étendue.  La  plus  longue  est  la  rédaction 
originale;  la  plus  courte  en  est  l'abrégé.  Voici  le  début  de  l'une  et  de  l'autre  : 


HEDACTIOX  Oni(;iNAI,E. 

L'autre  an  après  la  passion, 

Elsteit  Nostre  Dame  a  maison , 

Sole  en  un  lieu  privcement. 

Si  prist  a  piorer  tendrement 

Por  amor  et  por  desirier 

De  son  dois  iils,  qu'eie  ot  tnni  chier. 

Por  dezirrier  del  rei  altisme 

Se  dementeit  a  sei  meïsme  : 

t  Molt  vosisse ,  se  Dieu  pleiist , 

«  Que  dès  or  mais  me  receûsi  ; 

«Forment  désir  que  j«  la  fusse 

«  Ou  je  mon  fil  veeir  pciisse. 

«Biaus  sire  fius,  regarde  niei, 

«  Fai  que  puisse  estre  avecque  tel , 

«  La  ou  tu  es ,  en  paradis 

«  Que  tu  promèz  a  tes  amis.  » 

(Ms.  (le  Tours,  éd.  Liizarriie,  p.  (>i 


REDACTION   ARHEUEE. 

Après  la  sainte  passion 
Estoit  Nostre  Dame  en  maison , 
En  Nazareth ,  la  ou  fu  née , 
Molt  coiirechie  et  esplorée. 
Pour  le  désir  del  roi  liautisme 
Se  dementoit  a  li  meïsme  : 
«  Forment  désir  que  je  la  lusse 

•  Ou jeu  mon  fil  veoir  peûsse, 

•  La  ou  il  est,  en  paradis 

«  Que  il  proumet  a  ses  amis.  » 

(Ms.  (lu    Musée  Fitzwilliam,  Cambridge; 
Ttomanm ,  XXV,  554.) 


P). 


La  première  de  ces  deux  rédactions  est  celle  que  l'on  trouve  ordinairement  à  la 
suite  de  ï Histoire  des  Trois  Maries,  qui  est,  comme  on  l'a  vu  plus  baut,  précédée  d'un 
prologue  au  début  duquel  Wace  se  nomme.  Elle  se  rencontre  aussi  isolément  ou  à  la 
suite  d'autres  poèmes ,  par  exemple  dans  les  mss.  Bibl.  nat.,  fr.  1  807,  fol.  1  7/1  ;  28  1  5 , 


'"'  Le  manuscrit  est  incomplet  :  il  ne  reste 
du  poème  que  les  45  premiers  vers,  écrits  à 
longues  lignes  au  verso  du  dernier  feuillet. 

'''  Il  convient  de  rectifier  ici  ce  qui  a  été 
dit  dans  Notices  et  extraits ,  XXXUI ,  1  "  partie , 
p.  44  et  48 ,  où  l'on  a  émis  l'hypollièse  que  le 
poème  qui  conte  l'histoire  des  Trois  Maries  et 
l'Assomption  de  Notre-Dame  n'était  pas  de 
Wace.   On  avait,  à  tort,   considéré  le  vers  où 


Wace  se  nomme  comme  appartenant  à  l'épi- 
logue de  la  Conception ,  tandis  qu'il  commence 
le  prologue  de  l'Histoire  des  Trois  Maries.  En 
réalité,  les  deux  poèmes  sont  indissoluble- 
ment liés  :  le  prologue  du  second  contient  un 
résumé  du  premier. 

'''  Nous  introduisons  çà  et  là  dans  le  texte 
de  Luzarche  quelqiies  légères  corrections 
d'après  d'autres  manuscrits. 


366  I.KGENDES  IIAGIOGRAPHIQUKS  EN  FRANÇAIS. 

fol.  iig;  Grenoble,  iiSy,  fol.  120  [liomania,  XVl,  -l'io).  Quant  ix  la  rédaction 
abrégée,  nous  ne  l'avons  jamais  rencontrée  isolée;  le  plus  souvent,  elle  fait  suite  au 
poème  delà  Passion  indiqué  ci-dessus,  p.  355;  voir  Romania,  XVI,  55;  XXV,  554; 
Notices  et  extraits ,  XXXlll ,  1"  partie,  56. 

La  Généalogie  Nostrc  Dame.  Poème  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines,  où 
il  est  traité  sommairement  de  sainte  Anne,  des  trois  Maries  et  de  la  naissance  de  la 
Vierge.  Paraît  être  de  Gautier  de  Coinci.  Première  moitié  du  xiu"  siècle.  Mss.  :  Paris, 
Arsenal  35 1  7,  fol.  5  ;  Bibl.  nat. ,  fr.  22928,  fol.  1 .  Extraits,  d'après  ce  dernier  manu- 
scrit, dans  R.  Reinsch,  Die  Pseiido-Evangelien  von  Jesn  nnd  Maria's  Kindheit,  p.  76. 
Premier  vers  : 

Ki  a  voir  dire  peine  met. 

La  Nativité  Nostrc  Dame.  Poème  en  vers  octosj^llabiques  à  rimes  léonines 
(944  vers),  qui  paraît  faire  suite  au  précédent ,  dont  il  est  séparé,  dans  le  ms.  35  1  7 
de  l'Arsenal ,  par  le  premier  livre  des  Miracles  de  Gautier  de  Coinci ,  et  qui  doit 
être  attribué  à  cet  auteur.  Il  reproduit  en  substance  le  Pseudo-Matthœi  Evangelinm. 
Première  moitié  du  xiii"  siècle.  Mss.  :  Paris,  Arsenal,  35 17,  fol.  io5;  Bibl.  nat., 
fr.  22928, fol.  3v";  25532,  fol.  227.  Edition  :Reinsch,  dans  Archiv  fur das Stndinni 
der  neueren  Sprachen,  t.  LXVII,  p.  85.  Premiers  vers: 

Oez  tuit  la  première  livstoire 
De  Nostre  Dame,  qui  i>st  voire. 

Le  Mariaye  Nostre  Dame.  Sous  ce  titre  on  trouve,  dans  les  mss.  Bibl.  nat.  fr.  /J09, 
fol.  1  à  1  1 ,  et  22928,  fol.  3,  un  poème  en  vers  octosyllabiques  où  est  narrée  l'his- 
toire de  la  Vierge  depuis  la  salutation  angélique  jusqu'à  la  naissance  de  Jésus  et 
(jui  se  termine  par  l'histoire  des  trois  Maries.  Les  /j  1  5  premiers  et  les  cjuatre  derniers 
vers  de  ce  poème,  qui  en  compte  1  32  2 ,  ont  été  publiés  d'après  le  ms.  fr.  409 ,  par 
R.  Reinsch,  Die  Psendo-Evangelien  von  Jesn  nnd  Marias  Kindheit,  p.  78  et  suivantes. 
Cette  composition  n'est  qu'un  extrait  de  l'Histoire  de  Marie  et  de  Jésus  raentioiméc 
ci-dessus  (art.  Jésls).  Le  morceau  publié  par  Reinsch  se  retrouve  parmi  les  frag- 
ments de  cette  histoire  mis  au  jour,  d'après  le  ms.  Bibl.  nat.  fr.  1  553,  par  le  même 
savant,  p.  44  et  suiv.  de  l'ouvrage  précité.  Premiers  vers  :  . 

En  l'ouneur  Dieu  et  en  mémoire 
De  la  haute  dame  de  gloire. 

L'Assomption,  par  Herman  de  Valenciennes.  Poème  en  laisses  monorimes  de  vers 
alexandrins.  Fin  du  xn"  siècle.  Nombreux  mss.;  voir  Romania,  XV,  3o8;  Notices  cl 
extraits,  XXXIV,  i"  partie,  p.  208;  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  1889, 
p.  9  I  ;  1 894  «  p.  49.  Premier  vers  : 

Seignor,  or  escotez,  que  Deus  vos  beneïe. 

L'Assomption.  Poème  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines,  qui  paraît  être  «le 
Gautier  de  Coinci.  Première  moitié  du  xni'   siècle.  Mss.  :  Paris,  Arsenal,    3517, 


I.  LKGENDES  EN  VERS.  367 

lof.  l'ji;  Bibl.  nat. ,  fr.  aSSSa,  l'ol.aSS.  Le  début,  d'après  ce  dernier  manuscrit , 
dansReinsch,  Pseado-Evangelien ,  p-  S^.  Premiers  vers  : 

Ki  vieut  oïr  vers  moi  se  traie. 
Car  en  propos  ai  que  retraie 
L'Assumption  de  Nostre  Dame. 

Le  Treapas  Nostre  Dame.  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiv"  siècle.  Ms.  :  Arras , 
•j'ii  (écrit  en  i^ya).  Premier  vers  : 

Très  douches  gens,  or  entendes. 

Maries  (Les  Trois). 

Outre  le  poème  de  Wace  indiqué  plus  haut  (p.  364),  il  existe  sur  les  trois  Maries, 
lilles  de  sainte  Anne,  mais  de  pères  dill'érents  (la  vierge  Marie,  Marie  fille  de  Cléo- 
phas,  et  Marie  fille  de  Salomé),  deux  poèmes  : 

1.  Poème  de  cent  quatorze  vers  octosyllabiques,  par  Pierre  (de  Beauvais). 
Commencement  du  xui'  siècle.  Voir  Notices  et  extraits,  .\XX11I,  T  partie,  p.  /lô. 
Premier  vers  : 

Pierres  qui  fist  de  Charlemenne. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabitpies ,  par  Jean  de  Venette,  achevé  en  iSSy.  Mss.  : 
Bibl.  nat.,  fr.  i53i,  i532,  12/168,  243 1  1  '".  Imprimé  plusieurs  fois  depuis  i5i  i 
jusqu'au  xvii'  siècle.  Voir  Sainte-Palaye ,  Mém.  de  l'Acad.  des  inscr.,  XIII  (ly/jo), 
."iao;  Brunel,  Manuel  du  libraire,  sous  Venette  (Jehan).  Premier  vers  : 

Un  ami  ai  droit  a  Paris. 

Marie  l'Égyptienne  (Sainte). 

On  connaît,  sur  ce  sujet,  quatre  poèmes  en  vers  octosyllabicpies  : 

1.  Poème  composé  à  la  fin  du  xii*  siècle,  en  Angleterre,  par  Adgar.  Ms.  :  Lon- 
dres, Musée  brit.,  Egerton  61  a,  fol.  89.  Edition  :  Adgar  s  Marienlegenden .  .  .,  hgg. 
von  C.  Neuhaus  [Altfranzôsische  Bibliothek ,  Heilbronn),  p.  194.  Premiers  vers  : 

Ci  tmis  escrit  la  sainte  vie 
De  la  Egyptienne  Marie. 

2.  Commencement  du  xiii' siècle.  Mss.:  Berlin,  Bibliothèque  du  Musée  royal 
(fragment''^');  Londres,  Musée  brit.,  add.  366i4,  fol.  271  v"  (ancien  Barrois  1)'"; 
Oxford,  Bodléienne,  Canonici  mise.  74,  fol.  89;  Corpus  Chr.  Coll.  232  ;  Paris,  Ar- 
senal, 35 16,  fol.  ii3  v°;  Bibl.  nat. ,fr.  igSaS,  fol.  i5;  23ii2,  fol.  325.  Publié 
d'après  le  ms.  de  Coi-pus,  par  Cooke,  à  la  suite  du  Château  d'amour   de    Robert 

'''  U  y  avait  dans  le  fonds  Barrois,  à  Ash-  publié  par  M.  Tobler,  dans  les  Comptes-ren- 

burnham  place,  un   manuscrit  de  ce  poème,  dus  de  l'Acad.  des  sciences  de  Berlin  (classe  de 

n"  464  du  catalogue  imprimé  pour  lord  Ash-  philosophie  etd'histoire)  LXIII  (lyoS), 967-9. 

imrnhani,  n"6o2  du  cataloguede  vente(igoi).  '''  Ce  manuscrit  présente  une  rédaction  par 

Nous  ignorons  où  il  se  trouve  actuellement.  ticulière  pour  les  premiers  et  les  derniers  vers  : 

'*'  Ce  fragment ,  rapporté  de  Damas ,   a  été  Premier  vers    :   Tôt  H  home  et  Mes  les  femes. 


368  LKGENDKS  HAGIO(;RAPHIQlJI':S  EN  FRANÇAIS. 

Grosseteste  (Caxton  Society).  A  été  mis  en  prose'",  traduit  i-n  espagnol'*',  et  para- 
phrasé en  vénitien'^'.  Premier  vers  : 

Seignor,  oiez  une  raison. 

3.  Par  Rutebeuf.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  SSy,  fol.  3  16;  i635,  fol.  71.  Édition  : 
.lubinal,  Œuvres  de  Rutebeaf,  nouv.  éd.,  II,  2  63;  Kressner,  Rustebuef's  Gedichte, 
p.  a  a  3.  Cf.  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XX,  181.  Premier  vers  : 


(«) 


Ne  puet  venir  trop  tari  a  oevre 

/j.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre  dans  la  seconde  moitié 
du  xiii"  siècle.  Ms.  :  Londres,  Musée  brit. ,  Roy.  20  B  xiv,  foi.  1  19.  Premier  vers  : 

Or  entendez ,  pur  Deu  omur. 

Marie-Madeleine. 

1.  Vie  en  couplets  de  cinq  alexandrins  monorimes,  composée  en  Angleterre,  au 
xui'  siècle.  Ms.  :  York,  Bibl.  du  Chapitre,  16  K  i3,  fol.  128.  Le  manuscrit  est 
incomplet  :  il  ne  reste  plus  (pie  quarante-deux  vers  de  cette  vie.  Premier  vers  : 

Seignui's  ke  Deu  amez ,  en  lui  aiez  fiance. 

2.  Vie  eu  vers  octosyllabiques  composée  en  Angleterre  au  commencement  du 
xiv°  siècle,  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  Bozon?).  Ms.  :  Londres,  Musée 
brit.,  Cotton,Domifienxi,  fol. 92.  VoirFr.  Michel,  Rapports  au  Ministre  {Doc.  inéd.) , 
]).  2fi5.  Premier  vers  : 

Confort  est  al  peclieûr. 

3.  Vie  en  quatrains  de  trois  vers  de  dix  syllabes  et  d'un  d(>  (|uatre  [aaab  bbba,  etc.). 
xiv'  siècle.  Mss.  :  Besançon,  ioà,ki.  1 65;  Archives  des  Basses-Pyrénées,  nis.  10. 
Premier  vers  : 

Or  escoutés ,  vous  qui  solez  pechier. 

Un  épisode  de  cette  légende  a  été  traité  à  part  :  le  miracle  opéré  par  l'inter- 
cession de  Marie-Madeleine  en  favevu-  du  seigneur  de  Manseille'^',  qui,  du  reste,  se 
rencontre  aussi  à  part   en   latin.  On  en  connaît  deux  rédactions   en  vers  : 

I.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  par  Guillaume,  clerc  normand.  Commence- 
ment du  xiii' siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  19525,  fol.  65:  Welbeck,  Bibl.  du  duc 
de  Portiand,  i  C  1,  fol.  5o  c.   Editions,   d'après  le  premier   de   ces   manuscrits: 

'■'  Notices  et  extraits,  XXXV,  Aga.  '*'  M.  Mussafia  a  montré  (ouvr.  cite,  p.  173) 

'''   Mussafin,  Ufb^r  die  Quelle  d.  aUspanisclien  que,  depuis  levers  SyS  environ  (le  poème  en  a 

«  Vida  de  S.  Maria  Egipciaca  »,  Comptes  rendus  1 396  ) ,  Rutebeuf  a  imité  de  très  près  la  version 

des  séances  de  l'Académie  de  Vienne ,  classe  de  précédente. 

philosophie  et  d'histoire,  t.  XLIII  (1863).  '"'  Voir  sur  ce  miracle  Hist.  litt.  de  la  lu: , 

'")  Romaniu ,  XII ,  407-8.  XXXIl ,  96 ;  Notices  et  extraits,  XXXVI ,  87. 


1.  LKGENDES  EN  VERS.  369 

Ad.  Schniidt,   Rowanische  Stmlien,  IV,  523;  R.  Reinsch,  Archiv  f.  das  SUulmni  d. 
ncneren  Sprachen,  LXIV,  87.  Premiers  vers  : 

Après  ceo  que  nostre  seigiior 
Jhesucrist,  le  veir  sauveor. 

2.  Fragment  consistant  en  treize  sizains  rimant  aab  aab,  les  vers  a  de  huit  syl- 
labes, les  vers  b  de  quatre.  Conservé  dans  un  ms.  de  Trêves,  du  xiri°  siècle,  publié 
en  dernier  lieu  par  G.  Doncieux,  Romania,  XXII,  266. 

Marine  (Sainte). 

Poème  en  vers  octosyllabiques.  Fin  du  xiii"  siècle.  Mss.  :  Bruxelles,  Bibl.roy.  de 
Belgique,  loago-Soi,  fol.  128  [Romania,  XXX,  Sog);  Rome,  Vatican,  Reg.  1728, 
fol.  io5.  La  seconde  de  ces  copies  a  été  publiée  en  extraits  par  Ad.  Keller,  Romvart, 
p.  6o5,  et  en  entier  par  M.  L.  Clugnet,  Revue  de  V Orient  chrétien,  igoS.  Premier 
vers  : 

Moult  e&t  folz  qui  son  uinbin  chace. 

Marthe  (Sainte). 

Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre,  au  commencement  du 
xiv*  siècle,  jirobablement  par  Bozon  (le  frère  mineur  Nicole  Bozon  ?).  Ms.  :  Londres, 
Musée  brit. ,  Cotton ,  Domitien  xi,  fol.  97.  Voir  Fr.  Michel,  Rapports  au  Ministre 
[Doc.  inéd.),  p.  267.  Premiers  vers  : 

Beu  seigneurs,  ki  [vus]  délitez 
Noveles  oyer  de  estrangetez. 

Martin  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques  par  Péan  (Paien)Galineau,  chanoine  de  Saint-Martin  de 
Tours.  Ms.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  1 06  3  ,  fol.  1  '".  Éditions  :  La  vie  de  monseiçjneur  saint  Martin 
de  Tonrs,  par  Péan  Gatineau.  .  ..publiée  par  fabbé  Bourassé  (Tours,  1860,  publi- 
cation de  la  Société  des  bibliophiles  de  Touraine'-');  Leben  and  fVanderthaten  des 
heiligen  Martin.  .  . ,  von  Péan  Gatineau,  hgg.  von  W.  Sôderhjelm  (Stuttgart,  1896); 
Dos  altfranzôsische  Martinsleben  des  Péan  Gatineau  aas  Tours ,  neue  nach  der  Hand- 
schrift  revidierte  Ausgabe,  von  W.  Sôderhjelm  (Helsingfors,  1899).  Premier  vers  : 

Ocz  trestuit  un  novau  conte. 

Mathurin  (Saint). 

1.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Jean,  prêtre  de  Larchant  (632  vers).  Fin  du 
xiii'  siècle.  Ms.  :  Londres,  Musée  bril.,  Add.  17278,  fol.  128.  Extraits  dans  Notices 
et  extraits,  XXXVI,  458.  Premier  vers  : 

Cil  Dieu  qui  n'ot  commencement '''. 

2.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  composée  en  1  489  par  un  autre  Jean,  prêtre  de 
Larchant.  Cinq  éditions,  sans  date,  publiées  de  ,1 525  environ  à  1  600.  Edition  faite 

<■'  Ce  manuscrit  a  fait  partie  de  la  librairie  '''  Cette  publication  n'est  que  partielle, 

du  Louvre  :  n°  968   de  l'inventaire  publié  par  '''   Dans  cette  légende,  le  saint   est  appelé 

M.  De\h\e,  Le  Cabinet  des  manascrils,  lll,  ibS.         Mathelin.      ,  „  ,...,,. 

HIST.  LITTÉR.  —  XUni.  4  7 


370  LEGKNDKS  HAGIOGRAPHIQUES  KN  FRANÇAIS. 

d'après  les  précédentes  par  A.  de  Montaiglon  et  J.  de  Rothschild,    Recueil  de  poésies 
Jrançaùes  des  xv'  et  xri'  siècles,  XII  (1877);  347.  Premier  vers  : 

En  l'honneur  de  sainct  Mathui-in. 

Melaine  (Saint). 

Fragment  trouvé  dans  une  ancienne  reliure,  et  consistant  en  trente-deux  qua- 
trains de  vers  octosyllabiques  {abab).  Edition  :  A.  Angot ,  Deux  vies  rythmées  de  saint 
Melaine  à  l'usage  de  l'éfilise  de  Laval,  dans  la  Revue  du  Maine.  XXXVI,  1  70  '". 

MoDWENNE  (Sainte). 

Vie  en  quatrains  de  vers  octosyllabiques,  composée  en  Angleterre  vers  le  commen- 
cement du  X m' siècle.  Mss.  :  Oxford,  Bodléienne,  Digby  34;  Weibcck,  Bibl.  du  duc 
de  Portland,  1  G  »  ,  fol.  i56  d.  Un  morceau  du  premier  de  ces  manuscrits  a  été 
publié  par  M.  H.  Suchier,  Ueber  die  Mattliaeus  Paris  zugeschriebene  «  Vie  de  seint 
Auban  "(Halle,  1876),  p.  54-58.  Premier  vers  : 

Oez,  seignurs,  pur  Deu  vus  pri. 

Moïse  (Saint),  ermite  de  la  Thébaide. 

Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins  tirée  d'un  poème  composé  au  commencement 
du  xin"  siècle,  dans  le  pays  de  Liège,  et  connu  sous  le  nom  de  Poème  moral.  Les  mss. 
sont  indiqués  dans  la  préface  de  l'édition  de  ce  poème,  publiée  en  1886  par 
M.  W.  Cloetta  dans  le  tome  III  des  Romanische  Forschungen.  La  vie  de  saint  Moïse 
commence  avec  le  quatrain  27  du  poème.  Premier  vers  : 

Uns  hoiii  i'u  d'Elyope  qui  Moyses  ot  nom. 

Nicolas  (Saint). 

I.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  VVace.  xii"  siècle.  Mss.  :  Cambridge,  Trinity 
Coll.  B  i4.  39,  fol.  48;  Oxford,  Bodléienne,  Douce  270,  fol.  91  v°;  Digby  86, 
fol.  i5o;  Paris,  Arsenal,  35  16,  loi.  69;  Bibl.  nat. ,  fr.  902,  fol.  1  17.  Éditions  : 
Monmerqué,  Li  jus  saint  ISicolai  [Paris.  i834,  Société  des  bibliophiles  françois), 
p.  3oi  ,  d'après  les  deux  mss.  de  Paris;  M.  Delius,  A/ai.f/re  fVace' s  S' Nicholas  {Bonn , 
i85o),  d'après  les  deux  mss.  d  Oxford.  Extraits  du  ms.  de  Cambridge  dans 
Romania,  XXXII,  24.  Voir  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XVII,  63  1.  Premier  vers  : 

A  ceu»  qui  n'uni  letres  aprise». 

•1.  Vie  en  vers  octosyllabiques.  xni"  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  i555,  fol.  i34- 
Premier  vers  : 

Or  escoutez,  grans  et  inenour. 

O.NUPHKE  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques,  xv'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  24953,  fol.  q.  Pre- 
mier vei-s  : 

En  nom  de  Dieu  prcmieremont. 

''1  La  seconde  de  ces  vies,  qui  n'est  aussi  chaque  couplet  est  suivi  d'un  verset  de  l'Ex-clé- 
qn'un  fragment  trouvé  dans  les  mêmes  cir-  sinstique,  en.  xi.vin,  (|ui  fait  partie  de  l'olTice 
constances,    est    plutôt    un     cantique,    dont         des  Confesseurs. 


.  I.  LEGENDES  EN  VERS.  371 

Opportune  (Sainte). 

Vie  en  vers  octosyllabiques.  Edition  gothique  (8  iF.  ;  Paris,  s.  d.).  Voir  H.  Har- 
risse,  Excerpta  Coloinbiniaiia ,  n"  ^i^\.  Premier  vers  : 

Ainsi  qu'ez  saincts  livres  on  iist. 

OsiTHA  (Sainte). 

Vie  en  vers  octosyllabiques.  composée  en  Angleterre,  mu"  siècle.  Ms.  :  Welbeck, 
Bibl.  du  duc  de  Portland,  i  C  i ,  fol.  i  3/j  b.  Premiers  vers  : 

Ceo  nus  mustre  seinte  Escriptiire 
Bon  fet  ki  met  en  Deu  sa  cure. 

Patrice  (Le  Purgatoire  de  saint). 

On  possède  sept  versions  en  vers  français  de  l'ouvrage  de  Hugues  de  Saltrey,  De 
piirgatorio  sancti  Patricii.  Toutes  sont  en  vers  octosyllabiques,  excepté  le  n°  6.  La 
version  y  a  été  faite  en  France,  et  probablement  aussi  la  version  6.  Les  autres  ont 
été  composées  en  Angleteire. 

1.  Version  de  Marie  de  France.  Fin  du  mi' siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  25407, 
fol.  lOQ.  Editions:  Poésies  de  Marie  de  France,  publ.  par  B.  de  Roquefort  (  i83a), 
II,  Al  i;  L'Espargaloire  de  saint  Patriz  of  Marie  de  France.  .  .  .  ,  by  Th,  A.  Jenkins 
(Philadelphia,  189/1;  2*  éd.,  Chicago,  igoS,  dans  le  tome  VU  des  Decennial  Publi- 
cations de  l'Université  de  Chicago,  première  série).  Premier  vers  : 

Al  nun  de  Deu  qui  od  nus  seit. 

2.  Version  anonyme,  xui'  siècle.  Ms.  :  Musée  brit.,  Cotton,  Domit.  A  iv,  fol.  2 5 7. 
Extraits  dans  Ward,  Catal.  oj  romances,  II,  468.  Premier  vers  : 

Un  moyne  de  Saltereye. 

3.  Version  anonyme,  xiii*  siècle.  Mss.  :  Musée  brit.,  Harl.  278,  fol.  191  ;  Bibl. 
nat.,  fr.  2198,  fol.  3o.  Extraits  du  ms.  de  Londres  dans  Ward,  Catal.  of  romances, 
II,  472.  Premier  vers  : 

Pur  la  bone  gent  conforter. 

4.  Version  anonyme,  xiii*  siècle.  Ms.  :  Cambridge,  Bibliothèque  de  l'Univer- 
sité, Ee.  6.  I  I .  Le  commencement  et  la  fm  dans  Romania,  VI,  1  54-  Premier  vers  : 

En  honurance  Jhesu  Crist. 

5.  Version  anonyme,  xui'  siècle.  Fragment  consistant  en  un  feuillet  mutilé  qui 
sert  de  garde  au  ms.  du  Musée  brit.  Lansdowne  383.  Extrait  dans  Ward,  Catal.  of 
romances,  II,  474. 

6.  Version  de  Beroul  en  quatrains  de  vers  alexandrins.  Mss.  :  Cheltenham,  Bibl. 
Phillipps,  4i56,  fol.  184  (manquent  les  90  premiers  vers);  Tours,  948,  fol.  102. 
Extraits  des  deux  mss.  dans  Notices  et  extraits ,  XXXIV,  1  ■*  partie ,  2  4  i .  Premier  vers  : 

En  l'onor  Damidieu  et  a  la  soe  gloire. 


372  LKGENDKS  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

y.  Version  de  Geulioi  de  Paris,  introduite  par  lui  dans  le  quatrièm(;  li>re  de  sa 
compilation  intitulée  :  «  La  Bible  des  set  estaz  du  monde.  »  Ms.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  i  826 , 
fol.   i5^.  Premier  vers  : 

Fiiites  pës,  por  Dieu,  bonne  gent. 

Paul  (Vision  de  saint). 

Le  récit  de  la  descente  de  saint  Paul  en  enfer  sotis  la  conduite  de  saint  Michel, 
originairement  rédigé  en  grec,  a  été  de  bonne  heure  mis  en  latin,  et  s'est  prompte- 
ment  répandu  par  tout  l'Occident  en  des  rédactions  différentes.  Celle  des  rédactions 
latines  qui  a  été  le  plus  souvent  copiée,  et  qui  paraît  être  la  plus  récente'",  est  la 
source  de  six  poèmes  français  : 

I .  Poème  en  vers  octosyilabiques,  composé  en  Angleterre,  vers  la  fin  du  xii^  siècle, 
par  Adam  de  Ros.  Premier  vers  :     . 

Seignor  f  rere ,  or  escutez. 

3.   Poème  en  vers  octosyllabiques.  xni"  siècle.  Premier  vers  : 

Li  autre  trouveor  qui  truevent. 

3.  Poème  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xiii"  siècle.  Premier  vers  : 

Beau  seignor  ot  vos  dames,  faites  que  l'on  nous  oie, 
OU  : 

Seignor,  or  m'entendez,  qui  Damredeu  amez. 

tx.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  par  Geufroi  de  Paris.  Remaniement  du  pré- 
cédent, xiu'  siècle.  Premier  vers  : 

Seignor,  sor  cest  air  que  veez. 

5.  Poème  en  vers  alexandrins  rimant  deux  à  deux,  composé  en  Angleterre,  au 
xm'  siècle,  par  Henri  d'Arci,  templier.  Premier  vers  : 

Si  vus  musterai  cum  jol  trovai  escrit. 

(i.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre  à  la  fin  du  xiu'  siècle 
ou  au  conmiencement  du  xiv".  Premier  vers  : 

Oyez  que  jeo  trêve  en  escrit. 

Des  n"  1  et  3  il  existe  plusieurs  copies;  on  en  a  deux  du  n°  6  et  une  des  n°'  \ 
cl  5.  Ces  manuscrits  ont  été  énumérés  dans  les  Notices  el  extraits,  XXXV,  i55-6, 
ainsi  que  les  travaux  dont  ils  ont  été  l'objet. 

Paul  l'Ermite  (Saint). 

Poème  en  vers  octosyllabiques,  composé  en  Angleterre,  par  frère  «  Boioun  »  (le 

''  C'est  celle  qui  commence  par  ces  mots  :  plusieurs  loi»,  en  dernier  lieu  dans  la  Ro  mania , 
•  Dies  dominicus  dies  est  electus  in  quo  gau-  XXIV,  365,  en  regard  de  la  version  française 
dchunt  angeli.  . .  »  Le  texte  en  a  éle  publié        ci-après  indiquée  sous  le  n°6. 


frère  mineur  Nicole  Bozon?),   xiii'  siècle. 
Portiand,  i  C  i ,  fol.  6.  Premiers  vers  : 


I.  LKGENDES  EN  VERS. 
Ms.  :  Welbeck, 


373 

Bibliothèc[ue  du  duc  de 


Le  primer  hermite  ke  ay  trovee 
Seint  Pol  le  Hermite  est  nomee. 


Paule  (Sainte). 

Vie  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines.  Seconde  moitié  du  xiii"  siècle.  Ms.  : 
Cambridge,  S.  John's  Coll.  B  9.  \  oir  Romania,  Vlll,  820.  Premier  vers  : 

Li  proverbes  au  vilein  disf . 

Paulin  (Saint),  évèqne  de  Noie. 

I.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  qui  fait  partie  du  poème  connu  .^oiis  le  nom 
de  Vie  des  anciens  Pères'^^K  Nombreux  manuscrits  érmmérés  dans  Romania,  XIII, 
!j34;  cf.  Notices  et  extraits ,XX\lll ,  ^partie,  p.  66,  et XXXIV,  1"  partie,  p.  i56. 
Extrait  et  analyse  dans  le  Jahrbachjûr  romanische  iind  englische  Litcratar,  VII,  4i5, 
art.  de  M.  Tobler.  Premier  vers  : 

Diex  qui  ses  biens  nous  abandonne. 

a.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  faisant  partie  du  Tombelde  Chartreuse  (voir  article 
Alexis,  n"  à),  publiée  en  extraits  par  l'abbé  Desrociies  :  Extraits  de  plusieurs  petits 
poèmes  écrits  à  la  fin  du  xin'  siècle  par  un  prieur  du  Mont-Saint-Michel,  p.  i  2. 

PiLATE. 

Rédaction  en  vers  octosyllabiques  d'une  légende  latine,  composée  vers  la  fin  du 
XI!*  siècle  au  plus  tôt,  où  est  contée  l'histoire  de  Pilate  depuis  sa  naissance  jusqu'au 
crucifiement  de  Jésus'*'.  Ms.  :  Turin,  Bibl.  nat. ,  L  11  1 A ,  fol.  ôyS.  Edition  :  A.  Graf, 
Roma  nella  memoiia  e  nelle  imatfinazioni  del  medio  evo,  1 ,  4  1 6.  Premiers  vers  : 

N'est  pas  buiscus,  ains  fait  bone  oevre 
Li  Iroveres  qui  sa  bouche  oeuvre 
De  bonne  trouve[û]re  dire'*'. 

Quentin  (Sajnt). 

I.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  par  Hue  de  Cambrai,  xiii" siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat., 
fr.  6447,  fol.  3o8.  Extrait  dans  Notices  et  extraits,  XXXV,  p.  ôo6.  Premiers  vers  : 

Li  recorders  et  li  descrires 

Des  griés  tormens  et  des  martyres. 


'■)  \oir  Hist.  litt.  de  la  Fr. ,  XIX,  857,  et  ci- 
dessus,  p.  256.  —  La  vie  de  saint  Paulin  e^t 
le  n°  33  de  la  table  de  la  Vie  des  anciens  Pères 
dressée  par  Alfred  VVeber  dans  ses  Handsclirift- 
liche  Stttdien  (Frauenfeld,  1876), p.  12. 

'''  Cette  légende  latine  se  rencontre  en  di- 
vers manuscrits  du  xui*  et  du  xiv°  siècle,  dont 
quelques-uns  ont  été  indiques  par  E.  Du  Meril , 
Poésies  pop.  lut.  du  moyen  âge  (Paris,  1847), 
p.  358,  note.  Du  Méril  en  a  publie,  p.  359  et 
suîv. ,  une  version  française  en  prose  d'après  le 


ms.  Bibl.  nat.  fr.  i553.  La  légende  latine  est 
reproduite  en  abrégé  par  Jacques  de  Varazze 
dans  sa  Légende  dorée,  ch.  lui,  De  passione 
Domini,  éd.  Grasse,  p.  23i  («Fuit  quidam  rex 
Tyrus  nomine..  .  »);  la  suite  dans  le  ch.  Lxvn, 
De  S.  Jucoho  upostolo ,  p.  299  («  Vldens  Pilatus 
quia  Jesum  innocentem  condemnaverat .  .  .  •). 
'''  Il  est  intéressant  de  noter  que  les  six  pre- 
miers vers  de  ce  poème  sont  empruntés  litté- 
ralement au  début  du  Tournoiement  Antecrist 
de  Huon  de  Méri. 


374  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FMNÇAIS. 

a.  Vie  en  quatrains  de  vers  alexandrins  (169  quatrains).  Fin  du  \ni'  siècle  ou 
commencement  du  xiv'.  Ms.  :  Bibl.  nat.,  fr.  aSi  17,  foi.  228.  Edition  :  Une  Vie  de 
saint  Quentin  en  vers  français  du  moyen  âge  jjubliée  et  annotée  par  Werncr 
Sôderhjeim  ( Heisingfors ,  1902),  dans  les  Mémoires  delà  Société  néo-phihlofjique  de 
Helsinçjfors ,  t.  III.  Premier  vers  : 

Douce  gent,  je  vous  pri  que  vous  vous  veilliez  taire. 

3.  Vie  en  vers  octosyllabiques,  qui  paraît  avoir  été  composée  pour  senir  de  lé- 
gende à  une  histoire  en  images  du  saint.  Le  seul  manuscrit  coimu  est  un  rouleau  de 
parchemin  de  1  7  mètres  de  longueur,  écrit  et  peint  dans  la  première  moitié  du 
xv'  siècle.  Édition  :  Vie  de  saint  Quentin ,  d'après  an  ms.  conservé  aux  archives  de 
r église  Saint-Quentin ,  à  Louvain,  publ.   par  Adolphe  Everaerts  (Louvain,  187/4). 

Premier  veis  : 

Au  tems  de  Dyocletien. 

Reine  (Sainte). 

Vie  en  strophes  de  onze  vers  de  dix  syllabes  (62  strophes),  par  Jean  Piquelin, 
«  chapellain  de  la  Saincte  Chapelle  du  palais  royal,  à  Paris».  Fin  du  xv"  siècle. 
Deux  éditions  gothiques  (Paris,  Nicole  de  La  Barre,  i5oo;  Troyes,  Jehan  Lecoq, 
s.  d. ,  16  ff.).  Voir  E.  Picot,  Catal.  de  la  Bibliothèque  James  de  Rothschild,  1,  286. 
Premier  vers  : 

Noble  Dame  de  vertus  décorée. 

Remi  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques  à  rimes  léonines,  par  Richier.  Fin  du  xiii'  siècle. 
Mss.  :  Bibl.  roy.  de  Belgique,  5365  et  6^09.  Ces  deux  manuscrits  ont  fait  partie  de 
la  bibliothèque  de  Charles  V;  ie  .«econd  paraît  avoir  appartenu  antérieurement 
à  celle  de  Philippe  le  Long*".  Extraits  dans  Notices  et  extraits,  XXXV,  p.  1  1 . 
Premier  vers  : 

La  clarté  qui  France  enlumine. 

René  (Saint),  évêque  d'Angers. 

Vie  en  vers  octosyllabiques  composée  à  la  fm  du  xv'  siècle  ou  au  commencerni-nf 
du  \vi'.  Publiée  en  1897,  d'après  une  copie  conservée  à  la  bibliothèque  d'Angers, 
par  l'abbé  Urseau,  dans  la  Revue  des  Facultés  catholiques  de  l'Ouest,  et  en  1 899  par 
M.  .1.  Denais,  Monographie  de  la  cathédrale  d'Angers,  p.  270  et  .suiv.  Premier  vers  : 

,  A  tous  chrestïen»  soit  notoire. 

Richard  (Saint),  évêque  de  Chichester  (+  1  2r>3,  canonisé  en  1  262). 
Vie  en  vers  octosyllabiques,  en  deux  livres,  dont  le  second  contient  les  miracles. 
Ms.  :  Welbeck,  Bibl.  du  duc  de  Portland,  i  C  1,  fol.  222.  Premiers  vers  : 

Bon  est  de  mettre  ei]  escril 
Verni  cunte  de  fet  et  dit. 


Delisle,  Le  Cabinet  des  manutcrits .  111,  SaS. 


ï 


l.  LÉGENDES  EN  VERS.  375 

Sauveur  (Saint),  ermiti-. 

Vif  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xv"  siècle.  CVst  l'histoire  d'un  lils  voué  au 
diable  par  sa  mère  et  délivré  par  l'intercession  de  la  Vierge  M;u'ie  '.  Ms.  :  Paris,  Ar- 
senal, "2  1  I  5,  fol.  48.  Edition  :  Ronmnia,  XXXIII,  i6o.  Premier  vers  : 
En  l'onneur  Jhesucrist,  le  roy  de  magesté. 

SÉBASTIEN  (Saint). 

V  ie  en  quatrains  devers  alexandrins,  xiv'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat. ,  IV.  i  555 ,  fol.  20  i . 
Premier  vers  : 

Jhesucrist,  qui  sur  touz  est  vray  fusicïen. 

Seth,  fils  d'Adam. 

La  légende  de  Seth,  ou  de  l'arbre  dont  fut  faite  la  Croix,  a  été  contée,  avec 
plus  ou  moins  de  détails,  en  plusieurs  poèmes  français.  Mais  nous  ne  connaissons 
qu'un  poème  dont  elle  soit  l'unique  objet.  Ce  poème,  en  vers  octosyllabiques,  et  com- 
posé ,  vers  le  milieu  du  xui*  siècle ,  en  Angleterre ,  est  transcrit  dans  le  ins.  56  de  Corp. 
Chr.  Coll.,  Cambridge,  fol.  22  1  v°.  Il  est  précédé  de  l'original  latin  [Post  peccatum 
Ade.  .  .).  Premiers  vers  : 

Après  ke  Adam  fu  getez 
De  paradyz  pour  ses  pochez. 

Silvestre  (Saint). 

Vie  en  vers  octosyllabiques,  qui  se  continue  par  une  version,  également  en  vers 
octosyllabiques,  de  Ylnventio  sancttp  Crucis.  Fin  du  xii'  siècle  ou  commencement 
du  xiif.  Ms.  appartenant  à  M.  le  marquis  de  Villoutreys.  Notice  par  M.  L.  Delisle, 
Bibl.  de  l'École  des  chartes,  LIX,  533.  Deux  cents  vers  environ  du  début  sont  pu- 
bliés dans  la  Romania,  XXVIII,  288  ;  le  texte  complet  est  publié  en  appendice  au  Car- 
tniaire  de  Saint-Laud;  voir  plus  haut  Croix  (Invention  de  la  sainte).  Premier  vers  : 

Qui  de  cuer  i  voldra  entendre. 

Thaïs  (Sainte). 

1.  Vie  on  quatrains  de  vers  alexandrins,  tirée  du  Poème  moral  mentionné  ci- 
dessus,  à  l'article  Moïse.  La  vie  de  sainte  Thaïs  commence  avec  le  quatmin  120. 
Premier  vers  : 

D'une  damine  vul  dire  qui  fut  d'Egipte  née. 

2.  Vie  en  vers  octosyllabiques  faisant  partie  de  la  Vie  des  anciens  Pères^'^\  Extraits 
et  analyse  dans  le  Jahrbach  fur  ivman.  and  enql.  Literatar,  VII,  iog.  Premier  vers  : 

Ce  n'est  pas  or  quanque  reluit. 

3.  Vie  en  vers  alexandrins  assez  irréguliers ,  composée  en  Angleterre ,  au  xiii*  siècle , 
par  Henri  d'Arci,  templier.  Mss.  :  Londres,  Musée  brit. ,  Harley  2  2  53,  fol.  21  v°; 
Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  2^862  ,  fol.  97  \°.  Edition,  d'après  lems.  de  Paris,  dans  Notices 
et  extraits,  XXXVI,  147;  extrait  du  ms.  de  Londres,  ibùL,   167.  Premier  vers  : 

Une  dame  fud  ja  ki  ot  a  nun  Thaisis. 

'''  (>'est  en  réalité,  bien  qu'on  lise  à  la  fin  racles  de  la  Vierge  du  P.  Poncelet,  n°'  3oo 

Ëxplicit  la  vie  saint  Sauveur,  un  miracle  de  la  et   638,  667,  127a,   i558  [Analecta   Bollun- 

Vierge.  On  a  de  ce  miracle  plusieurs  rédactions  diana,  t.  XXI  ). 
latines    et    françaises;    voir    l'Index    des  Mi-  '''  Voir  ci-dessus,  arl.  Paulin. 


376  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Théophile. 

1 .  Poème  en  vers  octosyllabiques ,  composé  en  Angleterre  à  la  fin  du  xii'  siècle 
par  Adgar,  dit  Guillaume.  Ms.  :  Musée  brit.,  Egerton  6  i  i ,  fol.  22.  Éditions: 
A.Weber,  Zeitschrift  f.  wmaii.  Philologie,  I,53i  ;  G.  Neuhaus,  Ad(jar's  Marienlecjenden 
(Heilbronn,  1886),  p.  82.  Premiers  vers  : 

Ainz  ke  la  maie  gent  de  Perse 
Vindrent  a  Rume  tant  averse. 

2.  Poème  en  vers  octosyllabiques,  par  Gautier  de  Coinci.  Première  moitié  du 
xm'  siècle.  Nombreux  manuscrits.  F^ditions  :  Jubinal ,  Œuvres  de  RatebeaJ,  1"  éd. ,  III , 
p.  2A8;  Poquel,  Les  Miracles  de  la  sainte  Vierge,  col.  3o.  Premier  vers: 

Pour  ceus  esbatre  et  déporter. 

3.  Poème  en  vers  oclosyHabi(|ues,  à  rimes  mêlées  d'assonances,  composé  dans  la 
région  lyonnaise  au  xiii"  siècle.  Mss.  :  Bibl.  nat.,  fr.  423,  fol.  lolt  v°;  818,  fol.  70. 
Edition  :  Bartsch,  La  langue  et  la  littérature  françaises  depuis  le  ix'  siècle  jusqu'au 
X!V'  siècle,  col.  46 1.  Premiers  vers  : 

Enceis  qu'eussent  cil  de  Perse 
Rome  destruite  et  déserte. 

Thibaut  (Saint),  de  Provins. 

1 .  Poème  en  vers  octosyllabiques.  xiii'  siècle.  Ms.  :  Bibl.  nat. ,  fr.  24870,  fol.  46. 
Premier  vers  : 

Or  antandez,  très  douce  gent. 

2.  Poème  en  quatrains  monorimes  de  vers  alexandrins  composé,  en  1267,  par 
Guillaume  d'Oye,  vicaire  de  Tremblins'".  Même  ms. ,  fol.  68.  Premiers  vers  : 

Les  seignors  anciains  qui  ont  batailleor 
Çai  en  arriers  esté  et  de  genz  venquecr'*'. 

Thomas  (Saint),  archevêque  de  Gantorbéry. 

1.  Poème  en  couplets  de  cinq  vers  alexandrins  monorimes,  composé, peu  après 
1172,  par  Gamier  de  Pont-Sainte-Maxence.Mss.  :  Cheltenbam ,  Bibl.  Phillipps ,  8 1  1 3 , 
fol.  16;  Londres,  Musée  brit.,  Cotton,  Domitien  xi,  fol.  28;  Harl.  270,  fol.  i; 
Oxford,  Rawlinson  G  64i,  fol.  10  (fragment);  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  i35i3,  fol.  1; 
Welbeck ,  Bibl.  du  duc  de  Portland ,  i  G  j  ,  fol.  9  ;W  olfenbùttel ,  Bibliothèque  ducale, 
34.6,  fol.  I.  F^ditions  :  Leben  des  h.  Thomas  von  Canterbuij,  ligg.  von  J.  Bekker 
(Berlin,   i838,  extrait  des  Mémoires  de  i'Acad.  de  Beriin),  d'après  le  ms.  de  Wol- 

'■'  On  lit  à  la  fin  de  ce  poème  (fol.  107)  :  i  adeplus  est  sanitatem  de  cartana,  anno  gracie 

«Guillermus  de  Oye,  dictus  lleijons,  tunctem-  «  M°  ce*  i.x*  septimo,  mense  julio.  » 

«  poris  vicarius  ecclesie  Béate  Marie  de  Trem-  '*'  Les  premiers  vers   de  ce  poème  et  du 

«blins,  scripxit  et,  divino  dictante  llamine,  de  précédent  sont  transcrits  dans  I^'s  Lapidaires 


«lalino  in  romanum  transtùlit,  ob  lionorem  et        français  de  Léonold  Pi 
•  reverentiam  beatî  Theobaldi ,  cujus  precibus        j>.  a4.  'nni  ■    11.  ' 


annier   (Paris,    188:)  ) 


I.  LIÎGENDES  EN  VERS.  377 

fciibùltel;  supplément,  «i'après  le  ins.  Harléicn  et  le  ms.  fie  Paris,  dans  les  Mém. 
(le  l'Ac.  de  Berlin,  i8/i(),  p.  !ii.  La  vie  de  saint  Thomas  le  inarlyr.  .  .,  publ.  par 
ilippeau  (Paris,  i85c)).  Voir  Hisi.  litt.  de  laFr.,  XXl[I,  367.  Premier  vers  : 

Tuit  li  fisicïen  ne  suiit  adès  bon  mire. 

2.  Poème  en  sixains  de  vers  de  huit  et  de  quatre  syllabes  (aataai),  composé  en 
Angleterre,  au  commencement  du  xiii"  siècle, par  'rère  Benêt,  d'après  une  vie  latine. 
Mss.  :  Cambridge,  Clare  Coll.  Kk.  /|.  8  (incomplet  du  début);  Cheitenham, 
Bibl.  Phillipps  81  i3,  loi.  1;  Londres,  Musée  brit. ,  Cotton,  Vespasien  D  iv, 
fol.  I  àg  v°;  Vespasien  B  xiv,  fol.  gS  v";  HaH.  SyyS ,  fol.  1  ;  Paris,  Bibl.  nat. ,  fr.  902, 
fol.  129.  Edition  :  FV.  Michel,  Chronique  des  dans  de  Normandie ,  lU ,  ^61  (Paris, 
i844.  Doc.  ùje</.),  d'après  le  ms.de  Paris;  variantes  du  ms.  Harl.,  ibid.,  6i5. 
Voir  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XXIIl,   383.  Premier  vers  : 

Al  Deu  loenge  en  son  serviso. 

3.  Poème  en  vers  octosyilabiques ,  composé  dans  la  première  moitié  du  xui°  siècle 
(vers  1220?),  d'après  la  compilation  latine  connue  sous  le  nom  de  Quadriloçjus.  On 
ne  connaît  de  ce  poème  qu'un  fragment  consistant  en  quatre  feuillets  ornés  de 
riches  miniatures,  qui  appartiennent  à  la  faunlle  Goethals-Vercruysse,  de  Courtrai. 
Edition  :  Fragments  d'une  vie  de  saint  Thomas  de  Cantorhéry  en  vers  accouplés.  .  . 
publiés  par  Paul  Meyer,  avec  fac-similé  en  héliogravure  de  l'original  (Paris,  i885, 
Soc.  des  anc.  textes  français). 

Thomas  Hélie  (Le  bienheureux),  de  Biville. 

Poème  en  vers  octosyilabiques  répartis  en  paragraphes  de  longueur  inégale,  dont 
chacun  se  termine  par  un  proverbe.  Le  nom  de  l'auteur,  donné  sous  forme  énignia- 
tique  en  deux  vers  latins,  paraît  avoir  été  Jean  de  Saint-Martin,  xiv' siècle.  Ms.  :  Bibi. 
nat.,  fr.  /(901  ,  fol.  /ly  (copie  exécutée  à  la  fin  du  xvii"  siècle,  d'après  un  original 
perdu,  par  le  curéToustain  de  Billy).  Edition  :  Vie  du  bienheureux  Thomas  de  Biville, 
poème  du  xin'  siècle,  publié  pour  la  première  fois  par  F^.  de  Pontaumont,  p.  i/jy 
(Cherbourg,  1868).  Voir  L.  Delisle ,  Vie  du  bienheureiur  Thomas  Hélie  de  Biville  (Cher- 
bourg ,  1 860  ) ,  p.  10;  Hist.  litt.  de  la  Fr. ,  XXXI  ,72.  Premier  vers  : 

Nous  devons  estre  curions. 

ToBlE. 

Poème  en  vers  octosyilabiques,  composé  au  commencement  du  vm"  siècle,  à  lu 
demande  de  Guillaume,  prieur  de  Kenilworth,  probablement  par  Guillaume,  clerc 
normand.  La  première  partie  de  ce  poème  (338  vers  sur  environ  1  /ion)  est  le  déve- 
loppement du  verset  Misericordia  et  Veritas  obviaveruntsibi;  Jastitki  et Pax osculaLœ suni 
(Ps.  Lxxxiv,  11).  Mss.  :  Oxford,  Bodléienne,  Rawiinson  Poetry  22/1  (anc.  Rawi. 
Mise.  53/i),  fol.  1;  Jésus  Coll.  n"  29  (incomplet);  Paris,  Bibl.  nat.,  fr.  igSiô, 
fol.  129.  Édition  :  R.  Reinsch,  dans  Archiv  f.  das  Studium  der  neaeren  Sprachcn, 
LXII,  38o  (d'après  le  ms.  de  Paris  et  le  ms.  de  Jésus  Coll.).  Premier  vers  : 

Cil  qui  semé  bone  semence  {ms.  de  Paris). 
Ki  ke  semé  bonne  semence  {Rawiinson). 

HIST.   LITTÉB.  XWIII.  48 


378  LÉGENDKS  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Yves  (Saint). 

Poème  en  quatrains  de  vers  alexandrins,  xiv"  siècle.  Copie  des  \ingt-huit  premiers 
vQTs,  dans  un  recueil  manuscrit,  Bibl.  Sainte-Geneviève,  24,  fol.  i63.  Voir  Hùt. 
litt.  (le  la  Fr. ,  XXV,  i  43.  Premier  vers  : 

A  la  digne  loenge  du  père  glorieux. 

II.    LÉGENDES  EN  PROSE. 

Les  légendes  en  prose  française  ont  été  écrites  en  vue  d'un  public 
assez  différent  de  celui  à  qui  t  taienl  destinées  les  légendes  en  vers. 
Ces  dernières  étaient  faites  pour  être  lues  ou  récitées  à  des  auditeurs 
le  plus  souvent  illettrés,  qu'on  cherchait  à  édifier  en  même  temps 
qu'à  intéresser.  Les  vies  en  prose  s'adressent  plutôt  à  des  lecteurs,  c'est- 
à-dire  à  des  personnes  laïques  sans  doute,  mais  ayant  toutefois  une  cer- 
taine culture  et  le  goût  de  l'instruction.  Aussi  se  montrent-elles  plus 
tard  que  les  rédactions  en  vers.  Les  écrits  en  prose  obtenaient  plus  de 
crédit,  auprès  des  gens  désireux  de  s'instruire,  que  les  œuvres  rimées, 
préjugé  favorable  qui  n'était  pas  toujours  bien  fondé,  car,  entre  les 
légendes  en  prose  que  nous  possédons,  il  s'en  trouve  plusieurs  qui, 
loin  d'être  la  reproduction  fidèle  de  documents  latins,  ne  sont  rien  de 
plus  que  les  rédactions  dérimées  de  telle  ou  telle  des  légendes  en 
vers  énumérées  dans  les  pages  précédentes.  Tel  est  le  cas  pour  certaines 
vies  de  Barlaam  et  Josaphat,  de  saint  Edouard  le  confesseur,  de  saint 
Jacques  de  Galice,  de  saint  Julien,  de  sainte  Marie  l'Egyptienne,  de 
sainte  Geneviève.  Mais  ce  sont  là  des  exceptions.  I^a  plupart  de  nos 
anciennes  vies  de  saints  en  prose  française  sont  traduites  directement 
du  latin.  Lorsqu'on  leur  aura  consacré  une  étude  détaillée,  que  nous 
ne  pouvons  entreprendre  ici,  on  reconnaîtra  qu'elles  sont  l'œuvre  de 
nombreux  traducteurs  qui  différaient  par  la  méthode  et  par  le  style, 
les  uns  s'en  tenant  au  sens  général,  abrégeant  les  parties  trop  spé- 
cialement théologiques,  s'appliquant  à  mettre  des  récits  édifiants  ou 
merveilleux  à  la  portée  d'un  public  médiocrement  instruit;  les  autres, 
plus  exacts,  mais  en  un  certain  sens  moins  intelligents,  s'attachant 
à  rendre  littéralement  chaque  mot  du  texte  au  détriment  parfois  de 
la  clarté  et  de  faisance  du  style. 

Il  paraît  bien  certain  que  bon  nombre  de  nos  légendes  en  prose 
n'ont  jamais  eu,  pour  ainsi  parler,  d'existence  indépendante,  qu'elles 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE.  379 

ont  été  mises  en  français,  non  pour  être  publiées  isolément,  mais  pour 
former  des  collections  ha<,nographiqnes,  de  véritables  légendiers.  Ces 
légendiers,  nous  les  étudierons  plus  loin,  et  nous  lâcherons  de  les  ré- 
partiren  classes  plus  ou  moins  caractérisées.  Nous  verrons  que,  tout 
en  renfermant  des  éléments  communs,  ils  varient  beaucoup  pour  la 
composition  et  pour  l'étendue.  L'un  d'eux,  que  nous  rangeons  parmi 
les  plus  anciens,  ne  comprend  que  quatorze  légendes;  un  légendier 
d'Oxford,  qui  parait  avoir  été  formé  au  xiv"  siècle,  n'en  contient  pas 
moins  de  cent  cinq.  Mais,  en  dehors  d'un  fonds  de  légendes  qui,  dès 
l'origine,  apparaissent  groupées,  il  existe  plusieurs  vies  que  nous 
savons  avoir  été  publiées  à  part.  Nous  les  rencontrons,  en  effet,  dans 
cette  condition  en  divers  manuscrits,  ce  qui  n'empêche  nullement 
({u'elles  aient  pu,  par  suite,  prendre  place  dans  tel  ou  tel  légendier. 
C'est  de  celles-là  que  nous  nous  occuperons  en  premier  lieu,  parce 
qu'elles  sont  ordinairement  les  premières  qu'on  ait  mises  en  prose 
française,  et  nous  chercherons  d'abord  à  fixer  l'époque  où  elles 
parurent. 

VERSIONS  DE  LÉGENDES  ISOLÉES. 

L'usage  de  traduire  en  prose  les  vies  des  saints  paraît  s'être  intro- 
duit dans  les  pays  de  langue  française  dès  les  premières  années  du 
xiii"  siècle,  peut-être  un  peu  plus  tôt,  selon  l'interprétation  que  l'on 
donnera  à  un  témoignagedu  chroniqueur  Lambert d'Ardres,  qui  sera 
cité  plus  loin.  Le  commencement  du  xuf  siècle  est  l'époque  où  la  prose 
française  prend  son  essor,  où  on  femploie  pour  des  traductions  ou 
même  pour  des  compositions  originales  que  jusqu'alors  on  avait  cou- 
tume de  rédiger  en  vers.  Au  xii"  siècle,  la  prose  n'est  représentée 
que  par  un  petit  nombre  d'écrits  :  les  anciennes  versions  du  Psautier, 
qu'on  ne  peut  guère  faire  remonter  au  delà  de  i  i5o;  la  traduction 
des  Livres  des  Rois,  un  peu  plus  récente;  une  ancienne  description 
de  Jérusalem,  qui,  en  sa  première  rédaction,  est  antérieure  à  la 
prise  de  la  sainte  cité  (i  187);  la  chronique  d'Ernoul,  composée  vers 
1 190,  où  est  contée  la  chute  du  royaume  franc  de  Palestine,  et  sans 
doute  d'autres  compositions  dont  la  date  ne  peut  être  déterminée. 
Mais,  dès  le  commencement  du  xiii''  siècle,  nous  voyons  paraître 
successivement  trois  traductions  de  la  chronique  du  Pseudo-Turpin, 
les   récits  de  Villehardouin  et  de  l»obert  de  Clari  sur  la  quatrième 

à8. 


380  LIKîEiNDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

croisade,  les  traductions  ou  compilations  de  Wauchier  de  Denain,  sans 
parler  de  divers  ouvrages  anonymes  qu'il  semble  légitime,  malgré 
l'absence  de  données  précises,  de  rapporter  au  même  temps.  C'est 
également  au  commencement  du  xiii"  siècle  qu'ont  été  traduites 
les  premières  vies  de  saints  en  prose  française  qui  nous  sont  par- 
venues. Peut-être  même  y  en  eut-il  d'antérieures.  Le  chroniqueur 
Lambert  d'Ardres  rapporte  que  le  comte  de  Guines  et  d'Ardres  Bau- 
douin Il  (ti2o6),  au  temps  où  il  possédait  le  comté  d'Ardres, 
c'est-à-diro  entre  1176  et  ii8i*'\  avait  fait  faire  par  un  «maître 
M  Landri  de  Waben  »,  d'ailleurs  inconnu '"^^  une  traduction  en  roman 
i^de  latino  in  romanvm)  du  Cantique  des  Cantiques'^'  et  se  la  faisait  sou- 
vent lire.  Le  chroniqueur  ajoute  que  le  même  seigneur  avait  appris  par 
cœur  les  évangiles  des  dimanches,  accompagnés  de  sermons  appro- 
priés*'*', et  la  vie  de  saint  Antoine  habilement  traduite'^'.  Cette  vie 
de  saint  Antoine  semble  perdue.  Nous  ignorons  même  si  elle  était 
en  vers  ou  en  prose.  Dans  le  second  cas,  elle  serait  plus  ancienne 
qu'aucune  des  versions  en  prose  de  vies  de  saints  que  nous  possédons. 
Los  premières  versions  en  prose  d'écrits  hagiographiques  qui  nous 
soient  parvenues  sont  très  probablement  celles  que  nous  devons  à 
deux  auteurs  dont  nous  connaissons  le  nom  et  ies  écrits  :  Wauchier 
de   Denain,   dont  nous  avons  parlé  précédemment,  et  un  certain 


'*'  André  Ducliesne,  Hisl.  généal.   des  mai- 
sons de   Guines,  d'Ardres...    (Paris,     i63i), 

'''  Ce  Londri  est  mentionné  dans  VHisl.  lût. 
de  la  Vr. ,  XV,  5o  i ,  d'après  le  texte  de  Lambert 
d'Ardres,  cité  par  André  Ducliesne,  mais  c'est 
à  tort  que  nos  devanciers  l'ont  appelé  «  Landri 
"de  Valognes».  L 
lieu  de  Wahanio. 


"de  Valognes».   Duchesne  avait  lu  Vaaianio  au 


"PI" 
itlu 


''^'  On  a  identifié  cette  version  du  Canliipie 
avec  une  version  poétique  du  même  livre  que 
nous  a  conservée  un  manuscrit  du  Mans(J.  Bon- 
nard.  Les  traductions  de  la  Bible  en  vers  français 
an  moyen  âge,  p.  iSa;  H.  Suciiier,  Zeitschrijt 
f.  rom.  Philologie,  VllI,  4» 4)-  Mais  cette  iden- 
tification est  fort  douteuse,  car  le  texte  de 
Lambert  d'Ardres  ne  nous  dit  pas  que  la  tra- 
duction exécutée  par  Landri  fût  en  vers. 

'*'  11  existe,  sous  le  titre  de  Miroir,  une 
version  en  vers  des  évangiles  des  dimanches, 
accompagnés  de  sermons  et  d'exemples  (voir 


Romania ,  XV,  296  et  suiv.,  XXXll,  29  et  suiv.). 
Mais  c'est  l'oeuvre  d'un  Anglais  appelé  Robert 
de  Gretham ,  et  elle  ne  peut  être  identifier 
avec  celle  dont  parle  le  chroniqueur. 

'*'  «Sed,  cum  omnem  omnium  scientiam 
«  avidissime  amplecteretur  et  omnem  omnium 
«  scienliam   corde  tenus    retinere  nequivisset , 

•  vinim  eruditissimum  magistrum  Landericum 
«de  Wabbanio,  dum  Ardcnsis  honoris preesset 
«  conies  doniinio,  Canticuni  (]anlicorum,  non 
«  solum  ad  lilterain ,  sed  ad  mvsticani  spiritualis 
«interprelationisinlelligeiitiam.de  ialino  in  ro- 

•  manum,  ut  eorum  mvslicam  virtutem  saperet 
«et  intelligeret,  Iransferre  sibi  et  sepius  ante 
«s('  légère  fccit.  Evangelia  quoque  plurima,  et 

•  maxime  dominicalia ,  cum  sermonlbus  conve- 
■  nientibus,  vitflm  quoque  sancti  Anthonii  mo- 
«nachi,  a  <|uodam  Alfrido  diligenter  interpre- 
«  talam,  diligenter  didicil.»  (Edition  du  M"  de 
(îoderrov-Ménilglaise,p.  lyS:  Pcrt7.,Scri^Jorp.«, 
.\XIV,  598.) 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


381 


Pierre,  vivant  en  Beauvaisis,  qui  composa  divers  ouvrages  pour 
levêque  de  Beau  vais  Philippe  de  Dreux  (+  1217)*''  et  pour  un 
seigneur  picard  appelé  Guillaume  de  Cayeux'-'.  Ce  Pierre,  qu'il  paraît 
légitime  d'appeler  Pierre  de  Beauvais,  pour  le  distinguer  de  ses  nom- 
breux homonymes,  traduisit,  en  1212,  par  ordre  de  la  comtesse 
Yolant,  femme  de  Hugues  Champ  d'Avesne,  comte  de  Saint-Pol'^',  le 
IJber  de  miraciiUs  S.  Jacobi  (  saint  Jacques  le  Majeur  ou  de  Compos- 
telle),  livre  publié  au  xii''  siècle,  sous  le  nom  du  pape  Calixte  11  -'',  par 
un  Poitevin  nommé  Aimeri  Picaud,  dans  une  compilation  où  figurent 
divers  documents  apocryphes  destinés  à  confirmer  l'attribution  du 
livre  au  ])ape  Calixte.  En  tête  de  sa  translation,  Pierre  a  placé  une 
série  d'introduction  dont  il  a  emprunté  les  éléments  aux  récils  qu'il 
traduisait'^'.  Cette  version  du  Livre  des  miracles  de  saint  Jacques  le 
Majeur  n'est  pas  entrée  dans  les  recueils  de  légendes  dont  nous  par- 
lerons plus  loin  :  une  autre  traduction,  probablement  un  peu  moins 
ancienne,  y  a  pris  place.  Toutefois  le  travail  de  Pierre  devait  être 
rappelé,  puisqu'il  est  assurément  l'une  des  plus  anciennes  traduc- 
tions en  prose  française  d'une  œuvre  hagiographique  dont  nous  ayons 
connaissance. 


Nous  pouvons  encore  ranger  parmi  les  légendes  en  français  pu- 
bliées isolément,  et  avant  le  temps  où  paraissent  les  premiers  lé- 
gendiers,  une  vie  en  prose  do  saint  Eustache,  qui  parait  avoir  joui 
d'un  grand  succès,  si  on  en  juge  par  le  nombre  relativement  consi- 
dérable des  copies  qui  nous  l'ont  conservée.  La  vie  de  saint  Eustache, 


'''  Voir  j\otices  et  extraits  des  manuscrits, 
XXXIII,  1"  partie,  p.  9-18  et  23-48. 

<*'  G.  Paris,  dans  Romania,  XXI,  263.  — 
Guillaume  de  Cayeux  prit  part  à  la  troisième 
croisade  pomme  homme  de  Richard  1".  Il  est, 
à  cette  occasion  ,  mentionné  à  pliisieui's  reprises 
dans  VEstoire  de  la  guerre  sainte  d'Ambroise 
(  voir  l'cdif  ion  de  G.  Paris,  àla  lable  des  noms). 
Il  l'ut  fait  prisonnier  à  Bouviiies  et  bientôt 
remis  en  liberté.  On  ne  connaît  pas  la  date 
de  sa  mort.  Comme  il  figure  dans  l'Histoire  de 
Guillaume  le  Maréchal  (v.  4538)  avant  1 183, 
il  y  aurait  peu  de  vraisemblance  à  lui  attribuer 
un  acte  de  i23o,  émanant  d'un  seigneur  du 
même  nom,  qui  est  conservé  dans  le  Trésor 
des  chartes  (Teulet,  Lavettes,  11°  2099).  Ce  der- 


nier est  plus  probablement  le  lils  du  croise 
de  I  190. 

'^'  Cette  Yolant  est  la  «comtesse  Yolant»  à 
qui  fut  dédié  le  roman  de  Guillaume  de  Palerne , 
et  non  |)as,  comme  on  l'a  supposé  ici-méme 
(XXII, 839),  la  comtesse  de Nevrrs Yolant,  qui 
vivait  dans  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle. 

''  Sur  la  fausseté  de  cette  attribution ,  voir 
Hist  lin.  de  la  Fr.,  X,  532  et  suiv. ;  Delisle, 
}tote  sur  le  recueil  intitulé  «  De  miraculis  suncti 
«./rtcoAi»,dans  le  Cabinet  historique ,  1'  série.  Il 
(1878),  p.  1-9;  Friedel,  Etudes  compostellanes , 
1  [Otia  Mersciana,  Liverpool,  1899 j. 

'''  Voir,  sur  la  version  de  Pierre ,  A  otices  et 
extraits  des  manuscrits,  XXXIII,  1"  partie, 
p.  23-3o. 


382  I.KCENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FMNÇAIS. 

dont  l'original  est  grec,  est  un  pieux  roman  plein  des  plus  émou- 
vantes péripéties.  On  a  vu  plus  haut  que,  de  la  lin  rlu  xii''  siècle 
jusqu'au  \v%  on  en  avait  fait  jusqu'à  onze  versions  riniées.  On  ne 
sera  pas  surpris  d'apprendre  qu'elle  a  été  au  moins  quatre  lois  tra- 
duite en  prose.  Entre  ces  versions  en  prose  il  en  est  une  qui  doit  être 
mentionnée  présentement,  parce  qu'elle  se  rencontre,  copiée  à  part, 
dès  le  milieu  du  xin*  siècle  environ.  C'est  en  effet  à  celle  époque  que 
nous  attribuons  le  ms.  B.  N.  fr.  2^64,  où  elle  a  pris  place  entre  une 
vie  de  saint  Denis,  dont  nous  parlerons  j)lus  loin,  et  une  ancienne 
traduction  du  Pseudo-Turpin.  Elle  n'a  été  admise  que  dans  un  petit 
nombre  de  nos  anciens  légendiers*'',  la  plupart  de  ces  recueils  ayant 
préféré  une  autre  version.  L'auteur  de  la  traduction  que  nous  vou- 
lons, faire  connaître  écrit  d'un  style  alerte  et  familier,  émaillé  de 
locutions  populaires  qu'on  n'a  pas  coutume  de  rencontrer  dans  les 
(i3uvres  de  ce  genre.  C'est  qu'il  s'adresse  à  des  auditeurs,  non  à  des 
lecteurs.  Sa  vie  de  saint  Eustache  est  faite  pour  être  lue  ou  récitée  à 
haute  voix  devant  un  auditoire  avide  de  récits  merveilleux.  Nous  en 
transcrivons  c[uelques  extraits  d'après  le  ms.  fr.  2  464,  donnant  en 
note,  pour  aider  à  la  comparaison,  les  premières  lignes  de  la  vie 


lat 


me 


{•■!) 


'''  Bibiiotlièqiie  Sainte -Geneviève  588, 
fol.  io6  d  ;  Musée  Conde  456 ,  fol.  89  v°;  Bibl. 
Phillipps ,  art.  3o  (voir  Notices  et  extraits ,  XXXV, 
1"  partie,  p.  189);  Lyon  772  (Bull,  de  la 
Soc.  (les  une.  textes,  i885,  p.  64);  B.  'H. 
fr.  i83,  ari.  73;  fr.  i85,  art.  48;  Mus.  brit., 
Add.  17275,  art.  38  (pour  les  trois  derniers 
de  ces  manuscrits  voir  Notice  sur  trois  légendiers 
français  attribués  à  Jean  Belet ,  dans  Notices  et 
<;j;trai<J,  XXXVl,  43o,  47a,  483);  Bruxelles 
9236,  fol.  33o;  Oxford,  Queen's  Coll.  3o5, 
fol.  122  d. 

'''  Mombritius,  Sanciuarium ,  cf.  AA.  SS.. 
sept.  VI,  123  (20  septembre).  Çà  et  là  nous 
corrigeons  ou  complétons  le  texte  à  l'aide  du 
ms.  B.  N.  lat.  5577  (x'  siècle)  : 

In  difbiis  Trajani  imperatoris,  <la;moniiin  pra;- 
valente  failacia,  crat  magister  niiiitum  nomine  Pla- 
ridus,  gcnere  seciiiuluni    carnem  insignis,  opibus 


|>ollcns,  sed  da;nioiiuin  scrvitio  rapliis.opvribusvi'ru 
et  justitia  tunctis  virtutiim  eral  prtulilus  iucrili<  : 
sukveniebat  oppressis,  patrocinaliatiir  gravatis  in 
judicio;  pliires  etiam  a  judicibiis  injuste  damnalos 
relcvabat;  surdos  vesliebat  [.esuricntes  satiabal'*'], 
et,  ut  vere  diram,  cunrtis  indigcntibus  in  vila  sua 
dispensans,  sicut  in  Aclibus  aposlolorum  legilur,  ni 
fitiani  in  bis  leniporibusCornolins  vidcrctnr.  liabi'hal 
vppo  et  conjugem  eadem  sub  d.Tnionum  ruiliu'a 
fîxistcntem,  sed  siniilem  moribus  marili  senti'nlia-. 
Pro<n'antur  ei  fdii  duo  quos  edncabant  parcs  priipria 
\olunlate.  Erat  vero  nobilis  in  justitia  et  |H>t<>ns  in 
U'Ho,  ni  et  ipsi  Barbari  sulyugarenlur  ab  00.  Eral 
cnim  venatione  induslrius  omnibus  dicbus.  S'd 
niisericors  et  benignus  e"'  Deus ,  qui  semper  et  ubiqnc 
ad  se  sibi  dignos  vocal,  non  dcspexit  hujus  n|)era 
nec  voUiit  Ix-nignani  et  Deo  dignam  nicnteni  sine 
niercede  <lespri  idolâtrie  ronleclam  lenebri»,  s<hI, 
sccunduni  quod  srriptum  ost  quo<l  «  in  omni  génie 
a  qui  operatur  justitiam  accoptus  est  ei  »  [AcT,  x ,  >35] , 
|K!rvi'nit  ad  islum  benigna  misericordia  et  euni 
salvari  lali  \ohut  modo  (°'  . . . 


■'  R(!-tabli  d'oprèslf  ms.  lai.  S577.  —  ''''  Mombritius:  «. 
•  hoc  modo». 


induslrius,  ac  benignus • 


'"^  Mombritius  ;  tsatvari  vull 


ri.  ij:(;em)es  en  prose.  383 

Voici  le  commencement  de  la  version  française  (B.  N.  fr.  i/jGA, 
loi.  /il): 

Au  tons  ïrajan  l'eiiipt-ieor,  ([ue  deablos  avoit  grant  force  et  grant  pooir,  que  par 
lui  qup  par  ses  nienistres,  [fu"']  uns  hom,  mestres  de  chevaliers  et  de  grant  lignage, 
Placidas  par  non ,  et  de  grant  richesce,  honorez  sor  toz  les  autres;  mes  un  poi  i  ot  de! 
poil  de!  leu'*',  car  il  estoit  en  error  et  en  mescreance.  Ce  estoil  domages,  si  vos 
(lirai  por  quoi.  Il  secoroit  toz  cels  (pii  avoient  niestier  de  secors;  il  aidoit  toz  cels 
qui  avoient  niestier  d'aide,  cels  qui  estoient  grevez  en  jugement,  les  forsjugiez  et 
les  dampnez  a  tort;  il  rclevoit  de  son  avoir  les  povres;  il  revestoit  les  nuz;  il 
rt'peissoit  les  famelleus;  il  departoit  de  ses  viez  choses.  Il  sembloit  ja  au  tens  de  lores 
(lorniile  io  preudoine  que  saint  Pierres'^'  converti.  Il  avoit  terne  d'autretel  manière, 
(jui  meut  li  resembloit  bien  de  bones  tcches  et  de  bones  mors.  Mes  ele  estoit  ausi 
en  error  et  aoroit  les  ydres.  Cil  dui  avoient  .ij.  enfanz  qu'il  norrissoient  d'un  cuer 
et  d'une  volenté.  Encor  vos  di  plus  de  lui  qu'il  estoit  bons  en  guerre  et  bons  en 
justice,  si  qu'il  metoit  toz  ses  anemis  au  desoz,  et  toz  Barbarins  metoit  il  neis  soz 
pies.  De  chiens  et  d'oiseaus  savoit  il  qant  (pi'il  en  estoit,  de  bois,  de  rivière  et  de 
gibecier'*';  en  ce  s'estudioit  il  chascun  jor.  Mes  Nostre  Siies,  li  pius,  li  deboneres, 
qui  bien  set  et  voit  les  quex  il  doit  a  soi  apeler  et  atrere,  n'ot  mie  vn  despit  les 
bones  oevres  del  haut  home,  ne  le  bon  cuer  qu'il  avoit  el  ventre,  et  encor  estoit 
coverz  de  la  nue  d'error  et  de  mescreance.  H  nel  vost  mie  lessier  sanz  guerredon, 
car,  si  coiue  l'Escinture  dist  :  «  En  totes  manières  de  genz  tpii  I)eu  croient  et  aiment 
«  et  qui  béent  a  droit  et  a  reison,  il  plest'*'  bien  a  Nostre  Seignor  »;  et  por  ce  ot  il  pitié 
del  haut  home  et  le  vost  sauver  en  tel  manere  que  je  vos  dirai. 

Un  jor  avint  qu'il  s'en  issi,  si  com  il  avoit  en  us  et  en  costume,  as  montaignes 
por  chacier  a  tôt  son  esforz,  a  tôt  son  baudoire'*',  a  tôt  grant  compaignie  de  che- 
valliers, et  vit  tantost  devant  ses  ielz  une  grant  assemblée  de  cers  cpii  peissoient,  et 
il  tantost  de  l'atirier  ses  compaignons  par  torbes  et  par  eschieles;  si  corut  grant 
aleiire  après  les  cerz.  Que  que  li  chevalier  entendoient  a  la  chace  et  a  la  prise,  ez  vos 
un  cerf  plus  bel  et  plus  grant  que  tuit  li  autre,  et  s'en  vint  par  devant  lui,  et  se 
parti  de  la  compaignie  as  autres ,  et  se  feri  el  bois  la  dedenz ,  la  ou  il  estoit  plus  espès. 
Placidas  le  vit,  qui  moût  le  covoita,  et  leissa  toz  ses  compaignons;  si  corut  après  a 
mesniée  escherie.  Tuit  cil  se  lassèrent  et  recrurent  qui  avec  lui  estoient;  mes  il  ne 

'"'    Ce    mot ,    que   nous    restituons    d'après  dans   le   ms.  de  Lyon   :  »  mais  grant  defaute 

d'autres  manuscrits ,  manque  aussi  dans  la  copie  avoit  en  lui.  » 
de  Lyon  772.  !'^'  Saint  Pot,  dans  2/16^;  cf.  les  Actes  des 

'''  Locution  populaire  qui  est  souvent  em-  apôtres,  ch.  x. 
))l()yée  pour  dire  (|u'il  y  a  soupçon  de  trahison.  '*'  S.-Gen.  et  de  herser  et  de  gibier.   —  Le 

Ainsi  dans  le  Ménestrel  de  Beinis  (éd.  N.   de  traducteur  a  longuement  paraphrasé  ces  mots 

VNailly,  S  383)  :    «Adès  avra  il  en  Templiers  du  texte  latin:  «  Erat  venatione  industrius  om- 

«  dou  poil  dou  leu  »  ;  mais  ici ,  comme  eu  d'autres  «  nibus  diebus.  » 

exemples,  le  sens  est  plutôt  :«  il  y  eut   (chez  *^'  S.-Gen.  Toute  manière ..  .  il  plaisent. 

«  Eustache)  un  défaut, une  tache.  «Cette  locution  '"'  S.-Gen.  baudaire;  lalin  cum  omni  exercitu 

a  [)aru  trop  familière  à  certains  copistes.  Ainsi      "  el  gloria. 


38^1  LKGENI)P:S  Il\(ilO(;UAPIIIQLES  KN  FRANÇAIS. 

i'u  ne  las  ne  recrcûz,  ainz  fist  to/.  jorz  sa  cliace,  si  coni  Dous  le  vost ,  ne  ses  chevax 
ne  recrat  ;  ne  [ne]  leissa  [a]  aler  par  les  broces  ne  par  essarz  ne  par  espiiies  après  le  cerl , 
et  ja  fu  H  cerz  nnout  esloigniez  de  tote  la  conipaignie ,  et  s'en  monta  sor  une  roche  en 
haut;  si  s'aresta  et  estut  iluec. 

Li  mestres  des  chevaliers  s'aprocha  tôt  sanz  sa  conipaignie,  et  regarda  tôt  entor 
soi  et  environ  ;  si  devisoit  en  (|uel  manière  il  poïst  ce!  cerf  prendre  ;  mes  cil  qui  a 
tôt  le  sens  et  tôt  le  savoir,  ])ar  sa  douçor  et  par  sa  miséricorde  porchaça  et  cliaca 
celui  qui  le  cerf  chaçoit ,  et  hersa  celui  qui  lecerf  voloit  herser,  par  soi  meïsme,  non 
par  autrui,  ne  mie  si  com  il  converti  Cornille,  le  liai  home,  parla  houche  saint 
Père,  mes  si  com  il  converti  saint  Pol  par  sa  demostrance.  Placidas  s'estut  [iluec] 
longuement  et  se  merveilloit  de  la  grandor  et  de  la  heauté  del  cerf,  mes  sanz  et 
pooir  li  falloit  del  prendre.  Ensi  estoit  tôt  pris  (f.  /|3)  de  ce  qu'il  nel  pooit  prendre; 
mes  Nostre  Sires  li  mostra  lores  qu'il  ne  montast  en  Fauvel  '",  et  qu'il  n'encharchast 
chose  ne  n'enpreïst  dont  il  ne  [se]  poïst  chevir.  Et  tôt  ainsi  com  il  fist  fasnesse  parler 
desoz  Balan ,  et  reprendre  le  vassal  de  sa  musai'die ,  tôt  autressi  mostra  il  a  cestui , 
entre  les  cornes  del  cerf,  le  signe  de  la  verale  croiz  plus  cler  et  plus  resplendissant 
<[ue  H  rais  del  soleil,  et  en  mileu  des  cornes  l'image  nostre  seignor  Jhesu  Crist, 
(|ui  fist  le  cerf  parler  en  guise  d'ome;  et  apela  Placidain,  si  li  dist  :  «  Placidas,  por 
«  quoi  vas  tu  encontre  moi?  tpie  me  demandes  tu?  Voiz  [que]  por  l'amorde  toi  sui  je 
«  venuz  en  ceste  heste,  ([ue  tu  [me]  voies  et  que  tu  ine  conoisses.  Je  sui  '^' Jhesucrist, 
ic  que  tu  sers ,  et  si  n'en  sez  mot.  Je  ai  hien  veù  les  aumônes  que  tu  lez  chascun  jor  as 
«  povres  et  as  hesoigneus.  Or  me  sui  venuz  a  toi  mostrer  par  cest  cerf.  Tu  hées  a  la 
«  prise  del  cerf,  et  je  hé  a  fere  de  toi  ma  proie.  Tu  ne  lieras  ne  ne  prendras  le  cerf, 
«  mes  je  t'en  menrai  pris  et  lié,  que  il  n'est  droiz  ne  reisons  que  mes  amis,  qui  tant  a 
«  fet  de  hones  oevres ,  serve  dès  or  en  avant  les  deahles ,  ne  qu'il  aort  les  ydres  qui  n'ont 
«  ne  sens  ne  savoir,  ne  secors  n'aide  ne  puent  fere;  et  por  ce  ving  ge  en  terre  le 
n  monde  sauver  en  tel  semhlance  come  tu  puez  veoir.  » 

Quant  li  mestre  des  chevaliers  oï  le  cerf,  qu'il  cuida  que  a  lui  parlast  ^^\  si  fu 
si  eshahiz  et  ot  si  grant  peor  qu'il  chai  de  sus  son  palefroi  a  terre.  Quant  ii  fu  re- 
venuz  et  il  ot  son  cuer  repris,  il  se  dreça  et  vost  veoir  plus  ententivement  la  mer- 
veille qui  li  estoit  appareûe.  Si  di.st  entre  ses  denz  :  «  Quel  merveille  et  quelle  vision 
«  est  ce  cpii  m'est  apareùe?  »  Et  dist  :  «  Beau  sire,  descuevre  moi  et  demostre  ce  que. 
«  tu  diz,  se  tu  velz  que  je  croie  en  toi.  »  Lors  li  dist  Nostre  Sires  :  *  Entent  a  moi, 
«  Placidas,  je  sui  Jhesu  Crist  cjui  de  noient  fis  ie  ciel  et  la  terre,  et  les  .iiij.  elemenz 
«  en  .iiij.  leus  mis.  Je  fis  le  jor,  je  fis  la  nuit,  je  fis  clarté,  je  fis  teniehres,  je  fis  l'auhe 
«  crevant  et  le  soleil  raiant,  je  fis  la  lune  por  la  nuit  anlumineir  et  les  estoiles  por  le 
«  ciel  atorner.  Je  estahli  le  tens  et  les  anz  et  les  jorz  et  les  mois.  Je  fui  cil  qui  forma 
«  home  de  terre.  Je  fui  crucifiez  et  enseveliz,  et  resuscitai  au  tierz  jor  de  mort  a  vie.  » 

'•'    «Chevaucher  Fauvel  »  est  une  expression  •  entreprise  «;  il  y  a  dans  le  latin  :  Demonslral 

bien  connue  qui  signilie  «  tromper,  user  de  per-  illi  Deas  jadicinm  taie  non  teniere  neque  supra 

«fidici;    voir  A.  Tobler,   Comptes  rendus  de  stiw  virtatis  marjniludint'm.  Cf.  monter  au  baiard 

l'Acad.  de  Berlin,  1883,  p.  5/ia,  et  Hist.  litt.  dans  YHist.  (le  Gutll.  le  Maréchal,  v.  538/i. 
de  la  Fr.,  XXXII,  110.  Ici  le  sens  parait  être  '*'  S.-Gen.  et  que  tu  connaisses  que  je  sui. 

plutôt  «s'embarquer  témérairement  dans  une  '"'  Le  copiste  ajoute,  par  erreur,  »i  ot. 


II.  LKCÎENOES  EN  PROSE.  385 

De  temps  à  autre  le  traducteur  introduit  dans  son  texte  certains 
commentaires  de  sa  façon.  Ainsi  le  mot  arena  lui  a  fourni  la  matière 
des  explications  qui  suivent  : 

[Fol.  58)  Quant  ce  vit  li  tiraiiz  qu'il  ne  les  porroit  escroUer  ne  giter  de  ior 
créance,  il  conienda  (ju'il  lussent  tuit  quatre  mené  en  l'areine,  et  qu'en  Ior  leissasl 
corre  un  lion  sauvage.  L'areinne  si  estoit  une  grant  place  en  Rome  ou  li  vallet  jooient 
a  l'escreniie,  et  les  damoiseles  i  faisoient  Ior  bauz  et  Ior  queroles,  li  damoisel  i 
poignoient  Ior  clievax,  li  champion  i  donoient  les  cox  l'empereor,  et  li  bachelcr 
i  jooient  a  l'escreniie ,  as  boreaus  et  as  talevaz.  Por  tex  jeus  et  por  autres  s'asem- 
bloient  iluec  as  lestes  cil  de  la  cité. 

Nousavous  cru  utile  de  donner  quelques  extraits  de  la  vie  de  saint 
Eustache  parce  qu'elle  présente  des  particularités  de  style  que  noiis^ 
n'avons  pas  rencontrées  ailleurs  et  qu'elle  est,  en  somme,  un  docu- 
ment intéressant  et,  pour  une  traduction,  assez  original,  de  la  prose 
française  dans  la  ])remière  moitié  du  xiii^  siècle.  Nous  traiterons  plus 
sommairement  de  quelques  autres  légendes  françaises,  un  peu  moins 
anciennes  peut-être,  mais  qui,  pourtant,  ne  peuvent  guère  être  pos- 
térieures au  milieu  du  xiii"  siècle. 

Le  manuscrit  fr.  2464,  d'après  lequel  nous  venons  de  donner 
quelques  extraits  de  la  vie  de  saint  Eustache,  renferme  encore,  nous 
l'avons  dit,  une  vie  de  saint  Denis,  traduite  de  la  légende  rédigée  ])ar 
l'abbé  Hilduin'"',  dont  il  convient  de  ])arler  ici;  car,  de  même  que 
celle  de  saint  Eustache,  elle  fut  écrite  pour  former  un  livre  à  part,  ef 
n'a  été  introduite  que  tardivement  dans  certains  de  nos  légendiers. 
Nous  ne  savons  ni  par  qui  ni  exactement  à  quelle  époque  elle  a  été 
mise  en  français.  Tout  ce  que  nous  pouvons  affirmer,  c'est  qu'elle  est 
antérieure  à  i  2  5o.  Nous  la  trouvons,  en  effet,  dans  un  manuscrit  très 
richement  enluminé,  qui  fut  exécuté  à  cette  époque,  et  dans  le  mo- 
naslère  même  de  Saint-Denis'"^*.  Elle  se  rencontre  encore,  soit  isolée, 
soit  jointe  à  des  compositions  d'un  tout  autre  caractère,  en  plusieurs 
manuscrits  du  xiif  au  xv''  siècle'^'.  Les  légendiers  proprement  dits 

'')  Voir  Hist.  llU.  (le  la  lu:,  IV,  610;  Mo-  '''   Paris.  B.   N.   fr.   696   (manuscrit  fait  à 

iinier.  Les  sources  de  riiisl.de  lù: ,  l,  2i.  Saint-L)enis),    io4o,   iiGi,   i35o2,    i  gôSo  ; 

'*'  \o\r]ielislc ,  ^'olice  sur  un  liera  à  peintures  Troycs,    ig55;   Londres,  Musée   brit.,    Add. 

exécuté  en  12.')0  dans  l'ahhave  de    Saint-Denis  i.5'Jo6  {\oiv  Romanin ,  VF,  27);  Harl.  /i/|0(), 

{Bibl.  de  l'École  des  chartes^  XXXVJII,  444).  fol.  3. 

HIST.  MTTKR.  XXXHI.  40 


386  LÉGENDES  HAGIOGR\PHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

où  elle  a  pris  place  sont  peu  nombreux ''',  ces  recueils  ayant  géné- 
ralement adopté  une  autre  traduction  plus  littérale  de  l'œuvre  de 
l'abbé  Hilduin  ^'K 

Notre  vie  française  de  saint  Denis  n'est  pas  la  traduction  pure  et 
simple  de  l'ouvrage  de  Hilduin  :  le  traducteur  y  a  joint  divers  mor- 
ceaux relatifs  à  saint  Denis,  dont  le  détail  a  été  donné  par  M.  Delisle 
dans  l'article  précité  '^'.  (l'est  du  reste  ce  qu'il  nous  apprend  à  la  fin 
d'un  prologue  qui  ne  paraît  s'être  conservé  que  dans  un  manuscrit, 
le  n"  696  du  fonds  français  de  notre  Bibliothèque  nationale.  Nous 
crovons  utile  de  reproduire  ici  ce  prologue,  avec  les  premières  lignes 
de  la  vie  proprement  dite  : 

Mi  seigneur  et  mi  compaignon,  vosire  conmandeinent  et  voz  prières  m'ont  sou- 
ventes  loiz  contraint,  et  encor  contraignent  de  jour  en  jour,  a  faire  et  a  ordcner  nous 
aucun  tretié  ou  aucune  bêle  istoire  qui  vous  soient  plesanta  oïr;  mes,  pour  la  peti- 
tece  de  mon  engin,  je  ne  vous  puis  rien  1ère  de  moi,  ainz  convient  encor,  se  je  le 
puis  fere,  c|ue  je  preingne  en  bouche  d'autrui  et  de  plus  sages  de  moi  ce  que  je  vous 
baudroi.  Si  me  vue!  esforcier  et  cntremetre  de  traire  vous  de  latin  en  IVançois ,  de 
piuseurs  volumes,  chose  qui  plesaiit  et  bone  est  a  oïr  a  touz  ceux  qui  bien  vivent 
et  honeslement  en  la  foi  crestienne,  especiaument  a  nous  touz  qui  sommes  nez  et 
estraiz  du  roiaume  de  France.  Si  n'i  a  rien  que  pure  vérité.  Si  pourrez  en  cete 
liuevre  voier  moût  de  beaus  faiz  et  de  loables,  et  moût  de  mavais.  Si  fait  bon  tout 
(jïr  :  les  bones  huevres  pour  fere  les  et  pour  demorer  i  par  bon  essample,  les  mau- 
veses  pour  foïr  les  et  eschiver.  Et  tout  autresi  conme  missires  sainz  Denises  fu 
chief  et  patrons  de  France,  et  par  lui  furent  noz  anciens  pères  entroduiz,  et  nos 
après,  en  la  foi  crestienne,  tout  aussi  vuell  je,  a  l'aide  dou  Pcre  et  du  Fil'*'  et  du 
Saint  Esperit,  de  ses  faiz  et  de  sa  glorieuse  passion  et  de  ses  compaignons  fere  chief 
de  coronne  et  conmencement  de  cete  huevre.  Et  por  ce  que  aucuns  ne  cuideroient 
pas,  par  aventure,  que  aucun  glorieus  martir  et  confesser  et  aucunes  glorieuses 
virges  reposassent  en  l'église  dou  precious  martir  monseigneur  saint  Denis,  se  il 
ne  savoient  la  reson  et  la  manière  conment  il  i  furent  aporlé,  le  me  covient  chou- 
chier  en  ceste  huevre  après  les  fèz  et  la  glorieuse  passion  dou  très  beneiiré  martir 
monseigneur  saint  Denis  et  après  l'invention  de  li  et  de  ses  compaignons,  et  après 
aucuns  miracles  que  Nostre  Sire  fist  por  lui  ou  lieu  ou  il  est  ore  en  cors  ensepou- 
turez  honorablement.  Si  conmencerai  einsi  eu  non  de  la  sainte  Trinité,  amen. 

'''  Sainle-Geneviève,   588,  foi.  89;  Musée  ferment  aussi  la  vie  de  saint  Eustache  dont  on 

Condé    456,  fol.    77;  Bil)l.    Phillipjis  366o,  on  a  parlé  ci-dessus,  p.  38a,  note  i. 
art.    26    [Notices    et  extraits,    XXXV,    189);  '*'  Voir   Notices   et   extraits,    XXXV,    48i 

deux  des  trois  légendiers  qui  portent  le   nom  (notice  du  ms.  B._N.  fr.  6447). 
(le   Jean    Belcl    [Notices  et  extraits,  XXXVI,  C'   Bihl.  de   l'École  îles  chartes,   XXXVIII, 

43o);  Oxford,  Queen's  Coll.  3o5,  fol.  94  d.  Il  4.53. 
est  à  remarquer  que  tous  ces  manuscrits  ren-  <*'  Ainsi  corrigé;  première  leçon  fin:. 


H.  LEGENDES  EN  PROSE.  387 

Ici  comencent  lifet  et  la  passion  monseigneur  saint  Denis. 

Après  la  preciose  mort  que  nostro  sires  Jhesii  Cri/.,  virais  Deu\  et  verais  home, 
vout  souirrir  en  la  veraie  croii!  pour  le  salu  de  monde,  et  après  sa  resurrercion  et  sa 
glorieuse  ascenssion  es  sainz  cielx  ou  il  siet  a  la  destie  sou  père,  la  doctrine  et  11 
preeschemenz  des  apostres  s'espandi  et  s'estendi  par  toutes  terres  et  parvint  a  toutes 
manières  de  gent. .  .  . 

Si  l'on  considère  que  ie  manuscrit  696  a  été  exécuté  à  Saint-Denis, 
on  sera  sans  doute  porté  à  croire  que  le  traducteur  de  celte  compi- 
lation relative  au  saint  qui  était  regardé  conime  le  patron  du  royaume 
de  France''^  était  un  moine  de  l'abbaye  fondée  en  l'Iionneur  de  ce 
saint,  et  que,  par  ces  mots  du  début  «Mi  seij^neur  et  mi  compai- 
'<  o^ion  »,  il  désigne  son  abbé  et  ses  confrères. 

Entre  les  légendes  en  prose  française  qui  ont  été  pidjliées  isolément , 
soit  vers  le  temps  où  ont  paru  les  premiers  légendiers,  soit  même 
à  une  époque  plus  ancienne,  il  faut  compter  encore  celles  de  saint 
Brendan,  de  saint  Julien,  de  saint  Jacques  de  Galice,  de  sainte  Marie- 
Madeleine,  de  Barlaam  et  Josapliat,  de  saint  Patrice,  de  saint  Vast, 
de  l'Antéchrist,  ime  version  de  l'Evangile  de  Nicodème,  etc. 

Nous  possédons  deux  versions  en  prose  de  la  légende  latine  de  saint 
Brendan  (  Vifa  ou  JSavùjado  sancti  Bremiani).  L'une  d'elles,  qui  est  assez 
libre,  se  rencontre  en  un  grand  nombre  de  légendiers  français,  comme 
ou  le  verra  dans  la  suite  de  cette  notice;  l'autre,  beaucoup  plus  exacte, 
ne  nous  a  été  conservée  que  dans  le  manuscrit  B.  N.  fr.  i553,  qui  est 
un  vaste  recueil  d'ouvrages  variés,  la  plupart  en  vers,  (^elle-ci  a  été 
publiée  deux  fois,  d'abord  par  A.  Jubinal''^',  puis,  récemment,,  pai- 
M.  \^ahlund'^'.  Le  manuscrit  a  été  exécuté  en  12  85;  la  version  nous 
paraît  sensiblement  antérieure  à  cette  date,  mais,  alors  même  qu'elle 
serait  postérieure  au  milieu  du  xiii*  siècle,  époque  où  apparaissent  nos 
plus  anciens  légendiers,  elle  n'en  devrait  pas  moins  être  mentionnée 
ici  puisqu'elle  n'a  été  admise  en  aucun  recueil  de  légendes  françaises. 

'*'  Voir  L.  Dellsle ,  iVoticei  e<  extraits ,  XXI ,  Nat.-Bibl.  fr.  1553,  von  neuem,  mit  Einlei- 

3'  partie,  p.  aSo-i.  tung,  lat.  und  altfrz.  Parallel-Texten ,  Anmer 

'''  La  leyendc  lutine  de  saint  Brandaines,  avec  kungen  und  Giossar,  hgg.  von  Prof.    D'  Cari 

nue  traduction  inédite  en  prose  et  en  poésie  ro-  VVahlund  (  Upsala ,  Almqvist  u.  Wiksell ,  ujoi). 

mânes  (Paris,  i836).  Le  texte  du  ins.  iâ33  occupe,  dans  cette  édi- 

'^'  Die  altfranzôsische   Prosaûbersetznnr/   von  tion,  les  pages  .3  à  loi.  En  regard  est  imprimé 

Brendans  Meerfakrt,  nach   d-jr  Pariser  Hdschr.  le  texte  latin. 

^i9- 


388 


LKC.ENDES  HAGIOGRAPIIIOURS  EN  FRAKCAIS. 


Par  contre,  la  vie  de  saint  Jnlien  se  rencontre  généralement  jointe 
à  d'autres  légendes  hagiographiques'''.  Toutefois  nous  la  trouvons 
isolée  dans  le  nis.  B.  N.  fr.  i546,  qui  est  du  xiii'  siècle.  Cette  cir- 
constance à  elle  seule  ne  nous  autoriserait  pas  à  affirmer  que  la  vie 
de  saint  Julien  est  indépendante  des  légendiers,  car  on  aurait  pu  la 
tirer  de  l'un  d'eux  pour  la  transcrire  dans  le  ms.  1 5^6,  mais  un  argu- 
ment plus  valable  se  tire  de  sa  composition  même.  Cette  vie,  en 
ellet,  n'est  pas  traduite  du  latin'"''  :  elle  a  été  librement  rédigée  d'après 
le  poème  que  nous  avons  mentionné  ci-dessus,  p.  3 60  :  des  expres- 
sions, pai'iois  même  des  vers  entiers  du  texte,  sont  conservés  dans  la 
prose '^'.  Or  il  est  bien  peu  probable  qu'aucun  des  écrivains  anonymes 
qui  se  sont  les  premiers  imposé  la  tâche  de  former  un  légendier 
jrançais  en  traduisant  un  choix  de  légendes  latines,  ait  eu  l'idée  de 
remanier  en  prose  un  texte  en  vers. 

C'est  aussi  d'après  un  poème  qu'a  été  rédigée  en  prose  une  vie  de 
saint  .lacques  le  Majeur  qui  s'est  conservée  dans  un  seul  manuscrit. 
Arsenal  3  5 1 6  '^'.  Bien  que ,  dans  ce  manuscrit ,  elle  soit  jointe  à  quelques 
autres  légendes  françaises,  il  n'est  pas  douteux,  on  le  verra  plus  loin, 
lorsque  nous  traiterons  de  ces  légendes,  qu'elle  en  est  complètement 
indépendante.  D'ailleurs  nos  anciens  légendiers  contiennent  une  tout 
autre  vie  de  saint  Jacques  le  Majeur,  accompagnée  de  la  translation 
et  des  miracles,  traduite  directement  du  latin '^'. 

Dans  nos  anciens  légendiers  français,  on  ne  trouve  pas  moins  de 
(|uatre  légendes  de  la  Madeleine  qui  diffèrent  considérablement  les 
unes  des  autres,  ayant  été  traduites  de  vies  latines  très  fliverses'*'. 


'''  Voir  Bullelin  de  la  Sor.  des  une.  textes, 
188.'),  p.  63;  1892,  p.  ()3;  Notiees  et  extraits, 
XXXIV,  1"  partie,  p!  191;  XXXV,  486; 
XXXVI, /,29,  70-!. 

'*'  L'ori<,'inal  latin  ne  nous  est  point  parvenu, 
ou  (lu  moins  n'a  pas  été  découvert  jusqu'ici. 
On  en  a  deuN  abrégés  dans  la  Legeiida  utirea 
de  Jactpies  de  Varazze  (cli.  xxx ,  édition 
Griisse,  p.  lit)  et  dans  les  Ge.ila  lïomanovuin 
(ch.  XVIII  ). 

'''  La  rédaction  en  pi-ose  a  été  publiée  dans 
['Arcliiv  fur  dus  Studinin  der  neueren  Spraclieii 
iiitd  Litteraturen  ,  t.t^VII  (1901),  p.  80 el  suiv. , 
d'après  le  ras.  B.  X.  fr.  6/1/17.  A  ce  pro(X)S 
l'éditeur   clierrbe  à    prouver  (t.  (;VI,  p.  3o4 


et  suiv.)  (jue  c'est  la  version  en  pros<!  (pi  est 
l'original  du  poème.  Mais  cetle  opinion,  qu'il 
serait  tiop  long  de  discuter  ici,  e.st  de  tout 
point  insoutenable.  Le  début  du  texte  en  prosi- 
indique  clairement  que  ce  texte  est  composé 
d'après  un  ouvrage  «  en  romans  »  :  «  Uns  preu- 
dom  nous  raconte  la  vie  de  monseignor  saint 
•lulien  qu'il  «  translutée  de  lutin  en  romans,  et 
disi ...» 

'*'   Publiée  dans  la  Bomuniu ,  XXX,  a52. 

'*'  Voir  Homaniu.  X\'II,  37/1,  et  aussi  la 
Notice  du  ms.  B.  N.  fr.  (ikUl ,  dans  Yo/icc' c( 
extraits,  XXXV,  a'  partie,  p.  469  et  /177. 

'"'  Voir  Notices  el  extraits,  XXXV,  /191; 
XXXV'I,  36;  Romania,  XXX,  007. 


II.  J.ÉGENDES  E^  PROSK.  389 

(^elle  dont  nous  allons  donner  un  extrait  est  tout  à  fait  indépendante 
de  ces  quatre  légendes.  Elle  nous  a  été  conservée  dans  trois  manu- 
scrits dont  aucun  n'est  un  légendier.  L'un  d'eux  est  le  n"  35 1 6  de  l'Ar- 
senal, où  se  trouve  la  vie  de  saint  Jacques  dont  nous  venons  de  parler; 
les  deux  autres  sont  les  n°'  4^2  et  igoSi  du  fonds  français  de  la 
Bibliothèque  nationale.  Il  y  a,  entre  ces  trois  exemplaires,  des  variantes 
assez  notables  pour  nous  porter  à  croire  que  cette  rédaction  a  été  très 
souvent  copiée.  Aussi  ne  serions-nous  pas  surpris  si  on  en  découvrait 
de  nouveaux  manuscrits.  Dans  le  texte  de  l'Arsenal,  la  vie  de  la 
Madeleine  est  suivie  de  cinq  autres  lé«|;endes  éf^alement  en  prose, 
entre  lesquelles  celle  de  saint  Jacques  le  Majeur,  mais  nous  étudierons 
tout  à  l'heure  la  composition  de  ce  petit  groupe,  et  nous  verrons  qu'à 
l'origine  la  vie  de  la  Madeleine  n'en  faisait  pas  partie,  non  plus  que  la 
vie  de  saint  Jacques.  Voici  les  traits  caractéristiques  de  notre  légende. 
Elle  est  rédigée  avec  beaucoup  de  liberté,  à  ce  point  qu'il  est  difli- 
cile  de  déterminer  d'après  quelle  source  latine  elle  a  été  mise  en 
français.  11  est  probable  que  le  rédacteur  a  utilisé  plusieurs  sources. 
L'histoire  de  la  sainte,  au  temps  où  elle  vivait  en  Judée,  est  traitée 
très  rapidement.  Aucune  allusion  n'est  faite  à  la  pécheresse  de  l'Evan- 
gile qu'on  a  confondue  au  moyen  âge  avec  Marie  de  Magdala.  La 
légende  se  compose  de  trois  éléments:  i°  l'arrivée  à  Marseille,  et  la 
conversion  d'un  seigneur  qui  ici  est  appelé  prince  d'Aquilée,  non  pas 
prince  fie  Marseille  ou  de  Barlette  comme  ailleurs''';  2°  le  voyage  de  ce 
seigneur  en  Terre-Sainte  et  le  miracle  qui  préserve  la  vie  de  sa  femme 
et  de  son  fils  abandonnés  dans  une  île  déserte*'^';  3"  la  mort,  ou  ])lutôt 
l'assomption  de  la  sainte;  /j"  l'enlèvement  subreptice  de  son  corps  et 
son  transport  à  Vézelai.  Cette  dernière  partie  est  un  très  court  abrégé 
de  la  légende  de  Badilon'^',  où  ni  Badilon  ni  Girart  de  Roussillon  ne 
sont  nommés.  L'auteur  écrit  d'un  style  simple  et  coulant.  Il  se  met  en 
scène,  s'adressant  visiblement  à  des  auditeurs  plutôt  qu'à  des  lec- 
teurs. Sa  façon  de  conter  ne  laisse  rien  paraître  de  la  contrainte 
et  de  l'effort  qu'on  remarque  souvent  dans  les  traductions  :  c'est 
plutôt  un  récit  primesautier  qui  ne  suit  que  de  loin  les  originaux 
latins.  En  voici  le  début,  d'après  le  manuscrit  de  l'Arsenal  (fol.  Sy), 

'■'  Voir  Notices  et  extraits,  XXXVl ,  38.  —  '"'    Pour  les  sources  latines  de  ce  miracle, 

Une  autre  rédaction  fait  de  ce  personnage  un         voir  Hisl.  lut.  de  la  Fr.,  XXXII,  95-6. 
chevalier  d'Aquitaine  {Romuiiia,  XXX,  3o8).  '^    \oir  Hist.  Htt.  de  la  lu.,  XXXII,  97. 


300  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

les  deux  autres  copies  présentant  à  cet  endroit  un  texte  visiblement 
abréfçé'''  : 

H  est  voirs,  et  nos  devons  tos  croire,  k(!  li  dons  parlais  Jhesus  (iris  rechut  mort  et 
passion  por  son  pulle  rachàter  des  mortels  Icnebres  d'infer,  et  resnscita  de  mort 
conme  voira  Dex,  et  conmanda  ses  apostles  a  preechier,  et  ior  devisa  les  contrées 
ou  il  anonceroieiit  la  foi  Jhesu  Crist,  Saint  Piere  et  saint  Pol  converti  la  gent  vers 
Rommc,  sains  Jakesala  vers  Surie, sains  Johans  converti  les  (iricus,  sains  Andrieus  ol 
Esclabonie,  sains  Thomas  converti  la  gent  d'Ynde  qui  point  de  créance  n'avoient. 
En  l'autre  Inde  la  plus  lonctainc  fu  sains  Bortolomeus;  sains  Philipes  conqulst  la 
terre  vers  Egypte;  sains  Judes  et  sains  Simons  aierent  en  Arrabe  et  en  Perse,  et 
conquistrent  le  pais  jusqu'en  Ynde;  sains  Mars  preecha  le  pople  d'entor  Alixandre; 
sains  Mathis  conquist  Moretaigne ,  et  la  sainte  Madelaine  preecha  la  foi  Jhesu  Crist, 
son  maistre,  et  fist  moût  grant  pople  servir  [et]  ahorcr  Jhesu  Crist,  si  com  vos  or[r]és 
chi  après  dire,  conment  et  en  quel  manière  ele  converti  ele  roi  d'Aquilée  et  tôt  le 
pople  de  son  règne.  Messire  sains  Pierres,  qui  de  très  grant  amor  anioit  les  amis 
Nostre  Seignor,  et  qui  bien  connut  alcuns  des  amis  al  verrai  amant,  et  nieesmement 
de'^'  la  Madelaine,  por  ce  que  il  savoit  bien  que  ele  très  ardantment  l'amoit  et '■'"que 
de  li  ne  .se  departiroit  il  mie,  si  li  avroit  donée  une  proiere'''  esperituel  qui  eùst 
cure  de  li,  si  le  conmanda  a  saint  Maximien,  et  il  geta  de  lui  .Ixx.'^'  meneurs  deables. 
et  se  li  dist  :  «  En  celé  doce  garde  que  nos  dous  pères  Jhesu  Crist  conmanda  sa 
«  doce  mère ,  ce  fu  al  douch  ewangeliste ,  te  conmant  je ,  doche  sainte  ancele  Dieu ,  doce 
«  amerouse  Madelaine  n.  Après  ce  ils  se  divisèrent  et  par  mer  et  par  terres.  Que  que 
li  altre  alaissent,  il  n'est  mie  mestiers  que  je  le  die  ore  chi,  mais  je  dirai  de  la 
Madelaine,  et  ainsi  com  Maximiens'*''  ariverent  a  Marseille  et  pristrent  terre,  et  con- 
mencierent  a  preechier  a  Marseille  et  totc  la  terre  d'Aquilée.  Li  Madelaine  avoit  a 
non  Madel[ain]e  por  .j.  castel  qui  siens  estoit  en  la  terre  de  Jheiiisalem,  et  mees- 
mement  avoit  ele  une  conté  qui  soe  estoit,  et  dedens  Jherusalem  avoit  ele  une  rue; 
et  tôt  ce  li  venoit  de  son  patremoine.  Et  ce  di  je  por  chou  que  on  sace  la  nobilité  et 
la  hauteche  de  lui,  car  ele  estoit  de  lignie  de  roi,  et  si  avoit  lot  ce  laissié  por  ce  que 
ele  fust  povre  et  sanlans  a  Jhesu  Crist  son  douch  ami;  et  si  ne  voloit  mie  que  les 
richeses  le  destorbassent  a  penser  a  ses  amours .  .  . 

<''  Voici  les  premières  lignes  de  la  leçon  du  l.e  sujet  de  la  dernière  phrase  doit  être  non 

ms.  fr.  422  (fol.  ia5  c),  dont  le  ms.  l'r.  ig.^Sl  pas  «  .Ihesucris  » ,  mais,  comme  dans  le  ms.  de 

ne  dilfère  que  par  de  légères  variantes  :  l'Arsenal  (  et  aussi  dans  le  ms.  fr.  i  963 1  ) ,  «  sains 

r lerres  m. 
Qiianl  li  <lisriple  Jliesurrisl  eurent  rcchul  le  saint  (»)   <  /, 

Espirt,  il  s'en  partirent doi  et  (loi  pour  alcr  preechier  ,1    '.   '  !•  '     ,"               ....                            ., 

I.   foi  que   Ior  boins  maistres  Jhesucri»  for   avoit  '   ^u  l.eu  de  et    qu.  n  a  ici  aucun    sens,  d 

ensaignié  a  ses  sains  qui  plus  fermement  et  plus  Caut  "re,  connne  dans  les  deux  autres  copies 

tenremenl  l'amoienl.  Issi  se  départirent  li  ami  al  (ci-de»sus,  note  1  ),  se  pensa. 

vrai  amant.  Et  Jliesucris  nieismement,  pour  chou  '*'   Corr.  nn  père. 

qu'il  savoit  que  li  douche  Magdelaine  l'amoit  plus  (»)  Septein  rfffHioHia,  dans  .Jacques  de  Varaz/.e 

ardamment  que  li  autre  disciple,  si  se  pensa  que  1^^   Grasse,  p.  4o8),  mais  c'est  à  .lésus  qu'est 

<le  li  ne  se  parliroil  il  mie  desci  adont  qu'il  li  aroit  „,tribué  ce  miracle. 

qu.s   ,K,re   espintuel    qn,    eûsl   cure    de    h.  Si  le  ;.,   ^j,       ^,.^^   j^,   j^^^    ^^tres  copies  :    U 

romnianda   a  S.  Maximien  qui   estoit  .1.   des   .Ixx.  ,,.  ,....#•    •                    ' 

railleurs  disciples  nostre  signeur  JhesucrisU Magdelaine  et  savi*  Muj-muens. 


II.  LEGENDES  EN  PRaSE 


391 


Le  pieux  roman  de  Barlaam  et  Josaphat,  venu  originairement  de 
rinde,niis  en  grec  au  vu*' siècle,  abré<>é  enlalin  auxii',  ou  peut-être  un 
peu  plus  tôt,  a  édifié  de  nombreuses  générations  de  croyants,  qui  ne 
soupçonnaient  guère  que  sous  le  nom  de  Josaphat  ils  vénéraient  Boud- 
dha. Nous  en  avons  énuméré  plus  haut  (p.  34o)  trois  rédactions 
rimées,  nous  en  signalerons  deux  versions  en  prose,  qui  ont  pu 
s'introduire  en  quelques-uns  de  nos  légendiers,  mais  qui  en  étaient 
primitivement  indépendantes.  L'une  de  ces  versions,  nous  l'avons  dit , 
n'est  que  la  mise  en  prose  de  l'un  des  poèmes;  l'autre  a  été  laite  sur  le 
latin,  et  nous  l'avons  déjà  rencontrée  jointe  à  la  version  champenoise 
des  Vies  des  Pères^'l  On  la  trouve  jointe  à  d'aulres  ouvrages  en  divers 
manuscrils'"^^  mais  les  légendiers  qui  l'ont  admise  sont  peu  nom- 
breux. Nous  ne  pouvons  citer  que  les  mss.  B.  ÎN.fr.  172*^9  (fol.  a^i), 
4i3  (fol.  32/4)  et  'j3ii7  (fol.  388).  Remarquons  encore  que  dans 
les  deux  derniers  de  ces  manuscrits  elle  est  considérablement  abrégée. 

La  merveilleuse  visite  du  chevalier  Owein  au  Purgatoire  de  saint 
Patrice,  contée  en  latin  par  Hugues,  moine  de  Saltrey  (comté  de 
Tluntingdon)  qui  vivait  au  xii''  siècle*^\  a  obtenu,  jusqu'au  xvi"  siècle, 
un  succès  plus  grand  peut-être  que  le  non  moins  merveilleux  voyage 
de  saint  Brendan.  L'opuscule  de  Hugues  de  Saltrey  a  été,  à  diverses 
reprises,  mis  en  vers  français''"'.  On  l'a  traduit  deux  fois  au  moins  en 
prose.  De  ces  deux  traductions  l'une,  conservée  dans  le  manuscrit 
B.  N.  fr.  16210,  fut  peu  répandue,  l'autre,  qui  nous  paraît  notable- 
ment plus  ancienne,  a  été  très  souvent  copiée.  Nous  la  rencontrerons 
dans  un  grand  nombre  des  légendiei's  que  nous  passerons  en  revue  au 
cours  de  cette  notice'^'.  Mais  on  la  trouve  aussi  en  dehors  des  légen- 
diers, par  exemple  dans  les  manuscrits  B.  N.  fr.  834  (fol.  i33),  967 


f*'  Ci-dessus,  p.  3 12.  Il  paraissait  naturel 
(l'annexer  le  pieux  roman  de  Barlaam  aux  Vies 
(les  Pères.  11  est  fait  mention,  dans  les  iVbuiieaua: 
comptes  de  l'Argenterie,  publiés  par  Douët 
d'Arcq  ,  d'un  «  roumans  de  la  Vie  des  Pères  et 
«de  Barlaam  et  Josaphat»,  à  la  date  de  iSaS 
(p.  64). 

'')  Bi.N.  fr.  187,  988  (fol.  354,  incomplet); 
Musée  brit.  Old.  roy.  20  B  v  (fol.  157);  Va- 
tican, Reg.  660;  1728  (fol.  48). 

'■^'  Le  récit  de  Hugues  de  Saltrey,  générale- 
ment cité  sous  le  titre  de  De  Piirgatorio  sancti 
Patricii,  a  été  plusieurs  fois  imprimé,  notam- 


ment par  Colgan,  AA.  SS.  veteris  et  majoris 
Scotiœ seu  Hiberniœ  [Lo\an'n ,  i645,  1647),  '^' 
273  et  suiv.  Une  nouvelle  édition  de  ce  récit 
a  été  puljliéo  en  1889,  par  Ed.  Mail,  dans 
les  Romanisclie  Forscliiingen,  VI,  i4o-i()7, 
en  double  texte:  d'après  Colgan  et  d'après  un 
manuscrit  de  Bamberg.  Voir  la  Bibliographia 
hagiographica  latinu  des  Bollandistes ,  sous 
Patriciiis. 

'*'  Nous  en  avons  indiqué  (ci-dessus,  p.  37 1  ) 
sept  versions  en  vers. 

'''  La  plupart  de  ces  copies  ont  été  indiquées 
dans  la  Romania,  XVII,  382. 


392  LKGFADKS  IIACIOCRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

(fol.  i3-4),  i544  (fol.  io4),  igSSi  (fol.  2),  Reins  291  (fol.  i85). 
Enfin  ,  elle  a  été  imprimée  trois  fois,  à  part,  dans  la  première  moitié 
(lu  XVI''  siècle ''l  C'est,  à  notre  avis,  une  présomption  cpie  cette  tra- 
duction ne  faisait  point  partie,  originairement,  des  compilations  que 
nous  étudierons  plus  loin. 

Saint  Vast  était  un  saint  très  vénéi'é  en  Artois.  Nous  possédons  de 
sa  légende  une  traduction  fort  littérale ,  d'un  style  lourd  et  embarrassé  ; 
elle  nous  a  été  conservée  dans  un  manuscrit  d'Arras'"^',  qui  appartenait 
jadis  à  la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saint- Vast  et  y  fut  probablement 
exécuté.  Bien  que  ce  livre,  dont  nous  parlerons  plus  loin,  reproduise 
un  ancien  légendier,  il  est  certain  que  la  vie  de  saint  Vast  ne  faisait 
pas  originairement  partie  de  ce  légendier.  Le  caractère  dialectal  y 
est  notablement  plus  prononcé  que  dans  les  autres  compositions  tran- 
scrites dans  le  même  recueil.  Il  faut  donc  admettre  qu'elle  a  été, 
sinon  traduite  par  le  copiste  du  manuscrit  de  Saint-Vast,  qui  écri- 
vait vers  le  milieu  du  xiii''  siècle,  du  moins  insérée  par  lui  dans  le 
légendier  dont  il  faisait  un  nouvel  exemplaire'^'. 

Le  traité  de  l'Antéchrist,  par  Adson,  moine  de  Montierender, 
«a  été  si  fameux  dans  les  siècles  destitués  de  critique,  qu'on  en  a 
«voulu  faire  remonter  l'honneur  jusqu'à  saint  Augustin,  d'autres 
<i  seulement  jusqu'à  Alcuin  ou  à  Raban  Maur,  entre  les  écrits  desquels 
«il  se  trouve  imprimé''''».  Ainsi  se  sont  exprimés  nos  devanciers  à 
l'égard  de  cette  puérile  composition,  qui  n'a  pas  eu  moins  de  succès 
en  français  que  sous  sa  forme  originaire.  Nous  en  avons  indiqué  plus 
haut  (p.  339]  quatre  versions,  plus  ou  moins  libres,  en  vers.  De  la 
traduction  en  ])rose,  qui  fut  faite  dans  la  ])remière  moitié  du 
xiii"  siècle,  on  connaît  au  moins  une  douzaine  de  copies'*' dont  quel- 
ques-unes (par exemple  B.  N.fr.  io38,  fol.  162, et  19531,  fol.  16  v°) 
ont  pris  place  en  des  manuscrits  qui  ne  sont  pas  proprement  des 
légendiers,  bien  qu'ils  renferment  cpielques  légendes. 


'''  Voir  Bninet,   Manuel,  5*  éd.,  IV,  <)8o;  apparlieni  aux  (Icrniéres  années  du  xiv'  siècle 

cl",    le    Catalof/ac   de   la  Bibl.  du   baron  J.   de  (il  est  daté  de   i^gç)),   il  serait  téméraire  de 

Rothschild,  n'aoai.  classer   la   vie   de  saint  Vast  dont  il  contient 

■''   /lomu/im,  XVII,  385.  l'unique  copie .   parmi   nos  plus  anciennes  lé- 

'^'  Notons  ici  qu'il  existe  une  autre  version  gendes  françaises, 
de  la  vie  de  saint  Vast,  également  conservée  *''  Hisl.  litl.  delà  l'r. ,  VI,  i"}*;)- 

dans  un  manuscrit  provenant  d'Arras  {Romu-  '''  La  plu|)arf  ont  été  indiquées  dans  la  Rn- 


nia,  XXXIII,  16).  Mais,  comme  ce  manuscrit         mania,  XVlI,  ."583 


jja  p1u|)n 
.  XVII, 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


393 


Parmi  les  légendes  qui  ont  eu  une  existence  indépendante  avant 
d'être  admises  dans  quelques-uns  de  nos  légendiers,  nous  pouvons  en- 
core ranger  une  traduction  de  l'Evangile  de  Nicodème  que  nous  trou- 
vons isolée  dans  les  manuscrits  B.  N.  fr.  187,  ^09,  907,  etc.  Nous 
verrons  plus  loin  dans  quels  légendiers  elle  a  pris  place  *'^.  On  peut 
mentionner  ici  une  autre  version  du  même  apocryphe,  conservée 
dans  un  manuscrit  français  du  xiv'  siècle  (B.  N.  fr.  i85o),  qui  est 
restée  isolée,  n'ayant  été  admise  en  aucun  recueil  de  légendes. 

Nous  rencontrerons  encore,  surtout  dans  les  recueils  manuscrits 
d'une  époque  tardive,  d'autres  légendes  qui  paraissent  avoir  été 
d'abord  publiées  isolément,  avant  de  prendre  place  en  certains  lé- 
gendiers. Nous  les  signalerons  au  passage;  mais,  étant  imparfaitement 
renseignés  sur  l'époque  où  elles  ont  été  mises  en  français,  nous  ne 
croyons  pas  devoir  en  parler  présentement. 


VERSIONS  DE  LEGENDES  GROUPEES. 


Nous  allons  maintenant  commencer  l'étude  des  légendiers  propre- 
ment dits.  Et  d'abord  nous  traiterons  d'un  très  petit  recueil  qui  nous 
a  été  conservé  par  quatre  manuscrits:  Arsenal  35i6;B.  N.  fr.  196 2 5; 
Musée  britannique,  Harl.  2  2  53;  Egerton  2710.  Les  légendes  y  sont 
transcrites  dans  l'ordre  qu'indique  le  tableau  suivant  : 


Arsenal  35i6 
(fol.  67  et  suiv.) 

S"  Marie-Madeleine, 
S.  Jean  l'cvangéliste , 
S.  Jacques  le  Majeur, 
S.  Jean  Baptiste , 
S.  Pierre, 
S.  Paul. 


B.   N.  KK.   19635 
(fol.  3i  et  suiv.) 

S.  Jean  l'évangéliste , 
S.  Jean  Baptiste, 
S.  Barthélemi, 
S.  Pierre, 
S.  Paul. 


Musée  br.,  Harl.  3253    Musée  br.,  Eg.  3710''* 
(fol.  4i  et  suiv.)  (fol.  92  et  suiv.) 


S.  Jean  l'évangéliste, 
S.  Jean  Baptiste , 
S.  Barthélemi, 
S.  Pierre. 


S.  Jean  l'évangéliste , 

S.  Pierre, 

S.  Barthélemi. 


Si  l'on  fait  abstraction  des  légendes  de  Marie-Madeleine  et  de  saint 
Jacques  le  Majeur  (manuscrit  de  l'Arsenal),  dont  il  a  été  question 
plus  haut,  il  nous  reste  un  recueil  formé  des  légendes  de  saint  Jean 
Baptiste  et  de  quatre  apôtres  :  Jean  l'évangéliste,  Barthélemi,  Pierre, 


'''  Le  début  est  publié,  d'après  le  ms.  de 
Lyon  772,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
anciens  textes,  i885,  p.  48,  et,  d'après  le  ms. 
B.  N.  fr.  64^7,    dans   les   Notices   et   extraits 


HISr.  LITTEH. 


des    manatcrits,    XXXV,    2*    partie,    p.    475- 
'*'  Ce  manuscrit  a  été  décrit  en  détail  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  des  anciens  textes,  1889 , 
p.  93. 

5o 


394  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Paul'''.  La  traduction  de  ces  légendes  est  sûrement  antérieure  31267 
ou  i'i68,  date  du  manuscrit  de  l'Arsenal,  et  on  doit  admettre  que 
ce  petit  légendier  a  passé  de  lionne  heure  en  Angleterre,  car  le  manu- 
scrit fr.  195^5  et  les  deux  manuscrits  du  Musée  britannique  sont 
d'origine  anglaise.  Peut-être  le  recueil  devait-il  être  complété  par  une 
version  en  prose  de  l'Evangile  de  Nicodème,  suivi  d'un  autre  apo- 
cryphe sur  la  Véronique  qui  manque  dans  Arsenal,  mais  se  trouve 
dans  les  trois  livres  anglais*"-^'.  Ces  divers  textes  n'ont  été  rencontrés 
jusqu'à  présent  en  aucun  autre  manuscrit  que  ceux  indiqués  ci-dessus. 
Sans  doute  l'Evangile  de  Nicodème  et  les  mêmes  vies  de  saints  ont  leur 
place  dans  plusieurs  légendiers  français,  mais  ilsy  sont  représentés  par 
des  rédactions  tout  à  fait  différentes  de  celles  que  nous  offrent  les 
quatre  manuscrits  précités.  Nous  donnerons,  à  titre  de  spécimen,  le 
commencement  de  la  passion  de  saint  Paul  et  celui  de  la  vie  de  saint 
Barthélemi.  Voici  d'abord  le  début  de  la  première  de  ces  deux 
légendes,  d'après  le  ms.  de  l'Arsenal  (fol.  66  r"  b),  corrigé  çà  et  là  à 
l'aide  du  ms.  igÔsô  (fol.  42)  : 

Après  la  passion  le  beneùré  saint  Pierre,  par  droit  devons  conmenchier  la  passion 
saint  Poi,  car  ils  furent  compaignon  de  la  prédication  en  Rome,  et  ensement  de 
passion.  Quant  saint  Pol  ot  converti  molt  de!  Romain  pople  a  la  foi  nostre  segnor 
Jhesucrist,  .j.  jor  que  il  preechoit  en  une  haute  maison  que  on  apeloit  Canacle '^', 
•j-  jovenceals  que  on  apeloit  par  nom  Patrocle,  qui  servoit  Noiron  l'empereor  de  sa 
cope,  et  qui  ert  de  biais  gens  nés,  car  il  ert  parent  l'empereor,  il  [lis.  si)  vint  la  ou 
sains  Pois  preechoit,  por  oïr  la  parole  al  saint  apostle,  car  il  ert  ja  espris  de  l'amor 
nostre  segnor  Jhesucrist,  por  ce  qu'il  oï  dire  as  altres  qui  avoient  oï  la  parole  del 
beneûré  apostle;  et,  quant  il  ne  pot  entrer  en  la  maison  por  la  pres[sje  de  la  gent 
qui  i  estoient,  si  H  pesa  molt,  car  il  desiroit  molt  a  oïr  les  enseignemens  de  vie  par- 
durable;  si  s'aerst  a  .j.  piler  de  la  fenestre;  si  s'asist  iluec  por  oïr  celui  cui  il  molt 
desiroit  a  oïr.  Et  li  aposlles,  conme  cil  qui  molt  amoit  a  parler  de  son  segnor, 
demora  molt  longement  en  la  parole,  et  al  jovencel,  qui  molt  ententifment  amoit 
la  parole  a  oïr,  prist  someil,  si  s'endormi;  si  ii  deslachierent  les  mains  de  la  fenestre, 
et  li  jovenceals  chaï  jus,  si  que  il  morut. .  .  . 

L'original  est  la  Passio  sancti  Pauli  apostoll,  plusieurs  fois  publiée'*'; 
mais  la  version  ne  commence  qu'au  second  paragraphe.  Plus  loin 

'■'  L'omission  de   saint  Barthélemi  dan»  le  '*'  On  en  a  cité  quelques  lignes  dans  le  Balle- 

ms.  de  l'Arsenal ,  de  saint  Paul  dans  le  ms.  Har-  tin  de  la  Soc.  des  anc.  textes ,  1 889 ,  p.  89. 
leien.de  saint  .lean-Baptiste  et  de  saint  Paul  '''  «In  cenacoJo  editiori.  » 

dans   le   nis.    Egcrtoii,    peut    être   considérée  <''   En  dernier  lieu  par  Lipsius,  ,4c/a  npojfo- 

comme  accidentelle.  loram  apocrypha.  1,  23. 


IL  LEGENDES  EN  PROSE.  395 

nous  rencontrerons  une  autre  version  où  le  premier  paragraphe  est 
traduit. 

Voici  maintenant  le  début  de  la  vie  de  saint  Barthélemi  d'après  le 
ms.  19526  (fol.  38  d),  cette  vie  ne  se  trouvant  pas  dans  le  manuscrit 
de  l'Arsenal  : 

Ceo  cuntent  ceus  qui  sevent  deviser  les  parties  del  munde  que  U'eis  Indes  sont  : 
la  première  si  est  celé  qui  s'estent  vers  Ethiope,  la  secunde  qui  s'estent  vers  Mede,  la 
tierce  qui  est  fin  de  totes  les  terres,  car  de  l'une  part  atoche  le  règne  de  teniebres 
ou  unques  jor  nen  est,  el  de  l'altre  part  fine  a  la  grant  mer  de  Occeane,  outre  la- 
queie  nient  de  terre  nen  a.  En  ceste  deeraine  Inde  vint  saint  Bertremeu  l'apostle; 
si  entra  en  un  temple  ou  aveit  un  ydle  de  Astaroth  le  diable,  et,  si  conme  pèlerin 
estrange,  mest  iloc.  En  cel  ydle  ert  Astaroth  le  deable,  que  la  genl  diseient  qu'il 
sanout  les  langors  et  que  il  feseit  les  cius  veer,  mais  il  ne!  faisoit  de  nuls  fors  de  cels 
qu'il  aveit  avuglez.  La  gent  de  cel  pais  ert  senz  conoisance  de  veir  Deu ,  et  por  ceo 
les  deceveient  les  fais  deables  qui  Deu  se  faiseient  apeler,  et  sis  escharniseient ,  por 
ceo  k'il  n'aveicnt  verai  Deu ,  et  il  quidouent  que  lor  respuns  fusent  par  la  vertu 
de  Deu,  et  ii  fol  malade  créaient  k'il  les  gariss[ei]ent  de  lors  enfermelez. .  .  . 

C'est  la  traduction  du  livre  VIII  des  Apostolicœ  Historiée  du  Pseudo- 
Abdias'''.  Une  version  toute  différente  sera  mentionnée  jjIus  loin. 

Nous  abordons  présentement  l'étude  de  recueils  plus  importants, 
qui  varient  beaucoup  pour  l'étendue  et  la  composition,  mais  où  on 
retrouve  un  fond  commun  et  où  l'on  peut  reconnaître  au  moins  la 
trace  d'un  arrangement  plus  ou  moins  méthodique.  On  verra  qu'un 
premier  recueil,  limité  aux  saints  de  l'époque  apostohque,  s'est  accru 
peu  à  peu  par  des  additions  successives  et  indépendantes,  de  telle 
sorte  que,  vingt  ou  vingt-cinq  ans  avant  la  fmdu  xiii''  siècle,  il  s'était 
formé  plusieurs  légendiers  distincts  par  une  partie  de  leurs  éléments, 
mais  fondés  sur  une  base  commune.  Les  manuscrits  qui  nous  ont 
conservé  ces  légendiers  sont  fort  nombreux.  Nos  bibliothèques  de 
Paris  en  renferment  une  vingtaine  et  les  bibliothèques  des  départe- 
ments et  de  l'étranger  plus  encore.  L'étude  de  ces  manuscrits  est,  en 
raison  même  de  leur  dispersion,  très  difficile.  Il  s'en  faut  que  tous 
aient  été  l'objet  de  notices  suffisamment  détaillées.  Les  descriptions 
qu'on  peut  lire  dans  les  catalogues  imprimés  sont,  le  plus  souvent,  de 

'">  Fabricius,  Codex  apocryphas  Novi  Teslamanti,  p.  669;  Lipsius  et  Bonnet,  Acta  apostoloram 
apocrypha.  II,  i"  partie,  ia8. 

5o. 


396 


LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


peu  d'ulilité,  lors  même,  ce  qui  n'est  pas  toujours  le  cas,  qu'elles 
donnent  la  liste  des  légendes,  car  le  nom  du  saint  ne  sufïit  pas: 
pour  beaucoup  de  récits  hagiographiques ,  nous  avons  deux  ou  trois 
traductions,  parfois  même  davantage,  qui  ne  peuvent  se  distinguer 
que  par  la  citation  des  premières  lignes.  Il  est,  par  suite,  possible 
que  plusieurs  manuscrits,  importants  peut-être,  aient  échappé  à  nos 
recherches.  De  plus,  beaucoup  de  nos  anciennes  collections  de  lé- 
gendes françaises  ont  été  compilées  d'après  deux  ou  trois  légen- 
diers  antérieurs,  et,  comme  nous  ne  sommes  pas  sûrs  de  posséder 
tous  les  légendiers  primitifs,  comme,  d'autre  part,  plusieurs  états 
intermédiaires  nous  manquent,  il  est  difficile  d'établir  un  classement 
rigoureux  de  toutes  ces  collections  de  légendes  françaises.  Nous  es- 
sayerons cependant  de  répartir  nos  légendiers,  selon  leurs  affinités, 
entre  un  certain  nombre  de  groupes  que  nous  rangerons  dans  un 
ordre  à  peu  près  chronologique.  Ce  classement  provisoire  pourra 
être  ultérieurement  perfectionné  et  complété  par  des  études  de 
détail  qui  ne  sauraient  prendre  place  ici. 

Groupe  A.  —  Le  légendier  que  nous  considérons  comme  le  plus 
ancien  de  tous  ceux  qui  nous  sont  parvenus  et  que,  pour  cette  rai- 
son, nous  appellerons  légendier  A,  est  un  recueil  de  quatorze  lé- 
gendes qui  nous  a  été  conservé  en  quatre  manuscrits,  à  savoir: 
Saint-Pétersbourg,  Bibl.  imp.,  fr.  35;  Lyon,  Bibl.  munie,  770; 
Tours,  1008;  Modène,  Bibl.  d'Esté,  fonds  étranger  116.  Ces  quatre 
manuscrits  ayant  été  l'objet  de  notices  particulières'*',  il  ne  sera 
pas  nécessaire  d'énumérer  tous  les  morceaux  qu'ils  contiennent; 
on  se  bornera  à  déterminer  la  composition  du  légendier  qui,  avec 
de  légères  variantes  dans  l'ordre  des  légendes,  est  commun  aux  cinq 
manuscrits. 


'"'  Le  ms.  770  de  Lyon ,  dans  le  Balletin 
de  la  Société  des  anciciif  textes  français ,  année 
i888;lems.  de  Tours  1008,  ibid. ,  année  1897; 
le  ms.  de  Modène ,  ibid. ,  année  1 90a  ;  le  ms. 
de  Saint-Pétei-sbourg,  dans  les  Notices  et  ex- 
traits, t.  XXXVl.  À  la  suite  du  légendier  que 
nous  allons  étudier,  les  mss.  de  Tours  et  de 
Modène,  qui  sont  apparentés  de  très  près, 
renferment  cinquante  légendes  traduites  de  la 
Légende  dorée  (Jacques  de  Varazze) ,  dont  nous 


n'avons  pas  à  nous  occuper  ici.  Quant  au  ms.  de 
Saint-Pétersbourg ,  il  contient  plusieurs  légen- 
diers distincts  mis  bout  à  bout ,  entre  lesquels 
le  premier  seul  nous  intéresse  présentement, 
et  de  plus ,  comme  on  l'a  vu  plus  haut  (p.  3 1 3), 
la  version  de  la  Vie  des  Pères  que  nous  dési- 
gnons par  le  titre  de  version  champenoise. 
Ce  manuscrit  a  été  exécuté  en  France  ;  les  trois 
autres  ont  été  écrit»  dans  l'Italie  »ej)tentrio- 
nale. 


II.  LÉGENDES  FA  PROSE.  397 

Voici,  d'après  le  manuscrit  de   Saint-Pétersboui<,',  la  série  des 
pièces  que  renferme  le  légendier  que  nous  essayons  de  reconstituer  : 


1.  (Fol.  3)  Dispale  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien 
{^Passio  sanctorum  apostolorum  Pétri  et  Paali,  du  Pseudo-Marcelius''').  —  Quant 
saint  Fous  fu  venus  a  Rome,  U  Juïf  vindrent  a  lui .  .  . 

2.  (Fol.  -j  c)  Passion  de  saint  Pierre^'^\  — D'entendre  la  g;Iorieuse  passion  saint 
Pierre  l'apostre .  .  . 

3.  (Fol.  1  1  b)  Passion  de  saint  Paa/'^'.  —  De  la  passion  saint  Pol  saichent  tuit 
créant  en  Nostre  Seigneur .  .  . 

4.  [Passion  de  saint  Jean  l'évangéliste.  —  Bien  est  seûe  chose  que  la  seconde  per- 
sécution que,  puis  Noiron,  fu  faite  sur  ci'estïenz   fist  Domitiens  li  empereres'*'.  .  .] 

5.  (Fol.  i6)  Passion  de  saint  Mathiea^^^  —  Voirs  est  que  Die\  a  cure  des 
homes ,  mes  plus  a  il  cure  des  âmes  que  des  cors .  .  .  "'. 

6.  (Fol.  20  c)  Passion  de  saint  Simon  et  de  saint  Jade^'^K  —  Bien  avez  oï  et  en- 
tendu cornent,  après  le  haut  jor  de  l'ascension  nostre  seigneur  Jesu  Crist  et  après 
t'avenement  dou  Saint  Esperit.  .  . 

7.  (Fol.  a5  b)  Vie  de  saint  Pliilippe^^K  —  Douce  chose  et  bonne  est  a  oïr  parler 
des  oevres  Nostre  Seignor  et  des  vies  et  des  saintes  passions  des  sainz  apostres .  .  . 

8.  (Fol.  26)  Vie  de  saint  Jacques  le  Minear^^K  —  Au  tens  que  li  saint  apostre 
preechoient  la  seinte  évangile  par  le  monde  et  annonçoient  la  seinte  loi  Nostre  Sei- 
gnor par  toutes  terres,  sainz  Jaques,  (jui  estoit  apelez  Justes  par  son  non,  estoit  de- 
meurez en  la  terre  de  Jérusalem ... 

9.  (Fol.  ay)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur  (avec  la  translation  et  les  miracles'""). 
—  Après  le  jor  de  la  seinte  Pentecoste ,  que  li  sainz  Esperiz  fu  descendus  sor  les 
apostres  et  que  Nostre  Sires  lor  ot  enscignies  toutes  les  meunières  des  langaiges .  .  . 

10.  (Fol.  38  b)  Passion  de  saint  Barlhélemi  "".  —  Quant  Nostre  Sires  fu 
montez  es  ciaus,  si  com  vos  avez  oï  et  entendu,  et  li  apostre  se  départirent  par  le 
monde .  .  . 


'"'  Fabricius,  Codex  apocryphas  Novi  Testa- 
menti,  III,  633;  Lipsius  et  Bonnet,  Acta  apo- 
stolorum apocrypha,  I,  11 9. 

'*'  Première  partie  du  De  passione  Pétri  et 
Pauli  apostolorum ,  attribue  à  saint  Lin,  dans 
Lipsius  et  Bonnet,  I,  i. 

'''  Deuxième  partie  de  l'ouvrage  indiqué  à 
ia  note  précédente. 

'*'  Il  manque  ici  quatre  feuillets  dans  le  ms. 
de  Saint-Pétersbourg.  Nous  restituons  le  com- 
mencement d'après  le  ms.  de  Lyon.  L'original 
est  la  Passio  sancti  Johaimis  evangelistœ ,  attri- 
buée à  Mellitus  ou  Meliton  (Moinbritius,  Sanc- 
taariam,  II;  Fabricius,  III,  606;  Migne,  Pair, 
greeca,  V,  124;  Bibliotheca  Casinensis,  II, 
Florilegium,  p.  67). 


'''  Apostolicte  historiœ ,  1.  VII  (Fabricius, 
Codex  apocr.  N.  Test.,  II,  687;  A  A.  SS., 
sept.,  VI,  aai).] 

'*'  Il  est  bien  certain  que  cette  vie  et  la 
suivante  ont  été  traduites  par  le  même  écri- 
vain, car  la  seconde  est  annoncée  dans  les 
dernières  lignes  de  la  première.  Voir  Notices 
et  extraits,  XXXY,  478. 

'''  Apost.  hist.,  1.  VI,  ch.  VII  et  suiv.  (Fa- 
bricius, II,  608). 

(')  Ibid.,  ].  X,  ch.  II  (Fabricius,  II,  738). 

C'  A  A.  SS.,  mai,  I,3o. 

('•'  ^^.  SS.JuiUet,VI,5i. 

'"'  Apostolicee  historiœ,  l.  VIII  (Fabricius, 
II,  669;  cf.  Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes, 
i885,  p.  55). 


398 


LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


1 1.  (Fol.  kl  c)  Passion  de  saint  Longin'^^^  —  Moût  devroit  volentiers  chascuns 
qxii  crestïens  est  oïr  et  entendre  de  vrai  cuer  et  par  vraie  pensée  retenir  les  passions 
et  les  vies  des  sainz  apostres .  .  . 

12.  (Fol.  A3)  Passion  de  saint  Afarc'^'.  —  Au  tens  que  li  saint  apostre  estoient 
espandu  et  départi  par  le  monde  por  anoncier  et  preechier  aus  estranges  gens .  .  . 

13.  [Passion  de  saint  Thomas  l'apôtre^'K  —  Bien  est  drois  et  raisonz  que  tuit  cil 
qui  crestïan  sont  et  qui  Dieu  aiment  et  croient  oient  voluntierz  de  Nostre  Seignor 
et  de  ses  apostres .  •  •  ] 

14.  (Fol.  àS  d)  Passion  de  saint  André  ^''K  —  Après  le  saint  glorieus  jor  delà 
sainte  ascension  Nostre  Seignor,  et  après  le  saint  jor  delà  Pentecoste,  que  li  apostre, 
qui  embeù  estoient  de  la  grâce  dou  Saint  Esperit ...  . 

Les  légendes  qui  suivent  dans  le  manuscrit  de  Saint-Pétersbourg 
(saint  Martial  de  Limoges,  saint  Nicolas,  saint  Paul  l'ermite,  saint 
Antoine'*',  saint  Mammès,  saint  Christophe,  saint  Quentin,  saint  Cu- 
cufat,  etc.)  sont  indépendantes  de  notre  légendier. 

Les  trois  autres  manuscrits  ont  les  mêmes  légendes,  mais  non 
pas  tout  à  fait  dans  le  même  ordre.  Pour  les  six  premières,  il  n'y  a 
aucune  différence.  Les  huit  dernières  sont  ainsi  rangées  dans  les  au- 
tres copies  : 

Lyon  770  et  Tours  1008  :  (7)  Thomas,  (8)  Philippe,  (9)  Jacques 
le  Mineur,  (10]  Jacques  le  Majeur,  (11)  Bartliélemi,  (12)  Marc, 
(i3)  André,  (i^)  Longin. 

Le  manuscrit  de  Modène  est  exactement  de  la  même  famille  que 
ceux  de  Lyon  et  de  Tours *^'.  11  range  les  légendes  dans  le  même  ordre, 
sauf  que,  par  suite  de  quelque  erreur,  il  rejette  la  vie  de  Longin  beau- 
coup plus  loin,  parmi  les  légendes  traduites  de  Jacques  de  Varazze 
(art.  29).  Par  contre,  il  intercale,  tout  à  fait  hors  de  propos,  entre 
la  vie  de  Simon  et  Jude  et  celle  de  Thomas,  une  vie  de  saint  Chryzant 
et  de  sainte  Daire  traduite  de  la  Légende  dorée. 

Nous  devons  mentionner  ici  un  manuscrit  de  notre  Bibliothèque 


'')  AA.SS..man,U,i8à. 

(•'  AA.SS.,  avrU,  111,347. 

'''  Mombritius ,  Sanctuariam,  11.  —  Nous 
restituons,  d'après  le  manuscrit  de  Lyon, 
le  début,  qm  manque  dans  Saint-Péters- 
bourg par  suite  de  la  perte  d'un  feuillet.  Le 
début  du  texte  latin  est  imprime  dans  le 
Bulletin  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français , 
1888,  p.  82. 

'''  Apostolicœ  historiœ,  1.  111  (Fabridus,  II, 


457;  Lipsius  et  Bonnet,  Acta  apottolorum  apo- 
crypha,  II,  1). 

'*'  Les  vies  de  saint  Paul  et  de  saint  An- 
toine sont  traduites  par  Wauchier  de  Denain  ; 
voir  ci-dessus,  p.  a  60. 

'•'  On  a  relevé  des  fautes  commune»  à  ce» 
trois  manuscrits,  ou  à  deux  d'entre  eux  (Tours 
et  Modène),  pour  les  parties  qui  n'ejistent  que 
dans  ces  deux  derniers.  Voir  Bull,  de  la  Soc.  de* 
anc. textes,  1902  ,notesdespages8a,86,87,9i. 


U.  LÉGENDES  EN  PROSE. 


399 


nationale,  fr.  686,  qui,  en  ses  derniers  feuillets  (fî.  449  ^^  suiv.)*^', 
renferme  un  petit  légendier  composé  des  mêmes  légendes  que  le 
légendier  A ,  à  savoir  :  i ,  la  dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul 
contre  Simon  le  magicien;  i ,  la  passion  de  saint  Pierre;  3,  la  passion 
de  saint  Paul;  4,  la  passion  de  saint  Jean  l'évangéliste ;  5,  saint  Ma- 
thieu; 6,  saint  Simon  et  saint  Jude;  7,  saint  Jacques  le  Mineur; 
8,  saint  Jacques  le  Majeur;  9,  saint  Barthélemi;  10,  saint  Longin; 
11,  saint  Philippe;  12,  saint  Marc;  i3,  saint  Thomas  l'apôtre; 
i4,  saint  André.  Toutefois  la  ressemblance  n'est  complète  que  pour 
les  six  premiers  articles.  Les  huit  derniers  présentent,  par  rapport 
au  légendier  A ,  des  difiFérences  notables  et  se  rattachent  à  d'autres 
recueils  dont  nous  traiterons  plus  loin. 

Nous  avons  dit  que,  dans  le  recueil  de  Saint-Pétersbourg,  toute 
une  série  de  légendes  variées  a  pris  place  à  la  suite  des  quatorze 
morceaux  qui  constituent  notre  légendier  primitif.  H  y  a  aussi,  dans 
les  recueils  de  Lyon,  de  Tours  et  de  Modène,  quelques  additions  que 
nous  allons  indiquer  : 

(Lyon,  art.   i5;  Tours,  art.   19   et  33®;   Modène,  art.  3o'''.)  Saint    Denis'^^K 

—  Après  la  sainte  passion  nostre  seingnor  Jhesu  Crist  et  sa  glorieuse  résurrection , 
que  H  apostres  furent  départi  per  le  monde  por  anoncier  et  preeschier  la  sainte  loi 
Nostre  Seignor.  .  . 

(Lyon,  art.  16;  Tours,  art.  20;  Modène,  art.  i i .)  Saint  Came  et  saint  Damien^^\ 

—  Cil  qui  crestïen  sont  et  Nostre  Sire  aiment  et  croient  veulent  volontiers  oïr  et 
entendre  les  paroles  et  les  euvres  qui  de  lui  sont  et  vienent  •  .  . 

(Lyon,  art.  ly;  Tours,  art.  21'^'.)  Les  sept  Dormants'^^K  —  El  tens  que  Decius 
César  maintenoit  l'empire  de  Rome,  estoient  en  la  cité  de  Feise  .vij.  homes,  jeunes 
bacheliers  et  de  belle  forme,  dont  li  uns  estoit  apelez  Maximianus  et  li  autres 
Malcus  et  li  tiers  Martinianus .  .  . 


'"'  Le  ms.  686  contient,  en  ses  iHj  pre- 
miers feuillets,  l'Histoire  ancienne  jusqu'à 
César  que  nous  avons  cru  pouvoir  attribuer 
à  Wauchier  de  Denain  (ci-dessus,  p.  289), 
et  une  traduction  partielle  de  l'ouvrage  toscan 
qui  a  été  publié  sous  le  titre  de  Conti  di  antichi 
cavalieri  (Florence,  i85i). 

**'  La  légende  de  saint  Denis  est  copiée  deux 
fois  dans  ce  manuscrit. 

'"'  A  la  suite  de  la  vie  de  Longin ,  parmi  les 
vies  traduites  de  Jacques  de  Varazze. 

'*'  Légende    traduite    de   Hilduin,  mais  la 


traduction  est  différente  de  celle  dont  ii  a  été 
question  ci  dessus,  p.  385. 

C  ^^.5S.,  sept.,  VII,  473. 

'*'  Cette  légende  ne  se  trouve  plus  dans  le 
ins.  de  Modène ,  parce  que ,  à  l'endroit  où  elle 
devait  prendre  place,  à  la  suite  de  la  légende 
de  Come  et  Damien,  plusieurs  feuillets  ont 
été  enlevés.  En  dehors  des  manuscrits  de  Lyon 
et  de  Tours ,  cette  rédaction  n'a  été  rencontrée 
jusqu'ici  que  dans  un  manuscrit  du  xv*  siècle , 
écrit;»  Ath  (Hainau);  voir ilomania, XXX,  298. 

'''  Mombritius,  IL 


400  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  dans  le  manuscrit  de  Lyon.  Les  recueils  de  Tours 
et  de  Modène  contiennent  encore  cinquante  légendes  traduites  de 
Jacques  de  Varazze ,  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper. 
Notons  que  les  vies  de  saint  Denis  et  des  saints  Côme  et  Damien 
existent  aussi  dans  le  recueil  de  Saint-Pétersbourg  :  elles  se  font  suite 
comme  ici  et  en  bien  d'autres  légendiers''',  mais  elles  sont  placées 
(flf.  162  et  suiv.)  en  une  tout  autre  partie  du  manuscrit. 

On  voit,  en  résumé,  que  le  légendier  A  ne  contient,  en  son  état 
original,  que  les  quatorze  légendes  énumérées  plus  haut.  11  est  con- 
sacré aux  saints  apostoliques,  auxquels  est  joint,  assez  naturellement, 
l'apocryphe  Longin,  identifié  avec  le  soldat  romain  qui,  d'après  le 
quatrième  évangile  (xix,  xlx)-,  aurait  percé  d'un  coup  de  lance  le  flanc 
de  Jésus  déjà  mort. 

Groupe  B.  —  Le  légendier  que  nous  rangeons,  dans  l'ordre  chrono- 
logique, après  celui  dont  nous  venons  de  parler,  est  un  recueil  de 
quarante-deux  légendes  dont  nous  possédons  deux  exemplaires  dans 
les  manuscrits  B.  N.  nouv.  acq.  fr.  10128  et  Bibl.  roy.  de  Belgique 
1082 6'"^'.  Tous  deux  sont  du  xiii*  siècle;  le  manuscrit  de  Bruxelles 
peut  dater  des  environs  de  1 260;  celui  de  Paris  semble  un  peu  moins 
ancien.  Ils  offrent  d'ailleurs  le  même  texte *^'.  Nous  les  désignons  par 
la  lettre  B.  Nous  commencerons  par  dresser  la  liste  des  morceaux 
qu'ils  renferment,  puis  nous  présenterons  quelques  observations  sur 
la  façon  dont  le  légendier  a  été  composé.  Nous  suivons  le  manuscrit 
de  Paris ,  cpmblant  une  lacune  à  l'aide  de  celui  de  Bruxelles. 

1.  (Fol.  2)  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien^'^K  — 
Quant  seint  Pox  fii  venuz  a  Rome ,  tuit  li  Juif  vindrent  a  iui  et  li  distrent  :  «  Desfent 
nostre  loi  en  laquele  tu  es  nez.  .  .  »  (^   1  ). 

2.  (Fol.  10)  Passion  de  saint  Pierre.  —  D'entendre  la  glorieuse  passion  seint 
Pierre  l'apostre  et  son  martyre.  .  .  [A  2). 

3.  (Fol.  I  6  d)   Passion  de  saint  Paul.  —  De  la  passion  seint  Pol  sachent  tuit 

'>''  Par  exemple  dans  le  groupe  B  ci-après  dans  les  autres  inventaires  de  la  même  coUec- 

étudié.  tion. 

'*>  Ce  manuscrit  vient  de  la  Bibliothèque  '*'  La    ressemblance    se    manifeste  jusque 

des  ducs  de  Bourgogne.  Il  est  mentionné  dans  dans  la  condition   matérielle,  l'un   et  l'antre 

l'inventaire  (le  Bruges   (1467)   et   dans  celui  étant  réglés  à  36  lignes  par  colonne. 
de  Braxelles  (1487),  n"    i2o3  et  1967  de  la  '*'  Nous  citons  le   légendier  A  d'après  le 

Bibliothèque    protypograpliiqae    de    Barrois    et  m»,  de  Saint-Pétersbourg  (ci-dessus,  p.  897). 


II.  LEGENDES  EN  PROSE.  401 

créant  en  Nostre   Seingneur  que,    ({uant   seint  Luc    li  evangelistres    fu    venuz  a 
Rome...  {A  3). 

4.  (Fol.  2  2  c)  Martyre  de  saint  Jean  l'évangéliste.  —  En  cel  tens  que  Domi- 
ciens  estoit  empereres  de  Rome ,  seint  Jehan  li  esvangelistres ,  11  frères  seint  Jacques 
l'apostre.  .  .  '". 

5.  (Fol.  23)  Vie  (le  saint  Jean  l'évangéliste.  —  Bien  est  conneùe  chose  que  la 
segonde  persecucion  qui  puis  Noiron  fu  fête  seur  les  crestïens  fist  Domitiens  il  em- 
pereres. .  .  [A  4). 

6.  (Fol.  29)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur,  suivie  de  la  translation  et  des 
miracles.  —  Ce  sachent  tuit  créant  en  Nostre  Seigneur  ([ue,  après  le  jor  de  la 
seinte  Pentecoute,  que  li  seinz  Esperiz  fu  descenduz  sus  les  apostres.  .  .  (il  9). 

7.  (Fol.  5o  b)  Vie  de  saint  Mathieu.  —  Voirs  est  que  Diex  a  cure  des 
cors  des  homes,  mes  plus  a  il  soing  des  âmes  que  des  cors.  .  .  (A  5). 

8.  (Fol.  58  c)  Vie  des  saints  Simon  etJude.  —  Puis  le  haut  jor  de  i'acenssion 
Nostre  Seingneur,  et  après  la  >  enue  del  Seint  Esperit ,  se  départirent  li  apostre  par 
les  diversses  parties  del  monde.  .  .  (A  6;  variante  au  début). 

9.  (Fol.  6 y)  Vie  de  saint  Philippe.  —  Sicom  la  divine  page  tesmongne ,  .xx.  anz  après 
I'acenssion  Nostre  Seigneur,  ce  est  que  il  monta  es  cieux. . .  (  A  7  ;  variante  au  début). 

10.  (Fol.  68  b)  Vie  de  saint  Jacques  le  Mineur.  —  Ne  vos  doit  mie  ennuier  se 
ge  vos  conte  ici  après  la  vie  et  la  passion  de  monseigneur  saint  Jasque  le  petit,  qui 
fu  Justes  apelez  en  seurnon.  .  .  (A  8;  variante  au  début). 

11.  (Fol.  69  d)  Vie  de  saint  Barthélemi.  —  Or  \os  dirons  de  monselngneur  seint 
Berthelemi  l'apostre,  ql,  après  le  haut  jor  de  facenssion  Nostre  Seingneur.  .  . 
(A   10;  variante  au  début). 

12.  (Foi.  76)  Vie  de  saint  Marc.  —  Resons  est  et  droiture  que  fen  trulsse  en 
fescriptm-e  conment  mislres  seint  March  11  evangelistres  ala  en  Esgypte.  .  .  (A  la; 
version  différente). 

13.  (Fol.  77  b)  Vie  de  saint  Longin.  —  Moût  devroit  volentiers  chasquns  qui 
crestïens  est  oïr  et  entendre  de  veral  cuei'  et  par  bonne  penssée  retenir  les  passions 
et  les  vies  des  seinz  apostres  et  des  martirs ...  (A  11). 

14.  (Foi.  80)  Vie  de  saint  Sébastien  [AA.  SS,  janvier,  II,  265),  —  Au  tens  que 
Dyocletiens  et  Maximiens  estolent  empereeur  de  Rome,  et  li  destruisoient  touz 
ceuls  qui  aorolent  Nostre  Seingneur .  .  . 

15.  (Fol.  84  d)  Vie  de  saint  Vincent  [AA.  SS.,  janvier,  II,  Sgi).  —  Tuit  cii 
qui  crestïen  sont  devrolent  volentiers  oïr  et  entendre  les  vies  et  les  passions  des 
seinz  martyrs  por  ce  que  il  aucun  bon  essample  i  prengnent  et  retiengnent .  .  . 

16.  (Fol.  90  d)  Vie  de  saint  Georges  (d'après  la  vie  latine  publiée  par  Arndt, 
dans  les  Comptes  rendus  de  l'Acad.  de  Saxe,  classe  de  phil.  etd'hist. ,  1874,  p.  49). — 
Veralement  reconte  la  divine  page  que ,  qant  ii  seint  home  se  penoient  et  effor- 
çolent  d'acroistre  et  d'essaucler  la  seinte  loi  nostre  seingneur  Jhesucrlst,  si  com  vos 
avez  oï ,  uns  rois  estoit  en  Persse .  .  . 

'"'  Apostolicee  hittorite,  1.  V,  ch.  u  (Fabricius,  p.  534);  cf.  Ldpsius,  Die  apociyplien  Apostel- 
geschichten  uiul  Aposteltegenden,  I,  4i3-4. 

HIST.   I.ITTÉH.  XXXUI.  5l 


4M  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

17.  (Fol.  96  b)  Vie  de  saint  Christophe  (d'après  la  vie  latine  inédite  dont  ledébut  est 
cité  dans  Notices  et  extraits,  XXXV,  p.  hSi ,  n.  2).  —  Mont  puet  estre  liez  a  qui 
Nostre  Sires  done  tant  de  sa  grâce  qu'il  ne  li  desplest  mie  a  oïr  les  paroles  qui  de 
lui  sont  et  les  vies  des  seinz  martyrs.  .  .  .i . 

18.  (Fol.  107  c)  Vie  de  sainte  Agathe  [A A.  SS.,  février,  I,  61 5).  —  Au  tens 
que  seinte  crestïenté  croissoit  et  essauçoit  par  les  paroles  et  par  les  hauz  miracles  que 
Nostre  Sires  faisoit.  .  . 

19.  (Fol.  111c)  Vie  de  sainte  Liice  (Surius,  i3  décembre).  —  Au  jor  que  la 
renomée  et  la  parole  croissoit  et  esforçoit  moût  durement  par  pluseurs  contrées, 
des  halz  miracles  que  Damlediex  deinoutroit  et  faisoit  en  la  cité  de  Cathenense .  .  . 

20.  (Fol.  -iili  b)  Vie  de  sainte  Agnès  [AA.  SS.,  janvier.  II,  igk).  —  Tuit  de- 
vons grâces  et  loenges  rendre  a  nostre  seigneur  Jhesucrit  des  seintes  virges  et  des 
passions  que  eles  soufrirent  por  l'amor  de  Nostre  Seingneur .  .  . 

21.  (Fol.  1 19  c)  Vie  de  sainte  Félicité  et  de  ses  sept  fih{AA.  SS.,iu\l\el,  III,  i3). 
—  Veritez  est,  si  com  fescripture  tesmongne,  ([ue  en  cel  tens  que  Antonins  esloit 
empereres  a  Rome,  estoient  cil  qui  creoient  en  nostre  seingneur  Jhesucrist  moult 
aprient  et  grevé.  .  .  '-,'••(  'ni/il)  1 . 

22.  (Fol.  121  d)  Vie  de  sainte  Christine  [AA.  SS.,  juillet,  V,  5i^).  —  Quant 
seinte  crestïentez  croissoit  et  essauçoit  par  les  hauz  miracles  que  Nostre  Sires  faisoit 
por  les  seinz  et  pour  les  seintes  qui,  por  sa  loi  essaucier,  recevoient  martyre .  .  . 

23.  (Fol.  i3o  b)  Invention  de  la  sainte  Croix  [Inventio  S.  Cracis^^'').  —  A  .ce. 
anz  et  .xxxiij.  del  regnement  del  vaillant  empereeurde  Romme,  coutiveeur  de  Dieu 
Costentin,  el  siste  an  de  son  regnement,  estoient  montes  genz  assemblées  scur  la 
rive  de  Dunou ,  appareilliées  de  bataille  contre  les  Romeins .  .  . 

24.  (Fol.  i33  d)  Vie  de  saint  Quiriaque  (seconde  partie  de  VInventio).  —  En  la 
fin  del  regnement  l'ennoré  empereeur  Costentin,  entra  el  règne  Juliens  li  empereres, 
qui  fel  estoit  et  plein  de  tirannie .  .  . 

25.  (Fol.  i3/i  c)  Vie  de  saint  Denis  (d'après  Hilduin'*').  —  Après  la  passion 
nostre  seingneur  Jhesucrist  et  sa  glorieuse  resurretion ,  que  li  apostre  furent  espandu 
par  le  monde  por   annoncier  et  preeschier  la   seinte  loi  Nostre  Seingneur  *')... 

26.  (Fol.  i4i  b)  Vie  des  saints  Côme  et  Damien  [AA.  SS.,  septembre,  Vil, 
U'ji).  —  Cil  qui  crestïen  sont  et  Nostre  Seingneur  aiment  et  croient  doivent  volen- 
tiers  oïr  et  entendre  les  paroles  et  les  oevres  qui  de  lui  sont  et  muevent,  et  meesme- 
ment  les  vies  et  les  passions  des  seinz  martirs .  .  . 

27.  (Fol.  1/17)  Vie  de  saint  5ù;<c  (Mombritius,  Sanctuariuni,  II).  —  Ce  fu  el 
tens  que  Decius  César  fu  empereres,  que  cil  qui  Nostre  Seingneur-  apeioiont  estoient 
martiriez ...  A»  w  I 

2fi.  {Foi..  149  b)  Vie  de  saint  Laurent  [AA.  SS. ,  août ,  11 ,  5 1 8 ).  —  Aprè«  ce  que 

i(.(l'.  I  I   !•■,'■!■ 

'''  Plusieurs  foi» publiée  :  Mombrilius,  iSanc-  '*'  Surius,  9  octobre;   Migne,   Pair,    lat., 

tuariiim,  I;   AA.  SS. ,  mai,  I,   ài5;  Invenlio  CVI,  a3. 

S.   Crucis ,  actorum    Cyriaci  pars   I,    Inline  el  <'''   Même  rédaction  que  dans  les  manuscrit» 

graece. .  .,  coniegit  et  digessit  Alfred  Holder  du  groupe  A  (ci-dessus,  p.  Sgg). 
(Leipzig,  Teubner,  1889).  .v-'.  1, 

I  '  Ali,- /  f   --  .  ijrii.j  .i-iii 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE.      .u^aMA 


403 


seint  Sixtes  fu    martiriez ,  si   conme   vos  avez  oï  devant ,  H  chevalier  qui  avoient 
pris  seint  Lorenz  le  baillèrent  et  le  livrèrent  a  Parthesmes.  .  . 

29.  (Fol.  i53  b)  Vie  de  saint  Hippolyte  (Monibritius,  II).  —  Vos  avez  oï  de 
seint  Lorenz  le  beneoit  martir ,  conment  il  reçut  martire  por  l'amor  nostre  seingneur 
Jhesucrist ... 

30.  ( Fol.  1 56  c)  Vie  de  saint  Lambert  '"  ( d'après  la  vie  latine  par  F^tienne ,  évêque 
de  Liège ,  AA.  SS. ,  septembre ,  V,  58 1  ).  —  Gloire  et  enneur  doit  estre  a  touz  crestïens 
de  raconter  et  de  dire  les  passions  des  seinz  martirs ... 

31.  (Fol.  i63)  Purgatoire  de  saint  Patrice^'^K  —  En  cel  tens  que  seinz  Patrices 
li  granz  preeschoit  en  Yrlande  de  la  parole  de  Dieu .  .  . 

32.  (Fol.  171  d)  Vie  de  saint  Julien  de  Briowde'^K  —  Uns  preudonies  raconte  la 
vie  nionseinguor  seint  Julien  que  il  a  translatée  du  rounianz'*',  et  distque  cil  qui  Tes- 
couteront  i  avront  moût  grant  preu .  .  . 

33.  (Fol.  186)  Vie  de  saint  Drendan^^K  —  En  la  vie  de  monseingneur  seint 
Brandam ,  qui  moût  est  deliteuse  a  oïr  a  cors  et  a  ame .  .  . 

34.  (Fol.  200)  Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry^*\  —  Mi  chier  fdl,  ceste  feste 
doit  estre  célébrée  a  grant  solempnité  par  veraie  devocion .  ,  . 

35.  (Fol.   20^)  Vie  de  saint  Silvestre  (Monibritius,  II).  —   Seint  Selvestres, 


"  sa  mère,  qui  vueve  estoit,  a  un  provou-e  por 


quant  il  fu  emfes,  si  le  bailla  Lavisce'"" 

aprendre...  ...    !    l  j,       1.     ...jwi  l 

36.  (Fol.  aaod)  L'An<^c?in5<'*' (traduit  iTAdsbn ,  voit*  e^-iAessus ,  p.  892). — Vos 
de\  ez  sa\  oir  premièrement  que  Antecrist  est  apelés  por  ce  que  il  sera  en  totes  choses 
contraires  a  Jhesucrist ... 

37.  (Fol.  .  .  .)  L' Assomption  {Transitas  Mariae,  texte  B'").  — Quant  nostre  sires, 
nostre  sauverres  Jhe.sucris,  por  le  sauvement  de  tôt  le  monde.  .  . 


r 


'"'  Cette  vie  française  a  été  publiée  d'après 
le  ms.  du  Musée  britannique  Old  royal  ao 
D  VI ,  avec  le  texte  latin  en  regard  :  Vie  de 
saint  Lambert,  en  français  du  xiij'  siècle,  tra- 
duite de  la  biographie  écrite  au  i'  par  Etienne, 
évêque  de  Liège,  publiée  par  Joseph  Deniarteau 
(Liège,  1890;  in-8°,  69  pages). 
<*'   Voir  ci-dessus ,  p.  39 1 . 

Voir  ci-dessus,  p.  388. 

Lire  de  latin  en  roumanz. 

Voir  ci-dessus,  p.  387. 

Ce  morceau  n'est  pas  proprement  une 
vie  du  saint  archevêque  :  c'est  la  traduction 
d'une  homélie  publiée  par  Giies,  S.  Thomœ 
Cant,  vita,  etc.,  II,  i46  (Oxford,  i845),  sous 
le  titre  de  Passio  S.  Thomœ.  .  .  auctore  ano- 
nyme, et  reproduite  dans  Migne,  Patr.  lat., 
t.  CXC,  p.  3ia,  et  dans  Robertson,  Materials 
for  the  history  of  Thomas  Becket,  IV,  186. 
'''  Lauisce  ou  Lauiste,  lire  Juste. 


(•) 

(«) 


'*'  La  colonne  où  commence  cette  légende 
est  entièrement  grattée  ;  on  peut  toutefois  y 
déchiflrer  quelques  mots  qui  suffisent  à  l'iden- 
tification. Nous  transcrivons  les  premiers  mots 
en  nous  aidant  du  ms.  de  Bruxelles.  Manquent 
ensuite  vraisemblablement  quatre  feuillets  qui 
devaient  contenir  l'article  87  et  le  commen- 
cement de  l'article  38.  C'est  aussi  d'après  le 
ms.  de  Bruxelles  que  nous  rétablissons  le  dé- 
but des  articles  3"]  et  38.  —  Le  traité  de 
l'Antéchrist  devait  être  suivi,  ici  comme  ail- 
leurs, d'un  court  morceau,  qui  ne  vient  pas 
d'Adson,  et  qui  est  intitulé,  dans  les  manu- 
scrits, «le  Jugement  Nostre  Seigneur».  Nous 
considérons  ce  morceau,  dont  nous  ignorons 
la  source ,  comme  faisant  partie  de  la  rédac- 
tion française  du  traité  de  l'Antéchrist,  et  ne 
lui  assignons  point  de  numéro. 

<''  Tischendor(,  Apocalypsesapocryphae  (Lip- 
siae,  1866),  p.  ia4. 

5i. 


404  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

38.  (Fol.  22  1  b)  Miracles  de  saint  André^^K  —  Bien  sachent  tuit  cil  qxii  sont 
créant  en  nostie  soingneur  Jhesucrist  que  uns  emfes  qui  Egiptius  avoit  non,  cpie 
ses  pères,  qui  Demestres  estoit  apelez,  amoit  souvereinnement .  .  . 

39.  (Fol.  235  c)  Vie  de  saint  Arnoal,  évêqae  de  Tours  [Catal.  codd.  hatjiogr.  Bibl. 
nat.  Parisiensis,  I,  /n5).  —  Tuit  créant  on  Nostre  Seingnour  doivent  oïr  et  en- 
tendre la  benoite  vie  monseigneur  saint  Hernol,  le  beneoit  niartir.  .  . 

40.  (Fol.  2^1  b)  Vie  de  sainte  Marie -Madeleine  [Catal.  codd.  hagiogr.  Bibl.  nat. 
Parisiensis,  III,  525).  —  Après  ce  que  nostre  sires  Jhesucriz,  qui  est  uioiens  de 
Dieu  et  des  homes ,  par  sa  passion  et  par  sa  resurection ,  ot  véincue  la  mort .  .  . 

41.  (Fol.  2^7)  Vie  de  sainte  Marie  l'Égyptienne  (mise  en  prose  de  la  vie  rimée 
indiquée  ci-dessus,  p.  867,  sous  le  n°  2  '^').  — A  ce  premier  mot  vos  dirai  por  quoi 
ele  fu  apelée  egipcienne  :  quar  ele  fu  née  d'Egipte  et  norrie  et  reçut  baptesmc .  .  . 

42.  (Fol.  253  d)  Vie  de  saint  Luc  [Catal.  codd.  hagiogr.  Bibl.  regiae  Bmxellensis, 
II,  38,  278,  kofi). —  Seint  Luc  l'evangelistre ,  selon  ce  que  dient  li  autor  et  li 
livre  de  l'Eglise,  fu  siriens'^'  et  nez  d'Antioche,  et  fu  bons  fuisiciens ''' .  .  . 

Ce  légendier  a  visiblement  le  caractère  d'une  compilation  formée 
d'éléments  divers  juxtaposés  plutôt  que  classés.  Nous  y  trouvons  : 

1°  (Art.  1-1 3.)  Douze  des  quatorze  légendes  dont  se  compose  il, 
il  y  manque  saint  Thomas  [A,  art.  1 3)  et  saint  André '^'.  Il  y  a  en  plus, 
dans  cette  partie,  un  récit  sur  le  martyre  de  saint  Jean  l'évangéliste 
(art.  4)  qui  ne  se  trouve  pas  dans  A.  De  ces  différences  on  peut  déjà 
conclure  que  les  articles  communs  aux  légendiers  A  et  B  n'ont  pas 
été  empruntés  par  le  second  au  premier,  ce  qui  est  du  reste  confirmé 
par  certaines  variantes  caractéristiques,  ainsi  qu'on  peut  le  recon- 
naître en  comparant  les  courts  extraits  que  nous  avons  imprimés  de 
l'un  et  l'autre  légendier.  En  somme,  dans  cette  partie,  les  deux  re- 
cueils reproduisent,  avec  plus  ou  moins  de  liberté,  un  fond  commun. 

a"  (Art.  i4  à  32.)  Quatre  légendes  de  martyrs  (Sébastien,  Vin- 
cent, Georges,  Christophe),  et  cinq  de  martyres  (Agathe,  Luce, 
Agnès,  Félicité,  Christine),  formant  deux  petites  séries  que  nous  re- 

'"'  La    rubrique   annonce  une  vie  de  saint  faite  par  Wauchier  de  YHistoria  monachorum  de 

André,  mais  il  n'y  a  que  les  miracles.  L'on-  Rufin.  Nous  l'avons  signalée  ci-dessus ,  p.  373. 

ginal    dans    Periz,    Monamenta,    série     in-zi".  Ensuite  (fol.  267)  vient  la  version  en  prose, 

Scriptores  reram  merovingicaram.l ,  816.  d'après  le   latin,  de  l'histoire  de  Barlaam   et 

'*'  Cf.  Notices  et  extraits,  XXXV,  a*  partie,  .losaphat,  dont  on  a  d'autres  copies  (ci-dessus, 

p.  493;XXXyi,p.  468.  p.  3i3). 

'*'   Ms./n  sifiens.  <'l  La  traduction  des  miracles  de  saint  An- 

'*'  Le  ms.  Nouv.  acq.  fr.  loiaS   contient  dré,  qui  se  trouve  à  la  fin  du  recueil  (art.  .ÎS), 

encore,   à   la    suite  de  la  vie   de   saint   Luc  n'est  pas  à  confondre  avec  l'article  1 4  du  légen- 

(fol.  355),  un  texte  incomplet  de  la  version  dier  A. 


I 


IL  LÉGENDES  EN  PROSE.  405 

verrons,  dans  le  même  ordre  ou  à  peu  près,  en  d'autres  légen- 
diers'''. 

3°  (Art.  2  3  et  suiv.)  Une  série  de  légendes  non  classées,  commen- 
çant à  Yinventio  S.  Cracis ,  parmi  lesquelles  nous  reconnaissons  celles 
de  saint  Denis  et  des  saints  Côme  et  Damien,  que  nous  avons  déjà 
vues  plus  haut  (p.  399)  entre  les  additions  au  légendier  A.  Nous  y 
trouvons  aussi  trois  vies  (Sixte,  Laurent  et  Hippolyte)  qui  semblent 
bien  avoir  été  traduites  par  le  même  écrivain ,  et  qui  reparaîtront  dans 
le  même  ordre  en  un  grand  nombre  des  légendiers  que  nous  étudie- 
rons par  la  suite.  La  vie  de  saint  Lambert  (art.  3o),  précédée  d'un 
prologue  du  traducteur,  pourrait  être  jointe  à  ce  petit  groupe,  car, 
en  d'assez  nombreux  manuscrits,  elle  fait  suite  aux  vies  de  saint  Sixte, 
saint  Laurent  et  saint  Hippolyte.  Le  Purgatoire  de  saint  Patrice,  les 
vies  de  saint  Julien  et  de  saint  Brendan  (art.  3i-33),  la  légende  de 
l'Antéchrist  (art.  36) ,  ont  été  mises  en  français  et  publiées  à  part  avant 
la  composition  de  notre  légendier.  C'est  du  moins  la  conjecture  que 
nous  avons  exprimée  plus  haut  (p.  388  et  suiv.).  L'homélie  sur  la  vie 
de  Thomas  de  Cantorbéry  (art.  34)  ne  saurait  être  attribuée  à  aucun 
des  traducteurs  qui  ont  mis  en  français  les  autres  morceaux  du  légen- 
dier; la  traduction  de  cette  homélie  est  presque  littérale;  le  style  en 
est  lourd  et  pénible,  tandis  que  les  autres  traductions  que  renferme 
notre  légendier  B  sont  assez  libres  et  d'un  style  simple  et  facile.  La 
vie  de  saint  Julien  l'hospitalier  (art.  32),  rédigée  en  prose  d'après  un 
poème,  a  eu  une  existence  indépendante  avant  d'être  introduite  dans 
nos  recueils  de  légendes  en  français.  Nous  sommes  portés  à  croire  qu'il 
en  a  été  de  même  de  la  vie  de  Marie  l'Egyptienne  (art.  4i),  qui  est 
aussi  la  mise  en  prose  d'un  poème.  Sans  doute  cette  vie  ne  s'est 
pas  rencontrée  jusqu'ici  en  dehors  des  légendiers  :  il  ne  semble  pas 
probable,  cependant,  qu'elle  ait  été  écrite  pour  prendre  place  dans 
ces  compilations  dont  les  auteurs  avaient  coutume  de  faire  leurs 
traductions  d'après  les  textes  latins. 

Les  vies  de  saint  Silvestre  (art.  35),  de  saint  Arnoul  (art.  39),  de 
sainte  Marie-Madeleine  (art.  4o),  de  saint  Luc  (art.  42)  apparaissent 
ici  pour  la  première  fois  :  ce  sont  des  additions  que  nous  retrouverons 
en  maint  autre  recueil.  Remarquons  que  la  Madeleine  a  été  placée 

'•'  Les  quatre  premières   de  ces   cinq   vies         manuscrit  de   Saint-Pétersbourg    (Notices   et 
de  martyres  forment  un  groupe  à  la  fin  du        extraits,  XXXVI,  714). 


406  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

intentionnellement  auprès  de  Marie  l'Égyptienne.  Quant  à  la  vie 
de  saint  Luc,  qui  clôt  le  légendier,  elle  est  bien  évidemment  une 
addition  :  sa  place  naturelle  eût  été  dans  la  première  partie  du 
recueil,  près  de  celle  de  saint  Marc;  et  c'est  aussi  la  place  qui  lui  a 
été  assignée  en  deux  éditions  augmentées  de  notre  légendier,  comme 
on  le  verra  dans  les  pages  qui  suivent.  iM.n  ^ 

Nous  retrouverons  en  de  nombreux  légendiers  les  éléments  de  celui 
que  nous  venons  de  décrire.  Nous  étudierons  ces  légendiers  les  uns 
après  les  autres,  en  commençant  par  ceux  qui  s'éloignent  le  moins  du 
type  B. 

Nous  traiterons  d'abord  de  deux  manuscrits  qui,  malgré  l'addition 
de  quelques  légendes,  se  rattachent  d'assez  près  au  type  B  pour  qu'il 
soit  possible  de  les  faire  entrer  dans  le  même  groupe  :  ce  sont  les 
n*"  Add.  65  2  4  du  Musée  britannique ,  et  588  de  la  Bibliothèque  Sainte- 
Geneviève.  Nous  désignerons  le  premier  par  B\  le  second  par  B^. 

Le  ms.  Add.  652/4,  delà  seconde  moitié  du  xiii"'  siècle'*',  peut  être 
considéré  comme  représentant  une  édition  augmentée  de -B.  Les  diffé- 
rences sont  les  suivantes  :  i  "  la  vie  de  saint  Luc  est  placée  à  sa  place  la 
plus  naturelle ,  après  celle  de  saint  Marc;  2 "les  miracles  de  saint  André 
et  la  vie  de  saint  Arnoul  (art.  38  et-Sg  de  5  sont  intervertis;  3°  la  vie 
de  saint  Georges  (art.  i6  de  B)  manque;  4°  ce  manuscrit  ajoute  neuf 
légendes;  5°  il  range  les  dernières  vies  dans  un  autre  ordre. 

Voici  la  table  complète  de  ce  recueil,  les  premières  lignes  du  texte 
n'étant  données  que  pour  les  légendes  qui  ne  figurent  pas  dans  B  : 

1 .  (  Fol.  2  )  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien  (  B  i  ). 

2.  (Fol.  7  b)  Passion  de  saint  Pierre  [B  a). 

3.  (Fol.  lie)  Passion  de  saint  Paul  (B  i). 

4.  (Fol.  1 5  b)  Martyre  de  saint  Jean  l' évangéliste  [B  k).  ' 

5.  (Fol.  i5c)  Vie  de  saint  Jean  l'évangéliste  {B  b).  ' 
''  '    6.  (Fol.  19  c)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur  (B  6).  "' 

7.  (Fol.  33  d)  Vie  de  saint  Mathieu  {B  7). 

«11    8.  (Fol.  39)  Vie  des  saints  Simon  et  Jude  (B  8). 

9.  (Fol.  lih  h)  Vie  de  saint  Philippe  [B  9). 

10.  (Fol.  AS  bj  Vie  de  saint  Jacques  le  Mineur  [B  10). 

,11,  (Fol.  1x6  h)  Vie  de  saint  Barthélemi  (B  1  1  ). 

<■'  L'écriture  est  anglaise  et  on  rencontre  ch  fois  il  n'est  guère  douteux  que  ce  légendier 
et  là  des  formes  du  français  d'Angleteire.  Toute-        soit  la  copie  d'un  manuscrit  fait  en  France. 


IL  LÉGENDES  EN  PROSE.  409 

12.  (Fol.  49  c)  Vie  de  saint  Marc  {B  i-x). 

13.  (Fol.  5o  d)  Vie  de  saint  Luc  {B  42). 

14.  (Fol.  5i  c)  Vie  de  saint  Longin  (B   i3). 

15.  (Fol.  53  b)  Vie  de  saint  Sébastien  {B  ilt). 

16.  (Fol.  56)  Vie  de  saint  Vincent  [B  i5). 

17.  (Fol.  Sg  d)  Vie  de  saint  Christophe  [B  i-j). 

18.  [Fol  66  c)  Vie  de  sainte  Agathe  {B    18). 

19.  (Fol.  68  d)  Vie  de  sainte  Lace  (B  19). 

20.  (Fol.  70  b)  Vie  de  sainte  Agnès  (B  ao). 

21.  (Fol.  73)  Vie  de  sainte  Félicité  (Bai). 

22.  (Fol.  74  c)  Vie  de  sainte  Christine  (B  22). 

23.  (Fol.  79  d)  Invention  de  la  Croix  (6  23). 

24.  (Fol.  8a)  Vie  de  saint  Qairiague  [B  ik). 

25.  (Fol.  82  d)  Vie  de  sainte  Pétronille  {A A.  SS.,  mai,  III,  10).  —  Ci  comense 
li  escriz  que  Marcellus,  H  disciples  monseignur  seint  Père,  fist  aus  benois  martires 
Nero  etChileo.  11  lor  dist  :  «  Vos  conustes  bien  Perenele,  que  fut  paralitique.  .  .  » 

26.  (Fol.  83)  Vie  de  sainte  Felicala{AA.  SS.,  mai  III,  1  1).  —  Placeus  (^  Flac- 
cus)  torna  son  corage  en  la  seinte  virge  qui  estoit  nomée  Fenicula.  Placeus  li  dist  : 
«  Eslis  une  chose"' ...» 

'''•  27.  (Fol.  83  b)  Vie  de  saint  Bahylas  [AA.  SS.,  janvier,  II,  571).  —  Ci  comence 
la  ^ie  seint  Babile ,  l'evesque  d'Antyoche ,  qui  fu  au  tens  Numerien ,  qui  la  loy  des 
payennes  tenoit ,  et  aoroit  les  ydoles  et  les  ymages  entailiéez  de  coevere  et  d'arreyn . . . 

28.  (Fol.  84)  Vie  de  saint  Marias,  de  sainte  Marthe  et  de  leurs  fils  Aadifax  et 
Abacac  [AA.  SS.,  janvier  II,  216).  —  Du  tens  Claudien  l'empereor  vint  un  home 
a  Rome  atot  sa  famé  et  ses  .ij.  fdz .  .  . 

29.  (Fol.  85)  Vie  de  saint  Félix  de  Noie  (AA.  55.,  janvier,  I,  gSi).  —  Voirs  est 
qu'il  avint  que,  après  le  trespassement  monseignur  seint  Félix.  .  . 

30.  (Fol.  85  c)  Vie  des  Trois  frères  jumeaux  [Catal.  codd.  hagiogr.  Bihl.  reg, 
BruxelL,  II,  291).  —  Al  tens  de  [lis.  ke)  Speosippus  et  Eleosippus  et  Meleosippus, 
cil  trois  frères,  vindrent  avant,  corust  par  tote  la  citée  de  Langres.  .  . 

31.  (Fol.  87)  Vie  de  saint  Denis  (B  2  5). 

32.  (Fol.  91b)  Vie  des  saints  Came  et  Damien  [B  26). 

33.  (Fol.  94c)  Vie  de  sainte  Anastasie  [Bihlioth.  Casinensis,  III,  Florileginm , 
p.  179).  —  Ore  entendez,  si  vos  dirrons  avant  d'une  seinte  virge  qe  mult  ama 
Nostre  Seignur  et  ses  overes,  seinte  Anestaise  ot  non'^'.  .  . 

34.  (Fol.  101c)  Vie  de  saint  Arsène  (Rosweyde,  Vitae  patrum,  p.  507;  Migne, 
Patr.  lat.,  LXXllI,  702).  —  Uns  home  fu  el  paleis  Theodose  qui  estoit  nomez 
Arsannes;  si  ot  .j.  filz.  .  . 

35.  (Fol.  101  d)  Vie  de  sainte  Cécile  (Mombritius,  1).  —  Haute  chose  est  d'oir  et 


''*  Cette  légende  et  la  précédente  sont  les  '''  Dans  le  ms.  1716  de  la  Mazarine  cette 

deux  parties    d'un    même    apocryphe.    Aussi         vie   est  précédée  d'un   prologue  qui  manque 
les  trouve-t-on  toujours  ensemble.  ici  comme  dans  les  autres  copies. 


408 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


d'entendre  et  de  retenir  la  seinte  foi  et  la  seinte  ioy  Nostre  Seignur  qe  li  apostre 
tendrent. .  . 

06  c)  Vie  de  saint  Sixte  {B  a 7). 

08)  Vie  de  saint  Laurent  {B  28). 

10  b)  Vie  de  saint  Hippolytc  [B  2g). 

11  d)  Vie  de  saint  Lambert  [B  3o). 
I  5  c)  Purgatoire  de  saint  Patrice  [B  3 1). 
20  d)  Vie  de  saint  Julien  de  Brioude  [B  ^2). 
29  c)  Vie  de  saint  Brendan  [B  33). 

37  d)  Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorhéry  [B  2>!x).  1 

lio)  Vie  de  iaint  Silvestre  [B  35). 
5o)  L'Antéchrist  [B  36). 
5i)  L'assomption  Notre-Dame  [B  S^). 
53  b)  Vie  de  saint  Arnoal  [B  3g). 
56  d)  Miracles  de  saint  André  [B  38). 
65  c)  Vie  de  sainte  Marie-Madeleine  [B  ko). 
68  d)  Vie  de  sainte  Marie  l'Egyptienne  [B  di). 


36.  ( 

Fol.  1 

37. 

Fol.  I 

38. 

Fol.  1 

39. 

Fol.  1 

40. 

Toi.  1 

41. 

Fol.  1 

42. 

'Fol.  1 

43. 

Fol.  I 

44. 

Fol.  1 

45. 

Fol.  1 

46. 

Toi.  1 

47. 

Fol.  i 

48. 

Fol.  1 

49. 

Fol.  1 

50. 

Fol.  1 

Le  manuscrit  588  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève,  que  nous 
désignerons  par  5^,  est  la  première  partie  d'un  recueil  d'ouvrages 
variés,  mais  tous  de  la  même  écriture,  dont  la  seconde  partie  est 
actuellement  conservée  à  la  Bibliothèque  nationale  sous  le  n"  24^29 
du  fonds  français.  Le  légendier,  toutefois,  est  complet  dans  le  manu- 
scrit de  Sainte-Geneviève  :  il  n'y  manque  aucun  feuillet.  Il  est  certai- 
nement apparenté  aux  légendiers  B  et  B^  que  nous  venons  de  décrire, 
mais  il  ne  dérive  ni  de  l'un  ni  de  l'autre.  Des  quarante-sept  légendes 

3u'il  renferme,  vingt-sept  seulement  sont  comprises  dans  B  et  trente 
ans  BK  Trois  de  celles  qui  manquent  à  ce  dernier  manuscrit  (n°*  5, 
i8,  26)  se  retrouvent  dans  B.  Il  contient  enfin  quatorze  légendes 
qui  sont  inconnues  à  J5  comme  à  B\  et,  entre  ces  quatorze  légendes, 
il  en  est  deux,  celles  de  saint  Denis  (20)  et  de  saint  Eustache  (24) 
qui,  nou,s  l'avons  vu  plus  haut  (p.  38 1  et  suiv.),  sont  des  composi- 
tions isolées,  accueillies  plus  ou  moins  tard  dans  des  compilations 
en  vue  desquelles  elles  n'avaient  pas  été  rédigées.  La  table  qui  suit  per- 
mettra d'apprécier  d'un  coup  d'oeil  les  particularités  qui  distinguent 
la  compilation  du  manuscrit  de  Sainte-Geneviève*'*  : 


'''  Nous  ne  citerons  les  premiers  mots  que  pour  les  légendes  que  nous  n'avons  rencontrées  ni 
dans  B,  ni  dans  B\ 


II.   LEGENDES  EN  PROSE. 

1.  (Fol.  I  )  Conversion  de  saint  Paul.  —  Après  ce  que  saint  Estiene  fu  B 
lapidez,  li  jouvenciaus  qui  gardoit  les  robes  de  cels  qui  le  lapidèrent, 

qui  avoit  non  Saules'" « 

2.  (Foi.  I  d)  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le 
magicien i 

3.  (Fol.  7)  Passion  de  saint  Pierre 2 

4.  (Fol.  1 2  )  Passion  de  saint  Paul 3 

5.  (Fol.  16  b)  Martyre  de  saint  Jean  iévangéliste 4 

6.  (Fol.  i6  c)  Vie  de  saint  Jean  l'évangéliste -'.  .  .  5 

7.  (Fol.  2  1  b)  Vie  de  saint  Philippe t.  .  .  9 

8.  (  Fol.  2 1  )  Vie  de  saint  Earihélemi 11 

9.  (Fol.  2  5  d)  Miracles  de  saint  André 38 

10.  (Fol.  4o)  Vie  de  saint  Jean  Baptiste.  —  Molt  doit  chascuns  crestïens 

et  chascune  crestïene  volentiers  oyr  parler  de  Dieu  et  de  ses  amis'*' ....  // 

1 1.  (Fol.  A 5  c)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur,  suivie  de  la  translation 

et  des  miracles 6 

12.  (Fol.  63)  Vie  de  saint  Mathieu 7 

13.  (Fol.  69  c)  Vie  de  saint  Simon  et  de  saint  Jude 8 

14.  (Fol.  76)  Vie  de  saint  Thomas  l'apôtre^^^ // 

15.  (Fol.  80)  Vie  de  saint  Barnabe  (Mombritius,  1).  —  Sains  Barnabés 
Hapostres  fu  de  Chipre,  et  fu  apelez  Joseph,  et  fu  en  l'office  d'apostre'*'.  // 

1 6.  ( Fol.  80  d)  Vie  de  saint  Lac /i2 

17.  (Fol.  81  d)  Vie  de  saint  Marc 12 

18.  (Fol.  83  d)  Vie  de  saint  Etienne  [Acta  apostoloram,  ch.  \i  et  vu). 

—  Après  la  Pentecoste ,  quant  la  foiz  de  sainte  Eglise  comença  a  essaucier '^'.  // 

19.  (Fol.  84  c)  Vie  de  saint  Vincent i  5 

20.  (Fol.  89  c)  Vie  de  saint  Denis ^^> // 

2 1 .  (Fol.  1 0 1  c)  Vie  de  saint  Clément  (Mombritius ,  1  ;  Surius ,  2  3  nov.  ). 

—  Sains  Climens  fu  li  tiers  apostoies  de  Ronme.  Il  faisoit  volentiers  les 
enseignemenz  saint  Père ,  et  sains  Pères  li  donna  la  digneté  d'estre  apo  - 
stoles''" // 


409 


1 
2 
3 

'4 
5 

9 
1 1 

48 


7 
8 


i3 
1 2 


16 


'"'  Homélie  pour  la  fête  de  la  Conversion 
de  saint  Paul  (aS  janvier), qui  a  pris  place  en 
un  assez  grand  nombre  de  légendiers;  voir 
Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français ,  1892, 
p.  91;  Notices  et  extraits,  XXXV,  475.  Elle 
se  trouve  aussi  dans  le  légendier  classé  selon 
l'ordre  de  l'année  liturgique.  Notices  et  ex- 
traits, XXXVI,  22. 

'*'  Pour  d'autres  copies,  voir  Notices  et 
extraits,  XXXVI,  428.  L'original  latin  de  ce 
récit,  s'il  existe,  ne  nous  est  pas  connu.  C'est 
plutôt  une  compilation  rédigée  d'après  diverses 
sources  latines. 


HIST.  LITTER. 


XXXIII. 


'''  Même  rédaction  que  dans  le  légendier/l, 
ci-dessus,  p.  SgS. 

'*'  Légende  qui  a  pris  place  en  de  nombreux 
légendiers.  Voir  Notices   et    extraits,   XXXV, 

^79-   ^ 

<*'  Se  rencontre  en  de  nombreux  légen- 
diers; voir  Notices  et  extraits,  XXXV,  48 1. 

'''  C'est  la  version  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut  (p.  385).  Celle  que  renferment  les  légen- 
diers B  (art.  25)  et  B'  (art.  3i)  est  diffé- 
rente. 

'''  Même  version  ailleurs;  voir  Notices  et 
extraits,  XXXIV,  1'"  partie,  p.  189. 

52 


410  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

22.  (Fol.  ïoli)  Viedesaint  Valentin  [AA.  SS.,  févr.,  II,  ySG).  —  Sainz       B      B' 
Valentins  fu  evesques  d'une  cité  qui  avoit  non  Tarenne.  Moit  estoit  preu- 

doiii  et  bons  clers'^' «        « 

23.  (Foi.  io5c)  Viedesaint  Jacques  le  Mineur{AA.  SS.,  mai,  I,  3o). — 
Sains  Jacques,  dont  vous  avez  oy,  ([ui  fu  cousins  Jhesucrist  et  fu  evesques 

de  Jérusalem,  et  fu  apclez  Juste  en  sornon'^' «        « 

24.  (Fol.  1  o6  d)  Vie  de  saint  Eustache.  —  Au  tensTroyen  fempereour, 

que  dyables  avoit  grant  force  et  grant  pooir'^' «  // 

25.  (Fol.  1 1 3  b)  Vie  de  saint  Georges^''^ 1 6  // 

26.  (Foi.  1 18  b)  Vie  de  saint  Christophe l 'j  i  y 

27.  (Fol.  I  2y  b)  Invention  de  la  Croix aS  23 

28.  (Fol.  i3ob)  Vie  de  saint  Qairiaque a/j  2I1 

29.  (Fol.  1 3 1  )  Vie  de  saint  Bahylas //  2  y 

30.  (Fol.  i32  b)  Vie  de  saint  Marins,  de  sainte  Marthe,  etc «  28 

31.  (Fol.  i33  d)  Vie  de  saint  Félix  de  Noie «  29 

32.  (Fol.  1 34  c)  Vie  des  Trois  frères  jumeaux «  3o 

33.  (Fol.  1 36  c)  Vie  de  saint  Côme  et  de  saint  Damien 26  32 

34.  (Fol.  1 4 1  b)  Vie  de  saint  Arsène //  34 

35.  (Fol.  1 4  J  d)  Vie  de  saint  Sixte 2 y  36 

36.  (Fol.  1  43  d)  Vie  de  saint  Laurent 28  37 

37.  (Fol.  1  46  d)  Vie  de  saint  Hippolyie 29  38 

38.  (Fol.  1  49  b)  Vie  de  saint  Lambert ,  .  .  3o  39 

39.  (Fol.  1 54  c)  Vie  de  saint  Longin 1 3  1 4 

40.  (Fol.  1  56  d)  Vie  des  saints  Fabien  et  Sébastien 1 4  1  5 

41.  (Fol.  1 60  b)  Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry 34  43 

42.  (Fol.  i63b)  Vie  de  saint  Chrysant  et  de  sainte  Daire  [A A.  SS., 
oct.,  XI,  437).  —  Tholomeus(/.  Poleniius),  très  nobles  bons  et  honorez 

delà  cité  d'Alixandre,  bien puissans ,  quant  il  vint  en  la  cité  de  Ronme'*'.        «        // 

43.  (Fol.  1 67)  Vie  de  saint  Théodore  (abrégé  de  la  légende  latine  qui  fait 
partie  du  Sanctuarium  de  Mombritius).  —  Au  tens  de  deus  empereours 
Maxime  et  Maximien ,  toutes  les  gens  estoient  contrains  a  sacrefier  as 

ydoles.  A  ceus  contredisoit  molt  sainz  Theodores^®' //        « 

44.  (Foi.  167c)  Vie  de  saint  Martinien  [AA.  SS.,  juillet,  I,  3o3; 
Bibliotheca  Casinensis ,  Floril. ,  p.  2  4o).  —  Quant  Symons  Magues  fu  mors 


'"'  Se  trouve  en  plusieurs  iégendiers  fran- 
çais; voir  Notices  et  extraits,  XXXVI,  43 1. 

'''  Nous  avons  déjà  rencontré  deux  traduc- 
tions de  la  vie  de  saint  Jacques  le  Mineur, 
l'une  dans  A  (art.  8),  l'autre  dans  B  (art.  10) 
et  dans  jB'  (art.  10).  Celle  de  B'  diffère  de 
l'une  et  de  l'autre.  EUe  se  trouve  en  quelques 
Iégendiers;  voir  Notices  et  extraits,  XXXIV, 
1"  partie,  p.  189. 

'^  Voir  plus  haut,  p.  38 1. 


'*'  Cette  vie  a  été  publiée ,  d'après  ce  manu- 
scrit même,  dans  les  Publications  of  the  Mo- 
dem language  Association  of  America  (Balti- 
more), nouv.  série,  X,  5i5-5a5. 

'''  Voir,  pour  d'autres  copies  de  cette  ver- 
sion, Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes  français , 
1892,  p.  91. 

'*'  Cette  version  n'a  été  rencontrée  jusepi'ici 
que  dans  quelques  manuscrits  dont  il  sera  ques- 
tion plus  loin.  Cf.  /Yo^  ('/  p.rir.,  XXXVl,  /i5o. 


IL  LÉGENDES  EN  PROSE. 

et  crevez,  si  com  vous  avez  oy  dire,  Noirons,  li  très  félons  empereres,  con-        1^ 

manda  a  .j.  haut  home  puissant,  qxii  Paulin  estoit  apeiez,  qu'il  preïst  les 

.ij.  aposti-es  S.  Père  et  S.  Pol « 

45.  (Foi.  1 69)  Vie  de  saint  ylmou/(" ig 

46.  (Fol.  1  73  d)  Vie  de  saint  Pantaléon  (Mombritius,  II).  —  Au  tens 
que  Maximiens  estoit  empereres  a  Ronme ,  ert  grans  persecucions  sur  ceus 
qui  en  Nostre  Seigneur  creoient,  et  H  plusour  se  repounoient  es  mon- 
taignes  et  es  fosses''^' « 

47.  (Fol.  i-j  g  d)  Vie  de  saint  Victor  {AA.SS.JévT.JÎl,  lyS). —  Anto- 
nins  fu  jadis  uns  rois  de  paiennie.  Cis  rois  conmanda  par  tout  son  em- 
pire que ,  t[ui  trouveroit  crestïen  en  nul  [lia] ,  que  il  fust  contrains  a  faire 
sacrefice  aus  ydoles'*' // 


411 


à-J 


Groupe  C.  —  Nous  rangeons  dans  cette  classe  certains  recueils  qui 
contiennent  une  grande  partie  des  légendes  que  nous  avons  rencon- 
trées dans  le  groupe  B  et  qui  les  présentent  dans  le  même  ordre.  Nous 
désignons  par  C  deux  manuscrits  à  peu  près  semblables,  l'un  appar- 
tenant à  notre  Bibliothèque  nationale ,  îr.  ^12,  l'autre  conservé  au 
Musée  britannique,  Old  Roy.  20.  D.  vi'*).  Ils  se  composent  de  67  ar- 
ticles. Le  premier  manuscrit  est  daté  (fol.  227  c)  de  1286;  le  second 
est  au  moins  aussi  ancien.  Nous  désignerons  par  C  un  autre  exem- 
plaire qui  contient  le  môme  recueil  avec  diverses  additions. 

C  est  identique  à  B  pour  les  légendes  1  à  2  2 .  11  n'a  pas  les  articles  2  3 
à  26  de  5  (Invention  de  la  Croix,  saint  Quiriaque,  saint  Denis,  saint 
Côme  et  saint  Damien).  Il  a,  sous  les  n°'  24  à  27,  les  articles  27  à  3o 
de  B,  dans  le  même  ordre.  Il  a  encore,  sous  les  n"'  4o,  43,  67,  les 
articles  37,  3i,  36  de  B.  Ainsi  donc,  sur  67  articles,  C  en  a  29  qui 
lui  sont  communs  avec  B.  Mais,  de  plus,  les  articles  23,  28,  29  se 
retrouvent  soit  dans  B\  soit  dans  B"^.  Restent  vingt-cinq  légendes  que 


'"'  Cette  vie,  quoique  se  trouvant  dans  la 
famille  B,  n'en  est  cependant  pas  tirée,  ici ,  en 
efiFet ,  le  début  est  tout  autre  :  «  Iceste  parole 
«puet  estre  entendue  de  monseigneur  saint 
«  Hernoul ,  en  cui  honor  nous  sommes  assemblé. 
«Icil  sains,  ce  nous  dist  l'Escriplure,  fistgrant 
«vertu  devant  Nostre  Seigneur,  et  toute  la 
«terre  fu  raemplie  de  sa  doctrine.  .  .  »  Le 
même  début  se  rencontre  en  d'autres  copies  : 
voir  Notices  et  extraits,  XXXVL  ^Sg. 

'''  Voir,  pour  d'autres  copies,  Romania, 
XVlI,38oetXXXlV, /II. 


''*  On  connaît  au  moins  trois  autres  copies  de 
cette  rédaction.  Voir  Noticeset  extraits ,  XXXVI , 
457,  et  Bibliothèque  royale  de  Belgique  952.5  , 
fol.  i?,?,. 

<*'  La  seule  difterence  est  que  dans  le  second 
de  ces  deux  manuscrits  manque  le  premier 
des  deux  récits  relatifs  à  saint  Jean  l'évangé- 
liste  (art.  5  de  la  liste  qui  suit).  D'autres  diffé- 
rences dans  l'ordre  des  légendes  ne  sont  qu'ap- 
parentes et  viennent  de  ce  que,  lors  de  la 
reliure  du  manuscrit  20.  D.vi,  certains  cahiers 
ont  été  déplacés. 

53. 


412 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


nous  n'avons  pas  rencontrées  dans  les  groupes  A.  et  B.  Entre  ces  vingt- 
cinq  articles,  cinq  (3o,  3i,  Sa,  36,  3/)  sont  des  traductions  faites 
par  le  Wauchier  de  Denain  dont  nous  avons  longuement  traité  dans 
une  précédente  notice.  Les  vingt  autres  légendes  reparaîtront  en 
des  recueils  que  nous  étudierons  plus  loin. 

Nous  donnerons  présentement  l'analyse  de  C  d'après  le  ms.  B.  N. 
fr.  4i2('): 


l. 
2. 
3. 
4. 
5. 
6. 


et  des  miracles 


7. 

8. 

9. 
10. 
II. 
12. 
13. 
14. 
15. 
16. 
17. 
18. 
19. 
20. 
21. 
22. 
23. 
24. 
25. 
26. 
27. 
28. 
29. 
30. 


Fol.  5)  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien. 

Fol.  lo)  Passion  de  saint  Pierre. 

Fol.  \lib)  Passion  de  saint  Paul. 

Fol.  1"]  d)  Martyre  de  saint  Jean  l'évangéliste. 

Fol.  i8)  Vie  de  saint  Jean  iévangéliste. 

Fol.  2  1  d)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur,  suivie  (fol.  2  lie)  de  la  translation 


Fol.  35)  Vie  de  saint  Mathieu. 
Fol.  Sg  d)  Vie  de  saint  Simon  et  de  saint  Jade. 
Fol.  45)  Vie  de  saint  Philippe. 
Fol.  45  d)  Vie  de  saint  Jacques  le  Mineur. 
Fol.  46  d)  Vie  de  mint  Barthélemi. 
Fol.  49  d)  Vie  de  saint  Marc. 
Fol.  5i  b)  Vie  de  saint  Longin. 
Fol.  52  d)  Vie  de  saint  Sébastifn. 
Fol.  55  c)  Vie  de  saint  Vincent. 
Foi.  59)  Vie  de  saint  Georges. 
Fol.  62)  Vie  de  saint  Christophe. 
Fol.  68  d)  Vie  de  sainte  Agathe. 
Fol.  7 1  )  Vie  de  sainte  Luce. 
Fol.  72  d)  Vie  de  sainte  Agnès. 
Fol.  75  d)  Vie  de  sainte  Félicité  et  de  ses  sept  fils. 
Fol.  77)  Vie  de  sainte  Christine. 
Fol.  82  b)  Vie  de  sainte  Cécile  (B^  35). 
Fol.  87  b)  Vie  de  saint  Sixte  {B  27). 
Foi.  88  c)  Vie  de  saint  Laurent  (B  28). 
Fol.  91)  Vie  de  saint  Hippolyte  [B  29). 
Fol.  92  d)  Vie  de  saint  Lambert  [B  3o). 
Fol.  96  d)  Vie  de  saint  Pantaléon  [B'^  46). 
Fol.  101  c)  Vie  de  saint  Clément  [B'^  21). 
Fol.  io3)  Vie  de  saint  Martin  de  Tours,  par  Sulpice  Sévère,  traduite  par 


Wauchier  de  Denain;  cf.  ci-dessus,  p.  283.  Suit  (fol.  i  i3d)la  translation. 

'"'  Nous  ne  transcrirons  les  premiers  mots  que  pour  les    légendes  qui  n'ont  pas  encore   été 
mentionnées. 


11.  LEGENDES  EN  PROSE. 


413 


31.  (Fol.  1  i/i)  Dialogues  de  Sulpice  Sévère  sur  saint  Martin,  traduits  par  VVau- 
chier  de  Denain;  cf.  ci-dessus,  p.  286-7. 

32.  (Foi.  127)  Vie  de  saint  Brice,  traduite  par  Wauchier  de  Denain;  cf.  ci- 
dessus,  p.  285. 

33.  (Foi.  128b)  Vie  de  saint  Gilles  [AA.  SS.,  sept.,  I,  299).  —  Nus  crestïens  n'est 
en  terre  qi  Nostre  Signor  voeiiie  servir  ne  amer,  qi  voientiers  n'entend^  et  oie  ceus 
qui  racontent  et  dient  les  oevres  des  seinz  homes'".  .  . 

34.  (Fol.  1  3i  b)  Viedesaint  Martial  (Surius,  3o  juin).  — Au  tens  qe  nostre  sires 
Jesucriz  preechoit  et  enseignoit  les  Juïs,  qi  estoient  de  la  lignie  Benjamin,  en  la 
terre  de  Jérusalem'*'.  .  . 

35.  (Fol.  1/12)  Fie  c?eiaintiVico/as(Mombritius,  11),  suivie  des  miracles  (fol.  i^3c) 
et  de  la  translation  (fol.  i5i).  —  Moût  doit  voientiers  oïr  et  entendre  tote  créature 
qi  Nostre  Signour  aime  et  croit  les  vies  et  les  oevres  des  seinz  (^' .  .  . 

36.  (Fol.  187)  Vie  de  saint  Jérôme,  traduite  par  Wauchier  de  Denain;  voir  ci- 
dessus,  p.  280. 

37.  (Fol.  i58d)  Vie  de  saint  Benoit,  traduite  par  Wauchier  de  Denain;  voir  ci- 
dessus  ,  p.  281. 

38.  (Fol.  167  d)  Vie  de  saint  Alexis  [AA.  6'i\ ,  juillet ,  IV,  254)-  —  En  cel  tens 
qe  la  loy  Nostre  Signor  estoit  creûe  et  essaucie ,  et  qe  les  genz  se  penoient  donques 
plus  de  bien  faire  qu'il  ores  ne  font  '*'... 

39.  (Fol.  170c)  Vie  de  sainte  Irène  [A A.  SS.,  mai  II,  4).  —  Seinte  Yrine,  la 
martyre  nostre  signor  Jesucrist ,  fu  fille  au  roi  Lichin  et  a  la  roine  Licine ,  et  fu  née 
en  la  cité  de  Magedon ,  .  , 

40.  (Fol.  17a  d)  L'Assomption  {B  i-j). 

41.  (Fol.  174  d)  Vie  de  sainte  Ca//imne ( Mombritius ,  1).  —  Les  estoires  annales 
nos  enseignent  qe  Costentins  li  fmz,  qui  reçut  de  Costentin  son  père  le  gouvernement 
de  l'empire'^' .  .  . 

42.  (Fol.  181  )  Vie  de  saint  André  [Passio  sancti  Andreae  apostoli^^^) ,  suivie  des 
miracles  (fol.  1 83)'^'.  —  De  la  passion  seint  Andrieu  dient  einsint  li  exposteur  :  Nos 
le  veïsmes  tout  prestre  et  dyacre  des  eglisses  d'Achaïe .  .  . 

43.  (Fol.  192  b)  Purgatoire  de  saint  Patrice  [B  3i). 

44.  (Fol.  197  d)  Vie  de  saint  Paal  l'ermite  (saint  Jérôme).  —  Assez  de  genz  ont 
sovent  douté  qi  fu  li  premiers  hermites  qui  premièrement  habita  es  forés'*' .  .  . 


'*'  Nous  retrouverons  cette  version  en  de 
nombreux  légendiers.  Un  plus  long  morceau 
du  début  a  été  cité  dans  la  notice  sur  trois  lé- 
gendiers attribués  à  Jean  Belet ,  art.  1 1 1  (  No- 
tices et  extraits  des  manuscrits,  XXXVI,  453). 

'''  Pour  d'autres  copies  de  cette  version, 
voir  Romania,  XVII,  385;  Notices  et  extraits, 
XXXrV,  1"  partie,  ig/l. 

'''  Version  publiée  en  i834,  pour  la  So- 
ciété des  Bibliophiles  français,  par  Monmer- 
qué,  d'après  le  ms.  B.  N.  fr.  4a 2.  Voir  Ro- 
mania, XVII,  38 1. 


'*'  On  a  d'assez  nombreuses  copies  de  cette 
vie  ;  voir  Notices  et  extraits ,  XXXVI  ,691. 

'''  Pour  d'autres  copies,  voir  Notices  et  ex- 
traits. XXXVI,  466. 

'*'  Lipsius  et  Bonnet,  Acta  apostolorum  apo- 
crypha,  I,  a"  partie  (1898),  1. 

'''  Les  miracles  correspondent  à  B  38. 

'*'■  Version  différente  de  celle  de  Wauchier, 
ci-dessus,  p.  a6 1 ,  et  de  la  version  champenoise , 
ci-dessus,  p.  2 g ■7.  Nous  en  avons  toutefois 
rencontré  le  prologue  dans  un  manuscrit  de 
cette  dernière  version  (ci-dessus ,  p.  296,  note  3). 


Hi 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


45.  (Fol.  200  b)  Translation  du  corps  de  saint  Benoit  à  Fleari  (Adrevaldus).  — 
Au  tens  que  li  Longuebarz,  qui  ne  creoientpas  Nostre  Signor,  [furent"'],  il  esloientsi 
cruel  que  il  ocioient  toz  les  Crestïens .  .  . 

46.  (Fol.  202  d}  Vie  de  saint  Mavr  {AA.  SS. ,  janvier,  I,  1  oSg),  —  Seinz  Mor  fu 
nez  de  Rome  et  fu  niolt  gentiuz  hoin .  .  . 

47.  (Fo}.  207)  Vie  de  saint  Placide  {AA.  SS.,  octobre,  III,  1  i/i).  —  Au  tens 
Justin  et  .lustinien ,  qui  furent  empereur  de  Rome .  .  . 

48.  (Fol.  209)  Vie  de  saint  Easlache  {AA.  SS.,  sept.,  II,  i23).  —  Au  tens  que 
Traianus  estoit  empereres  de  Rome,  il  avoit  avec  lui  un  sien  baron  qi  avoit  non 
Placides W..  . 

49.  (Fol.  2  1  ï  h)  Vie  de  saint  Fursi  [AA.  SS.,  janvier,  II,  /4/j).  —  Un  preudome 
fu  qi  ot  non  Fursins,  de  moût  honorable  vie,  molt  nobles  par  lignage'^*.  .  . 

50.  (Fol.  2  i3)  Vie  de  sainte  Marguerite  (Mombritius).  —  Après  la  glorieuse  ré- 
surrection nostre  signor  Jesucrist,  et  puis  qe  si  ajjostre  orent  tuit  receù  la  celestiei 
corone  par  la  victoire  de  martyre  ''"' .  .  . 

5 1 .  (Fol.  2  1  i  b)  Vie  de  sainte  Pélagie  (  A  A.  SS. ,  octobre ,  IV,  261).  —  Nous  devons 
toz  jorz  rendre  grâces  a  Nostre  Seignor  qi  ne  veut  pas  qe  li  pecheor  périssent'*'.  .  . 

52.  (Fol.  2  1 5  c)  Vie  de  saint  Siméon  {AA.  SS. ,  janvier,  I).  —  Seinz  Simeons  fu 
esleûz  de  Nostre  Signor  por  lui  servir,  et  ses  oevres  li  plorent  dès  s'enfance .  .  . 

53.  (Fol.  217c)  Vie  de  saint  Mamertin  [AA.  SS.,  avril,  II,  759).  —  Nus  cres- 
tïens ne  conoist  com  la  pitiez  de  la  miséricorde  Jesucrist  est  granz,  ne  com  grant 
grâce  sa  debonereté  done  a  l'umein  lignage .  .  . 

54.  (Fol.  219)  Vie  de  saint  Julien  du  Mans  [AA.  SS.,  janvier,  II,  762).  —  Seinz 
Juliens,  qi  fu  evesques  du  Mans,  fu  nez  de  Rome  de  molt  gentils  genz.  .  . 

55.  (Fol.  221)  Vie  de  sainte  Marie  l'Égyptienne  {AA.  SS.,  avril,  I,  76).  —  En  la 
contrée  de  Palestine  ot  un  moine ,  seint  home  et  de  bone  vie ,  qi ,  de  s'enfance ,  fu 
norriz  en  moniage.  .  . 

56.  (Fol.  225)  Vie  de  sainte  Euphrasie  [AA.  SS.,  mars,  II,  264,  texte  du  ms.de 
Saint-Omer).  —  A  Rome  ot  un  sénat  qui  ot  non  Antigonus,  et  estoit  molt  boens  boni 
et  cremoit  Nostre  Seigneur.  .  . 

57.  (Fol  226)  L'y4n<^c/tmf,  suivi  du  «Jugement  Nostre  Seigneur'^'  »(B36,fi'45). 

Le  ms.  B.  N.  fr.  fin,  que  nous  désignerons  par  C\  contient  le 
même  légendier  que  les  mss.  B.  N.  fr.  4i2  et  Musée  brit.  20.  D.  vi. 


<"'  Ce  mot ,  qui  manque  dans  le  ms.  413, 
est  rétal)li  d'après  le  ms.  4 1  i . 

'*'  Cette  version  est  différente  de  celle  dont 
nous  avons  donné  des  extraits  ci -dessus, 
p.  383. 

f'  Cf.  Notices  et  extraits.  XXXVI,  Uo. 

'*'  Une  partie  de  cette  version  a  été  pu- 
bliée, d'après  le  ms.  B.  N.  fr.  4i  1  (sur  lequel 
voir  plus  bas) ,  par  A.  .loly,  La  vie  de  sainte 
Marguerite ,  iioème  inédit  de  Wace  [  Paris ,  Vie- 
weg,    1879),  p.    i4i.  —  Divers  extraits  du 


texte  latin  sont  cités  dans  le  même  ouvrage, 
p.   I  3 1  et  suiv. 

'"'  Un  fragment  plus  long  de  cette  version 
a  été  imprimé  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des 
anciens  textes  français,  i885,  p.  66,  d'après  ie 
ms.  7 7 a  de  Lyon. 

'•>  Ce  dernier  morceau  a  pour  rubrique  : 
«Ici  comence  de  la  résurrection  .Ihesu»,  mais 
c'est  un  titre  erroné ,  que  nous  remplaçons  par 
celui  que  présentent  d'autres  manuscrits  (voir 
p.  4o3,  note  8). 


11.  LEGENDES  EN  PROSE. 


4i: 


Ce  qui  le  Histing^ue,  c'est  uniquement  que  le  recueil  y  est  précédé  de 
cinq  morceaux  qui  ont  pour  sujets  :  i°la  nativité  du  (îhrist''*;  -i"  l'ado- 
ration des  Mages;  3"  la  purification  de  Notre  Dame;  4°  1'"^  passion  du 
Christ  et  sa  descente  aux  enfers;  5°  une  homélie  sur  la  conversion  de 
saint  Paul.  Ces  cinq  articles  forment  comme  une  introduction  au  légen- 
dier  proprement  dit.  Nous  les  retrouverons,  augmentés  d'un  sixième 
article,  sur  la  chaire  de  saint  Pierre,  en  tête  de  recueils  plus  ou  moins 
différents  de  C.  Il  ne  nous  parait  pourtant  pas  que  ces  opuscules  aient 
été  composés  ou  traduits  en  vue  de  servir  de  préambule  à  des  collec- 
tions hagiographiques.  D'abord,  ils  sont  absolument  indépendants 
les  uns  des  autres,  et  on  n'a  même  pas  pris  la  peine  de  les  relier  par 
une  formule  de  transition.  Puis  on  les  rencontre  ]5resque  tous  en 
divers  manuscrits  qui  ne  sont  nullement  des  légendiers'"^'. 

Les  trois  premiers  articles  sont  de  véritables  sermons,  entrecoupés 
de  citations  bibliques  en  latin.  Le  prédicateur  s'adresse  de  temps  à 
autre  à  ses  auditeurs  dans  les  formes  ordinaires:  «  Seignor. . .,  Bonne 
gent  11.  De  ces  sermons,  le  deuxième,  pour  l'Epiphanie,  et  le  troisième, 
sur  la  Purification,  présentent  une  étroite  ressemblance  avec  ceux 
que  Maurice  de  SuHi  a  composés  pour  les  mêmes  fêtes  :  certaines 
parties  sont  identiques  de  part  et  d'autre;  ailleurs  le  texte  de  nos 
deux  articles  est  abrégé  ou  développé ^'^l  Nous  croyons  que  Maurice 
de  Sulli,  dont  les  sermons  français  ont  été  si  souvent  copiés  au 
xii"  siècle  et  plus  tard,  est  f original.  Nous  reconnaissons  toutefois 
qu'il  ne  sera  possible  d'arriver,  sur  ce  point,  à  une  complète  certi- 


'"'  Un  texte  latin  de  ce  récit  se  trouve  dans 
YAbbreviaiio  in  gestis  sanclorum  dont  il  sera 
traité  plus  loin.  Woir  Notices  et  extraits,  XXXVI, 
317,  note  a. 

'*'  Par  exemple ,  les  quatre  premiers  articles 
sont  transcrits  :  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  ^og , 
ff.  12-33,  qui  ne  contient  d'ailleurs  qu'une  lé- 
gende hagiographique ,  celle  de  la  Madeleine 
(fol.  160),  les  autres  ouvrages  que  renferme  le 
même  manuscrit  (le  Mariarie  Notre  Dame,  en 
vers,  la  Somme  le  Roi,  la  Lamentation  Notre 
Dame  )  ayant  un  tout  autre  caractère  ;  dans  les 
mss.  B.  N.  fr.  24209,  (T.  2  et  suiv.,  et  22/I95, 
fi".  2  et  suiv. ,  qui  sont  identiques ,  soit  qu'ils 
aient  été  copiés  l'un  de  l'autre ,  soit  qu'ils  aient 
eu  un  modèle  commun  (voir  la  description 
qui  en  est  donnée  dans   le  Recueil  des  Histo- 


riens des  croisades,  Histor.  occid.,  II,  xxiii  et 
XXIV,  sous  les  anciens  n°'  Sorh.  383  et  387,  la 
description  donnée  dans  le  Catalogue  général 
des  mss.  français  étant  insuffisante)  ;  enfin, 
dans  le  ms.  de  Turin  L.  i;  5  (ancien  K.  vi.  8, 
Pasini),  fol.  2  et  suiv.,  qui,  pour  le  contenu, 
est  identique  aux  deux  précédents.  —  Le  qua- 
trième article  (évangile  de  Nicodème)  se  ren- 
contre non  seulement  dans  le  ms.  409 ,  mais 
encore,  isolément,  dans  les  mss.  B.  N.  i'r.  187 
et  907,  et  ailleurs  encore  (cf.  ci-dessus,  p.  393). 
—  Quant  au  cinquième  (conversion  de  saint 
Paul),  on  le  trouve,  comme  les  (juatre  pre- 
miers articles,  dans  le  ms.  Ir.  409,  fol.  29. 

<''  Voir  les  rapprochements  établis  dans  la 
notice  du  ms.  B.  \.  fr.  6447,  Notices  et  extraits, 

XXXV,  473-474. 


416  F.RGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

tude  que  lorsqu'on  aura  une  édition  critique  de  la  rédaction  française 
des  sermons  de  Maurice  de  Sulli.  I^e  quatrième  morceau  est  la  tra- 
duction de  l'évangile  de  Nicodème,  dont  nous  avons  dit  un  mot  plus 
haut  (p.  393).  Le  cinquième  est  l'homélie  sur  la  conversion  de 
saint  Paul  qui  se  lit  en  tête  du  ms.  de  Sainte-Geneviève  (ci-dessus, 
p.  409). 

Groupe  D.  — Nous  rapprochons  ici  deux  manuscrits  qui,  malgré 
d'assez  nombreuses  différences,  ont  évidemment  un  fond  commun  : 
B.  N.  fr.  17229  (D)  et  6447  {D^)-  Le  ms.  D  commence  par  les 
cinq  morceaux  dont  nous  venons  de  parler.  Il  en  ajoute  un  sixième, 
une  homélie  sur  la  chaire  de  saint  Pierre,  qui  se  trouve  ailleurs 
encore  que  dans  les  légendiers'^^  Le  ms.  D'  a  les  mêmes  récits  à  la 
même  place,  sauf  qu'il  intervertit  les  homélies  sur  la  conversion  de 
saint  Paul  et  sur  la  chaire  de  saint  Pierre  (art.  5  et  6  de  /)). 

Nous  commencerons  par  donner  une  analyse  détaillée  de  D,  en 
indiquant  la  concordance  avec  C,  et,  pour  les  pièces  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  C,  avec  les  manuscrits  du  groupe  B.  Disons  tout  d'abord 
que  D  est  de  la  seconde  moitié  du  xiii"  siècle,  qu'il  a  été  exécuté  en 
Artois,  peut-être  à  Arras  même,  et  qu'il  renferme  quelques  légendes 
locales,  ou  du  moins  offrant  un  intérêt  particulier  pour  les  fidèles  du 
Nord  de  la  France,  qui  ne  se  rencontrent,  à  notre  connaissance,  nulle 
autre  part  sous  la  même  forme. 

1 .  (Fol.  1  )  Nativité  de  Jésus  —  Qant  ii  tens  fut  raempliz  que  nostre  sires  Jhesu- 
criz  volt  nestre  de  madame  sainte  Marie .  .  . 

2.  (Fol.  i)  Apparition  (F.piphanie). —  Veritez  est  que,  qant  nostre  sires  Jhesucrist 
fu  nez  en  la  cité  de  Belleam .  .  . 

3.  (Fol.  4)  Purification.  —  Qant  li  tens  fu  aconpliz  de  la  gesine  madame  sainte 
Marie.  .  . 

k.  (Fol.  5)  Passion  du  Christ  et  descente  aux  enfers  (Evangile  de  Nicodème)''''.  — 
Annas  et  Kayphas  et  Symyme ,  Dadami  et  Gamaliel .  .  . 

5.  (Fol.  i3b)  Conversion  de  saint  Paul^^K  —  Après  ce  que  seinz  Estiennes  fu 
lapidez.  .  .  (B*  1). 


'*'  Par  exemple  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  409 ,  ■  gneur  devant  Pyiate  »  ;  dans  le  ms.  Phillipps  : 

cité  à  la  note  3  de  la  page  précédente.  «Le  parlement  de  la  traïson  N.S.  conment  il 

'*'  Le  titre,  dans  les  mss.  B.  N.  17239  et  «  fu  vendus  et  trais». 

6447,  est:  tLe  parlement  de  traïr  Nostre  Sei-  '''  La  rabrique  porte  :  «Ci  commence  la  con- 


II.   LÉGENDES  EN  PROSE. 


417 


6.  (Fol.   ili)  Chaire  de  saint  Pierre.  —  Sainte  Eglise  fet  feste  en  remanbrance 
de  Tanneur  que  seinz  Peros  ot .  .  . 

7.  (Fol.  i4c)  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien 
(C  i). 

8.  (Fol.  2  1  c)  Passion  de  saint  Pieire  (^2). 

9.  (Fol.  27  c)  Passion  de  saint  Paul  (G  3). 

10.  (Fol.  32  d)  Martyre  de  saint  Jean  l'évangéliste  [C  k). 

11.  (Fol.  33)  Vie  de  saint  Jean  l'évangéliste  [C  5). 

12.  (Fol.  38  c)  Vie  de  saint  Jacques  le  Majeur,  suivie  de  la  translation  et  des  mi- 
racles (C  6). 

13.  (Fol.  Sy  b)  Vie  de  saint  Mathieu  (C  7). 
(  Fol.  64  b)  Vin  de  saint  Simon  et  de  saint  Jude  (G  8). 


14. 
15. 
16. 
17. 


(Fol.  71b)  Vie  de  saint  Barnabe  (B*  i5). 


(Fol.  72)  Vie  de  saint  Thomas  t apôtre  (B-^  ili]- 
(Fol.  76  c)  Vie  de  saint  Barthélemi  (G  11). 

18.  (Fol.  81)  Vie  de  saint  Marc  {C  12). 

19.  (Fol.  83)  Miracles  et  vie  de  saint  André  (6  38,  G  I12  O). 
(Fol.  97  b)  Vie  de  saint  Luc  (B  42). 

98  c)  Vie  de  saint  Jacgues  le  Mineur  (G  1 0)  '^'. 
00  c)  Vie  de  saint  Etienne  (B"  18). 
01b)  Vie  de  saint  Vincent  (G  1 5 ). 
06  d)  Vie  de  saint  Georges  (C  16). 

d)  Vie  de  saint  Christophe  (G  17). 

c)  Vie  de  saint  Nicolas.  —  Saint  Nicholas  fu  nez  de  hautes  genz 


20. 
21. 
22. 
23. 
24. 
25. 
26. 


(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 


et  de  seintes  '^' 

27.  (Fol. 
lation  (G  3o 
(Fol 


28. 
29. 
30. 
31. 
32. 
33. 
34. 
35. 
36. 


(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 
(Fol. 


1 1 


27)  Vie  de  saint  Martin  (traduite  par  Wauchier),  suivie  de  la  trans- 

43)  Vie  de  saint  Denis  (B  28 ,  B'  3 1  ). 

49)  Vie  de  saint  Côme  et  de  saint  Damien  (B  26,  B'  32,  B^  33). 

54)  Vie  de  saint  Arsène  (B'  34,  B"^  34). 

55)  Vie  de  saint  Sixte  (C  24). 
57)  Vie  de  saint  Laurent  (C  25). 
60  c)  Vie  de  saint  Hippolyte  (G  26). 
63  c)  Vie  de  saint  Lambert  (C  27). 

69  b)  Vie  de  saint  Julien  de  Brioade  (  B  32,  B'  4 1  ). 
82  b)  Vie  de  saint  Brendan  (B  33,  B^  42). 


«  version  S.  Pol ,  qui  doit  estre  el  conmencemeni 
«del  livre  de  la  vie  des  seinz.»  Et,  en  efTet, 
c'est  par  ce  morceau  que  débute  le  ms.  de 
Sainte-Geneviève  {B'),  comme  on  l'a  vu  plus 
haut ,  p.  409. 

'■'  Dans  C  42  la  vie  est  placée  avant  les 
miracles. 

HIST.  LITTÉR.  XXXIII. 


'*'  À  la  suite  de  cette  vie  on  lit  :  «  Ici  defment 
«  les  glorieuses  vies  aus  beneoiz  apostres  nostre 
«seigneur  Jhesucrist,  et  après  conmenceront 
«  les  vies  au[s]  beneoiz  martirs  nostre  seigneur 
I  Jhesucrist.  • 

'''  Cette  vie  est  diJFérente  de  C  35  (ci- 
dessus,  p.  4^1 3). 

53 


418 


LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


37. 
38. 
39. 


ig/i  d)  Vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry  [B  3/i,  B^  43). 
198)  Vie  de  saint  Silvestre  (JB  35,  B^  kà). 


(Fd. 
(Fol. 
(Fol.  2  I  a  d)  Vie  de  saint  Jean  Baptiste  (J5*  10). 


40.  (Fol.  2 1 8  d)  La  Vengeance  de  Notre-Seignear.  —  Il  avint,  el  point  et  en  l'eure 
de  la  passion  nostre  seignor  Jhesucrist,  que  Tyberius  César,  li  empereres  de  Rome, 
fu  pris  de  greveuse  enferrneté  '" .  .  . 

41.  (Fol.  222  b)  Vie  de  saint  Edniond^^K  — A  icelui  tens  que  Donstans,  li  arce- 
vesques  de  Dureaume''',  sage  et  ancien  home,  fesoit  sa  Visitation  par  sa  province. . . 

42.  (Fol.  2  3o  d)  Vie  de  saint  Thibaud.  —  Saint  Thiebaut  fu  nez  de  l'eveschié  de 
Troies  ;  ses  pères  ot  non  Arnous  et  sa  mère  Gile  '*'... 

43.  (Fol.  233  b)  Purgatoire  de  saint  Patrice  (C  /i3). 

44.  (Foi.  2/11  b)  Barlaam  et  Josaphat.  —  En  cel  tens  que  les  églises  el  li  mostier 
furent  conmencié  a  edefier  el  non  nostre  seignor  Jhesucrist ,  et  que  li  seint  honnie 
conmencierent  Nostre  Seigneur  a  servir  par  diversse  manière  d'ordre  monial  '*'... 

45.  (Fol.  290  c)  Vie  de  saint  Longin  (C  i3). 

46.  (Fol.  292  d)  Vie  de  saint  Sébastien  [C  i4). 

47.  (Fol.  297)  Vie  de  saint  Arnoul,  évêqae  de  Toars  [B  Sg,  5'  47). 

48.  (Fol.  3o2(«')  L'Assomption  {C  ào). 

49.  (Fol.  3o5b)  Vie  de  sainte  Agnès  [C  20). 

50.  (Fol.  3o9  d)  Vie  de  sainte  Félicité  et  de  ses  sept  fils  [C  21). 

5 1 .  (Fol.  3 1  I  c)  Vie  de  sainte  Christine  [C  22). 

52.  (Fol.  319  c)  Invention  de  la  Croix  (B  23,  B^  23,  B^  27). 

53.  (Fol.  322  d)  Vie  de  sainte  Pétronille  (B^  26). 

54.  (Fol.  323  b)  Vie  de  sainte  Felicula  (B^  26). 

55.  (Fol.  323  d)  Vie  de  sainte  Cécile  (C  23). 

56.  (Fol.  33 1)  Vie  de  sainte  Marie-Madeleine.  —  La  beneoite  Magdeieine,  selonc 
l'orgueil!  de!  siècle ,  si  fu  née  d'un  lingnage  moit  noble  '■"... 

57.  (Fol.  337)  Vie  de  sainte  Marie  l'Égyptienne.  —  Uns  preudons  fu  en  l'église  de 
Palestine ,  aornez  de  vertuz  et  de  saintes  paroles  '*'... 

58.  (Fol.  344)  Vie  de  sainte  Catherine.  —  Les  veraies  estoires  nos  racontent  que 
cil  Costantins.  .  . 


'"'  Cette  légende,  dont  on  a  plusieurs  rédac- 
tions, ne  se  rencontre  pas  ordinairement  dans 
les  légendiers  en  prose  française.  Toutefois  il 
y  a  une  copie  de  la  même  version  dans  le  lé- 
gendier  dn  Queen's,  Oxford,  fol.  6. 

'*'  L'original  est  la  vie  de  saint  Edmond, 
roi  d'Estanglie,  rédigée  par  Abbon  de  Fleuri 
(Miene,  Patrol.  lai..  CXXXIX  ,  Soy  ;  T.  Ar- 
nold, MemoriaU  of  Saint  Edmnnd's  Ahbey ,  I, 
3;  etc.). 

'"'  Dorobernensis.  Le  traducteur  a  pris  Can- 
torbéry pour  Durham. 

<**  En  dehors  du  ms.  17239,  cette  version 
ne  se  rencontre  que  dans  le  Légendier  classé 


selon  l'ordre  de  l'année  liturgique,  art.  79; 
voir  Notices  et  extraits ,  XXXVJ ,  34. 

'*'  Voir  ci-dessus,  p.  391. 

'*'  A  cet  endroit  on  lit  cette  rabrique  :  Ci 
conmencent  les  virges. 

'''  Cette  vie ,  qui  n'est  pas  à  confondre  avec 
celle  de  B  4o,  B'  ^9,  se  rencontre  en  divers 
manuscrits  qui  ne  sont  pas  tous  des  légendiers, 
par  ex.  dans  le  ms.  de  La  Clayette;  voir  No- 
tices et  extrait! ,    XXXIIl,    i"*  partie,   64-65. 

'*'  Cette  vie,  différente  des  deux  que  nous 
avons   rencontrées  précédemment  (B   4i,   /i 
5o,  C  55),  fait  suite  à  celle  de  Marie-Made- 
leine dans  le  ms.  de  La  Clayette. 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE. 


419 


59.  (Fol.  352  d)  La  Chandelle  d'Amas. —  En  non  del  Père  et  duFill  et  del  saint 
Esperit,  dites  tuit  et  toutes  :  Amen.  A  icel  tans  le  bon  evesque  Lambert,  qui  fu  li  pre- 
merains  evesques  d'Arraz'^'.  .  . 

60.  (Fol.  357  d)  Vie  de  sainte  Agathe  (G  18). 

61.  (Fol  36 1  d)  Vie  de  sainte  Anastasie.  —  Sainte  Anastasie  fu  née  de  Rome,  et 
fil  de  molt  gentik  genz.  Seins  Grisodones  fu  ses  mestres  en  la  foi  Jhesu  Crist"''. .  . 

62.  (Fol.  363  b)  Les  Onze  mille  vierges.  —  El  tans  que  nostre  sire  Jhesu  Crist 
avoit  le  siècle  auques  conquis  et  converti  a  la  sainte  foi'^'.  .  . 

Entre  ces  soixante-deux  articles,  il  en  est  quarante-cinq  que  nous 
avons  déjà  vus,  soit  dans  C,  soit  dans  les  divers  légendiers  du  groupe -B. 
C'est  assez  pour  justifier  la  place  que  nous  assignons  au  manuscrit 
fr.  17229.  Il  serait  impossible,  à  moins  de  se  livrer  à  des  compa- 
raisons de  détail  qui  ne  peuvent  prendre  place  ici,  de  déterminer 
avec  précision  ses  rapports  soit  avec  l'un  des  manuscrits  B,  soit  avec  C. 
Tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  qu'il  présente  des  affinités 
diverses  avec  ces  deux  groupes'*'  :  il  place  en  premier  lieu  les  apôtres, 
parmi  lesquels  saint  Paul**',  puis  un  choix  de  martyrs  et  de  confes- 
seurs appartenant  en  général  aux  premiers  siècles  du  christianisme, 
disposition  déjà  suivie  plus  ou  moins  régulièrement  dans  B  et  C; 
mais  ce  qui  est  particulier  à  notre  recueil,  c'est  l'idée  de  grouper 
ensemble  les  vierges,  à  partir  de  l'article  48. 

L'originalité  du  ms.  17229  consiste  dans  les  additions  qu'il  fait  aux 
légendiers  antérieurs.  Ces  additions  sont  au  nombre  de  huit  :  la  Ven- 
geance de  Notre-Seigneur,  traduction  d'un  apocryphe  qui  n'est  pas ,  à 
proprement  parler,  une  légende  hagiographique  (art.  4o),  les  vies 
de  saint  Edmond  (art.  /ii),  de  saint  Thibaud  (art.  ^2),  de  Barlaam 
et  Josaphat  (art.  44 )i  de  sainte  Catherine  (art.  58),  de  sainte  Ana- 
stasie (art.  61),  des  Onze  mille  vierges  (art.  62  ) ,  la  légende  de  la  Chan- 
delle d'Arras  (art.  59).  De  ces  huit  morceaux  il  en  est  au  moins  trois 


'"'  Version  qui  n'a  été  rencontrée  jusqu'ici 
que  dans  ce  manuscrit.  L'original  est  dans 
Cavrois,  Cartal.  de  N.-D.  des  Ardents  à  Arias 
(Arras,  1876),  p.  gi- 

'*'  Cette  vie,  différente  de  B'  33,  a  été  ad- 
mise dans  le  Légendier  classé  selon  l'ordre 
de  l'année  liturgique.  Notices  et  extraits, 
XXXVI,  17. 

'*'  On  a  plusieurs  autres  copies  de  cette 
version;  voir  Notices  et  extraits,  XXXV,  ^97; 
XXXVI,  466. 


'*'  Avec  C  .■  il  y  a  dans  le  ms.  17229 
un  article  (l'art.  27)  qui  se  trouve  dans  C, 
mais  qui  manque  à  tous  les  manuscrits  du 
groupe  B.  Avec  B^  :  les  articles  5,  i5,  16,  22 
sont  communs  à  ii'  et  au  ms.  17229  ;  ils  font 
défaut  dans  B  et  B'  comme  dans  C,  etc. 

'*'  Nous  pensons  que  c'est  par  suite  d'une 
omission  accidentelle  que  la  vie  de  l'apôtre 
saint  Philippe  n'a  pas  été  transcrite  dans  ce 
manuscrit  :  elle  devait  probablement  se  placer 
entre  les  articles  i4  et  i5. 

53. 


420  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

qui  n'ont  probablement  pas  été  tirés  d'un  légcndier,  mais  qui  cir- 
culaient comme  pièces  isolées  :  la  Vengeance  de  Nôtre-Seigneur,  Bar- 
taam  et  Josaphat  et  la  Chandelle  d'Arras.  La  dernière  de  ces  légendes, 
d'un  caractère  tout  local,  n'a  sans  doute  été  admise  dans  le  nis.  17229 
que  parce  que  le  copiste  était  d'Arras. 

Nous  n'aurons  pas  besoin  d'énumérer  les  pièces  dont  se  compose 
le  légendier  que  renferme  lems.  B.  N.  fr.  6(447  (^')'  ^"i  paraît  avoir 
été  écrit  vers  1275  :  on  en  a  publié  naguère  une  analyse  détaillée '*'. 
Il  comprend  soixante-huit  articles,  soit  six  de  plus  que  D.  Pour  le 
commencement,  jusque  vers  l'article  28  (qui  correspond  à  l'article  25 
de  D) ,  les  deux  recueils  ne  diffèrent  guère  que  par  quelques  trans- 
positions. Mais,  dans  la  suite,  l'ordre  des  légendes  varie  sensible- 
ment, et  chacun  des  deux  recueils  comprend  des  articles  qui  font 
défaut  dans  l'autre.  D'  a  treize  légendes  que  n'a  pas  D  : 

29.  S.  Babylas(Bi  27,  6^29). 

30.  S.  Marius(7îi  ^g^  fi^  3o). 

31.  S.  Félix  (B'  29,  B^ii). 

32.  Les  Trois  jumeaux  (/i^  3n,  B^  Sa) 
43.  S.Quiriaque(BetB'2  4,B-2  8) 

45.  L'Antéchrist  (B'  45,  6' 67). 

46.  S.  Rémi. 

De  plus  les  légendes  de  Marie -Madeleine  (47),  de  Marie  l'Egyp- 
tienne (48),  d'Anastasie  (54)  sont  différentes  de  celles  que  nous 
trouvons  dans  D  (56,  57,  61).  D'autre  part,  huit  des  légendes  de  D 
manquent  dans  Z)'  : 

26.  S.  Nicolas.  42.  S.  Thibaud. 

39.  S.  Jean  Baptiste.  44.  Barlaam  et  Josaphat. 

40.  Vengeance  de  Notre-Seigneur.  58.  S**  Catherine. 

41.  S.  Edmond.  59.  Chandelle  d'Arras. 

Nous  aurons  plus  loin  à  indiquer  certains  rapports  de  D'  avec  un 
légendier  tout  autrement  ordonné,  celui  que  renferme  le  manuscrit 
fr.  28 1 1 2  de  la  Bibliothèque  nationale. 

'''  Notices  et  extraits,  XXXV,  467  et  suiv.  <*'  C'est  la  rédaction,    précédée  d'un  pro 

—  Pour  la  date  du  manuscrit ,  voir  ibid. ,  logue  en  vers ,  que  nous  avons  cru  pouvoir  attri- 
p.  436.  buer  à  Wauchier  de  Denain,  ci-dessus,  p.  288. 


50. 

S"Luce(Bi  19,  G  19). 

57. 

S.  Biaise. 

59. 

S.  Brice(6'32). 

65. 

S.  Nazaire. 

67. 

S.  Pantaléon  (B^  Zi6,  C  28) 

68. 

S"  Marthe  («. 

II.  LEGENDES  EN  PROSE.  421 

Groupe  E.  —  Nous  classons  ici  deux  manuscrits  qui  renferment, 
sans  variante  importante,  un  légendier  fort  difTérent  des  recueils  que 
nous  avons  étudiés  dans  les  pages  précédentes,  tout  en  présentant  des 
rapports  évidents  avec  certains  d'entre  eux.  Ce  sont  les  n""  /i56 
du  Musée  Conde  et  366o  de  la  Bibliothèque  Phillipps,  à  Chel- 
tenham.  Le  premier  est  daté  de  i3i2;  le  second  ne  paraît  pas  anté- 
rieur au  milieu  du  xiv*"  siècle.  Le  manuscrit  du  Musée  Condé  est 
demeuré  inconnu  jusqu'à  ce  jour;  celui  de  Cîheltenliam  a  été  analysé 
en  détail  dans  les  Notices  et  extraits  des  manuscrits,  t.  XXXIV,  i'"  partie, 
p.  183-197.  Ils  contiennent  les  mêmes  pièces  et  les  rangent  dans  le 
même  ordre'''. 

Le  légendier  E  se  compose  de  86  articles  qui  ne  sont  pas  tous  des 
légendes,  puisque  l'un  d'eux  (art.  68'"')  est  une  traduction  partielle 
du  Pastorale  de  saint  Grégoire,  dont  nous  avons  d'autres  copies.  Il 
est  donc  notablement  plus  étendu  que  les  légendiers  examinés  dans 
les  pages  précédentes.  Il  présente  une  division  en  cinq  séries  indiquées 
par  des  rubriques  dans  le  manuscrit  du  Musée  Condé  :  1  "  divers  mor- 
ceaux sur  la  nativité  de  Jésus-Christ,  l'adoration  des  Mages,  etc., 
indiqués  ci-dessus,  p.  4i5  (art.  1  à  5);  2°  vies  des  apôtres  (art.  6 
à  2  3);  3°  vies  des  martyrs  (art.  2 4  à  ^2);  4°  vies  des  confesseurs 
(art.  43  369);  5"  vies  des  vierges  (art.  70  à  86).  Il  a  dû  être  constitué 
avant  i3i2,  date  du  ms.  du  Musée  Condé,  mais  il  ne  peut  être  de 
beaucoup  antérieur,  puisqu'il  contient  (art.  73)  la  rédaction  en  prose 
de  la  vie  versifiée  de  sainte  Geneviève,  composition  qui  appartient, 
selon  toute  probabilité,  à  la  seconde  moitié  du  xiii''  siècle*^'. 

Ce  légendier,  n'étant  pas  au  nombre  des  plus  anciens,  doit  avoir 
été  compilé  d'après  des  recueils  antérieurs  fort  analogues  à  ceux  que 
nous  avons  passés  en  revue.  Il  commence  par  une  sorte  de  sermon 
sur  l'Annonciation  qui  ne  paraît  dans  aucun  de  ceux-ci,  mais  que  nous 
retrouverons  ailleurs'^'.  Viennent  ensuite  (art.  2  a  7)  les  six  morceaux 

'"'  À  part  deux  ou  trois  qui  n'occupentpas  '''  Sur    cette    vie    en    vers    voir   ci-dessus, 

la  même  place.  Ainsi  la  vie  de  sainte  Elisabeth  p.  35o-35 1 . 

est  transcrite  dans  le   ms.  du  Musée  Condé  '*'  Par  exemple  dans  le  ms.  de  Lyon  772, 

entre  la  vie  de  sainte  Geneviève  et  celle  de  d'après  lequel  le  début  a  été  publié  [Bull,  de 

sainte  Agnès,  tandis  que, dans  le  ms.  Phillipps,  la  Soc.  des  anc.  textes,  i885,  p.  45);  dans  le 

elle  est  rejetée  tout  à  la  fin  de  recueil.  ms.  B.  N.  fr.  4i3  (fol.  365)  du  groupe  F  (voir 

'*'  Nous  citons  d'après  la  description  du  ms.  plus  loin);  dans  le  Légendier  liturgique  [No- 

Phillipps  insérée  dans  les  Notices  et  extraits.  tices  et  extraits,  XXXVI,  37). 


422  LKGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

sur  la  Nativité,  l'Apparition,  ou  adoration  des  Mages,  la  Purifica- 
tion, la  Passion,  la  chaire  de  saint  Pierre  et  la  conversion  de  saint 
Paul,  qui  forment  en  quelque  sorte  l'introduction  de  C  et  de  D. 
À  partir  de  l'article  7  (conversion  de  saint  Paul)  jusqu'au  n"  34,  on 
observe  un  accord  constant  avec  le  légendier  de  Sainte -Geneviève 
(5^,  art.  1-28).  Depuis  l'art.  35  l'accord  cesse  :  E  n'a  pas  les  vies  de 
Babylas,  de  Marius  (5"^  29,  3o),  des  Trois  frères  jumeaux  (/i^  32), 
de  Sixte  [F^  35),  de  Chrysant  et  Daire,  de  Théodore,  de  Martinien, 
d'Arnoul,  de  Pantaléon,  de  Victor  [B'^  Ixi-lx"]).  Dans  la  suite,  des 
coïncidences  plus  ou  moins  prolongées  peuvent  être  constatées  entre 
ce  légendier  et  les  manuscrits  des  groupes  C  et  D.  On  les  reconnaîtra 
facilement  en  comparant  l'analyse  de  ces  recueils  avec  celle  du  ms. 
Phillipps  donnée  dans  les  Notices  et  extraits.  Entre  les  traits  qui  carac- 
térisent ce  groupe  il  faut  noter  l'admission  d'une  traduction  partielle 
de  la  Régula  pastoralis  de  saint  Grégoire  (art.  68) ,  qui  n'est  guère  à  sa 
place  dans  un  légendier,  d'une  vie  de  saint  Bernard,  accompagnée 
des  miracles  (art.  69) ,  qui  n'occupe  pas  moins  de  34  ou  35  feuillets 
dans  nos  deux  manuscrits,  et  d'une  vie  de  sainte  Geneviève,  rédigée 
en  prose  d'après  le  poème  de  Renaut  indiqué  ci-dessus,  p.  35o. 

Du  légendier  j5^  il  convient  de  rapprocher  le  ms.  1716  (ancien 
568)  de  la  Bibliothèque  Mazarine,  qui  paraît  avoir  été  écrit  dans  les 
premières  années  du  xiv"  siècle.  Ce  manuscrit,  que  nous  désignerons 
par  Ê'\  est  fort  incomplet  :  il  y  manque,  au  commencement,  plusieurs 
cahiers;  quelques  feuillets  ont  été  arrachés  dans  le  corps  du  livre; 
enfin  les  lettres  ornées  qui  se  trouvaient  au  début  de  chaque  légende 
ont  été  coupées  avec  quelques  lignes  de  texte.  Par  suite  de  ces  muti- 
lations, l'état  primitif  du  recueil  ne  peut  être  reconstitué  avec  une 
entière  certitude.  Cependant,  si  l'on  compare  ce  qui  subsiste  de  ce 
manuscrit  fragmentaire  avec  le  légendier  E,  on  n'aura  aucun  doute 
sur  la  parenté  des  deux  recueils  : 


£' 

E 

£' 

E 

1. 

(Fol.  i)S.  Silvestre 

43 

7. 

(Fol.  37  c)  S.  Rémi... 

5i 

2. 

(Fol.  i/ib)  S.Grégoire. 

àà 

8. 

(Fol.  38  bù  c)  S.  Bren- 

3. 

(Fol.  ao  d)  S.  Patrice. . 

lib 

dan 

54 

II. 

(Fol.  28)  S.  Nicolas  .  .  . 

47 

9. 

(Fol.  5o)  S.  Martin  .  .  . 

55 

5. 

(Fol.  33)  S.Antoine..  . 

5o 

10. 

(Fol.  64  a)  S.  Brice  .  .  . 

56 

6. 

(Fol.  35)   S.   Paul  l'er- 

11. 

(Fol.  65)S.Maur 

<^7 

mite  

60 

12. 

(Fol.  71  b)S.  Alexis.  .  . 

58 

II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


423 


13. 


14. 

15. 
16. 
17. 
18. 
19. 
20. 
21. 

22. 

23. 
24. 
25. 

2rt. 

27. 


£»  E 

(Fol.  75b)  S.  Benoit..  .  89 
(Foi.  88)  Translation  du 

même  saint 61 

(Fol.  91b)  S.  Julien  du 

Mans 62 

(Fol.  94)  S.  Siméon.  .  .  63 

96  d)  S.  Jérôme. .  6/1 

99)  S.  Fursi 65 


101  d)  S.  Martial. 
)  1 6  c)  S.  Éloi .  .  . 
1  1  7  b)  S.  Hilaire. 
118)  Barlaam  et 


66 
46 

^9 


(Fol. 

(Fol. 

(Fol. 

(Fol. 

(Fol. 

(Fol. 

Josaphat''' u 

(Fol.  1 6y  d)  Pastoral  de 
saint  Grégoire 68 

(Fol.  iSyd)  S.Gilles.. 

(Fol.  i9i)S.  Godric... 

(Fol.  2  59)  S"  Marie-Ma- 
deleine  

(Fol.    264  b)  S"- Marie 
l'Egyptienne 

(Fol.  270)  S"  Catherine. 


67 


70 


7;^ 
86 

7^ 
75 


7' 

72 


£1 

28.  (Fol.   277  d)  S"  Gène 

viève 

29.  (Fol.  296)  S'- Elisabeth 

30.  (Fol.  3  n)  S"  Agnès... 

31.  (Fol.  3i6a)S''Foi...  . 

32.  (Foi.3i8)S"Anastasiei'-'). 

33.  (Fol.  327  c)S"Margue- 

rite 76 

34.  (Fol.  332  a)   Les  Onze 

mille  vierges 77 

35.  (Fol.  335  d)  S"  Chris- 

tine  

36.  (Fol.  343  d)  S"Cécile(»). 

37.  (Fol.  349  a)  S''  Marine. 

38.  (Fol.  35 1  d)  S" Marthe. 

39.  (Fol.  356  c) S"  Agathe. 

40.  (Fol.  SSgcjS-Luce.. 

41.  (Fol.  36 id) S"  Julienne. 

42.  (Fol.  365  b)  S'^Félice. 

43.  (Fol.    367  a)   S^Pétro- 

nille 

44.  (Fol.367c)S"Felicula(''). 


78 
// 

79 
80 

81 

82 

83 

84 

85 


Les  différences,  comme  on  le  voit,  sont  assez  faibles  :  l'ordre  n'est 
pas  exactement  le  même;  certaines  légendes  d'jl?  manquent  dans  E^ 
(art.  ;48,  62,  53,  69).  En  revanche,  E'  renferme  deux  légendes  fort 
longues,  celles  de  Barlaam  et  Josaphat  (art.  21)  et  de  saint  Godric 
(art.  24) ,  qu'^"  ne  possède  pas.  La  vie  de  saint  Godric  est  une  addition 
particulièrement  importante  :  c'est  la  traduction,  qui  jusqu'ici  n'a 
pas  été  rencontrée  en  dehors  du  manuscrit  de  la  Bibliothèque  Maza- 
rine,  de  la  vie  de  saint  Godric  par  Reginald,  moine  de  Durham'^'. 
Cette  traduction  a  été  faite  en  Angleterre  au  xiii"  siècle.  L'auteur  y  a 
intercalé  des  observations  morales  qu'il  a  jugé  à  propos  de  rédiger 
en  vers  de  huit  syllabes,  comme  avait  fait  avant  lui  Wauchier  de 
Denain, 


'"'  C'est  la  version  qui  se  trouve  dans  D, 
art.  44  (p.  4 18),  et  ailleurs. 

'*'  Voir  ci-dessus,  p.  407,  note  a.  Cf.  No- 
tices et  extraits,  XXXVI,  468. 


>''  Dans  D,  art.  55. 
'')  Dans  D,  art.  54- 

'*'  Publiée    par   Jos.   Stevenson,  Durham, 
1847,  in-8°  (Surtees  Society). 


424  I>EGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Groupe  F.  —  Les  manuscrits  B.  N.  fr.  ,4 1 3  et  2 3 1 1 7  '''  forment  une 
famille  bien  caractérisée  qui  se  rattache  d'assez  près  au  groupe  E, 
plus  particulièrement  à  EK  Ils  ne  sont  pas  identiques  :  certains 
articles  se  trouvent  dans  l'un  qui  manquent  dans  l'autre,  et  l'ordre 
n'est  pas  tout  à  fait  le  même  de  part  et  d'autre'^',  mais  en  somme  les 
différences  sont  peu  importantes**'. 

Le  ms.  23 117  se  compose  de  106  articles;  le  ms.  4i3  renferme 
quelques  unités  de  plus'*'.  Ce  légendier  n'est  pas  assez  important  pour 
que  nous  jugions  nécessaire  d'en  dresser  la  table.  Nous  nous  borne- 
rons à  dire  qu'il  présente  les  plus  grands  rapports  avec  D,  D'  et  E. 
Comme  ce  dernier,  il  est  divisé  en  cinq  séries  :  1°  les  morceaux  pré- 
liminaires sur  la  vie  du  Christ,  la  conversion  de  saint  Paul  et  la 
chaire  de  saint  Pierre;  2°  les  apôtres;  3°  les  martyrs;  4°  les  confes- 
seurs; 5°  les  vierges.  Nous  mentionnerons  toutefois,  d'après  le  ms. 
2 3 1 1 7,  les  articles  que  nous  n'avons  rencontrés  ni  dans  D  ni  dans  E, 
et  qui,  naturellement,  se  retrouvent  dans  le  manuscrit  4i3  : 

5-8.  (Fol.  1  5  )  «  La  longue  évangile  ». — Récit  de  la  passion  d'après  les  quatre  évan- 
giles :  saint  Mathieu,  chap.  xxvi  et  suiv.  ""  ;  saint  Luc,  chap.  xxii  et  suiv.  ;  saint  Marc, 
chap.  XIV  et  suiv.;  saint  Jean,  chap.  xviii  et  suiv. 

17.  (P^ol.  63  c)  Saint  Jean  l'évangéliste.  —  Domiciens  fu  empereres  de  Rome 
après  Noiron ,  et  conmanda  que  touz  les  crestïens  que  l'an  troveroit  oceïst  l'an . .  . 
—  Même  version  B.  N.  fr.  987  (f.  60  v°);  Oxford,  Queen's  Coll.  3o5  (fol.  17  b). 

22.  (Fol.  1  07  d)  Saint  Thomas  l'apôtre.  —  Nostre  sires  Jhesucriz  s'aparut  a  saint 


'''  Le  ms.  23117  est  de  deux  écritures 
d'époques  différentes  :  les  287  premiers  feuillets 
sont  de  la  fin  du  xin*  siècle,  la  suite  est  du 
conunencement  du  xiv"  siècle  ;  le  ms.  4 1 3  est 
de  la  fin  du  xiv'  siècle. 

'''  On  pourra  s'en  rendre  compte  en  com- 
parant les  notices  données  dans  le  catalogue 
imprimé  des  manuscrits  français  de  la  Biblio- 
thèque nationale,  où  ces  deux  légendiers  sont 
analysés  avec  une  exactitude  suffisante. 

'*'  Voici  les  principales.  Le  ins.  /n3  contient 
divers  morceaux  tirés  de  la  Légende  dorée  de 
Jacques  de  Varazze ,  qui  manquent  dans  23 1  1 7  : 
fol.  2o4,  la  vie  de  saint  Augustin  (éd.  Grasse, 
eh.  ia4);  fol.  333-56o,  une  série  de  chapitres 
relatifs  aux  fêtes  de  l'Eglise,  la  Toussaint 
(ch.  162),  la  Commémoration  des  morts 
(ch.  i63),  les  Litanies  (ch.  70),  la  Septuagé- 
&ime ,  etc.  (  chap.  3 1  et  suiv.  ) ,  les  Quatre  Temps 


(chap.  35),  l'Ascension  (ch.  72),  la  Circonci- 
sion (ch.  1 3),  l'Epiphanie  (ch.  i4);  fol. 363, la 
viedes  saints  Gervais  et  Protais  (ch .  85)  ;  fol.  366, 
la  Purification  ;  fol.  kll'],  la  Dédicace  de  l'Eglise 
(ch.  182).  Le  ms.  23i  17  contient  deux  copies 
des  vies  de  saint  Jean  Baptiste  (ff.  36  et  129), 
de  saint  Sébastien  (ff.  166  et  237)  et  du  traité 
de  l'Antéchrist  (ff.  126  et  398),  ce  qui  indique 
que  le  compilateur  a  eu  sous  les  yeux  deux 
recueils  différents.  Dans  le  même  manuscrit, 
la  vie  de  saint  Quentin  (fol.  228)  est  en  vers 
(cf.  ci-dessus,  p.  374),  tandis  que  dans  4i3 
(fol.  176)  elle  est  en  prose ,  et  traduite  de  la  Lé- 
gende dorée  [ch.  160). 

'*'  Voir  la  note  précédente. 

'*'  Il  y  a  ici,  dans  les  deux  manuscrits,  une 
faute  commune  :  les  chapitres  traduits  de  l'évan- 
gile de  saint  Mathieu  sont  placés  sou*  le  nom 
de  saint  Marc. 


IL  LEGENDES  EN  PROSE.  425 

Thomas  l'apostre  an  cel  tens  qu'il  estoit  an  Cesaire ...  —  Même  version  B.  N.  fr. 
686  (fol.  528c),  281  12  (fol.  21);  Cambridge,  S.  John's  CoU.  B  9  (fol.  90c). 

23.  (Fol.  11 5)  Saint  Philippe.  —  Après  l'ascenssion  de  Nostre  Seigneur 
preescha  seinz  Phelipes  en  Siche,  cpii  est  an  une  partie  de  Grèce,  le  nom  Jhesu  Crist 
.XX.  anz.  .  .  — Même  version  B.  N.  fr.  686  (fol.  524  b);  Oxford,  Queen's  Coll. 
3o5  (fol.  37). 

26.  (Fol.  laS  b)  Saint  Pierre  es  liens.  —  Ci  orroiz  dire  et  raconter  por  quele 
ochoison  fu  célébrée  la  fesfe  saint  Père  que  l'an  dit  a  vincula ...  —  Même  version 
B.  N.  fr.  987  (foL  121). 

27.  (Fol.  128  d)  Saint  Marc.  —  En  cel  tens  que  seinz  Pères  li  apostres  ot 
preeschié  en  Antbioche  et  il  ot  grant  partie  de  la  gent  convertie  a  Deu.  .  .  — 
Même  version  B.  N.  fr.  686  (fol.  525  c);  281  12  (fol.  78);  Cambridge,  S.  John's 
ColLB.9(foL  168);  Oxford,  Queen's  Coll.  8o5  (fol.  46  d). 

54.  (Fol.  264)  Saint  Biaise.  —  Comme  S.  Biaise  fust  de  bonne  vie  et  de  hon- 
neste,  il  fu  fais  evesque  dune  cité  qui  a  non  Sebaste.  .  .  —  Même  version  B.  N. 
fr.  987  (fol.  128);  Oxford,  Queen's  Coll.  3o5  (fol.  90  b);  Légendier  classé  selon 
l'ordre  de  l'année  liturgique ,  art.  8 1  '". 

79.  (Fol.  858)  Saint  Firmin,  évêque  d'Amiens.  —  Après  la  passion  et  résurrec- 
tion Jhesucrist ,  ou  temps  de  preste  '^'  que  la  foy  chrestienne  commença  a  croistre  par 
diverses  partiez  du  monde,  estoit  en  la  cité  de  Pampelune  uns  bons  honourables 
entre  les  sénateurs  qui  ot  non  Fermes .  .  . 

80.  (Fol.  859  c)  Saint  Bernard.  —  Saint  Bernart  fu  nés  de  Bourgoigne,  en 
.j.  chastel  qui  a  non  Fontaines,  qui  estoit  a  son  père,  et  estoit  extrait  de  hautes 
gens  selonc  le  siècle ... 

84.  (Fol.  402)  La  Conception  Notre-Dame.  —  Li  rois  Heraus  d'Angleterre  mut 
jadis  granz  guerres  en  Normandie  contre  le  duc  Guillaume  et  contre  l'autre  peuple. . . 

Des  articles  qu'on  vient  de  citer  le  plus  intéressant  est  assurément 
le  dernier,  qui  n'est  pas  traduit  du  latin,  mais  qui  est  la  mise  en  prose 
du  poème  cie  la  Conception,  par  Wace'^*. 

Groupe  G.  —  Quatre  manuscrits  d'étendue  fort  différente,  mais 
remontant  très  certainement  à  un  type  commun,  constituent  ce 
groupe  :  Bibliothèque  royale  de  Belgique  92 2 5  ;  B.  N.  fr.  1 8 3  et  1 85 ; 
Musée  britannique,  Addit.  17275.  Ce  sont  de  grands  livres,  écrits 
sur  trois  colonnes,  exécutés  avec  un  certain  luxe  vers  le  milieu  ou 
dans  la  seconde  moitié  du  xiv"  siècle.  L'original  commun  de  ces 
quatre  recueils  est  représenté  le  plus  purement  par  le  manuscrit  de 


'"'  Notices  et  extraits,  XXXVI,  24.  —  '*'  Temporibus  priscis  (AA.  SS. .  Sept.  VII ,  5i  ).  Le  tra- 
ducteur n'a  pas  compris  priscis.  —  '''  Sur  lequel  voir  ci-dessus,  p.  363-364. 

HI8T.  LtTTÉR. XXXIII.  54 


426  lé(;endes  hagio(;raphiques  en  français. 

Bruxelles,  qui  renferme  71  légendes.  Viennent  ensuite  le  ms.  B.  N. 
i83  avec  77  légendes,  le  ms.  i85  avec  187,  le  ms.  de  Londres 
avec  i54'". 

La  cause  principale  de  ces  différences  est  que  le  recueil  de  Bruxelles 
ne  contient  que  des  légendes  originales,  tandis  que  dans  ce  premier 
fond  les  trois  autres  recueils  ont  intercalé  un  nombre  variable  d'ar- 
ticles empruntés  à  une  traduction  de  la  Légende  dorée'^'.  Dans  le  ms. 
de  Londres,  62  articles  ont  cette  origine;  60  dans  le  ms.  B.  N.  fr. 
1 85  (et  ce  ne  sont  pas  tous  les  mêmes  que  dans  le  recueil  de  Londres). 
Le  ms.  fr.  i83  n'a  pris  à  la  Légende  dorée  que  son  prologue  et  son 
premier  chapitre  (VAvent).  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  présen- 
tement des  morceaux  empruntés  à  Jacques  de  Varazze.  Les  traduc- 
tions de  la  Légende  dorée  devront  faire  l'objet  d'une  notice  à  part. 
Disons  cependant  que  la  version  dans  laquelle  ont  puisé  les  écrivains 
de  nos  trois  recueils  est  connue  :  on  en  possède  au  moins  deux 
copies,  l'une  du  commencement  du  xiv*  siècle,  appartenant  au  sémi- 
naire du  Puy-en-Velai;  l'autre,  moins  ancienne,  conservée  à  la  Biblio- 
thèque nationale  sous  le  n°  2  0o3o  du  fonris  français.  Dans  les  deux 
manuscrits  de  Paris  et  dans  celui  de  Londres,  des  rubriques,  placées 
soit  au  commencement  soit  à  la  fin,  semblent  attribuer  la  totalité 
dés  recueils  à  un  certain  Jean  Belet  (ou  Beleth)  qui  nous  est  d'ailleurs 
inconnu'^'.  Certains  modernes,  pour  ne  s'être  pas  rendu  compte  de  la 
composition  de  ces  recueils,  ont  cru  qu'ils  étaient  en  totalité  l'œuvre 
de  ce  Jean  Belet.  Mais  cette  attribution  ne  serait  admissible  que 
pour  les  parties  empruntées  à  la  Légende  dorée,  et,  même  en  ce  cas, 
elle  reste  douteuse'"'. 


'"'  La  manière  de  compter  les  légendes  peut 
varier,  selon  que  l'on  réunit  en  un  seul  article 
la  vie ,  les  translations  et  les  miracles,  ou  qu'on 
donne  à  ces  morceaux  des  numéros  distincts, 
ce  qu'il  est  parfois  nécessaire  de  faire  quand, 
par  exemple ,  la  vie  et  les  miracles  sont  séparés 
par  d'autres  récits.  —  Il  faut  noter  ici  que 
dans  les  deux  manuscrits  de  Paris ,  et  surtout 
dans  le  manuscrit  de  Londres,  certaines  léjjendes 
ont  été  copiées  deux  fois,  ce  qui  permet  de 
supposer  que  les  compilateurs  de  ces  manu- 
scrits ont  puisé  à  plus  d'une  source. 

'*'  Nous  avons  rencontré  plus  haut  (p.  4oo) 
des  légendiers  où  de  nombreux  articles  étaient 


tirés  de  la  Légende  dorée ,  mais ,  dans  ces  re- 
cueils, les  morceaux  ayant  cette  origine  for- 
maient un  groupe  assez  nettement  séparé  du 
reste  ;  dans  le  ms.  de  Londres ,  au  contraire , 
et  dans  le  ms.  1 85  de  notre  Bibliothèque  na- 
tionale, légendes  originales  et  légendes  abré- 
gées empruntées  à  .Jacques  de  Varazze  sont 
entremêlées  sans  ordre  apparent. 

<"'  On  ne  saurait,  bien  entendu,  l'identifier 
avec  le  théologien  Jean  Belet,  qui  vivait  au 
XII*  siècle  {Hisl.  litt.  de  la  Fr.,  XIV,  ai8-aaa). 

'*'  En  effet,  les  deux  manuscrits  de  la  ver- 
sion à  laquelle  ces  emprunts  ont  été  faits  sont 
anonymes,  et,  d'autre  part,  la  mention   de 


II.  LEGENDES  EN  PROSE.  427 

Quant  aux  légendes  qui  ne  sont  pas  tirées  de  la  compilation  de 
Jacques  de  Varazze,  leur  nombre  varie  selon  les  manuscrits.  Nous 
avons  dit  qu'il  y  en  avait  7  1  dans  le  recueil  type,  celui  de  Bruxelles. 
Il  V  en  a  quelques-unes  de  plus  dans  les  trois  autres  manuscrits, 
qui,  par  contre,  omettent,  peut-être  accidentellement,  telle  ou  telle  de 
celles  dont  se  compose  le  manuscrit  de  Bruxelles.  Il  n'est  pas  utile 
de  dresser  la  liste  de  toutes  ces  légendes,  les  quatre  manuscrits  du 
groupe  G  ayant  été  analysés  ailleurs  en  détail^'';  mais  nous  essaierons 
de  distinguer  les  éléments  qui  sont  entrés  dans  sa  composition,  en 

f)renant  pour  base  le  manuscrit  de  Bruxelles,  et  nous  signalerons  les 
égendes  qui  sont  propres  à  ce  groupe,  ou,  du  moins,  que  nous 
n'avons  pas  rencontrées  ailleurs. 

On  peut  reconnaître  dans  ce  légendier  cinq  séries  assez  distinctes  : 
1°  les  cinq  récits  sur  la  Nativité,  l'Apparition,  la  Purification,  la 
Passion,  la  conversion  de  saint  Paul,  que  nous  avons  déjà  rencon- 
trés en  tête  de  plusieurs  recueils'^^  ;  2°  une  série,  à  peu  près  complète, 
des  récits  concernant  saint  Pierre,  saint  Paul  et  les  apôtres,  qui  est 
le  fond  le  plus  constant  de  nos  légendiers;  3"  une  suite  non  classée  de 
quatorze  légendes  entre  lesquelles  ligure,  brisée  par  diverses  inter- 
calations,  une  série  des  vierges  assez  analogue  à  celle  que  nous  avons 
rencontrée  dans  le  groupe  E^^^\  l\°  sept  vies  traduites  par  Wauchier 
de  Denain:  saint  Jérôme,  saint  Benoit,  saint  Martin,  saint  Brice, 
saint  Paulin  de  Noie,  saint  Malchus,  saint  Paul  le  Simple'*';  5°  une 
suite  non  classée  de  dix-huit  légendes  entre  lesquelles  il  ne  s'en 
trouve  qu'une,  celle  de  saint  Léonard,  qui  mérite  une  mention 
spéciale. 

C'est  dans  la  troisième  série,  et  aussi  dans  la  cinquième,  qu'ont 
pris  place  certaines  légendes  dont  nous  ne  connaissons  aucune  copie 
en  dehors  du  groupe  G.  Ce  sont  les  vies  de  saint  Mathias  (Bruxelles, 
art.  2i),  de  saint   Maurice   (Bruxelles,  art.   25),   de  saint   Oswald 

Jean   Belet  comme   traducteur   pourrait  s'ex-  '''  Ci-dessus,  p.  4i5,  4i6,^2a. 

pliquer  parle  fait  que  ce  théologien  est  souvent  '''   Ci-dessus,  p.  423. 

cité  par  Jacques  de  Varazze.  '*'  Voir  ci-dessus,  p.  266,  pour  les  vies  de 

'''  Pour  le  ms.  de  Bruxelles,  voir  Romania,  Malchus  et  de  Paul  le  Simple;  p.  278  et  suiv., 

XXXIV,  24-43;  pour  les  trois  autres  recueils,  pour  les  autres.  C'est  par  erreur  que,  p.  279, 

yoirla  Notice  de  trois  légendiers  français  attribués  le  ms.  de  Bruxelles  a  été  classé   avec   les  re- 

à  Jean  Belet ,  Yinbilée  dansles  Notices  et  extraits ,  cueils  qui  ne  renferment  qu'une  seule  des  vies 

XXXVI,  409-486.  traduites  par  Wauchier,  celle  de  saint  Jérôme. 

54. 


428  LÉGENDRS  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

(Bruxelles,  art.  28),  de  saint  Léonard  (Bruxelles,  art.  57).  Cette 
dernière  est  particulièrement  intéressante.  D'abord  le  traducteur  à 
qui  nous  la  devons  s'est  fait  connaître.  C'est  un  certain  «Rogier  de 
Longastre  »,  selon  les  deux  manuscrits  de  Paris,  «  Rogier  de  Longatix  », 
selon  le  manuscrit  de  Bruxelles.  Ce  nom  et  ce  surnom  nous  sont 
d'ailleurs  inconnus,  et  nous  craignons  que  les  deux  formes  du  sur- 
nom soient  corrompues.  Quoi  qu'il  en  soit  du  traducteur,  l'œuvre 
offre  un  caractère  très  particulier.  Ce  n'est  pas  une  simple  traduction 
de  la  légende  latine,  c'en  est  plutôt  une  imitation  très  libre,  conçue 
en  vue  de  la  récitation  publique,  et  d'une  allure  très  vive'^l 

Bien  qu'aucun  des  quatre  manuscrits  du  groupe  G  ne  soit  anté- 
rieur au  milieu  du  xiv"  siècle ,  il  est  certain  que  le  légendier  qui  forme 
la  base  de  ce  groupe,  et  qui  est  représenté  le  plus  exactement  par  le 
manuscrit  de  Bruxelles,  était  constitué  dès  le  xiii"  siècle,  car  nous 
retrouverons  les  mêmes  éléments,  disposés  selon  le  même  ordre,  dans 
un  recueil  artésien  dont  nous  traiterons  tout  à  l'heure. 

Parmi  les  légendes  ajoutées  par  le  manuscrit  de  Londres  au  fond 
primitif,  il  en  est  trois  que  nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  men- 
tionner ici,  car  nous  ne  les  retrouverons  pas  ailleurs.  Ce  sont  les  vies 
de  saint  Teliau  (art.  90) ,  de  saint  David  (art.  91)  et  de  saint  Mathurin 
de  Larchant  (art.  128).  La  vie  de  saint  Mathurin  est  en  vers  :  nous 
l'avons  enregistrée  en  son  lieu'"''.  Les  vies  de  saint  Teliau,  évêque 
de  Llandaff  (Galles),  et  de  saint  David,  archevêque  de  l'antique  Me- 
nevia  (Saint  David's) ,  sont  en  prose,  et  par  conséquent  appartiennent 
au  sujet  de  cette  notice.  Nous  ne  saurions  dire  pour  quel  motif  on 
a  jugé  à  propos  de  mettre  en  français  l'histoire  de  ces  deux  saints 
gallois,  qui  n'ont  eu  aucune  popularité  en  France  *^^  Mais  il  est  in- 
téressant de  noter  que  le  traducteur  de  la  vie  de  saint  Teliau  s'est 
nommé  et  a  daté  son  œuvre.  On  lit  en  elfet  ces  mots  à  la  fin  de 
la  version  :  «  Ci  fenist  la  vie  de  saint  Thelian  [sic] ,  translatée  de  latin 
«  en  françois,  que  mestre  Guillaume  des  Nés  translata  l'an  mil  .iij^  et 

'"'  Voir  les  extraits  publiés  dans  les  Notices  sait  si  ce  culte  est  un  souvenir  du  séjour  de 

et  extraits,  XXXVI,  45a.  sept  ans  et  sept  mois  que  ce  saint  aurait  fait 

'*'  Ci-dessus,  p.  369.  auprès  de  saint  Sanson,  évéque  de  Dol  (Lobi- 

'''  Saint  Teliau,  toutefois,  a  été  honoré  en  ncau.  Histoire  des  saints  de  lirettiijiie ,  Rennes, 

Bretagne  (le  9  février)  et  a  donné  son  nom  à  lyaii,  p.  39),  ou  s'il  est  dix  à  (|ueique  apport 

une  commune  du  département  des  Côtes-du-  de   reliques  dont  on    n'a ,  du  reste ,  conservé 

Nord,  maintenant  appelée  Saint-Thélo.  On  ne  aucune  trace. 


11.  LÉGENDES  EN  PROSE.  429 

«  .XXV.,  le  jour  de  saint  Michel  Arcange  ''l  »  Nous  ignorons  si  la 
traduction  de  la  vie  de  saint  David  est  du  même  auteur.  Il  n'est  pas 
interdit,  toutefois,  de  le  conjecturer  :  les  deux  vies  se  suivent  dans 
l'unique  copie  que  nous  en  possédons,  et  la  traduction  en  est  égale- 
ment médiocre;  le  style  en  est  lourd,  et  les  erreurs  y  sont  nom- 
breuses, surtout  dans  la  traduction  des  noms  de  lieux. 

Il  nous  reste  à  examiner  un  certain  nombre  de  légendicrs  isolés 
que  nous  n'avons  pu  faire  entrer  dans  aucun  des  groupes  étudiés  ci- 
dessus.  Assurément  le  fond  ne  varie  guère  :  il  est  des  légendes  qu'on 
voit  reparaître  dans  tous  les  recueils;  mais  il  ne  suffit  pas  que  deux 
légendiers  contiennent  en  partie  les  mêmes  morceaux  pour  être 
groupés  ensemble;  il  faut  encore  que  l'ordre  de  ces  morceaux  soit 
identique  et  que  les  leçons  soient  semblables.  Plusieurs  des  recueils 
que  nous  allons  passer  en  revue  sont  des  compilations  formées  plus 
ou  moins  arbitrairement  à  l'aide  de  légendiers  plus  anciens.  Nous 
noterons  à  l'occasion  les  affinités  partielles  qu'ils  présentent  avec  les 
groupes  étudiés  dans  les  pages  qui  précèdent. 

Arras,  807'^'.  —  Ce  manuscrit  peut  passer  pour  l'un  de  nos  plus 
anciens  légendiers.  Il  a  été  écrit  dans  le  nord  de  la  France,  vraisem- 
blablement à  Arras,  peu  après  le  milieu  du  xiii""  siècle.  Il  a  malheu- 
reusement souffert  de  nombreuses  mutilations.  La  comparaison  d'une 
pagination  remontant  à  la  fin  du  xiv"  siècle  avec  l'état  présent  accuse 
un  déficit  de  1 13  feuillets,  et,  lorsque  le  volume  a  été  paginé  pour 
la  première  fois,  il  y  manquait  déjà,  au  commencement,  à  tout  le 
moins  un  cahier. 

Voici,  telle  qu'il  a  été  possible  de  l'établir,  la  liste  des  légendes  en 
prose  que  renferme  ce  manuscrit,  avec  renvois  au  groupe  C  (ci-des- 
sus, p.   412)  et  au  principal  manuscrit  du    groupe   G,   celui    de 

'■'  Notices  et  extraits,  XXXYl, /lib-àA"]- —  du   Catalogue  général  des  manuscrits  fiançais 

On  a  proposé,  à  cet  endroit ,  d'identifier  «  mestre  (in-4°).  —  Une  notice  détaillée  de  ce  légen- 

«  Guillaume  des  Nés  »,  avec  un  «  maistre  GelTroi  dier  a   été   publiée  dans  la  Romania.   XVII, 

«des  Nés»  qui,  en  iSsô,  traduisait  la  vie  de  346-4oo.  On  y  trouvera  le  texte,  en  entier  ou 

saint  Guillaume  d'Aquitaine ,  et  avait ,  en  1 3 1 9  ,  par  extraits ,  de  diverses  légendes  versifiées  qui 

mis  en  vers  la  vie  de  saint  Magloire  (voir  ci-  ont  été  mentionnées  ci-dessus,  p.   346,   ibi, 

dessus,  p.  36 1).  359,  aux  articles  Dominique,  Jean  l'évangéliste , 

'"'  N°  85 1  du  catalogue  publié  dans  le  t.  IV  Job. 


430  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Bruxelles,  avec  lequel,  comme  on  le  verra,  le  recueil  d'Arras  pré- 
sente d'évidents  rapports  : 


1 .  Dispute  de  saint-Pierre  etde  saint 
Paul  contre  Simon  le  Magicien  (Ci, 
G  6). 

I  bis'''K  Passion  de  saint  Pierre  (C2  , 
G  7). 

2.  Passion  de  saint  Paul  (C'3,  G8). 

3.  Saints  Procès  etMartinien  (G  9). 
Il .  Miracles  de  saint  André  (G  /i a , 

G  10)  (2). 

5.  Saint  Barthélemi  (C  i  1,  G  1  1). 

6.  Saint  Jacques  le  Majeur,  avec  la 
translation  et  les  miracles  (  C6,  G  1  2). 

7.  Saint  Philippe  (Cg,  G  i4). 

8.  Saint  Mathieu  (C  7,  G  1 5). 

9.  SaintsSimon  et  Jude(C8,  G  I  6). 
10.  Saint  Jérôme  (G  36,  G  47). 


11.  Saint  Benoit  (C  37,  G  àS). 

12.  Saint  Brice  (C  32  ,  G  5o]. 

13.  Saint  Paulin  (G  5i). 

1 4.  Saint  Malchus  (  G  5  2  ). 

15.  Saint  Paul  le  Simple  (G  53). 

16.  Saint  Antoine'*). 

17.  Saint  Pantaléon  (C  28,  G  63). 

18.  Saint  Hiiarion '*'. 

19.  Saint  Nicolas  (G  35,G/|6). 

20.  Saint  Patrice  ( G /i  3). 

21.  L'Antéchrist  (G  57). 

22.  Saint  Fursi. 

23.  Saint  Martin  (G3o,  G  /jg). 

24.  Saint  Martial  (C  34,  G  /iS). 

25.  Saint  Vast. 


L'ordre,  on  le  voit  par  la  concordance,  est  à  peu  près  le  même 
que  dans  G.  Les  difiérences  sont  minimes  et  probablement  acciden- 
telles. Si  les  cinq  premiers  articles  de  G  manquent  dans  Arras,  c'est 
que  le  premier  cahier  de  ce  manuscrit  est  perdu.  Et  c'est  probablement 
par  une  inadvertance  du  copiste  que  la  vie  de  saint  Martin  se  trouve 
rejetée  à  la  fin  du  volume  (art.  28),  quand  sa  place  naturelle  était 
avant  la  vie  de  saint  Brice,  comme  partout  ailleurs.  Une  autre  diffé- 
rence entre  le  manuscrit  d'Arras  et  G,  l'omission  dans  Arras  de  la  vie 
de  saint  Jean  l'évangéliste  (art.  i3  de  G),  s'explique  de  la  façon  la 
plus  simple  :  le  copiste  d'Arras  a  supprimé  cette  vie  en  prose  parce 
qu'il  devait  transcrire  plus  loin  (art.  26)  une  vie  rédigée  en  vers  du 


•''  Dans  la  noticedelajRomania  (p.  371),  on 
a  rëuni  à  tort  cet  article  au  précédent.  Nous 
le  désignons  par  i  bis  pour  ne  pas  changer  la 
série  des  numéros. 

'')  La  version  des  miracles  ne  commence 

fias  tout  à  fait  de  même  dans  toutes  les  copies, 
ci  le  début  est  :  «Des  glorieuses  miracles 
•  S.  Andrieu  sacent  tuit  créant  en  nostre  signour 
«  Jhesu  Crist  que  .j.  enfes  qui  Egiptius  avoit 
«  non ,  que  moût  forment  ses  pères  amoit ...  ». 
Telle  est  la  leçon  de  deux  mss.  du  groupe  G 


(Bruxelles  et  Musée  brit.  17376)  et  de  plu- 
sieurs des  légendiers  dont  il  sera  traité  plus 
loi  n .  Les  groupes  B  CD{  ci^lessus ,  p.  à.oà ,  etc.  ) 
offrent  pour  ce  début  une  variante. 

*''  C'est  la  traduction  de  Wauchier  de  De- 
nain,  dont  nous  avons  rapporté  le  début  ci- 
dessus,  p.  363,  et  qui  se  retrouve  aussi  dans 
le  légendier  de  Saint-Pétersboiu-g,  Notices  et 
extrait».  XXXVI,  688. 

'*'  Traduction  de  Wauchier,  ci-dessus, 
p.  265. 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE. 


431 


même  saint.  Notons  enfin,  à  titre  de  coïncidence  intéressante,  la  pré- 
sence dans  les  deux  recueils,  et  à  la  même  place,  de  la  vie  de  saint 
Procès  et  de  saint  Martinien  (Arras  3,  G  9).  Tout  bien  considéré, 
les  différences  certaines  entre  G  et  Arras  se  réduisent  aux  sui- 
vantes :  le  manuscrit  d'Arras  a  la  série  presque  complète^''  des  vies 
traduites  par  Wauchier  de  Denain  (saint  Jérôme,  saint  Benoit,  saint 
Martin,  saint  Brice,  saint  Paulin,  saint  Malchus,  saint  Paul  le  Simple, 
saint  Antoine,  saint  Hilarion);  dans  G  les  vies  de  saint  Antoine  et  de 
saint  Hilarion  font  défaut.  Arras  a  encore  trois  légendes  qui  manquent 
à  G  :  celles  de  l'Antéchrist,  de  saint  Fursi  et  de  saint  Vast,  mais 
cette  dernière  a  un  caractère  tout  local  et  ne  se  trouvait  sûrement 
pas  dans  le  légendier  primitif '^^.  En  revanche,  G  contient  plus  de 
quarante  légendes  que  le  manuscrit  d'Arras  n'a  pas  et  n'a  jamais  eues. 
Mais  ces  différences  n'empêchent  pas  que  les  deux  recueils  aient  une 
base  commune. 

Alençon,  27'^'.  —  Ce  manuscrit,  dont  l'écriture  appartient  à  la  pre- 
mière moitié  du  xiv*  siècle,  renferme,  à  la  suite  de  la  Somme  le  Roi 
de  frère  Laurent,  un  court  légendier  qui  peut  prendre  place  auprès 
du  manuscrit  d'Arras,  parce  qu'il  présente  les  légendes  des  apôtres 
à  peu  près  dans  le  même  ordre  et  offre,  en  général,  les  mêmes  le- 
çons. Mais  la  ressemblance  ne  va  pas  plus  loin,  et  notamment  nous 
ne  trouvons  ici  aucune  des  légendes  traduites  par  Wauchier  de 
Denain,  ni  la  vie  des  saints  Procès  et  Martinien.  Voici  la  table  des 
2 1  légendes  dont  il  se  compose  : 


1.  Conversion  de  saint  Paul.  8. 

2.  Chaire  de  saint  Pierre.  ras  6). 

3 .  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  9 . 
Paul  contre  Simon  le  Magicien  (  Arras  1  ).  10. 

4.  Passion   de   saint  Pierre  (Arras  11. 
ibis).  12. 

5.  Passion  de  saint  Paul  (Arras  2).  ras  9J. 

6 .  Miracles  de  saint  A  ndré  (Arras  It).  13. 

7.  Saint  Barthélemi  (Arras  5).  14. 


Saint   Jacques    le    Majeur   (Ar- 


Saint  Jean  l'évangéliste. 
Saint  Philippe  (Arras  ■7). 
Saint  Mathieu  (Arras  8). 
Saint  Simon  et  saint  Jude 

Saint  Marc. 
Saint  Etienne. 


(Ar- 


'"'  n  n'y  manque  que  la  vie  de  saint  Paul 
l'ermite,  ci-dessus,  p.  260. 
'''  Voir  ci-dessus,  p.  3g a. 


'''  Décrit  en  détail  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  des  anciens  textes  français,  1892,  p.  68 


et  suiv. 


432  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

15.  Saint  Clément.  19.  Saint  Ignace. 

16.  Saint  Chrysant  et  sainte  Daire.  20.  Saint  Valcntin. 

17.  Saint  Sébastien.  21.  .Saint  Julien  de  Brioude. 

18.  Saint  Vincent. 

Les  articles  1 3  à  1 6  et  2  i  sont  compris  dans  plusieurs  des  groupes 
que  nous  avons  passés  en  revue.  Quant  aux  vies  de  saint  Sébastien 
(17)  et  de  saint  Vincent  (18),  ce  ne  sont  pas  celles  que  nous 
avons  déjà  rencontrées  dans  le  groupe  B  et  ailleurs;  ce  sont  des 
versions  qui  reparaîtront  dans  le  manuscrit  B.  N.  fr.  aSi  12 ,  dont 
nous  allons  parler,  et  où  nous  retrouverons  aussi  l'article  19  du 
manuscrit  d'Alençon.  Remarquons  enfin  que  les  huit  derniers  articles 
se  suivent  selon  le  même  ordre  dans  le  légendier  de  Queen's  Collège, 
Oxford  (art.  28  à  3o). 

B.  N.fr.  23112.  —  Manuscrit  de  la  seconde  moitié  du  xiii'' siècle''', 
copié  dans  le  nord  de  la  France,  comme  on  le  voit  par  les  formes  de 
langage.  Il  renferme  55  légendes  en  prose '^',  qui  sont  comme  placées 
au  hasard,  sans  classement  aucun.  Ce  désordre  donne  à  supposer 
que  le  compilateur  a  emprunté  les  éléments  de  son  recueil  à  des 
légendiers  dilïerents,  hypothèse  que  l'examen  des  légendes  transcrites 
tend  à  confirmer.  Quelques  articles  appartiennent  à  ce  qu'on  peut 
appeler  le  fond  commun  des  légendiers  (1,  45  à  55);  mais  c'est 
le  moindre  nombre.  Ailleurs  on  constate  des  coïncidences  avec  le 
recueil  d'Alençon  (art.  1,  2,9,  i3,  27),  avec  le  légendier  de  Queen's 
Coll.  (Oxford),  énorme  compilation  formée  de  la  combinaison  d'élé- 
ments divers  (art  12,  i4,  i5,  16,  19,  20a  26),  avec  le  ms.  B.  N.  fr. 
6447i  notre  -D'  (art.  44  à  5i).  Enfin  certaines  légendes  n'ont  été, 
jusqu'à  présent, rencontrées  en  aucun  autre  recueil  (art.  ]  1,  33  à  87, 
39 ,  4o ,  4 1 ,  4  2  ).  La  vie  de  saint  Grégoire  est  copiée  deux  fois  (art.  1 7 
et  57). 

(')  Au  bas  du  dernier  feuillet  on  lit:  Anno  répelée,  notamment   par   nos    devanciers,  à 

Domini  jucc.  Levesque  de  La  Ravallière,  qui  propos  de  quelques-uns  des  ouvrages  que  ren- 

avait  rédigé  sur  ce  recueil  une  notice  dont  on  terme  le  même  manuscrit  [Hist.  litt.  de  la  Fr., 

trouvera  le  résumé  dans  les  Mémoires  de  l'an-  XVIII ,  89  ). 

cienne    Académie    des    Inscriptions    (XXIII,  '*'  La  table   suivante  compte  58  numéros, 

254),  crut  voir  dans  ces  mots  (qui  sont  un  mais  les  art.  a8  et  3o  ne  sont  pas  des  légendes 

simple  essai  de  plume)  la  date  du  manuscrit,  en  prose,  et  les   art.   54    et  55    sont  ailleurs 

et  son  erreur  a  été  depuis  lors  maintes  fois  comptes  pour  un. 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE. 


à33 


1.  Saint  Clément.  20. 

2.  Saint  Chrysant  et  sainte  Daire '".  21. 

3.  Dispute  de  saint  Pierre  et  de  saint  22. 
Patd  contre  Simon  le  magicien.  23. 

4.  Saint  Pierre  (2).  24. 

5.  Saint  Paul.  25. 

6.  Saint  Thomas W.  26. 

7.  Saint  Jean  l'évangéliste'*'.  27. 

8.  Saint  Silvestre.  28. 

9.  Saint  Sébastien  («.  29. 

10.  Saint  Philippe'*).  30. 

1 1 .  Saint  Jacques  le  Mineur.  3 1 . 

12.  Sainte  Agnès  W.  32. 

13.  Saint  Vincent!»).  3.5. 

14.  Sainte  Agathe  («).  34. 

15.  Sainte  Julienne  O»).  35. 

16.  Sainte  Perpétue  et  sainte  Féli-  36. 
cité'").  37. 

17.  Saint  Grégoire.  38. 

18.  Saint  Marc"*'.  39. 

19.  Saint  Alexandre"»).  40. 


Saint  Janvier"*'. 

Sainte  Domicilia"^'. 

Saint  Pancrace"*'. 

Saint  Victor"". 

Sainte  Pétronille  "8). 

Saint  Pierre  l'acolyte"". 

Saint  Prime  et  saint  Félicien '2*'. 

Saint  Ignace'*". 

Sainte  Thaïs  (en  vers). 

Saint  Mathias'2*'. 

Les  Vers  de  la  Mort  (Héiinand). 

Saint  Georges'*^). 

Saint  Barthélemi  '«). 

Saint  Mathieu  '*5). 

Saint  Simon  et  saint  Jude. 

Saint  Jacques  le  Majeur. 

Saint  Laurent. 

Saint  Antoine. 

Saint  Julien  de  Brioude. 

Sainte  Bathilde<2<". 

Saint  Arnoul  '"'. 


'"'  Cet  article  et  le  précédent  se  stiivent  de 
même  dans  le  ms.  d'Alençon. 

<*'  Les  articles  4  et  5  sont  une  version  du 
De  passione  Pétri  et  Pauli  apostoloram  différente 
de  celle  qui  se  rencontre  ailleurs  (ci-dessus, 
p.  397,  notes  2  et  3). 

'"  Ce  n'est  pas  la  version  ordinaire  (ci-des- 
sns,  p.  398).  Les  premières  lignes  des  deux 
Tersions  sont  imprimées  dans  le  Bail,  de  la  Soc. 
des  anc.  textes,  1888,  p.  83. 

'*'  Même  observation.  La  version  ordinaire 
(ci-dessus,  p.  397)  est  différente 

<*'  Même  version  que  dans  le  ms.  d'Alençon 
(art.  17). 

'•'  Même  version  que  dans  le  ms.  B.  N.  fr. 
686  (ci-dessus,  p.  Sgg).  La  version  ordinaire 
(ci-dessus,  p.  397)  est  difierente. 

'''  Diffère  de  la  version  ordinaire  (ci-dessus, 
p.  4o2).  Se  retrouve  dans  le  ms.  de  Queen's 
Coll.  (Oxford),  art.  91. 

'*'  Même  version  que  dans  le  ms.  d'Alen- 
çon, art.  i3. 

'*'  Diffère  de  la  version  ordinaire  (ci-dessus, 
p.  4o3  ).  Se  retrouve  dans  le  ms.  de  Queen's 
Coll.,  art.  93,  et  dans  B.  N.  fr.  4a3  (ci-après, 
p.  446). 

HIST.  LITTÉB.  XXXin. 


''•'  Queen's,  art.  93. 

<"'  Queen's,  art.  94. 

'"'  Version  qui  se  trouve  encore  dans  le  ms. 
B.  N.  fr.  686,  fol.  525,  dansS.  John's,  art.  30, 
et  dans  Queen's,  art.  19. 

<"'  Queen's,  art.  3a. 

('•>  Queen's,  art.  33. 

'"'  Lire  Domitilla.  Queen's,  art.  96. 

<"'  Queen's,  art.  47. 

(")  Queen's,  art.  48. 

<"'  Queen's,  art.  96. 

'"'  Queen's,  art.  49. 

'"'  Queen's,  art.  5o. 

f'  Ms.  d'Alençon ,  art.  19;  Queen's,  art.  39. 

'"'  Se  trouve  dans  le  groupe  G  et  ail- 
leurs. 

'"'  Cette  version  ne  parait  pas  se  trouver 
ailleurs. 

'"'  Même  observation. 

'"'  Nous  n'avons  pas  retrouvé  ailleurs  les  lé- 
gendes des  articles  33  à  36  sous  la  forme 
qu'elles  ont  ici. 

'"'  Version  que  nous  n'avons  pas  rencontrée 
ailleurs. 

'"'  Version  différente  de  celle  qu'on  trouve 
dans  B  (jirt.  39),  ci-dessus,  p.  4o4. 

55 


434 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


41.  Saint  Paul  l'ermite <". 

42.  Saint  André  ^'^K 

43.  Saint  Denis. 

44.  Sainte  Félicité  l^'. 
^5.  Sainte  Christine. 

46.  Sainte  Cécile. 

47.  Saint  Sixte. 

48.  Saint  Hippolyte. 

49.  Saint  Biaise W. 


50.  Saint  Martin'". 

51.  Saint  Brice. 

52.  Saint  Lambert. 

53.  Saint  Gilles. 

54  et  55.  Saint  Nicolas  (et  transla- 
tion). 

56.  Saint  HilarionW. 

57.  Saint  Grégoire''". 

58.  Saint  CucufatW. 


Cambridge,  Saint  John  s  Coll.  9,  ff.  84-166  ^^\  —  Ce  court  légen- 
dier  (il  ne  renferme  que  vingt  légendes)  est,  par  sa  composition,  très 
difiFérent  de  tous  les  autres.  Il  a  une  légende  en  commun  avec  le 
groupe  E,  la  vie  de  sainte  Julienne  (19)  *'°^,  que  nous  rencontrons 
aussi  dans  les  mss.  B.  N.  fr.  18496  (5)  et  23ii2  (i5).  La  vie  de 
saint  Silvestre  (i5)  est  commune  à  un  grand  nombre  de  légendiers; 
la  vie  de  sainte  Luce  (17)  est  la  même  que  dans  les  mss.  18496  et 
de Queen's ;  quatre  (8,  18,  i4,  20)  font  partie  du  légendier  281  li. 
Toutes  les  autres  (1 ,  2 ,  4-i  2 ,  16,  18)  sont  des  versions  nouvelles  de 
légendes  dont  nous  connaissons  des  versions  plus  anciennes. 


1. 

Saint  Jean  l'évangéliste. 

11. 

Saint  Pierre. 

2. 

Saint  André. 

12. 

Saint  Agapet. 

3. 

Saint  Thomas  apôtre. 

13. 

Saint  Clément. 

4. 

Saint  Paul. 

14. 

Saint  Chrysant  et  sainte  Daire 

5. 

Saint  Jacques  le  Majeur. 

15. 

Saint  Silvestre. 

6. 

Saint  Barlhélemi. 

16. 

Sainte  Agnès. 

7. 

Saint  Mathieu. 

17. 

Sainte  Luce. 

8. 

Saint  Simon  et  saint  Jude. 

18. 

Sainte  Agathe. 

9. 

Saint  Philippe. 

19.- 

Sainte  Julienne. 

10. 

Saint  Jacques  le  Mineur. 

20. 

Saint  Marc. 

'"'  Même  version  que  ci-dessus,  p.  4i5. 

<*'  Cet  article  et  le  suivant  contiennent  des 
versions  que  nous  n'avons  pas  encore  rencon- 
trées. 

'''  C'est  bien  la  version  déjà  mentionnée  ci- 
dessus,  p.  ào%  [B  ai),  quoique  le  commence- 
ment ne  soit  pas  le  même;  mais  dans  D' 
(art.  60,  Notices  et  extraits,  XXXV,  ^98)  le 
débat  est  tel  qu'ici. 

'*'  Se  trouve  dans  D'  (art.  67). 

<''  Cest  la  version  de  Wauchier,  ci-dessus, 
p.  a83;  mais  il  est  remarquable   que    notre 


manuscrit  a  ici,  au  début,  la  même  variante 
que  D'  (art.  58). 

'"'  Traduction  de  Wauchier,  ci-dessus, 
p.  a65. 

f  Même  légende  qu'au  n°  17. 

'*'  Se  trouve  dans  le  ma.  de  Saint-Péters- 
bourg et  ailleurs;  voir  ci-aprés,  p.  436,  et  No- 
tices et  extraits,  XXXVI,  090. 

'•'  Notice  dans  la  Romania.  VIII,  330. 
L'écriture  est  des  premières  années  du 
XIV*  siècle. 

'"'  Voir  ci-dessus,  p.  4a3. 


II.  LÉGENDES  EN  PROSE.  435 

Tours,  1015 '^^K  —  Ce  manuscrit,  de  la  fin  du  xiv^  siècle  ou  du 
commencement  du  xv%  est  très  mutilé,  beaucoup  des  miniatures  qui 
l'ornaient  ayant  été  coupées.  H  a  été  copié ,  comme  on  le  voit  par  les 
formes  du  langage,  sur  un  manuscrit  plus  ancien.  C'est  un  de  nos 
plus  courts  légendiers,  car  il  ne  contient  que  seize  légendes,  qui 
toutes  se  retrouvent  dans  les  manuscrits  du  groupe  D,  et  presque 
toutes  dans  les  groupes  B  C.  Il  ne  paraît  pas  cependant  qu'il  puisse 
être  considéré  comme  dérivant  d'un  manuscrit  du  groupe  D.  En  voici 
la  table  : 

1.  Passion  (Evangile  de  Nicodème).  10.   Martyre   de   saint    Jean   l'évan- 

2.  Conversion  de  saint  Paul.  géliste. 

3.  Chaire  de  saint  Pierre.  1 1 .  Saint  Philippe. 

k.  Saint  Barnabf'.  12.   Dispute   de  saint  Pierre   et   de 

5.  Saint  Thomas  apôtre.  saint  Paul  contre  Simon  le  magicien. 

6.  Saint  Barthélemi.  13.   Saint  Mathieu. 

7.  Miracles  de  Saint  .André '*'.  14.  L'invention  de  la  Croix. 

8.  Saint  Simon  et  saint  Jude.  1  5.  Saint  Côme  et  saint  Damien. 

9.  Vie  de  saint  Jean  I  evangéliste.  1 6.  Saint  Julien  de  Brioude. 

Oxford,  Queen's  Collège  305.  —  Vaste  recueil,  écrit  par  deux 
mains  dans  la  seconde  moitié  du  xv''  siècle,  contenant  ii4  articles. 
11  est  à  propos  de  classer  ici  ce  légendier  qui  a  été  composé  d'après 
plusieurs  des  recueils  dont  nous  avons  traité  dans  les  pages  précé- 
dentes. Le  fond  paraît  avoir  été  fourni  par  des  manuscrits  des 
groupes  C  E  F.  Un  certain  nombre  d'articles  sont  tirés  de  légendiers 
plus  ou  moins  analogues  à  celui  d'Alençon  et  au  n°  23 1 1  2  de  la  Bi- 
bliothèque nationale.  Mais  il  y  a  aussi  quelques  légendes  que  nous 
n'avons  pas  rencontrées  ailleurs,  du  moins  sous  la  même  forme  : 
celles  de  saint  Placide  (art.  58),  de  saint  Nicaise  de  Rouen  (60), 
de  saint  François  (86),  de  sainte  Geneviève  (98),  de  sainte  Margue- 
rite (107),  de  sainte  Bathiide  (110),  de  sainte  Bertille  (1 14)-  Nous 
ne  croyons  pas  utile  de  donner  ici  le  dépouillement  du  légendier 
d'Oxford ,  qui  a  été  analysé  en  détail  dans  la  Romania ,  XXXIV,  2 1 5 . 

B.  N.jr.  987.  —  Manuscrit  du  xv^  siècle  contenant  38  articles, 

'''  Décrit  dans  le  Bulletin  de  la  Société  des  '''  Même  début  que  dans  les  mss.  d'Arras  et 

anciens  textes  français ,  1897,  p.  -jb  et  suiv.  d'Alençon. 


436  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

dont  35  se  retrouvent  dans  le  légendier  d'Oxford.  L'un  d'eux,  la  vie 
de  saint  Pierre  l'acolyte,  n'a  été  trouvé  jusqu'ici  que  dans  ces  deux 
manuscrits.  L'analyse  de  ce  recueil ,  assez  peu  intéressant,  a  été  donnée 
dans  la  iîoma/iia,  XXXIV,  3  34- 

Bibl  imp.  de  Saint-Pétersbourg ,fr.  35,  ff.  3-125  et  156-194^'K  —  Ce 
grand  recueil,  écrit  dans  la  seconde  moitié  du  xiii"  siècle,  se  compose, 
de  six  parties  bien  distinctes  :  i"  un  recueil  de  trente  légendes  dont 
les  quatorze  premières  forment  le  légendier  A  étudié  ci-dessus 
(p.  396  et  suiv.);  3°  de  très  nombreux  extraits  du  Légendier  classé 
selon  l'ordre  de  l'année  liturgique,  dontil  sera  traité  plus  loin;  3°  une 
série  de  quatorze  vies  de  saints;  4°  la  version  dite  champenoise  de  la 
Vie  des  Pères  (ci-dessus,  p.  3 1  3)  ;  5"  la  mise  en  prose  d'un  des  poèmes 
sur  Barlaam  et  Josaphat;  6"  les  vies  des  saintes  Agathe,  Luce,  Agnès, 
Félicité.  Nous  ne  nous  occuperons  présentement  que  des  sections  I, 
1I1,VL 

L  Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  les  quatorze  premières  légendes, 
celles  qui  constituent  le  légendier  A.  Voici  l'énumération  des  autres, 
avec  quelques  renvois  qui  en  faciliteront  l'identification  : 


Suite  de  la  Section  I. 

15.  Saint  Martial  (Arras,  2/1). 

16.  Saint  Nicolas  (Arras,  19). 

17.  Saint    Paul   l'ermite    (trad.    de 
Wauchier  de  Denain). 

18.  Saint  Antoine  (trad.    de   Wau- 
chier). 

19.  Saint  Mammès. 

20.  Saint  Christophe  (B  \q,  B^  17, 
jB^  26,  etc.). 

2 1 .  Saint  Quentin. 

22.  Saint    Cueufat  (B.  N.    13/196, 
art.  5). 

23.  Saint  Nazaire(Di  65). 

24.  Saint  Gervais    et   saint  Protais. 

25.  Saint  Etienne  protomartyr. 

26.  Saint  Agapet. 


27.  Saint  Alexis  (G  38,  £58). 

28.  Saint  Jérôme  (trad.  de  Wau- 
chier). 

29.  Saint  Benoit  (trad.  de  Wau- 
chier). 

30.  Saint  Gilles  (G  33,  £67). 

Section  III. 

(Fol.  i56)  Saint  Georges  (i3  16, 
5»  25,  G  16,  etc.). 

(Fol.  159)  Saint  Babylas  (B'  27, 
B^  29). 

(Fol.  159  c)  Saint  Marius  [B^  28, 
B^  3o). 

(Fol.  160  c)  Saint  Félix  de  Noie 
(B'29,B»3i). 

(Fol.  16-1  b)  Les  Trois  frères  ju- 
meaux (B»  3o,  B*  32). 


C  Décrit  dans  les  Notices  et  extraits.  XXXVl,  677  et  suiv. 


II.  LEGENDES  EN  PROSE.  437 

(Fol.    i64c)    Saint    Denis    (Ba5,  (Fol.   i  8 1  c) Saint  Julien  de  Brioude 

51  3i,Z)  28,  etc.).  (B  32,  fil  Al,  D  35,  etc.). 

(Fol.  1 66c)  Saint  Côme  et  saint  Da-  (Fol.   187  c)  Saint  Brendan  (B  33, 

mien  (B  26,  fil  32,  B'^  33,  etc.).  BU\^,D  36,  etc). 

(Fol.  169  d)  Saint  Sixte  (B  27,  fil  36, 
B»  35,  etc.)  Section  VI. 

(Fol.   171)    Saint    Laurent    (B  28,  (Fol.   2^70)   Sainte  Agathe  (B  18, 

B137,  B2  36,  etc.).  B'  18,  C  18,  etc.). 

(Fol.  173  b)  Saint  Hippolyte  (B 29,  (Fol.    ilx^  c)    Sainte    Luce   (B  19, 

B'38,  B237).                        '  Bi  19,  C  19,  etc.). 

(Fol.   17/1  d)  Saint  Lambert  (B  3o,  (Fol.   'jSi  b)  Sainte   Agnès    (B  20, 

B'  39,  B2  38,  etc.).  Bi  20,  C  20,  etc.). 

(Fol.  178  c)  Purgatoire  de  saint  Pa-  (Fol.   ibk)   Sainte    Félicité    (B  21, 

trice(B  3i,  B'  4o,  C  43,  etc.).  B'  2  1 ,  C  a  1 ,  etc.). 

B.  N.J'r.  13496.  —  Ce  manuscrit,  qui  peut  être  attribué  à  ia  fin  du 
xiii"  siècle  ou  au  commencement  du  xiv",  a  été  exécuté  en  Bourgogne. 
Le  caractère  dialectal  y  est  assez  marqué  pour  ne  laisser  aucun  doute 
à  cet  égard.  Au  xv"  siècle,  sinon  plus  tôt,  il  appartenait  à  l'hôpital  du 
Saint-Esprit  de  Dijon. 

Malgré  son  peu  d'étendue,  il  est  précieux  en  ce  qu'il  nous  a  con- 
servé quelques  morceaux  rares  ou  même  uniques.  Entre  les  vingt  et 
une  légendes  qu'il  renferme,  cinq  seulement,  les  articles  1  (saint 
Julien),  12  (saint  Denis) ,  17  (saint  Brendan),  20  (saint  Silvestre), 
2  1  (Purgatoire  de  saint  Patrice),  ont  été  fort  répandues;  deux  d'entre 
elles  (art.  12,  21)  sont  des  versions  isolées  qui  ont  été  publiées  à  part 
avant  de  prendre  place  dans  les  légendiers.  La  vie  de  Girart  de  Rous- 
sillon  (art.  i4),  qui  ne  fut  point  un  saint,  mais  qui  avait  fondé 
l'abbaye  de  Pothières,  et  dont  la  fabuleuse  histoire  ne  pouvait  man- 
quer d'intéresser  des  lecteurs  bourguignons,  ne  se  trouve  point 
ailleurs  sous  cette  forme.  La  vie  de  la  Madeleine  (art.  8),  qui  inté- 
ressait aussi  les  Bourguignons  à  cause  de  la  translation  du  corps  de 
la  sainte  à  Vézelai,  se  présente  ici  dans  une  rédaction  que  nous 
n'avons  rencontrée  nulle  part  ailleurs.  Le  morceau  sur  saint  Lazare 
(art.  i3)  paraît  également  unique,  mais  ce  n'est  pas,  à  proprement 
parler,  une  légende. 

1.  (Fol.  1)  Saint  Julien  de  Brioude  (B32;  cf.  ci-dessus,  p.  388). 

2.  (FoL  i3)  Saint  Cucufat  (B.  N.  fr.  23i  1  2,  art.  58). 

3.  (Fol.  18)  Sainte  Catherine  {D  58). 


438  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

4.  (Fol.  26  c)  Sainte  Euphrasie.  —  Ou  temps  Theodosore  l'ompereor  fu  .j. 
homs,  scnators  en  la  cité  de  Ronme,  qui  Antigonus  avoit  a  non.  .  .  (Queen's  Coll., 
Oxford,  art.  io3)(i). 

5.  (Fol.  36  c)  Sainte  Julienne  {Ë8i,  £•  /»i,B.N.  f'r.  aSi  12,  art.  i5;  S.  John  s 
Coll.,  art.  ig). 

6.  (Fol.  Sg  d)  Sainte  Luce  (S.  John  s  Go\i.,  art.  17). 

7.  (Fol.  42)  Saint  Bernard  [E  6q). 

8.  (Fol.  1  3 1  )  Sainte  Marie-Madeleine.  —  En  celui  tans  que  nostre  sire  Jhesucriz 
aloit  par  terre  corporehnent ,  estoit  en  ceies  parties  une  noble  femme  née  dou  chaste! 
qui  est  nommez  Magdalum .  .  . 

9.  (Fol.  i46c)  Sainte  Marthe.  —  Sainte  Marthe  fu  suers  sainte  Marie  Magdalene 
et  Ladres,  oui  Diex  suscita,  et  fu  de  la  lignie  de  roy  .  .  (Légendier  liturgique, 
art.  8g). 

10.  (Fol.  i48)  Sainte  Marie  l'Égyptienne  (D  Sy,  £  71,  E^  26). 

11.  (Fol.  1 55  b)  Sainte  Élisabeth{E  86). 

12.  (Fol.  17g)  Saint  Denis  [B^  20,  E  26). 

13.  (Fol.  ig7  b)  Saint  Lazare.  —  Li  séquence  de  l'euvangile  selon  saint  Jehan  : 
En  celui  temps  estoit  uns  languissanz ,  li  Ladres  de  Bethanie ,  dou  chastel  Marie  et 
Marthe(2). 

14.  (Fol.  217)   Girart  de  Roassillon^^^' 

1  5.  (Fol.  1 3g)  Saint  Grégoire  [E  44 ,  B.  N.  fr.  23 1  1  2  ,  art.  1  7). 

16.  (Fol.  245  c)  Saint  Jérôme  (version  de  Wauchier  de  Denain). 

17.  (Fol.  248)  Saint  Brendan  {B  33,  B^  42,  etc.). 

18.  (Fol.  25g)  Saint  Fursi  (C  4g,  £  65,  etc.). 

19.  (Fol.  264)  Saint  Benoit  (version  de  Wauchier  de  Denain). 

20.  (Fol.  282)  Saint  Silvestre  {B  35,  B>  44,  Z)  38,  E  43,  etc.). 

21.  (Fol.  2g8)  Purgatoire  de  saint  Patrice  (B  3i,  C  43,  Z)  43,  E  45,  etc.). 

Bibliothèque  royale  de  Belgicjue,  10295-10304.  —  Ce  manuscrit, 
dont  on  trouvera  la  notice  détaillée  dans  la  Romania,  XXX,  agB-Si  5, 
contient  un  recueil  de  légendes  françaises  en  vers  et  en  prose.  Écrit  à 
Ath  (Hainau)  en  1^28  et  1 429 ,  il  a  été  compilé  d'après  des  légendiers 
qui  ne  nous  sont  pas  tous  parvenus,  car  il  nous  a  conservé  certains 
articles  qui  paraissent  uniques.  Dans  la  liste  qui  suit  on  énumérera 
seulement  les  légendes  en  prose ,  avec  les  numéros  d'ordre  qui  leur 
sont  attribués  dans  la  notice  précitée. 

'''  Cette  version  est  différente  de  celle  de  Augustin  sur  saint  Lazare  et  une  série  de  mi- 

C  56  (ci-dessus,  p.  4i/l).  racles  dont  la  scène  est  à  Antun. 

'*'  On  voit  que  ce  morceau  est  non  pas  une  '''  Version  publiée  dans  la  Romania  (VllI, 

légende,    mais    la  traduction    du   ch.   xi  du  179  et  sniv.),  en  regard  de   l'original  latin, 

quatrième  évangile.  Suivent  un  sermon  de  saint  tiré  d'un  manuscrit. 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


439 


1. 

D,D\ 

2. 

3. 

4. 

ioo8" 

5. 

bourg). 

10. 

II. 

12. 

23. 

24. 


Saint  Christophe  {B,  B\  B^,  C, 

Saint  Sébastien  [ihid.]. 

Onze  mille  vierges  [D,  D^,  E). 

Sept  dormants  (Lyon  770,  Tours 

Saint    Quentin    (Saint  -  Péters- 

Saint  Georges. 
Sainte  Euphrosyne. 
Saint  Antoine'^'. 
Sainte  Marie  Madeleine. 
Sainte  Marthe  [E,  G). 


27.  Saint  Laurent  (iJ,  B\  B^,  C,D, 
D\  E). 

33.  Saint  Hippoly te  (liirf.). 

34.  Saint  Lambert  [ihid.). 

35.  Saint  Sixte  ((èiW.). 

36.  Saint  Longin  (ièid.). 

37.  SaintQuiriaque(B,B',B2,ZJi,fî). 

38.  Saint  Babylas(B^B^D'). 

39.  Saint  Marius  (iiic?.). 

40.  Trois  frères  jumeaux  [ihid.]. 

41.  Saint    Côine    et    saint   Damien 
{B,B\1^\D,D\E]. 

42.  Saint  Denis  (7î^  £). 


On  voit  qu'il  y  a  dans  ce  manuscrit  quatre  versions,  qu'on  peut, 
jusqu'à  présent,  considérer  comme  uniques  (art.  10,  11,  12,  23). 
Elles  ne  peuvent  être  attribuées  à  un  seul  traducteur  :  tandis  que  la 
vie  de  saint  Antoine  est  traduite  de  la  façon  la  plus  littérale,  dans  un 
style  très  pénible,  la  vie  de  la  Madeleine,  au  contraire,  semble  être 
une  compilation  très  librement  laite  d'après  plusieurs  sources;  le 
style  en  est  très  aisé  et  tout  à  fait  adapté  à  la  récitation  en  public.  La 
légende  des  Sept  dormants  (art.  4)  n'avait  été  rencontrée  jusqu'ici 
que  dans  des  recueils  écrits  en  Italie. 

Bihl.  Sainte-Geneviève  587,  ff.  3-32^^K  —  Petit  recueil  composé  de 
douze  légendes  empruntées  à  divers  légendiers.  Les  articles  1  à  3 
se  retrouvent  au  début  de  plusieurs  des  manuscrits  étudiés  au  cours 
de  la  présente  notice  (C,  D,  E,  ci-dessus,  p.  4i5  et  suiv.).  L'art.  12 
(saint  Georges)  est  commun.  Les  autres  articles  se  rencontrent  aussi 
en  d'autres  recueils,  notamment  dans  celui  de  Saint-Pétersbourg, 
mais  sont  cependant  peu  fréquents.  Le  n"  9  (saint  Apollinaire)  ne 
nous  est  pas  connu  d'ailleurs. 

1.  Nativité.  3.   Passion  (Évangile  de  Nicodème). 

2.  Apparition,     ou     adoration    des  4.  Sainte  Marthe  (£  80). 
Mages.  5.  Saint  Cucufat. 


'"'  Voir  ci-dessus,  p.  399. 

'*'  Les  articles  i3  à  22  sont  des  légendes 
très  abrégées  qui  ne  sont  peut-être  que  des 
sermons  pour  la  fête  de  quelques  saints.  11  en 


est  de  même  des  art.  25  et  26.  Voir  Roma- 
nia,  XXX,  3o5,  307  et  309. 

''*  Décrit  dan  s  les  Notices  et  extraits ,  XXX  VI , 
718-719. 


440  LÉ(iENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


6. 

Saint  Manimès'''. 

10. 

Saint  Gorvais  et  saint  Protais'", 

7. 

Saint  Agapet  '^'. 

11. 

Saint  Etienne'*'. 

8. 

Sainte  Marguerite"'. 

12. 

Saint  Georges  {B   i6,   B^    ^5 

9. 

Saint  Apollinaire. 

C  i6, 

etc.). 

Dublin,  Trinity  Collège  B.  2.  8.  —  Ce  manuscrit  est  d'une  écriture 
anglaise  que  l'on  peut  rapporter  à  la  fin  du  xiv*  siècle.  Il  n'est  pas 
douteux  qu'il  a  été  copié  sur  un  original  français.  Dans  son  état  ac- 
tuel il  se  compose  de  91  feuillets,  mais  le  commencement  fait  défaut 
et  il  manque  des  feuillets  en  plus  d'un  endroit.  H  renferme  vingt 
légendes  qui  ne  sont  pas  de  celles  qu'on  rencontre  le  plus  souvent 
dans  nos  vieux  légendiers  français.  Plusieurs  nous  sont  déjà  connues 
par  le  manuscrit  de  Saint-Pétersbourg  et  par  le  n°  687  de  Sainte- 
Geneviève,  dont  nous  venons  de  parler;  d'autres  forment  une  série 
continue  qui  paraît  bien  empruntée  au  Légendier  classé  selon  l'ordre 
de  l'année  liturgique.  En  voici  la  liste  : 


1. 

Saint  Antoine'*'. 

11. 

Saint  Fuscien  et  saint  Victorique, 

2. 

Saint  Mammès. 

12. 

Saint  Nicaise. 

3. 

Saint  Cucufat. 

13. 

Les  Innocents. 

4. 

Saint  Nazaire. 

14. 

Saint  Thomas  de  Cantorbéry'", 

5. 

Saint  Gervais  et  saint  Protais. 

15. 

Saint  Julien  et  sainte  Basilique. 

6. 

Saint  Etienne. 

16. 

Saint  Nicolas. 

7. 

Saint  Agapet. 

17. 

Saint  Thomas  apôtre. 

8. 

Saint  Alexis. 

18. 

Saint  Martial. 

9. 

Saint  Jérôme. 

19. 

Sainte  Elisabeth. 

10. 

Saint  Éloi. 

20. 

Saint  Grégoire'". 

Les  articles  1  et  9  sont  au  nombre  des  vies  traduites  par  Wauchier; 
la  vie  de  saint  Nazaire  (art.  4  )  n'a  été  rencontrée  jusqu'ici  que  dans  1)^ 
(art.  65,  ci-dessus  p.  420);  les  articles  1,  3,5,6,7  sont  dans  les 
manuscrits  de  Saint-Pétersbourg  et  de  Sainte-Geneviève;  les  articles  10 
à  1 5  sont  classés  selon  le  même  ordre  dans  le  Légendier  liturgique,  ce 

'*'  Voir  la  notice  du  ms.   de  Saint -Péter»-  <''  Incomplet  du  début  par  suite  d'une  la- 
bourg,  Notices  et  extraits,  XXXVI,  688.  cune. 

'*'  Ibid. ,  p.  69 1 .  '*'  La  fin  du  manuscrit  est  occupée  par  une 

<''  Ibid. .  p.  465.  copie  inaclievée  de  la  version  du  Pastoral  de 

'*'  Ibid. ,  p.  6go.  saint  Grégoire.  Cette  même  version  a  été  admise 


'*'  Ibid.,  p.  690-691.  dans  les  manuscrits  du  groupe  E  (ci-dessus, 

'•'  Version  de  Wauchier.  Manque  le  début,        p.  Asaj-Ellese  rencontre  ailleun 
par  suite  de  la  perte  d'au  moins  un  feuillet.  le  ms.  B.  N.  fr.  a486/i.  fol.  179 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


441 


qui  prouve  qu'ils  en  sont  tirés.  Quant  aux  articles  8  et  16  à  20,  ils 
sont  probablement  tirés  d'un  manuscrit  du  groupe  E  où  se  trouve 
aussi  le  Pastoral  de  saint  Grégoire. 

Lyon,  Bibl.  municipale  772'^'.  —  Ce  manuscrit  ne  contient  pas  seu- 
lement un  choix  de  vies  de  saints  :  on  y  trouve  encore  une  version, 
connue  d'ailleurs,  du  Planctus  beatœ  Mariœ,  attribué  à  saint  Bernard 
ou  à  saint  Anselme  (art.  6),  un  morceau  sur  les  heures  canoniques 
(art.  7  ),  un  long  sermon  sur  la  vie  contemplative  connu  sous  le  nom 
de  «  Livre  du  palmier»  (art.  82),  de  longs  extraits  des  Vies  des  Pères, 
d'après  la  version  dite  champenoise  (art.  28-.3i,  Sg)^^^  et  quelques 
autres  morceaux  de  littérature  profane  ou  religieuse.  Les  légendes 
proprement  dites  ont  été  puisées  à  des  recueils  divers  dont  l'un  devait 
être  plus  ou  moins  analogue  à  C  (ci-dessus,  p.  4i4),  l'autre  étant 
certainement  le  Légendier  classé  selon  l'ordre  de  l'année  liturgique 
dont  il  sera  question  plus  loin.  Nous  donnons,  dans  la  liste  qui  suit, 
la  concordance  entre  le  manuscrit  de  Lyon  et  ce  légendier. 


1.  Annonciation  {Lég.  lit,  45)'^'. 

2.  Nativité  (L^j.  /if.,  8)'*'. 

3.  Lessaints Innocents  (L^^./i<.,i  2). 

4.  Saint  Jean  Baptiste  {Lég.  lit.,-ji]. 

5.  Passion  '". 

6.  La  Plainte  de  Notre-Dame. 

7.  Heures  canoniques. 

8.  Saint  Longin'®'. 

9.  Invention  de  la  Croix  (Lej.tt.,  55). 

10.  Saint  Etienne  (Lejf.  lit.,  10). 

11.  Sainte     Marie -Madeleine     {Lég. 
lit,  88). 


12.  Chaire    de    saint    Pierre    {Lég. 
lit.,  37 )W. 

13.  Saint  BarthélemiW. 

1 4.  Saint  Mathias  {Lég.  lit. 

15.  Saint  Barnabe  {Lég.  lit. 

16.  Saint  Marc'»'. 

17.  Saint  Vincent  (L^jf.  W., 

18.  Saint  Laurent»»'. 

19.  Saint  Nicaise  {Lég.  lit.,  6). 

20.  Saint  Jérôme'"'. 

21.  Sainte  Marie  l'Egyptienne  {Lég. 
lit.  Ixli). 


38). 
68). 

24). 


'■'  Décrit  en  détail  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  des  anciens  textes  français ,  i885,  p.  Ao 
et  suiv. 

<*'  Voir  ci-dessus ,  p.  3i4. 

'*'  Ce  morceau  se  retrouve  encore  ailleurs. 
Il  forme  le  début  des  manuscrits  du  groupe  E. 

•*'  Morceau  par  lequel  commencent  C\  D , 
D';  c'est  l'article  2  du  groupe  E. 

'*'  D'après  l'Evangile  de  Nicodème ,  art.  4  de 
D  et  D';  art.  5  du  groupe  £,  etc. 

'"'   A  art.  II,  /}  art.  i3,  etc. 

HIST.  LITTÉll.  \X\ni. 


'''  Se  trouve  aussi  ailleurs  (  D  6  ,  D'  5,  etc.). 

'*'  Version  que  renferment  la  plupart  des 
légendiers.  Seulement  ici,  il  y  a ,  au  début,  une 
leçon  qui  ne  se  rencontre  que  dans  les  manu- 
scrits du  groupe  A  (art.  10)  et  dans  le  ms. 
B.  N.  fr.  423. 

<*'  Même  début  dans  A  (  art.  12);  même  ver- 
sion, mais  avec  un  commencement  différent, 
dans  les  autres  groupes. 

<"'  B(art.  28),B'(art.37),B*(art.36),etc. 

'"'  Version  de  Wauchier  de  Denain. 

56 


4^12 


LKGKNDES  HÂGIOGRAPHIQLiES  EN  FRANÇAIS. 


28.  Sainte  Maiine'". 

29.  Sainte  Euphrosyne'*'. 

30.  Marie  la  pécheresse. 

31.  Sainte  Thaïs. 

38.  Barlaam  et  Josaphat''". 


22.  Saint  Eloi  {Lég.  lit.,  2). 

23.  Saint  Grégoire  (L^jf.  lit.,  /ii). 

24.  Saint  Julien  l'hospitalier'". 

25.  Saint  Eustache'^). 

26.  Sainte  Suzanne'^'. 

27.  Sainte  Pélagie'*'. 

(KM  I 

On  voit  qu'une  grande  partie  des  légendes  que  renferme  ce 
manuscrit  sont  tirées  du  Légendier  liturgique.  Néanmoins  il  serait 
impossible  de  le  classer  à  la  suite  de  ce  légendier,  l'ordre  des  pièces 
étant  complètement  bouleversé. 

Airas,  Bibl.  municipale  657  [anc.  139),  ff.  55-87.  —  Du  légendier 
772  de  Lyon  il  convient  de  rapprocher  le  manuscrit  667  d'Arras, 
qui  contient  en  grande  partie  les  mêmes  légendes.  C'est  un  beau  livre 
de  la  seconde  moitié  du  xiii"  siècle,  écrit  en  Picardie.  La  richesse  de 
son  enluminure  lui  a  été  funeste.  Beaucoup  des  miniatures  qui  l'or- 
naient ont  été  découpées,  des  feuillets  ont  disparu,  de  sorte  qu'il  est 
assez  difficile  d'en  déterminer  exactement  le  contenu.  Voici  la  liste 
des  légendes  dont  nous  avons  pu  constater  l'existence;  nous  en  indi- 
quons la  concordance  avec  le  manuscrit  de  Lyon  et,  pour  les  deux 
derniers  articles,  avec  d'autres  recueils  : 


9. 
3. 

24). 

4. 
5. 
6. 


1.   Sainte  Suzanne  (Lyon,  26). 
Sainte  Pélagie  (Lyon,  27). 
Saint  Julien  l'hospitalier  (Lyon, 


Saint  Jérôme  (l^yon,  20). 

Saint  Eloi  (Lyon,  11). 

Plainte  de  Notre-Danoe  (Lyon,  6). 


7.  Heures  canoniques  (Lyon,  7). 

8.  Saint  Eustache  (Lyon,  ib). 

9.  Purgatoire  de  saint  Patrice (B,  B^ 
C,D,D',  fi.etc). 

10.  Saint  Alexis  {C,  E,  Saint-Péters- 
bourg). 


En  dehors  des  légendiers  proprement  dits,  on  rencontre  en  cer- 
tains manuscrits  de  petites  collections  de  légendes  françaises  qui 


A''  J3  32  ,  B'  ^1,  D  35,  etc.  Voir  ci-dessus, 
p.  388. 

'''  JB'  a4,  etc.  Voir  ci-dessus,  p.  38a,  n.  1. 

'''  Traduction  des  ch.  xin  et  xiv  du  livre  de 
Daniel.  Copie  incomplète  du  même  texte  dans 
le  ms.  d'Arras  GSy  (anc.  iSg),  fol.  53. 

'*'  L'original  est  dans  les  Vitœ  patrum  de 
Rosweyde  (a*  édition),  p.  876  (Migne,  Patr. 


lai..  LXXm,  663;  d.AA.  SS..  oct.  IV,  a6i). 
Copie  de  la  même  version  dans  le  ms.  d'Arras 
précité,  fol.  5/4. 

'*'  Version  champenoise,  ci-dessus,  p.  307. 

'*'  Pour  cette  légende  et  les  deux  suivantes, 
voir  ibid. 

''•  Mise  en  prose  d'un  poème;  voir  ci-dessus, 
p.  34o,  note  I . 


IL  LEGENDES  EN  PROSE. 


443 


n'ont  qu'une  médiocre  importance,  étant  le  plus  souvent  tirées  de 
recueils  plus  étendus  qui  nous  sont  parvenus.  Le  manuscrit  B.  N. 
fr.  2  5532  renferme,  du  fol.  281  au  fol.  320,  la  vie,  si  souvent 
copiée,  de  saint  Julien  l'hospitalier,  l'une  des  vies  de  Marie-Made- 
leine'*', la  vie  de  saint  Gilles,  l'Invention  de  la  Croix,  la  vie  de  sainte 
Marthe'"^',  le  Purgatoire  de  saint  Patrice ,  l'Antéchrist.  —  Le  manuscrit 
B.  N.  fr.  422,  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus  (p.  3  18)  à  propos  des 
versions  en  prose  des  Vies  des  Pères,  contient  aussi  quelques  vies  de 
saints  et  de  saintes  :  celles  de  saint  Martin  (fol.  83),  de  saint  Nicolas 
(fol.  97),  de  saint  Jean  l'évangéliste  (fol.  117),  de  Marie-Madeleine*^' 
et  la  légende  de  l'Antéchrist. — Dans  le  manuscrit  B.  N.fr.  ig53i  nous 
trouvons,  jointes  aux  vies  rimées  de  saint  Dominique  et  de  sainte 
Elisabeth'*',  les  légendes  en  prose  de  saint  Patrice  (fol.  2),  de  l'Anté- 
christ (fol.  16  v"),  de  sainte  Marthe  (fol.  i48  v"),  de  saint  Augustin 
(fol.  i63),  de  sainte  Marie-Madeleine  (fol.  169  v°).  La  légende  de 
sainte  Marthe  existe  ailleurs  en  un  texte  plus  complet  '^';  celle  de  saint 
Augustin  paraît  unique;  celle  de  la  Madeleine  a  été  citée  ci-dessus, 
p.  388-890.  —  Enfin  nous  mentionnerons  un  manuscrit  de  la  fin 
du  xiv*  siècle,  conservé  à  Copenhague  (fonds  Thott,  11°  217),  qui 
contient  les  légendes  suivantes  :  l'Assomption'"',  une  vie  de  sainte 
Marguerite,  dont  on  n'a  pas  signalé  d'autre  copie,  la  vie  de  la  Made- 
leine que  nous  venons  de  rencontrer  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  2  5532'''. 

Les  légendiers  dont  il  nous  reste  à  parler  se  distinguent  à  tous 
égards  de  ceux  dont  nous  nous  sommes  occupés  jusqu'ici. 

Légendier  lyonnais  ;  B.  N.fr.  818,  ff.  154-175.  —  Dans  ce  manuscrit 


<''  Celle  que  nous  avons  déjà  rencontrée 
dans  B  (art.  io) ,  dans  B'  (art.  ^g),  dans  û' 
(art.  47). 

'*'  La  même  que  dans  E  (art.  80),  £' 
(art.  38),  ci-dessus,  p.  ^23. 

'''  Voir  sur  cette  rédaction ,  dont  on  a  plu- 
sieurs copies  ci-dessus,  p.  389. 

'''  Ci-dessus,  p.  346  et  3^7. 

'*'  Cette  rédaction  est  celle  que  nous  avons 
rencontrée  plus  haut  dans  le  ms.  fr.  64^7  (i^'), 
p.  288,  et  que  nous  attribuons  à  Vauchier  de 
Denain.  Seulement  ici  les  premières  pages  de 
légende  ont  été  omises.  Le  texte  commence 
ainsi  :  «  Apriès  chou  que  Nostre  Sire  fti  resusci- 


tés de  mort  vie  et  fu  montés  es  ciels  en  sa 
grant  seignorie ,  et  il  ot  ses  apostles  conferniés 
et  doné  del  Saint  Esperit  gracie,  ceste  sainte 
damoisele,  qam  q'ele  ot  et  pot  avoir  aporta 
ele  as  pies  des  apostles,  car  tout  cil  ki  creoient 
adonques  en  Dieu  estoient  ausi  com  uns  cuers 

et  une  ame »   Cf.   le   ms.   6447   {^')i 

fol.  3o4  b. 

'*'  Même  légende  que  dans  B  (art.  37), 
B'  (art.  46),  C  (art.  4o),  D  (art.  48),  D' 
(art.  55). 

'''  Voir  Abrahams,  Description  des  mss.  fran- 
çais du  moyen  âge  de  la  Bibl.  royale  de  Co- 
penhague (i844).  p.  9-1 1. 

56. 


lidti 


LliGENDES  HAGIOGRAPHIOUES  EN  FRANÇAIS. 


sont  copiés,  à  la  suite  l'un  de  l'autre,  deux  légendiers  absolument  dif- 
férents par  le  contenu,  par  la  langue  et  par  l'écriture.  C'est  du  premier 
que  nous  allons  nous  occuper.  La  langue  en  est  purement  lyonnaise. 
Nous  avons  tout  lieu  de  croire  qu'il  a  été,  non  seulement  transcrit, 
mais  composé  à  Lyon  ou  dans  les  environs.  On  le  considère  ajuste  titre 
comme  le  plus  ancien  document  du  dialecte  lyonnais  qui  nous  soit 
parvenu.  Il  ne  saurait  être,  en  effet,  postérieur  à  la  fin  du  xiii"  siècle, 
époque  à  laquelle  appartient  le  manuscrit,  et  nous  le  croyons  an- 
térieur aux  Méditations  de  Marguerite  d'Oyngt ,  qui  fut  religieuse, 
puis  prieure  de  Poleteins,  près  de  Lyon,  depuis  1 286  environ  jusqu'à 
sa  mort,  en  i3io''^  Aucune  des  vingt-six  légendes  que  renferme  le 
recueil  lyonnais  n'a  pris  place  dans  les  nombreux  légendiers  que  nous 
avons  passés  en  revue  ;  quelques-unes  seulement  ont  été  intercalées, 
sous  une  forme  légèrement  francisée,  parmi  des  légendes  en  pur 
français  et  connues  d'ailleurs,  dans  un  manuscrit  dont  nous  parlerons 
tout  à  l'heure,  le  n°  428  du  fonds  français  de  la  Bibliothèque  nationale. 
Le  légendier  lyonnais  a  été  analysé  en  détail  dans  les  Notices  et 
extraits  des  manuscrits^'^h  Pour  chaque  morceau  on  a  indiqué  l'original 
latin  et  transcrit  les  premières  lignes  du  texte.  11  suffira  donc,  présen- 
tement, de  donner  la  liste  sommaire  des  légendes  dont  se  compose  le 
recueil  : 


1.  Dispute   de  saint  Pierre  et 
saint  Paul  contre  Simon  le  magicien. 

2.  Saint  André. 

3.  Saint  Jacques  le  Mineur. 

4.  Saint  Jean  i'évangéliste 

5.  Saint  Jacques  le  Majeur. 

6.  Saint  Thomas  apôtre. 


7.  Saint  Simon  et  saint  Jude. 

8.  Saint  Barthélemi. 

9.  Saint  Mathieu. 

10.  Saint  Philippe. 

11.  Saint  Martial. 

12.  Saint  Christophe. 

13.  Saint  Sébastien. 


'''  Voir  Œuvres  de  Marguerite  d'Oyngt , 
prieure  de  Poleteins,  publiées  par  E.  Philipon, 
avec  une  introduction  de  M.-C. Guigue  (Lyon, 
Scheuring,  1877).  —  Nos  devanciers  ont 
commis  une  double  erreur  en  l'appelant  «  Mar- 
guerite de  Duyii»  (Duingt,  Haute-Savoie),  et 
en  plaçant  sa  mort  vers  1294  [Hist.  litt,  de  la 
fr.,  XX,3o5). 

'•'  XXXIV,  II ,  71  et  suiv.  C'est  la  seconde 
partie  d'un  mémoire  intitulé  Notice  sur  le  recueil 
de  miracles  de  la    Vierge   renfermé  dam  le  ms. 


de  la  Bibl.  nat.  fr.  818  (iSgS).  —  Depuis 
la  publication  de  ce  mémoire,  une  édition 
du  légendier  lyonnais  a  été  commencée  par 
MM.  Mussafia  et  Gartner,  sous  le  titre  assez  im- 
propre d' Altfranzôsische  Prosalegenden  (Vienne 
et  Leipzig,  W.  BraunmûHer,  1"  partie,  1896, 
aSa-xxvi  pages).  —  Ces  légendes  ont  fourni  la 
principale  base  du  mémoire  de  M.  Edouard 
Philipon  sur  In  morphologie  du  dialecte  lyon- 
nais aux  xiii'  et  XIV'  siècles,  Romania,  XXX, 
ai  3-39/1. 


H.  ].f/;endes  en  prose.  445 


14. 

i>aint  Georges. 

21. 

Sainte  Christine. 

15. 

Saint  Marc. 

22. 

Sainte  Euphéniie. 

16. 

Saint  Biaise. 

23. 

Sainte  Agathe. 

17. 

Saint  Adrien. 

24. 

Sainte  Luce. 

18. 

Sainte  Marie-Madeleine'". 

25. 

Invention  de  la  Croix 

19. 

Sainte  Eulalie. 

26. 

Saint  Mammès. 

20. 

Sainte  Eugénie. 

I 


On  voit  que  ce  légendier  n'est  lyonnais  que  par  la  langue  :  il  ne 
contient  aucun  saint  de  la  région  où  il  a  été  composé.  Le  traducteur 
a  suivi  l'ordre  que  nous  avons  observé  en  plusieurs  de  nos  légendiers 
français:  les  apôtres,  quelques  anciens  martyrs,  un  certain  nombre 
de  saintes,  l'Invention  de  la  (iroix,  et  enfin  saint  Mammès,  saint 
vénéré  à  Langres.  De  toutes  ces  légendes  nous  possédons  des  versions 
françaises,  sauf  pour  sainte  Eugénie  et  saint  Mammès. 

B.  N.fr.  42.V.  —  Ce  recueil  est  formé  d'éléments  disparates  qui  se 
retrouvent  en  maints  autres  légendiers.  Il  paraît,  d'après  l'écriture, 
avoir  été  fait  au  commencement  du  xiv*  siècle,  et  certaines  particula- 
rités de  langage  permettent  de  croire  que  le  copiste  appartenait  à  la 
région  lyonnaise.  Il  y  a,  du  reste,  dans  cette  compilation  des  mor- 
ceaux tirés  du  légendier  lyonnais  que  nous  venons  d'analyser. 

Dans  la  table  qui  suit  on  ne  donnera  de  numéro  qu'aux  légendes 
hagiographiques  proprement  dites. 

1.  (Fol.  i)  Passion  de  saint  Paal  (B  3;  ci-dessus,  p.  /joo). 

2.  [¥o\.  3  b)  Saint  Jean  l'évangéliste  (B  5;  ci-dessus,  p.  /ici). 

3.  (Fol.  6)  Barlaam  et  Josaphat  (mise  en  prose  d'un  poème;  voir  ci-dessus, 
p.  3ùo,  note  i). 

(Fol.  2o)  Extraits  de  la  Vie  des  Pères  d'après  la  version  champenoise  :  vies  de 
sainte  Marine,  de  sainte  Euphrosyne,  de  Marie  la  pécheresse  (voir  ci-dessus, 
p.  3o7)(2). 

4.  (Fol.  2o'''')  5amf  JSartMemi  (légendier  lyonnais,  art.  8). 

5.  (Foi.  23)  5am<  ^ndre  (légendier  lyonnais,  art.  2). 

6.  (Fol.  a/j  d)  5am<e  £a/aiïe  (légendier  lyonnais,  art.  19). 

'"'  Il    ne   serait   pas   impossible   que,     par  p.  4o8),  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  25532  et  dans 

e\ception ,  cette  vie  eût  été  rédigée  d'après  une  le  ms.  Thott  2 1 7  de  Copenhague, 
des  versions  françaises ,  celle  dont  nous  avons  ''^'  C'est   par   oubli   que   nous  n'avons  pas 

cité  le  début  d'après  B  (ci-dessus,  p.  4o4)  et  mentionné  le  ms.  fr.  423  entre  les  recueils  qui 

qui  se  rencontre  encore  dans  le  ms.  Add.  652^  ont  admis  la  totalité  ou  des  extraits  de  la  ver- 

du   Musée   britannique    (art.   ^9,   ci-dessus,  sion  champenoise  (voir  ci-dessus,  p.  3 1 3). 


4i6  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

7.  (Fol.  26  c)  Saint  Mathieu  (légendier  lyonnais,  art.  9). 
(Fol.  29  d)  Sermon  eu  français. 

8.  (Fol.  32)  Sainte  Marie- Madeleine  (version  du  Légendier  liturgique ,  art.  88  , 
déjà  rencontrée  dans  le  ms.  -j-ji  de  Lyon;  ci-dessus,  p.  44 1  ). 

9.  (Fol.   33  b)    Sainte   Marthe   (version  du    Légendier  liturgitpie,   art.    89, 
déjà  rencontrée  dans  le  nns.  B.  N.  fr.  iSZigô,  ci-dessus,  p.  /j38). 

10.  (Fol.  34)  Sainte  Agnès  [B  20;  ci-dessus,  p.  Ixoi). 

1 1.  (Fol.  35  d)   Purçjaloire  de  saint  Patrice  (fi  3 1  ;  ci-dessus,  p.  /io3  ). 
(Fol.  39  d)  «  De  Joseph  d'Arimatia.  » 

(Fol.  5o)  Plainte  de  Notre  Dame  (même  version  dans  le  ms.  B.   N.  fr.  818, 
fol.  ly;  voir  Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes,  1876,  p.  63). 
(Fol.  62)  Extraits  de  la  Vie  des  Pères. 

12.  (Fol.  53  c)  Saint  Sébastien  [iégendier  lyonnais ,  art.  i3). 

13.  (Fol.  56)  Saint  Brendan  [B  33;  ci-dessus,  p.  /io3). 

14.  (Fol.  62)  iSain<  Jacques /e  Mo/eur  (légendier  lyonnais,  art.  3). 

15.  (Fol.  63  c)  Saint  Philippe [Ugendier  lyonnais,  art.  10). 

(Fol.  64)  Sermons  en  français.  —  (Foi.  79)  Traduction  en  prose  du  Lucidaire. 
—  (Fol.  91)  Extraits  de  la  Vie  des  Pères. 

16.  (Fol.  91b)  5am<  Georges  (légendier  lyonnais,  art.  r4).  —  Suivent  des  extraits 
de  la  Vie  des  Pères  et  divers  poèmes  dont  on  trouvei'a  la  liste  dans  le  catalogue  im- 
primé. 

17.  (Fol.  i3'7)  Sainte  Agathe  (même  version  que  dans  le  ms.  B.  N.  fr.  23i  12, 
art.  1  4  ,  ci-dessus,  p.  433). 

Ce  qui  semble  résulter  assez  clairement  de  cette  liste,  c'est  que  le 
compilateur  a  mis  à  contribution  le  légendier  lyonnais  (art.  4»  5^ 
6,  7,  12,  i4,  i5,  16),  un  légendier  plus  ou  moins  analogue  aux 
manuscrits  du  groupe  B  ( art.  1,  2,  10,  ii,  i3)  et  le  Légendier 
liturgique  (art.  8  et  9) ,  mais  il  n'est  nullement  impossible  qu'il  ait  eu 
sous  les  yeux,  outre  le  légendier  lyonnais ,  un  manuscrit  analogue  à 
celui  de  Lyon,  où  des  vies  empruntées  au  Légendier  liturgique  et 
à  d'autres  sources  se  trouvaient  déjà  mêlées  aux  vies  du  légendier  B. 

Légendier  français  composé  à  Lyon;  B.  N.  Jr.  818,  ff.  276-S07.  — 
Ce  recueil,  qui  ne  comprend  pas  plus  de  huit  légendes,  diffère  essen- 
tiellement du  légendier  lyonnais,  auquel  il  fait  suite  dans  le  même 
manuscrit.  L'écriture  est  d'une  autre  main,  et  probablement  un 
peu  plus  récente;  la  langue  est  purement  française,  bien  que  les 
traductions  dont  se  compose  le  recueil  aient  été  faites  à  Lyon  ou  dans 
les  environs.  Le  style  en  est  lourd  et  parfois  obscur  :  le  traducteur 
visait  à  une  exactitude  littérale  qu'il  n'obtenait  qu'au  détriment  de  la 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


447 


clarté.  H  n'v  a  rien  chez  lui  qui  rappelle  l'élégante  simplicité  des  tra- 
ducteurs plus  anciens,  qui  se  préoccupaient  peu  de  rendre  chaque 
mot  ou  même  chaque  phrase  de  textes  généralement  écrits  en  un 
latin  précieux  et  affecté ,  mais  n'avaient  pas  d'autre  ambition  que  de 
mettre  à  la  portée  d'auditeurs  laïques  ou  ignorant  le  latin  la  sub- 
stance des  récits  hagiographiques.  Notre  traducteur  lyonnais  écrit 
évidemment  pour  des  lecteurs  plutôt  que  pour  un  auditoire.  Sa  ma- 
nière est  analogue  à  celle  du  traducteur  de  la  vie  de  saint  Vast,  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  (p.  392].  Celte  tendance  à  la  traduction 
littérale  se  manifeste  de  plus  en  plus  à  partir  de  la  fin  du  xiii*  siècle, 
époque  à  laquelle  nous  attribuons  le  recueil.  Nous  en  trouverons 
d'autres  exemples. 

Les  légendes  dont  se  compose  le  recueil  sont  les  suivantes  : 
1"  saint  Laurent^'';  2"  saint  Eustache;  3°  saint  Martin  de  Tours; 
4"  saint  Clément  pape;  5°  les  Quarante-huit  martyrs  de  Lyon*'^*; 
6°  saint  Irénée'"*';  7°  saint  Justf"';  8°  sainte  Consorce'^'.  Les  quatre  pre- 
mières avaient  déjà  été  traduites;  de  la  seconde,  notamment,  nous 
avions  déjà  trois  versions  en  prose,  mais  il  n'en  est  pas  de  même  des 
quatre  dernières,  qui  intéressent  spécialement  l'Eglise  de  Lyon,  (^ette 
circonstance,  jointe  à  la  présence  du  légendier  dans  un  manuscrit  évi- 
demment lyonnais,  ne  laisse  aucun  doute  sur  son  origine.  Nous  rap- 
porterons ici,  comme  échantillon  du  style  de  ces  versions,  le  début 
de  la  vie  de  saint  Eustache,  que  l'on  pourra  comparer  avec  l'ancienne 
version  citée  plus  haut,  p.  383.  Il  ne  sera  pas  inutile  non  plus,  pour 
arriver  à  la  pleine  intelligence  de  ce  texte  obscur,  de  recourir  à  la 
partie  correspondante  de  l'original  latin,  imprimée  dans  la  note  2 
de  la  page  382. 


.  1'"'  Celte  version  a  été  publiée  à  la  suite  de 
la  vie  en  vers  du  même  saint,  par  M.  Werner 
Sôderhjelm,  ci-dessus,  p.  36 1. 

'*'  D'après  Eusèbe  [Hist.  eeclesiastica] ,  tra- 
duit par  Rufin,  1.  V,  chap.  i-iii  (édition  de 
l'Académie  de  Berlin,  Leipzig,  igoS,  t.  II, 
p.4o3,  ligne  3,àp.  4i5, ligne  6);ci'.AA.  SS.. 
1  juin. 

'''  Ce  n'est  pas ,  à  proprement  parler,  une  vie 
de  saint  Irénée,  c'est  la  traduction  littérale 
d'une  série  de  passages  relatifs  à  ce  saint,  tirés 
de  VHistoria  eeclesiastica  d'Eusèbe,  d'après  la 
version  de  Rufin.  Voici,  à  peu  près,  l'ordre 


dans  lequel  se  suivent  ces  passages  :  livre  V, 
début  du  prologue,  début  du  ch.  i,  chap.  m, 
IV,  V ,  VI  ;  1.  IV ,  ch.  XIV  et  XV  ;  1.  V ,  ch.  xv  et  xx  ; 
1.  III ,  ch.  XXXVI.  Il  n'est  pas  à  croire  que  le 
traducteur  fi-ançais  (ou  plus  probablement, 
lyonnais)  ait  fait  lui-même  ce  choix  de  mor- 
ceaux. Il  est  probable  qu'il  l'aura  trouvé  tout 
fait  dans  une  compilation  latine  que  nous  ne 
connaissons  pas. 

'*'  Traduction  de  la  Vita  prolixior,  publiée 
dans  A  A.  SS.,  sept.,  I ,  ^-jA. 

'''  A  A.  SS..  juin,  IV,  25o  (éd.  Palmé,  V, 

2là). 


448  LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANCIS. 

(Fol.  280)  Ici  conmence  la  vie  del  bcneûré  saint  Eustache  et  la  passion,  et  de  sa 
modlier,  la  très  beneiiré[e] ,  ensement.  Es  tens  de l'empereeur  qui  estoit  apeiez  Traianus , 
esquels  tens  la  failace  del  deable  valoit  durement,  estoit  uns  mestres  de  chevaliers 
qui  estoit  apeiez  Placidas  par  son  nom,  nobles  de  lignage,  segont  la  char,  resplen- 
dissanz  de  richeces,  devant  puianz  de  tote  honeur,  mes  porpris  des  coutivemenz  de 
deables.  Icist  estoit  riches  des  oevres  de  justice  et  de  totes  les  mérites  de  vertuz. 
H  aidoit  as  oppressez;  il  dcfcndoit  en  jugement  les  agravez.  Certes,  cist  relevoit  par 
ses  richeces  plusors  qui  estoient  dampné  a  tort  des  juges;  et  vestoit  les  nuz  et  dis- 
pensoit  nécessaires  choses  a  toz  les  besoigneus  et  indigenz,  en  tel  guise  que  il  fust 
veûz  ja  en  icez  tens  Cornelies,  si  corne  l'en  lit  os  Actes  des  apostres.  Icist  avoit  o  soi 
femme  estant  ensemble  soz  la  coutiveûre  de  deables,  mes  nequedant  ele  estoit  con- 
sentenz  as  mours  de  son  mari .  .  . 

Nous  avons  vu  plus  haut  (p.  4 00)  que  des  articles  traduits  de 
la  Legenda  aurea  de  Jacques  de  Varazze  avaient  été,  en  certains 
manuscrits,  ajoutés  à  d'anciens  recueils  composés  de  légendes  origi- 
nales. L'inverse  s'est  aussi  produit.  Le  manuscrit  médicéo-palatin 
i4i  de  la  Bibliothèque  Laurentienne,  écrit  à  Arras  en  1.^99,  con- 
tient un  légendier  français  en  2o3  articles  disposés  selon  l'ordre  de 
l'année  liturgique,  dont  1 5o  environ  sont  traduits  de  la  Legenda  aurea, 
tandis  que  les  autres  ont  été  pour  la  plupart  empruntés  à  des  lé- 
gendiers  semblables  ou  analogues  à  ceux  que  nous  avons  étudiés  dans 
la  présente  notice.  Quelques-uns  de  ces  morceaux,  toutefois ,  n'ont  pas 
été  jusqu'ici  rencontrés  ailleurs.  Nous  signalerons,  par  exemple,  une 
vie  de  saint  Vast  (art.  4'4)  dont  nous  avons  déjà  dit  un  mot  (ci-dessus, 
p.  392,  note  3),  et  une  vie  de  saint  Jean  Paulus  (art.  200)  qui  n'est 
autre  chose  que  la  mise  en  prose  d'un  poème  indiqué  en  son  lieu, 
dans  une  précédente  notice  (ci-dessus,  p.  354)-  Nous  ne  nous  éten- 
drons pas  davantage  sur  ce  légendier  artésien,  dont  il  a  été  fait  une 
description  très  détaillée'''.  Nous  verrons,  dans  le  chapitre  suivant, 
qu'il  a  existé  en  latin  ou  en  français,  en  dehors  de  la  Légende 
dorée,  plusieurs  compilations  où  les  saints  sont  rangés  dans  l'ordre 
de  l'année  liturgique. 

LÉGENDIERS  CLASSES  SELON  l'oRDRE  DE  l'aNNÉE  LITURGIQUE. 

Les  compilations  hagiographiques  que  nous  avons  étudiées  jusqu'à 
présent  sont,  en  général,  classées  selon  un  ordre  plus  ou  moins  mé- 


(!) 


Romania,  XXXIII,  i-^Q. 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


449 


thodique,  que  l'on  pourrait,  en  un  certain  sens,  qualifier  de  hiérar- 
chique et  qui  est  observé  dans  les  Litanies  :  d'abord  les  légendes 
relatives  au  Sauveur  et  à  la  Vierge  Marie,  puis  celles  qui  se  rapportent 
aux  apôtres,  aux  martyrs,  aux  simples  confesseurs,  et  enfin  aux 
vierges.  Cet  ordre  est  souvent  troublé  par  de  nombreuses  interver- 
sions et  par  fintercalation ,  faite  un  peu  au  hasard,  de  nouvelles 
légendes;  il  se  laisse  pourtant  reconnaître  en  beaucoup  de  nos  vieux 
recueils.  Les  deux  légendiers  dont  nous  allons  parler,  et  qui  ne  sont 
probablement  pas  les  seuls  de  leur  espèce,  ollrent  une  disposition 
toute  diflérente,  puisque  les  saints  y  sont  rangés  selon  l'ordre  de 
leurs  fêtes,  à  commencer,  naturellement,  par  l'Avent. 

L'idée  de  résumer  les  vies  des  saints  honorés  par  fEglise  en  des 
jours  déterminés  (soit  au  jour  aniversaire  de  leur  mort,  soit  à  celui 
de  leur  translation)  et  de  grouper  ces  résumés  en  des  livres  spé- 
ciaux pour  être  lus  aux  offices,  est  fort  ancienne.  Elle  se  manifeste 
d'abord  par  les  lectionnaires,  dont  plusieurs  remontent  à  l'époque 
carolingienne.  Puis,  en  dehors  de  l'usage  liturgique,  on  a,  dès  le 
xii"  siècle  au  moins,  formé  des  recueils  hagiographiques,  plus  ou 
moins  analogues  aux  (jvva^dpnx  grecs,  où  les  légendes  sont  classées 
selon  Tordre  du  calendrier.  Ces  recueils  pouvaient  servir  à  la  lecture 
journalière,  notamment  dans  les  monastères;  ils  fournissaient  aussi 
une  matière  toute  prête  aux  prédicateurs. 

Celles  de  ces  compilations  qui  ont  eu  le  plus  de  vogue  sont  les 
suivantes  : 

i"  La  Samma  de  divinis  ojficus  de  Jean  Belet  (xii''  siècle)''',  dont 
une  partie  consiste  en  une  série  de  vies  des  saints  présentées  sous 
une  forme  très  abrégée; 

2°  U Abbreviatio  in  gestis  et  miraculis  sanctorum,  ou  Summa  de  vids 
sanctorum,  compilation  faite  vers  le  milieu  du  xiii*^  siècle,  en  tous  cas 
après  1  280,  et  probablement  dans  le  diocèse  d'Auxerre''^'; 


'■>  \oir  Hist.  lin.  de  la  Fr.,  XIV,  218. 

'*'  Lebeuf,  Mémoires  concernant  l'histoire 
d'Aaxerre,  publiés  par  Cballe  et  Quantin,  IV, 
3g4 ,  SgS  ;  Delisle ,  Le  Cabinet  historique ,  XXIII 
(1877),  4-7;  P.  Meyer,  Notices  et  extraits, 
XXXVI,  2-4.  Aux  manuscrits  énumérés  dans 
le  dernier  de  ces  mémoires  il  faut  ajouter  le 
n°  1.7.6  dePeterhouse  (Cambridge),  décrit  par 

HIST.  LITTÉB.  XXXIII. 


M.  James  dans  son  Descriptioe  catalouue  of  tlie 
manascripts  in  the  library  of  Peterhouse  (Cam- 
bridge, 1899),  P-  '9^"i99'  ^t  le  n°  227  de 
Balliol  (Oxford).  — Au  chapitre  sur  l'Assomp- 
tion sont  rapportés  deux  miracles  de  la  Vierge 
datés  de  laSo.  Dans  la  vie  de  saint  Amateur, 
évêque  d'Auxerre,  est  mentionnée  la  construc- 
tion de  la  cathédrale  de  cette  ville,  en  1209, 

57 


450 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


3"  La  Legenda  anrea ,  de  Jacques  de  Varazze; 

/["  Le  Sanctorale  de  Bernard  Gui,  composé  entre  les  années  i3i2 
et  i3i8(". 

La  Summa  de  Jean  Belet  a  été  traduite  en  français''^\  mais  il  ne 
paraît  pas  que  la  partie  réservée  aux  vies  des  saints  ait  été  jamais 
copiée  à  part,  soit  en  français,  soit  en  latin.  De  la  Legenda  anrea  il 
existe  plusieurs  versions  totales  ou  partielles,  dont  la  plus  répandue 
a  été  celle  de  Jean  de  Vignai,  exécutée  avant  iS^B,  date  du  plus  an- 
cien manuscrit  qu'on  en  possède'^'.  Quant  au  Sanctorale  de  Bernard 
Gui,  il  ne  paraît  pas  avoir  été  mis  en  français.  Au  contraire,  VAbbre- 
viatio  ou  Summa  de  vitis  sanctorum  est  la  base  principale  d'un  légendier 
français  dont  nous  allons  nous  occuper  en  premier  lieu. 

Ce  légendier,  que  nous  désignons  sous  le  titre  de  «Légendier 
classé  selon  l'ordre  de  l'année  liturgique»,  ou,  plus  simplement,  de 
i(  Légendier  liturgique  »,  se  compose  de  168  légendes.  Comme  il  a  été 
l'objet  d'une  notice  détaillée  dans  les  Notices  et  extraits  des  manu- 
scrits^''\  nous  n'aurons  guère  ici  qu'à  résumer  des  faits  déjà  connus. 
On  en  possède  au  moins  six  copies  complètes  ou  fragmentaires'^'. 
Déplus,  un  manuscrit  de  l'Arsenal  (n"  8706)  en  renferme  des  extraits 
(48  légendes).  Tous  ces  manuscrits  sont  de  la  fin  du  xiii'  siècle  ou  du 
xiv%  sauf  celui  de  l'Arsenal,  qui  est  du  xv^  En  outre,  trois  autres 
manuscrits  contiennent  des  parties  considérables  du  même  légendier, 
jointes  à  des  légendes  qui  en  étaient  originairement  indépendantes, 
Le  premier  est  le  manuscrit  français  3  5  de  la  Bibliothèque  impériale  de 
Saint-Pétersbourg  (seconde  moitié  du  xiii'"  siècle),  vaste  recueil  plus 
d'une  fois  cité  dans  les  pages  précédentes'^',  et  qui,  à  la  suite  d'un 
certain  nombre  de  légendes  disposées  à  peu  près  dans  l'ordre  du 
premier  des  groupes  étudiés  précédemment,  contient  de  nombreux 


par  Guillaume  "postea  Parisiensis  episcopus». 
Guillaume  fut  ëvèque  de  Paris  de  12  9.0  à  i  3  3  3;  il 
avait  occupé  le  siège  d'Auxerre  de  1307  à  1220. 

'"'  L.  Delisle,  Notices  et  extraits  des  manu- 
scrits (TA  uxerre,  XXVII,  a*  partie,  p.  274-292 
(S  i3i-i43). 

'•'  B.  N.,  lal,  995.  Voir  Bulletin  de  la  Société 
des  anciens  textes  français ,  année  i884,  p.  83. 

'''  On  a  donné  la  liste  de  ces  versions  dans 
la  Romanittj  XXXIIl,  3,  4.  L'une  d'elles  est 
contenue  dans  le   manuscrit   artésien    de   la 


Bibliothèque  Laurentienne ,  dont  nons  avons 
parlé  ci-dessus,  p.  448. 

«  XXXVI,  1-69. 

'•'  Paris,  B.  N.  fr.  988,  1782  (court  frag- 
ment); Bibl.  Sainte-Geneviève  587;  Epinal  70; 
Lille  45i  ;  Musée  brit.  Add.  i523i  (fragment). 
—  Le  ms.  de  Sainte-Geneviève ,  qui  n'a  pas  été 
utilisé  dans  la  notice  citée  à  la  note  précédente , 
est  décrit  dans  les  Notices  et  extraits,  XXXVI , 
717-731. 

">  P.  360,  379,  3i3,  397,436. 


II.  LEGENDES  EN  PROSE.  451 

extraits  (en  tout  66  articles*'')  dulégendier  classé  selon  l'ordre  du  calen- 
drier liturgique.  Ces  extraits  ont  été  choisis  de  façon  à  ne  pas  faire 
double  emploi  avec  le  recueil  qui  les  précède  dans  le  même  manu- 
scrit. Le  second  manuscrit  est  le  n"  368^  de  la  Bibliothèque  de  l'Ar- 
senal, qui  a  été  écrit  en  Lorraine  au  xv*  siècle.  Il  renferme  1 14  des 
légendes  du  Légendier  liturgique,  entre  lesquelles  ont  été  intercalées 
4  I  vies  de  saints  dont  plusieurs  appartiennent  au  diocèse  de  Metz '"^'. 
Enfin  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  l'Université  de  Leipzig, 
exécuté  au  xiv^  siècle  en  Lorraine,  et  probablement  à  Metz,  contient, 
à  la  suite  de  morceaux  divers,  dont  plusieurs  sont  traduits  de  Jacques 
de  Varazze,  environ  125  légendes  tirées  du  Légendier  liturgique'^'. 
Cette  compilation  est  apparentée  de  près  au  manuscrit  de  l'Arsenal 
que  nous  venons  de  citer. 

Afin  de  montrer  le  rapport  qui  existe  entre  YAbbreviatio  et  le  légen- 
dier français  qui  en  est  dérivé,  nous  allons  donner  la  liste  des  lé- 
gendes que  renferme  la  compilation  latine,  y  joignant  la  concordance 
avec  les  légendes  correspondantes  du  recueil  français.  Ce  tableau  est 
d'autant  plus  utile  que  YAbbreviatio  est  inédite  et  que  même  l'indi- 
cation des  morceaux  dont  elle  se  compose  n'a  jamais  été  donnée.  On 
remarquera  que  dix-huit  de  ces  morceaux  n'ont  pas  été  admis  dans  le 
légendier  français,  et  que,  d'autre  part,  ce  dernier  renferme  jusqu'à 
dix  légendes  qui  manquent  à  VAbbreviatio^'^K 

Saint  André  (3o  nov.) i  Saint  Etienne  (26  déc.) 10 

Saint  Éioi  (1"'  déc.) 2  Saint  Jeanrévangéiiste(2  7  déc).  i  1 

Saint  Nicolas  (6  déc.) 3  Saints  Innocents  (28  déc.) 12 

Sainte  Luce  (1  3  déc.) 5  Saint  Thomas  de  Gant.  (29  déc).  1 3 

Saint  Thomas,  apôtre  (2  1  déc).  7  Saint  Siivestre  (3 1  déc.) 1  4 

Nativité  (25  déc.) 8  Sainte  Golomhe  (3 1  déc.) 1  5 

Sainte  Anastasie  (28  déc) 9  Girconcision  (i^janv.) // 

Sainte  Eugénie  (26  déc.) //  Sainte  Geneviève  (3  janv.).  ...  16 

<■'  Plusieurs  de  ces  articles  sont  en  déficit,  '*'  Y  ok  Romaiiia,  XXVIII,  266267. 

le  manuscrit  ayant  subi  de  nombreuses  muti-  '''  N°  i55i.  Nous  devons  une   description 

lations,  mais  on  peut  se  rendre  compte  de  son  détaillée    de  ce    manuscrit  à   l'obligeance   de 

état    primitif  grâce  à  une   table   dressée   au  M.  Sucliier,  professeur  à  lUniversité  de  Halle, 
xiv'  siècle ,  qui   est  reliée  au  commencement  '*'  La  liste  qui  suit  a  été  dressée  à  l'aide  des 

du  volume.  Voir  Notices  et  extraits,  XXXVl,  mss.  ly.^i  de  la  Bibliothèque  Mazarine  et  56.^^9 

692-700.  (lu  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale. 

57. 


452 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES   EN  FRANÇAIS. 


Epiphanie  (  6  janv.) // 

Saint  Julien  et  sainte  Basilisse 

(9Jan^)'" •? 

Saint  Rémi  (i  3  janv.) i  44 

SaintHilairedePoitiers(i  3janv.)  1 8 

Saint  Félix  de  Noie  (i  4  janv.). .  1 9 

Saint  Marcel ,  pape  (  1 6  janv.  ) .  .  // 

Saint  Antoine ,  abbé  (  i  7  janv.) .  2  o 

Saint  Marius  (  1 9  janv.) n 

Saint  Fabien  (20  janv.) 21 

Saint  Sébastien  (20  janv.) 22 

Sainte  Agnès  (2  1  janv.) 2  3 

Saint  Vincent  (22  janv.) 2  4 

Saint  Timothée  (22  janv.).  ...  // 

Conversion   de  aint   Paul    (28 

janv.) 2  5 

Saint  Prix  le  martyr  (2  5  janv.) .  26 

Sainte  Savine  (99  janv.) 27 

Saint  Savinien  (29  janv.) 28 

Saint  Ignace  (1"  févr.) 29 

Purification  (2  févr.) 3o 

Saint  Biaise  (  3  févr.) 3 1 

Sainte  Agathe  (5  févr.) 32 

Saint  Vast(  6  févr.) 33 

Saint  Amand  (6  févr.) 34 

Saint  Valentin  (1 4  fév.) 35 

Sainte  Julienne  (  1  6  févr.) 36 

Chaire  de  saint  Pierre  (  2 2  fév.).  37 

Saint  Mathias  (24  févr.) 38 

Saint  Satyr    et   saint   Saturnin 

(7  mars) , 39 

Saint  Vigile,  évêque  d'Auxerre 

(  1  I  mars) 4o 

Saint  Grégoire,  pape  (1  2  mars).  4 1 

Saint  Longin  (i5  mars) 4a 

Saint  Benoit  (2  1  mars) 43 

Annonciation  (25  mars) 45 

Saint  Ambroise  (  4  avr.) 46 

Saint  Mamertin  (20  avr.) 47 

Saint  Marien  (20  avr.) 48 

Saint  Georges  (23  avr.) 5o 


Saint  Marc  (25  avr.) Si 

Litanies // 

Saint  Vital  (28  avr.)  .       82 

Saint  Philippe,  apôtre  (i"  mai).  53 

Saint  Jacques  le  Mineur  (i"  mai)  54 
Saint  Amateur,  évêque  d'Auxerre 

(i"  mai) // 

Saint  Athanase  (  2  mai) // 

Invention  de  la  Croix  (3  mai). .  55 

Saint  Alexandre ,  pape  (3  mai).  57 

Saint  Quiriaque  (4  mai) 58 

Saint  Jean  Porte-Latine  (6  mai).  // 

Saint  Gordien  (10  mai) 69 

Saint  Pancrace  (12  mai) 60 

Saint  Nérée   et    saint    Achillée 

(1  2  mai) 61 

Toussaint  (1  2  mai)  '^' // 

Saint  Pérégrin  (16  mai) 62 

Saint  Urbain  (25  mai) 63 

Saint Prisque  (26  mai).       ...  64 

Sainte  Pétronille  (3i  mai).  ...  65 
Saint    Pierre    et    saint    Marcel 

(3  juin) 66 

Saint   Prime  et   saint   Félicien 

(9  juin) .•; ^7 

Saint  Barnabe  (1  1  juin) 68 

Saint  Vit  (1  5  juin) 69 

Saint    Cyrice    et    sainte    Julite 

(16  juin) 70 

Saint    Gervais  et  saint  Protais 

(«9JU'") ;•. 7' 

Saint  Alban  (22  juin) 72 

Saint  Jean  Baptiste  (  2  4  juin  ) .  .  73 

Saint  Gallican  (26  juin) 74 

Saint  Jean  et  saint  Paul  (2  6  juin).  75 

Saint     Pierre     et     saint     Paul 

(29  juin) •/. 76 

Saint  Paul  (29  juin) 77 

Saint  Martial  (3o  juin) 78 

Saint  Procès  et  saint  Martinien 

(ajuill.) 80 


'"'  Fait  défaut  dans  le  ms.  lat.  .SGSg. 

'•**  C'est  la    première   date   de   cette    fête, 


transportée  au  i"  novembre  par  le  pape  saint 
Grégoire  le  Grand. 


II.  LEGENDES  EN  PROSE. 


/i53 


Translation     de    saint    Martin 

(/ijuill.) 83 

Sainte  Félicité  (lo  juili.) 84 

Saint  Victor'')  (21  juili.) 86 

Sainte  Marguerite  (20  juili.). .  ,  87 

Sainte  Praxède  (2  1  juili.) // 

Sainte  Marie-Madeleine  (2  2  juili.)  88 

Sainte  Marthe  ''•^>  (  2 9  juili.). ...  89 

Saint  Apollinaire  (a  3  juiU.) ....  90 

Saint  JacquesleMajeur(25juill.)  91 

Saint  Christophe  (2  5  juili.). .  .  .  92 

Les  Sept  donnants  (27  juili.),  .  gS 

Saint  Pantaléon  (27  juili.).  ...  9/1 

Saint  Nazaire  (28  juili.) 96 

Saint  Félix  (29  juili.) 96 

Saint  Simjdice  et  saint  Faustin 

(agJyiU.) 97 

Saint    Loup,    év.    de    Troyes 

(29  juili-) 98 

Saint   Abdon   et  saint   Sennen 

(3o  juili.) 99 

Saint      Germain       l'Auxerrois 

(3i  juili.) ICO 

Saint  Pierre  es  liens  (  1"  août) .  101 

Les  Machabées  (1"  août) J02 

Saint  Eusèbe ,  évêque  de  Verceil 

{i"  août). io3 

Saint  Etienne,  pape  (2  août).  .  io4 
Translation    de    saint    Etienne 

(3  août) .*.  1  o5 

Saint     Cassien     d'Alexandrie  '" 

(5  août) 106 

Saint  Dominique  (4  août)  ....  107 

Saint  Sixte,  pape  (6  août) ,  .  .  .  1  08 

Saint  Donat  (7  août) 109 

Saint  Cyriaque  (8  août) 110 

Saint  Laurent  (  1  o  août) 111 

'*'  Saint  Victor  de  Marseille.. 

'*'  Cette  vie  manque  dans  le  ms.  lat.  SGSg. 
Da  reste  elle  n'est  pas  à  sa  place.  On  a  évi- 
demment voulu  la  rapprocher  de  la  légende 
de  Marie-Madeleine. 

'''  Cette  vie  et  la  suivante  manquent  dans 
le  ms.  lat.  6639. 


Saint  Hippolyte  (  1  3  août) 

Saint  Eusèbe .  prêtre  '^'  (  1  4  août). 

Assomption®  (  1 5  août) 

Saint  Agapet  (18  août) 

Saint  Bernard  de  Clainaux 
(20  août) 

Saint  Timothée  (22  août) 

Saint  Symphorien  (22  août).. 

Saint  Timothée  et  saint  Apolli- 
naire (23  août) 

Saint  Barthélenii  (24  août).  .  . 

Saint  Augustin  (28  août) 

Saint  Julien  de  Vienne  (28  août). 

Saint  Julien  l'hospitalier  ^^K  .  .  . 

Décollation  de  saint  Jean 
Baptiste  (29  août) 

Saint  Félix  de  Rome  (3o  août). 

Saint  Loup  d'Orléans  (  1"  sept.). 

Saint  Gilles  (1"  sept.) 

Nativité  de  Notre-Dame  (  8  sept.). 

Saint  Adrien  (8  sept.) 

Saint  Gourgon  et  saint  Dorothée 

(gs^Tt-)-. : / 

Exaltation   de  la   Sainte  Croix 

(i4  sept.) 

Saint  Corneille,  pape  (  1 4  sept.) 

Saint  Cyprien  (i4  sept.) 

Sainte  Euphémie  (  1 6  sept.  ) .  .  . 

Sainte  Lucie  et  saint  Géminien 
(16  sept.) 

Saint  Lambert  (  1  7  sept.) 

Saint  Mathieu  (2  1  sept.) 

Saint  Maurice  ( 2  2  sept.) 

Sainte  Thècle  de  Séleucie  (23 
sept.  ) 

Saint  Andoche  (24  sept.) 

Saint  Firmin  (  2  5  sept.  ) // 

'*'  Cette  légende ,  qui  n'a  que  trois  lignes , 
manque  dans  le  même  manuscrit. 

'''  Suivent  divers  miracles,  sur  lesquels 
voir  la  notice  du  Légendier  en  ordre  liturgique 
(Notices  et  extraits,  XXXVI,  48). 

''*  Devrait  être  au  ag  janvier;  voir  le  mé- 
moire précité,  à  l'art.  123. 


1  2 
l3 

i4 
i5 

16 

'7 
18 

•9 
20 

2  1 
22 

23 

24 

2  5 

26 

27 
28 

29 

3o 
3i 

32 

33 
34 

35 
36 

37 
38 

39 


454 


LEGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


Sainte  Justine  et  saint  Cyprien 

(  2 6  sept. ) 1  4o 

Saint    Cùme   et   saint   Damien 

(  2  y  sept.) I  4 1 

Saint  Michel  (29  sept.) 1^2 

Saint  Jérôme  (3o  sept.) 1  43 

Saint  Léger  (2  oct.) 1  45 

Sainte  Foi  (6  oct.) 1  46 

Sainte  Pélagie  d'Antioche( 8  oct.)  1  k"] 
Sainte  Marguerite  dite  Pelage'" 

(8  oct.) i48 

Saint   Serge   et    saint  Bacchus 

(7  oct.) 1  49 

Saint  Denis  (9  oct.) 1 5  1 

Saint  Calixte  (  1  4  oct.) 1  52 

Saint  Léonard  de  Noblat  et  saint 

Léonard  de  Corbigni  (  1  5  oct.) .  .  .  i  53 

Saint  Luc  (  1 8  oct.) 1  54 

Saint  Just  (  1 8  oct.) 1  55 

Les  Onze  mille  vierges  (  2  1  oct.  ).  1 56 


Saint  Crépin  et  saint  Crépinien 

(25  oct.) \h-j 

Saint    Simon     et     saint    Jude 

(a5  oct.) i58 

Saint  Quentin  (3  i  oct.) 1  59 

Saint  Eustache  (ao  sept.)'"^'.  .  .  160 

Les  Quatre  couronnés  (8  nov.).  « 

Saint  Théodore  (9  nov.) « 

Saint  Martin ,  pape  (  1  2  nov.). .  n 

Saint  Mennas  (  1 1  nov.)    n 

Saint  Martin  de  Tours  (  1  1  nov.).  i  6 1 

Saint  Brice  (  1  3  nov.) 162 

Sainte  Cécile  (22  nov.) i63 

Saint  Clément,  pape  (23  nov.).  i64 
Saint  Chrysogone  (24  nov.).  .  .  i  65 
Sainte  Catherine  (2  5  nOv.). ...  1 66 
Saint  Saturnin,  martyr  à  Tou- 
louse (29  nov.) 1  67 

Saint  Saturnin,  martyr  à  Rome 

(29  nov.) 168 


Les  dix  légendes  que  le  légendier  français  n'a  pas  empruntées  à 
VAbbreviado  sont  celles  des  saints  Fuscien  et  Victorique  (4),  de  saint 
Nicaisc  (6),  de  sainte  Marie  l'Egyptienne  (44),  des  saints  Tiburce  et 
Valérien  (49),  de  sainte  Restorée,  sancta  Restituta  (56),  de  saint  Thi- 
baut (79),  de  saint  Erasme  (81),  de  saint  Alexis(85),  de  saint  Fran- 
çois d'Assise  (i5o),  et  enfin  (82)  une  homélie  sur  la  résurrection  du 
fils  de  la  veuve  (Luc,  vu,  1 1-1 5  ^^^).  Il  e^  peu  vraisemblable  que  le 
traducteur  ait  eu  un  texte  de  YAbbreviatio  différent  de  celui  qui  nous 
est  parvenu  en  plusieurs  copies.  On  est  plutôt  porté  à  croire  qu'il 
s'est  octroyé  la  liberté  d'omettre  certaines  légendes  et  d'en  ajouter 
d'autres.  Cette  supposition  est  d'autant  plus  vraisemblable  qu'il  paraît 
avoir  traité  très  librement  son  original.  Dans  les  morceaux  qu'il  a 
traduits,  il  ne  s'est  pas  astreint  à  suivre  littéralement  le  texte.  C'est 
ainsi  qu'il  a  supprimé,  comme  étant  peu  appropriées  au  but  qu'il  se 


<"'  Celte  légende  est  jointe  à  la  précédente , 
comme  dit  le  compilateur,  «  propter  morum  et 
•  nominuni  siniilitudinem  ».  Mais  la  similitnde 
du  nom  n'est  pas  complète.  11  s'agit  d'une 
vierge  appelée  Marguerite  qui,  déguisée  en 
homme  et  sous  le  nom  de  Pelagiiis,  se  rend 


dans  un  monastère.  Cette  légende  a  été  ré- 
sumée par  Jacques  de  Varazze,  éd.  Grasse, 
chap.  CLi. 

'^  Anciennement  au  1  novembre. 

'''  C'est  l'évangile  du  quinzième  dimanche 
après  la  Pentecôte. 


If.  LEGENDES  EN  PROSE. 


455 


proposait,  toutes  les  discussions  historiques  auxquelles  s'est  livré,  en 
certains  cas,  l'auteur  de  V Abbreviado ,  et  où  celui-ci  faitpreuve  d'un  sens 
critique  bien  rare  chez  les  auteurs  de  compilations  hagiographiques  '"'. 
La  composition  de  notre  légendier  français  soulève  une  autre 
question  à  laquelle  il  n'a  pas  été  possible,  jusqu'ici,  de  donner  une 
réponse  satisfaisante.  Entre  les  168  articles  dont  il  se  compose,  il  en 
est  3o  au  moins  qui  se  rencontrent,  mêlés  à  des  légendes  dont  la 
source  n'est  pasY Abbreviatio ,  dans  certains  des  légendiers  précédem- 
ment examinés,  notamment  dans  le  manuscrit  772  de  Lyon,  dans 
celui  de  Dublin,  dans  les  manuscrits  des  groupes  Dct£'*'^',  etc.  Faut-il 
croire  que  ces  3o  articles  ont  été  empruntés  à  notre  légendier  par  les 
compilateurs  de  ces  divers  recueils,  ou,  inversement,  que  l'auteur  de 
notre  légendier  les  a  pris  à  des  recueils  antérieurs.'*  La  première  hypo- 
thèse paraît  vraisemblable  en  certains  cas  :  nous  l'avons  dit  en  trai- 
tant du  manuscrit  772  de  Lyon  et  du  manuscrit  de  Dublin;  mais  eu 
d'autres  cas  elle  n'est  guère  admissible  ^^K  Une  particularité  à  noter, 
et  dont  l'explication  nous  échappe,  est  que,  parmi  ces  trente  ar- 
ticles, dix-sept  sont  compris  dans  les  vingt-huit  premiers  numéros  du 
Légendier  classé  selon  l'ordre  liturgique,  c'est-à-dire  dans  les  deux 
premiers  mois;  les  treize  autres  sont  répartis  entre  les  mois  de  février 
à  juillet  C). 

Légendier  de  Chartres.  [Bïbl.  de  Chartres,  n"  333,  fol.  73-110.)  — 


'''  Voir  la  notice  du  Légendier  français  classé 
selon  l'ordre  de  l'année  liturgique,  notes  des 
art.  58,  70,  et  aussi  les  art.  1 14  et  ia8. 

^^  Les  articles  saint  Eloi  (  2  ) ,  saint  Nico- 
las (3),  saint  Fuscien  et  saint  Victorique  {à), 
saint  Nicaise  (6)  ,  Nativité  (8),  sainte  Ana- 
stasie(9),  saint  Etienne  (10),  Innocents  (12), 
saint  Thomas  de  Cantorbéry  (i3),  sainte  Co- 
lombe (i5),  saint  Julien  et  sainte  Basilisse 
(17),  saint  Hilaire  de  Poitiers  (18),  saint  Fé- 
lix (19),  saint  Antoine  (20),  saint  Vincent 
(a4),  Conversion  de  saint  Paul  (26),  saint  Savi- 
nien  (28),  saint  Biaise  (3i),  Chaire  de  saint 
Pierre  {37),  saint  Mathias  (38),  saint  Gré- 
goire (4i),  sainte  Marie  l'Egyptienne  (44), 
Annonciation  (45),  Invention  de  la  Croix 
(55),  saint  Barnabe  (68),  saint  Jean  Baptiste 
(73),  saint  Thibaut  (79),  sainte  Marie-Made- 
leine (88),    sainte  Marthe (  89),   saint  Rémi 


(i44,  an  1"  octobre,  date  de  la  translation, 
mais  l'Abbreviatio  et  certains  mss.  français  pla- 
cent cette  légende  au  1 3  janvier,  ce  tpii  sem- 
ble plus  correct;  voir  Notices  et  extraits, 
XXXVl,  20,  note  2). 

'■^'  Par  exemple ,  le  morceau  sur  la  Nativité 
du  Christ  (8),  dont  pourtant  le  texte  latin 
existe  dans  VAbbreviatio  (voir  Notices  et  extraits, 
XXXVl,  17),  se  rencontre  dans  tant  de  manu- 
scrits, dont  plusieurs  ne  sont  pas  proprement 
des  légendiers,  qu'on  ne  peut  sans  invraisem- 
blance le  considérer  comme  emprunté  au  Lé- 
gendier liturgique.  L'inverse  est  beaucoup  plus 
probable ,  d'autant  plus  que  ce  morceau  a  tout 
à  fait  l'allure  d'un  sermon,  étant  entrecoupé 
d'adresses  du  prédicateur  à  ses  auditeurs ,  ce 
c[ui  n'est  pas  du  tout  dans  le  caractère  des 
autres  morceaux  dont  se  compose  le  légendier. 

C  Voir  Notices  et  extraits,  XXXVI,  6. 


456  LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 

Le  recueil  dont  nous  allons  traiter  présentement  est  beaucoup 
moins  étendu  que  le  précédent.  Il  a  été  certainement  composé  dans 
le  diocèse  de  Chartres.  Il  ne  paraît  pas  avoir  été  fort  répandu,  car 
on  n'en  connaît  qu'un  seul  manuscrit,  conservé  et  très  probablement 
exécuté  à  Chartres.  Il  renferme  45  légendes,  assez  brièvement  contées, 
dont  voici  l'énumération*''  : 

1 ,  Saint  André;  2,  saint  Nicolas;  3,  Conception  N.-D. ;  II,  sainte  Luce;  5,  saint 
Thomas,  apôtre  ;  6 ,  saint  Etienne  ;  7 ,  saint  Jean  l'év.  ;  8 ,  les  Innocents  ;  9 ,  saint  Thomas 
de  Cantorbéry;  10,  saint  Silvestie;  11,  saint  Hilaire;  12,  saint  Lomer;  13,  saint 
Fabien;  1^,  saint  Vincent;  15,  saint  Julien;  16,  saint  Biaise;  17,  saint  Grégoire; 
18,  saint  Lubin;  19,  saint  Benoit;  20,  l'Annonciation;  21,  saint  Georges  ;  22,  saint 
Marc;  23,  les  Rogations  (grande  litanie);  24,  les  autres  Rogations  (petite  litanie); 
25,  l'invention  de  la  Croix;  26,  saint  Chéron;  27,  saint  Barnabe;  28,  la  Nativité 
de  saint  Jean  Baptiste;  29,  saint  Pierre  et  saint  Paul;  30,  saint  Martin;  31,  saint 
Arnoul;  32  ,  sainte  Marie-Madeleine;  33,  saint  Christophe;  34,  sainte  Anne;  35,  saint 
Germain  l' Auxerrois  ;  36 ,  saint  Pierre  es  liens  ;  37 ,  saint  Etienne ,  pape  ;  38 ,  saint  Syni- 
phorien;  39,  la  Nativité  N.-D.  ;  40,  saint  Mathieu;  4l  ,  saint  Michel;  42,  saint  Simon 
et  saint  Jude;  43,  la  Toussaint;  44,  sainte  Cécile;  45,  saint  Clément. 

Suivent  un  sermon  surles dîmes,  un  «  communis  sermo  de  uno  apo- 
«stolo»,  d'autres  sermons  «de  pluribus  confessoribus » ,  «de  uno 
«  confessore  » ,  sur  la  dédicace  des  églises  et  sur  la  Purification  de 
Notre-Dame. 

La  présence  de  saints  spéciaux  au  diocèse  de  Chartres  (saint  Lomer, 
saint  Lubin,  saint  Chéron),  et  qui  ailleurs  étaient  peu  connus,  indique 
clairement  l'origine  du  recueil.  Les  légendes  proprement  chartraines 
ont  été  publiées  par  M.  Lecocq  dans  les  Mémoires  de  la  Société  archéo- 
logicfue  d'Eure-et-Loir,  t.  IV  (1867),  P-  ^9^  ^^  suiv.,  avec  le  sermon 
sur  les  dîmes.  Celle  de  saint  Christophe  et  le  commencement  de  celle 
de  saint  André  ont  été  insérés  dans  une  notice  du  manuscrit  de  Char- 
tres [Romania,  XXllI,  180).  Ces  extraits  suffisent  à  donner  une 
idée  de  ce  recueil,  qui  paraît  avoir  été  destiné  à  fournir  la  matière  de 
sermons. 

Nous  ne  croyons  pas  avoir  épuisé,  dans  cette  longue  notice,  toute 
la  série  des  versions  en  prose  française  des  légendes  hagiographiques. 

<'*  La  liste  donnée  dans  le  Catalogue  général  des  manascrits  des  bibliothèques  de  France,  XI, 
160,  est  incomplète. 


II.   LÉGENDES  EN  PROSE.  ^57 

Nous  nous  sommes  surtout  attachés  à  l'élude  des  recueils  où  les  lé- 
gendes sont  plus  ou  moins  systématiquement  groupées,  des  légen- 
diers  proprement  dits.  Mais  on  a  fait,  vers  la  fin  du  xiii*  siècle  et  au 
commencement  du  xiv*,  des  traductions  françaises  de  certaines  vies 
de  saints,  qui  n'ont  pas  pris  place  dans  les  légendiers.  Nous  nous 
proposons  de  leur  consacrer  plus  tard  de  brèves  notices. 

Commue  nous  l'avons  fait  précédemment  pour  les  versions  des  Vies 
des  Pèr  s,  nous  donnerons,  en  terminant,  la  liste,  par  bibliothèques, 
des  ni  t  ip  crits  utilisés  dans  la  présente  notice. 


Âlençon  27. 43 1 

Arras  807 4^9 

—  657' Ma 

Braxelles  gaaS 383  (note  1), 

4ii  (note  3),  4^5 

—  ioa95-io3o4 438 

—  10326  (  B) 4oo 

Cambridge ,  S.  John's  Coll.  9 434 

Chantilly,  Mtuëe  Condé  {E) .  .    382  (note  1) , 

421 

Chartres  333 455 

Cheltenham,  Bibl.  Phillipps  366o  [E). 

382  (note  1],  421 

Copenhague,  fonds  de  Tholt  217 443 

Dublin,  Trin.  Coll.  B.  2.  8 44o 

Epinal  70 45o  (note  5) 

Florence,  Laur. ,  Med.-Pal.  i4i 448 

Leipzig  i55i 45 1 

Lille  45 1 45o  (note  5) 

Londres,  Mus.  br..  Royal  20  D  vi  (C). 

4o3(note  1),  4i  1 

—  —       Harl.  2  2  53 393 

—  —       Harl.  4409 385  (note  3) 

—  —      Add.  6524(B') 4o6 

—  —       Add.  i523i..      45o  (note  5) 

—  —       Add.  i56o6..      385(nole3) 

—  —       Add.  17275  (G).  382  (note  1), 

425-9 

—  —       Eg.  2710 393 


Lyon  770 396,  398-9 

—  77a 38a  (note  1),  44» 

.Modène ,  Bibl.  d'Esté  ,  fonds  étr.  1 16. .      396 , 

398-9. 

Oxford,  Queen'sColl.  3o5..  38a  (note  i),  435 

Paris,  Arsenal  35 16 388-9,     393-4 

—  —       3684 45i 

—  —      3706 45o 

—  Bibl.  Mazarine  1716  (£') 422 

—  —        1731 45i 

—  Bibl.naf.,   fr.    i83.  .    38a  (note  i),  42  5 

—  —         —    i85..    382  (note  i),4a5 

—  —  —    187.    391  (note  2),  393, 

4 1 5  (  note  2  ) 

—  —         —   409.    393,  4i5  (note  a) 
_        _         _   4i,  (6") 4i4-6 

—  —        —  4i2(C) 4ii-4 

—  —        —  4i3(F) '91,424 

—  —         —   422.    389,39o(nole  1). 

443 

—  —        —  423 445 

_       _        —  686 399 

—  —         —   696 385  (note  3), 

386 

—  —  —  818 443,446 

—  —  —  834 39 1 

—  —  —  907-   393,  4i 5  (note  2) 

—  —  —  957 39 1 

—  —  —  987 435 

—  —  —  988 ....     39 1  (  note  2  )  y 

45o  (note  5) 

—  —         —    io38 39a 

—  —         —    io4o. . . .     385  (note  3) 


''*   .N°  189  du  Catalogue  imprimé  (  Catalogue  général  des  manuscrils,  in-4°,  t.  IV). 

HIST.  I.ITTBR.  XXXlII.  58 


458 


LÉGENDES  HAGIOGRAPHIQUES  EN  FRANÇAIS. 


Pari»,  Bibl.  nat.,  fr. 


i5M 

i546 

i553 

i85o 

2464 

6447  (O') 
13496.. .  . 
i35o2 . . 


. .  393 
...  388 
, . .  387 
, . .  393 
.  38i-3 
4i6,  4ao 
...  437 
385  (note  3) 


iSaio 391 

17329(0).  391,416-20 
19625.. .  393,  394-5 

19531 389,  392  , 

443 
22495.  .   4i5  (note  2) 
19530.  .   385  (note  3) 

a3i  12 432 

23117  i^'")--   391,424 


Paris ,  Bibl.  nat. ,    fr.    24^09..      4i5(nole2) 

—  —         —   25532 443 

—  —  N.  acq.  fr.  10128  (B).     4oo 

—  —         lat.  5639. ..     45i(note4) 

—  Bibl.  Sainte-Geneviève  587. .    439, 

45o  (note  5) 

—  —     588(C'),  382  (note  1). 

4o8-ii 


Reims,  291, 


395 


Saint-Pétersbourg,  Bibl.  imp.,  fr.  35..    396-7, 

436,  45o 

Tours  1008 396,  398  9 

—   ioi5 435 

Troyes,  1966 385  (note  3) 

Turin  L.1.5 4i5  (note  2) 


P.  M. 


JACQUES  DE  LAUSANNE 
FRÈRE  PRÊCHEUR. 

Antoine  de  Sienne  fait  deux  personnages  d'un  seul'".  11  appelle  l'un 
des  deux  Jacobus  de  Osanna,  et  le  place  en  l'année  i3i4;  l'autre  Ja- 
cobns  de  Lausania  :  quant  à  ce  Jacobus  de  Laiisania,  il  vécut,  dit-il, 
suivant  quelques-uns,  en  1263,  suivant  d'autres  en  iSyô.  Mais  il 
tient  ces  deux  dates  pour  également  fausses,  car  il  a  lu  dans  de  vieux 
papiers ,  à  Barcelone,  que  ce  Jacobus  de  Lausania  vivait  en  1817.  Donc 
ces  deux  homonymes  auraient  été  contemporains,  d'abord  l'un 
et  l'autre  frères  Prêcheurs  et  plus  tard,  dans  le  même  temps,  l'un  et 
l'autre  évêques  de  Lausanne.  Du  Cange  ne  paraît  pas  admettre  la 
distinction  de  ces  deux  Jacques  '^',  et  Fabricius  l'a  sans  hésitation 
rejetée'^'.  Elle  n'avait  pas  d'autre  fondement,  même  pour  Antoine  de 
Sienne,  qu'une  erreur  commise,  au  xvi*  siècle,  par  un  écrivain  espa- 
gnol, le  dominicain  Jean  de  la  Cruz. 

Jacques  de  Lausanne,  ainsi  nommé  du  lieu  de  sa  naissance,  entra, 
dès  sa  première  jeunesse,  au  couvent  que  1rs  religieux  de  Saint- 
Dominique  possédaient  en  cette  ville  depuis  environ  i2  3o'''l  11  fut 
ensuite  envoyé,  ayant  été  jugé  capable  de  pousser  plus  loin  ses 
études,  dans  la  florissante  maison  de  Saint- Jacques,  à  Paris.  Mais  vers 
quelle  année  ?  C'est  là  ce  qu'on  ignore.  Nous  le  trouvons  pour  la 
première  fois  à  Paris  en  l'année  i3o3. 

Un  témoignage  peut  être  allégué  comme  prouvant  qu'il  quitta  Lau- 
sanne quelques  temps  auparavant.  Un  de  ses  sermons  prêché  dans  la 
ville  de  Reims  in  synodo,  ou,  comme  nous  lisons  ailleurs,  in  consis- 
torio  in  capitulo''^\  a  pour  date,  dans  un  manuscrit  de  Vienne'^',  l'année 
1 3oo.  Mais  une  note  tirée  d'un  autre  manuscrit,  que  possédait  l'abbé 
Decamps,  abbé  de  Signi,  et  transcrite  sur  une  des  marges  du  ms.  latin 
18181,  fol.  32  1,  de  la  Bibliothèque  nationale,  rapporte  ce  chapitre 
provincial  et  ce  sermon  à  l'année  1807. 

'■'   Bibliolheca  fr.  Preed. ,  ip.  122,129.  '*'   Q^étii  et  Echard,  Sci-ipl.  ord.  Prœd.,  t.], 

<*'  Glossar.  med.  et  inf.  latin.,  t.  VII,  p.  397.  p.  547- 

'''   Bibliotheca   med.    et    inf.    alalif ,    t.    iV,  '''   Bibl.  nat.,  ms.  Jat.    14799,  loi.  222'. 

p.  i3,  i.S.  '''    Tabula  cod.  nus.  Vind.,  n°  63 1. 

58. 


460  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

Voici  maintenant  des  documents  dignes  d'une  entière  confiance. 
Le  26  juin  i3o3,  Jacques  de  Lausanne  assiste,  à  Paris,  au  chapitre 
de  son  ordre  extraordinairement  assemblé  pour  délibérer  sur  la  con- 
vocation, demandée  par  le  roi,  d'un  concile  général.  Il  est  encore 
simple  frère''^  C'est  au'mois  de  mai  i3i  1  qu'il  est  appelé,  pour  la 
première  fois,  à  commencer  ses  exercices  de  bachelier.  À  cette  date, 
un  chapitre  général,  tenu  dans  la  ville  de  Naples,  l'autorise  à  lire 
l'Ecriture  Sainte  au  couvent  de  Saint-Jacques'"'^'.  Il  figure  encore  avec 
le  titre  de  bacchalarius  Bibliœ,  dans  une  pièce  du  mois  de  juillet  1 3 1  4 , 
parmi  les  théologiens  chargés  d'examiner  un  livre  suspect  de  Durand 
de  Saiut-Pourçain'^'.  Cependant,  au  mois  de  juin  i3i3,  il  avait  été 
désigné  pour  commenter  les  Sentences  fannée  suivante'*',  el  une 
décision  capitulaire  du  mois  de  mai  1 3 1 4  avait  confirmé  cette  désigna- 
tion'^'. Les  leçons  des  sententiaires  ne  commençant  que  le  10  oc- 
tobre, Jacques  de  Lausanne  dut  prendre  possession  de  sa  nouvelle 
chaire  au  mois  d'octobre  1 3 1 4i  et  Bernard  Gui  nous  atteste  qu'il  l'oc- 
cupait en  1 3i6'^',  sans  doute  avec  le  titre  de  bachelier  «  formé  ».  Ses 
leçons  eurent,  comme  il  paraît,  un  grand  succès  :  car,  en  fannée  1 3 1  7, 
le  roi  Philippe  pria  le  pape  de  lui  faire  octroyer  au  plus  tôt  la 
licence,  et,  le  3  juillet  de  cette  année,  le  pape  écrivit  au  chancelier 
Thomas  de  Bailli ,  f  invitant  à  faire  ce  que  le  roi  désirait,  sans  retarder 

f)0ur  cela  la  collation  du  même  grade  aux  candidats  présentés  par 
es  supérieurs  de  f  ordre'^'.  Cela  veut  dire  que  le  pape  demandait  pour 
lui  ce  qu'on  appelle  un  tour  de  faveur.  Il  lui  fut  accordé  :  Jacques 
de  Lausanne  fut  pourvu  de  licence  avant  la  Saint-Martin  de  l'année 
i3i7'«'. 

Une  des  obligations  des  bacheliers  était  de  prêcher  quelquefois, 
devant  faire  leurs  preuves  en  ce  genre  d'exercice.  Jacques  de  Lau- 
sanne prêchait  certainement  dans  les  églises  de  Paris  dès  Tannée  1 3 1 5. 
C'est  lui-même  qui  nous  fapprend.  Nous  lisons,  en  effet,  dans  un  de 
ses  sermons  :  Beatas  Dominicas ,  institutor  et  rector  noster,  vocal  nos 
fratres  ordinis  sui  ad.  .  .  slatuni  contemplationis.  Ordo  reniiit  et  excusât 

'"'  Charlul.  Univ.  Paris.,  t.  Il,  p.  102.  '*'   Chartul.  Unir.  Paris.,  t.  Il,  p.  172. 

1')  Ibid.,  p.  i48.  <•'  QuélifetÉchard,  loc.  cit. 

'''  Les  Commentarii  in  IV  libros  Sententiarum  '''  Chartul.  Univ.  Paris.,  t.  II,  p.  ao6. 

(ms.  a3i  du  Mans,  fol.  i46  v°;  Catal.  (fén.  des  <*'  Denifle,  Quellen  zur  Gekhrtengeschichte 

mss. ,in-8'',  t.  XX,  p.  166).  des  Predigerorden ,  dans   Archiv  far  Ltteratur- 

'**   Cliarlul.  Univ.  Paris.,  t.  II,  p.  16.7.  und  kirchrngeschiclUe ,  i.  Il,  p.  216. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR.  461 

ouod  est  senex,  nec  solum  octogenarius ,  sed  etiam  nonagenarius  et  plus, 
hodie  est  annus  nonagenarius  octavus;  sed  certe  ista  excusatio  mala^^\ 
L'ordre  de  Saint-Dominique  ayant  été  fondé  par  Honorius  III  au 
mois  de  décembre  do  l'année  1216,  le  sermon  que  nous  venons  de 
citer  est  donc  de  l'année  1 3 1 5. 

Une  fois  en  possession  du  grade  de  licence,  Jacques  de  Lausanne  fut 
bientôt  appelé  aux  plus  hautes  fonctions  de  son  ordre.  Quand,  en 
l'année  i3i8,  Hervé  Nédellec,  prieur  delà  province  de  France,  fut 
nommé  général,  c'est  à  Jacques  de  Lausanne  que  fut  attribuée  l'ad- 
ministration de  cette  province.  En  l'année  i3qi,  venant  de  présider 
le  chapitre  provincial  dans  la  ville  de  Bourges,  il  entreprit  de  visiter 
])lusieurs  maisons  de  son  ordre;  mais,  parvenu  jusqu'au  couvent  de 
Pons,  au  diocèse  de  Maillezais,  11  y  fut  retenu  par  une  maladie  qui 
l'emporta.  On  ne  sait  pas  la  date  précise  de  sa  mort;  il  est,  du  moins, 
constant  qu'en  l'année  i32  2  (nouveau  style),  vers  la  fin  de  janvier, 
Hugues  de  Vaucemain  élait  élu  pour  le  remplacer  comme  prieur 
provincial. 

Echard  fait  ici  remarquer  que  Jean  de  Torquemada  s'est  gravement 
trompé  quand  il  a  fait  mourir  notre  docteur  sur  le  siège  épiscopal 
de  Lausanne.  L'erreur  commise  par  Torquemada  s'explique  d'autant 
moins  que  l'église  de  Lausanne  n'eut  alors  aucun  évéque  du  nom  de 
Jacques. 

Jacques  de  Lausanne  a  laissé,  comme  nous  l'avons  dit,  de  nom- 
breux écrits,  dont  quelques-uns,  fréquemment  copiés  au  xiv*  siècle 
et  au  xv%  ont  encore  paru  mériter,  au  xvi%  les  honneurs  de  l'im- 
pression. Mais  le  succès  de  ce  fécond  écrivain  n'a  pas  duré  plus 
longtemps,  même  dans  son  ordre;  Echard  ne  l'a  guère  plus  épargné 
que  Casimir  Oudin.  Ce  qu'ils  lui  reprochent  surtout  l'un  et  l'autre, 
c'est  d'avoir  toujours  manqué  de  gravité.  Il  en  manquait  peut- 
être  naturellement.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  s'est  fait  un  système 
d'être  constamment  jovial,  même  en  discourant  sur  les  choses 
qui  prêtaient  le  moins  à  rire,  et,  comme  il  n'avait  pas  de  goût,  il  a 
trouvé  partout  quelque  prétexte  pour  oser  les  badinages  les  plus  vul- 
gaires. Ajoutons  qu'il  s'exprime  dans  le  plus  mauvais  latin,  ne  s'in- 
quiétant  d'observer  aucune  règle  de  la  grammaire,  ne  faisant  consister 

<■'  Bibl.  nal.,  ms.  lat.  18181,  fol.  124'. 


'i62  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

l'art  d'écrire  qu'à  jouer  sur  les  mots,  et  se  donnant  toute  liberté  d'en 
fabriquer,  pour  être  burlesque.  Jacques  de  Lausanne  est  donc  un 
écrivain  très  peu  recommandable,  malgré  l'enjouement  et  la  vivacité 
de  son  esprit.  Faisons  pourtant  remarquer  qu'on  ne  perdra  pas  toute 
sa  peine  en  lisant  les  livres  de  cet  auteur,  car  on  trouvera,  dans  le 
fatras  de  ses  pointes  et  de  ses  autres  facéties,  un  assez  grand  nombre 
d'allusions  historiques,  d'anecdotes  et  de  traits  de  mœurs.  Nous  allons 
nous  efiforcer  de  dresser  le  catalogue  exact  de  ses  écrits. 

I.  SvpER  Sententias  lectura  Thomasina. 

Tel  est  le  titre  qu'Échard  donne  à  cet  ouvrage  qui  commence, 
dit-il,  par  ces  mots  :  Utrum  theologia  sit  scientia?  Argiiitur  (jnod  non, 
(fuia  scienda  est  de  universalibns.  Échard  a  lu,  dit-il,  ce  début  dans  un 
manuscrit  du  couvent  de  Saint-Jacques  que  nous  n'avons  pas  retrouvé. 
Mais  il  n'est  guère  possible  de  douter  de  l'exactitude  de  cette  indica- 
tion, qu'un  autre  témoignage  confirme. 

Le  manuscrit  latin  n"  1 5^2  de  la  Bibliothèque  impériale  de  Vienne 
contient,  sous  le  nom  de  Jacques  de  Lausanne,  des  Qaœstiones  super 
Sententias,  appelées  aussi  Lectura  Thomasina  snper  Sententias,  qui  com- 
mencent par  ces  mots  :  Circa  principium  primi  îibri  quœritar  primo  utrum 
sancta  theologia  sit  scientia.  Arguitur  primo  cjuod  non.  Suit  un  commen- 
taire du  premier  et  du  second  livre  des  Sentences.  Quant  au  com- 
mentaire des  livres  III  et  IV,  il  a  dû  être  également  rédigé  par  Jacques 
de  Lausanne,  mais  n'est  représenté  dans  ce  manuscrit  de  Vienne 
que  par  des  titres  de  chapitres  *'l 

En  outre,  dans  le  manuscrjt  latin  n°  4^93  de  la  même  biblio- 
thèque se  trouve,  également  sous  le  nom  de  Jacques  de  Lausanne, 
un  Compendium  Sententiarnm  Lombardi,  qui  commence  par  :  Capientes 
aliquid.  .  .  In  libro  primo  suo  Magisler  prœmittit .  .  .  Notre  auteur  a-t-il 
abrégé  les  Sentences  après  les  avoir  commentées?  Nous  reproduisons 
ce  renseignement  tel  qu'il  nous  est  fourni  par  le  Catalogue. 

II.   Postula  morales  super  Pentateuchum. 
Les  gloses  morales  sur  les  livres  divers  qui  composent  le  Penta- 

<•'  a.  Cliartal.  Unit.  Paris.,  t.  II,  p.  167. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR.  463 

teuque  n'étant  pas  toujours  réunies,  cela  nous  oblige  à  parler  séparé- 
ment de  chacune  d'elles, 

La  glose  sur  la  Genèse  nous  est  ofTerte  par  les  inss.  latins  14798 
et  1^799  de  la  Bibliothèque  nationale,  où  elle  commence  par:  Fn 
pnncipio  creavit .  .  .  In  verbis  propositis,  scihcet  «  In  pnncipio  creavit  Deus 
«  caium  »,  tangimus  (juaUior,  ratione  (juatuor  causarum  L'exemplaire  que 
contient  le  ms.  latin  6o5  de  la  même  bibliothèque  n'est  pas  une  copie 
complète;  ce  sont  des  extraits,  comme  d'ailleurs  le  titre  nous  en 
avertit  :  Extractio  moralis  postille  Jacobi  de  Lozanna  super  Genesim;  et 
ces  extraits  commencent  par  :  Terra  erat  inanis .  .  .  Ovum  venti  dicitur 
inane  et  vacuam,  quia  non  habet  virtutem  ut  inde  proveniat  puUas. 

Voici  la  méthode  du  glossateur.  11  ne  cite  pas  tous  les  mots  du 
texte,  mais  il  n'omet  aucun  de  ceux  qu'il  peut  interpréter  mo- 
ralement, et  son  interprétation  morale  est  souvent  une  satire  très 
acerbe.  Ce  sont  les  évêques  qu'il  traite  le  plus  mal,  mais  sans  épargner 
les  curés,  les  usuriers,  les  avocats,  les  nobles  et  les  femmes.  Son  in- 
struction en  matière  d'exégèse  est  à  peu  près  nulle;  ce  qu'il  sait  le 
mieux,  c'est  l'histoire  naturelle,  comme  il  a  pu  l'apprendre  dans  les 
bestiaires  et  dans  les  Étvniologies  d'Isidore  de  Séville.  Elle  lui  sert  à 
comparer  les  mœurs  des  hommes  à  celles  des  animaux;  ce  qu'il  fait 
constamment,  quelquefois  avec  esprit.  En  somme,  qu'on  n'aille  cher- 
cher dans  cette  glose  aucune  explication  du  texte;  on  n'y  trouvera 
que  des  moralités  plus  ou  moins  ingénieuses. 

Les  évêques  vsont,  disons-nous,  particulièrement  censurés.  H  les 
compare  à  Lamech  qui,  suivant  la  tradition''',  était  grand  chasseur 
quoique  aveugle,  et  qui,  chassant  sous  la  conduite  d'un  enfant,  tua 
Caïn  lorsqu'il  pensait  tuer  une  bête.  Ainsi  les  évêques,  atteints  de  la 
même  cécité,  frappent,  au  lieu  des  pervers,  les  plus  honnêtes  gens'^*. 
Faut-il  s'en  étonner?  Ce  sont,  pour  la  plupart,  des  parvenus  sans 
titres;  ce  qui  les  a  faits  ce  qu'ils  sont,  c'est  la  simonie,  c'est  le  népotisme. 
L'Église  défend  aux  évêques  d'avoir  des  femmes,  des  enfants;  ils  n'en 
ont  pas  de  jure;  mais,  de  facto,  c'est  tout  autre  chose.  Voilà  un  bien 
grand  mal'^'.  Quant  à  la  simonie,  c'est  un  vice  qu'on  ne  prend  plus 
même  la  peine  de  dissimuler  :  Nota  de  episcopo  qui  dixit  alleri  episcopo, 


'"'  ÇÂ.Historiascolastica,Genesis,<:\\.\\\\ui  ''*  Ms.  6o5,  fol.  8  v°. 

(Migne,  t.  CXCVm,  1079).  '*'  Ibid.M.  ^  v°.  Ms.  14798,  fol.  4o5V. 


464  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

et  ille  dixii  jratri  Jacobo  de  Losanna  :  «  Scio  (fuod  maie  inlravi;  »  sed  pro 
lerecundia  non  audebat  dimittere^^K 

Si  les  évêques  sont  tellement  blâmables,  les  chanoines  qui  com- 
posent leurs  chapitres  ne  valent  pas  mieux  qu'eux.  Les  méchants  y 
sont  étroitement  associés  contre  les  bons.  Quelqu'un  s'avise-t-il  de 
censurer  un  coupable.'*  La  masse  indignée  le  défend  et  charge 
l'honnête  homme  de  ses  imprécations.  Nous  citons  au  hasard; 
presque  à  chaque  page  on  rencontre  des  traits  pareils.  Les  religieux 
étaient  alors  en  guerre  avec  les  évoques  qui  contestaient  leurs  privi- 
lèges, et,  des  deux  parts,  on  s'accusait  avec  la  même  aigreur. 

La  glose  sur  l'Exode  est,  plus  ou  moins  complète,  dans  le  n"  60 5 
de  la  Bibliothèque  nationale,  où  elle  commence  par  :  Hœc  sunt  no- 
mina.  .  .  Moraliter  exponitur  sic.  Le  ton  de  cette  glose  est  celui  de  la 
précédente.  Quelques  prélats  prétendent  réformer  les  mœurs  de  leurs 
clercs.  Ils  ressemblent,  dit  le  glossateur,  à  certain  vieux  crabe  qui 
voulait  instruire  un  jeune  à  marcher  droil;  mais  le  jeune  répondait 
au  vieux  :  «  Maître,  je  marche  comme  vous'^l  »  Nous  traduisons  le 
passage  suivant  sur  les  dévotes  d'autrefois  :  «  Le  pauvre,  n'ayant  pas 
«  d'horloge,  se  lève  au  chant  du  coq  et  commence  à  travailler;  il  dii- 
«  fère  en  cela  de  la  poule,  qui,  souvent  placée  près  du  coq ,  ne  se  lève 
«pas  à  sa  voix,  mais  commence  à  bien  glousser.  Le  coq  est  le  pré- 
«  dicateur,  les  poules  sont  les  béguines.  De  même  que  les  poules  ne  se 
«lèvent  pas  à  la  voix  du  coq,  mais  gloussent,  ainsi  les  béguines  ne 
«se  disposent  pas,  entendant  la  voix  du  prédicateur,  à  faire  quelque 
«  bonne  œuvre;  mais  elles  babillent  entre  elles  :  «  Ah!  qu'il  a  bien  dit 
M  cela!  Qu'il  a  bien  piqué  son  homme  !  »  Mais  le  pauvre  diable,  le  prédi- 
«  cateur  entendu,  aussitôt  se  présente,  en  disant  :  «  Maître,  que  voulez- 
«  vous  que  je  fasse'^'  ?  »  Voilà  ce  qu'on  est  sans  doute  surpris  de  ren- 
contrer dans  une  paraphrase  sur  le  neuvième  chapitre  de  l'Exode. 

Jacques  de  Lausanne  avait  composé  une  glose  sur  le  Lévitique 
dont  nous  connaissons  des  extraits  publiés  au  xvi"'  siècle  dans  un  vo- 
lume dont  il  sera  parlé  (p.  472).  On  pourrait  croire  que  ce  commen- 
taire existe  dans  le  manuscrit  27  de  Toulouse,  si  l'on  s'en  fiait  à  une 
indication  du  tome  VII  du  Catalocjue  général  in-4°;  mais  cette  indi- 
cation est  fautive.  La  glose  qui  remplit  les  feuillets  1^9  et  suivants 


0) 


Ms.  6o5,  fol.  3o  V*.  —  m  Ibid.  —  fi  Ibid..  fol.  107  V. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR.  465 

de  ce  manuscrit  est  un  commentaire  sur  l'Exode,  tout  à  fait  indépen- 
dant du  recueil  de  gloses  qui  le  précède  et  porte  le  nom  de  Jacques 
de  Lausanne. 

Sixte  et  Antoine  de  Sienne,  Possevin ,  tous  les  anciens  bibliographes 
nous  attestent  que  Jacques  de  Lausanne  a  commenté  de  même  les 
Nombres  et  le  Deutéronome'*'.  Nous  ne  saurions,  à  la  vérité,  désigner 
aucune  copie  de  ces  deux  commentaires,  qui  n'ont  pas  eu  proba- 
blement beaucoup  de  succès;  mais  nous  avons  la  certitude  qu'on  les 
possédait  encore  au  xvi^  siècle.  L'éditeur  du  volume  plus  haut  cité 
les  mentionne  l'un  et  f  autre  et  reproduit  quelques  phrases  de  celui  qxii 
se  rapporte  aux  Nombres;  quelques  phrases  seulement,  ce  commen- 
taire n'offrant,  dil-il,  que  de  rares  leçons  de  morale;  et  il  ajoute  que, 
dans  le  commentaire  sur  le  Deutéronome,  il  n'en  a  pas  rencontré  une 
seule '^'. 

IJL  Commentaires  slr  divers  livres  de  l'Ancien  Testament, 

On  va  jusqu'à  dire  que  Jacques  de  Lausanne  avait  interprété 
suivant  cette  méthode  tous  les  autres  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament.  Nous  prouverons  qu'on  a  mis  à  son  compte  quelques 
gloses  dont  il  n'est  pas  l'auteur.  H  est  vrai,  toutefois,  qu'il  en  a  com- 
posé beaucoup. 

Parmi  les  autres  livres  de  l'Ancien  Testament,  il  a  certainement 
commenté  le  livre  de  Job.  Sixte  de  Sienne  en  désigne,  d'après  un 
manuscrit  de  Venise,  un  exemplaire  commençant  par  :  Sustinentiam 
Job  audistis.  Il  faut  lire  sans  doute  Sufferentiam ,  ce  début  paraissant 
être  emprunté  au  cinquième  chapitre  de  l'épître  de  saint  Jacques. 
Or,  on  conserve,  en  effet,  dans  le  n°  667  de  la  Mazarine,  un  com- 
mentaire sur  Job  qui  commence  par  Salferentiam  Job  audistis.  Mais 
il  y  est  sans  nom  d'auteur,  et  on  nous  apprend,  de  plus,  qu'il  est  com- 
posé d'extraits  empruntés  à  saint  Grégoire.  Jacques  de  Lausanne, 
si  curieux  de  montrer  son  esprit,  aurait  certainement  dédaigné  de 
faire  œuvre  de  compilateur.  D'autre  part,  nous  avons  dans  les 
n°'  14798  et  1^799  de  la  Bibliothèque  nationale  deux  exemplaires 

*^  .       •  . 

'"'  Quétif  et  Echanl,  Script,  ord.  Prœd. ,  1. 1,         din,   Comm.  de   script,    eccl. ,  t.  III,  col.  783. 
p.  548.  Ant.  Senensis,  Biblioth.,  p.  laS.  Ou-  '''  Foi.  54. 

UIST.  LITTÉR. XXXIII.  Sq 


466  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

d'une  Lectura  sur  Job,  par  Jacques  de  Lausanne,  dont  voici  les  pre- 
miers mots  :  Vir  erat  in  terra  Hus .  .  .  Marœnula  dicitur  uno  modo  cate- 
nula,  auri  et  argenti  virguUs  contexta.  Comme  on  le  voit,  ce  n'est  pas  le 
début  de  la  glose  mentionnée  par  Sixte  de  Sienne.  Suppose-t-on  que 
la  Lectura  de  nos  manuscrits  est  un  abrégé  de  cette  glose?  Cette  sup- 
position ne  paraît  guère  admissible,  la  dimension  de  cette  Lectura 
dépassant  de  beaucoup  celle  d'un  abrégé.  Sixte  de  Sienne,  qui  a 
commis  de  fréquentes  erreurs,  doit  s'être  ici  trompé. 

Dans  le  catalogue  des  manuscrits  de  Bàle  sont  indiquées  trois 
gloses  de  Jacques  de  Lausanne  sur  Josué,  les  Juges  et  Ruth'''.  Nous 
ne  trouvons  ailleurs  aucune  mention  de  ces  gloses,  dont  Echard  lui- 
même  n'a  pas  parlé. 

Il  s'agit  ensuite  d'une  glose  sur  les  Proverbes,  qui  nous  inspire  aussi 
des  doutes.  À  la  vérité,  tous  les  bibliograpbes  nous  attestent  que 
Jacques  de  Lausanne  a  commenté  les  Proverbes,  et  nous  avons,  sous 
son  nom,  dans  le  ms.  latin  14798  de  la  Bibliothèque  nationale, 
fol.  425,  ainsi  que  dans  le  ms.  latin  i4799  ^^  ^^  même  biblio- 
thèque, fol.  32 ,  une  glose  étendue  sur  les  Proverbes  qui  commence 
par  :  Jwufat  epistola  .  .  .  Proloqas  sancti  Hieronymi  saper  libros  Salomonis, 
(fuem  scripsit  Cromatio  et  Heliodoro.  Ainsi  voilà  des  témoignages  entiè- 
rement conformes.  Ajoutons  que  nos  deux  manuscrits  sont  du 
XIV*  siècle,  que,  dans  fun  et  dans  l'autre,  la  copie  du  texte  et  l'indi- 
cation de  l'auteur  sont  de  la  même  main.  Enfin,  ce  qui  rend  cette  indi- 
cation encore  plus  vraisemblable,  le  style  de  la  glose  offerte  par  nos 
deux  manuscrits  est  celui  des  autres  gloses  de  Jacques  de  Lausanne; 
c'est  la  même  langue,  ce  sont  les  mêmes  jeux  d'esprit  et  les  mêmes 
outrages  aux  mêmes  personnes.  Cependant,  bien  que  tout  cela  con- 
corde, nous  avons  lieu  de  douter.  Et  d'abord,  d'après  Ambroise  d'Alta- 
mura,  que  cite  Casimir  Oudin^^^,  les  frères  Prêcheurs  de  Barcelone 
possédaient  un  commentaire  sur  les  Proverbes  qui,  portant  le  nom  de 
Jacques  de  Lausanne,  commençait  par  ces  mots  du  psaume  lxvii  : 
Aperiam  in  paraboUs  os  meum.  (î'était  donc  un  autre  commentaire  que 
celui  de  nos  deux  manuscrits.  En  outre,  au  fol.  435  de  notre 
n°  14798,  après  le  récit  d'un  miracle  arrivé  dans  la  ville  de  Vienne, 
en  Dauphiné,  le  glossateur  confirme  son  récit  par  ces  mots  :  Ego, 


<') 


Haenei,  Cutal.  inss.,  col.  r)86.  —  '*>   Comm.  de  script,  ceci,  t.  H,  col.  739. 


JACQIES  DE  LAUSANNE,   FRERE  PRECHELR.  467 

[rater  P.  de  Palma,  vidi  civeiii  (jiii  hoc  diceret  se  vidisse;  ce  qui  semble 
clairement  indiquer  comme  auteur  de  la  postille  Pierre  de  Baume, 
autre  Prêcheur,  provincial  de  la  province  de  France  en  iSaS,  mort 
général  de  l'ordre  en  i343''\  qui,  plus  jeune  que  Jacques  de  Lau- 
sanne, a  été  son  imitateur,  après  avoir  sans  doute  été  son  élève,  On 
s'accorde,  en  effet,  à  le  dire  auteur  de  gloses  morales  sur  l'Ecriture 
Sainte.  Il  est  vrai  que  le  copiste  du  ms.  14798  a  pu  introduire,  par 
mégarde,  dans  le  texte  une  note  mise  en  marge  d'un  autre  exemplaire 
par  Pierre  de  Baume. 

U  Jacques  de  Lausanne  a  aussi  commenté  l'Ecclésiaste ,  et  l'on  a 
conservé  ce  commentaire,  qui  commence  par  :  Incipit  prologus  super 
Ecclesiasten  et  dividitur  in  très.  Primo  ostendit  Jeronimus.  .  .  H  est  dans 
le  n°  27  des  manuscrits  de  Toulouse  (fol.  91  v°-io8),  et  peut-être 
aussi  à  la  bibliothèque  de  Bàle'*'.  Un  autre  commentaire  sur  l'Ecclé- 
siaste commençant  par  :  Verha  Ecclesiastes  :  Filii  David,  recjis  Jérusalem. 
Intentio  actoris  Salomoms  est  ostendere  veritatem  muiidi,  se  trouve  dans 
le  n"  14798  de  la  Bibliothèque  nationale  (fol.  4^7),  où  il  suit  immé- 
diatement le  commentaire  sur  les  Proverbes  de  Jacques  de  [..ausanne; 
mais  le  manuscrit  ne  l'attribue  pas  expressément  à  cet  auteur,  et  le 
style  en  est  bien  moins  badin,  par  suite  bien  moins  intéressant  que 
celui  des  écrits  authentiques  de  notre  frère  Prêcheur. 

11  est  également  certain  que  Jacques  de  Lausanne  a  commenté  le 
livre  de  la  Sagesse '"'l  Ambroise  d'Altamura  et  Sixte  de  Sienne  attestent 
avoir  vu  ce  commentaire.  H  commence,  suivant  Altamura,  par  : 
Sapientia  clamât.  Mais  nous  trouvons  dans  le  n"  27  de  Toulouse 
(fol.  108  v°),  sous  le  nom  du  même  docteur,  une  glose  sur  la  Sagesse 
commençant  par:  Sapientiamlocjuimur  inter  perjectos .  .  .  Incipit  prologus 
Hieronymi  super  lihrum  Sapientiœ,  in  (juo  triajacit.  La  dilférence  de  ces 
débuts  doit-elle  faire  douter  de  l'une  ou  de  l'autre  attribution?  Nous 
croyons  devoir  nous  en  rapporter  de  préférence  aux  indications  du 
manuscrit  de  Toulouse,  celles  d'Ambroise  d'Altamura  n'étant  pas  ha- 
bituellement exactes.  Quoi  qu'il  en  soit,  des  extraits  d'une  glose 
quelconque  sur  la  Sagesse  ont  été  publiés  sous  le  nom  de  Jacques  de 
Lausanne. 

Tous  les  bibliographes  lui  donnent  encore  un  commentaire  sur 

'•)  Quétif  et  Échard,  t.  I,p.  6i4,6i5.  «  Quétif    et     Kchaid ,    loco    cit.    Oudin, 

C  Hœnel,  Catal.  mss.,  co\.  586.  loco  cit. 

9 

59. 


468  JACQUES  DE  LAUSANNE.  FRERE  PRECHEUR. 

le  Cantique  des  cantiques ''\  et  Haenel  en  indique  une  copie  dans  le 
manuscrit  de  Bàle  que  nous  avons  cité.  Il  était  aussi,  suivant  Am- 
broise  d'Altamura,  chez  les  donainicains  de  Barcelone,  où  il  commen- 
çait par  :  Circa  principiam  hujas  libri.  Nous  n'en  connaissons  aucun 
exemplaire. 

Mais  nous  en  avons  un  de  sa  glose  sur  l'Ecclésiastique.  H  existe,  eu 
elTet,  dans  le  ms.  latin  i4799  ^^  ^^  Bibliothèque  nationale  (fol.  69- 
12  3),  commençant  par  :  In  medio  Ecclesiœ  aperitaros . . .  Provisor  ei 
gubernator  com/nunitatis  tempore  abundantiœ  hona  recondit.  Quand  l'au- 
teur ne  serait  pas  indiqué,  l'on  ne  tarderait  pas  à  le  reconnaître.  Il 
a  la  manière,  le  style  de  Jacques  de  Lausanne;  le  ton  de  ses  censures 
est  toujours  aussi  peu  mesuré.  Dans  cette  glose,  comme  dans  les 
autres,  c'est  le  clergé  séculier  qu'il  traite  le  plus  mal  :  «  Un  évêque  est, 
«  dit-il*'^',  une  façon  de  roi;  il  n'y  a  que  les  gens  de  sa  famille  qui  portent 
«  ses  armes.  Cependant,  ils  n'en  portent,  lui  vivant,  qu'une  partie;  il 
«est  évêque,  ils  ne  sont  que  doyens,  grands  chantres,  archidiacres, 
«  Mais  est-il  mort,  aussitôt  les  uns  et  les  autres  réclament  ses  armes 
«tout  entières,  et  c'est  ainsi  qu'on  succède  aux  évêchés  comme  aux 
«  royaumes.  »  Voici  maintenant  quelques  mots  à  l'adresse  des  simples 
curés^''^  :  «Intermédiaires  entre  Dieu  et  le  peuple,  ils  parlent  deux 
«  langues,  la  langue  céleste,  quand  ils  disent  l'office,  et,  descendus  de 
«l'autel,  la  langue  terrestre.  Mais  comment  parlent-ils  l'une  et  l'autre.-^ 
M  Pour  ce  qui  regarde  la  langue  céleste.  Dieu  sait  comment  ils  la  cor- 
«  rompent,  et,  quand  ils  s'expriment  dans  la  langue  terrestre,  leurs 
M  propos  sont  souvent  plus  déshonnêtes,  plus  indécents  que  ceux  des 
«mondains.»  Ne  prenons  pas,  toutefois,  ce  dur  censeur  pour  un 
ascète.  Ennemi  des  clercs  séculiers,  il  les  poursuit  sans  trêve;  qu'ils 
aient  le  front  triste  ou  gai,  toujours  il  leur  suppose  quelque  mauvais 
dessein.  Mais,  s'il  demeure  quelques  instants  sans  avoir  en  vue  ces 
clercs  détestés,  la  morale  qu'il  prêche  n'est  plus  très  sévère  :  ce  n'est 
pas  un  moine  du  désert;  c'est  un  religieux  qui  vit  habituellement 
avec  des  mondains  peu  rigides.  Voici,  par  exemple,  un  de  ses  apho- 
rismes  :  Splendidum  cor  inter  epalas  facit  magnum  bonum  '*'  ;  et  il  ajoute 
que,  même  hors  de  table,  mieux  vaux  être  jovial  que  méditatif,  les 
méditatifs  devenant  à  l'ordinaire  vieux  avant  l'âge. 

(')  Quétif  et  Échard,  t.  I ,  p.  548.  '')  Fol.  j^'. 

m  Foi.  117^  (')  Fol.  io4. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR.  469 

Sixte  et  Antoine  de  Sienne,  Ambroise  d'Altamura,  presque  tous 
les  bibliographes  mentionnent  une  glose  de  Jacques  de  Lausanne  sur 
Isaïe,  et  les  catalogues  nous  en  signalent  deux  exemplaires,  l'un  dans 
le  n°  27  de  Toulouse,  l'autre  dans  le  manuscrit  de  Bâle  que  nous 
avons  déjà  plusieurs  fois  cité  d'après  Haenel.  Ce  commentaire  com- 
mence ainsi  dans  le  manuscrit  de  Toulouse  (fol.  62)  :  Prologus  in 
(fiio  Hieronymus  facit  primo.  .  .  Visio  Jsaiœ  prophetœ^^K  .  .  Il  en  existe 
de  nombreux  extraits  dans  le  n°  i83  de  la  Mazarine  sous  le  titre  de 
Moralitates  magistri  Jacobi  de  Laiisanna  [in.  Isaiam].  Quelques  passages 
en  ont  été  cités '^'.  D'autres  auraient  pu  l'être,  comme  étant  du  même 
style  et  se  rapportant  aux  mêmes  personnes,  que  Jacques  de  Lausanne 
flagelle  sans  relâche,  nous  voulons  dire  les  clercs  séculiers.  Voici, 
par  exemple ,  sa  glose  sur  ces  mots  d'Isaïe  Vinum  tuum  mixtum  acjua  : 
Nota  (fuod primi  (les  premiers,  avant  les  débitants)  (fui  ponunt  aquam 
vino  snnt  (jnadngarii ,  et  fréquenter  totum  destruunt  miscendo  vilem  et  malam 
aquam  cum  vino,  non  obstante  quod  sint  ductores  et  vini  debeant  esse  recto- 
res  et  conservatores.  Sic  personœ  ecclesiasticœ,  quœ  sunt  Dei  quadrigarii, 
quia  Dei  populum  habent  ducere ,  regere,  conservare,  sunt  primi  et  princi- 
pales qui  aquas  iniquitatis ,  amaritiœ,  carnalitatis  miscent  cam  vino  cari- 
tatis,  et  SIC  destruunt  quod  conservare  deberent^^K  L'anecdote  suivante  est 
également  tirée  de  la  glose  sur  Isaïe '''^  :  Nota  de  quodam  qui  erat  prœ- 
bendatus  in  multis  ecclesiis.  Dum  semel  equitaret  cum  aliquibus  de  suis, 
narravit  eis  quod  nocte  prœcedente  viderat  in  somno  quod  ojferebantur  duo 
baculi.  Tanc  fuit  anus  qui  exposuit  ei  quod  o^errentar  sibi  duo  baculi  pas- 
torales vacantes  in  duabus  ecclesiis  in  quibus  eratcanonicas.  Ille,  hoc  audito , 
incepit  multum  gloriari  et  elevari;  et,  dam  ista  in  corde  suo  glonando  revol- 
veret,  cecidit  equus  suus  et  fregit  sibi  diias  tibias,  et  tune  oblati  fuerunt  ei 
duo  baculi  non  pastorales,  sedpœnitentiales. 

A  ces  gloses  sur  l'Ancien  Testament  il  faudrait  encore  ajouter,  sui- 
vant le  P.  Lelong  et  Fabricius'*^  un  commentaire  sur  Daniel,  autre- 
fois conservé  chez  les  ermites  de  Saint-Augustin,  à  Paris.  Le  volume 
ici  désigné  par  le  P.  Lelong  et  par  Fabricius  est  aujourd'hui  le 
n"  i83  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Mazarine,  et  il  contient,  en 
effet,  un  commentaire  sur  Daniel  dont  telle  est  la  rubrique  :  Incipit 

C  Sixte  de  Sienne  donne  un  autre  début  :  W  Ms.  180  de  la  Mazarine,  fol.  111. 

Non  est  bonam.  (')  Ms.  37  de  Toulouse,  fol.  78  v°. 

(•)  Journal  des  Savants.  1886,  p.  682.  <•'  Bibl.  med.  et  inf.  œtat..  t.  IV,  p.  i3. 


470  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

pastilla  super  Danielem  secnndum  magislrum  Jacobum  de  Lausanna,  ordinis 
Prœdicatoram.  Mais  c'est  une  rubrique  erronée  que  corrige  l'indica- 
tion finale  :  Explicit  postilla  super  Danielem  édita  a  fratre  Michaele  de 
Furno,  ordinis  Prœdicatorum.  Le  style  de  celte  postille  est  très  simple; 
on  ne  découvre  pas  chez  l'auteur  le  moindre  souci  de  faire  preuve 
d'esprit.  Cet  auteur  n'est  donc  pas  Jacques  de  Lausanne.  C'est  bien 
Michel  Dufour,  dominicain  flamand,  comme  Fabricius  le  dit  ailleurs 
lui-même''',  sur  le  témoignage  d'Echard,  plus  sûr  que  celui  du 
P.  Lelong.  , 

IV.  Commentaires  sur  le  Nouveau  Testament. 

Trois  exemplaires  d'une  postille  sur  saint  Mathieu,  qui  portent 
le  nom  de  Jacques  de  Lausanne,  se  lisent  dans  les  n"'  13966 
(fol.  217)  et  18102  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale  et 
320  d'Avignon.  Cette  postille  commence  par  :  Novum  Teslamenium  est 
in  meo  sanguine.  .  .  Acquisitio  familiarium  jacit  mutare  testainentum.  Mais, 
d'autre  part,  le  nom  de  Jacques  de  Lausanne  accompagne,  dans  le 
n"  37  de  Toulouse  (fol.  1-27  ),  une  autre  glose  sur  saint  Mathieu,  qui 
présente  également  tous  les  caractères  de  l'authenticité,  et  qui  com- 
mence par  ces  mots  :  Huic  evangelio  prœmiltitur  duplex  prologus,  anus 
Hieronymi,  alias  (jlossatoris.  Faut-il  donc  croire  que  Jacques  de  Lau- 
sanne a  composé  sur  le  même  évangile  deux  gloses  différentes? 

Dans  le  n"  27  de  Toulouse  (fol.  27)  et  dans  le  n"  820  d'Avignon 
se  lit,  sous  le  nom  de  Jacques  de  Lausanne,  une  glose  sur  saint  Luc 
dont  tels  sont  les  premiers  mots  :  Fuit  in  diebus  Herodis  régis  Jadœœ,  etc. 
Nota  quod  très  fuerunt  Herodes.  Echard  ne  mentionne  pas  cette  glose, 
que  n'ont  pas,  d'ailleurs,  connue  les  bibliographes  plus  anciens. 
Mais,  les  manuscrits  de  Toulouse  et  d'Avignon  étant  du  xiV  siècle, 
les  copistes  contemporains  de  Jacques  de  Lausanne  n'auront  pas 
sans  doute  mis  à  son  compte  un  écrit  de  quelque  autre.  Remarquons, 
d'ailleurs,  que  ces  manuscrits  proviennent  de  deux  couvents  domi- 
nicains où  l'on  devait  être  bien  informé.  L'auteur  de  ce  commentaire 
multiplie  les  exemples,  qu'il  emprunte  de  préférence  à  l'histoire  natu- 
relle; il  les  indique  le  plus  souvent,  sans  les  développer.  C'est  une 


(') 


T.  V.  p.  70. 


JACQUES  DE  IJ^USANNE,  FRERE  PRECHEUR.  471 

sorte  de  répertoire  de  traits  et  de  comparaisons  à  l'usage  des  mora- 
listes et  des  prédicateurs. 

Pour  ce  qui  regarde  l'évangile  de  saint  Jean ,  nous  avons  encore  l'em- 
barras du  choix  entre  deux  gloses  différentes.  L'une  se  trouve  dans 
le  ms.  latin  15966  de  la  Bibliothèque  nationale,  à  la  suite  du  com- 
mentaire sur  saint  Mathieu,  et  tel  en  est  le  début  :  Hic  est  Johannes 
evangelista .  .  .  Johannes  interpretatur  in  quo  gratia;  habuit  enim  triplicein 
gratiam  ;  et  on  lit  à  la  fin  :  Explicit  lectnra  super  Joliannem  macjistri  Jacobi 
de  Lausanna,  ordinis  fratrum  Preedicatorum.  Échard  a  vu  ce  manuscrit 
à  la  Sorbonne  et  l'a  signalé;  mais  il  a  signalé  de  même  le  n"  109  de 
Saint-Victor,  qui  est  aujourd'hui  le  ms.  latin  1  ^798  de  la  Bibliothèque 
nationale,  comme  offrant  la  glose  de  Jacques  de  Lausanne  sur  saint 
Jean,  et  cette  glose  du  n°  14798  commence,  au  fol.  482,  par  les 
mots  :  Vend  ut  testunonium .  .  .  Ad  hoc  ijuod  testimonium  sit  bonum  reaui- 
ritur  (juod  suit  duo  testes.  On  le  voit,  les  deux  gloses  sont  bien  diffé- 
rentes. Elles  se  ressemblent  toutefois  en  ce  qu'elles  ne  sont  pas  plus 
graves  fune  que  l'autre.  Disons  que  nous  avons  plus  de  confiance 
dans  le  témoignage  du  manuscrit  de  la  Sorbonne  :  ce  témoignage  est, 
en  effet,  confirmé  par  le  n"  3 20  d'Avignon. 

Nous  pouvons  attribuer  avec  plus  de  certitude  à  Jacques  de  Lau- 
sanne une  glose  assez  longue  sur  les  Lpîtres  canoniques,  qui  porte 
son  nom  dans  notre  n°  14798  (fol.  46.S)  et  dans  le  n°  27  de  Tou- 
louse (fol.  i36).  On  l'y  reconnaît,  d'ailleurs,  à  plus  d'une  saillie. 
Nous  en  citerons  quelques-unes  :  «Jamais,  dit-il''*,  un  homme  dont 
«les  cheveux  sont  épais  n'aura  la  tête  propre;  de  même  jamais  un 
«  richard  n'aura  la  conscience  pure.  H  n'y  a  pas  de  gens,  dit-il  encore, 
«plus  mal  rasés  que  les  barbiers.  Pourquoi!'  Parce  qu'ils  se  rasent 
«  eux-mêmes  devant  un  miroir  et  ne  veulent  pas  être  rasés  par  les 
«  autres.  Ainsi,  nous  autres  clercs,  nous  faisons  profession  de  corriger 
«les  autres,  et  ils  sont  bien  corrigés;  mais  nous  entendons  nous  cor- 
«  riger  nous-mêmes,  et  nous  le  sommes  mal.  »  Voici  maintenant  une 
argumentation  logique  contre  les  évêques;  c'est  Aristote  lui-même 
qui  démontre  le  peu  qu'ils  valent  :  «Il  y  a  (nous  traduisons)  deux 
«formes,  l'une  accidentelle  et  l'autre  substantielle.  Beaucoup  de  nos 
«prélats  nous  représentent  la  forme  accidentelle  et  non  substantielle, 

C   Ms.  lat.  14798,  fol.  467. 


472  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR. 

'<  car  il  y  a  cette  différence  entre  les  deux  formes,  que  l'accidentelle 
(I  tire  son  être  d'un  sujet,  aucun  accident  ne  pouvant  être  sans  un 
«  sujet,  tandis  que  la  substantielle  communique  son  être  au  sujet  et  le 
«  fait  être.  Il  en  est  donc  de  certains  prélats  comme  de  la  forme  acci- 
«  dentelle;  ils  sont  tout  ce  qu'ils  sont  par  leurs  sujets;  sans  leurs  sujets 
«  ils  ne  seraient  rien,  et,  s'ils  passent  pour  de  grands  personnages,  c'est 
«  uniquement  parce  qu'ils  ont  au-dessous  d'eux  un  grand  peuple.  '''  » 
Cette  malveillante  plaisanterie  doit  avoir  eu  beaucoup  de  succès  dans 
le  quartier  de  Garlande. 

Nous  avons  enfin  une  glose  de  Jacques  de  Lausanne  sur  l'Apoca- 
lypse dans  notre  ms.  latin  14798,  fol.  470,  commençant  par  :  Apo- 
calypsis  Jesu  Christi .  .  .  Iste  liber  in  prima  sua  divisione  dividitur  in  septem 
partes.  Elle  est  plus  longue  qu'intéressante. 

Nous  avons  dit  qu'on  a  fait  des  extraits  de  ces  gloses  et  postilles 
sous  le  titre  de  Moralités.  H  y  a  des  copies  de  ces  extraits,  qui  ne  sont 
pas  toujours  conformes  les  unes  aux  autres,  en  diverses  bibliothèques, 
par  exemple  dans  celle  de  Bordeaux  (n°  i48),  dans  celle  d'Avignon 
(n°  3o3),  dans  celle  de  Clermont-Ferrand  (n"  4o)  et  dans  le  ms.  lat. 
6o5  de  la  Bibliothèque  nationale*'^';  la  bibliothèque  de  Munich  en  pos- 
sède au  moins  six,  sous  les  n°'  565,  665,  694,  8261,  8829,  1  2259.  il 
en  a  même  été  fait  une  copieuse  édition,  intitulée  :  Opus  Moralitatnm 
prœclarijratris  Jacobi  de  Lausanna  cnnctis  verbi  Dei  concionatoribas  pro  decla- 
mandis  sermonibus  per(fuam  maxime  nccessarium  (  Limoges ,  Garnier,  1 5  2  8 , 
in-8°).  Il  faut  noter  ces  mots  percjuam  maxime  necessariam.  Le  libraire 
qui  s'exprimait  ainsi  disait  la  vérité,  les  badinages  de  Jacques  de 
Lausanne  pouvant  encore  trouver  place,  au  xvi* siècle,  dans  beaucoup 
de  sermons.  Les  postilles  don  ton  peut  lire  des  extraits  plus  ou  moins 
considérables  dans  ce  volume  sont  celles  qui  concernent  la  Genèse, 
l'Exode,  le  Lévitique,  les  Nombres,  le  livre  de  Job,  les  Proverbes, 
l'Ecclésiaste,  le  Cantique  des  Cantiques,  la  Sagesse,  l'Ecclésiastique, 
les  prophéties  d'Isaïe, l'évangile  de  saint  Mathieu  et  l'Apocalypse. 

Le  n°  226  des  nouvelles  acquisitions  latines  de  la  Bibliothèque 
nationale,  le  ms.  5ii3-5i2ode  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles 
(fol.  178-222)  et  le  ms.  291  de  Prague  (fol.  1-60)  contiennent  un 

'■'  Ms.  14798,  fol.  469.  dans  le  ms.  i83  de  la  Mazarine,  et  qui  ont  été 

'*'  Voir  Journal  des  Savants,  1891,  p.  i  •jG.         attribuées  à  tort  à  Jacques  de  Lausanne,  voir 
An  sujet  d'autres  Moralités  sur  Job  conservées        le  même  recueil ,  1 886,  p.  683. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR.  473 

recueil  de  maximes,  de  distinctions,  rangées  suivant  l'ordre  alphabé- 
tique et  commençant  par  les  mots  :  Abjicit  mimdus  paiiperes  et  honorât 
divites.  Nota  :  Augustinns  dicit  super  hoc  quod  conms  est  illins  natnrœ.  .  . 
Nous  en  pouvons  citer  d'autres  copies  anonymes  dans  les  mss.  888  de 
la  Mazarine,  826  et  1272  de  Troyes,  8181  de  Munich,  1288  et  8609 
de  Vienne.  Dans  le  n°  4872  de  cette  dernière  bibliothèque,  le  même 
recueil  a  pour  titre  :  Jacobns  de  Lausanna ,  Compendium  moralitatiim  ex 
ejus  posli.Uis  excerptiim.  Si  ce  titre  était  exact,  nous  serions  en  présence 
d'une  autre  compilation  faite  à  l'aide  des  postilles  de  Jacques  de  Lau- 
sanne, sans  doute  à  l'usage  des  prédicateurs. 

V.     COMMENDATIO  SACRE  ScRIPTUR.E. 

Echard  inscrit  avec  hésitation  parmi  les  œuvres  de  notre  docteur 
un  petit  traité  qui  se  lit,  sous  ce  titre,  dans  le  n"  14799,  ^,^^-  i'-^4, 
de  la  Bibliothèque  nationale,  à  la  suite  des  Moralités  sur  l'Ecriture, 
et  dont  voici  les  premiers  mots  :  Emitle  hicem  tuam.  .  .  Sicut  videmus 
in  corporalihus ,  nihil  est  lace  ulilius.  Jean  de  Tritenheim  dit,  il  est  vrai, 
que  Jacques  de  Lausanne  avait  laissé  divers  traités  devenus  assez 
rares  de  son  temps  pour  qu'il  n'ait  pu  les  rencontrer ''';  nous  pen- 
sons néanmoins,  avec  Echard,  que  celui-ci  ne  lui  peut  être  attribué 
que  sous  toutes  réserves.  En  effet,  il  ne  porte  aucun  nom. 

VI.  Sermones  de  tempore  et  de  sanctis. 

Jacques  de  Lausanne  s'est  fait  surtout  connaître  par  ses  sermons. 
Hic  fuit,  écrivait-on,  prœdicator  gratissimus  et  copiosus,  sicut  patet  in 
collationibus  et  sermonibus  (juos  conjlavit^^\  Ces  sermons  ont  eu  tant  de 
succès  qu'on  en  trouve  partout  Des  copies  que  nous  avons  rencontrées 
dans  les  bibliothèques  de  Paris,  la  plus  complète  est  dans  le  ms.  latin 
18181  de  la  Bibliothèque  nationale.  Elle  appartenait  jadis  à  fabbaye 
de  Cambron;  mais,  en  l'année  1671,  Antoine  Le  Waitte,  abbé  de  Cam- 
bron,  en  fit  don  à  son  ami  Quétif,  de  qui  la  reçut  la  maison  de  .Saint- 
Jacques.  Elle  se  compose  de  deux  parties  :  dans  la  première,  les  ser- 
mons dominicaux;  dans  la  seconde,  les  sermons  pour  les  fêtes  des 
saints.  Quelques-uns  de  ces  sermons  sont  dispersés,  pour  la  plupart 

'■'   Catal.  script,  eccles.  (éd.  de  i53i),p.   119. —   '''  Denifle,     Quell.    zur    Gelehrtengetch.    d. 
Predigerord. ,  p.  216. 

HIST.  LITTÉR.  XXXIII.  6o 


474  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

anonymes,  dans  les  mss.  latins  3552,  SySG,  iSSy^i  14799,  14962, 
14963,  14964,  14966,  17516,  18181  delà  Bibliothèque  nationale. 
On  en  indique  d'autres  copies  dans  les  n°'38,  3o4,  601,  608  d'Avi- 
gnon'*', a64  de  Saint-Omer,  1209,  1711,  1765,  1779  et  1889  ^^ 
Troyes,  337  ^e  Toulouse,  83  de  Charleville,  1018  d'Arras,  i36 
de  Soissons,  i48  de  Bordeaux,  235  de  Chartres,  665  et  i3585  de 
Munich,  979  et  1 106  de  Prague,  266  et  267  de  Bruges.  Enfin  Echard 
nous  atteste  qu'il  en  existait,  de  son  temps,  d'autres  encore  dans  les 
bibliothèques  d'Angleterre*'^',  d'Espagne,  d'Allemagne.  Ils  ont  donc 
été,  répétons-le,  très  goûtés.  Cependant  on  se  trompe  quand  on  dit 
qu'ils  ont  tous  été  publiés  à  Paris  en  i53o.  Cette- édition  de  i53o, 
in-8°,  mise  en  vente  par  le  libraire  Ambroise  Girault,  a  pour  titre  : 
Sermones  dominicales  et  /'estivales  per  totum  anni  circulum,  per  reverendum 
patrem  fratrem  Jacobum  de  Laosana  (sic),  ord.  Jr.  Prœdicat.,  declamati, 
impressioni  mandati  per  qiiemdum  professorem  ordinis  Minorum,  regularis 
observantiœ.  Les  sermons  d'un  Prêcheur  imprimés  par  les  soins  d'un 
Mineur!  Le  fait  est  très  rare  et  l'hommage  d'autant  plus  glorieux. 
Mais  ce  recueil  ne  contient  pas  toutes  les  œuvres  parénétiques  de 
Jacques  de  Lausanne;  on  n'y  trouve  réunis  que  les  Sermones  domini- 
cales, et  nous  remarquons  même  que  plusieurs  y  manquent. 

Quel  qu'en  ait  été  le  succès,  Oudin  les  juge  détestables.  Il  ne  faut 
pas  s'en  étonner.  «  Comme  la  mode  fait  l'agrément, dit  Pascal'^',  aussi 
«  fait-elle  la  justice.  »  Très  justement,  nous  le  reconnaissons,  Oudin 
blâme  le  ton  beaucoup  trop  libre  de  l'orateur.  Tombée  tout  à  fait  en 
discrédit  vers  le  milieu  du  xvii*  siècle,  cette  manière  de  prêcher  n'a 
pas  repris  faveur.  Mais  en  lisant  les  graves  sermons  du  xir  siècle,  où 
la  pompe  du  style  n'est  que  la  parure  d'une  pensée  banale,  on  s'ex- 
plique aisément  la  réaction  qui  mit  en  goût  le  genre  le  plus  contraire. 
Jacques  de  Lausanne  nous  déclare,  d'ailleurs,  lui-même  s'être  fait  une 
règle  de  prêcher  autrement  que  les  prédicateurs  de  son  temps,  qui, 
restés  fidèles  à  la  vieille  méthode,  sont  à  cause  de  cela  devenus  fasti- 
dieux. Autrefois,  dit-il  dans  son  commentaire  sur  l'Ecclésiastique,  les 
chants  d'église  étaient  simples,  et  tout  le  monde  en  comprenait 
les  paroles;  maintenant  le  chant  est  tellement  saccadé  qu'on  n'entend 

'"'  Voir  la  description    de   ce»   manuscrits  '''  C(.  CataL  Ubr.  ms$.  Angliœ ,  t.  Il,  p.  3i 

dans  le   t.  I  du  Catalogue  de  M.   Lalrande,         et  373. 
p.  30-33,  3  1 3-333,  336-334,  34o-343.  '''  Pensées,  VI,  5. 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR.  475 

plus  que  la  mélodie.  Il  en  est  de  même,  poursuit-il,  des  sermons. 
Quand  jadis  on  prêchait  simplement,  on  faisait  de  nombreuses  con- 
versions; mais  on  en  est  venu  plus  tard  à  prêcher  d'une  manière  si 
pédante,  que  l'auditeur,  n'étant  plus  attentif  qu'à  l'art  des  distinctions, 
des  divisions,  n'a  plus  retiré  de  ce  qu'on  lui  disait  le  moindre  profit 
moral  *'l  C'est  donc  en  recherchant  la  simplicité  que  Jacques  de 
Lausanne  est  tombé  dans  le  vulgaire. 

Mais,  si  défectueux  qu'ils  soient  au  point  de  vue  du  goût,  ses  ser- 
mons ont  le  mérite,  comme  ses  moralités,  d'offrir  beaucoup  d'allusions 
aux  mœurs  du  temps.  Les  clercs,  on  n'en  peut  être  surpris,  y  sont 
souvent  bien  mal  menés.  Sans  faire  un  choix  parmi  toutes  les  injures 
que  le  sermonnaire  leur  adresse,  citons  ce  passage  :  «  Il  est  singulier 
«  que  nos  clercs  veuillent  être  une  chose  et  en  paraître  une  autre.  Par 
«  l'habit,  la  coiffure  et  la  coupe  des  cheveux,  ils  veulent  paraître  gens 
«  d'épée,  mais  ils  veulent  être  clercs  pour  recueillir  le  profit  des  pré- 
«  bendes  et  des  distributions.  Ils  ne  sont,  en  réalité,  ni  l'un  ni  l'autre, 
«  puisqu'ils  ne  combattent  pas  avec  les  gens  d'épée  et  n'enseignent  pas 
«  la  parole  de  Dieu  comme  il  convient  aux  clercs,  mais  se  déchargent 
«  de  cette  besogne  sur  leurs  vicaires  et  leurs  chapelains'^'.  »  Il  y  a  aussi 
(les  mots  très  vifs  contre  les  évêques;  mais  l'orateur  trahit  le  motif  de 
son  mauvais  vouloir  à  leur  égard  quand  il  dit:  Per  Petrum  ampatantem 
aurem  dextram  intelUguntur  mali  prœlati ,  (juisubditos  impediunt  abaudiendo 
sermones,  consiUa  et  cetera  pertinentia  ad  salutem'^K  Qu'est-ce,  en  effet, 
qu'empêcher  les  fidèles  d'entendre  les  sermons,  les  avis,  etc.,  etc.? 
Ce  n'est  pas  autre  chose,  on  le  comprend  bien,  qu'interdire  aux  reli- 
gieux de  prêcher,  de  confesser  sans  la  permission  des  évêques. 

C'est  le  clergé  séculier  que  Jacques  de  Lausanne  attaque  le  plus 
fréquemment;  mais  beaucoup  de  ses  traits  portent  ailleurs.  11  ne  mé- 
nage guère,  par  exemple,  les  receveurs  des  finances  seigneuriaux  ou 
royaux.  «  L'épervier  domestique  est,  dit-il''*',  plus  redoutable  pour  les 
«oiseaux  que  l'épervier  sauvage.  Pourquoi  cela?  Parce  que  l'épervier 
"  sauvage  butine  pour  lui  seul,  tandis  que  l'épervier  domestique  butine 
«  pour  lui-même  et  pour  son  maître  :  Recte  sic  ministri  et  consiliarii  ma- 
ujornm  mundi  plus  nocent  rei  piiblicœ  (juam  prœdones  silvestres  oui  lantiim 

'•)  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  14799,  '""l-  7-  '''  M»,  lat.  18181,  fot.  85. 

'')  Mss.     lat.     18181,    fol.     i5'';     1337/1,  <*'  Ms.  lat.  13374,  fol.  1 55. 

fol.  159. 

60. 


476  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR. 

«furantur  sibi;  alias  non  starent  in  ojficiis  suis.  »  Ce  dernier  trait  est  contre 
les  maîtres  eux-mêmes,  les  seigneurs.  Plus  d'une  fois  l'orateur  traite 
ces  seigneurs  de  tyrans,  principes,  imo  potins  tyranni,  les  accusant 
de  spolier  odieusement  quiconque  passe  sur  leurs  terres,  môme  les 
écoliers,  et  scolares,  (jui  debenl  esse  hberi^^K  Notons  ce  point  de  doctrine 
sociale  :  l'immunité  des  écoliers. 

Jacques  de  Lausanne  provoque  de  même  à  la  haine  des  marchands. 
Non  seulement  ce  sont  tous  ries  usuriers;  mais  il  y  a  plus,  quelques- 
uns  sont  des  traîtres  :  ne  les  voit-on  pas  trafiquer  clandestinement  avec 
les  Sarrasins,  et  les  approvisionner  de  vivres  et  d'armes,  pour  tirer 
un  faible  gain  de  cet  odieux  commerce'^'?  Ce  n'était  pas  une  accusa- 
tion mal  fondée.  Nous  avons  une  bulle  de  Clément  V  dont  l'objet  est 
d'excommunier  ces  marchands  chrétiens,  et  cette  bulle  dit  qu'ils  trans- 
portaient en  Egypte  des  armes,  des  chevaux,  des  vivres,  du  fer  et  des 
pièces  de  bois'^'.  Au  surplus  Jacques  de  Lausanne  provoque  au  mépris 
de  tous  les  riches.  Ils  jouissent  dans  ce  monde  et  foulent  les  pauvres; 
mais,  dans  l'autre  monde,  les  pauvres  seront  au  ciel  et  les  riches  au 
plus  profond  de  l'enfer ''').  Il  y  aurait  à  faire  beaucoup  de  citations 
semblables. 

D'autres  passages  se  rapportent  aux  lois,  aux  usages,  aux  mœurs 
communes,  et  même  aux  arts.  Voici,  touchant  les  arts,  une  informa- 
tion digue  d'être  recueiUie.  On  connaît  peu  les  commencements  de 
la  peinture  à  l'huile.  Dans  le  tome  XXXVI  des  Mémoires  de  la  Société 
des  Antiquaires  de  France  se  lisent  quelques  notes  de  G.  Demay  sur  des 
peintures  à  l'huile  exécutées,  soit  en  France,  soit  en  Angleterre,  au 
cours  des  années  1289,  1  269,  1299,  i3o4,  iSiy,  1820  et  1827.  Dans 
un  de  nos  sermons,  que  nous  pouvons  rapporter  à  l'année  i3oo,  on 
lit  :  Quœdam  imagines  sunt  quœ  depinguntur  oleo.  Istœ  Jirmius  conservantur, 
Jacile  nondelentur^^K  II  s'agit,  comme  on  le  voit,  de  tableaux,  de  figures, 
imagines;  ce  qui  rend  ce  passage  très  intéressant.  Un  autre  vient  con- 
firmer les  renseignements  donnés  par  Bourquelot  sur  les  attributions 
des  gardes  des  foires ^'^^  :  quiconque  achetait  des  marchandises  à  cré- 

''1  Ms.  lat.  18181,  fol.  8''.  Édit.   de   i53o,  et  de  commerce.  .  .  avec  les  Arabes  de  l'Afrique 

fol.  i3,  col.  a.  septentrionale,  p.  i^-j. 

f  M»,  cit. ,  fol.  1 56.  Édit.  de  1 53o ,  fol.  i  a\  <''  Ms.  lat.  1 8 1 8 1 ,  fol.  1 68'. 

'')  Bibl.  nat.,  ms.  Baluze  n*  207,  fol.  187.  <''  Ibid.,  fol.  iSa. 

Cf.  L.  de  Mas  Latrie,  Hist.  de  Chypre  sous  le  '*'  Bourquelot,  Mém.  présentés  par  divers  sa- 

règne  des  Lasignans ,  t. II,  p.  ia5;  Traités  de  paix  vants,  1'  série,  I.  V,  p.  218. 


\ 


JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRERE  PRECHEUR.  477 

dit  prenait  un  terme  pour  les  payer,  et,  si,  le  terme  échu,  il  ne 
s'acquittait  pas,  il  était,  lisons-nous  dans  un  des  sermons,  arrêté  par 
le  garde  des  foires  et  mis  en  prison.  Bourquelot  ne  dit  pas  que,  dans 
les  foires  de  Champagne,  on  accordait  dix  jours  de  crédit  aux  mar- 
chands pour  le  payement  des  droits  d'entrée  :  c'est  une  remarque  de 
notre  sermonnaire'''. 

Il  raconte  aussi,  suivant  la  mode,  des  histoires  plus  ou  moins  édi- 
fiantes. Jacques  de  Vitri  avait,  comme  on  le  sait,  recommandé  ce 
moyen  oratoire.  Jacques  de  Lausanne  n'en  abuse  pas,  mais  il  en  use 
quelquefois.  La  nuit  du  vendredi  saint,  un  seigneur  brabançon,  se 
rendant  aux  matines,  passe  devant  une  taverne  où  quelques  jeunes 
gens  avinés  jouaient,  blasphémaient  et  se  querellaient.  Traversant 
ensuite  la  place  publique,  il  y  trouve  une  grande  foule  assemblée  et, 
au  milieu  de  cette  foule  qui  pleure,  qui  prie, le  cadavre  tout  sanglant 
d'un  homme  qui  vient  d'être  assassiné.  Les  assassins,  tout  le  monde 
les  désigne,  ce  sont  les  joueurs  de  la  taverne.  Le  seigneur  brabançon 
revient  donc  à  ces  jeunes  gens  et  leur  reproche,  plein  de  colère,  le 
meurtre  qu'ils  viennent  de  commettre.  Quel  meurtre?  disent-ils.  Il 
n'est  entré  personne  ici;  nous  n'avons  frappé,  nous  n'avons  tué  per- 
sonne. Aussitôt  les  joueurs  se  lèvent  et,  suivant  le  seigneur,  ils  vont 
avec  lui  sur  la  place.  Mais  la  place  est  maintenant  déserte,  silencieuse; 
le  cadavre,  la  foule,  tout  a  disparu.  On  prévoit  bien  l'explication  du 
mystère.  Ce  cadavre  évanoui,  c'était  celui  du  Christ  ensanglanté  par 
leurs  blasphèmes.  Mais  ce  qu'on  ne  prévoit  pas,  c'est  la  dernière  scène 
de  cette  fable  lugubre.  Qui  va  s'amender.^  Les  jeunes  gens?  Non, 
mais  le  tavernier.  Cet  homme  faisait  deux  commerces  :  il  était  encore 
usurier.  Ayant  donc  restitué  tous  ses  profits  illicites  et,  de  plus, 
donné  la  moitié  de  ses  biens  aux  pauvres,  il  vécut,  dans  la  suite,  et 
mourut  saintement'^'. 

Il  y  a  toujours  dans  les  histoires  racontées  par  Jacques  de  Lau- 
sanne quelque  trait  plaisant.  Nous  avons  déjà  reproduit  celle-ci.  Il  y 
avait  à  la  cour  du  roi  Henri  (sans  doute  Henri  III,  roi  d'Angleterre'^') 

'''  Ms.  lat.  13374,  fol.  188'.  donné  les  premiers  mots  :  Nola  qaod  hœreticus 

'*'  Ms.  lat.  18181,  fol.  49'.  cuidam  clerico  .  .  .  Dans   le   ms.  latin  l3374, 

'''  En  publiant  le  texte  de  cette  anecdote  fol.    iSg'',  de  la  même  bibliothèque,  on  lit  : 

d'après  notre  n°  18181  (Mémoire  sur  les  récits  Nota  quomodo  rex  Henricus.  .  .;  ce  qui  se  com- 

d' apparitions ,    dans   les   Mém.   de  l'Acad.    des  prend  mieux.  Voir  A^otice*  e/  extr.  de  quelques 

inscr.,  XXVIII,  11,  p.  267),  nous  avons  ainsi  manuscrits ,  t.  Il ,  p.  i53. 


478  JACQUES  DE  LAUSANNE,  FRÈRE  PRÊCHEUR. 

un  clerc  de  mauvaises  mœurs,  qui,  sollicitant  quelque  évêché,  avait 
obtenu  du  roi  cette  réponse  :  «  Tu  l'auras  bientôt.  »  L'église  même 
où  ce  clerc  était  chanoine  ayant  perdu  son  évêque,  on  procède  à  une 
élection,  et  notre  clerc  n'est  pas  nommé.  Il  se  plaint  alors  au  roi,  qu'il 
accuse  de  l'avoir  abusé  par  une  vaine  promesse.  «Je  n'ai  jamais  eu, 
M  lui  dit  le  roi ,  l'intention  de  te  proposer  pour  un  emploi  dont  tu  n'es 
«pas  digne;  mais  je  pensais  avoir  à  te  nommer,  car,  entre  plusieurs 
«  candidats,  tes  collègues  ont  coutume  de  choisir  le  pire.  Or  il  parait 
«qu'on  a  trouvé  cette  fois  pire  que  toi.  Persévère,  mon  ami,  et  tu 
«  pourras  un  jour  remplacer  celui  qu'on  vient  d'élire.  » 

.Transcrivons  encore  un  passage  relatif  au  chancelier  Philippe  de 
Grève,  dont  la  légende,  souvent  racontée,  l'est  ici  de  cette  façon  : 
Nota  de  Philippo,  cancellario  Parisiensi,  qui  nolait  pluribiis  beneficiis  re- 
sujnare  ad  sucjgestionem  Gaillermi,  tune  episcopi  Parisiensis ;  qui  postea, 
eidem  scilicet  apparens,  dixit  se  esse  damnatum  propter  tria  :  primo  propter 
plarima  bénéficia  quibus  non  voluerat  resignare,  secundo  propter  contuma- 
ciam,  tertio  propter  fructus  prœbendarum  quos  non  dederat  pauperibas  ^^K 
On  remarquera  que  cette  narration  n'est  pas  entièrement  conforme  à 
celle  de  Thomas  de  Cantimpré'^'.  La  troisième  cause  de  la  damnation 
de  Philippe  aurait  été,  suivant  Thomas,  un  vice  «abominable»  dont 
il  n'est  pas  ici  parlé '^'. 

Echard  suppose  que  les  sermons  de  Jacques  de  Lausanne  nous  ont 
été  transmis  par  un  de  ses  auditeurs ,  les  mots  français  qui  s'y  ren- 
contrent indiquant  que  le  texte  n'a  pas  été  revu  par  l'orateur.  Cette 
conjecture  n'est  aucunement  fondée.  Les  sermons  de  Jacques  de 
Lausanne  ne  diffèrent  en  rien  de  ses  moralités  sur  l'Ecriture  sainte. 
Le  style  en  est  mauvais,  mais  il  n'est  pas  négligé.  Quant  aux  mots 
français,  ce  ne  sont  pas  non  plus,  comme  Echard  le  croit,  des 
mots  écrits  ou  prononcés  à  la  hâte,  le  latin  faisant  défaut  à  la  mémoire 
de  l'orateur  ou  bien  à  la  science  de  l'éditeur;  ces  mots  ont  été  dits 
avec  intention,  soit  pour  varier  le  discours,  soit  pour  faire  sourire  par 
quelque  léger  propos  la  docte  partie  de  l'auditoire.  Ce  qui  suit  va  tout 


'"'  lidit.  de  i53o,  fol.  22  ,  col.  a.  ailleurs  (Hauréau,  Notices  et  exlr.  de  quelques 

'•'  Voir  l'art,  consacré  à  Philippe  de  Grève  manuscrits,  t.  II,  p.   i52,  \bà  à  167;  t.  III, 

(Hist  /i«.  (fc  ?«  /'>.,  t.  XVIIl,  p.  188).  p.  99,  110  à  ii3,  118  à    121,   ia3,    126  à 

'''   D'autre»  indications  sur  les  sermons  de  i32  ,  i35,  343;  t.  IV,  p.  182,  i83,  i85;  t.  V, 

Jacques  de   Lausanne   ont   été    déjà   données  p.  65,  66,  2868289). 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR.  479 

aussitôt  faire  écarter  l'hypothèse  d'une  rédaction  précipitée.  Voici  bien 
certainement  un  mélange  volontaire  du  français  et  du  latin  : 

In  die  graciœ  homo  habet  clariorem  cognitionem,  securiorem  spem,  mundiorem 
conscientiam  et  honestiorem  conversationem.  Gailice  :  plus  clere  cognoissance ,  plus 
seure  espérance,  plus  nette  conscience  et  plus  belle  contenance. 

Quelques  lignes  plus  bas,  commentant  ce  précepte  de  saint  Paul  : 
Sicut  in  die  honeste  ambulemus,  l'orateur  s'exprime  ainsi  : 

Ubi  tanguntur  tria.  Quia  primo  excitamur  a  torpore  :  ambulemus.  Secundo 
revocamur  a  pudore  :  honeste.  Tertio  praeservamur  ab  errore  :  sicut  in  die.  Gailice ,  il 
nous  admoneste  Je  notre  profist  fere  :  ambulemus.  Il  nous  monstre  manière  qui  doibt  a 
chascun  plaire  :  honesle.  Tertio ,  il  nous  dit  que  le  temps  nous  doibt  a  ce  atraire  :  sicut  in  die. 

Evidemment  il  n'y  a  là  péché  ni  de  négligence  ni  d'ignorance.  Et 
nous  n'avons  pas  cherché  bien  loin  ces  deux  exemples;  c'est  au  pre- 
mier feuillet  de  l'édition  que  nous  venons  de  les  emprunter. 

On  ne  lisait  plus  guère,  au  temps  d'Échard,  les  sermons  du  xiii*, 
du  xiv  siècle.  C'est  pour  cela  sans  doute  qu'ayant  parcouru  ceux  de 
Jacques  de  Lausanne,  le  savant  religieux  s'est  étonné  d'y  rencontrer 
tant  d'inconvenances  littéraires  et  s'est  efforcé  d'en  décharger  la  mé- 
moire de  son  confrère.  Mais,  en  fait,  ce  mélange  grotesque  du  fran- 
çais et  du  latin  n'est  pas  plus  fréquent  dans  les  sermons  de  Jacques 
de  Lausanne  que  dans  beaucoup  d'autres  du  même  temps. 

B.  H.C). 


PIERRE  AURIOL,  FRÈRE  MINEUR 


SA   VIE. 

Le  nom  de  Petriis  Aureoli,  qui  se  lit  dans  un  grand  nombre  de 
manuscrits  du  xiv*  siècle'^',  et  qu'on  trouve  fréquemment  cité  par  les 
auteurs  des  âges  suivants,  n'est  autre,  si  l'on  en  croit  Barthélemi 

'">  Avec  quelques  additions  par  M.  N.Valois.  Cambridge,  et  ms.   Roy.  8  G  ui,  au   Musée 

'*'  Exceptionnellement,  on  rencontre  aussi  britannique,  xv*  s.),  de  Aariolis  (ms.  Bodley 

les  formes  y4ureo/a$  (ms.  38  de  Nîmes,  xv' s.),  4oo,  à  la  Bodléienne,  xv'  s.)   et  de  Aureolo 

de  Aureolis   (ms.   i56  de   Corpus  Christi,   à  (ms.   i5  de  New  Collège,    à  Oxford,  xv'  s.). 


480 


PIERRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR. 


Albizzi'*',  que  celui  d'un  frère  Mineur  de  la  province  d'Aquitaine.  Il 
faut  donc  renoncer  à  faire  de  cet  écrivain  très  fécond  un  Picard, 
erreur  dans  laquelle  sont  tombés  certains  copistes  du  xv*"  siècle''^'  et 
de  très  nombreux  érudits*^',  qui  ont  confondu  ce  Franciscain  avec  un 
religieux  de  l'ordre  du  Val-des-Écoliers  du  nom  de  Pierre  de  Ver- 
berie*'"'.  Petras  Aureoli,  en  français  du  Midi,  doit  se  traduire  par 
Peire  ou  Pierre  Auriol  :  c'est  de  cette  dernière  forme  que  nous  use- 
rons dorénavant. 

Non  contents  de  i-estituer  Pierre  Auriol  à  l'Aquitaine,  certains  au- 
teurs, voulant  préciser  davantage,  n'hésitent  pas  à  le  ranger  parmi 
les  Toulousains  célèbres  ^^'.  Beaucoup  plus  réservé  dans  ses  conclu- 
sions, l'érudit  qui  a  consacré  à  Pierre  Auriol  l'étude  la  plus  ré- 
cente et  la  plus  développée,  M.  Franz  Stanonik,  se  contente  de 
remarquer  que  le  nom  d'Auriol  est  répandu  à  Toulouse  depuis  long- 
temps et  qu'un  certain  Biaise  d'Auriol  n'est  pas  sans  y  avoir  acquis, 
au  XVI*  siècle,  comme  poète  et  comme  jurisconsulte,  quelque  célé- 
brité'«). 

Rien  n'autorise  à  préciser  l'année  de  la  naissance  de  Pierre  Auriol , 
et  la  date  de  i  280,  fournie  parla  Biographie  Toulousaine,  est  purement 
conjecturale. 

En  i3o4,  Auriol  se  trouvait  à  Paris,  peut-être  comme  étudiant  en 
l'Université.  C'est  ce  qu'il  indique  assez  clairement  lui-même  dans 


'"'  Liber  conformitutam ,  fruct.  xi  ,  l'  part, 
(éd.  de  Milan,  i5io),  fol.  ia6  r". 

'')  Ms.  5i8  de  Douai  (fol.  33)  : .  Pétri  a  Ver- 
beria  dicti  Aureoli ,  ordinis  Minorum,  quondam 
archiepiscopi  Aquensis  et  doctori»  Parisiensis 
in  theologia.  .  .  »  —  Ms.  lat.  i5o2  de  Munich  : 
«  Pétri  Aureoli  de  Verberia  tractatus ...» 

'''  Le  cardinal  Boccafuoco,  éditeur  des  Com- 
mentaires sur  les  Sentences  de  Pierre  Au- 
riol; P.  Frizon,  Gallia  piirparata,  p.  309; 
Gallia  ckristiana,  I,  3ai;  Du  Boulay,  IV, 
985;  Moréri,  VIII,  102;  Sixte  de  Sienne, 
393;  Bayle,I,  398;  C.  Oudin,  111,847  ;  Fabri- 
cius  (éd.  de  1754),V,  a43;  P.-J.  de  Haitze, 
L'èpiscopat  métropolitain  d'Aix  [hiit. .  186a, 
in- 1  a) ,  77  ;  A.  Stôckl ,  Geschichte  der Philosophie 
des  Mittelahers  ( Mayence ,  1 865 ,  \n^' ) ,  II ,  978  ; 
K.  Werner,  Der  Averroismas  in  der  christlich- 
peripatetischen  Psychologie  des  spâteren  Mittel- 
ahers, dans   Silzanrjsber.   der  phil.-hist.   Cloue 


der  hais.  Akad.  der  Wissensch.  (Vienne,  188)), 
t.  XCVIII ,  I ,  p.  176,  etc.  Il  n'est  pas  jusqu'à 
l'éditeur  de  1620  du  Liber  conformitatum  qui 
n'ait  accolé  au  nom  de  «  Petrus  Aureoli  «  l'épi- 
thète  de  «Verberius»,  se  figurant  ainsi  cor- 
riger heureusement  Albizzi  (Bologne,  i6ao; 
fol.  98). 

'•'  Sur  ce  dernier  personnage  et  sur  un 
autre  Pierre  de  Verberie  qui  vivait  au  même 
temps,  voir  Du  Boulay,  IV,  986,  et  Denifle- 
Chatelain ,  Chartul.  Univ.  Paris. ,  II ,  43 1 . 

'*'  Nie.  Bertrand ,  De  Tolosanonim  gestis 
(i5i5);  Sbaraglia,  p.  585;  Biographie  Toulou- 
saine (Paris,  1823),  I,  4o5;  Biographie  géné- 
rale, de  Didot  (III ,  772  ) ,  article  inspiré  par  un 
M.  d'Avu"iol,  bibliothécaire  à  Toulouse,  «qui 
parait  descendre  de  cette  famille  ». 

'*'  Ueber  den  àusseren  /.^bensgang  and  die 
Schriften  des  Petrus  Aureuli,  damDer  Katholik, 
LXU  (188a),  p.  3a3. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


^81 


son  traité  intitulé  Repercussortum'-^\  où  il  rappelle  que  devant  lui  on 
avait,  à  Paris,  soutenu,  au  sujet  de  la  présence  réelle,  certaine  doc- 
trine hétérodoxe  en  laquelle  il  n'est  point  malaisé  de  reconnaître  la 
thèse  de  Jean  de  Paris '"^';  ce  qui  nous  reporte,  ainsi  qu'on  l'a  juste- 
ment fait  remarquer'^^  à  l'année  1 3o4.  Rien  n'empêche,  en  ce  cas,  de 
supposer  que  Pierre  Auriol  connut  et  fréquenta,  dans  l'Université,  le 
célèbre  Jean  Duns  Scot,  arrivé  d'Angleterre,  vers  la  fin  de  cette  même 
année,  pour  conquérir  le  grade  de  bachelier  en  théologie'**.  Jean  Scot 
y  demeura  jusqu'en  i3o8  :  Pierre  Auriol  eut  le  temps  d'y  suivre  ses 
leçons. 

Appartenait-il  dès  lors  lui-même  à  l'ordre  franciscain  dont  Jean 
Scot  depuis  longtemps  était  une  des  lumières?  Nous  l'ignorons.  Mais, 
à  coup  sûr,  il  ne  tarda  pas  à  en  faire  partie,  s'il  est  l'auteur  de  certain 
traité  De  Paupertate  et  (Jsapaupere  que  les  bibliographes  lui  attribuent 
pour  de  bonnes  raisons  :  ou  nous  nous  trompons  fort,  ou  cet  ouvrage 
est  antérieur  au  concile  de  Vienne. 

On  sait  l'agitation  extrême  causée  dans  l'ordre  de  Saint-François 
par  les  divergences  de  vues  des  Spirituels  et  des  Conventuels.  Parmi 
tant  de  questions  qui  échaulïèrent  les  esprits  et  mirent  aux  prises  si 
violemment  les  défenseurs  et  les  contempteurs  de  la  doctrine  de 
Pierre  Jean  d'Olive,  celle  de  f*  usage  pauvre  »  occupe  une  place  des 
plus  notables.  Etant  admis  que  le  frère  Mineur  doit,  en  vertu  de  sa 
règle ,  observer  la  pauvreté  évangélique  la  plus  sévère,  il  ne  s'agit  plus 
de  savoir  s'il  peut  posséder  quelque  chose,  mais  s'il  est  obligé  d'user 
pauvrement  même  des  choses  qu'il  ne  possède  pas.  Olive  traita  cette 
question  dans  plusieurs  opuscules,  notamment  dans  un  ouvrage  spé- 
cial qu'il  consacra  à  r«  Usage  pauvre  »,  et  la  résolut,  bien  entendu,  par 
l'affirmative'*'.  Dans  les  années  qui  précédèrent  le  concile  de  Vienne, 


'"'  «In  oppositum  illius erroris de  paneitate, 
«quam  aliqui  docuenint  Parisiis ,  me  prtesente , 

■  — videlicet  quod  panis  non  transsubstanlia- 

•  batur  in  corpus  Christi,  nec  vinum  in  sangiii- 

•  nem  in  sacramento  altaris ,  sed  Christus ,  me- 
tdiante  carne,  assumebat  panem  et,  mediante 
«  sanguine ,  assumebat  vinum ,  ut  esset  magis 

•  sacramentum  assumptionisquam  transsubstan- 

■  tiationis,  —  in  oppositum,  (inquam),  hujus 
topinionis  est  directe  canon  de  Sumina  Trinitate 
»et  Jide.  .  .  »  (Pierre  d'Alva  y  Astorga,  Menu- 
menla  anliquu  seraphica  pro  immaculata  Concep- 


tione  Virginis  Mariée ,  Louvaïn ,  1 665 ,  in-fol. , 
p,  67.) 

'*'  Voir  le  Contin.  de  Guili.  de  Nangis  (éd. 
Géraud),  I,  347.  Cf.  Hist.  Utt.  de  lu  AV.,  XXV, 
2^9, 262. 

<''  F.  Stanonik,  p.  3a4. 

'•'  Hist.  lin.  de  la  Fr.,  XXV,  409,  4 10. 

'')  F.  Ehrle,  Petras  Johannis  Olivi,  sein  Leben 
and  seine  Schriften,  dans  Archivfûr  Literatur- 
iind  Kirchengeschichle ,  t.  III  (1887),  p.  465, 
498,  507-5.7.  Cf.  Hist.  lilt.  de  laFr.,  XXI, 
46. 


HIST.  LITTER.  XXXHI. 


482 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


la  question  fut  reprise  et  donna  lieu  à  de  très  longues  et  vives  contro- 
verses, auxquelles  prirent  part,  en  première  ligne,  les  frères  Buona- 
grazia  et  Ubertino  de  Casale  '''.  La  doctrine  de  r«  usage  pauvre  »  eut 
même  ses  martyrs,  s'il  faut  en  croire  ce  dernier  :  deux  frères  du  cou- 
vent de  Villefranche ,  en  Provence,  Raimond  Auriol  et  Jean  del 
Primo,  se  virent  emprisonnés,  enchaînés  et  traités  de  la  façon  la  plus 
dure  pour  le  seul  crime  de  n'avoir  pas  voulu  dire  que  le  vœu  de  pau- 
vreté n'impliquait  nullement  l'obligation  d'user  des  biens  de  ce  monde 
pauvrement;  le  premier  succomba,  le  second  survécut  à  grand'peine^"'^'. 
Pierre  Auriol  n'eutpoint  à  craindre  de  partager  le  sort  de  son  homonyme 
et  de  Jean  del  Primo,  s'il  est  réellement  l'auteur  du  traité  qu'on  lui 
attribue  De  Paupertate  et  Usii  paiipere;  c'est  un  ouvrage  concluant  plutôt 
dans  le  sens  des  Conventuels  et  se  distinguant  principalement  par  la 
largeur  des  vues  et  par  la  soumission  au  jugement  du  souverain  pon- 
tife. Nous  y  reviendrons  plus  loin.  En  tous  cas,  il  ne  mentionne  pas, 
il  semble  destiné  plutôt  à  provoquer  la  solution  que  Clément  V  donna 
à  la  question  de  I'k  usage  pauvre  »  dans  sa  constitution  Exlvi  de  para- 
diso^^'  :  nous  en  concluons  que  ce  traité  est  sûrement  antérieur  au 
6  mai  1 3 1 2 . 

Après  avoir  ainsi  pris  position  dans  le  débat  sur  la  pauvreté  qui 
divisait  si  tristement  l'ordre  des  frères  Mineurs,  Pierre  Auriol  fil 
entendre  sa  voix  dans  la  querelle  relative  à  la  conception  de  la  Vierge, 
où  ses  confrères  en  religion,  unis  cette  fois  pour  la  plupart,  avaient 
comme  adversaires  principaux  les  fils  de  saint  Dominique.  Cet 
incident  se  produisit  à  Toulouse,  où,  rev.enu  de  Paris,  Pierre 
Auriol  professait,  dès  1 3 1 4 ,  dans  le  couvent  des  Mineurs.  C'est  ce  que 
nous  apprend  une  note  manuscrite  insérée  à  la  suite  d'un  traité  de  Pierre 
Auriol,  le  De  Conceptione  B.  Mariœ  virginis^'^K  Voici  le  sens  de  cette 
note  :  «  Le  traité  de  la  Conception  de  la  bienheureuse  vierge  Marie 


'''  F.  Ehrie,  Zur  Vorgeichichte  des  ConciU 
von  Vienne,  dans  Archiv  fur  Literalur,  t.  III, 
p.  lia  et  suiv.,  62 ,  i43,  i55. 

<">  Ibid.,  p.  i83;  Archiv  fur  Literatar.  .  . , 
t.  II,  p.  384,  386.  Cf.  VHistoriu  septem  tribu- 
lationum  ordinis  Minorant,  d'Ange  de  Cingoii, 
ibid. ,  p.  3oo. 

<''  Clémentines,  V,  xi,  i. 

'*'  La  note  en  question  se  trouve  transcrite 
par  Pierre  d'Alva  y  Astorga,  à  la  p.  79  de  ses 


Monumentu  antiqaa  seraphica  pro  immacaluUi 
Conceptione.  Pierre  d'Alva  paraît  s'être  servi 
pour  son  édition  d'un  manuscrit  alors  conservé 
au  collège  de  Foix,  à  Toulouse,  et  d'un  manu- 
scrit de  la  bibliothèque  du  chancelier  Sé- 
guier  qui,  ni  l'un  et  l'autre,  ne  se  retrouvent 
à  la  Bibliothèque  nationale.  Le  second  ne  figure 
même  pas  dans  le  procès-verbal  de  la  prisée 
faite,  à  la  mort  de  Séguier,  en  167a  (ms.  tat. 
11878). 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


483 


«  a  été  composé  par  Pierre  Auriol  à  l'occasion  suivante.  Comme  il  était 
«lecteur  dans  le  couvent  des  Mineurs  de  Toulouse,  il  lui  arriva  de 
«  prêcher  dans  la  maison  des  Dominicains  le  jour  de  la  Conception 
M  de  la  Vierge  (8  décembre).  Ce  sermon  s'adressait  au  clergé.  Pierre 
«Auriol  y  prouva,  par  les  raisons  touchées  plus  haut,  que  c'était  une 
«  pieuse  croyance  d'admettre  que  la  Vierge  eût  été  préservée  de  la 
«  tache  originelle.  Dieu,  certes,  le  pouvait  faire;  cela  était  séant;  Dieu 
«l'avait  fait  peut-être.  En  tous  cas,  la  célébration  d'une  pareille  fête 
«  était  licite.  Or,  le  dimanche  suivant  (i  5  décembre),  un  frère  Prêcheur, 
«s'adressant  également  au  clergé,  démontra  que  la  sainte  Vierge  avait 
«participé  au  péché  originel;  il  réfuta  quelques-unes  des  raisons  de 
«  Pierre  Auriol,  allégua  en  faveur  de  sa  thèse  des  arguments  qui  ont 
«  été  aussi  touchés  plus  haut ,  et  reprocha  à  Pierre  Auriol  d'avoir  affirmé 
«  comme  unevérité  ce  que  celui-ci  n'avaitavancé  qu'avec  doute,  comme 
«  étant  seulement  une  pieuse  croyance.  Ce  que  voyant,  Pierre  Auriol 
«  voulut  faire  de  cette  question  l'oDJet  d'une  discussion  solennelle  dans 
M  le  sein  des  écoles  séculières.  Là,  en  présence  de  tous  les  religieux, 
«  docteurs,  maîtres  et  clercs,  à  la  demande  de  l'Université,  il  conclut 
M  dans  le  sens  indiqué  ci-dessus.  Cela  se  passait  à  Toulouse,  l'an  du 
«  Seigneur  i  3i4,  la  veille  de  la  Saint-Thomas  apôtre  (20  décembre), 
«peu  après  l'avènement  de  Louis,  roi  de  France,  en  présence  de 
«  l'évêque  de  Toulouse  Gaillard  et  durant  la  vacance  du  Saint-Siège.  » 
La  précision  de  ces  synchronismes,  la  forme  de  la  rédaction  ne 
permettent  guère  de  douter  de  l'ancienneté  de  cette  note,  non  plus 
que  de  son  exactitude,  que  tend  à  confirmer  l'observation  suivante. 
Dans  plusieurs  manuscrits,  le  De  Conceptione  de  Pierre  Auriol  est,  en 
effet,  daté  de  Toulouse  i3i4'''.  Nous  sommes  ainsi  fixés  sur  le  lieu  de 
résidence,  sur  les  fonctions  et  sur  la  situation  de  Pierre  Auriol  vers 


'*'  Ms.  d'Erfurt ,  in-4°  1 3 1  ;  ms.  de  Munich  lat. 
691  (ce  ms.  se  confondrait  peut-être,  d'après 
M.  Stanonik,  p.  323,  avec  celui  d'Augsbourg 
qui  est  indiqué  dans  le  catalogue  de  Reiser, 
p.  52,  n.  i3);  mss.  utilisés  par  Pierre  d'Alva 
y  Astorga  { Monamenta  antiqiia  seruphica .  .  . , 
p.  44  )  -  —  Dans  le  ms.  876  d'Arras ,  qui  date  de 
1 439 ,  le  De  Conceptione  est  donné  comme  ayant 
été  composé  par  Pierre  Auriol ,  à  Toulouse ,  en 
i3i3;  mais  le  copiste  a  peut-être  oublié  un 
jambage  et  écrit  .ccc.xiij.  pour  .ccc.xiiij.  —  Les 


bibliographes ,  en  reproduisant  l'indication  des 
manuscrits  (Tractatus  de  Conceptione  B.  Ma- 
rie Virginis  éditas  a  magistro  Petro  Aureoli . . . , 
apud  ïolosam,  anno  Domini  i3i4),  ne  l'ont 
pas  toujours  bien  comprise  :  ils  ont  cru  qu'il 
s'agissait  de  la  date  de  l'édition ,  et  quelques- 
uns  ont  pris  la  peine  de  relever  ce  que  cette 
date  aurait  d'invraisemblable  (Ph.  Labbe,  Dis- 
sertatio  philologica  de  scriptoribus  ecclesiaticis , 
Paris,  1660,  II,  i85;  Biographie  générale^ 
111,772). 


484  PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 

le  commencement  du  règne  de  Louis  Hutin.  Il  enseignait  à  Toulouse, 
sans  doute  la  théologie.  Sa  réputation  le  faisait  appeler  à  prêcher 
même  en  dehors  de  son  couvent  franciscain.  Sachant,  dans  la  querelle 
sur  la  conception  de  la  Vierge,  comme  dans  la  controverse  sur  V«  usage 
pauvre»,  se  garder  des  extrêmes,  il  se  contenta  de  soutenir  que  la 
célébration  de  la  fête  de  la  Conception  était  licite.  La  contradiction 
réchauffa  :  il  défendit  sa  thèse  en  présence  du  clergé  et  des  étudiants 
assemblés,  puis  la  développa  dans  un  traité  spécial,  qui  se  terminait 
par  un  acte  de  soumission  aux  décisions  futures  du  Saint-Siège.  Cette 
attitude  à  la  lois  énergique  et  prudente  devait  attirer  sur  lui  l'atten- 
tion de  ses  confrères  et  du  souverain  pontife. 

Il  se  pourrait  qu'il  eût  élé,  quoique  simple  frère  Mineur''',  délégué 
au  chapitre  général  de  son  ordre  qui  se  tint  à  Naples  vers  la  fin  du 
mois  de  mai  i3i6.  On  y  élut  comme  général  Michel  de  Césène; 
puis  on  y  désigna,  pour  commenter  à  Paris  le  Livre  des  Sentences,  le 
professeur  de  Toulouse  Pierre  Auriol.  Michel  de  Césène  lui-même 
souscrivit  à  ce  choix,  bien  qu'on  lui  eût  assuré  que  son  élection  avait 
été  combattue  par  Auriol'^'. 

C'était  un  hommage  éclatant  rendu  au  savoir  de  ce  dernier.  Les 
maîtres  de  Paris  jouissaient  alors  dans  l'ordre  de  Saint-François  d'une 
faveur  singulière,  et  leur  situation  privilégiée  ne  manquait  pas  d'allu- 
mer parmi  les  Spirituels  une  vertueuse  indignation  :  «Tout  l'ordre, 
«  disaient  ceux-ci,  s'incline  devant  les  maîtres  et  lecteurs  de  Paris.  Dans 
«beaucoup  de  provinces,  qu'ils  professent  ou  non,  ils  se  voient  dis- 
«  pensés  de  l'assistance  aux  offices  et  des  travaux  communs;  ils  mangent 
«  à  l'hôtellerie  ou  à  l'infirmerie,  se  font  servir,  comme  il  leur  plaît,  ce 
«  qui  devrait  être  distribué  aux  pauvres.  Ils  voyagent  de  couvent  en 
«  couvent,  ayant  avec  eux  un  frère  pour  les  servir,  et,  en  tous  lieux, 
«ils  sont  reçus  ainsi  que  des  seigneurs*^'.  » 

Ces  avantages,  en  tous  cas,  étaient  achetés  au  prix  d'un  travail 

•''  Vfaiddmg  [Annules  Minor. ,  III,  a-sS)  fait  <*'  Chron.  xxiv  generalium,  citée  d'après  le 

justement    remarquer    qu'Aurioi    ne    pouvait  ms.   d'Assise  par  Denifle  [Charliilarium   Univ. 

assister  à  ce  chapitre  en  qualité  de  ministre  de  Paris..    II,    2  25).    Cf.    S,    Antonin,    Chron., 

la  province  d'Aquitaine.  La  raison  d'âge  qu'il  tit.  XXIV,  cap.  ix ,  S  1 5  (  éd.  de  Lyon ,  1 687 , 

en   donne  n'est   guère   concluante,  puisqu'on  III,  78A). 

ignore  absolument  l'âge  de  Pierre  Auriol.  Mais  <''  F.    Ehrle ,    Zur    Vorgesch.    des    ConcUs 

la  vérité  est  que  ce  poste  était  alors  occupé  par  v.   Vienne,  dans  Arckiv  fur    Literatur,     III, 

Bertrand  de  La  Tour  (cf.  Stanonik,  p.  4i6).  1  18. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


485 


acharné.  A  la  période  de  l'enseignement  de  Pierre  Auriol  à  Paris  cor- 
respond la  composition  de  son  vaste  ouvrage  théologique  et  philoso- 
phique le  Commentaire  sur  les  quatre  livres  des  Sentences.  Il  y  en  a  eu 
deux  rédactions,  comme  on  le  verra  plus  loin,  dans  lesquelles  les  deux 
premiers  livres  et  une  partie  notable  du  troisième  diffèrent.  Or,  dans 
un  exemplaire  de  la  première  rédaction ''',  l'ouvrage  se  termine  par 
cette  note:  «  ExplicitquarfusliberSenlentiarum,dereportationefratris 
«  Pétri  Aureoli  recollectus,  eo  leçjenteParisim,  annoDornini  nfcccf  decimo 
«  septimo.  »  1 3 1 7,  c'est  la  première  année  de  l'enseignement  -de  Pierre 
Auriol  à  Paris.  D'autre  part,  on  lisait,  paraît-il,  dans  un  manuscrit 
de  Florence  du  même  Commentaire'^'  :  «  Explicil  lectura  super  se- 
«  cundum  lihrum  Sententiarum,  sub  magistro  Petro  Aureoli,  de 
«  ordine  fratrum  Minorum ,  doctore  in  sacra  theologia,  reportata  lempore 
M  cjuo  legebat  Parisiis  Sententias,  videlicet  anno  Domini  M"cc(fxriii°^^\  »  S'il 
s'agit  là,  comme  il  se  peut,  de  la  deuxième  rédaction,  ce  serait  dès  sa 
seconde  année  d'enseignement  à  Paris  qu'Auriol  aurait  complètement 
remanié  son  Commentaire  sur  les  deux  premiers  livres  du  Maître 
des  Sentences.  Au  plus  tard,  d'ailleurs,  ce  remaniement  eut  lieu 
en  iSig'*',  et  le  labeur  de  cette  double  rédaction,  qui  embrasse 
d'immenses  développements  sur  une  multitude  de  questions  des 
pluscomplexes,  témoigne,  dans  tous  les  cas,  d'un  effort  vraiment  extra- 
ordinaire. 

Il  fut  récompensé.  Dès  le  i4  juillet  i3i8,  Jean XXII avait  ordonné 
au  chancelier  de  l'église  de  Paris  de  conférer  à  Pierre  Auriol  la  licence 
en  théologie.  «  11  s'est  livré  jour  et  nuit,  disait  le  pape,  avec  une  telle  ar- 
«  deur  à  l'étude  de  la  théologie,  ii  y  a  fait  de  tels  progrès,  par  la  conti- 


'"'  Ms.  243  de  Toulouse,  fol.  ia4. 

'''  Ms.  355  de  Santa  Crocs.  Il  ne  semble 
pas  figurer  parmi  les  mss.  conservés  aujour- 
d'hui à  la  Laurentienne. 

'''  Nous  croyons  devoir  rétablir  ainsi  le  texte 
de  cette  note,  mal  lu  ou  mal  transcrit  par 
Sbaraglia  (p.  585). 

'*'  Dans  l'édition  du  cardinal  Boccafuoco ,  la 
date  de  la  deuxième  rédaction  est  indiquée , 
à  la  fin  du  livre  IV,  de  la  façon  suivante  :  «  Ex- 
«  plicit  quartus  liber  Sententiarum  secundum 
•  lecturam  fratris  Pétri  Aureoli  recollectam,  eo 
«legente  in  scholis  Parisiis.  .  .  t  [In  IV  Sent., 
p.  3î6.)  Le  fait  que  cet  ouvrage  fut  écrit  à  Paris 
semble  résulter  également  des  passages  sui- 


vants :  a  Unus  vadit  ad  S.  Dionysium  in  iv  ho- 
«  ris  ;  claudus  ibit  in  una  die .  .  .  Consimiliter 
«  pone  quod  in  iv  horis  vadit  quis  ad  S.  Diony- 
«  sium  et  in  iv  horis  vadit  quis  ad  exitum  civi- 
«tatis.  .  .  n  [In  III Sent.,  d'iit.  11,  qu.  i,  art.  i, 
p.  34''.  )  «  Exemplum  pono  quod  unus  vadit  in 
0  duabus  horis  ad  S.  Dionysium.  »  (  Ibid.,  p.  36'.  ) 
Or,  le  séjour  d'Auriol  à  Paris  ne  semble  pas 
s'être  prolongé  au  delà  de  iSig.  —  S'il  était 
nécessaire  de  prouver  que  le  Commentaire 
sur  les  Sentences  est  postérieur  à  1 3 1 1 ,  on 
pourrait  y  relever  une  allusion  à  un  décret  du 
concile  de  Vienne  [In  II  Sent. ,  dist.  xvi ,  art.  2  ; 
cf.  K.  Werner,  Der  Averroismas  in  d.  christlich- 
peripatêt.  Psychologie ,  p.  i8i). 


486 


PIERRE  AlJRIOL,  FRERE  MINEUR. 


«  niiité  du  travail  et  par  l'exercice  du  professorat,  qu'il  s'est,  croyons- 
«  nous,  rendu  digne  d'enseigner  en  la  Faculté  de  théologie*''.  »  Le  pape 
fut  obéi  :  Pierre  Auriol,  qui  d'abord  n'avait  expliqué  les  Sentences  que 
dans  le  couvent  des  frères  Mineurs,  fut  admis  à  professer  dans  l'Uni- 
versité même;  et  c'est  en  qualité  de  maître  et  de  régent  en  la  Faculté 
de  théologie  de  Paris  qu'avec  trois  autres  religieux  il  prêta  serment, 
le  i3  novembre  i3i8,  d'observer  les  statuts,  de  garder  les  secrets, 
de  respecter  les  privilèges  de  l'Université'^'. 

Un  artiste  contemporain  a  voulu  perpétuer  le  souvenir  des  succès 
d'Auriol  dans  l'enseignement  philosophique.  La  lettre  initiale  d'un 
manuscrit  de  Sorbonne  qui  contient  le  premier  livre  de  son 
Commentaire  des  Sentences  (deuxième  rédaction)  le  représente 
assis  dans  sa  chaire,  enseignant,  la  main  droite  levée,  à  un  groupe 
de  frères  Mineurs  dont  l'un  exprime  par  son  geste  une  vive  admi- 
ration *^'. 

Cet  enseignement  pourtant  ne  se  prolongea  guère.  Dès  iSig, 
si  l'on  en  croit  la  Chronique  des  Vingt-quatre  généraux'*',  Auriol, 
rappelé  de  Paris,  fut  nommé  ministre  des  frères  Mineurs  de  la  pro- 
vince d'Aquitaine.  Il  remplaçait  Bertrand  de  La  Tour,  qui  ne  fut 
cependant  élevé  que  le  3  septembre  1 320  à  l'archevêché  de  Salerne'*'. 
Toutefois  nous  devons  remarquer  qu'une  lettre  pontificale  postérieure, 
dont  il  va  être  question  plus  loin'''',  ne  donne  point  à  Auriol  le 
titre  de  provincial,  mais  se  contente  de  lui  attribuer  les  qualités 
de  prêtre  (qu'il  n'avait  pas  en  1 3 18)  et  de  maître  en  théologie. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  période  de  la  vie  d'Auriol  est  celle  de  la 
composition  d'un  de  ses  ouvrages  les  plus  fameux,   le  Breviarium 


'''  Denifle  et  Châtelain ,  Chartal  Univ.  Paris. , 
II,  aaS;  K.  Eubel,  BitUar.  Francise anum ,  V, 
1 54.  —  C'est  la  bulle  dont  C.  Oudin  (  De  Script. 
EccL,  III,  85)  contestait  l'existence,  on  du 
moins  l'authenticité ,  pour  des  raisons  très  peu 
solides.  La  même  bulle,  mal  comprise  de  Wad- 
ding  [Ann.  Min.,  111,  168),  lui  a  fait  croire 
<|ue  Pierre  Auriol,  trop  jeune  encore  pour 
professer  et  même  pour  être  ordonné  prêtre, 
avait  obtenu  du  pape  une  dispense  d'âge.  Cf. 
Stanonik,  p.  337. 

<">  Churtul.  Univ.  Paris.,  II,  527.  Cf.  Du 
Boulay,  IV,  183. 

f  Ms.  lat.  15363. 


i'>  Citée  par  le  P.  Denifle  [Chartal.  Univ. 
Paris..  Il,  325). 

'''  K.  Eubcl,  Hierarchia  cuthoHca  medii  œvi, 
p.  453.  —  Wadding  (Ann.  Min.,  III,  168, 
338)  fournissait  à  cet  égard  des  renseigne- 
ments contradictoires  :  en  un  passage,  il  écri- 
vait que  Pierre  Auriol  avait  remplacé,  comme 
provincial  d'Aquitaine,  Bertrand  de  La  Tour, 
lors  de  la  nomination  de  ce  dernier  à  l'arche- 
vêché de  Salerne  ;  en  un  autre ,  il  prétendait 
qu'Auriol  avait  continué  d'enseigner  à  Paris 
jusqu'à  sa  propre  nomination  à  l'archevêché 
d'Aix.  Cf.  Stanonik,  p.  419. 

I*'  Lettre  du  37  février  1 33  1 . 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


487 


Bibliorum,  ou  Compendiuin  Scripturœ,  qu'il  a  pris  soin  lui-même  de 
dater  de  i3  19,  enindiquant  qu'il  écrivait  ioo3  ans  après  l'année  3 16''*, 
D'ailleurs  l'étude  des  Livres  saints  ne  lui  faisait  point  perdre  de  vue 
les  recherches  philosophiques  :  car  son  recueil  de  Quodlibeta  dut 
voir  le  jour  en  i32o,  si  l'on  s'en  fie  à  une  indication  fournie  par 
un  manuscrit  du  temps '^'. 

Vers  la  fin  de  cette  même  année,  l'archevêché  d'Aix  vint  à  vaquer 
par  la  promotion  de  Pierre  des  Prés  à  la  dignité  de  cardinal  (  1 9  ou 
20  décembre  i32o).  Jean  XXII,  dont  l'attention  s'était  déjà  fixée  sur 
Auriol,  et  à  qui  ce  dernier,  sans  doute  par  reconnaissance,  avait  dédié 
son  Commentaire  du  Livre  des  Sentences'^',  jugea  qu'un  religieux 
dont  la  science  jetait  tant  d'éclat  sur  l'ordre  des  Mineurs  était  digne 
d'occuper  un  des  deux  sièges  métropolitains  de  Provence.  La  bulle 
qui  nomma  Auriol  à  l'archevêché  d'Aix  porte  la  date  du  27  février 
i32i;  elle  loue,  entre  autres  qualités,  la  gravité  de  ses  mœurs,  la 
pureté  de  sa  vie,  la  maturité  de  son  jugement**'.  Le  pape  voulut  sacrer 
le  nouveau  prélat  de  ses  propres  mains.  Cette  cérémonie  eut  lieu  à 
Avignon,  sans  doute  le  i4  juin  1 32  1,  jour  de  la  fête  de  la  Trinité  et 
date  d'une  nouvelle  bulle  par  laquelle  Jean  XXII,  après  avoir  certifié 
le  fait  du  sacre,  autorisait  Auriol  à  gagner  son  diocèse  et  lui  donnait 
sa  bénédiction  *•'**.  Six  jours  après,  le  pape  chargeait  les  cardinaux 
Orsini,  Caelani  et  Fieschi  de  lui  remettre  le  pallium.  Enfin,  comme 
Pierre  Auriol  était  parvenu  pauvre  à  l'épiscopat,  et  que  sa  promo- 
tion, puis  son  installation  devaient  l'entraîner  à  des  dépenses  en 
disproportion  avec  ses  ressources,  une  dernière  lettre,  du  1 1  juillet 


<''  «  Sedit  autem  Silvester  anno  Domini  3 1 6  ; 
qui  si  tollantur  ab  bis  qui  bodie  A)mputantur, 
rémanent  mille  et  très  »  (  Compendiam  Scrip- 
tarœ,  éd.  de  Paris,  i585,  fol.  287  v°); 
passage  déjà  relevé  par  Sbaraglia  (p.  584)- 
C.  Oudin  (III,  85o)  et  Wadding  (Script,  ord. 
Min.,  éd.  de  1806,  p.  188)  ont  fisé,  par  erreur, 
à  i345  la  date  de  la  rédaction  du  Compen- 
diam :  ils  la  confondaient  avec  celle  de  la 
transcription  du  même  ouvrage  dans  un  ms. 
de  Tolède  (cf.  Stanonik,  p.  k'^k)- 

'''  Ms.  lat.  1.7/185  (Jacobins  de  la  rue  Saint- 
Jacques),  fol.  84*:  «Explicit  Quo J/i6e(  magistri 
Pétri  Aureoli ,  ordinls  fratrum  Minorum ,  edi- 


tum  et  completum  anno  gratie  m°  ccc°  xx°.  » 
'''  Ce  fait,  rappelé  par  le  cardinal  Bocca- 
fuoco  dans  la  dédicace  de  son  édition  de  Pierre 
Auriol,  a  été  vainement  contesté  par  Casimir 
Oudin  (III,  857).  La  dédicace  d'Auriol  à 
Jean  XXII  se  lisait  notamment  dans  le  ms.  354 
de  Santa  Croce,  et  Sbaraglia  (p.  585)  en  a 
reproduit  les  premiers  mots. 

'•'  Albanés,  Gallia  christ,  now'ss.  ^  I ,  Instr. , 
c.  56;  R.  Eubel,  Bullar.  Francise,  V,  200.  — 
C.  Oudin  (III,  85o)  prétendait  prouver  qu'Au 
riol  n'avait  jamais  été  archevêque  d'Aix. 

<''  Albanés,   loc.  cit.  et  p.   79;  Eubel,   V, 
200,  n.  3. 


488 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


1821,  l'autorisa  à  emprunter  une  somme  de  1,000  florins  tant  en  son 
nom  qu'au  nom  de  l'église  métropolitaine*''. 

Au  surplus,  cet  épiscopat  ne  dura  pas  une  année.  Malgré  les  diver- 
gences qui  apparaissent  à  cet  égard  parmi  les  érudits,  dont  plusieurs 
croient  devoir  prolonger  la  vie  d'Auriol  jusqu'au  delà  de  l'année  1 3  45'^\ 
il  est  certain  qu'il  était  mort  avant  le  28  janvier  1822  *'\  et  la  date 
vraisemblable  de  son  trépas  n'est  autre  que  le  10  janvier  de  cette 
même  année,  qui  est  indiquée  par  un  ancien  Martyrologe  francis- 
cain*'''. D'accord  avec  la  plupart  des  historiens  provençaux**',  nous 
n'hésitons  pas  à  préférer  cette  date  à  celle  du  27  avril,  que  fournit 
Moréri*®'  et  que  semblent  adopter  les  Bollandistes,  puisqu'ils  men- 
tionnent, à  ce  jour,  Pierre  Auriol  au  nombre  des  saints  personnages 
que  l'Eglise  n'aurait  pas  officiellement  béatifiés. 

Pierre  Auriol  avait  dû  terminer  ses  jours  à  Avignon,  car  il  est 
indiqué  comme  étant  mort  apnd  Sedem  apostoUcam  dans  la  bulle, 
datée  du  9  juillet  1822,  qui  lui  désigne  un  successeur*''.  Il  est  donc 
impossible  qu'Auriol  se  soit  rendu  à  une  assemblée  de  prélats  tenue, 
à  Paris,  vers  la  fin  de  1822,  où  il  aurait,  d'après  Pitton,  «  haran- 
«  gué  puissamment  en  faveur  de  l'Église  Romaine  contre  les  privilèges 
«  de  la  Gallicane  » ,  ce  qui  aurait  déplu  à  l'assemblée  et  aurait  causé  in- 
directement sa  mort;  car,  ainsi  que  fexplique  un  autre  historien  pro- 
vençal, notre  prélat,  étant  retourné  dans  son  diocèse  au  plus  vite, 
«  le  déplaisir  de  s'cstre  fait  une  si  fâcheuse  affaire  le  fit  bientôt  partir 
«  de  ce  monde*"'  ».  Auriol  ne  put  être  non  plus  ni  ministre  général  de 


'"'  Albanés,  Eubel,  loc.  cit. 

<')  GaUia  christ. ,  1 ,  3a  i  ;  C.  Oudin ,  III ,  867  ; 
Prantl,  Gesch.  der  Logik,  III,  3 19,  etc.  — 
L'origine  de  cette  erreur  est  la  confiision  qu'on 
a  faite,  comme  il  a  été  remarqué  plus  haut 
(page  487,  note  1),  entre  la  date  de  la  rédac- 
tion et  la  date  d'une  des  transcriptions  du 
Compendium  sacrée  Scriptarœ. 

'*'  Il  est  question,  à  cette  date,  dans  les 
écritures  de  la  Chambre  apostolique,  de  Rai- 
mond  Auriol,  frère  du  défunt  archevêque 
d'Aix  (Arch.  du  Vat.,  Introitas  et  exilas  /|i, 
fol.  178; cité  par  Denifle,  Chartul.  Univ.  Paris., 
II,  718,  et  par  Albanés,  Gallia  christ,  noviss., 
I.8.). 

'*'  Cité  par  Pitton  [Annales  de  la  sainte  Eglise 


d'Aix,  Lyon,  1668,  in-A",  p.  »7'l),  qui  ren- 
voie également  à  une  Table  des  anniversaires 
des  Cordeliers  d'Aix.  —  Nous  ne  partageons 
pas,  à  cet  égard,  les  hésitations  de  M.  Stanonik 
(p.  425). 

'''  Pitton,  loc.  cil.;  P.  Louvet,  Abrégé  de 
l'histoire  de  Provence  (Aix,  1676,  in-12),  II, 
/(3;  P.-J.  de  Haitze,  L'épiscopat  métropolitain 
d'Aix  (Aix,  186a,  in-ia),  p.  78;  Albanés, 
op.  cil.  ,1,81. 

'"'  Dictionnaire,  VIII,  loa. 

'''  Albanés ,  I ,  Instr. ,  n"  a.  —  Le  P.  Denifle 
(Chartul.  Univ.  Paris.,  II,  718)  fait  erreur  en 
avançant  que,  d'après  cette  bulle,  Pierre 
Auriol  serait  mort  à  Aix,  le  10  janvier. 

'')  P.-J.  de  Haitze,  loc.  cit. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR.  489 

l'ordre  des  frères  Mineurs*'',  ni  archevêque  de  Narbonne'^',  ni  car- 
dinal, ainsi  qu'on  l'a  maintes  fois  prétendu ''l  Cette  dernière  erreur, 
la  plus  accréditée,  provient  de  la  confusion  qu'on  a  faite  entre  lui  et 
son  prédécesseur  sur  le  siège  d'Aix,  Pierre  des  Prés. 

Toute  sa  carrière,  si  l'on  excepte  la  dernière  année  de  sa  vie,  s'est 
écoulée  dans  les  maisons  de  frères  Mineurs,  soit  à  Paris,  soit  à  Tou- 
louse. Il  a  été  prédicateur;  il  a  été  surtout  lecteur,  et  il  a  composé  sur 
des  sujets  d'ascétisme,  de  théologie,  de  philosophie  ou  d'exégèse  un 
grand  nombre  d'ouvrages  dont  il  nous  reste  à  traiter. 

SES   ÉCRITS. 


I.  De  Pàupertate  et   Usu  paupere. 

On  a  vu  plus  haut  dans  quelles  circonstances  a  été  composé  ce 
traité,  que  plusieurs  bibliographes  attribuent  à  Auriol'*',  dont  il 
existait  au  xiv*  siècle  deux  exemplaires  dans  la  bililiothèque  des  papes 
d'Avignon''*',  et  dont  Wadding  indique  encore  un  autre  exemplaire 
manuscrit  conservé  de  son  temps  au  couvent  des  Franciscains  de 
Séez(«'. 

Le  De  Paapertate  a  été  édité,  sous  le  nom  d'Auriol,  dans  l'ouvrage 
intitulé  Firmamenta  triuin  ordinam  beatissimi  patris  nostri  Francisci 
(Paris,  i5ii)(^'. 

Inc.  :  Supposito  quod  paupertas  evangclica ,  quam  Christus  vivendo  teiiuit .  .  . 
Des.  :  ...  cum  non  possit  punctualiter  et  certitudinaliter  taxare  quœ domus  debeat 
dici  pauper  et  quae  non ,  qiiis  cibus  sit  pauper,  etc. 

L'auteur  admet  que  le  frère  Mineur,  en  vertu  de  sa  règle,  est  tenu 


<■'  Pitton ,  /oc.  cit. 

<•'  Cf.  C.  Oudin,lII,85o. 

^'  Ciaconius  (éd. de  1677),  11,  À36,  etc. — 
D'après  Sbaraglia  (p.  586),  ce  serait  l'Univer- 
sité de  Louvain  qui,  la  première,  aurait,  en 
1470,  attribué  le  titre  de  cardinal  à  Pierre 
Auriol  (d'Argentré,  Collect.  judic,  I,  11,  271). 
La  même  erreur  se  retrouve  dans  plusieurs  des 
anciennes  éditions  des  œuvres  d'Auriol ,  dans 
l'édition  vénitienne  AuCompendium sacrœ  Scrip- 
lurœ  de  i5o7,  tl*"i*  l'édition  de  i5i2  du  Ùc 


PaaperUite  et  Usa  paupere,  dans  l'édition  du 
Commentaire  des  Sentences  de  1 J96 ,  dans  l' édi- 
tion du  Compendium  de  Rouen,  1649,  ''*'^- 

('>  Fabricius,  V,  343;  Sbaraglia,  586;  Sta- 
nonik,  493. 

'■''''  F.  Ehrle ,  Hist.  hibliothecœ  Romanor.  ponti- 
ficum,  I,  476,  496. 

'''  Script,  ord.  Min.,  188. 

<''  Quatrième  partie,  ff.  cxvi-c\x\.  —  Sba- 
raglia (p.  586)  cite  une  édition  vénitienne  du 
même  ouvrage  d*;  l'année  i5i3. 


HIST.  LITTKR. 


xxxni. 


490  PIERRE  AURIOL.  FRERE  MINEIR. 

d'observer  la  pauvreté  évangélique  dans  toute  sa  rigueur,  telle  que 
l'ont  pratiquée  le  Christ  et  les  apôtres;  mais  il  se  pose  des  questions, 
qu'il  ne  juge  pas  peu  embarrassantes.  Le  religieux  voué  à  cet  extrême 
degré  de  pauvreté  est-il  tenu  d'observer  usam  pauperem,  d'user  pau- 
vrement des  choses?  Et  cet  «  usage  pauvre  »  consiste-t-il  en  la  vulgarité 
ou  en  la  rareté  des  choses  dont  on  se  sert?  S'agit-il  de  leur  qualité? 
S'agit-il  de  leur  quantité?  Faut-il  que  les  logements,  les  vêtements, 
les  livres,  les  aliments  soient  vils,  ou  bien  qu'ils  soient  tout  juste  assez 
nombreux  pour  suffire  aux  besoins  d'un  pauvre?  Cet  «  usage  pauvre  », 
de  quelque  manière  qu'on  l'entende,  est-il  de  l'essence  de  la  pauvreté 
évangélique,  ou,  au  contraire,  n'est-il  prescrit  que  par  une  simple 
règle  de  convenance? 

Sur  ce  dernier  point,  notre  auteur  développe  successivement  le 
pour  et  le  contre.  Sept  arguments  tendent  à  prouver  que  1'"  usage 
«  pauvre  »  rentre  essentiellenientdansla  pauvreté  évangélique.  (Cepen- 
dant le  précepte  du  Seigneur  :  In  eadem  autem  domo  manete  edenles  el 
bibentes  (fuœ  apiid  illos  sant  (Luc.  x,  7)  comporte  quelque  adoucisse- 
ment, au  moins  quant  à  la  nourriture.  Le  même  esprit  apparaît, 
semble-t-il,  dans  la  Règle  de  Saint-François.  p]n  somme,  l'usage  des 
choses  se  trouve  modéré,  restreint  par  la  pratique  de  certaines  vertus 
secondaires;  mais  la  pauvreté,  dont  il  s'agit,  la  pauvreté  même  la 
plus  haute,  consiste  essentiellement  flans  un  renoncement  complet  à 
toute  espèce  de  droit  et  de  propriété  sur  les  choses  :  la  restriction  et 
la  limitation  de  l'usage  sont  seulement  un  accessoire  de  cette  pau- 
vreté. Pierre  ne  possède  rien;  un  riche  vêtement  lui  est  prêté  par  l^aul 
pendant  trois  jours  :  en  est-il  plus  riche  pour  cela?  Si  abondante  que 
.soit  une  nourriture,  si  riche  que  soit  une  habitation,  ce  n'est  pas  dé- 
roger à  la  pauvreté  qu'en  accepter  provisoirement  l'usage.  Autrement, 
ce  qu'Auriol  trouve  absurde,  il  faudrait  dire  qu'un  frère  Mineur 
ne  peut  jamais  dormir  dans  le  palais  d'un  roi  ni  manger  à  la  table 
d'un  pape.  A  plus  forte  raison,  user  de  biens  mendiés  ne  constitue 
pas  une  dérogation  à  la  pauvreté,  puisque  celle-ci,  loin  d'être 
atteinte,  ne  fait  que  croître  par  le  fait  de  la  mendicité.  Le  plus  pauvre 
des  hommes  peut  boire  dans  l'or  el  dormir  sur  la  soie  sans  cesser 
d'être  pauvre.  Si  cet  usage  se  prolonge,  il  peut  constituer  un  man- 
quement à  certaines  vertus  d'humilité,  de  tempérance,  non  pas  une 
dérogation  à  la  vraie  pauvreté.  Le  Fils  de  l'homme  .se  nourrissait  daii- 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


491 


ments  ordinaires,  était  revêtu  d'une  robe  sans  couture,  acceptait  l'iios- 
pitalité  de  Simon,  de  Marthe  et  de  Marie  :  saint  Jean  Baptiste,  pour 
avoir  mené  une  vie  parfois  plus  austère,  était-il  plus  pauvre  que  lui? 

La  conclusion  de  Pierre  Auriol  ressort  des  principes  ainsi  posés.  Il 
n'est  pas  homme  à  conseiller  ni  à  défendre  le  relâchement,  mais 
il  est  d'avis  de  distinguer  la  pauvreté  proprement  dite,  à  laquelle  le  re- 
ligieux est  astreint  par  son  vœu,  de  l'austérité,  de  l'humilité,  qui  sont 
seulement  vertus  à  lui  recommandées.  Quant  aux  «  usages  pauvres  », 
le  vœu  d'obéissance  oblige  le  frère  Mineur  à  observer  ceux  que  prescrit 
la  Règle  de  Saint-François;  car  maints  passages  de  cette  règle  de- 
vraient être  considérés  peut-être  comme  des  préceptes  à  cet  égard, 
bien  que  le  soin  d'en  décider  appartienne  au  souverain  pontife. 

Clément  V  ne  répondit-il  pas  en  quelque  sorte  à  cette  dernière  invite, 
quand  il  définit  de  la  sorte  les  obligations  du  frère  Mineur  dans  sa 
constitution  ExivideParadiso  :  «  Nous  déclarons  que  les  frères  Mineurs, 
«  en  vertu  de  leur  règle ,  sont  spécialement  astreints  aux  usages  pauvres 
«  que  cette  règle  indique,  et  dans  la  mesure  où  elle  l'indique. . .  Quant 
«  à  taxer  d'hérésie  le  fait  d'afïirmer  ou  de  nier  que  l'usage  pauvre  soit 
«compris  dans  le  vœu  évangélique,  nous  jugeons  cette  prétention 
«  présomptueuse  et  téméraire  »  ? 

Dans  ce  traité,  le  premier  qu'ait  écrit  sans  doute  Auriol,  le  philo 
sophe  se  révèle  à  peine  par  quelques  citations  d'Aristote,  mais  le  reli- 
gieux se  montre  déjà  plein  de  modération  et  de  déférence  envers  le 
Saint-Siège. 

11.  De  Conceptione  beatm  Mari/e  Virginis. 

De  nombreux  exemplaires  manuscrits  de  cet  ouvrage  se  conservent 
dans  les  bibliothèques  de  Chartres''',  d'Arras''^',  de  Douai '^',  d'Erfurt'*', 


'■'  Ms.  428,fT.  156-167  (xi  v°  s.),  sous  le  titre: 
Sermo  de  Conceptione  Virginis. 

'*'  Ms.  876  (1439;  abbaye  du  Mont-Saint- 
Eloi).  La  fin  manque.  On  y  lit  cette  note  : 
«  Queni[  tracta  tum]  compila  vit  denuo  quidam 
«  alterfrater  Matui-inus  Clementis,  ordinis  Car- 
«melitani,  tempore  quo  fuit  lector  Sententia- 
«  rum  conventus  Metensis.  •  11  s'agit  là  de  Ma- 
thurin  Clément ,  autrement  dit  Courtois ,  célèbre 


Carme  de  Bourges ,  qui  fut ,  en  1 45 1 ,  doyen  de 
la  Faculté  de  théologie  de  l'Université  de  Pa- 
ris. La  liibliotheca  Carmelitana  (II,  42 1)  lui  at- 
tribue, en  effet,  un  De  Conceptione  B.  Virginis 
Maria,  ouvrage  resté  manuscrit,  qui  ne  serait, 
d  après  cette  note ,  qu'un  remaniement  de 
l'œuvre  de  Pierre  Auriol. 

<')  Ms.  5i8,  ff.  33et  suiv.  (xv's.). 

<*'  Ms.  in^"  i3i  (xiv's.). 

63. 


\ 


492 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


(le  Munich''',  de  Cracovie '"^',  de  Saint-Floiian  près  de  Linz'^',  de 
Rome,  de  Naples'"'  et  du  couvent  de  Saint-François  à  Assise'^*.  La  plu- 
part remontent  au  xiv"  siècle;  presque  tous  portent  le  nom  d'Auriol, 
et  (juelques-uns  rappellent  que  cet  ouvrage  a  été  composé,  ainsi  que 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  à  Toulouse,  en  i3i4,  sans  doute  dans  les 
derniers  jours  de  l'année  ou  dans  les  premiers  mois  de  i .'i 1 5  (i  3 1 4, 
vieux  style),  car  les  incidents  à  l'occasion  desquels  il  lut  écrit  se 
produisirent,  on  s'en  souvient,  les  8,  i5  et  20  décembre  i3i4- 

11  existe  de  ce  traité  deux  ou  trois  éditions  incunables'^',  et  nous 
en  connaissons  quatre  éditions  ou  réimpressions  faites,  au  xyii'  siècle, 
par  Pierre  d'Alva  y  Astorga'"'  et  par  Théodore  Moretus**'.  Plusieurs  des 
éditeurs  assignent  à  la  composition  du  De  Conceptione  la  date  Jau- 
tive  de  1 338,  par  suite  d'une  confusion  qui  sera  expliquée  bientôt. 

Inc.  :  Nondum  erant  abyssi,  et  ego  jam  concepta  eram  (Puov,  vin).  De  Con- 
ceptione immaculatîL' \  irginis  traclaturi.     . 

Des.  :  .  .  .  (pioniam  sola  ipsa  caput  lidei  et  cathoiicœ  veritatis  a  Christo  conslituta 
est,  qui  cum  Pâtre  et  Spiritu  Sancto  vivit  et  régnât.  Amen. 

Cet  ouvrage,  que  saint  Bernardin  de  Sienne  qualifie  de  «  grand  et 
«  beau  traité  »  *^',  est  divisé  en  six  chapitres.  Dans  le  premier,  l'auteur  rap- 
porte les  textes  de  l'Écriture  ou  des  Pères  qui  paraissent  défavorables 
à  la  thèse  de  la  Conception  immaculée;  il  y  joint  un  certain  nombre 
d'arguments  qui  tendraient  aussi  à  infirmer  cette  thèse.  Dans  le 
second  chapitre,  il  explique  ce  qu'il  entend  par  la  conception,  par 
le  péché  originel  et  la  souillure  qui  en  résulte.  Dans  le  troisième,  il  dé- 


'■'  Mss.  lat.  iSo-J,  ir.  60  et  suiv.  (xv*  s.),  et 
691  (i48o). 

<'>  Ms.  1600,  ff.  1 55-1 63  (xiVs.). 

Cl  Ms.  i38,  ff.  1  et  suiv.  (xiv*  s.). 

'*'  Indirations  fournies  par  le  R.  P.  Ehrie. 
—  Le  nis.  de  Uome  se  trouve  dans  la  bibl. 
Victor-Ejninanuol . 

'*'  Ms.  193  (xiv*  s.;  complété  par  une  main 
moderne).  —  Il  existait  deux  exemplaires  de 
cet  ouvrage,  n  la  lin  du  xiv'  siècle,  dans  la 
bibliothèque  des  papes  d'Avignon  (Khrle, 
Ilist.  bibl.  Ronianor.  pontificain,  I,  34i,  ^76, 
5o4). 

<"'  Celle  qui  est  conservée  à  la  Bibliothèque 
nationale  (liés.,  D  6365;  Pellechel,  n°  161 4) 


ne  porte  indication  ni  de  lieu  ni  do  date;  elle 
est  attribuée  à  Pierre  Schœffer,  de  Mayence. 

'''  Bibliotheca  virginea  (Madrid,  1648),  ou- 
vrage inconnu  d'Antonio  {Bibl.  hitp.  nova,  II, 
168),  mais  cité  par  Sbaraglia  (p.  585);  Monu- 
menla  antiqua  seraphica  pro  immacalata  Con- 
ceptione, p.  1  5-/i4. 

'"'  Principatus  incomparabilis  primijilii  homi- 
nii  Mcssiœ  el  priime  parcntis  matris  ViVf/ini.5( Co- 
logne, 1671,  in-fol.),  Append.,  p.  i-l6;  ou- 
vrage réimprimé,  sous  un  titre  quel([ue  peu 
différent,  en  1695  (Musée  britann.,  i'irtb  1  a). 

'•'  Il  en  avait  trouvé  un  exemplaire  à  I\i- 
mini  {De  Conceptione;  éd.  P.  d'Alva,  Monum. 
iinliq.  serapli.,  p.  7). 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


493 


montre  que  Dieu  a  pu,  en  vertu  de  sa  puissance,  préserver  la  Vierge 
de  cette  souillure.  11  énumère,  dans  le  quatrième,  les  motifs  de  rai- 
son et  de  haute  convenance  qui  ont  pu  déterminer  dans  ce  sens  la 
volonté  divine.  Il  prouve,  dans  le  cinquième,  qu'on  peut,  sans  risque 
pour  la  foi,  croire  que  Dieu  a  effectivement  préservé  la  Vierge  de  la 
tache  originelle.  Enfin  il  montre,  dans  le  sixième,  que  le  langage  des 
saints  ne  contredit  point  cette  thèse. 

Saint  Anselme,  Richard  de  Saint-Victor,  Alexandre  de  Halès  et 
Robert  de  Lincoln  lui  fournissent,  cette  fois,  des  textes  favorables 
à  la  Conception  immaculée.  Certains  Pères  de  l'Eglise  ont  opiné 
en  sens  contraire  :  mais  c'est  qu'ils  n'entendaient  pas  de  même  ma- 
nière les  termes  de  «  conception  »  et  de  «  péché  originel  ». 

D'ailleurs,  il  appartient  au  pape,  aux  cardinaux  et  à  fEglise  ro- 
maine de  reprendre  les  erreurs  notoires  en  matière  de  foi.  Or  il  est 
clair  que,  depuis  longtemps,  Rome  sait  à  quoi  s'en  tenir  au  sujet  de 
la  façon  dont  se  célèbre  la  fête  de  la  Conception  en  Angleterre,  en 
Normandie,  à  Lyon'",  dans  l'Université  de  Paris.  Beaucoup  d'églises, 
même  soumises  directement  au  pape,  s'associent  à  cette  célébration. 
De  nombreux  et  illustres  docteurs  ont  prêché,  et  prêchent  chaque 
année,  tant  à  Paris  qu'en  Angleterre,  que  la  Vierge  n'a  pas  encouru, 
par  suite  de  la  faute  originelle,  la  haine  ni  la  colère  de  Dieu.  Quel- 
ques-uns l'ont  même  enseigné  dans  des  écrits  connus  :  Pierre  Auriol 
nomme  ici  Guillaume  Warron,  maître  de  Duns  Scot*"^',  et  Duns  Scot 
lui-même.  Il  fait  remarquer  aussi  que  toutes  les  églises  françaises  ou 
anglaises  qui  fêtent  la  Conception  emploient,  dans  leurs  offices,  dos 
termes  qui  seraient  intolérables  si  la  Vierge  n'avait  pas  été  réellement 
préservée  de  la  tache  originelle,  et  les  renseignements  que  Pierre 
Auriol  fournit  à  cet  égard  peuvent  intéresser  les  historiens  de  la 
liturgie;  on  voit,  par  exemple,  qu'il  faut  faire  remonter  au  moins  jus- 
qu'au commencement  du  xiv"  siècle  l'usage  de  chanter  l'invitatoire  : 


'''  Lyon  n'est  pas  noiiunc  dans  1p  De  Coiicep- 
tione  d'Auriol,  mais  il  l'est  dans  un  passage 
du  Commentaire  sur  les  Sentences  relatif  au 
même  sujet  :  .«  Item ,  licet  non  i'aciat  Ecciesia 
«  Romana ,  tamen  permittit ,  ut  apparet  in  eccle- 
«  siis  solemnibusetcathedralibus,ut  I^udguni  et 
«in  Anglia  et  in  multis  aliis  locis.  .  .  t  {In  III 
Sent. ,  dist.  m ,  <ju,  i ,  art.  .S  ;  éd.  de  l\onie , 
p.  384'.) 


'*'  Le  Doctor  fundatus  est  surtout  coimu  par 
les  citations  de  Duns  Scot  (cf.  Il  Ut.  lut.  de  la 
Fr. ,  XXV,  4o8-/io9).  Cependant  saint  Bernar- 
din de  Sienne,  au  xv'  siècle,  le  nomme  égale- 
ment parmi  les  auteurs  qui  ont  plaide  pour 
l'Immaculée  Conception  :  «  Elucidât  hanc  con- 
«  ceptionem  sex  viis,  respondendo  ad  argumenta 
«  opposita.  »  (De  Conceptionc.  éd.  P  d'Alva, 
Monam.  antiq.  serapli.,  p.  6.) 


494  PIERRE  AURIOL,  FRÈRE  MINEUR. 

(tordis  ac  vocisjubiio 
Panganms  laudes  Domino, 
Cujus  matris  conceptio 
Mundum  porfudit  gaudio"'.  .  . 

OU  les  hymnes  : 

Celebris  dies  colitur 

In  ([ua  Virgo  concipitur '^' .  .  . 

Conceptus  hodiernus  Maria;  Virginis 
Venenum  tersit, 
Nexum  solvit 
Vetustae  originis  *^' .  .  . 

et  enfin  de  réciter  des  oraisons  telles  que  celle-ci  :  Da  nobis,  auœsu- 
mns,  conceptioms  ejns  solemnia  venerari.  .  .  conceptumque  pie  solemni- 
sare  Mariœ.  .  .  Si  ces  usages,  poursuit  Auriol,  sont  mauvais,  si  cet 
enseignement  est  faux,  le  Saint-Siège,  en  ne  les  combattant  pas,  s'y 
associe  et  tombe  lui-même  dans  l'eiTcur.  Donc,  qui  déclare  la  thèse 
de  l'Immaculée  Conception  erronée  ou  dangereuse  au  point  de  vue  de 
la  foi,  porte  par  là  même  contre  Rome  l'accusation  d'erreur.  Or, 
l'Eglise  romaine  ne  saurait  se  tromper.  Au  seul  souverain  pontife  ap- 
partient de  définir  ce  qui  est  douteux  en  matière  de  foi  et  ce  ([ui  fait 
l'objet  de  discussions  dans  l'Ecole*'''  :  privilège  si  exclusivement  propre 
au  pape  que  quiconque  tenterait  de  le  lui  ravir  tomberait  par  cela 
même  dans  une  hérésie  formelle.  On  ne  saurait  affirmer  plus  nette- 
ment que  ne  le  fait  Auriol,  dans  ce  passage,  l'infaillibilité  pontificale. 
Il  ne  laisse  pas  de  garder  une  prudente  mesure.  Sa  conclusion  est 
qu'aucune  des  deux  thèses  relatives  à  la  conception  de  la  Vierge  n'est 
article  de  foi  :  «  Nul  ne  connaît  la  pensée  du  Seigneur;  nul  n'a  été  ad- 
«  mis  à  ses  conseils,  et  ses  jugements  sont  souvent  un  abime.  .  .  Il  en 
«  résulte  qu'on  peut  tenir  le  pour  et  le  contre,  au  gré  de  sa  dévotion, 
«  tant  que  l'Eglise  romaine  ne  se  sera  point  prononcée  catégorique- 
«  ment.  « 

'"'  Dalinghem ,  Pamasjus  jl/anana«  (  Douai ,  ■''  Ici  Auriol  s'appuie  sur  une  décrctale  d'In- 
i6a4,  in-ia),  p.  la,  3a.  nocent  III  (Décrétai,  III,  xt.ii,  3)  :  i  Majores 
'"'  Ibid.,p.  i5.  «  Ecclesiae causas,  praesertim  arliculos  fidei  ron- 
''*  C'est ,  sauf  quelques  variantes ,  la  pièce  ca-  «  tingentes ,  ad  Pétri  sedem  referendas  intelligit 
taloguée  par  M.  le  chanoine  Ulysse  Chevalier  «  qui  eum  quaerenti  Domino  qiiem  discipuii  di- 
sons le  n°  3706  {Repertoriam  liymnologicain ,  «  cerent  ipsum  esse  respondisse  notabat  :  Tu  e» 
I,  aaa).  «Christus.  ■ 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


495 


III.   Repercussorium. 

Barthélemi  Albizzi  range  au  nombre  des  ouvrages  (le  Pierre  Auriol 
deux  traités  spécialement  consacrés  à  la  conception  de  la  Vierge*''.  Le 
])remier  est  le  De  Conceptione ,  dont  il  vient  d'èti-e  question;  l'autre  est 
le  Repercussorium,  qui  se  lit  à  la  suite  du  De  Conceptione ,  et  sous  le  nom 
d'Auriol,dans  deux  manuscrits  du  xiv"  siècle  conservés  l'un  à  Erfurt '^', 
l'autre  dans  la  bibliothèque  capitulaire    de  Saint-Florian    près  de 


L 


inz 


(3) 


Inc.  :  Justilicationem  nieam,  quain  cœpi  tenere,  non  fleseram  (Job  2  7  ).  Justiiica- 
tionem  inviolatae  Virginis,  quam  dudum,  auxiliante  Domino,  suscepimus  defenden- 
dam,  ne  vanis  latralibus  ([uoruiudam  mordacium  obnubiiari  contingat,  praxedenti 
tractatui  de  Conceptione  ejusdem  Virginis  hune  pra'sentem  decrevinius  sul)necten- 
dum .  .  . 

Des.  :  .  .  .  neque  enim  reprehendit  nu»  cor  nieum. 

On  a  cependant  contesté,  et  l'on  conteste  encore  l'attribution  de  cet 
ouvrage  à  Auriol:  Quétif  et  Echard  l'ont  combattue'''*;  M.  Stanonik 
reste  dans  le  doute *^'.  Le  malheur  est  que  la  plupart  des  auteurs  par- 
lent de  ce  traité  sans  l'avoir  lu;  il  a  pourtant  été  imprimé  quatre  ou 
cinq  fois,  au  xv'  et  au  xvir  siècle*^',  mais  les  éditions  en  sont  rares  : 
M.  Stanonik  lui-même  se  sert  de  notes  anciennement  prises  sur  l'une 
des  éditions  de  Pierre  d'Alva  y  Astorga  qu'il  n'avait  plus  sous  les 


'"'  «  Compendium  sacrae  Scripturae  edidit  et 
«  postillas  ac  tractatus ,  et  specialiter  de  Virginis 
«  conceptione  duos  edidit.  »  (Life,  coiiformit. ,  éd. 
de  Milan,  i5io,  fruct.  vin,  part,  i.) 

'*'  Ms.  in-4°  i3i,  (T.  io4-ii4,  Repercusso- 
rium editum  contra  adrersarium  innocenlùe  ntatris 
[ûei],  compositam  per  fr.  l'etrum  Aurcoli,  de 
ordine  Minoriim.  anno  et  loco  supradictis. 

''  Ms.  i38.  Le  catalogue  d'A.  Czerny  (Die 
Handschriften  der  Stiftsbibliothek  Saint- Florin u , 
Fjinz,  1871,  in-8°,  p.  6.'))  confond  les  deux  ou- 
vrages en  un;  mais  l'explicit  qu'il  reproduit 
prouve  que  le  Repercussorium  se  trouve  joint , 
dans  cet  exemplaire ,  au  De  Conceptione  :  «  Kx- 
•  plicit  Repercussorium  Pétri  Aureoli  de  Concep- 
«  tione.  » —  Le  Repercussorium  se  trouvait  éga- 
lement sous  le  nom  de  Pierre  Auriol ,  avec  le 
De  Panpertate  et  le  De  Conceptione  du  même 
auteur,  dans  un  manuscrit  conservé,  en  iSjS  , 


dans  la  bibliothèque  des  papes  d'Avignon 
(Ehrle,  Hist.  bibl.  Romanor.  pontijicnm,  1 ,  /lyô). 

'*'  Script,  ord.  l'rted. ,  I,  Ggô. 

<')  P.  488  j  489. 

'*'  Toujours  à  la  suite  du  De  Conceptione  : 
1°  à  Leipzig,  en  1489  (d'après  Pierre  d'Alva, 
Sol  veritatis,  c.  i3oi);  2°  à  Madrid,  en  i648, 
dans  la  Bibliotbeca  Virginea  de  Pierre  d'Alva 
(d'après  Sbaraglia,  p.  585);  3°  à  Louvain,  en 
1 665 ,  dans  les  Monumenta  antiqua  seraphica  du 
même  auteur,  p.  44-68  ;  4°  à  Cologne ,  en  1 67 1 , 
dans  l'ouvrage  de  Th.  Moretus  intitulé  Princi- 
pattts  incomparabilisprimijîliihominis  Messiœ. .  . , 
App.,  p.  17-47  (nous  avons  pu  consulter  ces 
deux  dernières  éditions  à  la  bibliothèque  du 
Séminaire  de  Saint-Sulpice  )  ;  5"  dans  la  ré- 
impression du  même  ouvrage  faite,  en  1695, 
sous  le  titre  Principatus .  .  .  Jesu  et  virginis 
Mariœ. 


496 


PIERRE  ALRIOI>,  FRERE  MINEUR. 


yeux  au  moment  où  il  écrivait  sou  mémoire ''l  On  en  a  donc  été  réduit 
à  attacher  beaucoup  d'importance  à  une  phrase  échappée  à  Pierre 
d'Alva  dans  un  autre  de  ses  ouvrages'"'^'  :  l'éditeur  du  Repercassoriutn, 
qui  aurait  dû  pourtant  bien  connaître  le  traité  qu'il  imprima  deux  fois, 
prétend,  dans  ses  Racla  soUs,  qu'Auriol  y  repousse  les  attaques  du 
frère  Prêcheur  Guillaume  de  Gannat,  auteur  d'un  De  vera  innocentia 
matris  Dei^^K  II  va  plus  loin  :  il  soutient  qu'Auriol,  dans  le  Repercusso- 
riiirn,  fait  allusion  à  quarante  témoignages  de  saints  invoqués  par  Guil- 
laume de  Gannat.  Sur  quoi  nos  auteurs  déclarent  que  le  contradic- 
teur réfuté  dans  le  Repercussorium  est  bien  le  frère  Prêcheur  Guillaume 
de  Gannat,  comme  le  disait  Pierre  d'Alva  :  ils  n'ont  pas  iu,  à  vrai  dire, 
le  traité  de  Guillaume  de  Gannat,  pas  plus  que  îe  Repercussorium; 
mais  ils  savent,  par  un  ouvrage  de  Jean  Capreolus,  que  Guillaume  de 
Gannat,  adversaire  de  l'Immaculée  Conception,  a,  elléclivement,  allégué 
en  faveur  de  sa  thèse  une  quarantaine  de  témoignages '''l  II  ne  leur  en 
faut  pas  plus  pour  conclure  que  le  Repercussorium  a  été  faussement 
attribué  à  Auriol,  vu  qu'on  sait,  d'autre  part,  que  Guillaume  de 
Gannat  vivait  beaucoup  plus  tard,  vers  la  fin  du  xiv"  siècle '^l 

Ge  raisonnement  ne  résiste  pas  à  l'examen  des  textes.  D'abord  les 
quarante  témoignages  allégués  par  Gannat  ne  sont  pas,  sauf  excep- 
tions, des  témoignages  de  saints.  Ensuite  la  phrase  du  Repercusso- 
rium où  il  est  question  de  quarante  textes  empruntés  à  des  saints ''''  n'est 


(')  Voir  p.  488,  n.  i. 

'*'  Radii  so/is  zeli  seraphici  cœli  veritalis  pro 
linmaculata-  Coiiceplionis  myslerio  Virginis  Mti- 
riœ  (Louvain,  1666,  in-fol.),  c.  loSy.  11  existe 
un  exemplaire  de  cet  ouvrage  au  Séminaire  de 
Saint-Sulpice.  Le  même  ouvrage  parait  avoir  été 
publié ,  à  Madrid ,  la  même  année ,  sous  un  titre 
différent  :  Sol  veritatis  cum  ventilahro  seraphico 
pro  candida  aarora  Maria  in  siio  conceptionis  orlu 
sancta  (Musée  brit. ,  101 Q  e  li). 

'^'  Il  a  été  trompé  sans  doute  par  le  titre  que 
le  Repercussorium  portait  dans  certains  manu- 
scrits :  Repercussorium  edilum  contra  mlversa- 
rinm  innocentie  mutrit  Dei. 

'*'  «  Hanc  conclusionem  tenent  et  tenuerunt 
oOrigenes,  Ysidoi-us,  Bernardus,  Anselmus, 
«  Hugo  de  S.  Victore ,  Magister  Sententiarum , 
«  Remigius,  Alcuinus,  Cassiodorus,  Cassianus, 
«  P.  Ravennas,  Gratianus,  Halanus,  Alexander 
«Nequam,  Innocentius  papa,  Joannes  Beieth, 


«Mauritiiis  episcopus  Parisiensis,  ,\ltissiodo- 
«rensis,  Raimundus  de  Pennaforti,  Alexander 
"de  Halls.  Albertus,  Petrus  de  Tharentasia 
«  papa,  Petrus  de  Palude,  Durandus,  Herveus, 
«Joannes  de  Neapoli,  Jacobus  de  Voragine, 
«  Nicolaus  Traveth ,  Egidius  de  Ronia ,  Gregorius 
«de  Ainmiiio,  Bonaventura,  Roberfus  de  Tor- 
«  naco ,  Nicolaus  de  Lira ,  Adam  Goflam ,  Hen 
«  ricusde  Gandavo,  (iodofredus,  Joannes  de  Po- 
«liacu,  Richardus  de  Mediavilla  et  mtdti  alii 
«  quorum  dicta  récitât  frater  Guillelmus  de  Can- 
«  naco  in  tractatu  quein  super  bac  inateria  e<li- 
«dit,  et  intitulatur  De  vera  innocentia  matris 
«  Dei.  »  (  Defensiones  théologie  sancti  Doctoris,  Ve- 
nise, i484,  in-fol.,  In  III  Sent.,  dist.  m, 
art.  I.) 

«  Script,  ord.  Prmd..  1,  698,  6ç)4. 

'"'  «Preeterea  in  eodeui  libello  adducnntur 
«  XI.  auctoritates  quas  ipse  compositor  invenit  in 
«dirtis  sanctorum;  possunt  auteni  plures  quam 


PIERRK  AURJOL,  FRERE  MINEUR. 


497 


pas  d'Auriol,  mais  de  son  contradicteur;  si  Auriol  la  reproduit,  c'est 
seulement  pour  y  répondre;  les  quarante  citations  dont  il  s'agit  avaient 
été  faites  par  Auriol  lui-même  dans  son  premier  ouvrage,  le  De  Con- 
ceptione'^^K  II  est  presque  inutile  d'ajouter  que  Guillaume  de  Gannat  n'est 
ni  nommé  ni  visé  dans  aucune  partie  du  Repercussorium.  Cet  ouvrage, 
bien  antérieur  à  Guillaume  de  Gannat'"''^,  est  incontestablement  du 
mêmeauteurque  \e De Conceptione :  il  sulïlt,  pour  s'en  rendre  compte, 
de  le  lire  avec  quelque  attention.  L'auteur  reproduit,  en  effet,  les  cri- 
tiques de  son  adversaire,  et  l'on  reconnaît  sans  peine  que  chacune 
de  ces  critiques  s'applique  parfaitement  au  De  Conceptione.  Un  seul 
exemple  le  prouvera.  Nous  mettons  en  regard  le  passage  d'Auriol  tiré 
du  chapitre  v  (S  170)  de  son  De  Conceptione  et  l'appréciation  de  ce 
passage  par  son  contradicteur,  telle  qu'elle  est  reproduite  dans  le  Re- 


percussoruim 


(3) 


DE    CONCEPTIONE. 

Esto  quod  dicta  sanctoruin  confir- 
niata  sint  per  Concilia,  nihilominus  om- 
nia  dicta  sanctoruin  non  sunt  tenenda 
pro  fide  aut  pi"aedicatione  Ecclesiae  ortho- 
doxa,',  tuni  quia  contradictoria  oporteret 
teneri  pro  fide .  .  . ,  tum  etiam  quia  multa 
absurda Ecclesia  confuniassct  qua;  hodie 
non  docent  doctores . .  .  Ad  hoc  ergo  in 
sacris  Conciliis  dicta  sanctorum  per  Ec- 
clesiam  sunt  recepta  ut ,  ad  differtntiani 
apocrypboruni  et  ha'reticonim  lii)iorum , 
in  Exclesia  a  catholicis  secure  legantur. 


HEPERCVSSORIVM. 

Ineptum  videtur,  quod  continetui'  in 
prœdicto  tractatu,  dicta  sanctorum  non 
fuisse  confirmata  ad  hune  finem  quod 
omnia  sint  vera  et  determinatio  fidei  01- 
thodoxa;,  sed  ad  hoc  tantum  ut  in  Eccle- 
sia secure  iegi  possint,  ad  differentiam 
haereticorum  et  apocryphorum  scrip- 
torum.  Hoc  quidem  dicitur  ineptuui, 
quoniam  Ecclesia  nihil  approbat  nisi 
verum. 


La  question  d'authenticité  étant  ainsi  élucidée,  il  resterait  à  fixer  la 
date  de  cet  ouvrage  :  si  l'on  s'en  fie  à  l'indication  chronologique 
fournie  par  certains  manuscrits'*',  le  Repercussorium  a  été  composé,  à 


«  illœ  XL  ad  idem  proposituin  reperiri ,  quas  ipse 
«nec  po&uit,  nec  invenit  :  ergo  inepte  et  insuf- 
«  ficienter  se  habuit  in  allegando.  »  (Ed.  P. 
d'Alva,  Monum.  antiq.  seraph.,  p.  63). 

'''  Voir  surtout  le  chap.  iv. 

'''  C'est  ici  le  lieu  de  rappeler  le  passage, 
cité  plus  haut ,  où  l'auteur  atteste  qu'il  se  trou- 
vait à  Paris  à  l'époque  où  fut  nùse  en  avant  la 
thèse  de  la  «panéité». 


HISr.    MTTKB. 


!•)  Ed.  P.  d'Alva,  p.  63. 

'*'  Voir  ci-dessus,  p.  41)5,  n.  u ,  la  note  re- 
produite d'après  le  ms.  d'Erfurt.  Une  indica- 
tion semblable  devait  figurer  dans  les  mss.  uti- 
lisés par  Pierre  d'Alva,  qui  imprime  (p.  44)  : 
«Incipit  Repercastoriam  editum  contra  adversa- 
rium  innocentiœ  niatris  Dei,  compositum  per 
fr.  Petrum  Aureoli,  de  ordiiie  l'ratruin  Mino- 
ruin ,  anno  Doniini  m  ccc  xi  v.  » 

63 


498  PIERM:  AURiOL,  KRKRK  MINEUR. 

Toulouse,  la  même  année  que  le  De  Conceptione ,  c'est-à-dire  en  1 3 14, 
ou  plutôt  dans  les  premier  mois  de  1 3 1 5  (  1 3 1  /i ,  vieux  style).  Effecti- 
vement, Pierre  Aurioi,  quand  il  fait  allusion,  dans  le  second  de  ces 
traités,  à  la  composition  du  premier,  se  sert,  à  deux  reprises,  de  l'ex- 
pression dudum'^^^  :  il  semble  se  reporter  à  une  époque  peu  éloignée. 
Il  Ainsi  il  demeure  établi  qu'un  contradicteur  maussade  et  peu  poli, 
dont  le  nom  reste  inconnu,  traita  d'absurde,  ineptum,  le  traité  De  Con- 
ceptione qu'avait  publié  Pierre  Aurioi  à  la  suite  de  la  controverse  sou- 
levée à  Toulouse  au  mois  de  décembre  i3i/l.  Il  critiqua  les  distiftc- 
tions  faites  par  notre  frère  Mineur  entre  les  diverses  manières  de 
contracter,  de  droit  ou  de  fait,  le  péché  originel.  Il  lui  reprocha 
de  discuter  les  paroles  des  saints.  Il  prétendit  que  Pierre  Aurioi  em- 
pruntait au  Bréviaire  des  textes  dépourvus  de  toute  autorité.  Il  le  reprit 
sur  sa  façon  de  comprendre  saint  Augustin,  d'interpréter  saint  An- 
selme. Il  soutint  que  notre  auteur  n'avait  point  sous  les  yeux  les  traités 
complets  d'où  étaient  extraits  les  textes  qu'il  avait  cités.  Et  à  chacun 
de  ces  reproches  il  joignait,  comme  un  refrain,  la  même  épilhète 
désobligeante  :  ineptum. 

Aurioi,  ainsi  que  l'indique  le  titre  de  sa  réplique,  crut  ne  pouvoir 
repousser  cette  attaque  discourtoise  qu'en  frappant  à  son  tour  :  Reper- 
cnssoriuml  II  réfuta  chacun  des  reproches  qui  lui  étaient  faits  et  ren- 
voya à  son  censeur  l'épithète  d'ineptus,  en  y  joignant  les  qualifications 
de  présomptueux  et  de  grossier  personnage'^'. 

Toutefois,  la  polémique  ne  rempht  que  la  moindre  partie  du 
traité'^*.  Le  reste  consiste  en  éclaircissements  théologiques  ou  phy- 
siologiques sur  l'appétit  sensuel,  la  fécondation,  la  matière  et  la 
forme  du  péché  originel,  etc.,  tous  sujets  délicats,  abordés  vine 
première  fois  dans  le  chapitre  ii  du  De  Conceptione ,  repris  ici  avec 

flus  d'ampleur  et  développés  dans  un  style   plus   philosophique  : 
auteur  invoque  fréquemment  l'autorité  a  Aristote,  deux  fois  celle 
d'Averroès. 

'■'  Voir  l'incipit  reproduit  plus  haut.  On  lit  (p.   /|88,  n.  i)    a  tort  de  s'étonner  de  ces  vi- 

aussi,  p.  6'À  :  «Tractatus  iste  de  (lonceptione  in-  vacitéi. 

vioktœ  Virginb,  ipsius  adjutorio  dudam  con-  ''^'  Aurioi  partage  lui-même  »on  traite,  au 

fectus...»     I  (.    ■  iii|)  ,1.;'/  '.1   I.     ;'!  début,   en  dou7^  chapitres  ou  «conclusions». 

<*'   •Tractatus  iste. .  .  inte^er  remanet,  ner  En  fait,  les  cinq  dernières  sont  réunies  en  une, 

ineptus,  non  obstanfe  injurialitate  et  ineplitn-  qui  porte  le  numéro  8.  C'est  seulement  dans  ce 

dine  imponentis»    (p.  6^).    «  Salva   praesunip-  huitième  chapitre  qu'il  répond  à  son  contra- 

tione  dicentis...»    (p.   64). —  M.   Stanonik  dicleur. 


PIKRRE  AIRIOL,  FRÈRE  MINEUR.  499 

Ses  conclusions  demeurent  toujours  marquées  au  coin  de  la  pru- 
dence. Bien  qu'il  paraisse  plus  décent  et  plus  conforme  à  là  piété 
d'admettre  que  la  Vierge  n'ait  jamais  encouru  la  colère  divine,  la 
question  reste  douteuse;  l'affirmer  ou  la  nier  hardiment  serait  témé- 
raire :  le  problème  ne  saurait  être  résolu  que  par  une  décision  du 
Saint-Siège.  Jusque-là  Pierre  Âuriol  continue  à  plaider  la  cause  de 
la  Vierge"*.  '^''^  ■ 

En  effet,  on  le  retrouve  préocupé  du  même  pfoblème  et  animé  du 
même  esprit  à  l'époque  où  il  composa  un  (Commentaire  sur  les  Sen- 
tences dont  il  va  être  question  bientôt.  Dans  la  première  rédaction 
de  ce  Commentaire,  il  recherche  si  la  Vierge  a  été  conçue  dans  le 
péché  originel,  et,  au  cas  où  l'on  répondrait  par  l'affirmative,  si  elle  a 
pu  être  sanctifiée  au  moment  même  de  sa  conception;  il  rappelle,  une 
fois  déplus,  les  usages  suivis  dans  un  grand  nombre  d'églises,  les 
termes  employés  dans  les  oraisons  et  les  antiennes  ;  il  conclut  qu'une 
telle  fête  peut  être  célébrée *"■''.  C'est  ce  qu'il  répète,  en  d'autres  termes, 
dans  sa  seconde  rédaction  du  même  Commentaire'^':  il  y  traite  de  la 
«sanctification»  active  et  passive  de  la  Vierge''''  et  s'y  prononce  d'au- 
tant plus  volontiers  en  faveur  de  la  thèse  de  l'Immaculée  Concep- 
tion'** qu'il  est  disposé  à  accueillir  la  légende,  d'origine  anglaise <'*', 
suivant  laquelle' saint  Bernard  serait,  après  sa  mort,  apparu  portant 
une  tache  sur  la  poitrine  en  punition  du  langage  malséant  qu'il  avait 
tenu,  de  son  vivant,  au  sujet  de  la  conception  de  la  Vierge '''. 

slOl'wDonec  haque  sacrosancta  Koinana  Ec- '  '  Pierre  d'Alva ,  dans  ses  Monamenta  antiqua  se- 

clesia  sic  expresse  determinaverit ,   sicut   ista  raphica  {p.  68-76),  et  par  Th.  Moretus,  dans 

expressa  sunt,  quid  de  conceptione  aut  sancti-  son  Principatas  (p.  55  et  suiv.). 

ficalione  immaculatae  Virginis  tenendum ,  jus-  ^    ^^'  Art.  ?  ,  p.  38o' ;  art.  3 ,  p.  38 1  '.  Cf.  art.  6,7. 

tificationem    ejusdem  '  Virginis,    quam    cœpi  ^^  «  Non  scio  absolute  quis  illorum  inodoruin 

tenere ,  non  deseram  »  (  p.  68  ).  sit  de  facto  :  teneo  tamen  pie  quod  non  con- 

<''   «Fit  festuiii  de  Conceptione  ejus  in  mui-  traxit  originale  peccatum»  (art.  4,  p.   SSa""). 

tis  ecclesiis . .  .  Nec  potest  dici  quod  festum  '''  Cette  légende  parait  remonter  à  la  fin  du 

fiât  de  sanctificatione ,  quia,  in  oratione  et  in  \ii'  siècle ,  quoique  Henri  de  Langenstein,  qui 

legendaquae  tune  legitur  in  antiphonis.dicitur  a  pris  la  peine  de  la  réfuter  {Contra  discepta- 

expresse  conceptio.  .  .  »  (lib.  111,  qu.  12,  i3;  tiones  et  contrarias  predicationesfratram  Mendi- 

ms.  a43  de  Toulouse,  fol.  12  v°  et  i3).  cantium  saper  conceptione  B.  M.  Virginis  et  con- 

'^'  Il  y  suggère  cette  idée  que,  même  au  cas  tra  maculam  S.  Bemhardo  mendaciter  impasitain. 

où  la  Vierge  aurait  été  conçue  dans  le  pèclié,  Strasbourg,  i5i6),  regarde  comme  l'inventeur 

la  fête  pourrait  être  célébrée  «per  respectum  delà  fable  «un  certain  Anglais  du  nom  de  VVar- 

infusionis  vel  unionis  animae  ad  corpus  »  [In  III  ron  » ,  sans  doute  le  maître  de  Duns  Scot  (  I  lart- 

Sent.,  dist.  m,  qu.  1,  art.  5,  p.  383'").  Toute  wig,  Leben  nnd  Schriften  Heinrichs  von  Langen- 

cette  distinction  m  a  été  réimprimée,  à  la  suite  stein,  Marbourg,  i858,  in-8°,  I,  78). 

du  De  Conceptione  et  du  Repercassoi-iam ,  par  '''  «Bemardus  autem  dicitur  illam  opinio- 

63. 


500 


PIKRRK  AUHIOI.,  FRKKK  MINKLR. 


_,iPar  contre,  nous  ne  voyons  aucune  raison  d'attribuer,  comme  on 
l'a  fait^'^,  à  Pierre  Auriol  une  Explanatio  epistolœ  S.  Bernfirdi  ad  cano- 
nicos  Lucjdanemes ,  où  est  réfutée  l'objection  qu'on  tirait  de  la  lettre  de 
saint  Bernard  contre  la  thèse  de  l'Immaculée  Conception  ^^'.  V Expla- 
natio, il  est  vrai,  est  jointe  au  De  Conceptione  d'Auriol  dans  l'édition 
incunable  de  Mayence  ;  mais  elle  y  est  imprimée  sous  le  nom  de  Pierre 
de  Verberie'^', et  elle  y  porte  une  date  relativement  récente:  iSSB^**^. 
Si,  trompé  par  ce  rapprochement,  Pierre  d'Alva  a  cru  devoir  attribuer 
les  deux  ouvrages  à  un  même  auteur  qu'il  afifuble  d'un  nom  compo- 
site où  se  trouve  amalgamé  le  nom  du  rehgieux  du  Val-des-Ecoliers 
avec  celui  du  frère  Mineur  [Petrus  Aureoli  de  Verberia)  '*',  ce  n'est  pas 
une  raison  pour  faire  honneur  à  Pierre  Auriol  d'une  œuvre  posté- 
rieure de  seize  ans  à  sa  mort.  L'erreur,  d'ailleurs,  s'est  propagée;  la 
confusion  persiste  dans  maint  ouvrage,  comme  on  l'a  fait  déjà  remar- 
quer *®^  et  c'est  aussi  par  suite  de  la  même  méprise  qu'on  a  daté  de 
i338  le  De  Conceptione  d'Auriol'''. 

IV.    COMMENTARIl  IN  QUATUOR  LIBROS  SeNTENTIARUM. 

"'  '  Nous  avons  dit  qu'il  y  avait  eu  deux  rédactions  de  ce  Commentaire, 
datées,  la  première  de  iSiy,  la  seconde  de  i3i8  ou,^u  plus  tard,  de 
iSig.  Ces  deux  rédactions,  à  vrai  dire,  ont  des  parties  communes,  ^ 
fin  du  livre  111  et  tout  le  livre  IV. 

Les  livres  1  et  II  de  la  première  rédaction  ne  nous  sont  point  par- 
venus. Le  ms.  2-43  de  Toulouse  (fol.  lid'')  en  contient  seulement  la 
table  des  chapitres  : 

Isti  sunt  tituli  quîKstionum  super  Reportationcs  ^'*'  prinii  libri. 


nem  rétractasse  saltem  mortuus,  unde  «licitur 
quod  apparuit  cuidam  monacho  post  mortem 
cuiu  macula  in  pectore  propter  illa  quae  dlxcrat 
de  conceptione  Virginis  ffloriosœ»  (art.  i, 
p.  379'). 

'')  Sbaraglia,  p.  586. 

'*'  11  va  (le  soi  que  Pierre  Auriol  s'est  pré- 
occupé aussi  de  cette  objection  :  il  la  réfute, 
mais  en  termes  différents ,  dans  les  chap.  iv 
et  VI  du  /)»  Conceptione. 

<■'''  «  Deciaratio  scntentie  B.  Bernardi  de  hac 
re  Pétri  de  Verberia.  »  —  Le  ms.  io49  ''^ 
Troyes  ne  contient  {Mts,   comme  le   dit  par 


erreur  M.  Slanonik  (p.  3i(),  n.  a),  celte  Ex- 
planatio sous  le  nom  de  Pierre  de  Verberie. 

'''  •  Ista  scripsit  et  coinpilavit  fr.  Petrus  de 
Verbena  anno  mcci;xxxviii.  • 

'''  Monum.  antiq.  seraph. ,  p.  79. 

'•'  (;i-(lessus,  p.  Mio. 

'''  Cf.  ci-dessus,  p.  Aga. 

'*'  Nous  avons  déjà  signalé  (p.  àSb)  les  ex- 
pressions :  de  report ationefr.  Pétri  Aureoli ,  lec- 
tara  sub  mag.  Petro  Aureoli  reportata.  Ln  de 
nos  prédécesseurs,  qui  avait  rencontré  une 
expression  analogue  dans  le  catalogue  des  ou- 
vrages de  DunsScot,  estimait  qu'il  s'agissait  de 


PfKRRE  Al  R10I>,  FRERE  MINEUR.  501 

Utium  natura  divina  in  se  ex  sui  propria  ratione  habcat  determinatam  certitu- 
dinem  secundum  quampatitur  scientificam  pcrsci^utationem. 

Utrum  in  habitu  theologiœ  per  studium  acquisito  articuli  fidei  sint  principia. 

Utrum  habitus  theologicus  per  studium  et  naturale  ingenium  acquisitus  sit  vera- 
sapientiaR,  etc. 

Isti  sunt  tituli  quîestionum  super  Repoilatione  secundi. 

Utrum  tempori  praeterito ,  secundum  lormaleni  rationem  suam  qua  prœteritum 
est,  répugnât  sibi  contradictorie  ratio  infiniti.  ^ 

Utrum  secundum  opinionem  Aristotelis  mundus  de  facto  sit  productus  ab 
aetemo ,  etc.  "'. 

Au  contraire,  le  livre  III  de  cette  première  rédaction  subsiste  dans 
le  ms.  latin  17484  de  la  Bibliothèque  nationale'^'.  Il  subsiste  égale- 
ment, ainsi  que  le  livre  IV,  dans  le  ms.  243  de  Toulouse,  déjà  cité^^', 
et  dans  le  manuscrit  xxxii,  sinistr.  12,  de  la  bibliothèque  Lauren- 
tienneC'fp.  1-94).    ""  "^  '■'1"^'!'"-' 

Inc.  :  Quasi,  si  sit  rota  in  medio  rota;  (E/.ech.  1°).  Tertii  iibri  Sententiarum  ma- 
teria  tripiici  rotœ  comparari  posse  videtur.  .  . 

Utrum  natura  individua  de  génère  substantia>  possit  cadere  a  proprio.  .  .  suppo- 
sito  per  divinam  potentiam .  .  . 

Utrum  unio  hypostatica  natur»  ad  suppositum  sit  relatio  média.  .  . 

Utrum  persona  divina  possit  esse  formaliter  terminus  hypostaticic  unionis.  .  . 

Expliciunt  très  quaestiones  ordinarie  composit*.  Quod  sequitur  est  reportatuni. 
Incipit  liber  tertius. 

Utrum  possibile  fuerit  Verbum  incarnari .  .  .  '". 

A  partir  de  la  47*^  question,  autrement  dit,  de  la  4"  question  de  la 

notes  recueillies  par  un  auditeur  de  la  bouche  partie  effacée,  porte  :   «  Magister  [Petrus]  de 

du  maître  (Hist.  litt.  de  la  J''r.,  X\V,  4i  »;  cf.  ordine  Minoruni,  scriptus  Barchinone.  » 
p.   442).  Gtant  l'ouvrage  de  Pierre    Aurioi,  '''   Fol.  i' :  «Incipit  Scriptum  supra  tercium 

Barthélenii  Albizzi  se  sert  de  la  même  exprès-  Sententiai-um,  editum  a  magistro  fratre  Petro 

sion  :  «  Quod  meritura  (^hristi  sit  inlinitum.  .  .,  Aureoli,  ordinis  fratrum  Minorum.»  Fol.  4o°  : 

hoc   tenet   niag.  Petrus  Aureoli  in  Repertione  «  pjxpliciunt   questiones  supi-a   libruni  tercium 

(/we3;  Reportatione)  sua,  111,  disi.  i3,  qu.  a.»  Sentenciarum   édite   a  magistro  (Vatre    Petro 

(Lib.  Conform.,  xxxii,  i,  fol.  3i3  r".)  Il  est  à  Aureoli,  ordinis  fratrum  Minorum.  i  C'est  un 

remaixjuer  endn  qu'un  manuscrit  entré  dans  la  ms.  soigné,  pourvu  de  lettres  ornées;  une  note 

bibliothèque  des  papes  d'Avignon  avant  i36g  presque  effacée   (fol.    127'')   indique  qu'il  fut 

contenait  les  Reportationes  magistri  Peiri  A  a-  terminé     le     mardi    après    la    Saint-Mathias 

rioU  (Ehrle,   Hist.  bibl.  Romanor.  pontijlcum,  (aSfévr.)  i3a3  (v.  st.). 
1<  319,  4966.  <*)  Ancien  n°  36 1  de  Santa  Croce.  xrv*  s. 

H'  '">  La  table  dont  nous  donnons  le  début  se  '*'  Les   mêmes   questions    sont   quelquefois 

poursuit  jusqu'au  108*  chapitre  traitées  dans  les  deux  rédactions,  mais  elles  le 

'''  XIV*  siècle.    Vers   la   lin,    une   note,   en  sont  en  termes  différents. 


502 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


distinction  xxiii  (art.  3)  ^*^,  le  texte  de  la  première  rédaction  se  con- 
fond avec  celui  de  la  seconde. 

Passons  à  cette  seconde  rédaction. 

Le  livre  I"  est  conservé  dans  le  beau  ms.  de  Sorbonne  qui  porte 
aujourd'hui  le  n"  i5363  du  fonds  latin  de  la  Bibliothèque  nationale 
(fol.  9-399)*"^',  dans  le  ms.  2  d'Auch  (fol.  1-376),  dans  le  ms.  lo^g 
de  Troyes,  provenant  de  Clairvaux  (fol.  19-483),  dans  le  ms.  72  de 
Vendôme ''^ dans  le  ms.  362/i  de  Bruxelles  (fol.  1-537) ,  dans  les  deux 
mss.  Vat.  lat.  9^0  et  9^1  de  la  bibliothèque  du  Vatican  W,  et  dans  le 
ms.  VII  i33  de  Saint-Antoine  de  Padoue'**. 

Incipit  Prologus  :  Expandit  libmui  coram  me  quiscriptus  erat  intus  et  foris.  Liber 
scriptura;  canonicir  qui  per  Proplietam  dictus  est  involutus  ratione  sua*  difficul- 

tatis.  .  . 

Le  livre  II  nous  est  fourni  par  le  ms.  de  Sorbonne  qui  porte  aujourr 
d'hui  le  n''  15867  du  fonds  latin (^'  (fol.  i-i4o),  par  le  ms.  3624  de 
Bruxelles,  par  le  ms.  Vat.  lat.  942  de  la  bibliothèque  Vaticane  et  par 
le  ms.  IX  161  de  Saint-Antoine  de  Padoue.  Lems.  d'Oxford  Balliol  63 
(fol.  1-18)  en  contient  seulement  le  commencemeint. 

Inc.  :  Quia  doctores  communiter  m  phncipio  hujus  libn  niovere  consueverunt 
auaestionem  unam  valde  difficilem  . .  . 

*    *  ,  ) 

Nous  ne  saurions  indiquer  que  le  ms.  362  4  de  Bruxelles  qui  ren- 
ferme dans  sa  totalité  le  livre  III  de  la  seconde  rédaction. 


1 1 1 0  [  1 1  -  :  1  :  '  i 


::l  •-!■ 


<■'  Ms.  de  Toulouse,  fol.  28'-4o". 
'''  xiv'  s.  L'ouvrage  est  accompagné  d'une 
table  des  matières  ou  des  mots  les  plus  carac- 


ift  u 


•i,\ 


téristiques. 

!"'  Ce  ms.  porte  la  datcd*  1 33o. 

'*'  XIV'  siècle.  Lettres  ornées.  —  L'ancienne 
librairie  des  papes  à  Avignon  semble  avoir 
possédé,  dès  1369,  trois  exemplaires  de  ce 
Commentaire  du  premier  livre  (Ehrle,  I,  3ai, 
345,  368,496). 

<'l  Le  m».  109  de  Clermonl-Ferrand  parait 
contenir  (fol.  i)ii5o)  un  abrégé  de  ce  pre- 
mier livre  :  Incipiunt  Abreviationes  super  dicta 
mag.  Pétri  Aumoli,  ordinis Minoram.  Circa  Pro- 
logiint  queritur  primo  de  cotfnilione  abstractiva... 
Deas  autem  eqaaliter  distat  ah  omnibus ,  quia  in- 
Jinitum.  Explicil  Scriptum  super  primum  iSenten- 


tiarum  dalumafi.  Petro  A ureoli , ordinis fratrum 
Miitorum.  Un  autre  abrégé  très  court  du 
Commentaire  d'Auriol  sur  les  Sentences  se 
trouve  dans  le  nis.  Val.  lat.  946  (fol.  43-87): 
Circa  Prologuin  primi  lihri  Seiiientiarum  que- 
ranlur  quinque  questionei  :  prima  qaeslio  utrum 
nalura  Dei  compatiatur  in  se  et  ex  natiira  sua. . . 
Kxplicit  qaedam  compilatio  brevis  facta  super 
qaestiones  ir  librorum  Sentenliaram  secanaiim 
opinionem  domini  Pétri  Aureoli,  arcliiepiscnpi 
quondam  Aquensit  et  sacre  théologie  magistri 
precipai. 

'•'  On  y  lit,  au  foL  lAC:  tExplicit  secun- 
dus  liber  Sententiarum  secundum  lecturain 
fratris  Pétri  Aureoli  recoHectam,  eo  legente  in 
scolis  Parysius,  cui  sit  salu»  et  reportatori  in 
fine  seculi.  » 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


503 


Inc.  :  \d  evidentiam  totius  (listinclionis  primo  et  pifecipue  est  possibilitas  Incarr 
ni^tionis .  .  .  ,  , 

Quant  au  livre  I¥,  qui  est  commun  aux  deux  rédactions,  il  sub- 
siste, non  seulement  dans  les  devix  exemplaires  indiqués  ci-dessus''', 
mais  aussi  dans  le  ms.  ix,  i6o  de  Saint-Antoine  de  Padoue'^'  et  dans 
le  ms.  3624  de  Bruxelles. 

Inc.  :  Spiritus  vitae  erat  in  rôtis.  Sacramentoruni  septenarius  in  curationem  lio- 
minis  semivivi .  .  . 

Des.  :  .  .  .  sed  in  justitiam  Del  apparenteni  in  pœnis. 

i"llif'  Mb  biijî-ii)(l 

1)  À  lui  seul,  le  premier  livre  du  (iommentaire  de  Pierre  Âuriol  (se- 
conde rédaction)  remplit  un  fort  in-folio  imprimé  au  Vatican,  sous  la 
date  de  1696,  par  les  soins  d'un  cardinal  de  l'ordre  des  Mineurs 
Conventuels,  fort  adonné  lui-même  à  l'étude  de  la  philosophie''', 
Costanzo  Boccafuoco,  plus  connu  sous  le  noin  de  cardinal  de  Sarnano  : 
Commentariorum  in  primum  Ubniin  Sententiarum  pars  prima  auctore  Petro 
Aureolo  Verherio  (sic),  ordinis  Minoram,  archiepiscopo  A(juensi,  S.  R.  E. 
cardinah  (sic),  ad  Clementeni  VIIl  ponlijicem  maximum.  Le  volume 
s'ouvre,  en  effet,  par  une  dédicace  que  Boccafuoco  adresse  à  Clé- 
ment VIII  le  29  décembre  1595.  H  croit  répondre,  en  donnant  cette 
édition,  aux  désirs  des  savants  et  surtout  de  Sixte  Quint,  autre  frère 
Mineur,  à  qui  il  devait  le  chapeau.  11  dit  avoir  exploré  beaucoup  de 
bibliothèques  de  France  et  d'Italie,  compulsé  un  nombre  considérable 
de  manuscrits  et  s'être  donné  grand  mal  pour  restituer  le  texte  ori- 
ginal. Son  édition  est,  en  effet,  soignée;  le  volume  se  présente  accom- 
pagné de  tables.  On  a  exagéré  pourtant  quelque  peu  le  travail  de 
l'éditeur,  en  lui  attribuant  toutes  les  rubriques  et  notes  marginales 
qui  éclairent  le  texte,  celles  notamment  qui  identifient  les  auteurs  cités 


<''  P.  5oi.  Ms.  343  de  Toulouse  et  tnsl 
xxxii,  sinistr.  i  a,  de  la  bibl.  Laurentienne. 

'*'  D'autres  exemplaires  de  divers  livres  du 
Commentaire  d' Auriol  ont  été  encore  signalés 
par  Wadding  {Scr.  ord.  Min.,  188),  Bernard 
(Catal.  libr.  niss.  Angl.  et  Hib.)  et  Sbaraglia 
(p.  585),  à  Rome  (couvent  de  l'Ara  Cœli),  à 
Florence  (couvent  de  Santa  Croce),  à  Londres, 
à  Salamanque,  etc. 

'''  Il  avait  édité  précédemment  un  des  ou- 
vrages de  Duns  Scot,  In  uninerfam  Aristolelis 


Logicam  quœstiones  (Venise,  i583  et  1610, 
in-8°) ,  ainsi  que  les  œuvres  de  saint  Bonaven- 
ture  (Rome,  i588;  Mayence,  1609),  et  il  était 
l'auteur  d'une  Conciliatiodtlucida  omnium  contro- 
versùtrum  quœvidoctrinaduornmsummorum  theo- 
logorum  S.  Thomee  et  subtilis  Joannis  Scoti  passim. 
leyuntur  (Lyon,  iSgo,  in-8°).  Moroni  {Dizio- 
nario  storico  ecclesiaslico ,  V,  261)  lui  attribue 
des  œuvres  philosophiques  restées  inédites  et 
une  Somme  de  théologie  imprimée  à  Rome 
en  i5(i2. 


504  PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 

par  Âuriol  '^'.  Cette  clef  était  fournie  par  certains  manuscrits  '-'  que 
Boccafuoco  n'a  fait  que  copier.  La  reproduction  de  ces  notes  était, 
d'ailleurs,  d'autant  plus  nécessaire  que  Pierre  Auriol ,  dans  son  texte, 
ne  nomme  guère  que  les  anciens  dont  il  cite  les  opinions '^^;  la  péri- 
phrase subtilis  et  modemus  Doctor  lui  sert  généralement  à  désigner 
Di^ns  Scot;  mais,  pour  les  autres  auteurs  modernes  dont  il  combat  la 
doctrine,  en  se  servant  de  la  formule  discrète  :  Alicjm  dicere  votant. . . , 
on  aurait  quelque  peine,  sans  le  secours  des  notes,  à  reconnaître 
en  eux  saint  Thomas  d'Aquin,  Henri  de  Gand,  Guillaume  Warron, 
Durand  de  Saint-Pourçain  ou  Hervé  Nédellec. 

Le  cardinal  Boccafuoco  survécut  peu  à  ce  travail^'"'.  La  suite  du 
Commentaire  d' Auriol  ne  vit  le  jour  que  dix  ans  plus  tard,  et  dans  de 
moins  bonnes  conditions;  le  texte  est,  cette  fois,  piteusement  établi; 
les  notes  marginales  font  totalement  défaut.  L'in-folio  qui  fait  suite 
au  volume  de  Boccafuoco  est  imprimé  à  Rome,  chez  A.  Zanetti,  sous 
la  date  de  1 6o5 ,  aux  frais  de  la  Société  des  libraires  de  Saint-Thomas- 
d'Aquin;  il  porte  le  titre  suivant  :  Pétri  Aureoli  Verherii,  ordinis  Mi- 
nornm,  archiepiscopi  A(iuensis,  S.  R.  E.  cardinalis,  Commentariorum  in 
secundum  libriim  Sententiarnm  tomas  secundus.  Il  se  divise  en  quatre 
parties,  dont  les  trois  premières  contiennent  les  livres  II,  III  et  IV 
du  Commentaire'*'  et  le  quatrième  les  Quodliheta,  un  autre  ouvrage 
d'Auriol  dont  il  va  être  question  immédiatement. 

•1  La  Bibliothèque  nationale  possède  trois  exemplaires  manuscrits  des 
Quodliheta  d'Auriol  remontant  au  xiv'  siècle  :  le  n"  1^566  du  fonds 
latin  (fol.  7-81),  qui  fut  achevé  au  mois  de  mars  1849'''',  le  n"  15867 
(fol.  1 4  1-2  08),  qui  vient  de  la  Sorbonne,  enfin  le  n°  17480  (fol.  3-84), 
provenant  des  Jacobins  de  la  rue  Saint-Jacques,  et  qui  assigne,  comme 

'•'  Stanonik,  p.  48a.  <*'  Les  éditeurs  dédient  le  livre  11  à  un  car- 

'*'  Par  exemple,  parie  ms.  lat.  i5363   de  dinal  dominicain,  Jérôme  Bernerio,  le  livro  III 

la  Bibliothèque  nationale.  au  ministre  général  de  l'ordre  des  Conventuels , 

'^'   Il  lui  arrive  pourtant  de  nommer  Richard  et  le  livre  I V  au  commissaire  général  de  l'ordre 

de  Saint -Victor  et  Gilbert  de  La  Porrée,  et  de  l'Observance. 

aussi  Avicenne;  cpiant  à  Averroès,  il  le  cite  '"'  Le  ms.  lat.  1^566  lut  acquis  pour  l'ab- 

constamment  sous  le  nom  de  «  Commentator  «.  baye    de   Saint-Victor  par  le   prieur  .lean   La 

''>  Moroni  place  sa  iiiinl  on  i,")f)5.  Masse,  en    liaA. 


PIERRE  AUR[OL,  FRKRE  MINEUR. 


505 


on  l'a  vu  plus  haut*'',  la  date  de  iSao  à  la  composition  de  l'ouvrage. 
Non  moins  riche,  la  hibliothèque  de  Toulouse  possède  aussi  trois 
exemplaires  manuscrits  de  cet  ouvrage,  également  anciens,  sous  les 
n"'  180  (fol.  129  et  suiv.),  y^d  et  789  (fol.  189  et  suiv.),  ce  dernier 
remontant  à  i335'^'.  Nous  en  citerons  encore  d'autres  exemplaires 
dans  la  bibliothèque  de  Clermont-Ferrand'*',  dans  la  Vaticane ''*',  dans 
la  Laurentienne  *%  dans  la  bibliothèque  de  Saint-François  à  Assise  <*'. 
L'édition  romaine  de  cet  ouvrage,  citée  ci-dessus,  porte  le  titre  : 
Qaodlibela  XVI  Pétri  Aureoli  Verberii,  et  est  précédée  d'une  dédicace 
au  général  des  Jésuites  Claude  Acquaviva. 

Inc.  ;  Proposai  in  uniino  meo  quterere  et  investigare  sapienter.  .  . 

Des.  :  .  .  .sicut  partes  continui  suo  modo  sunt  una  quantitas  indivisa   in  actu. 

Si  l'authenticité  des  Qaodlibela  d'x\uriol  n'était  pas  établie  par  le 
témoignage  de  tous  les  manuscrits,  elle  serait  prouvée  encore  par 
deux  citations  d'un  auteur  contemporain ,  Jean  de  Bacon ihorpe^'l 

Dans  les  Qaodlibeta,  Auriol  se  propose  de  répondre,  avec  l'aide 
de  Dieu,  à  diverses  (juestions  récemment  posées.  Elles  sont  au 
nombre  de  seize  et  se  rapportent  à  divers  sujets  métaphysiques, 
théologiques  et, psychologiques  -. 


'■'    Ci-dessus,  p.  487. 

'*'  Copié,  il  Pérouse,  par  un  étudiant  du 
nom  d'Ktienn»'  do  Villa  (|ui  lui  onsuite  reli- 
gieux dans  le  couvent  de  Montflantpùn. 

'''  Ms.  109,  fol.  5.'5  v'-go,  xiv'  s.  Domini- 
cains. 

'■'*  Ms.  lat.  Vat.  94<i  (fol.  87  V-gi  v°).  Ce 
n'est  (juun  court  abrégé  de  l'ouvrage.  ' 

<*'  Ms.  XXXII  sinistr.  la,  p.  95-137,  xiv"  s.- 
Ancien  n°  36 1  de  Santa  Croce. 

f  Ms.  1 36 ,  fol.  58-111,  XIV'  s.  —  J.-F.  To- 
masini  [Biblioth.  Venetœ  mss.,  p.  35)  en  citait 
encore  un  exemplaire  dans  la  bibliothèque  des 
SS.  Jean  et  Paul  de  Venise;  Sbaraglia  (p.  585) 
un  autre  dans  la  bibliothèque  de  S.  Juan  de 
los  Heyes  de  Tolède.  Il  y  en  avait  un,  dès 
1369,  dans  la  librairie  des  papes  d'Avignon 
(Ehrle  ,  Hist.  bibl.  Romanor. pontificum ,  I,  Sig, 
496). 

'''  In  I  Sent.,  dist.  11,  ([u.  a,  art.  3,  et  Pro- 
log. Sent.,  qu.  1,  art.  3. 

'*'  1.  Utnim  in  ali(|ua  re  formalitas  et 
realitas    distinguantur.    —    U.    Utrum    actio 

HIST.  I.ITTÉB.  \X\ni. 


agentis  dillerat  realiter  ab  agente.  —  ill. 
litrum  alius  et  alius  iiiodus  unitatis  seu  indi- 
visionis  sulFicicnler  tollat  contradictiones  qu* 
videntur  occurrere  in  (livinis.  —  IV-.  Utruni 
distinctio  secunduin  quid  inter  essentiam  et 
pro|)rietates,  vel  identitas  inconvertibilitatis 
sumcienter  tollat  contradictiones  qua;  in  di- 
vinis  videntur  occurrere  absque  alio  niotlo  uni- 
tatis vel  indivisionis.  —  V.  Utruni  sola  dis- 
tinctio ratioiiis  sulliciat  ad  tollendum  oiimcm 
conti-adictionem  in  divinis.  —  VI.  Lilrum 
anima  intellectiva  sit  immédiate  principiimi 
operationis  suae.  —  VII.  An  anima  ratlonalis 
sit  constituta  ex  actu  possibill  et  agentc-,  lan- 
quam  ev  potentiali  et  actuali  in  génère  intelli- 
gibilium.  —  VIII.  Utniin  ad  visionein  beati- 
llcani  requiratur  aliqua  simiUtudo  creata.  — 
IX.  Utrum  ad  visionem  beatificam  requiratur 
ali(|uis  habitas  vel  lumen  creatum.  —  X. 
Utrum  videns  divinani  essentiam  videat  neces 
sario  quicquid  repra;senlatur  pc-r  eam.  —  XI. 
Utrum  virtus,  in  quantum  virtus,  sit  ens  por 
accidens.  —   \II.  Utrum  virtus  uioralis  con- 

64 


506 


l>IKRHK   \URIOi,,  FRKKE  MINEUR. 


VI.    COMPKNDIVM  UfiRORVM  QUATUOR  SkNTESTIARUM. 

Aux  deux  commentaires  déjà  signalés  sur  les  quatre  livres  des  Sen- 
tences Pierre  Auriol  enjoignit  un  troisième,  beaucoup  plus  abrégé, 
qui  a  échappé  jusqu'à  ce  jour  à  tous  les  bibliographes.  Le  maïuiscrit 
38  de  Nimes,  qui  est  d'une  main  italienne  et  remonte  au  xv"  siècle''*, 
contient  (fol.  i-i63)  un  ouvrage  commençant  par  ces  mots  : 

Potrus  Aureolus,  iniitator  S.  Thomic,  compilavit  hoc  opus  ad  honorom  Fi-ancisci', 
patrisejus.  Libroriiin  iv  Sententiarum  Compendium,  quod  per  quuistiones  [/acone] 
et  conclusiones  veridicas  féliciter  incipit.  Cupientes  aliquid  de  penuria  ac  de  tenui- 
tate  nostra,  cum  paupercula,  in  gazopliylacium  obolum  mittere  (Luc.  xxr,  2),  ardua 
scandere,  opus  ultra  vires  nostras  agere  pra;sumpsimus. 

Le  même  ouvrage  se  lit  dans  un  manuscrit  de  la  Vaticane  de  la  fin 
du  XIV''  siècle,  le  Vat.  lat.  9^^  (fol.  1-67) ,  sous  le  titre  de  Lecturn  Pétri 
Aureoli saper  Ubros Sententiarum^^\  et  y  est  suivi  de  cette  note  élogieuse  : 
Qiuc  (juidem  lectura  tota  est  aurea,  eo  quod  brevissimo  verboram  ornatu 
omnium  doctorum  antiquorum  opiniones  récitât  et  maxime  B.  Thomw  et 
B.  Bonaventurœ,  approbando  verissimis  rationibus  seniper  veriorem. 

L'auteur,  pour  chaque  distinction,  reproduit  les  premiers  mots  du 
texte  de  Pierre  Lombard,  puis  pose  et  résout  brièvement  un  certain 
npmbre  de  questions '''. 


.'j , >i(i'."»i»-i 


'Kl 


Des.  :  .  .  .  unde  ignisille  erit  turbosus  et  fumosus  et  faeculentus.  Expliciunt  quicsi- 
tiones  super  Sententias  féliciter. 

Nous  avons  comparé  plusieurs  chapitres  de  cet  ouvrage  à  ceux  du 
grand  Commentaire  où  les  mêmes  sujets  sont  traités,  par  exemple 
les  chapitres  De  vesligio,  Quid  sit  vestigium,  Utrum  in  omni  creatura  sit 


sistons  circa  unaiii  iiialeriam  habeat  univprsi- 
tatem  forma"  siinpiicis  non  constilutie  ex  luultis. 

—  XIII.  Utruui  virtus  moralis  in  appetitu  sen- 
sitivo  sit  qualités  média  essontialitcr  constilufa 
ex  habilitatibus  quip  inriinant  ad  passiones 
exfrenias.  —  XIV.  Utnim  virtiis  mnrniis  divi- 
datur  in  IV  cardinalp»,  tanqiiam  in  spprics 
snbalternas  coniprelicndentfs  nrnnes  virtutes. 

—  W.  Utnim  sppcuialivum  <■!  practicum  distin- 
guantnr  pones  esse  et  non  esse  activum  princi- 
piuni  in  agentc  respecta  sui   objecti.  —  XVI. 


Utrum  i'oniiie  niisribiliuni  qualitatuni  différant 
realiter  a  sua  actualitate. 

'"'  -Et  non  au  xvi',  roniine  le  prétend  le 
Catalogue  in-4*.  Le  même  Catalogue  nesuppose- 
t-il  pas  (|ue  cet  ouvrage  se  confond  avec  le 
Compendiiim  lhenlo(fia;  dont  il  sera  question 
plus  loin  P 

f  Voir  aux  fol.  ao  v°,  43  v",  5a  v°  et  67  r*. 

'''  Sept,  par  exemple,  au  sujet  de  la  pre- 
mière distinction,  six  au  sujet  de  la  seconde, 
quatorze  au  sujet  de  la  troisième,  etc. 


PIERRE  AURIOL.  FRERE  MINEUR.  507 

vestigittm^^\  ou  encore  ceux  qui  traitent  de  la  simplicité  de  l'àme  et  de 
l'éternité  du  monde  '"^*  :  aucune  ressemblance  ne  nous  est  apparue.  Il 
est  vrai  qu'on  observe  la  même  difiFérence  entre  les  deux  rédactions 
successives  du  grand  (Commentaire  d'Auriol.  Il  se  pourrait  que  nous 
fussions  ici  en  présence  d'un  premier  travail,  antérieur  à  la  venue  de 
Pierre  Auriol  à  Paris. 

Vil.    ()UKSTI()NS   DIVERSES. 

A  la  suite  d'un  fragment  du  grand  Commentaire  d'Auriol  sur  les 
Sentences,  le  manuscrit  d'Oxford  Balliol  63  contient,  sous  le  nom  du 
même  auteur,  trois  dissertations  philosophiques  qui  ne  font  partie 
d'aucun  de  ses  ouvrages  connus. 

Fol.  19  :  Determinatio  ejusdem  utrum  veritas  sit  ens  per  accidens, 
contra  Thomam  de  Wylton.  Quia  sic  (juod  includitnr.  .  .  . 

Fol.  20  v°  :  Pétri  Aureoli  Utrum  actus  différât  a  forma  agentis.  Qiiod 
Cjuia  modus  rei  non  est ...  . 

Fol.  86  :  Pétri  Aiireoh  Qaœstio  utrum  videns  Deum  vident  omnia  (juœ 
in  eo  reprœsentantur.  Quod  sic  videns  reprœsentans  necessarinm ....  '^'. 

Thomas  de  Wilton,  contre  lequel  Pierre  Auriol  argumente  dans» 
le  premier  de  ces  morceaux,  prend,  à  son  tour,  Auriol  à  partie  dans 
une  dissertation  que  renferme  le  même  manuscrit  (fol.  19  v°)  : 
Thomœ  de  Wylton  Utrum  habitas  theologicus  sit  practicus  vel  specnlativus , 
contra  Aureolum^''\  Ce  Thomas  de  Wilton  est  un  personnage  connu '*^: 
chancelier  de  Londres,  il  séjournait  en  l'Université  de  Paris,  et  ob- 
tint, à  cet  effet,  une  dispense  du  pape  le  20  août  iSao'*^'.  Il  dut  se 
rencontrer,  à  Paris,  avec  Auriol.  Nul  doute  qu'il  soit  l'auteur  que 
ce  dernier  cite  et  réfute,  plus  d'une  fois,  sous  le  nom  de  «Thomas 
l'Anglais  »  *''. 

'"'  In  J  Sent.,  di»t.  m,  qu.  5  et  7.  Fol.  ()''  à  thorpe  [Qaœstiones  iti  libros  Sententiarum ,  t.  II, 

6'  du  ms.  de  Nimes.  P.  182  et  suiv.  du  grand  Crémone,  1618,  in-fol. ,  p.  585,  60a,  etc.   In 

Commentaire.  //  Sent.,  dist.   xix,  qu.  1,  art.  2;  dist.  xxiv, 

'*'   Fol.  i3'  et  ^8°  du  ms.  de  Nimes.  qu.  1,  art.  1,  etc.).  Tout  ce  que  dit  de  lui  Th. 

'''  Sujet  traité  également  par  Auriol   dans  Tanner   {Bibl.  hritannico-hihemica,  p.    778), 

son  dixième  Quodiibel.  c'est  qu'il  vivait  avant  i375. 

'*'  C'était,    en   effet,  un    sujet  longuement  '"'  Chartal.  Univ.  Paris.,  II,  a/io. 

traité  par  Auriol  {In  I  Sent.,  Prolog.,  p.  Si"  '')  Quodl.  III.  ad.    i,  p.    16'.   Qaodl.  XI, 

et  suiv.).  art.  3,   p.    ll.■)^   Quodl.  XV,  art.   i,   p.  i38' : 

'''  Souvent  cité  et  réfuté  par  .lean  xle  Bacon-  «  libi  indicnntur  mullae  didicultates  secundum 

64. 


508 


PIEKHE  AUaiOL,  FRKHE  MlNEl  R. 


•M  Ces  «Questions»  de  Pierre  Auriol  faisaient  peut-être  partie  d'un 
Recueil  que  nous  ne  retrouvons  j)as,  mais  que,  peu  après,  r\n<^lais 
Jean  de  Baconthorpe  cita  sous  le  titre  de  Paivee  (juœstiones  AureoU.  Les 
emprunts  qu'il  y  fait  prouvent  que  ces  «  Petites  questions  »  ne  se  con- 
fondent ni  avec  le  grand  Commentaire  d'Auriol  sur  les  Sentences,  ni 
avec  ses  QuodJibeta,  ni  avec  son  Compendiam  Ubrorum  Senlentiaram'^^K 

Vlll.  Dk  Principus  nature. 

Sharagiia '"-'  avait  remarqué  chez  deux  auteurs  franciscains  du 
xiv"  et  du  xv"  siècle,  Jean  Canon  et  François  Sansone,  des  renvois  à  un 
ouvrage  d'Auriol  qu'il  ne  connaissait  pas,  un  certain  traité  intitulé 
De  Principiis  natiirw. 

Un  ouvrage  portant  ce  titre  et  attribué  à  Pierre  Auriol  est  con- 
servé, effectivement,  dans  un  manuscrit  du  xiv*"  siècle  de  la  biblio- 
thèque de  Saint-Antoine  de  Padoue''^;  et  le  même  traité, incomplet, 
il  est  vrai'**',  figure  sans  nom  d'auteur,  dans  un  manuscrit  du  même 
temps,  le  n"  1082  de  la  bibliotli,èque  d'Avigiion  [fol.  4-4 fi)- 

Inc.  :  Principiorum  notitia  quantum  sit  efficax  et  nécéssaria  in  perscrutatione 
veritatis.  .  . 

Après  avoir  établi,  d'après  le  témoignage  de  Platon  et  d'Averroès, 
qu'on  ne  saurait  trop  insister  sur  les  principes,  et  signalé,  avec  Aris- 
tote,  les  conséquences  désastreuses  de  la  moindre  erreur  à  ce  sujet, 
\uriol  consacre  un  premier  livre  à  l'étude  de  la  forme  et  de  la  matière 
en  général;  il  étudie  les  divers  systèmes,  invoque  en  faveur  du  sien 
les  autorités  d'Aristote,  de  saint  Augustin  et  d'Averroès,  se  demande 


«  Thoinam  Anjj;liciiin.  •  11  est  justeihVnt  question 
dans  re  dernier  Quodlibet  du  sujet-  à  pi-opos 
duquel  Tlioiuas  de  Wilton  argumenta  contre 
Auriol  :  la  théologie  est-elle  une  scienre  pra- 
tique ou  spéculative  ?  (Voir  p.  iSg". ) 

'"'  «liane  opinionem  ponit  aliter  Aureolus, 
«qu.  1  De  Punis  Qniestionihas ,  ul>i  miIi  ((tiod 
«  in  divinis  persona  non  constituilur  per  aliquani 
«  fonnalemrationeniconstitutivani,  sicnt  alhuni 
«  per  alliedineni ,  sed  persona  est  ali(|uid  consti- 
«  tutum  resultans  ex  unione  pluriiim  e\  a-quo 
•  concurrentium,  sirut  doinus  résultat  ex  unione 
«  partiuni.  ïuncad  projwsiluni  dicil  quoil  pri- 


«  luuinad  quod  terininaturunio  naturaehuinanie 
«iid  Verbum  non  est  cssentia,  ner  proprietas, 
«sed  est  totuni  resullans  ex  illis,  sive  ipsa  tota 
«  personalitas .  .  .  In  (piaestione  'S',  qnani  exqui- 
«  site  ordinavit,  art.  a,  tenet  contrariuni,  et 
«  prohat ,  et  e\  intenlione,  ipiod  relatio  est  for- 
«  midis  terminus.»  (/«  ///.Sent.,  dist.  ii,  qu.  a, 
art.  i;  t.  11,  p.  ao\  ai'.) 

<"  SuppL.p.  586. 

'•'i  Ms.  xni  agS. 

'*'  Les  derniers  chapitres  du  livre  III  et  le 
livre  IV  tout  entier  manquent  dans  ce  ms. 
d'Avignon. 


PIEHRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR. 


509 


si  l'àme  raisonnable  est  soumise  aux  mêmes  lois  que  les  autres  formes 
et  traite,  en  dernier  lieu,  la  question  des  formes  accidentelles. 

Le  second  livre  a  pour  objet  les  principes  constitutifs  des  êtres 
incorruptibles,  c'est-à-dire  des  substances  séparées  et  des  corps  cé- 
lestes, autrement  dit,  des  anges  et  des  astres.  Il  expose,  à  cet  égard, 
les  doctrines  d'Aristote  et  d'Averroès,  puis  la  doctrine  catholique. 

11  étudie,  dans  le  troisième  livre,  les  éléments  et  les  corps  mixtes. 
Dans  le  quatrième,  il  s'occupe  des  êtres  animés,  particulièrement 
de  l'homme;  ce  lui  est  une  occasion  d'aborder  la  fameuse  question  de 
la  pluralité  des  formes  substantielles  '''. 

Dans  tout  le  cours  de  cet  ouvrage,  il  entreprend  de  concilier  le  péri- 
patétisme  et  le  christianisme.  Il  croit  y  parvenir  sans  trop  de  peine  : 
les  discordances,  paraît-il,  se  réduisent  à  peu  de  chose '"^*.  Ainsi  la 
thèse  de  la  «  simplicité  »  des  corps  célestes  n'a  rien  qui  puisse  effarou- 
cher la  foi.  De  nombreux  Pères,  il  est  vrai,  ou  docteurs  de  l'Eglise 
ont  considéré  les  astres  comme  composés  de  matière  :  mais  ils  par- 
laient en  philosophes,  et  non  en  docteurs  de  la  foi '^'.  Cependant  faire 
du  ciel  un  être  vivant,  un  être  intelligent  plus  noble  que  l'être  hu- 
main, n'est-ce  pas  contraire  à  la  religion  ?  Non  pas  !  car  cela  rehausse 
la  puissance  de  Dieu  :  plus  on  voit  apparaître  la  noblesse  des  essences 
créées,  mieux  éclate  dans  tout  son  jour  la  gloire  du  Créateur**'. 

IX.    BrEVIARWM  BlbLIORUM  ou  COMPËNDIVM  SÀCRIi  SCRIPTVRM. 

De  tous  les  ouvrages  de  Pierre  Auriol,  celui  qui  a  eu  la  plus  Jn-il- 
lante  fortune  est  assurément  le  manuel  biblique  dont  nous  allons 
paHer.  Ce  succès  est  attesté  parle  nombre  considérable  d'exemplaires 


'"'  1.  De  forma  et  materia  in  liabentibus 
animas.  —  I].  Utmni  in  talibus  entihiis  sint 
plures  substantinles  J'onna;  ant  in  ali(|U(>  ente. 
—  III.  Quid  de  anima  intellectiva  tenuil  Aris- 
toteles,  et  suus  (x)mmpntalor.  —  IV.  Quid  de 
anima  intellectiva  secun<iuin  (idem  tenendmii 
sit  et  socundum  oinnimodam  veritatem.  —  V. 
An  sola  rationalis  anima  ponenda  sit  in  hominc 
subslantialis  forma.  — •  VI.  De  compositione 
totius  hominis  ex  materia  et  forma. 

'*'  •  In  omnibas  auteni  intendo  opiniones 
«  Aristotelis  et  philosophoniin  dortrinani  cum 
«  veritate  fidei  concordare ,  quoniam  in  paucis 


«  dissonant  et  discordant  ab  ea ,  prout  in  se- 
«quentibus  apparebit.  »  (Ms.  1082  d'Avignon, 
fol.  4  r".) 

'  ''  «  Movere  non  debent ,  pro  eo  quod  in  bac 
«  materia  magis  loquuntur  ut  philosophi,  et  alio- 
«  nim  oppiniones  sectantes ,  qaam  ut  doctores 
«  sanctœ  lidei  materiam  tractantes.  »  (  Ibid. , 
fol  36  v°.) 

'*'  «  Ex  alia  parte ,  fidei  videtur  consonare 
«  tamen,  quia  hoc  magnificat  valde  Del  poten- 
«  liam.  ()uanto  enim  nobiliora  essentia  Deus 
«  creavit ,  tanto  magis  magnificatur  Creator.  • 
[Ibid.,  fol.  37  v°.) 


510 


PJERRK  ALRIOL,  KRERK  MINEUR. 


manuscrits  qui  en  subsistent,  la  plupart  remontant  au  xiv"  siècle,  tons 
on  presque  tous  portant  le  nom  de  1  auteur.  Nous  citerons  ceux  de  la 
Maz.irine''^  de  la  Bibliothèque  nationale'^',  de  Laon'*',  de  Rouen'''*, 
de  Lvon'*',  de  Bordeaux'"',  de  Troyes'^',  de  Tours'*',  de  Londres'^',  de 
Cambridge""',  d'Oxford "^  de  Durham"-",  de  Munich  f'^»),  de  Reun 
en  Styrie''"),  de  Rome"*',  de  Florence'"^',  d'Assise"'"  et  de  Padoue"*'. 
D  autres  ont  été  signalés,  plus  ou  moins  anciennement,  à  Avignon"®',  à 
Venise'^"',  à  Sienne, à  Louvain,  à  Tolède,  à  Séville,  à  Salamanque'^'', 
à  M(Hidonedo'^^';  et  nous  ne  parlons  pas  des  extraits  ou  abrégés  qui  en 
subsistent  dans  quelques  bibliothèques'^^'. 

Après  l'invention  de  l'imprimerie,  ce  succès  se  prolongea.  Il  existe, 
de  cet  ouvrage,  une  édition  incunable  donnée,  à  Strasbourg,  chez 


'"'  Ms.  3 18,  provenant  des  Gordeliers;  belle 
écriture ,  lettres  ornées  et  dorées. 

'''  Ms.  lat.  16355  (fol.  i5-3o),  provenant 
du  collège  de  Sorbonne. 

'''  Ms.  2  ,  provenant  de  N.-D.  de  Laon. 

'*'  Ms.  648  (fol.  159-318),  provenant  de 
Jumiéges. 

'*'  Ms.  1 59 ,  incomplet. 

'')  Ms.  16,  fol.  1-106. 

'''  Mss.  i885  (composé  de  trois  petits  vo- 
lumes), 781  et  i343,  ces  deux  derniers  pro- 
venant de  Ciairvaux. 

'''  Mss.  ào  (fol.  3-135)  et  39,  provenant 
l'un  et  l'autre  de  Saint-Gatien,  le  dernier 
copié ,  en  1 4o4 ,  par  un  chanoine  connu ,  au- 
teur d'un  traité  sur  la  Virginité,  Georges  de 
Rayn  ou  d'Esclavonie. 

'''  Musée  Rrit. ,  Roy.  2  D  xxxvi  et  Roy.  8 
G  III ,  ce  dernier  provenant  de  l'église  de  Lin- 
coln ,  il  laquelle  il  avait  été  donné  par  l'évéque 
Philippe  de  Repingdon. 

<"•'  Ms.  i56  de  Corpus  Christi  (art.  a3). 

'"^  Mss.  13  (fol.  3-7  et  ai-78)  et  a43  de 
Merton  (fol.  39-118)  et  ms.  18  de  Lincoln 
(  fol.  1 94-3 17),  ce  dernier  incomplet . 

'"'  Ms.  B.  IV  39.  4°  de  la  bibliothèque  du 
chapitre  (  Th.  Rud ,  Codicum  mss.  ceci.  cath. 
Diinelmensis  calahg us  r.lassicii s  .Dnvhmn,  18a  5, 
in-fol. ,  p.  333). 

'")  Mss.  lat.  11 36  et  3o63. 

<">  Stanonik,  p.  484. 

'"'  Ms.  lat.  Vat.  945.  Exemplaire  très  soigné, 
du  xiv'  s. 

>  I"'   Mss.  XVI 34,  XXXII  sinistr.  1 1  (fol.  1-108) 
etxxxii  sinistr.  1 3  de  la  Laurentiennc,  ces  deux 


derniers  provenant  de  Santa  Croce  (anciens 
n"363  et  363). 

'")  Ms.  609  du  couvent  de  Saint-François, 
fol.  3i-i8t. 

'"'  Ms.  de  Saint-Antoine  ix  i65. 

'"'  Ehrle,  Hist.  bibl.  Romanor.  pontijicnin, 
I,  3o8,  317,  33 1,  358,  499. 

'"'  Tomasini,  Bibl.  Venetœ  mss.,    36,   io5. 

'"'  Sbaraglia,  p.  731. 

<"'  R.  Béer,  HanJdschriftetuchàtze  Spanieiu 
(Vienne,  1894,  in-8°),  p.  355. 

'"'  Le  ms.  lat.  14796  de  la  Bibl.  nat.  (Saint- 
Victor), du  xv"  s.,  contient(  fol.  1-1 1),  sous  le  titre 
de  Divisio  sacrée  Script  urée  Pétri  Aareoli,  in  sacra 
Pagina  professons ,  de  courts  extraits  commen- 
çant par  le  début  du  chap.  m  (moins  la  pre- 
mière phrase),  sorte  de  résumé  sec  et  froid  de 
l'ouvrage  de  Pierre  Auriol  ;  ils  ne  dépassent  pas 
le  livre  des  dou/.e  Prophètes  et  s'arrêtent  à  Ma- 
lachie.  Inc.  :  Consideraïuium  est  qaod  Scriptura 
divina  polesl  dividi  in  riii  partes  principales .  .  . 
Des.  :  .  .  .  ctscenderil  de  Babilone  in  Jérusalem , 
ttt  testatur  in  libro  sao.  —  D'autre  part ,  le  ms.  1 5 
de  New  Collège ,  à  Oxford  (fol.  376-380  ,xv'  s.), 
contient  un  morceau  intitulé  :  Bibliorum  sa- 
crornni  omnium  argumenta  secundam  Petrum  de 
Aureolo,  ord.  Minorum,  archiepiscnpnm  Aqaen- 
sem.  Inc.  :  Considerandnm  est  qaod  Scriptura 
dividi  potest  in  r  m  partes  principales.  .  .  Des.  : 
qae  debehant  illi  eontingereasuifundalione  usqut 
injinem.  —  Citons  enfin  le  ms.  346  de  Bourges, 
qui,  sous  le  titre  Peirus  Aareoli  super  libro 
Psalmorum,  contient  (fol.  108-109)  '®  chapitre 
du  lireviariam  relatif  aux  Psaumes,  avec  quel- 
ques additions. 


PIERHE  AL'RIOL.  FRERE  MiNECR.  511 

G.  Husner,  que  l'on  lait  remonter  à  i^yG"';  d'autres  données  à 
Venise  en  iSoy,  en  i5oS,  en  1071'^',  à  Paris,  en  i5o8'^',  en  i565, 
en  i585,  en  1610,  en  iGi3,^à  Louvain  en  16/47,  *'  Rowen  en 
1696  '"  et  en  1649,  *^ette  dernière  dédiée  à  Pierre  de  (londi  et  enri- 
chie de  tables  analylitjues'^'.  Mentionnons  particulièrement  celle 
qui  parut,  à  Strasbourg,  en  i5i4,  précédée  d'une  épitre  que  le 
célèbre  érudit  et  poète  Jacques  Wimpfeling  adressait  à  Jean  d'Eck, 
professeur  d'Ecriture  sainte  au  gymnase  d'ingolstadt  :  l'exemple  de 
Pierre  Auriol  lui  semblait  propre  à  réfuter  ceux  qui  reprochaient  aux 
philosophes  de  négliger  l'Ecriture  sainte. 

D'ailleurs,  la  plus  grande  variété  apparaît  dans  les  titres  que 
les  copistes  ou  les  éditeurs  assignent  à  cet  ouvrage  :  Breviarium 
Biblioriim,  Compendium  sacrœ  Scrtptnrœ,  Compendium  sensus  litteralis 
lotius  divinœ  Scripturœ,  Compendium  sacrœ  Scnpturœ  juxta  sensain  litte- 
ralem,  Compendium  super  Bibliam,  Compendium  saper  sacramenla  Scriptii- 
rarum ,  Epitome  sacrœ  Scripturœ  secundum  sensum  lilteralem,  Epitome  totius 
Bibliœ,  Divisio  totius  sacrœ  Scripturœ,  Divisiones  librorum  utriuscjue  Testa- 
menti  in  viii  partes  distinctœ  cum  Prolecjomenis ,  Tractatus  totius  Bibliœ 
expositorius ,  etc.  '''^. 

Inc.  :  Venite,  ascendamus  ad  montcm  Domini  et  ad  domuni  Dei  Jacob,  et  do- 
cebit  nos  vias  suas  rectas  (Esaiai,  2,  et  Micheœ,  li).  Gregorius,  28"  HbroMoralium, 
exponens.  .  .  I    '"''' 

Des.  ;  ...  ex  aromatibus  myrrha^  et  thuris  et  universi  pulveris  pigmentarii. 

La  division  des  Livres  saints  la  plus  accréditée  dans  l'Ecole  était 
inspirée  de  saint  Jérôme,  de  Cassiodore  et  d'Etienne  Langton  :  elle 
consistait  simplement  à  distinguer  les  livres  historiques,  les  livres 
doctrinaux,  les  livres  prophétiques '''.  Pierre  Auriol  en  imagina  une 
nouvelle,  beaucoup  plus  compliquée,  fondée,  d'ailleurs,  comme  la 

'■'   Pellechel,  1  ,n°  i6i3;R.Proctor,i4HjWex  '"'   Le  titre  signalé  par  Tomasini  (op.  cit., 

to  llie  early  printed  bookf  in  the  Britisli  Mnseum,  |).  io5)  dans  un   nis.  de  Venise,  Compendium 

Sert.  1   (Londres,  1898,   in-S"),    n°   35i.   Le  S.  Scriplurœ  Pe  ri  Aareoli,  ord.   Minoram,  una 

Britisli  Muséum  Catalogue  hasarde  la  date  de  cum   CItronicis   Romanoruiii ,  ne  doit  pas  faire 

i48o.  supjKiser    l'existence    d'un    ouvrage    d' Auriol 

<''  Sbaraglia ,  p.  584.  qui  serait  inconnu  :  les  derniers   mots  de  ce 

'•''   B.  N. ,  Rés.  A  6646 ,  in-8".  titre  font  allusion  sans  doute  aux  applications 

'*'  Sbaraglia,  p.  584;  Stanonik,  p.  484.  qu'Auiiol  fait  des  textes  de  l'Apocalypse  aux 

'*'   B.    N.,    A    6648,    in-8°;    Biln.    Mazar.,  événements  de  l'histoire  romaine. 

333o6.  '''  S.Berger,//is<.(ie/«Fa/^a<e,  p.  3o2,3o4. 


512  PIERRE  AL'RIOL,   FRÈRE  MINEUR. 

précédente,  sur  la  distinction  des  diverses  mélliodes  employées  par 
les  auteurs  sacrés  pour  instruire  les  hommes.  11  crut  donc  voir  dans 
l'Ecriture  huit  parties  principales  :  i"  une  partie  politique  et  législa- 
tive, comprenant  tout  le  Pentateuque;  2"  une  partie  historique 
(Josué,  les  Juges,  Ruth,  les  Rois,  les  Paralipomènes,  Esdras,  Tobie, 
.Tudith,  Esther  et  les  Macchabées);  3°  une  partie  poétique,  dans 
laquelle  il  rangea  les  Psaumes,  les  Lamentations  et  le  Cantique  des 
cantiques;  k"  une  partie  dialectique,  composée  seulement  du  livre 
de  Job  et  de  l'Ecclésiaste;  5"  une  partie  prophétique ,  où  il  plaça  natu- 
rellement les  Prophètes,  grands  et  petits;  6"  une  partie  morale  (Pro- 
verbes, Sagesse,  Ecclésiastique);  7"  une  partie  testimoniale  ou 
authentique,  les  Evangiles;  8°  enfin  une  partie  épistolaire  (Epitres, 
Actes  des  apôtres  et  Apocalypse).  Dans  chacune  de  ces  classes  il  intro- 
duisit ensuite  des  subdivisions,  parfois  un  peu  factices  :  c'est  ainsi 
qu'il  distingua  trois  sortes  de  poèmes,  les  chants  de  joie,  les  élégies, 
les  chants  dramatiques,  et  rangea  les  Psaumes  assez  arbitrairement 
dans  la  première  de  ces  catégories.  \>r'<  iw.^  i>uia\\ 

A  tout  prendre,  cette  façon  de  grouper  les  livres  de  la  Bible  facili- 
tait aux  commençants  l'étude  de  l'Ecriture,  de  même  que  les  analyses 
fixaient  dans  la  mémoire  le  sujet  de  chaque  partie  et  en  dégageaient 
bien  l'enseignement  moral ''^ 

Assez  bref  dans  la  flescription  des  ])remiers  livres,  Auriol  ne 
tardait  pas  à  entrer  dans  plus  de  détails.  C'est  ainsi  qu'il  donnait 
d'assez  grands  développements  aux  Lamentations  de  .lérémie  et  plus 
encore  aux  Epîtres  et  aux  Actes  des  apôtres.  Dans  les  Prophètes,  il 
s'appliquait  à  faire  le  départ  entre  ce  qui  lui  semblait  relatif  au 
peuple  juif  et  ce  qui  lui  paraissait  se  rapporter  au  futur  avènement 
du  Christ  t'^\ 

Sa  manière  de  caractériser  chacun  des  quatre  évangélistes  et  d'ex- 
pliquer le  choix  des  animaux  symboliques  dont  on  se  servait  pour 
les  représenter*''  rappelait  fort  ce  qu'on  lit  dans  deux  proses  attri- 
buées à  Adam  de  Saint- Victor '''l   Mais  la  lecture  du  Compendiuin 

'''  Il  ne  faudrait  pas  croire  Cépendartf  Itjttft  «ex  prima  materia  propheta;  vertunt  se  ad  se- 

Pierre  Auriol  sacrifiât  liabituellpinenl,  comme  «  cundam,  et  econvei-so.  •  (Fol. 58  v* de  l'édition 

on  l'a  dit  {Hist.  litt.  de  la  h'r.,  XXIV,  337),  le  de  Houen  de  16/19.) 

sens  littéral  au  sons  métaphvsiqu»'.  '''  Fol.  lof). 

'''    «Est  junclura  diflirilis  ad   intclligcnduin  *'    Plao>n    chorus  leetabtindo    et   Jocandare , 

«  interistas partes, quia  statim,<>rrasione  nacta,  plcljs   /idi-lis   (cf.  Léon  Gauli»'r,   Œuvres  poil. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR.  513 

devient  surtout  intéressante  quand  l'auteur  se  met  à  interpréter  les 
difiFérents  «âges»  de  l'Apocalypse''^. 

Chacune  des  visions,  suivant  Pierre  Auriol,  correspond  à  une  des 
six  périodes  de  l'histoire  de  l'Eglise.  11  propose  d'abord  de  fixer  ces 
périodes  de  la  manière  suivante  :  i°  l'époque  apostolique;  2°  l'époque 
des  persécutions;  3"  celle  de  la  prospérité,  commençant  à  Constantin; 
4"  l'époque  des  hérétiques;  5"  celle  de  la  pacification  et  de  f épa- 
nouissement, aux  temps  de  Charlemagne  et  de  ses  successeurs; 
6°  fépocjue  de  la  dernière  persécution,  celle  de  l'x\ntéchrist. 

Toutefois  Auriol  fait  remarquer  que  les  troisième  et  quatrième 
périodes  pourraient  être  jointes  avantageusement  fune  à  l'autre,  vu 
que  l'hérésie  arienne  a  commencé  dès  le  temps  de  Constantin, 
et  que,  par  suite,  la  cinquième  période  devenant  la  quatrième  et 
la  sixième  passant  au  cinquième  rang,  il  resterait  une  place,  la 
sixième,  pour  l'intervalle  s'étendant  entre  la  mort  de  l'Antéchrist 
et  le  Jugement  dernier. 

Cette  combinaison  ne  le  satisfait  pas  encore.  D'autres  interprètes, 
dit-il,  font  durer  la  première  période  jusqu'à  Julien  fApostat,  la 
seconde  jusqu'à  Jiistinien  ou  à  Maurice;  la  troisième,  en  ce  cas, 
comprendrait  le  Bas-Empire;  la  quatrième  commencerait  à  Charle- 
magne pour  finir  à  fempereur  Henri  IV;  la  cinquième  .s'étendrait 
jusqu'à  la  venue  de  l'Antéchrist,  dont  la  persécution  remplirait  la 
sixième  période.  Auriol,  qui  semble  décidément  pencher  pour  ce 
troisième  svstème,  reprend  l'examen  des  visions  successives  de  l'Apo- 
calypse et  en  ra])porte  chaque  trait  à  quelque  événement  connu  :  il 
voit  ainsi  ap])araître,  à  travers  les  récits  inspirés  du  voyant  de 
Patmos,  les  empereurs  romains,  les  rois  des  Francs,  les  rois  Lom- 
bards; il  croit  y  reconnaître  l'annonce  de  tel  concile,  de  telle  croi- 
sade; toute  l'histoire  se  déroule  sous  les  yeux  de  ses  lecteurs'^'. 

Une  difficulté  cependant  l'embarrasse.  Le  nombre  666  du  cha- 
pitre XIII  (v.  18)  del'Apocalyse  indique,  suivant  les  commentaires  les 
plus  autorisés,  la  durée  du  Mahométisme.  Or,  si  Ton  fait  partir  ces 
666  années  de  la  retraite  ou  de  la  mort  de  Mahomet,  ce  laps  de  temps 
aurait  été  depuis  longtemps  écoulé  au  moment  où  Auriol  écrivait  son 

d'Adam  de  Saint-Victor,  3'  éd.,  1894,  p.  269,  '*'  «Dici  potest  quod  c|uicquid  ibi  historiée 

25o).  "  desrribitnr,    in    lioc    libro    prophetice  conti- 

'"'  Foi.  a42  <■•  suiv.  «netur.  » 

IIIST.   I.ITTKB.  XXXIII.  65 


514  PIERRE  AURfOI.,  FRERE  MINEUR.  , 

Compendium  Bihliœ.  Déjà  <rautres  inter])rèles  su<;f^éraient,  ])araît-il, 
l'idée  de  prenrlre  la  i-édactiuii  définitive  du  Coran  comme  |)oint  de 
départ  de  la  période  de  666  ans.  Auriol  était  tenté  de  recourir  à  cet 
expédient;  mais  il  préférait  s'en  tenir  à  une  conclusion  vague  : 
M  Gomme  on  ne  peut  annoncer  l'avenir  avec  certitude ,  laissons,  disait-il , 
à  rEs])rit  Saint  le  soin  d'interpréter  ce  nombre.  » 

Autre  difficulté,  autre  hésitation.  Quel  sera  le  point  de  départ  de 
la  période  de  mille  ans  qui  semble  devoir  précéder,  d'après  le 
chapitre  xx  de  l'Apocalypse,  l'avènement  de  l'Antéchrist i*  Sera-ce 
la  naissance  de  Jésus-Christ  ?  Mais  plus  de  treize  cents  ans  se  sont 
écoulés,  et  l'Antéchrist  n'apparaît  point  encore.  Sera-ce  le  baptême 
de  Constantin.^  Auriol  en  fixe  la  date  à  l'année  3 16  et  en  conclut 
que  l'Antéchrist  devrait  avoir  trois  ans.  Cette  pensée  le  chagrine.  Il 
préfère  conclure  encore  une  fois  avec  prudence  :  «  l^'interprétatiou 
«  exacte  de  ce  nombre  doit  être  laissée  à  l'Esprit  Saint.  » 

Les  idées  émises  par  Auriol  au  sujet  de  l'Apocalypse,  quelle  qu'en 
fût  l'incertitude,  intéressaient  tous  ceux  qui  cherchaient  à  supputer 
l'époque  de  la  fin  du  monde.  Elles  ne  manquèrent  pas  d'avoir  un 
grand  retentissement  dans  l'Ecole  *'\ 

Il  est  à  remarquer  que  Pierre  Auriol  admire  dans  l'Ecritui-e  sainte, 
non  seulement  le  fond,  mais  la  forme.  Il  se  plait  à  y  retrouver  no- 
tamment les  quarante-cinq  figures  de  mots  et  les  vingt-cinq  figures 
d'idées  énumérées  dans  le  livre  IV  de  la  Rhétorique  à  Herennius 
(S  i3-55)'"'*.  Lui-même,  à  vrai  dire,  ne  donne  guère  la  preuve  de  .son 
bon  goût,  en  employant,  chaque  fois  qu'il  passe  d'une  partie  à  une 
autre  de  la  Bible,  des  métaphores  qui  ne  gagnent  pas  à  être  transpor- 
tées du  texte  sacré  dans  la  prose  de  son  Compendium.  C'est  par  une 
«ascension  de  scorpion*^*»  qu'il  s'élève  jusqu'à  la  partie  historique; 
c'est  par  une  «  ascension  pourpre '*^)  qu'il  monte  à  la  partie  poétique; 
c'est  pai-  une  «  ascension  à  cheval'*'  »  qu'il  parvient  à  la  partie  dialec- 
tique; c'est  par  une   «ascension   d'aurore '''' »  qu'il  pénètre  dans  la 

'''  Cf.  N.  Valois,  Un  ouvrage  inédit  de  Pierre  <*'  Cf.  Ca.vt.  m,  9,    10   :  «  Ferculuiii    fecil 

d'Ailly,  dans  la  Bibl.  de  l'Éc.  des  ch,,  t.   LXV,  «sibi  rex  Saloinon  de  lignis  Libani;  columnas 

1904,  !>•  563.  «ejus  fecit  argenleas,    rerlinatoritini  aureuni. 

"'  Voir  le  cliap.  11,  De  preeeminentia  tropica  «ascensum  purpureuni .  .  .  » 

Scripluru!  divnue.  '*'  Cf.  Zw.h.  i  ,  8  :  «  El  ecce  vir  ascendens 

'''  Cf.    NuM.    XXXIV,    4   :    «Qui    circuibunt  «  super  eqiiuni  rufuiii ...  > 

«australem     plagam      pcr     asccnsum      Scor-  '*'  Cf  Gkn.  xxxii,  a6  :    •Dimitte  me,  jaiii 

•  pionis.  .  .  »  «enim  ascrndit  aurora.  > 


■      PIERRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR.  515 

partie  prophétique.  Ces  jeux  d'esprit  misérables  n'étaient  pas,  d'ail- 
leurs, pour  rebuter  les  lecteurs  du  xiv*  siècle,  ni  même  ceux  des 
âges  suivants. 

Parmi  les  témoignages  d'admiration  qu'a  décernés  à  cet  ouvrage 
la  postérité,  on  a  cité  déjà  celui  de  l'Allemand  Georges  Eder  :  le 
Compendinm,  écrivait  celui-ci  en  jouant  sur  le  nom  à'Aweoli,  est  un 
liber  aureas.  Georges  Eder  crut  découvrir,  en  i568,  le  Manuel 
d'Auriol,  et  il  s'étonnait  qu'un  ouvrage  d'une  si  grande  utilité  eût 
passé  jus(|u'alors  à  peu  près  inaperçu*'';  mais,  sans  parler  du  témoi- 
gnage de  Barthélemi  Albizzi  '^',  le  nombre  des  copies  qui  subsistent 
de  ce  livre  prouve  assez  que  d'autres  avaient  fait  cette  découverte 
avant  Eder. 

X.    ReCOMMENDATIO  SACR.E  SCHIPTURE. 

Un  morceau  dont  ne  parle  aucun  bibliographe,  et  tout  à  fait  dis- 
tinct de  l'ouvrage  qui  précède,  se  trouve,  sous  le  nom  d'Auriol,  dans 
le  ms.  latin  i/i566  (ff.  2-7)  de  la  Bibliothèque  nationale  (xiv*s.).  Ce 
manuscrit  contient  déjà  les  Quodlibeta  du  même  auteur.  Si,  comme 
tout  le  porte  à  croire,  l'attribution  à  Auriol  est  exacte,  il  n'en  est  pas 
de  même  du  titre  qui  figure  à  la  table  (fol.  i84  V),  et  qui  tend  à 
donner  de  l'ouvrage  une  idée  fausse  :  ■  Recummendatio  et  divisio  sacrœ 
Scripturœ  a  Petro  Aureoli,  ordinis  Mmoriim.  Le  mot  divisio  est  de  trop  : 
l'opuscule  ne  renferme  aucune  division  ou  classification  des  Livres 
saints;  il  en  contient  seulement  féloge,  recommendatio. 

Inc.  :  In  me  omnis  spes  vitae  et  virtutis.  Eccli.  2  W-  Dicit  Gregorius ,  Omelia  vu' 
super  Ezechielem  :  Divina  eloquia  cum  legente  crescunt. 

Des.  ;  ...  et  foras  non  egredietur  amplius ,  sed  in  œternum  regnabit  cum  Christo , 
quod  nobis  concédât  Jésus  Christus,  etc. 

L'un  des  avantages  que  nous  retirons  de  la  lecture  de  la  Bible,  c'est 
de  guérir  l'aveuglement  résultant  de  la  chute  originelle  :  la  lumière 
recommence  à  luire  au  milieu  des  ténèbres  où  nous  étions  plongés. 
La  Grande  Ourse  n'est  pas  la  plus  brillante  des  constellations;  cepen- 

'■'  Œconomia   Bibliorum    (Cologne,    id68,  '''  «  Compendiam  S.  Scripturœ  edklit ...  Fe- 

in-fol.),  avertissement.  cil  Compendinm  liihliw.  .  .  >  (Fol.  8i  r°,  i  a6  r°.) 

65. 


516  l'IEHKE  ACRIOL,  FllÈRE  MINEUR. 

dant,  à  cause  du  voisinage  du  pôle  Nord,  c'est  d'elle  que  les  marins 
se  servent  pour  diriger  leur  course.  Le  pôle,  c'est-Jésus-Christ;  la 
Grande  Ourse,  c'est  la  Bible,  dont  tout  le  développement  gravite 
autour  du  Christ.  Et,  de  même  que  la  Grande  Ourse  se  compose  de 
sept  étoiles  principales,  quatre  formant  une  figure  et  trois  en  formant 
une  autre,  l'Ecriture  sainte  traite  principalement  de  sept  vertus, 
parmi  lesquelles  il  y  en  a  quatre  cardinales  et  trois  théologales;  au 
nombre  de  ces  dernières,  la  charité  est  celle  qui  se  rapproche  le  plus 
de  Jésus-Christ,  semblable  à  l'étoile  de  la  Grande  Ourse  la  plus  rap- 
prochée du  pôle  '*'. 

Auriol  poursuit  dans  le  même  style  imagé  sa  démonstration  et,  en 
somme,  ne  considère  la  Bible  qu'au  point  de  vue  moral  :  tota  enim 
sua  intentio  est  ut,  relicto  bono  commutahilî ,  ad  bonum  incommutabile  con- 
vertamur.  Joseph  enseigne  la  continence,  Judith  la  modestie,  Job  la 
pauvreté.  Toutes  les  vertus  sont  ainsi  préconisées  tour  à  tour  dans 
les  Livres  saints'^'. 

XI.    POSTILLA   SUPER  ISAIAM  PROPHETAM. 

Parmi  les  ouvrages  de  Pierre  Auriol,  Barthélemi  Albizzi  comptait 
des  Postilles ''.  Un  manuscrit  du  xiv*  siècle,  provenant  du  couvent 
de  Santa  Croce  de  Florence  (ancien  n"  3 60'''')  et  aujourd'hui  con- 
servé à  la  bibliothèque  Laurentienne  (xxxii,  lo),  renferme,  en 
effet,  un  exemplaire,  malheureusement  incomplet,  de  la  Postilla  super 
Isaiam  prophetam  de  Pierre  Auriol.  Il  porte  le  nom  de  l'auteur  et 
occupe  I  66  feuillets  à  deux  colonnes. 

Inc.  :  Doctrinam  quasi  propheticam  cffundam  et  relinquam  illam  quœrentibus 
sapientiam.  Eccli.  xxiv,  li6.  Quia  eximii  prophetae  Isaiœ  vaticinium.  .  . 
Des  ;  .  .  .  quod  iste  Ezechias  habebat  in  potestate  sua  infinitas .  .  . 

'"'  Fol.  2''.  Scripturw     secundam     doctrinam     Pétri     Att- 

'*'  Il    ronviendrait   de    rapprocher  du   ms.  reoti,  etc. 
latin  i4566  le  lus.  d'Erfurt  in-i'  la^,  qui  con-  '■'''  Ed.  de  \filan,  ifiio,  loi.  81. 

tient  (fol.  i42-i64)  une  compilation  ainsi  dé-  <*'  Et  non  707,  comme  le  dit  M.  Stanonik 

crite  dans  le  Catalogue  :  De peccatis  sexuulibus ,  (p.  492),  qui  confond   ce  nimiéro  avec  celui 

de   temptationibas  Christi,  de  auctoritatibiis  Bi-  de  la  colonne  où  il  figure  dans  le  Catalogue  de 

Mite,  de  tan-i  virtiitam,  de  commendatione  sucra  Bandini  (t.  IV). 


PIERRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR. 


517 


XII.    EXPOSITIO  EPISTOLARUM  S.  HlERONYMI  AD  PaULINUM 
ET  AD  DeSIDERIUM. 

Cet  ouvrage,  à  vrai  dire,  n'est  cité  par  aucun  bibliographe;  mais  il 
ligure,  sous  le  nom  de  Pierre  Auriol  et  à  la  suite  du  Compendium 
sacra:  Scriptnrœ,  dans  un  manuscrit  du  xiv*  siècle,  le  n"  ix  i65  de  la 
bibliothèque  de  Saint-Antoine  à  Padoue. 

Inc.  :  In  principio  créa  vit  Deus,  etc.  Circa  librum  Genesis  ista  sunt,  etc. 

L'une  des  épîtres  de  saint  Jérôme  à  saint  Paulin  est  fameuse  :  c'est 
celle  où  il  traite  de  l'étude  de  l'Ecriture  sainte  et  qui  a  servi  de  pré- 
face à  un  grand  nombre  de  bibles  du  moyen  âge''^.  Auriol  la  cite  lui- 
même  dans  son  De  Conceptione'^^\  et,  s'intéressant  fort  aux  études 
bibliques,  a  très  bien  pu  en  faire  l'objet  d'un  commentaire  spécial. 
Quant  à  la  lettre  à  Didier  qu'il  aurait  commentée  en  même  temps, 
elle  n'est  autre  que  la  préface  de  saint  .Jérôme  à  sa  traduction  du 
Pentateuque  :  on  sait  que  cette  traduction  avait  été  demandée  par 
un  certain  Didier,  qu'on  croit  avoir  été  un  prêtre  de  Gascogne. 

XIII.  Sermons. 

Les  incidents  survenus  à  Toulouse  au  mois  de  décembre  i3i4, 
et  qui  ont  été  rapportés  ci-dessus,  prouvent  déjà  que  Pierre  Auriol 
n'étaitpas  sans  jouir  (le  quelque  réputation  comme  prédicateur.  En  effet 
le  couvent  des  Franciscains  de  Séez  possédait  autrefois,  parait-il,  un 
recueil  manuscrit  de  ses  sermons  de  Tempore^^K  Un  recueil  analogue, 
commençant  au  dimanche  de  la  Sexagésime  pour  se  terminer  au 
jour  des  Morts'*',  remplit  encore,  à  l'heure  actuelle,  un  manuscrit  du 
XV'  siècle,  de  iog  feuillets,  qui  est  conservé,  sous  le  n"  622,  au  cou- 
vent de  Saint-François  à  Assise  ^^K 


<''  Samuel  Bei^'er,  Les  Préfaces  jointe.'  aux 
livret  de  In  Bible  dans  les  manuscrits  de  la  Val- 
gate  {Mémoires  présentés  par  divers  savants  à 
FAcad.  des  inscr.  et  belles-lettres,  i"  sér. ,  XI, 
1904),  p.  21. 

'*'  Chap.  i"  :  «  Non  Jicef  ScripUiras  ad  sen- 
«  suni  trahere  repugnantcin  secundum  Jeroni- 
•  mum  in  Epistola  ad  Paulinuni.  > 

'^'  Trittenheim,  De  Script,  eccles.,  c.   544; 


Du  Boulay,  IV,  986;  Fabricius,  V,  243;  Wad- 
ding,  5cn/)<.  or<^.  Min.,  188. 

'*'  D'après  Sbaraglia,  ]).  586. 

'''  Une  autre  collection  de  92  sermons  com- 
mençant à  l'Avent  et  allant  jusqu'au  34'  di- 
manche après  la  Pentecôte  se  trouve  dans  le 
ms.  VI  36  de  la  Bibl.  de  Saint-Marc  (fol.  7-70) 
sous  le  nom  d'un  frère  Pierre ,  de  l'ordre  des 
Mineurs.  Ne  serait-ce  pas  Pierre  Auriol  ? 


518  PIERRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR, 

Inc.  :  Cum  turba  piurima  convenirent  et  de  civitatibus  pioperarent .  .  . 

D'ailleurs,  on  peut  se  faire  une  idée  de  la  manièie  oratoire  d'Au- 
riol  en  consultant  l'édition  des  sermons  de  saint  Bonaventure  donnée 
à  Bàle  en  i5o2''l  Neuf  des  sermons  d'Auriol  y  ont  été  intercalés.  Il 
y  en  a  un  sur  la  Nativité,  ou  plutôt  pour  l'un  des  premiers  dimanches 
de  l'Avent'^',  un  pour  l'Epiphanie'^',  un  pour  le  Lundi  saint'*',  un 
pour  le  Jeudi  saint '^',  deux  autres  sur  l'Eucharistie'*^'  qui  doivent  avoir 
été  prononcés  aussi  le  Jeudi  saint,  un  pour  le  Samedi  saint  sur  la 
Compassion  de  la  Vierge ''',  deux  enfin  pour  la  fête  de  l'Ascension'*'. 
Le  ton  en  est  sérieux,  pieux,  quelquefois  touchant.  On  n'y  trouve 
aucune  de  ces  saillies  ou  de  ces  vulgarités  qui  ont  été  signalées  chez 
Jacques  de  Lausanne,  non  plus  qu'aucun  de  ces  traits  de  mœurs  qui 
rendent  si  instructive  la  lecture  de  certains  sermonnaires  de  l'époque 
antérieure.  Le  philosophe  s'y  révèle  à  peine  par  de  lares  citations 
d'Aristote.  Par  contre,  la  subtilité  et  le  mauvais  goût,  dont  on  a  ren- 
contré maintes  traces  dans  les  traités  d'Auriol,  se  reconnaissent  en 
plusieurs  passages''*'. 

Nous  passons  à  présent  à  des  ouvrages  dont  l'authenticité  parait 
beaucoup  plus  douteuse. 

Telle  est  une  Logica,  dont  certains  auteurs  font  mention'"^',  et  qui 
se  retrouve  effectivement  dans  un  manuscrit  du  xiv*"  siècle  contenant 
divers  ouvrages  de  Pierie  Auriol,  le  n"  9^6  du  fonds  latin  du  Va- 
tican, à  la  bibliothèque  Vaticane  (fol.  1-1 5)'"';  mais  le  nom  d'Auriol 


'"'  C'est  à  cette  édition ,  et  non  à  un  recueil 
manuscrit,  comme  ie  croit  M.  Slanonik 
(p.  497) ,  que  fait  allusion  Angelo  Rocca,  l'édi- 
teur de  S.  Bonaventure ,  dans  sa  dédicace  du 
t.  III  de  l'édition  du  Vatican  (  i  SgG  ) ,  quand  il 
dit  «  se  collegisse  et  segregasse  hos  sermones 
«  puros  ci  genuinos  qui  antea  aliorum  sermo- 
«nibus,  utpote  Bonaventurse  Paduani,  Peiri 
«Aureoli  et  Franrisci  Mavronis,  confuse  per- 
«  mixti  erant  ».  Cf.  5.  BonncenUirw  Opéra  omnia , 
éd.  David  Fleming,  t.  IX  (Quaracchi,  1901, 
in-fol.),  p.  XI. 

'•'    1"  partie,  fol.  n'-i^'. 

C  Fol.  16'- 19". 

<»'  Fol.  ^b'■^f. 

i>>  Fol.  53"-5y. 


'•'  Fol.  bli'-b-]''  et  57°-6o'.  Le  premier  est 
qualifié  de  «senuo  aureus». 

'')  Fol.  87''-90". 

'•'  Fol.  1  i9''-iua' et  laa'-iaô". 

'*'  Le  discours  devait  être  interrompu  par- 
fois par  des  chants  sacrés.  C'est  ainsi  qu'au 
milieu  d'un  des  sermons  du  Jeudi  saint  se 
lisent  deux  strophes  du  Laada  Sioti,  suivies 
d'une  hymne  où  l'on  reconnaît  des  emprunts 
an  Pange  lin(jua  (fol.  .">,S). 

'"'  Frizon,  Gall.  purpiir.,  3 10;  Ciaconius 
(éd.  de  1677),  H,  437;  Fisquet,  La  France 
pontificale,  I,  98. 

'"'  Inc.  :  Ad  radium  eruditionem  et  mei  exer- 
cilationem  opascaliim  super  Logicam  componen- 
dum  decrevi,  uggredieiu  quidein  rem  michi  om- 


PIERRE  ÂURIOT.,  FRERE  MINEUR. 


519 


n'y  figure  que  dans  un  titre  inscrit  plus  tard,  par  une  main  du  xvi'^ 
ou  du  xvii''  siècle. 

Tel  est  aussi  un  traité  des  Dix  commandements,  dont  il  sub- 
siste, à  Oxiord,  quatre  exemplaires  du  xv"  siècle;  le  copiste  d'un  de 
ces  manuscrits  a  terminé  le  traité  par  la  note  suivante  :  Explicit  Irac- 
tatus  deDecem  prœceptis  secundiim  Petrum  de  /lurio/w''';  mais  aucun  nom 
d'auteur  ne  figure  dans  les  trois  autres  copies  du  même  ouvrage'-'. 

Tel  est  encore  un  traité  du  Baptême,  De  Baptismo,  contenu,  au  dire 
de  Sbaraglia '^',  dans  le  manuscrit  d'Assise  qui  renferme  les  Sermons 
d'Auriol.  Ce  manuscrit  a  été  récemment  catalogué  par  M.  Mazzatinti, 
et  il  n'y  a  signalé  aucun  ouvrage  semblable ''^  A  vrai  dire,  l'incipit, 
reproduit  par  Sbaraglia**',  donne  l'idée  d'une  «question»  relative  au 
baptême,  plutôt  que  d'un  traité  complet,  et  la  question  est  une  de 
celles  auxquelles  Auriol  a  répondu  dans  son  Commentaire  des  Sen- 
tences '•**. 

Ou  a  cité  encore,  parmi  les  traités  de  Pierre  Auriol  conservés 
autrefois  chez  les  Franciscains  de  Séez,  un  livre  intitulé  Rosœ  distinc- 
twnes'''\  On  trouverait,  suivant  Wadding,  dans  la  Summa  angehca 
d'Ange  de  Chivasso  de  fréquents  renvois  à  ce  livre;  nous  les  y  avons 
vainement  cherchés  :  Ange  de  Chivasso,  ce  nous  semble,  ne  cite  de 
Pierre  Auriol  que  le  Commentaire  sur  les  Sentences.  Il  paraît  diffi- 
cile, d'ailleurs,  d'assimiler  cet  ouvrage  à  la  Rosa  distincdonnm  Pétri 
cardinalis  qui  existait  autrefois,  dit-on,  à  Santa  Croce,  mais  qui  avait 
disparu  de  Florence  dès  l'époque  de  Sbaraglia '^'.  Et  il  est  encore  plus 


nino  difficilem ,  allamen  tain  iiiiclii  qaam  céleris 
parvalis  lacté  indigentibus  ittilem.  .  .  Continebit 
aiilem  prœsens  opiisculum  très  partes  principales, 
totam  Logicm  sahstantiam  complectentes.  Prima 
pars  erit  de  terminis ,  secunda  pars  de  proposicio- 
nihus,  tertiapars  erit  de  argumentis...  I)es.  :  ...  et 
sic  de  similibas  est  dicenaam.  Et  hwc  de  falla- 
ciis  dicta  sajficiant. 

'''  Ms.  Bodl.  4oo,fol.  1-49.  Inc.  :  Aon  lia- 
hebis  deos  aliénas.  Exod.  20.  In  hoc  primo  man- 
data,  sicat  liqaet  ex  glosis,  prœcipitar  unins 
salins  veri  Dei  caltus.  .  .  Des.  :  .  .  .  ausus  est 
prœsamere  divinitatem  ut ,  quia  vidit  ceteros  in- 
feriores,  seipsam  prœfert  ut  Deum. 

m  Ms.  Bodl. 687 ;ms.DigJ)y  lyS.fol.  lo-Sg; 
ms.  Magdal.  i3,  M.  io3-i56.  —  F.e  texte  de 
ces  copies  présente  (|uel(|nes  variantes.  Ln  an- 


cien catalogue  attribuait  ce  traité  ,  sans  raison 
apparente,  à  Robert  Grossc-Téte  (G.-D.  Ma- 
crav,  Caialogi  codicum  manuscript.  Bihl.  Bod- 
leianœ,  pars  IX,  p.  i83).  Cf.  Stanonik,  p.  ^gS. 

m  Suppl,  p.  586. 

'*'  Inventari  dei  manoscritti  délie  biblioteche 
d'Italia.  t.  IV  (Forli,  189^,  in-8°),  p.  102. 

'*'  Inc.  :  Ad  regenerationis  Christi  mysterium 
tontemplandum  fuit  facta  qaiestin  :  Utrum  bap- 
tismus  qao  Christasfuit  baptizatus  fuerit  ejusdeni 
rationis  cam  baptismo  quo  nos  baptizamiir. 

!"'  In  IV  Sent.,  dist.  11,  art.  3  ,  p.  37''  :  De 
baptismo  Joannis,  atrum  Jaerit  verum  sacra- 
mentam. 

<')  Wadding,  Script,  ord.  Min..  188;  Fabri- 
cius,  V,  243. 

m  Snpp/.,  p.  586. 


520 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


invraisemblable  de  supposer  que  ces  Hosœ  distinct'wnes  soient  seule- 
ment un  extrait  du  cinquième  Quodlibet  d'Auriol*''. 

L'attribution  à  Pierre  Auriol  est  encore  moins  fondée  pour  les 
quatre  ouvrages  qui  suivent  : 

Des  Postilles  sur  Job*^',  qui  figurent  à  bon  droit,  semble-t-il,  ])armi 
les  œuvres  de  saint  Thomas  d'Aquin'^'; 

Un  Comput,  conservé  dans  un  manuscrit  d'Assise,  qu'un  certain 
frère  P.  aurait  dédié  à  un  certain  A.,  évêque  de  (ilermont''*'; 

Un  ouvrage  bien  connu,  le  Compcndium  theologicœ  veritatis,  tour  à 
tour  attribué  à  saint  Thomas  d'Aquin,  à  Albert  le  Grand,  à  saint 
Bonaventure,  à  Hugues  de  Saint-Cher,  à  Alexandre  de  Halès,  à  Pierre 
de  Tarentaise,  à  Gilles  de  Rome,  etc.'^',  et  que  Pelbart  de  Temesvar 
a  cité,  par  mégarde,  sous  le  nom  de  notre  auteur'*'; 

Enfin  la  Diœta  salatis,  qu'un  seul  manuscrit  du  xv"  siècle,  conservé 
sous  la  cote  li.  iv.  5  flans  la  bibliothèque  de  l'Université  de  Cambridge 
(fol.  33-70),  fournit  sous  le  nom  d'Auriol,  mais  qui  a  été  nombre  de 
fois,  à  partir  de  là^^-,  imprimée  sous  celui  de  saint  Bonaventure,  et 
qu'on  s'accorde  aujourd'hui  à  attribuer,  .sui-  la  foi  du  plus  grand 
des  manuscrits,  au  frère  Mineur  Guillaume  de  Lavicea,  Lancea  ou 
Lanicia'^K 

Quel  que  soit  le  nombre  des  traités  mis  indûment,  ou  sans  preuve 
suffisante,  sous  le  nom  de  Pierre  Auriol,  ce  religieux  demeure,  comme 
on  l'a  vu,  l'auteur  incontesté  de  beaucoup  d'importants  ouvrages  qui 


'"'  M.  Stanonik  (p.  496)  fonde  cette  hypo- 
ihèso  sur  ce  (p'Auriol  prend  l'exemple  de  la 
rose  dans  un  passage  de  ce  Quodliiïet  (arl.  2, 
p.  58')  :  «Primus  [conceptus]  individui  signati 
de  hac  rosa  concipitur;  secundus  vagi,  duin 
concipitur  rota  qaœdam;  tertius  naturae  speci- 
lîcai,  duin  concipitur  rosa  simpliciter .  .  .  •  C'est , 
d'ailleurs,  un  très  court  passage. 

1')  Cf.  Sbaraglia,  p.  585. 


l'I  Ed.  Vives  (1876),  t.  XVIII,  p. 


1-227. 
Oudin , 


Cf.  Quétif  et  Echard,  t.  I,  p.  3a3; 
m,  3 10,  etc. 

'*'  Inc.  :  Verbum  abbreviatum  qaodfeci  super 
Coiupiilam,  vobis,  pateret  domine  domine  A. ,  epi- 
scope  Claromontensis .  .  .  (Sbaraglia,  p.  586).  — 
Pour  identifier  ce  frère  P.  à  Pierre  Auriol,  il 
ne  sulTit  peut-être  pas  de  remarquer,  comme 


le  fait  M. .Stanonik  (p.  498),  qu'entre  1286  et 
i,^3(i,  il  V  eut  trois  évêques  de  Clermont  dont 
le  nom  commençait  par  un  A. 

'''  Cf.  l'article  consacré  à  Hugues  de  Stras- 
bourg, i/is(.  litt.  delà  Fr.,  XXI,  i57i63. 

'•'  Aureiim  sacrœ  theologiœ  rosariam  (  Brescia, 
1.590,  in  4°),  t.  II.  fol.  i',  3i8',  319". —C'est 
cet  ouvrage  peut-être  qu'ont  en  vue  Wadding 
(Script,  ord.  Min.,  188),  C.  Oudin,  Sbaraglia 
et  Cl. -Et.  Novelletius,  l'éditeur  daCompendiam 
Bibliœ  (Houen,  1649),  •T"'*"'^  •'*  attril)ucnt  à 
Piei're  Auriol  un  Compeiidium  llieoloijiie  in  vili 
libros  partitam  ( cf.  Stanonik ,  p.  494). 

'''  Sur  lui  voir  un  court  article  de  Ilau- 
réau  (//ÙJ.  litt.  de  la  Fr.,  XXVI,  552-555). Cf. 
S.  lionaveiiturtB  opéra  omnia,  éd.  D.  Fleming, 
I.X,  p.  i4. 


PIERRE  AURIOJ.,  FRERE  MINEUR.  521 

lui  assurent  une  place  considérable  parmi  les  théologiens  et  les  phi- 
losophes du  XIV*  siècle. 

Entre  ceux-ci  il  se  distingue  par  son  originalité.  «  Une  doctrine 
«  célèbre,  écrit  saint  Antonin  de  Florence,  fut  celle  de  Pierre  Auriol  : 
«  dans  son  livre  sur  les  Sentences,  il  s'éleva  contre  tous  les  philosophes, 
«  remettant  en  question  ce  qu'ils  avaient  démontré;  aussi  tous  à  leur 
«tour  s'élevèrent-ils  contre  lui*''...»  Appréciation  reproduite,  à 
peu  de  chose  près,  par  Bayle,  dans  son  Dictionnaire^^^  :  «  C'était  un  es- 
«  prit  subtil ,  dit-il ,  mais  trop  avide  de  se  distinguer  par  des  opinions 
«  nouvelles.  » 

Les  érudits  qui,  au  siècle  dernier,  se  sont  appliqués  particulière- 
ment à  l'étude  de  la  philosophie  scolastique  ont  tous  reconnu  chez 
Auriol  cette  tendance  à  critiquer  les  doctrines  scotistes,  aussi  bien 

3ue  les  thomistes,  et  cette  indépendance  avec  laquelle  il  se  formait 
es  opinions  personnelles  qui  constituaient  en  quelque  sorte  une  doc- 
trine de  juste  milieu*^*.  On  a  même  été  jusqu'à  prononcer  les  mots 
de  «  défection  »  et  d'«  apostasie  » ,  en  songeant  au  trouble  que  de  telles 
nouveautés  avaient  dû  jeter  dans  l'école  franciscaine,  «  queDuns  Scot, 
«  par  l'éclat  de  son  mérite ,  avait  réussi  à  discipliner  '*'  ».  Ce  qui  n'est  pas 
exact,  c'est  de  prêter  à  Auriol  un  stratagème  dont  nous  n'avons  nulle 
part  trouvé  trace.  Comme  fransciscain ,  dit-on,  il  avait  le  droit,  et 
presque  le  devoir  d'attaquer  saint  Thomas,  mais  il  devait  respecter 
Jean  Duns  Scot  :  aussi  nomme-t-il  constamment  le  premier,  tandis 

3u'il  tait  le  nom  du  second ,  chaque  fois  qu'il  lui  arrive  de  réfuter  sa 
octrine  *^'.  La  vérité  est  qu'il  ne  prononce  que  rarement  le  nom  des 
auteurs  modernes;  cependant,  nous  l'avons  dit  ■^',  Duns  Scot  est  peut- 
être,  avec  saint  Thomas ''',  celui  qu'il  prend  à  partie  le  plus  volon- 
tiers et  le  plus  ostensiblement,  en  le  désignant  par  son  surnom  très 
reconnaissable  de  Docteur  subtil'*'. 

Les  universaux,  enseigne  Auriol,  ne  sont  pas  quelque  chose  d'ob- 
jectif possédant  l'existence,  hors  de  l'intellect,  au  sein  de  la  nature. 

'■>  Chron.,  tit.    XXIV,   c.   8,    S    3   (éd.   de  scolastique,  2°  édition,  t.  II,  part.  11,  p.  3i5. 

Lyon,, 1587,  III,  772).  (>)  Ibid..  p.  317. 

<*)  Ed.  de  1  730,  t.  I,  p.  398.  '•)  Ci-dessus,  p.  5o4. 

'')  Prantl,  Gesch.  d.  Logik  im  AbendL,  III,  C  In  III  Sent.,  dist.   xiv,    qu.    3,    art.   i, 

319;  Stôcki,  Gesch.  d.  Philos,  des  Mittelalt.,  II,  p.  433\  434",  i^']\  etc. 

973.  (*'  Iii  III  Sent.,   dist.  viii,   art.   3,  p.  95', 

'''  B.  Hauréaa,  Histoire    de   la    philosophie  1/1 /K Sent.,  dist.  x,  qu.  3,  art.  3,  p.  91'',  etc. 

IIIST.   LlTTÉli.  XXXIH.  66 


522  PIERRE  ALRIOL,  FRERE  MINEUR. 

Le  prétendre,  ce  serait  retomber  dans  l'erreur  de  Platon.  Il  n'y  a^ 
dans  la  réalité,  que  des  choses  individuelles.  L'idée  d'homme  et  l'idée 
d'animal,  par  exemple,  en  tant  qu'elles  se  distinguent  de  Socrate, 
ne  sont  rien  qu'un  concept,  un  produit  de  l'intelligence  hu- 
maine'''. Par  suite,  la  recherche  du  principe  d'individuation,  qui 
tient  tant  de  place  notamment  dans  la  philosophie  thomiste,  est  tout 
à  fait  oiseuse,  au  dire  de  Pierre  Auriol.  Elle  n'a  point  de  sens,  puisque 
l'universel  n'est  pas  objectivement  réel  :  Realiter  locjuendo,  fiuwstio 
nulla  est.  Toute  chose  réelle  est  par  là  même  individuelle;  toute  chose 
universelle  est  par  là  même  une  conception  :  Omnis  res  est  seipsa 
singulans,  et  per  nihil  aliud,  sedper  illam^'^K 

\  Une  matière  universelle  qui  aurait  l'être  sans  avoir  de  forme  n'existe 
pas.  «  Une  chose,  avant  d'être  créée,  est  seulement  en  puissance,  n'est 
«pas  en  acte  :  donc  elle  n'est  rien*^'.  »  C'était  la  condamnation,  ainsi 
qu'on  l'a  remarqué'*',  d'une  thèse  de  Duns  Scot  consistant  à  soutenir 
que  «la  matière  en  elle-même  est  un  être  du  genre  de  la  substance, 
«  le  plus  imparfait  des  êtres  sans  contredit,  puisque  toute  perfection 
«  vient  de  la  forme,  mais  toutefois  un  être  réel  ». 

On  comprend  dès  maintenant  que  Karl  Werner  ait  pu  définir 
le  système  d'Auriol  «  un  Scotisme  allié  à  des  tendances  nomina- 
«  listes'^'». 

Les  mêmes  tendances  apparaissent  dans  la  négation  des  espèces, 
ces  images  indispensables  à  la  connaissance  suivant  la  théorie  tho- 
miste. Auriol  estime  qu'il  faut  éviter  toute  multiplication  inutile  des 
êtres,  et  que  l'invention  de  cesformœ  speculares  ne  contribue  nullement 
à  nous  faire  mieux  saisir  le  phénomène  de  la  connaissance'*'. 

Il  assume,  en  somme,  le  rôle  de  simplificateur.  De  même  qu'il  su]>- 
prime  les  intermédiaires  de  la  connaissance,  il  rejette  la  thèse  de 
Scot  suivant  laquelle,  dans  une  même  chose,  peuvent  subsister 
plusieurs  «  formalités  »  réellement  distinctes '''.  Ce  dédain  pour  la  plu- 
part des  fictions  réalistes  a  fait  dire  qu'il  avait  donné  le  signal  de  la 


'"'  /n /iSe«/.,  dist.  XXIII,  art.  2  ;  in // iSe/it. ,  '''  Der  heilige    Thomas  von  Aqaino   (Ralis- 

(list.  IX,  qu.  a,  art.  i,  p.  io3',  io6'.  bonne,  1869,  in-8°),  III.  180. 

'''  In  II  Sent. ,  dist.  ix,  qu.  3,  art.  3,  p.  114".  '*'  In  II  Sent.,  dist.  xii,  qu.  1,  art.  i\inl 

Cf.  Hauréau ,  p.  3 1  g.  Sent. ,  dist.  ix ,  art.  1 ,  p.  3 1 9",  3ao'.  Cf.  Prantl , 

''>  /n  7/ ScHt..  dist.  XII,  qii.  I,  art.  a.  III,  3a3. 

W  Hauréau,  p.  3 18,  3 19.  C  Quodl  I,  p.  a'.  Hauréau,  p.  3a4,  3a5. 


PIERRE  ALRIOL,  FRÈRE  MINEUR. 


523 


réaction  prochaine  qui  devait  toutes  les  anéantir  ''*,  et  l'on  a  pu  recon- 
naître en  lui  le  véritable  précurseur  d'Occam  ^^'. 

Ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  qu'il  soit  exempt  d'un  défaut  commun 
à  la  plupart  des  philosophes  de  cette  époque,  une  subtilité  excessive 
et  une  manie  de  multiplier  des  distinctions  souvent  inintelligibles. 
On  le  voit  s'embarrasser  mainte  et  mainte  fois  de  questions  tout  à  fait 
oiseuses.  Il  serait,  d'ailleurs,  beaucoup  trop  long  d'entrer  ici  dans  le 
détail  de  ses  théories  métaphysiques  et  psychologiques;  ce  travail, 
commencé  notamment  par  Prantl '^',  a  été  plus  récemment  mené  à 
bien  par  Karl  Werner'*"'. 

Constatons  seulement  qu'on  s'est  mépris  en  signalant  une  pré- 
tendue contradiction  entre  sa  croyance  religieuse  et  sa  doctrine  phi- 
losophique. Non  seulement  il  n'a  pas  soutenu,  comme  on  l'a  dit'^*, 
la  thèse  averroïste  de  l'éternité  du  monde,  mais  il  s'est  rangé  résolu- 
ment parmi  ceux  qui  croyaient  que  la  création  pouvait  être  démontrée 
par  des  raisons  philosophiques'®'.  En  d'autres  cas,  d'ailleurs,  il  ne 
faisait  aucune  dilFiculté  de  reconnaître  que  certains  faits  du  domaine 
de  la  foi  se  trouvaient  soustraits  entièrement  au  contrôle  de  la  raison 
naturelle  :  telle  était  la  croyance  plaçant  le  séjour  des  bienheureux 
dans  la  région  immuable  du  Ciel  empvrée*^'. 

En  morale'^',  Auriol  se  livre  souvent  a  des  analyses  délicates, 
comme  quand  il  recherche  si  le  mensonge  est  toujours  unpéché.  Il  croit 
devoir  distinguer  bien  des  sortes  de  mensonges  :  le  mensonge  fait  par 
plaisir,  très  fréquent  chez  les  femmes;  le  mensonge  d'orgueil;  le 
mensonge  facétieux;  le  mensonge  utile,  moins  entaché  de  malice; 


'''  Hauréau,  p.  326. 

"1  Stôckl,p.  970. 

P'  P.  32/i  et  suiv. 

'*'  K.  Werner  s'applique  surtout  à  discerner 
en  quoi  les  thèses  d'Auriol  s'écartent  de  la  doc- 
trine thomiste  [Der  h.  Th.  von  Aquino,  III, 
ii3,  i8o,  182,  i83,  186-190,  194,  196- 
2i5,  218-229,  a3i,  235-239)  ^^  ^"  quoi  elles 
se  rapprochent  de  la  doctrine  d'Averroès  [Dcr 
Averroismas  in  der  christlich-peripatetischen  Psy- 
chologie, Vienne,  1881,  p.  177-231).  On  peut 
regretter  seulement  que  le  savant  autrichien 
n'ait  pas  connu  le  De  Principiis  natarœ. 

'''  Bayle  (I,  399)  l'affirme,  mais  il  ne  le 
sait  que  par  Théoph.  Raynaud,qui  lui-même, 
n'ayant  pas  In  Auriol ,  se  borne  à  renvoyer  à 


un  passage  des  Defensiones  théologie;  divi  Tltomee 
de  Jean  Capreolus  :  or  ce  dernier  ne  dit  rien 
de  pareil.  On  est  plus  surpris  de  rencontrer 
une  affirmation  semblable  sous  la  plume  de 
R.  Werner(op.  cit., p.  226, et  Die  Scholastik des 
spâteren  Mittelalters ,\ienne ,  1887,  in-8°,  t.  IV, 
1" partie,  p.  i4i  ). 

'"'  In  II  Sent.,  dist.  l,  qu.    1,  art.  4,  p.  i6'. 

!''  In  II  Sent. ,  dist.  11 ,  qu.  3 ,  art.  3 ,  p.  54\ 
55^ 

'*'  Les  points  de  morale  sur  lesquels  Auriol 
est  en  contradiction  avec  l'école  thomiste  ont 
été  indiqués  par  K.  Werner  [Der  h.  Thomas 
V.  Aquino,  III,  239-242;  Der  Averroismas  in 
der  christlich-peripatetischen  Psychologie ,  p.  5i 
et  suiv.). 

66. 


524  PIERRE  AURIOI.,   FRERE  MINEUR. 

enfin  le  mensonge  nuisible,  qui  fait  tort  au  prochain.  Tous  sont  des 
péchés,  mais  le  dernier  seul  est  un  péché  mortel.  Cependant  qui  se 
place,  en  quelque  sorte,  dans  la  nécessité  de  mentir  par  suite  de  la 
mauvaise  habitude  qu'il  en  a  contractée  peut  pécher  mortellement. 
Il  faut  tenir  compte  aussi  des  circonstances  de  personnes  :  un  prélat, 
un  religieux  doivent  être  tout  à  Dieu;  il  en  résulte  qu'un  mensonge 
même  facétieux  peut  atteindre,  dans  leur  bouche,  les  proportions  d'une 
faute  mortelle;  telle  semble  être  du  moins  la  doctrine  de  PitM-re  Lom- 
bard. Sur  ce,  Pierre  Auriol  entreprend  d'excuser  Abraham  alors  qu'il 
dit,  à  Gérara,  que  Sara  était  sa  sœur,  Jacob  quand  il  se  fit  passer 
pour  Esaù;  il  est  plus  sévère  pour  Rachel,  mais  plein  d'indul- 
gence pour  Judith'''.  On  peut,  en  somme, le  compter  au  nombre  des 
moralistes  austères. 

Comme  théologien,  il  se  préoccupe  du  sort  des  âmes  de  ceux  qui 
meurent  souillés  de  la  tache  originelle  :  question,  dit-il,  très  diffi- 
cile. Pour  les  uns,  ces  âmes  demeurent  plongées  dans  les  ténèbres, 
complètement  ignorantes  des  joies  du  Paradis.  Suivant  d'autres,  elles 
comprennent  que  ce  bonheur  n'est  pas  pour  elles  et  ne  souffrent  pas, 
d'ailleurs,  de  sa  privation  :  c'est  ainsi,  dit  Auriol,  que  je  ne  souflre 
nullement  de  n'être  pas  roi  de  France.  Même  incertitude  quant  au 
lieu  où  séjournent  ces  âmes.  Auriol  a  entendu  quelques-uns  soutenir 
qu'elles  parcourent  la  terre  entière,  acquérant  une  connaissance 
étendue  de  la  nature,  passant  leur  temps  à  se  promener,  à  se  dis- 
traire, à  discuter  :  mais,  en  l'absence  de  preuves  et  d'autorités  suffi- 
santes, il  s'abstient  prudemment  de  conclure'^'. 

Pour  sauver  les  âmes  sous  l'empire  de  la  loi  de  nature,  il  admet 
qu'une  croyance  au  Sauveur,  même  rudimentaire  et  indirecte,  était 
suffisante.  Les  Juifs  pouvaient  ainsi  se  contenter  de  croire  d'une  ma- 
nière générale  ce  qu'avait  cru  leur  père  Abraham ,  de  même  que  beau- 
coup de  chrétiens,  flans  leur  simplicité,  se  contentent  de  croire  tout 
ce  que  l'Eglise  enseigne.  Job,  parmi  les  gentils,  eut  la  révélation  de  la 
foi  :  il  en  résulte  qu'une  multitude  de  gentils,  disciples  de  Job,  ont  eu 
en  Jésus-Christ  une  sorte  de  foi  dérivée.  Mais  que  penser  des  philo- 
sophes grecs,  auxquels  les  auteurs  scolastiques  recouraient  si  volon- 
tiers? Pour  Platon,  Auriol  aimait  à  se  persuader,  en  s'appuyant  sur 

<"'  In  Sent.  III,  disl.  xxviii,  p.  536'.  —  '*'  In  II  Sent..  <lis\.  xxxin,  ait.  a,  p.  a88. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


525 


saint  Augustin,  qu'il  avait  eu  communication  de  la  foi  au  Christ  par 
Jérémie,  avec  lequel  il  avait  dû  s'aboucher  en  Egypte'''.  Le  casd'Aris- 
tote  lui  paraissait  encore  plus  embarrassant,  et, celte  fois,  l'opinion  de 
saint  Augustin  semblait  peu  rassurante'"''.  Toutefois  notre  frère  Mi- 
neur rappelait  la  légende  suivant  laquelle  une  profession  de  foi  en 
«  celui  qui  devait  naître  d'une  vierge  »  avait  été  trouvée  dans  le  tom- 
beau d'Arisfote.  D'autres  soutenaient  que,  pour  être  sauvés,  il  avait 
sulll  aux  anciens  Grecs  de  croire  en  un  dispensateur  de  tous  biens, 
ce  qui  équivalait  implicitement  à  croire  que  Dieu  ferait  le  nécessaire 
pour  opérer  le  salut  des  hommes.  Mais  cela  était-il  sûr.-^  Aristote, 
d'ailleurs,  n'avait  jamais  admis  que  Dieu  fût  ce  dispensateur.  Bref, 
Pierre  Auriol  demeurait  perplexe'^'. 

Il  développait  ailleurs  la  théorie  des  indulgences''"',  puis  se  pro- 
nonçait énergiquement pour  le  secret  delà  confession,  secret  que  nul 
prêtre  ne  peut  violer,  même  sur  l'ordre  du  pape,  même  pour  déjouer 
des  projets  funestes  à  l'Eglise  qu'aurait  avoués  un  hérétique'^'.  Sont  as- 
treints à  la  même  obligation  du  secret  et  celui  qui,  se  trouvant  à  portée 
de  la  voix  du  pénitent,  aurait  entendu  son  aveu,  et  celui  à  qui  un 
prêtre  indigne  aurait  révélé  quelque  fait  appris  en  confession'*'. 

Sur  d'autres  points  de  la  théorie  des  sacrements,  on  a  relevé  quel- 
ques divergences  entre  Pierre  Auriol  et  l'école  thomiste'^';  mais  il  n'est 
pas  tout  à  fait  exact  dédire,  comme  Pierre  Allix'*'  et  Pierre  Bayle'^', 
que  sa  foi  en  la  transsubstantiation  était  uniquement  fondée  sur 
l'autorité  des  saints''"'. 


'"'  Aug. ,  Enarr.  in  Ps.  CXL,  19.  Auriol  ne 
parait  pas  avoir  connu  le  passage  de  la  Cité 
de  Dieu  (  VIII,  1 1  )  où  saint  Augustin  démontre 
l'impossibilité  de  cette  rencontre. 

'*'   De  Doctr.  christ.  II,  28. 

<*'  In  IV  Sent.,  dist.  xx,  p.  i48et  suiv. 

<*'   In  IV  Sent.,  dist.  i,  qu.  3 ,  art.  3,  p.  3r. 

'*'  Sur  l'état  de  la  question  au  xiv'  siècle , 
voir  H.-Ch.  Lea,  A  kistory  oj  aaricular  confes- 
sion and  indulgences  in  the  latin  Cluirck  (Phila- 
delphie, 1896,  in-S"),  t.  II,  p.  431. 

'*'  In  IV  Sent.,  dist.  xxi,  art.   2,   p.    i53'* 

'''  Par  exemple,  au  sujet  de  l'eucharistie  et 
du  mariage ,  de  même  au  sujet  de  la  résurrec- 
tion des  corps.  D'une  manière  générale,  on 
découvre  dans  la  théologie  de  Pierre  Auriol 
des  influences  nominalistes  (voir  K.  VVerner, 


Der  heilige  Thomas  von  Aqaino.  t.  III,  p.  243). 
'*'   «  Petrus  Aureolus,  Romanie  Ecclesia;  car- 

•  dinalis  [sic),  hoc  profitetur  :  «Propter  solas 
0  authoritates  sanctorum  teneo  ipiod  transsui)- 
«  stantiatio    est    verus    transitus    et    conversio 

•  totius  panis  in  totum  corpus  Domini.  »  [Prœ- 
fatio   historien  de  dogmate  transsuhstantiationis , 

Londres,  1686,  in-8°,  p.  66.) 
'')  Dict.  hist.  et  crit..  1,  399. 
''")   Voici  ce  que  dit  Pierre  Auriol  :  «  Prima 
«[conclusio]   est  quod,   dato  quod  intellectui 

•  moflo  non  appareret  ratio  et  modus,  tanien 
«  propter  solas  auctoritates  sanctorum  teneo 
«  quod  transsuhstantiatio  est  verus  ti'ansitus  et 
«  conversio  totius  panis  in  totum  corpus  Do- 
«mini.  .  .  Secunda  propositio  est  quod,  licet 
«  sit  valde  difficile  videra  et  intelligere  quo- 


526 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR. 


Tout  favorable  qu'il  se  montrât  à  la  suprématie  du  pape,  Pierre 
Auriol  déclarait  le  souverain  pontife  coupable  de  simonie  quand  il 
vendait  des  choses  spirituelles  ou  des  biens  dont  la  vente  entraînait 
celle  de  choses  spirituelles.  C'est  ainsi  que  la  vente  d'une  pré- 
bende, par  exemple,  entraîne  nécessairement  la  vente  de  l'autorité 
spirituelle  attachée  au  canonicat.  En  pareil  cas,  le  pape  est  coupable, 
bien  qu'il  n'encoure  pas  la  peine,  qui  est  de  droit  positif.  Auriol 
admet,  d'ailleurs,  que  le  pape  mette  la  main  sur  les  richesses  de 
l'Eglise,  en  vertu  de  sa  souveraineté  et  de  son  autorité  plénière;  il  lui 
dénie  seulement  le  droit  de  s'en  approprier  la  moindre  partie  comme 
compensation  du  don  qu'il  aurait  fait  d'un  bénéfice'*'.  Ces  principes 
étaient  posés,  ne  f oublions  pas,  vers  i3i8,  au  début  du  règne  de 
Jean  XXII,  sous  lequel  allait  donner  lieu  à  tant  de  critiques,  fondées 
ou  non,  la  fiscalité  pontificale:  s'ils  justifiaient  la  perception  au  profit 
du  Saint-Siège  des  décimes  ou  même,  à  la  rigueur,  des  annates 
et  services  communs,  n'étaient-ils  pas  la  condamnation  formelle  des 
taxes  perçues  en  cour  de  Rome  à  l'occasion  du  don  des  grâces  ex- 
pectatives.^ Saluons  cet  acte  de  courage  chez  un  religieux  qui  devait 
déjà  beaucoup  et  qui  allait  bientôt  devoir  plus  encore  à  la  protection 
du  pape. 

Le  nom  d'Auriol  a  survécu  en  dépit,  ou  plutôt  à  cause  des  attaques 
dont  ses  doctrines  subtiles  ont  été  l'objet  dès  le  début.  Sans  parler 
de  ses  contemporains  Jean  Canon  et  François  de  Meyronnes,  qui  le 
citent  fréquemment,  Jean  de  Bacontliorpe,  qui  mourut  en  i34(), 
s'applique  constamment  à  le  prendre  en  défaut,  à  prouver,  par 
exemple,  qu'il  n'a  pas  bien  saisi  la  pensée  de  Duns  Scot*^'.  11  en  est 
de  même,  au  xv"  siècle,  du  dominicain  Jean  (>apreolus,  le  «prince 
«  des  Thomistes  »  :  à  tout  propos,  il  reprend  Auriol,  parfois  avec  une 
extrême  aigreur,  dans  ses  Dejensiones  theologiœ  sancti  Doctoris'-^K 


«  modo  potest  dici  quod  aliquid  transeat  in 
taliud,  ubi  vero  est  aliud  commune,  possu- 
«  mus  tanien  dicorc  quod  vere  transit  aliquid.  » 
(In  IV  Sent.,  dist.  xi,  qu.  i,  art.  3,  p.  9l)^) 
«  In  IV  Sent.,  dist.  xxv,  art.  3,  p.  i66\ 
'''  In  I  Sent. ,  t.  I,p.  i5,  60,  76,  lai,  lijy, 
i45,  160,  16A.  178,  1 83  et  suiv.,  186,  209, 
ail,  ai6,  a3i,  237,  266  et  suiv.,  280  et 
suiv.,  289,  296  et  suiv.,  334,  34o  et  suiv., 
345,  362,363,  383  et  suiv.,  4 1 3,  etc. 


'^'  «  Iste  [Aureolus]  valde  impudenter,  false  et 
«  tnincate  dicta  S.  'i'Iiomie  récitât  in  hac  parte.  » 
[VA.  des  PP.  G.  Pabau  et  Tti.  Pègues,  Tours, 
1 900- 1902,  t.  II ,  p.  280.)  —  Cependant,  d'après 
Oldoini  [Athenœam  romanum ,  Pérouse,  1676, 
in-4°,  p.  176),  le  cardinal  Boccafuoco,  l'édi- 
teur d'Auriol,  serait  l'auteur  d'un  ouvrage, 
sans  doute  demeuré  inédit,  dans  lequel  il  s'ef- 
forçait de  concilier  les  doctrines  d'Auriol  et  de 
Capreolus  :  Auréola.'!  cam  Capreolo  conciliatus. 


PIERRE  AURIOL,  FRERE  MINEUR.  527 

Par  contre  les  éloges  n'ont  pas  manqué  à  notre  frère  Mineur,  à 

commencer  par  ceux  que  lui  décernait  Albizzi  dès  la  fin  du  xiv*  siècle. 

Deux  fois  celui-ci  accole  au  nom  d'Auriol  l'épithète  très  méritée  de 

facnndus^^\  ce  qui  a  fait  croire,  sans  doute  à  tort,  que  Pierre  Auriol 

fut  connu  dans  l'École  sous  le  surnom  de  Doctorfacandus^^\ 

Lors  de  la  seconde  translation  des  cendres  de  Duns  Scot,  vers  1 5 1 3 , 
à  Cologne,  on  sculpta  sur  le  nouveau  tombeau  du  Docteur  subtil  les 
effigies  des  principaux  maîtres  de  l'ordre  de  Saint-François  :  entre 
celles  de  Guillaume  de  Ware  et  de  Nicolas  de  Lire  figurait,  paraît-il, 
l'image  de  Pierre  Auriol'^'. 

Pour  ne  parler  que  des  modernes,  Karl  Werner  se  plaît  à  recon- 
naître en  lui,  en  regard  d'Anglais  tels  que  Bacon,  Scot  ou  Occam, 
un  «  véritable  représentant  de  l'esprit  Irançais  qui  trouva  plus  tard 
«  son  expression  dans  Descartes  '*'  »  ;  et  Prantl  va  jusqu'à  dire  que  Pierre 
Auriol  laisse  bien  loin  derrière  lui  Albert  le  Grand  et  saint  Thomas 
d'Aquin'^l 

Sans  nous  porter  garants  de  l'exactitude  de  ces  appréciations, 
nous  nous  bornerons  à  constater  qu'à  côté  du  religieux  soumis  à 
l'autorité  du  Saint-Siège  et  adversaire  d'un  rigorisme  excessif, 
à  côté  du  défenseur  convaincu,  mais  prudent,  de  la  thèse  de  l'Imma- 
culée Conception  de  la  Vierge,  à  côté  enfin  de  l'interprète  méthodique 
de  l'Ecriture,  il  y  a  chez  Pierre  Auriol  un  penseur  original  qui,  en 
aucune  des  matières  de  l'enseignement  philosophique,  ne  se  contenta 
des  solutions  fournies  par  les  maîtres  anciens  ou  modernes  le  plus  en 
vogue  à  son  époque,  que  ces  maîtres  se  nommassent  Aristote  ou 
Averroès,  Thomas  d'Aquin  ou  Duns  Scot,  et  qui  toujours  eut  l'am- 
bition de  parvenir  par  son  effort  personnel  le  plus  près  possible  de 
la  vérité. 

N.V. 

'"'   «Fr.  Petrus  Aureoli ,  facundus  in  theolo-  '''  Wadding,  Annales  ordinis  Minorum,  III, 

«  gia ,  magister  in  theologica  facidtate ,  scripsit  1 68. 

«pluraetbene. .  .  »■  Istaprovincia  Aquitaniae. .  .  '''  Ibid. ,  p.  81. 

«  nabuit  iUum  magistrum  facundum  fr.  Petrum  <*'  Die  Scholaslik  des   spàteren    Miltelalters , 

«Aureoli,  qui   luculenter  scripsit   super  Sen-  t.  IV,  i,  p.  6. 

«tentias.  .  .  »  {Lib.  conformit.,  fol.  81,  126.)  '*'  Gesch.  der  Logik,  HT,  337. 


528 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

AUTEURS  DU  DEFENSOR  PACIS. 


Parmi  tous  les  ouvrages  de  polémique  religieuse  publiés  dans  la 
première  partie  du  xiv"  siècle,  il  n'en  est  point  qui  ait  fait  autant 
scandale,  qui  ait  eu  autant  d'influence  sur  les  événements  et  de  reten- 
tissement prolongé  que  le  célèbre  Defensor  pacis.  Un  Champenois  et 
un  Padouan  s'associèrent  pour  le  composer. 

Ce  n'est  point  le  seul  motif  qui  nous  porte  à  rapprocher  dans  une 
même  notice  les  noms  de  Jean  de  Jandun  et  de  Marsile  de  Padoue  : 
tous  deux  appartenaient  à  l'Université  de  Paris;  ils  se  lièrent  d'amitié 
et  se  rendirent  des  services  réciproques;  l'effet  de  leur  collaboration 
fut  de  les  lancer  dans  les  mêmes  aventures,  de  les  faire  entrer  au  ser- 
vice du  même  prince,  de  les  exposer  aux  mêmes  condamnations. 

Malgré  ces  nombreux  points  de  contact,  chacun  a  son  œuvre  spé- 
ciale et  sa  physionomie  propre.  C'est  pourquoi,  tour  à  tour,  il  nous 
faudra  les  étudier  ensemble  et  les  envisager  séparément. 

I 

Nombre  d'auteurs  ont  confondu  Jean  de  Jandun  et  Jean  de  Gand'"'. 


'''  Cette  confusion  remonte  au  xv'  siècle. 
Un  ms.  de  Florence  daté  de  i438  (Laurent., 
Medic.-Fesul.  160)  contient,  sous  le  nom  de 
Jean  de  Gand,  les  Questions  sur  les  livres  de 
l'Ame,  ouvrage  qui  appartient  notoirement  à 
Jean  de  Jandun.  Il  en  est  de  même  d'un  ms.  de 
la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de  Venise  (cl.  x, 
76)  :  •  Expliciunt  Questiones  trium  librorum 
«  de  Anima ,  édite  ab  excellentissimo  doctore  ac 
«  magistro  Johanne  de  Gandavo  in  Flandria.  » 
Cette  erreur  a  été  aussi  commise  par  quelques- 
uns  des  premiers  éditeurs  des  écrits  philoso- 
})hiques  de  Jean  de  Jandun.  Ses  Questions  sur 
e  De  Siibstanlia  orbis,  par  exemple  ,  publiées  à 
Venise  en  i  ^93  et  en  1 5 1 4 1  portent  le  nom 


de  Jean  de  Gand ,  ainsi  que  l'édition  des  Ques- 
tions sur  les  livres  de  l'Ame  de  1  /tgy  et  celle 
des  Questions  sur  les  Pana  naturalia  de  i5o5. 
Quant  aux  Questions  sur  le  livre  du  Ciel  et  du 
monde,  elles  ont  paru,  à  Venise,  en  i5oi  et 
en  i5i9,  sous  le  nom  composite  de  «Jean  de 
«Jandun  de  Gand».  Marc-Antoine  Zimara  dé- 
signe Jean  de  Gand  comme  l'auteur  des  Ques- 
tions sur  la  Métaphysique  qu'il  commentait  vers 
l'année  1 5o5 ,  et  les  vers  suivants  accompa- 
gnent l'édition  de  i525  du  même  ouvrage  : 

Quantus  Arislotc-Ios ,  tantus  Gaiulavus  habetur. 
Qui  solus  claram  focit  Arislotolem. 

Des  manuscrits  et  des  éditions  l'erreur  a 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


m 


Jean  de  Gand,  maître  en  théologie  et  chanoine  de  l^aris''^,  n'a  rien 
de  commun,  si  ce  n'est  le  prénom,  et  l'âge  peut-être,  avec  l'écrivain 
que  les  textes  contemporains  dénomment  Johannes  Gendini  ^^\  Glian- 
doni^^\  de  Gandinio,  de  Gendinio^'*\  de  Ganduno^^\  de  Gandonc^'^\  de 
Gandono^'\  de  Jandono^^\  de  Gendano^^\  de  Jandano^^^\  Ces  dernières 
formes,  les  plus  répandues,  sont  aussi  les  meilleures,  car  il  résulte 
d'un  document  digne  de  foi  que  notre  auteur  était  originaire  du 
diocèse  de  Reims*")  :  il  ne  peut  donc  tirer  son  nom  que  du  village 
champenois  de  Jandun,  aujourd'hui  compris  dans  le  département  des 
Ardennes  ''■^'. 

Si  haut  que  l'on  remonte,  on  trouve  Jean  de  Jandun  se  livrant  à 
la  composition  de  traités  philosophiques.  Deux  de  sfes  ouvrages  sont 
datés  de  i3oo  et  de  i3io.  Il  est  vrai  que  ces  deux  dates  sont  contra- 
dictoires :  car  le  Commentaire  sur  le  traité  de  l'Âme  d'Aristote,  dont 
le  second  livre  aurait  été  rédigé  en  i3oo  suivant  un  manuscrit  d'Ox- 
ford''^', contient,  dans  ce  second  livre,  une  citation  du  De  Sensu 
a(jente^^'^\  et  ne  saurait  être  par  conséquent,  antérieur  à  cet  ouvrage; 


tout  naturellement  passé  dans  les  ouvrages  de 
bibiio^aphie.  On  la  trouve  chez  FlaciusIUyricus 
(Catalogus  testium  verilatis ,  i56a),  chez  Valère 
André  [Bibl.  betgica,  i73g,  II,  644),  chez 
Ellies  du  Pin  {Bibl.  des  autears  ecclès.  ou  hisl. 
des  controverses  du  xir"  siècle,  1701,  p.  '.iSSj, 
chez  Wharton  (Guill.  Cave,  Script,  eccles.  hist. 
litter.,  II.  Suppl. ,  36),  etc. 

'''  Mentionné  en  i3o3  et  en  i3lo  :  voir 
Denifle  et  Châtelain ,  Chartularium  Universitatis 
Parisiensis.  II,  io3,  i42. 

'*'  Chronographia  regum  Francorum,  édit. 
Moranvillé,  I,  a65. 

'''  Bibl.  nat.,  ms.  lat.  6532,  fol.  61. 

'*'  Ms.  23 1  d'Utrecht,  fol.  i.  56  V,  74. 

<•'  Bulle  du  3  avril  1327  [Chartul.  Univ. 
Paris.,  II,  3oi);  Henri  de  Rebdorff  (Bôhmer, 
Fontes  rer.  Germanie,  IV,  554);  m».  d'Osford, 
Bodl. ,  Canonici  Miscell.  407,  fol.  8;  ms.  de 
Bruxelles  868. 

'•'  Jean  Villani  (Muratori,  Rer.  ital.  script., 
XIII,  56o). 

'''  Ms.  d'Oxford,  Bodl.,  Canonici  Miscell. 
466. 

<"'  Ms.  d'Oxford,  Bodl.,  Canonici  Miscell. 
226. 

'•'  Bibl.  nat.,ms.  lat.  16089,  fol.  161,  166; 


HIST.   LITTER. 


XXXIII. 


Arch.  nat.,,1  i55,  n"  3;  S  6/n(),  n°  i3;  Bibl. 
Bodl.,  ms.  Canonici  Miscell.  242;  Bibl.  im- 
per, de  Vienne,  ms.  4753;  continuateur  de 
Géraud  de  Frachet  {Rec.  des  Hist.  de  Fr., 
XXI,  68). 

'"'  Bibl.  Bodl.,  mss.  Canonici  Miscell.  226, 
242,  466;  ms.  43 1  de  Turin;  lettre  de  Michel 
de  Céséne  (S.  Riezler,  Die  litterarischen  Wider- 
sacher  dcr  Pàpste  zur  Zeit  Ludwigs  des  liayers , 
Leipzig,  1874,  in-8",  p.  Sog);  continuateur 
de  Guill.  de  Nangis,  11,  1 4-  ^ 

'"'  Theiner,  Cod.  diplomat.  dominii  tempor. 
S.  Sedis,  I,  556. 

''*'  Arr.  Mézicres,  cant.  Signi-l'Abbaye.  — 
La  version  allemande  d'un  acte  impérial  de 
i336  désigne  notre  auteur  sous  le  nom  de 
«Johann  von  Gandunn  »  (Riezler,  p.  3i6). 
Cf.  C.  Oudin,  Commentar.  de  scriptoribiis 
Eccl.  antiqais,  III,  883;  abbé  Bouillot, 
Biographie  ardennaise  (Paris,  i83o,  in-S"), 
II,  52. 

'"'  Bodl.,  Canonici  Miscell.  242  :  «  Expli- 
«  ciunt  questiones  super  secundnm  de  Anima , 
«  ordinale  per  magistrum  .lohannem  de  Gén- 
ie duno,  anno  Domini  mcoc.  » 

'"'  Lib.  II,  qu.  16  :  «Ad  hujus  autem  con- 
«  clusionis  probationem  adducit  unus  multas  ra- 

«7 


530  JEAîiiiDE  JANDUN  ET  MARSIF^E  DE  PADOUE. 

or,  c'est  précisément  le  De  Sensu  agente  qui ,  dans  le  ms.  latin  1 60891, 
porte  la  date  de  i3io''l 

Quoi  qu'il  en  soit,  Jean  de  Jandun,  décoré,  dans  ces  textes,  du  titre 
de  «  maître  » ,  ce  qui  indique  peut-être  qu'il  était  simplement  maître 
es  arts  de  l'Université  de  Paris,  devait  jouir,  au  commencement  du 
XIV*  siècle,  d'une  certaine  réputation  dans  l'Ecole:  car,  dès  la  fondation 
du  collège  de  Navarre,  on  le  voit  y  exercer  la  charge  de  «  maître  des 
«artiens».  C'est  ce  que  nous  apprend  un  acte  des  exécuteurs  testa- 
mentaires de  la  reine  Jeanne,  femme  de  Philippe  le  Bel,, fondatrice 
du  collège  :  le  3  avril  i3i6,  ces  exécuteurs  firent  comparaître  tous 
les  maîtres  et  écoliers  du  collège  de  Navarre  pour  les  obliger  à  jurer 
l'observation  du  règlement;  parmi  eux  se  trouvait  Jean  de  Jandun, 
qualifié  dans  l'acte  de  magister  artistaram,  et  chargé  d'enseigner  les 
arts  et  la  philosophie  à  vingt-neuf  ico/ares  in  logica  seu  artium  fatultate^'^h 
D'après  le  testament  de  la  reine  Jeanne,  complété  par  le  règlement  de 
i3i6,  le  maître  de  philosophie  du  collège  de  Navarre  devait  être  ori- 
ginaire de  Champagne  ou  de  la  province  de  Sens,  bien  instruit  dans 
les  arts,  capable  de  former  non  seulement  les  esprits,  mais  les  mœurs 
de  ses  élèves  par  ses  leçons  et  ses  exemples'^';  de  ces  diverses  condi- 
tions, les  premières,  à  coup  sûr,  se  trouvaient  réunies  en  Jean  de 
Jandun  :  nous  aimons  à  supposer  qu'il  remplissait  également  bien 
la  dernière. 

Ce  qui  tendrait  à  le  faire  croire,  c'est  que,  le  i3  novembre  de  la 
même  année,  Jean  XXll,  en  lui  conférant  un  des  canonicats  du  cha- 
pitre de  Senlis,  crut  devoir  louer  la  droiture  de  son  caractère,  probi- 
tatem,  attestée,  disait-il,  par  des  personnes  dignes  de  foi''*'. 

Il  ne  faut  point  chercher  d'autre  explication  que  cette  provision 

i>tiones,qaaraminelioresetfortioresad  prsesens  «  randae  sunt  ia  duobus  tractatibus. .  .  »  (Ed.de 

«inducam;  reliquac  autem  consideratae  sunt  in  Venise,  iSoy.) 

«  secundo  tractatu  de  Sensu  agente ,  quem  ordi-  '"'  Fol.  166  :  «Explicit  Sojihisnia  de  Sensu 

«  navi  contra  illain  positionem.  »  —  Dansd'autres  «  agente  ordinatum  a  magistro  Johanne  de  Gen- 

raanuscrits ,  le  Commentaire  de  Jean  de  Jandun  «  duno ,  anno  Domini  m°ccc°x°.  » 

sur  le  Traité  de  l'Ame  d'Aristote  se  présente  '''  Arch.  iiat. ,  J  i55,  n°  3;  Launoi,  Reffii 

sous  une  forme  notablement  différente  ;  on  y  Navar.  gYmnasii  hist. ,  1 ,  38. 

trouve  cependant,  au  liv.  II,  qu.  16,  le  même  <''  Launoi,  1,8,  37. 

renvoi  au  De  Sensu  agente,  mais  avec  quelques  '*'  Ant.   Thomas,  Extraits  des  Archives  du 

variantes  :  •  Reliquœ  autem  consideratse  sunt  in  Vatican    pour    serrir   à   l'histoire   littéraire    du 

«  duobustractatibus  de  Sensu  agente,  quos  ordi-  moye/i  âge,  dans  les  Mélanges  d  archéologie  et 

«  navi  contra  iilam  positionem.  •  (  Dodl. ,  Cano-  d'histoire  publiés  par  l'Ecole  française  de  Kome , 

nici  Miscell.  466.]  «Relique   autem  conside-  II,  4^>' 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  551 

apostolique  à  la  présence  de  Jean  de  Jandun  en  la  ville  de  Senlis, 
constatée  à  plusieurs  reprises  durant  les  années  suivantes.  Jean  de 
Jandun  prenait  sans  doute  ses  devoirs  de  chanoine  au  sérieux;  le  cha- 
pitre de  Senlis  n'entendait  peut-être  pas  raillerie  au  sujet  de  la  rési- 
dence. En  tous  cas,  il  n'est  nullement  nécessaire  de  supposer,  comme 
l'ont  fait  gratuitement  Le  Roux  de  Lincy  et  Tisserand'"',  on  ne  sait 
quelle  persécution  qui  aurait  forcé  le  philosophe,  quelque  peu 
suspect  d'averroïsme,  à  chercher  un  refuge  hors  de  Paris,  à  Senlis, 
dont  l'évêque  était  alors  conservateur  des  privilèges  de  l'Université. 
Jean  de  Jandun  avait  beau  envelopper  dans  une  même  admiration 
Aristote  et  son  commentateur  arabe '^';  il. avait  beau  présenter  sous 
un  jour  favorable  les  doctrines  les  plus  aventurées  de  la  philosophie 
averroïste  :  il  ne  parait  avoir  jamais  été  inquiété  à  ce  sujet.  Le  moyen 
de  détourner  les  soupçons  et  de  vivre  en  paix  avec  l'Eglise  était  de 
multiplier  les  professions  de  foi  orthodoxe  :  il  le  connaissait  bien. 
Nous  verrons  de  quelle  manière  constante  il  en  usait.  Cela  paraît 
lui  avoir  assez  bien  réussi.  N'est-ce  pas  lui  qui ,  en  1 3  3  3 ,  constatait 
que,  moyennant  cette  soumission  notoire  aux  articles  de  la  foi  catho- 
lique, les  philosophes  jouissaient,  à  Paris,  d'une  entière  liberté  et 
pouvaient  y  exposer  les  thèses  les  plus  contraires  et  s'y  disputer  à 
leur  aise '^'.-^  ino)   \\ 

Jean  de  Jandun  était  donc  à  Senlis  le  3  juillet  i323,  quand  il 
reçut  d'un  de  ses  amis,  «homme  de  haut  caractère  et  de  profonde 
«sagesse»,  une  lettre  contenant,  entre  autres,  ces  mots  d'une  saveur 
toute  scolastique  :  «  Tu  dois  avouer,  je  pense,  qu'être  à  Paris,  c'est  être, 
«dans  le  sens  absolu,  simpliciter ;  être  ailleurs,  c'est  n'être  que  d'une 
«  façon  relative,  secundam  qmd^'*\  »  Froissé  dans  ses  goûts  provinciaux, 
Jean  de  Jandun  répondit  en  énumérant,  non  sans  verve,  les  moda- 
lités qui  constituaient,  suivant  lui,  l'existence  à  Senlis.  Etre  à  Senlis, 
c'est  exister  au  milieu  d'une  ceinture  de  forêts  ombreuses,  mais  non 

*''  Paris  el  ses  historiens  aux  xiv"  et  xv'  siè-  '''  Paris  et  set  historiens  aux  xiv'  et  xv'  siè- 
cles (1867,  in-4°),  p.  9-1 1  ;  cf.  p.  29,  note  3.  des,  p.  4o.  —  Jean  de  Jandun  applique  cette 

'*'   •Averroes    praecipuus   et   perfectissimus  remarque    aux     théologiens,     mais    lorsque 

•  Aristotelis  imita tor»,  dit-il  quelque  part (Pe/--  ceux-ci   disputent    sur   des   matières   philoso- 

spicacissimispeculatorisJoannisGrtindarensis  super  phiques.  Il  est  clair  que  la  même  observation 

Parvis  naturuUbus  Aristotelis  questiones  peratiles  pouvait    s'entendre    des     philosophes     de    la 

flc  eleganter   discusse,  Venise,    i5o5,  in-fol.,  F'aculté  des  arts, 
fol.  AS'].  '')  Paris  et  set  histor..  p.  7^. 

67. 


532  JEAN  DK  JANDUN  ET  M.\1\SILE  DE  PADOIJE. 

pas  impénétrables,  où  les  concerts  des  rossignols  réjouissent  les 
oreilles  de  l'homme.  Etre  à  Senlis,  c'est  exister  dans  des  jardins  bien 
arrosés,  dans  des  vergers  chargés  de  fruits,  dans  des  prairies  émail- 
lées  de  fleurs,  à  portée  de  ruisseaux  limpides.  Etre  à  Senlis,  c'est 
exister  en  un  pays  de  vignobles,  où  abondent  aussi  les  céréales.  Etre  à 
Senlis,  c'est  demeurer  dans  des  maisons  bien  bâties  en  bonnes  pierres 
et  sur  caves,  où  ie  vin  se  consei>e  trais  même  au  cœur  de  lété.  Etre 
à  Senlis,  c'est  habiter  sur  une  hauteur,  en  une  ville  bien  pavée  et 
exempte  de  crotte,  où  des  brises  tempérées  apportent  les  senteurs 
des  bois,  où  l'abondance  des  vivres,  du  gibier,  du  poisson  garnit  les 
tables  à  souhait,  même  les  jours  d'abstinence,  où  le  laitage,  le  beurre, 
le  fromage  fournissent  aux  personnes  de  condition  modeste  une  nour- 
riture saine  et  apaisante.  Etre  à  Senlis,  c'est  se  mêler  à  une  popu- 
lation française,  douce,  aimable  et  fidèle;  et,  pour  tout  dire  d'un 
mot,  Senhs  possède  les  divers  biens  que  Dieu,  la  nature  et  l'art  ont 
produits  pour  le  bonheur  de  l'homme  :  c'est,  en  quelque  sorte,  une 
image  de  la  beauté  du  Paradis'"'. 

Ce  charmant  plaidoyer  eut  le  malheur  de  déplaire  à  un  habitant 
de  Paris,  qui,  pour  venger  la  capitale,  entreprit  de  célébrer,  dans  un 
style  boursouflé,  les  incontestables  mérites  d'une  ville  qui  défiait  et 
défierait  toujours  toute  comparaison.  Il  termina  son  panégyrique 
pédantesque  en  appelant  les  vengeances  du  Ciel  sur  l'ingrat  effronté 
qui  se  permettait  d'instituer  un  parallèle  entre  Paris  [Parisius)  et 
Senlis  [Silvanectum)  :  autant  valait  comparer  le  Paradis  [Paradisum)  à 
un  bois  aifreux  [silva).  «Cet  éloge,  ajoutait-il  ironiqueinenl,  n'est 
«point  complet  :  l'auteur  a  omis  de  citer,  parmi  les  agréments  de 
«Senlis,  la  multitude  de  ses  mouches  et  les  harmonieux  coassc- 
«  ments  de  ses  grenouilles'^'.  » 

Jean  de  Jandun  ne  crut  pouvoir  mieux  répondre  aux  attaques  de 
ce  maussade  écrivain  (^dictator  :  c'est  sous  ce  nom  seulement  qu'il  le 
désigne)  qu'en  lui  prouvant  que,  sans  cesser  de  rendre  justice  à 
Senlis,  il  y  avait  moyen  de  faire  de  Paris  un  éloge  beaucoup  plus 
complet,  plus  persuasif,  et  où  les  faits  tiendraient  la  place  des  creuses 
métaphores,  des  généralités  froides.  Ainsi  piqué  au  jeu,  il  rédigea 
tout  un  traité,  où  la  recherche  du  style  ne  nuit  heureusement  pas 

'*'  Paris  et  ses  histor.,  p.  74-78. —  '*'  Ibid.,  p.  222^. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  533 

à  l'élévalion  des  idées,  où  l'observation  inattendue  des  règles  du  cursus 
sert  seulement  à  montrer  que  le  philosophe,  chez  lui,  se  double,  au 
besoin,  d'un  rhétoricien"^,  et  qui,  dans  ses  deux  premières  et  phis 
longues  parties,  présente  une  description  extrêmement  précieuse  du 
Paris  de  iSaS*'^'. 

Dans  cet  éloge  composé  par  un  universitaire,  le  Paris  intellectuel, 
en  d'autres  termes  l'Université,  lient  naturellement  la  première  place. 
La  rue  du  Fouarre,  où  siégeait  la  Faculté  des  arts,  y  apparaît  comme 
le  rendez-vous  de  ce  que  la  philosophie  naturelle,  la  logique,  l'astro- 
nomie, les  mathématiques,  la  métaphysique  et  la  morale  comptaient 
de  maîtres  distingués  et  fameux.  La  «  très  paisible  »  rue  de  Sorbonne 
et  les  nombreux  couvents  environnants  y  sont  représentés  comme  les 
sanctuaires  de  la  théologie.  A  travers  le  respect  que  témoigne  l'auteur 
à  ces  «  pères  vénérables  »,  à  ces  «  satrapes  divins  »,  parvenus  au  som- 
met de  la  perfection  humaine,  qui  interprétaient  l'Ecriture  et  s'effor- 
çaient de  faire  pénétrer  dans  les  cœurs  les  vérités  de  la  foi,  on  sent 
percer  peut-être  quelque  jalousie  professionnelle.  Jean  de  Jandun 
exprimait  une  admiration  sans  mélange  pour  le  «  très  suave 
«  nectar  »  de  la  philosophie  enseignée  à  la  Faculté  des  arts  :  il  semblait 
qu'à  force  de  scruter  les  secrets  de  la  nature,  les  maîtres  es  arts  fus- 
sent plus  enclins  à  rendre  grâce  au  Créateur.  Au  contraire,  ce  n'est 
pas  sans  quelque  ironie  sceptique  qu'il  dépeint  les  débats  des  maîtres 
en  théologie,  débats  portant  aussi  cependant  sur  des  questions  philo- 
sophiques, celle  de  l'unité  ou  de  la  pluralité  des  formes  substan- 
tielles, celle  des  universaux,  celle  de  la  connaissance.  L'un,  dit-il,  fait 
une  objection,  qu'un  autre  s'empresse  de  résoudre;  un  ti'oisième 
réplique,  mais  est  bientôt  réfuté  par  un  quatrième;  ils  s'efforcent  à 
qui  mieux  mieux  de  s'annihiler  mutuellement.  En  quoi,  ajoute-t-il, 
cette  gymnastique  profite-t-elle  aux  intérêts  de  la  religion.'  c'est  le 
secret  de  Dieu.  Les  maîtres  en  philosophie  de  la  Faculté  des  arts  ne 
faisaient  guère,  à  vrai  dire,  autre  chose  :  mais  au  moins  ne  se  posaient- 
ils  pas  en  défenseurs  de  la  foi.  C'est  sans  doute  ce  que  Jean  de  Jandun 

'''  Les    règles   du    rythme    sont    constam-  par  le  diclalor  anonyme.  II  va  sans  dire  qu'au- 

ment  observées  dans  le  De  Landibiis  Parisius  cune  trace  de  rythme  n'apparaît  non  plus  dans 

de   Jean  de  Jandun  proprement  dit.  Il   n'en  le  Defensor  pacis  ni  dans  les  nombreux  traités 

était  pas  de  même  dans  son  éloge  de  Senlis,  philosophiques  de  Jean  de  Jandun. 
non  plus  que  dans  l'éloge  de  Paris  compose  '*'  Paris  et  ses  histoi: ,  p.  32-74. 


534  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 

reproche  intérieurement  à  ses  confrères  de  la  rue  de  Sorbonne  :  il 
leur  en  veut  d'empiéter  sur  son  propre  terrain  et  de  se  mêler  de  ce 
qui  ne  les  regarde  pas.  Ce  seul  passage  suffirait  à  prouver  que  Jean 
de  Jandun  n'a  point  appartenu,  comme  on  l'a  quelquefois  prétendu, 
à  la  Faculté  de  théologie  de  l'Université  de  Paris. 

De  là,  l'auteur  du  De  Laudibus  Parisius  conduit  ses  lecteurs  dans 
la  rue  du  (^los-Bruneau,  où  s'enseigne  le  droit;  il  apprécie  par- 
ticulièrement, en  sa  qualité  de  chanoine,  les  services  que  peut  rendre 
aux  églises  la  connaissance  du  droit  canon.  Il  montre  enfin  les  méde- 
cins dans  l'exercice  de  leur  profession,  facilement  reconnaissables  à 
leurs  riches  habits  et  à  leurs  bonnets  de  docteur,  si  nombreux  qu'on 
ne  saurait  descendre  dans  la  rue  sans  en  rencontrer  un.  Quant  aux 
apothicaires,  ils  tenaient  boutique  au  Petit-Pont  et  dans  les  rues 
avoisinantes;  leurs  devantures  étaient  déjà  ornées  de  ces  pots  décora- 
tifs qui  sont  encore  recherchés  par  les  collectionneurs. 

On  aime  à  voir  Jean  de  Jandun  sensible  aux  beautés  artistiques  de 
la  capitale.  Cette  première  génération  qui  ait  connu  Notre-Dame 
achevée  éprouvait  déjà  pour  le  plus  harmonieux  chef-d'œuvre  de  l'ar- 
chitecture gothique  une  admiration  analogue  à  celle  qu'expriment 
nos  contemporains  :  Vix  ex  ejas  inspectione  possil  anima  satiari'-^^  Tout 
au  plus  ces  sentiments  difieraient-ils  des  nôtres  en  ce  qu'il  s'y  mêlait 
quelque  épouvante  :  Jean  de  Jandun  qualifie  Notre-Dame  de  terri- 
bilissima,  tant  la  masse  de  la  cathédrale  lui  semblait  écrasante.  Au 
contraire,  en  pénétrant  dans  la  Sainte-Chapelle,  il  se  figurait  être 
introduit  dans  une  des  plus  belles  chambres  du  Paradis. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  de  rappeler  ici  tout  le  parti  que  les  historiens 
de  Paris  ont  tiré  de  la  description  du  Palais  de  la  Cité  et  des  halles 
des  Champeaux.  Jean  de  Jandun  énumère  les  diverses  industries  pa- 
risiennes; il  loue  particulièrement  l'habileté  des  boulangers.  Il  parle 
de  la  sécurité  qu'inspire  aux  Parisiens  la  multitude  des  armes  amon- 
celées dans  leurs  murs.  Il  décrit  l'abondance  des  vivres,  et  reconnaît 
dans  la  Seine  la  grande  voie  d'approvisionnement.  Chez  les  habitants, 
il  signale,  au  milieu  de  beaucoup  de  qualités,  quelque  penchant  à  la 

'''  11  faut  lire  cette  description  des  tours,  une  croix  sculptée  la  croix  figurée  par  le  plan 

des  voûtes,  des  roses,  des  verrières,  de  la  croix  de  l'édifice    lui-même.    •  Tantae  magnitudinis 

du  transept.  À  ce  propos  signalons  un  contre-  «crucem.cujus  uniun  brachium  chorum  distin- 

sens  des  éditeurs  (p.  1 5 ,  45)  :  ils  ont  pris  pour  «  guit  a  navi.  » 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PA1X)UE.  535 

vantardise.  Les  femmes,  sauf  exceptions,  lui  semblent  irréprochables, 
en  dépit  de  leur  beauté  et  de  leur  élégance. 

Nous  glissons  à  dessein  sur  la  dernière  partie,  très  inférieure  aux 
précédentes  :  Jean  de  Jandun  y  recourt  à  des  arguties  misérables  pour 
convaincre  d'inconséquence  son  contradicteur,  le  dictator  anonyme  ^^'. 
Il  reconnaît  lui-même,  d'ailleurs,  que  cette  argumentation  n'est  qu'un 
jeu  '"^^  :  triste  jeu,  en  vérité,  et  qui  ne  nous  semble  guère  divertissant! 

Mais  il  faut,  au  contraire,  insister  sur  un  passage  qui  n'a  point  été 
jusqu'ici  suffisamment  remarqué;  c'est  celui  auquel  l'auteur  attachait 
peut-être  le  plus  d'importance.  Il  était  destiné  à  attirer  sur  Jean  de 
Jandun  l'attention  du  roi  de  France  :  «  Je  ne  songe  point  à  flatter, 
«écrivait  le  philosophe'^',  mais  je  suis  bien  forcé  de  reconnaître  la 
M  vérité  :  la  monarchie  universelle  appartient  aux  très  illustres  rois 
«  de  France,  du  moins  par  le  droit  d'un  penchant  natif  vers  ce  qui 
«  est  mieux.  Si  l'on  m'objecte  que  j'attribue  aux  Français  une  préroga- 
«  tive  qu'Aristote,  le  plus  grand  des  philosophes,  reconnaissait  aux 
«  Grecs,  je  répondrai ,  ou  du  moins  je  m'elforcerai  de  répondre,  suivant 
«les  lumières  que  Dieu  me  fournira,  lorsque  l'ordre  m'en  aura  été 
«  donné  par  mon  seigneur  le  Roi.  »  Suit,  peu  après,  un  chapitre  tout 
rempli  de  plates  louanges  à  l'adresse  des  rois  de  France,  disposées 
sous  forme  de  tableau  **'.  Ainsi  Jean  de  Jandun  n'attendait  qu'un  signe 
de  Charles  le  Bel  pour  prendre  la  plume  et  étayer  sur  un  échafau- 
dage de  rhétorique  les  prétentions  du  roi  de  France  à  la  monarchie 
universelle'^'.  Charles  le  Bel,  en  effet,  songeait  sérieusement  à  l'Em- 
pire, qui  est  théoriquement  la  monarchie  du  monde.  Le  De  Laudibas 
Parisias  de  Jean  de  Jandun  fut  achevé,  comme  celui-ci  nous  l'apprend 
lui-même,  le  4  novembre  i323  :  or,  au  commencement  de  1824,  un 
voyage  que  le  roi  fit  à  Toulouse  donna  lieu  de  penser  qu'il  se  rendait 
à  Avignon  pour  se  faire  octroyer  l'Empire'®';  en  tous  cas,  ce  fut  le 
sujet  de  pourparlers  qu'il  ne  tarda  pas  à  entamer  avec  le  roi  de 
Bohême,  et  il  conclut  même  à  cet  effet  un  accord,  le  17  juillet  sui- 
vant, avec  Léopold  d'Autriche'^'.  Cependant  Charles  IV  ne  paraît  pas 

''•  Paris  et  ses  histor.,  p.  64-74.  française  et  le  droit  populaire,  dans  la  Revue  des 

<''  Ibid.,  p.  70,  74.  qaest.  hisl.,  XVI,  369). 

''*  P.  60.  (')  J.  ViUani  (Muralori,  XIII,  553). 

'*'  P.  62.  (')  K.Mïiïler,Der  KampfLudwigs  des  Bayern 

'*'  Pierre  du  Bois  avait  déjà  mis  cette  idée  mit   der    rômischen    Kurie   (Tûbingen,    1^79, 

eiiavant(Ch.  Jourdain,  Mémoire  sur  la  royauté  in-S"),  I,  107. 


536 


JEAN  DE  JANDLN  ET  MARSfLE  DE  PADOUE. 


s'être  soucié  de  l'appui  littéraire  que  Jean  de  Jandun  se  montrait  si 
disposé  à  lui  fournir'''.  Qui  sait  si  le  dépit  résultant  de  cet  échec  ne 
contribua  pas  à  jeter  notre  philosophe  d'un  tout  autre  côté  ?  Le  cha- 
noine pourvu  par  Jean  XXll,  l'écrivain  dévoué  aux  intérêts  de  la 
monarchie  capétienne  allait  désormais  employer  sa  dialectique  et  son 
érudition  à  servir  la  cause  du  roi  des  Romains  contre  le  souverain 
pontife. 

Toutefois  on  ne  saurait  méconnaître  l'influence  exercée  sur  cette 
détermination  par  un  homme  que  Jean  de  Jandun  qualifie  quelque 
part  de  son  très  cher  ami,  dilectissimus  meus^'^K  Mais  avant  d'étu- 
dier les  rapports  de  Jean  de  Jandun  avec  Marsile  de  Padoue,  il  im- 
porte de  se  faire  une  idée  plus  complète  de  ceux  de  ses  écrits  qui 
sont  antérieurs  à  sa  collaboration  avec  ce  fameux  personnage. 

II 

Kl  L'œuvre  personnelle  de  Jean  de  Jandun,  on  le  sait  déjà,  est  pour 
la  plus  grande  partie  philosophique,  et  la  plupart  de  ses  traités,  qui 
représentent  sans  doute  son  enseignement  à  l'Université  de  Paris  ou 
au  collège  de  Navarre,  ne  sont  autres  que  des  commentaires  sur 
divers  ouvrages  d'Aristote. 

Nous  commencerons  par  celui  qu'il  semble  placer  lui-même  en 
tête  de  tous  les  autres. 

1"    QUMSTIONES  SUPER  UBROS  PhYSICORUM. 

Il  existe  des  manuscrits  de  ce  traité  à  Oxford  (Bodl. ,  Canonici 
Miscell.  407;  XV*  s.)  et  à  Rome  (Bibl.  Vatic,  Reg.  444)'^'.  H  y  en 
avait  un  troisième  autrefois  à  Venise'''*. 

I  /ne.  ;  Sicut  vita  sine  ti'istitia  est  eligibilis,  ita  ratio  sensata  amabilis.  .  . 


'■'  Le  Koux  de  Lincy  et  Tisserand  (p.  61, 
note  3)  ont  compris,  au  contraire ,  que  Jean  de 
Jandun  ne  se  souciait  pas  de  réfuter  l'assertion 
d'Aristote  :  c'est  pour  cette  raison  qu'il  aurait 
mis  à  sa  rérutatioii  une  condition  irréalisable , 
c'est-à-dire  un  ordre  exprès  du  roi. 

''1  Bibl.  nat. ,  njs.  lat.  65^2 ,  fol.  i  r'. 

''^'  Le  ms.  3446  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale de  Vienne  contient  aussi  quelques  frag- 


ments du  même  ouvrage.  — -  Quant  au  ms. 
XVII 180  de  la  bibliothèque  de  Saint-Antoine  de 
Padoue  (xiv'  siècle),  il  contient,  sous  le  nom 
de  Jean  de  Jandun ,  des  Questions  sur  la  Phy- 
sique ,  toutes  différentes  de  celles-ci. 

'*'  Dans  la  bibliothèque,  aujourd'hui  dé- 
truite, de  Sant'  Antonio  in  Casiello  (J.-F.  To- 
masini ,  Bihliothecœ  Venetœ  maniiscriplm ,  Udine , 
i65o,  in-4°i  p.  a). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


53: 


Des.  :  ...  Et  ipsum  alterabile  potest  simiie  esse  sub  diversis  partibus  ipsius  qua- 
litatis  quœ  est  acquisita ,  etc.  Amen. 

Diverses  éditions  en  ont  été  données  à  Venise,  en  i488  et  en 
i5oi''\  à  Paris,  en  i5o6'"^',  à  Venise  encore  en  i54o,  en  i544*^', 
en  i552  et  en  lôyS.  Elles  ne  contiennent  point  la  dernière  question, 
fort  peu  développée  d'ailleurs,  que  nous  avons  trouvée  reproduite 
dans  le  manuscrit  d'Oxford  :  Quœritar  utrum  (jiiod  movetar  continue  per 
alKjaodspatium  sit  accidenter,  scilicet  in  aliquo  istoram.  locorum.  medioruni. . . 
En  revanche,  elles  contiennent  des  additions  et  annotations  du  mé- 
decin et  philosophe  juif  Elie  de  Crète,  ainsi  datées  :  Hoc  opnsculum 
annotationum,  etc.,  finituni  fuit  anno  Lalinorum  iâ85,  mjîne  julii,  Flo- 
rentiœ,  ce  qui  a  fait  admettre,  à  tort,  l'existence  d'une  première  édition 
faite  à  Florence  et  remontant  à  i  ^85'*'.  En  outre,  l'une  au  moins  des 
dernières  éditions,  celle  de  i552,  renferme  des  interpolations  dues 
au  dominicain  allemand  Jean  Romberch'^^,  qui  vivait  dans  la  première 
moitié  du  xvi*  siècle  '^'. 

Jean  de  Jandun  a  fait  précéder  cet  ouvrage  d'un  préambule  dans 
lequel  il  trace  une  sorte  de  programme  de  l'enseignement  de  la  philo- 
sophie naturelle.  11  la  divise  en  six  parties  principales,  et  énumère 
les  divers  traités,  correspondant  à  ces  parties,  auxquels  les  étudiants 
pouvaient  avoir  recours.  Ainsi,  pour  la  première  partie,  traitant  du 
mouvement,  ils  avaient  à  leur  disposition  les  huit  livres  de  Physique 


'"'  Par  les  soins  de  Boneto  Locatelli. 

'*'  Chez  Nicolaus  Deprati».  Un  exemplaire 
de  cette  édition ,  enriclii  de  notes  manuscrites , 
se  trouve  au  Musée  britannique.  Suivant 
.).  Simler  [Bibliolheca  inslhuta  et  collecta  pri- 
mam  a  C.  Gesnero ,  Zurich,  i583,  in-fol. , 
p.  46o),  une  édition  du  même  ouvrage  aurait 
été  aussi  donnée,  en  i5o6,  à  Venise. 

''*  D'après  H.  Wharton  (Cave,  II,  Suppl., 
36). 

*''  Panzer,  Annal,  typoqr.,  t.  1,  p.  4i3, 
n°  78;  Simler,  p.  46o;C.  Oudin,  II[,883.  Cf. 
Hain,  Repertor.  bibliogr.,  1,  11,  n°  7457. 

'''  Lib.  Il,  qu.  10  :  « Consequenter  inqui- 
«  rendum  est  utrum  finis  sit  causa.  Sed  hanc 
«  qaœstionenï  reposai  inter  alias  de  quibas  singa- 
«  lariler  opinatus  sum.  Et  ideo  quœre  circa  hoc 
«  capitulum  de  Casa  elfortuna.  Plaçait  aatem  mihi 
«Johanni  Romberck  hue  relatam  {ut  et  ceeteras 
nhujus  operis)  a  scabiis  eniacalare.  Et  arguitur 

IIIST.  l.lTTKn.  XXXIII. 


«primo  quod  non,  quoniam  omnis  causa  est 
«  principium,  sed  finis  non  est  principium.  .  .  » 
—  Aucun  des  mots  imprimés  ci-dessus  en 
italique  ne  se  trouve  dans  le  texte  original, 
tel  que  le  fournit,  par  exemple,  le  manuscrit 
d'Oxford. 

'*'  Voir  Qnétif  et  Echard ,  Script,  ord.  Prœ- 
dicat.,  II,  88.  Antoine  de  Sienne  [Chron.fratr. 
Prœdicat.,  i53)  cite  Jean  Romberch  comme 
ayant  corrigé  et  complété,  en  plusieurs  en- 
droits, les  Questions  de  Jean  de  Jandun  sur  le 
De  Physico  audila  d'Aristote ,  et  affirme  que 
cette  édition  fut  imprimée,  à  Venise,  en  i3'20 
(lisez  sans  doute  :  iSao).  Altamura  [Biblioth. 
dominic. ,  97)  fournit  le  même  renseignement 
et  ajoute  que  l'édition  vénitienne  de  i320  [sic) 
fut  enrichie  d'un  triple  index  et  dédiée  par 
Jean  Romberch  à  Antoine  de'  Fanti  de  Trévise. 
Il  aggrave  son  erreur  de  date  en  déclarant  que 
Jean  Romberch  florissait  vers  i3i4. 

G8 


538  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PÂDOUE. 

d'Aristote;  pour  la  seconde,  qui  a  trait  aux  corps  célestes  et  aux 
quatre  éléments,  ils  pouvaient  se  servir  du  livre  du  Ciel  et  du  monde; 
et,  comme  les  autres  scolastiques ,  Jean  de  Jandun  semble  désigner 
sous  ce  titre  le  traité  authentique  d'Aristote  du  Ciel,  non  point  le 
petit  traité  apocryphe  du  Monde.  La  troisième  partie  de  la  philosophie 
naturelle  traite  de  la  génération  et  de  la  corruption  en  général,  puis 
de  l'accroissement  et  de  l'altération  :  ici  Jean  de  Jandun  nous  renvoie 
au  traité  de  la  Génération  d'Aristote  et  au  second  livre  de  son  traité 
de  l'Âme,  au  De  Nutrimento  et  nutribili  d'Albert  le  Grand'^',  puis,  pour 
suppléera  l'absence  d'un  traité  sur  la  santé  et  la  maladie,  au  Colliget 
d'Averroès,  qui  avait  compilé,  disait-il,  beaucoup  de  remarques  sur 
cette  matière.  Au  sujet  du  froid  et  du  chaud,  de  l'humide  et  du  sec, 
qui  constituent  la  quatrième  partie  de  la  philosophie  naturelle,  Jean 
de  Jandun  recommande  le  livre  des  Météores  d'Aristote.  Pour  la  cin- 
quième partie,  relative  aux  métaux  et  aux  pierres,  il  regrette  de 
n'avoir  à  citer  aucun  livre  du  Stagirite,  mais  il  rend  hommage  à 
«  Tassez  bon  traité  «  qu'Albert  le  Grand  avait  rédigé  sur  la  matière  (le 
De  Mineralibas] .  La  sixième  partie,  traitant  des  corps  animés,  se  sub- 
divise elle-même  en  quatre  sections  :  celle  de  l'àme,  pour  laquelle 
Jean  de  Jandun  renvoie  au  traité  de  l'Ame  d'Aristote;  celle  des  pas- 
sions communes  au  corps  et  à  l'àme,  au  sujet  de  laquelle  il  recom- 
mande les  Parva  nataralia  du  même  philosophe;  la  section  des  êtres 
animés  d'une  àme  sensitive,  et  enfin  celle  des  êtres  animés  d'une  âme 
végétative  :  à  ce  propos,  Jean  de  Jandun  cite  les  deux  traités  d'Aris- 
tote de  l'Histoire  des  animaux  et  des  Végétaux  et  des  plantes,  dont  le 
premier  seul  est  d'une  authenticité  reconnue.  Il  termine  cette  sorte 
de  bibliographie  par  l'indication  de  quelques  ouvrages  complémen- 
taires :  le  livre  des  Lignes  indivisibles,  attribué  alors  à  Aristole,  au- 
jourd'hui plutôt  à  Théophraste,  et  qu'il  rattache  au  sixième  livre  de  la 
Physique;  le  De  Substantia  orbis  d'Averroès,  qu'il  joint  au  livre  du 
Ciel  et  du  monde;  le  traité  attribué  à  Aristote  des  Propriétés  des 
éléments,  qu'il  considère  comme  une  addition  au  livre  des  Météores, 
ainsi  que  le  petit  traité  de  l'Inondation  du  Nil;  le  petit  traité,  plus 
ou  moins  apocryphe,  des  Couleurs,  qu'il  rapproche  du  De  Sensu  et 
sensato,  l'un  des  Parvi  libri  naturales;  enfin  le  livre,  sans  doute  apo- 

'''  Cf.   Am.   .lourdain,  Recherches  crit.   sur  l'dge  et  l'nrig.  des  Iradnct.  lut.  d'Aristote  (édit.  de 
l843),  p.  3i(). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSIF.E  DE  PADOUE.  539 

cryphe,  de  ia  Physionomie,  qui  lui  paraît  devoir  être  joint  à  l'Histoire 
des  animaux.  Reste  le  livre  des  Problèmes  d'Aristote,  contenant  une 
foule  d'observations  relatives  aux  différentes  parties  de  la  philosophie 
naturelle  :  Jean  de  Jandun  constate  que  le  texte  en  est  généralement 
corrompu  et  incorrect ,  qu'il  n'a  guère  été  commenté  par  les  philosophes 
connus,  que  peu  d'étudiants  s'en  servent,  et  qu'un  plus  petit  nombre 
encore  l'entendent  sulïlsamment.  Cependant  il  renferme  quantité 
de  beaux  théorèmes  d'un  charme  merveilleux  :  celui-là  s'acquerrait  de 
nombreux  titres  à  la  reconnaissance  des  étudiants  qui  corrigerait  et 
expliquerait  avec  compétence  le  texte  de  ce  livre  trop  négligé.  Nous 
verrons  dans  quelle  mesure  Jean  de  Jandun  fut  à  même  de  com- 
bler la  lacune  qu'il  signalait  ainsi  dans  l'enseignement  scolastique. 

Après  ce  préambule,  il  pose  une  série  de  questions,  auxquelles  il 
ne  manque  pas,  suivant  l'usage,  de  donner  des  solutions  contradic- 
toires. Bien  que  la  dernière  soit  plutôt  celle  vers  laquelle  il  penche, 
on  ne  réussit  pas  toujours,  au  milieu  des  objections,  des  réfuta- 
tions et  des  distinctions  qu'il  indique,  à  démêler  sa  pensée  propre.  11 
cherche  plutôt  à  dresser  un  inventaire  complet  de  toutes  les  opinions 
connues  ou  soutenables,  en  faisant  étalage  de  son  érudition,  qu'à 
résoudre  les  difficultés  et  à  fixer  la  doctrine. 

Nous  apprenons  cependant  qu'il  existe  une  science  des  choses 
naturelles;  puis,  que  cette  étude  des  choses  de  la  nature  est  nécessaire 
au  bonheur  de  l'homme.  En  effet,  point  de  bonheur  sans  la  sagesse, 
c'est-à-dire  sans  la  connaissance  des  substances  immatérielles,  dont  la 
première  est  Dieu;  or,  l'homme  ne  peut  connaître  les  substances 
immatérielles  que  par  la  connaissance  des  substances  matérielles, 
puisque  les  premières  ne  sont  sensibles  que  par  leurs  effets  sur  les 
secondes  ^'l 

Un  peu  plus  loin,  Jean  de  Jandun  s'écarte  de  Duns  Scot  en  ce  que 
celui-ci  estime  que  l'intellect  humain  saisit  d'abord  et  connaît  en 
premier  lieu  les  espèces  les  plus  spéciales,  celles  qui  se  rapprochent 
le  plus  de  l'individu  :  Jean  de  Jandun  croit,  au  contraire,  que  l'esprit 
humain  conçoit  d'abord  quelque  chose  de  plus  général  (1,  6). 

Dans  la  suite  de  son  traité,  il  recherche,  par  exemple,  si  la  sub- 
stance matérielle  est  divisible  en  soi  (1,  9);  si  l'indivisible  peut  être 

<•'  Lib.  I,  qu.    1.  Cf.  Hauréau,  Hist.  de  la  philos,  scolast.,  a*  partie,  U,  p.  aSS. 

68. 


540  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

infini  (1 ,  1 1  );  si  les  principes  de  la  nature  sont  contraires  (I,  18);  si 
tous  les  êtres  susceptibles  d'être  engendrés  et  de  se  corrompre  ont 
une  matière  unique  (1,  2  4);  si  la  matière  et  la  forme  constituent  la 
nature  (II,  3);  si  la  fortune  et  le  hasard  sont  des  causes  accidentelles 
(II,  12);  ce  que  c'est  que  le  mouvement  (III,  2,  3);  si  la  grandeur 
est  divisible  à  l'infini  (III,  12);  ce  que  c'est  que  le  lieu  (IV,  1,  3, 
5 ,  6  )  ;  si  le  lieu  de  la  terre  est  la  surface  de  l'eau  (IV,  7  )  ;  si  l'existence 
du  vide  est  nécessaire,  et  si,  dans  le  cas  où  le  vide  existerait,  le 
mouvement  local  pourrait  s'y  faire  (IV,  10,  11);  ce  que  c'est  que 
le  temps  (IV,  17,  19,  26),  et  s'il  a  une  existence  objective  en  dehors 
de  l'âme  humaine  (IV,  27);  si  la  génération  est  un  mouvement  (V,  2); 
si  quelque  chose  peut  être  mû  par  soi  (VII,  1  );  si  l'animal  se  meut 
lui-même  (VIII,  9);  si  le  mouvement  circulaire  peut  être  perpétuel 
(VIll,  i8);  si  le  premier  moteur  possède  une  vigueur  infinie  (VIII, 
22),  etc. 

L'examen  de  ces  diverses  questions  nous  entraînerait  beaucoup 
trop  loin.  Mais  ce  qu'il  importe  de  remarquer,  c'est  la  prudence  avec 
laquelle  Jean  de  Jandun  renouvelle  sa  profession  de  foi  catholique 
dès  que  son  argumentation  semble  devoir  l'amener  à  des  conclusions 
hétérodoxes.  Ainsi,  en  fidèle  disciple  et  admirateur  d'Avorroès,  il  dé- 
montre l'impossibilité  d'une  création;  mais  aussitôt  il  ajoute  :  «  Il  faut 
«  admettre  simplement,  et  en  conformité  avec  la  foi  chrétienne,  que 
«  Dieu  a  tout  fait  de  rien .  .  .  C'est  ce  qu'ont  ignoré  les  philosophes 
«  païens.  En  effet,  cela  ne  peut  se  prouver  par  l'observation  des 
■I  choses  sensibles .  .  .  D'ailleurs  cette  création  n'a  eu  lieu  qu'une 
«fois,  il  y  a  fort  longtemps,  et  ceux  qui  en  ont  eu  connaissance 
M  l'ont  apprise  de  la  bouche  des  saints  ou  l'ont  sue  par  révélation  » 
(I,  22). 

Ici  encore  Jean  de  Jandun,  au  moyen  d'une  distinction  subtile, 
cherche  à  dissiper  l'antinomie  existant  entre  la  foi  chrétienne  et  la 
doctrine  péripatéticienne  :  mais  ailleurs  il  renonce  à  toute  conciliation. 
Par  exemple,  après  avoir  prouvé,  avec  Aristote  et  Averroès,  l'éternité 
du  mouvement,  il  proclame,  suivant  la  foi  catholique,  que  le  mouve- 
ment a  eu  un  commencement,  de  même  qu'il  doit  avoir  une  fin. 
<i  Cependant,  ajoute-t-il,  je  ne  prouve  pas  cela  par  raison  démonstra- 
«  tive,  non  plus  que  les  autres  vérités  de  foi;  je  ne  pense  même  pas 
M  qu'il  soit  possible  à  l'hon)nie  de  le  démontrer  par  des  raisons  em- 


JEAN  DE  JANDLN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


541 


«  pruntées  aux  choses  sensibles.  Je  dis  seulement  que  rien  n'est  impos- 
«  sible  à  la  toute-puissance  de  Dieu.  .  .  »  (VIll,  3). 

Ce  sont  là  déclarations  fréquentes  chez  les  averroïstes,  et  dont 
Siger  de  Brabant  se  montrait  particulièrement  coutumier*'^.  Cette 
école,  a-t-on  dit,  mit  au  jour  la  doctrine  de  «la  double  vérité»  :! 
comme  pbilosophes,  ces  hommes  se  déclaraient  ouvertement  les 
adversaires  de  ces  mêmes  vérités  dont  ils  prétendaient,  comme  chré- 
tiens, se  faire  passer  pour  les  défenseurs  fidèles  et  soumis  ^^^ 


2°    QVMSTIO  DISPUTATA  SUPER  LIBRO  PhYSICORVM. 


i.iUliJlIlU    1-1, i|. 

.  .  .   ■    "-•\ 


Il  convient  de  rapprocher  de  la  dernière  partie  de  ce  traité  un 
opuscule  conservé  dans  un  manuscrit  d'Oxford  (Bodl.,  Canonici 
Miscell.  226,  fol.  2  8-3i),  qu'il  y  a  tout  lieu  de  croire  inédit.  Cet 
opuscule  a  pour  sujet  précisément  la  question  de  l'éternité  du  temps 
et  du  mouvement. 

bic.  :  Est  quœstio  utrum  fuerit  possibiie  entia  successiva ,  ut  tempus  et  rnotum , 
fuisse  ab  acterno .  .  . 

Des.  :  Non  sequitur  quod  aeternitas  prœcedat  esse  temporis  ;  sed  tempus  nec  instans 
prîecessit  primum,  et  sic  de  isto.  Amen,  amen.  Expîicit  quaestio  disputata  super 
Hbro  Physicorum  per  reverendum  doctorem  magistrum  Johannem  de  Jandoncv 

'  iiii  '  _  !(io-tf)i         .r  '»ijj)tf7iiM  (i 

Après  avoir  exposé  successivement  le  pour  et  le  contre,  Jean  de 
Jandun  se  rallie  à  l'opinion  qui  lui  paraît  la  plus  conforme  à  la  foi  et 
à  la  raison  naturelle,  et  il  conclut'^',  cette  fois  par  des  motifs  ration- 
nels, que  ni  le  temps,  ni  le  mouvement,  ni  le  monde,  ni  rien  de 
success  f  n'a  pu  exister  éternellement''''. 

3°  QujEstiones  super  libros  Aristotelis  de  CjElo  et  mundo. 
On  n'a  signalé  de  ce  traité  de  Jean  de  Jandun  qu'un  exemplaire 


''  Mandonnet,  Siger  de  Brabant,  p.  clvii, 

CI.XVII,   CLXIX. 

'^'  Snlvat.  Talamo,  L'Aristolélisme  de  la  sco- 
laslique  dans  l'histoire  de  la  philosophie  (Paris, 
1876,  in-ia),  p.  38a. 

•'^  Fol.  aS''  :  «  Circa  solutionem  hujus 
«ralionis  sic  procedere  oportet,  quia,  cum  hic 
"  suntopinata privative  etutraque  comprehendit 

•  doctores  magnos  magistros .  .  . ,  ideo  primo 

•  ppnam  rationes  tenentiuin  quod  sit  possibiie 


«  mundum . . .  fuisse  ab  aeterno  ;  secundo  ponam 
«  opinionem  ei  contrariam ,  scilicet  quod  non 
«  luit  possibiie  fuisse  ab  aeterno  ;  tertio  eligam 
(I  secundam  opinionem ,  quie  mihi  videlur  magis 
n  consona  fidei  et  rationi  naturali .  .  .  >> 

'*'  Fol.  29''  :  «De  islis  duabus  opinionibus 
«  videtur  mihi  secunda  melior  et  intellectui  capa- 
«  cior  :  unde  ipsam  teneo  ad  praîsens,  quod  nec 
«  tempus,  nec  motus,  nec  niundus,  nec  aliquid 
«  successivum  potuit  fuisse  ab  ;pterno.  » 


542  JEAN  DE  JANDLN  ET  MARSILE  DE  PADOUE, 

manuscrit,  celui  qui  était  encore  conservé  au  xvir  siècle  dans  la 
bibliothèque,  aujourd'hui  détruite,  de  Sant' Antonio  in  Castello  de 
Venise*'^.  Mais  il  en  existe  plusieurs  éditions,  imprimées  également 
à  Venise.  La  plus  ancienne  est  celle  que  donna,  en  i5oi,Boneto 
Locatelli,  d'après  un  texte  revisé  par  le  philosophe  Nicoleto  Vernia, 
de  Chieli''^l  D'autres  éditions  sont  datées  de  i5o6,  de  i5i9,de  i552 
et  de  1589. 

Inc.  :  Ptolomaeus  scribit,  in  principio  Centiloquii,  sic:  Mundanorum  ad  hoc  et  ad 
illud  mutatio .  .  . 

Des.  :  .  .  .  propter  hoc  lapis  velocius  ibi  movetur  :  ideo  non  valet. 

ail   9Ji(;il  '»■)  sl>  ^filituj 

La  première  question  que  pose  notre  philosophe  est  celle  de  l'in- 
fluence des  corps  célestes  sur  les  faits  du  monde  inférieur.  Il  la  résout, 
comme  la  plupart  de  ses  contemporains,  en  admettant  que  tous  les 
phénomènes  du  monde  sensible  et  matériel  ont  pour  cause  les  mouve- 
ments des  astres,  et  en  ne  soustrayant  à  celte  influence  nécessaire  et 
universelle  que  les  actes  de  l'intelligence  et  de  la  volonté  humaines. 
Encore  attribue-t-il  aux  influences  sidérales  le  développement  des 
inclinations  qui  déterminent  si  souvent  les  actions  des  hommes.  C'est 
ce  qu'il  répète  ici,  après  l'avoir  expliqué  déjà  dans  ses  Questions  sur 
la  Physique  (I,  1)  :  «Incontestablement,  dit-il,  beaucoup  d'hommes 
«  se  gouvernent  d'après  les  inclinations  que  leur  communiquent  les 
«  corps  célestes  au  moment  où  ils  sont  engendrés  ou  postérieurement 
«à  ce  moment.  Si  quelques-uns  réagissent  contre  ces  inclinations, 
«  c'est  le  très  petit  nombre.  Qu'un  homme  ayant,  de  par  la  configu- 
«  ration  du  ciel,  une  inclination  violente  pour  la  colère  et  la  luxure 
«soit  parfaitement  doux  et  chaste,  cela  est  possible  assurément, 
«mais  bien  difficile  et  bien  rare '^'.  » 

La  plupart  des  autres  questions  examinées  par  Jean  de  Jandun  pré- 
sentent moins  d'intérêt  pour  nous  :  n'y  a-t-il  que  trois  dimensions 
(I,  5)?  tout  l'univers  est-il  parfait  (1,6)?  le  mouvement  circulaire  est-il 
plus  parfait  que  le  mouvement  recliligne  (I,  1 1)  ?  les  corps  célestes 

f*'    Tomasini,     Bibliothecœ     Venclœ    manu-  édition  vénitienne  des  Qaeestiones  de  Ctelo  et 

scriptœ,  p.  4.  mando   et  des   Qmestiones  de  Substantia   orbis 

'''  H  n'est  pas  vrai  qu'il  existe  à  la  biblio-  remontant  n  i488.  Elle  est  pourtant  indiquée 

thèque   de  Saint-Marc  de  Venise,  comme  le  par  H.  Wharton  (Cave,  II,  Suppl.,  36)  et  par 

rapporte  M.   Bald.  Labanca  {Manilio   da  Pa-  C.  Oudin  (III,  883). 
dova,    Padoue,    1883,   in-8%   p.    118),   une  '''  Quwst.  mper  libr.  Physic,  \IU,  qu.  6. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  M.\RSILE  DE  PA130UE.  543 

sont-ils  légers  ou  lourds  (I,  i3)?le  ciel  est-il  altérable  (I,  17)?  une 
sphère  infinie  a-t-elle  un  centre  (I,  20)?  le  ciel  est-il  un  composé 
de  matière  et  de  forme  (1,  28)  ?  peut-il  y  avoir  plusieurs  mondes  (1, 
24)?  le  ciel  est-il  mû  avec  fatigue  et  peine  (11,  2)?  le  ciel  est-il 
animé  (II,  4)?  est-ce  la  lumière  qui  engendre  la  chaleur  (II,  12)? 
la  terre  est-elle  le  milieu  du  monde  (II,  16)?  etc.  Il  va  sans  dire 
que,  pour  la  solution  de  ces  divers  problèmes,  dont  quelques-uns 
sont  du  ressort  de  fastronomie ,  les  raisonnements  subtils  et  les  citations 
d'Aristole  ou  d'Averroès,  parfois  aussi  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
tiennent  lieu  d'observations  personnelles. 

Dans  ce  traité,  d'ailleurs,  comme  dans  les  Questions  sur  la  Phy- 
sique, Jean  de  Jandun  se  montre  également  attentif  à  dégager  les 
vérités  religieuses.  S'agit-il  de  la  création?  «Nous  devons,  dit-il, 
«croire  fermement  que  Dieu  a  tout  créé  de  rien,  conformément  à 
«l'enseignement  des  saints  docteurs  »  (I,  29).  S'agit-il  de  la  toute- 
puissance  divine.^  «En  y  croyant,  dit-il,  nous  avons  un  mérite,  car 
«le  mérite,  suivant  saint  Augustin,  commence  là  où  finit  l'obser- 
«  vation  rationnelle»  (I,  34)-  Et  ailleurs,  il  déclare  encore  :  «Dans 
«  notre  loi,  tout  est  vrai,  et  prouvé  par  des  miracles  de  Dieu  »  (II,  2). 

4°  et  5"  ExposiTio  et  qujEstiones  super  libro 

DE  SUBSTANTIA  ORBIS. 

Deux  manuscrits  de  cet  ouvrage  existent  dans  la  bibliothèque  de 
Saint-Marc  de  Venise*''  (cl.  xii,  17  et  19).  Le  même  ouvrage  a  été 
imprimé  à  Venise  dès  i48i,  puis  à  Vicence,  en  i486,  de  nouveau  à 
Venise  en  i488'^',  en  i493,  par  les  soins  de  Boneto  Locatelli,  après 
revision  du  texte  par  les  deux  frères  Ermites  Secondo  Contareno 
et  Paul  de  Palerme,  puis  en  1496,  en  i5oi,  en  i5o5,  en  i5i4  et 
en  i552*^'. 

Inc.  :  In  hoc  tractatu  intendimus  perscrutari  de  rébus  ex  quibus  componitur 
corpus  caeleste.  .  .  [Texte  d'Averroès.)  Liber  iste  qui  intituiatur  De  Substantia  orbis 
dividitur  in  proœmium  et  executionem .  .  . 

<''  Un  troisième  est  signalé   par  Tomasini  '''  D'après  J.  Valentinelii ,  Bibliotheca  manu- 

(Bihliothecœ     Patavinœ    manascriplœ ,    Udine,  scripta  ad  S.  Marci  Venetiarum,  i.  \\o.  i^. 
1639,  in-4°,  p.  36)  comme  existant  dans  la  '''  Hain,  n°' 7464,  i55o4et  iSSoy;  Panzer, 

bibliothèque  de  Saint-Antoine  de  Padoue.  Il  ne  III,  n°  546;  Graesse,  III,   23.  Cf.  plus  haut, 

figure  plus  dans  le  Catalogue  Josa.  p.  542 ,  note  2. 


544 


JEAN   DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


Des.  :  .  .  .  Non  oportet  rorpora  cœlestia  corruptibilia  esse  sicut  inferiora,  propter 
appetitum  ad  diversas  formas  cjuas  nata  est  habere  materia,  et  non  habet;  causa 
jam  dicta  est  '''. 

Il  ne  s'agit  point  ici  d'un  commentaire  direct  sur  un  traité  d'Aris- 
tote,  mais  d'une  exposition,  puis  d'une  série  de  questions  relatives  à 
ce  traité  d'Averroès  De  Sahstantia  orbis  que  Jean  de  Jandun,  dans  sa 
préface  aux  Questions  sur  la  Physique,  désignait  lui-même  comme 
le  complément  des  livres  du  Ciel  et  du  monde  *^'.  Notre  auteur  repro- 
duit le  texte  même  du  philosophe  arabe,  ou  du  moins  de  la  com- 
pilation admise,  sous  son  nom,  dans  le  corps  des  écrits  aristoté- 
liques^^'; il  y  entremêle  sa  propre  glose,  souvent  assez  développée; 
puis  il  pose  et  résout  un  certain  nombre  de  questions  que  lui  a  sug- 
gérées l'élude  de  ce  livre.  Plusieurs  figurent  déjà  dans  les  Ques- 
tions sur  le  livre  du  Ciel  et  du  monde,  une  au  moins  dans  les  Questions 
sur  les  livres  de  Physique  '*'.  ' 

6"    Qv.ESTIO   NVM  AUGMENTATIO  SIT  POSSIDILIS. 

Un  opuscule  portant  ce  titre  se  trouve  sous  le  nom  de  Jean  de 
Jandun  dans  un  manuscrit  du  xv'  siècle  conservé  à  la  bibliothèque 
de  Saint-Marc  de  Venise  (cl.  x,  221,  fol.  198-200). 

Inc.  :  Quaeritur  utrum  augmentatio  sit  possibilis .  .  . 

Il  est  permis  de  se  demander  si  ce  n'est  pas  un  fragment  de  cer- 
tain traité  De  Augmenta  auquel  renvoie  Jean  de  Jandun  dans  Ses 
Questions  sur  la  Physique  '*'. 


'"'  Cependant  ie»  trois  dernières  questions 
ne  sont  peut-être  pas  de  Jean  de  Jandun;  en 
ce  cas ,  l'ouvrage  de  ce  phiioso|)he  se  termine- 
rait par  les  mots  suivants  :  Imo  reducunlur 
ad  ipsum  simpliciter  primum,  el  sic  palet  ad 
(juœstionem. 

'"'  Beaucoup  de  gens,  écrit-il,  font  peu  de 
cas  de  ce  traité ,  parce  qu'Averroès  y  somlile 
emprunter  toutes  ses  pensées  à  Ai-istote  ;  en 
réalité,  c'est  un  commentaire,  précieux  dans 
sa  brièveté .  d'une  des  parties  les  plus  obscures 
de  la  philosophie  péripatéticienne  :  «  Semper 
■  Aristoteles  de  natura  corporum  celestium  cl 
•ceorum  motoribus  obscura  necnon  et  dubia 
«dicere   videtur.  »  Jean  de   Jandun   reproche. 


d'ailleurs,  aux  philosophes  modernes  de  ne 
point  comprendre  Averroès,  faute  de  le  raj)- 
procher  du  texte  d'Aristott;  qu'il  commente. 

<'•  Voir  Benan ,  Averroès  (  a*  éd.) ,  p.  45  et  s. 

<''  Qu.  12  :  «An  primiis  motor  sil  iniiniti 
«  vigoris.  »  Voir  aussi  Pbysic,  VIII,  qu.  aa. 
Cf.  Renan ,  p.  34 1  • 

''>  Lib.  V,  qu.  8  :  «Consequenter  quieri 
«  soletutnun  ad  quantitatem  possit  esse  motus. 
«  Sed  quia  de  hoc  dictum  est  in  tractatu  De 
«Augmenlo,  ideo  hic  non  scribo  :  sed  cui  fuerit 
«  curae  videat  illud  opus.  »  —  Dans  le  ms. 
d'Oxford  Canonici  Miscell.  407  (fol.  8i') 
ce  passage  présente  quelques  variantes,  qui 
n'en  modifient  point  le  sens. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE.  545 


7°  et  8°  De  Sensu  agente. 

Un  manuscrit  du  xiV  siècle  provenant  de  la  maison  de  Sorbonue, 
le  latin  16089  de  la  Bibliothèque  nationale,  contient,  sur  le  sujet  du 
Sens  actif,  deux  dissertations,  vraisemblablement  inédites,  dont  la 
première  seule  (fol.  160-166)  porte  le  nom  de  Jean  de  Jandun'''. 

Inc.  :  Sophisma  de  Sensu  agente,  scriptum  a  Johanne  de  Genduno  per  scptom 
folia.  —  Licet  humana  natura  multis  modis  aliis  entibus  pneferatur,  verumtamen 
hune  dignitatis  excessum  ab  omnibus  vigentibus  intellectu  conceditur  obtinerc 
quod  non  solum  operatur,  sed  etiam  suae  operationis  comprehendit  subjectum  atque 
modum .  .  . 

Des.  :  Si  autem  vera  sunt  omnia  aut  major  pars,  ut  credimus,  regratietur  iiii 
vero  doctori  qui  mentem  illuminât  et  veritatem  ostendit.  Explicit  Sophisma  de 
Sensu  agente,  ordinatum  a  magistro  Johanne  de  Genduno,  anno  Domini  m°  ccc°  \". 

La  seconde  dissertation  (fol.  167-170)  n'est  précédée  d'aucun 
titre,  mais  paraît  faire  suite  à  la  première  : 

Inc.  :  In  antécédente  praedicto  dubitaverunt  priores  et  posteriores  ;  et  fuit  et  est  eis 
quaestio  non  modica  quid  in  hoc  fuerit  mens  Aristotelis .  .  . 

Des.  :  Et  rogo  ut  videntes  hoc  plus  moveat  commune  et  veriim  quam  proprium 
aut  dilectum. 

Cette  seconde  dissertation  est,  comme  la  première,  évidemment 
l'œuvre  de  Jean  de  Jandun^^'  :  elle  contient  des  développements  fort 
semblables  par  le  fond  et  la  forme  à  ceux  qu'on  retrouve  dans  le 
traité  de  l'Ame  du  même  auteur'^',  au  chapitre  correspondant,  et, 
de  plus,  elle  est  citée  par  Jean  de  Jandun,  dans  ce  traité  de  l'Ame, 
comme  un  de  ses  ouvrages  antérieurs''''.  Nous  avons  relevé  plus  haut 
cette  citation  pour  montrer  qu'il  n'y  avait  point  à  attacher  grande 
importance  aux  dates  de  i3io  et  de  i3oo  assignées  respectivement 
par  les  manuscrits  de  Paris  et  d'Oxford  aux  traités  de  Jean  de  Jandun 
du  Sens  actif  et  de  l'Ame. 

''>  Toinasini    (  Bibliothecœ   Patavinœ   manu-  qui  renfermait  le  De  Setuu  agente  de  Jean  de 

scriptœ,  p.  âg)  a  signalé  un  manus<;rit  du  De  Jandun. 

Sensu  agente  de  Jean  de  Jandun  dans  la  biblio-  '*'  C'est   ce   que   M.   Hauréau    inclinait    à 

thèque  de  San  Giovanni  di  Verdara  de  Padoue.  croire,  quand  il  publia  la  description  du  nis. 

Beaucoup  de  manuscrits  de  cette  abbaye  ont  latin  16089  {l^otices  et  extraits,  XXXV,  aag). 

passé  à  la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de  Ve-  '^'   Lib.  Il,  qu.  16. 

nise:  tel  ne  parait  pas  avoir  été  le  cas  de  celui  '*'  Voir  plus  haut,  p.  629,  note  i4- 

UIST.   LITTÉB.  XXXnl.  69 


546 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


Y  a-t-il  quelque  action  dans  la  sensation,  en  d'autres  termes,  un 
sens  actif  dans  l'àme  sensitive  ?  Telle  est  |a  question  qu'Averroès  avait 
laissée  indécise  *'',  et  qui  ne  manquait  pas  de  préoccuper  beaucoup 
l'École  à  cette  époque.  Jean  de  Jandun  estime  qu'il  existe  dans  l'àme 
sensitive  un  principe  actif  pour  recevoir  la  sensation  et  en  avoir  con- 
science'^'. A  ce  propos,  il  argumente  contre  deux  de  ses  contemporains 
et  confrères  {socii) ,  docteurs  fort  experts,  dit-il,  en  philosophie  aristoté- 
licienne, qu'il  désigne  seulement  par  ces  expressions  «le  plus  vieux» 
et  «le  plus  jeune».  A  l'un  comme  à  l'autre  il  fait  des  concessions, 
mais  il  se  sépare  d'eux  sur  certains  points.  Il  ne  réussit  pas,  d'ailleurs, 
à  donner  de  son  système  une  idée  bien  précise  et  bien  nette  *^'. 

9"    Qu.ESTIONES  SVPER  TRES  LIBIiOS  ArISTOTELIS  DE  AnIMA. 

Il  existe  deux  rédactions  des  Questions  sur  l'Ame  de  Jean  de 
Jandun,  l'une  et  l'autre  postérieures  aux  deux  petits  traités  du 
Sens  actif'*'.  L'une  des  deux,  la  seule  qui  ait  été,  croyons-nous, 
publiée'*',  subsiste  dans  le  ms.  latin  653 i  delà  Bibliothèque  nationale 
(fol.  6 1-1 8^),  dans  le  ms.  Canonici  Miscell.  /i66  de  la  bibliothèque 
Bodléiennne  ^*',  dans  le  ms.  xx.  432  delà  bibliothèque  de  Saint-Antoine 


''1  Fol.  i6o  r°  :  «  Commentator .  ...  in  11° 
«  De  Ariiiim ,  movet  istain  qnaestionein ...  ;  in  ea 
«dubitans,  eam  indeterminatatn  posteriorutn 
«  deterininationi  dimisit.  •  Cf.  Renan ,  Averroès , 
«p.  349,  35o. 

'*'  Fol.  161  r°  :  «Poneinus  sensum  agentem 
«  principium  elTectitium  immediatum  sensa- 
11  tionis,  quiB  recipitur  in  sensu  passive  disposito 
«  per  speciem  sensibilem  ei  impressam  a  sensi- 
«  bili  et  imaginatione.  > 

'''  Fol.  1 69  v°  :  «  Gonvenit  ergo  dictio  nos- 
«  tra  cum  sententia  Senioris  magistri  in  hoc  quod 
«  vim  sensitivain  putamas  unum  principium  om- 
•  nino  secunduni  essentiam  et  actum.  Diversatur 
«  tamen  in  hoc  quod  dicit  ipse  species  sensibilium 
«  actus  primos  aut  motores  propinquos  ad  opéra 
«  sensuum  :  nos  autem  dicimus  quod  motor  per 
«  se  ad  ipsum  sentire  fuit  generans  sensum  ;  sen- 
«  sus  autem  secundum  primam  perfectionem  ex 
«  se  exit  in  actum ,  sine  per  se  motore ,  nisi  ali- 
«  quid  prohibeat  aut  dcficiat.  Juniori  vero  conve- 
«  niemus  in  hoc  <|uod  non  dicimus  sensum  se- 
«  rundum  primam  perfectionem  receptionem 
«  pure  ipsius  senlire,  sicut  dicebat  Senior  :  imo 


«  dicimus  ipsum  actum ,  quo  modo  dici  potest 
«  agere ,  quod  ex  prima  perfectione  exit  in  pos- 
«tremam,  cum  fuerit  potentia,  non  per  se. 
«  Diversamur  tamen  ab  ipso ,  quia  non  dicimus 
»  vini  sensitivam  distingui  in  activum ,  quod 
«  vocat  sensum  agentem ,  et  receptivum ,  quod 
«  vocat  sensum  passivum:  imo  dicimus  vim  sen- 
«  sitivam  quamlibet  unam  essentia  et  diffini- 
«tione,  incedendo  via  quasi  média  inter  eos, 
«  cum  convenientia  tamen  et  diversitate.  » 

'*>  Voir  plus  haut,  p.  big,  note  i4. 

'*'  Venise,  1473,  i48o  (à  deux  reprises), 
1487,  i488,  i/ig4,  1497,  i5oi,  1607,  i55a 
eti56i. —  J.S'iimeT  {Bibliotheca .  ...  p.  46o), 
H.  Wharton  (Cave,  II.Suppl.,  36)et  C.Oudin 
(III,  883)  citent  aussi  une  édition  de  cet  ou- 
vrage datée  de  Vicence ,  1 486 ,  la  même  peut- 
être  que  M.  B.  Labanca  [Manilio  da  Padova, 
p.  118)  cite  sous  la  date  de  Vicence,  i484. 

<•'  Bel  exemplaire,  orné  de  lettres  peintes, 
que  le  scribe  Simon  d'Alcmaria  acheva  de 
transcrire ,  le  8  juillet  1 463 ,  en  la  demeure 
de  M*  Louis  «  de  Serevallo  » ,  alors  étudiant  à 
Padoue. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSH.E  DE  PADOUE. 


547 


de  Padoue  et  dans  le  ms.  cl.  x.  yS  de  la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de 
Venise. 

Inc.  :  Prohœmium.  Inest  enim  mentibus  hominum  veri  boni  naturaiis  inserta 
cupiditas,  sed  ad  falsa  devius  error  adducit'''. 

Des.  :  Ea  quae  fides  catholica  réfutât  falsa  esse  non  dubito ,  reliqua  verp  esse  vera 
aut  probabilia  dicere  non  diflido,  ad  laudem  Dei  bealissimaeque  Virginis  Mariœ. 
Amen  l^'. 

Une  autre  rédaction  des  Questions  sur  l'Ame  de  Jean  de  Jandun, 
probablement  antérieure,  est  fournie  par  le  ms.  Canonici  Miscell. 
242  de  la  bibliothèque  Bodléienne,  qui  peut  remonter  à  la  fin  du 
xiv"  siècle,  par  le  ms.  Medic.  Fesul.  i6o  de  la  Laurentienne,  qui  date 
de  i438,  par  un  manuscrit  de  Coventry  (King  Henry  VIII  School), 
daté  de  i44i'^',  par  le  ms.  43 1  de  Turin'*',  par  le  ms.  cl.  x.  74  de 
la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de  Venise  et  par  le  ms.  xvii.  38 1  de  la 
bibliothèque  de  Saint-Antoine  de  Padoue**'. 

Inc.  :  Bonorum  honorabilium  notitiam  opinantes,  etc.  Circa  istum  librum  de 
Anima  primo  quœritur  utrum  de  anima  possit  esse  scientia. 

Des.  :  Ea  quœ  fides  cathoiica  réfutât  faisa  esse  non  dubito  ;  reliqua  autem  vera 
esse  aut  probabilia  dicere  non  diffido.  Expliciunt  Quœstiones  super  librum  de  Anima 
ordinatœ  per  magistrum  Johannem  de  Janduno.  Deo  gratias. 

Les  questions  traitées  dans  les  deux  premiers  livres  de  cette 
rédaction  n'y  sont  pas  toujours  les  mêmes  que  dans  l'autre,  y  sont 
moins  nombreuses  et  se  présentent  dans  un  ordre  différent.  Nous  en 
donnons  ci-dessous  la  liste,  en  indiquant  entre  crochets  le  numéro 


'  '  Le  ms.  de  Paris  ne  contient  pas  ce  préam- 
bule ;  le  traité  y  commence  par  ces  mots  :  «  Circa 
«  hune  librum  quœritur  primo  utrum  de  anima 
a  sit  scientia ...» 

'''  Le  traité  finit  autrement  dan»  le  ms.  de 
Paris  :  •  Ad  alias  rationes  patet  solutio  per  dis- 
«  tinctionem  positam,  pro  cujus  operum  com- 
«  pletione  Deus,  una  cum  sua  matre  gloriosa, 
«  sit  benedictus  in  sccula  secuiorum.  Amen.  » 

'''  Le  nombre  des  questions  (  89  )  que  ren- 
ferme ,  dans  le  manuscrit ,  le  traité  de  Jean  de 
Jandun  parait  convenir  à  cette  rédaction ,  plutôt 
qu'à  ceue  qui  a  été  signalée  en  premier  lieu. 
D'après  le  Catahgus  gêner,  nianuscriptor.  Angliœ 
de  Bernard  (II,n°  i46o),  le  manuscrit  de  Co- 


ventry aurait  été  copié ,  en  1 44 1 ,  par  Thomas 
Clare,  moine  de  Bury-Saint-Edmund's. 

'*'  N"  du  catalogue  Pasini.  Ce  manuscrit  a 
beaucoup  souflFert  lors  de  l'incendie  de  igo4- 

'''  Deux  autres  manuscrits  de  la  bibliothèque 
de  Saint-Marc  (cl.  x.  ^5  et  76)  contiennent 
le  même  ouvrage  de  Jean  de  Jandun,  nous 
ne  savons  d'après  quelle  rédaction.  Dans  un 
manuscrit  du  xvi'  siècle  de  la  même  biblio- 
thèque (-cl.  X.  82  ) ,  des  extraits  du  même  traité 
de  Jean  de  Jandun  sont  intercalés  au  milieu 
d'un  ouvrage  de  Pierre  Trapolino  (fol.  2i-a3, 
64,  65).  Quant  au  ms.  aSi  d'Utrecht,  il  ne 
contient  que  les  Questions  de  Jean  de  Jandun 
sur  le  troisième  livre  d'Aristote. 


69. 


548  JEAN  DE  JVNDUN  ET  MARSILE  DE  PAIX)UE. 

d'ordre  qu'occupent  dans  les  éditions  celles  de  ces  questions  qui  sont 
communes  aux  deux  rédactions  : 

LiB.  I. 

1.  Utrum  de  anima  possit  esse  scientia  [i]. 

2.  Utruin  scientia  de  anima  sit  una. 

3.  Utrum  anima  sit  subjectum  in  ista  scientia,  et  intelligitur  subjectum  de  quo, 
non  in  quo  [3]. 

4.  Utrum  omnis  notitia  sit  de  numéro  bonorum  honorabilium  [4]. 

5.  Utrum  scientia  de  anima  sit  utHis  [5]. 

6.  Utrum  ista  scientia  sit  de  numéro  difïiciUimorum  [6]. 

7.  Utrum  conférât  ad  cognoscenduni  substantiam  [  lo]. 

8.  Utrum  anima  habeat  aliquam  operationem  sibi  propriam   [i  i]. 

9.  Utrum  logicus  dii&niat  per  formam  [j  a]. 

10.  Utrum  naturalis  diffiniat  per  materiam  [i3]. 

LiB.  II. 

1 .  Utrum  anima  sit  substantia  [  i  ]. 

2.  Utrum  omnis  anima  sit  actus  primus  corporis   [5]. 

3.  Utrum  diffinitio  anima;  sit  bene  assignata  [3]. 

4.  Utrum  ex  anima  et  corpore  fiât  unum  per  se  [4]. 

5.  Utrum  unumquodque  iiïorum  sit  anima. 

6.  Utrum  tota  anima  sit  in  qualibet  parte  corporis  animati  [7]. 

7.  Utrum  potentia;  animœ  fluant  ad  esse  animae. 

8.  Utrum  generare  sibi  simile  sit  naturale  viventibus  [11]. 

9.  Utrum  generare  sibi  simile  et  nutriri  et  augmentari  sit  ab  anima  [12]. 

'"  10.  Utrum  potentia  generativa  et  augmentativa  et  nutritiva  sint  diversae  potentiie 
animœ  [1  3]. 

1 1 .  Utrum  sensus  sit  virtus  passiva  [1  4]. 

12.  Utrvun  sensibile  redurat  sensum  de  potentia  ad  actum  [1 5]. 

13.  Utrum  in  anima  sensitiva  sit  aliquis  sensus  agens  [16]. 

14.  Utrum  sensus  particularis  possit  decipi  circa  suum  proprium   sensibile  [17]. 

15.  Utrum  sensibilia  communia  sint  sensibilia  per  se  [18]. 

16.  Utrum   écho   sit  idem   sonus   cum   primo  sono  et  cum  sono   pra-cedente 
ipsum  [23]. 

17.  Utrum  odor  se  faciat  in  medio  realiter  [24]- 

18.  Utrum  lux  conférât  colori  formam  vel  habitum  per  quem  moveat  visum  [19]. 

19.  Utrum  lumen  sit  corpus  [20]. 

20.  Utrum  color  sit  primum  objectum  visus  [ai]. 

2 1 .  Utrum  sonus  sit  realiter  in  aère  ut  in  subjecto  [22]. 

22.  Utrum  homo  habeat  pejorem  olfactum  cœleris  animaiibus'"  [28]. 

'■'  Cette  question  fait  partie  des  Questions  de  Jean  de  Jandun  sur  les  Pann  natiiralia  d'Aiis- 
totp  [De  Sensu  et  seiisaUi,  (ju.  20). 


JEAN  DE  JANDLIN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


549 


23.  Utrum  tactus  sit  unus  sensus  [2 y]. 

24.  Utium  tactus  indigeat  medio  tîxtraneo  [28]. 

25.  Utrum  sensibile  positum  supra  sensum  faciat  sensationem  [29]. 

26.  Ulnim  ista  propositio  sit  vera  :  Omnis  sensus  est  receptivus  specieriim  sine 
materia  [3o]. 

27.  Ûtrum  species  rei  sensibiiis  recepta  in  sensu  sit  idem  essentialiter  cum  ipso 
sentire  [3i]. 

28.  Utrum  sensus  sint  quinque  [32  ] . 

29.  Utrum  sensus  particularis  cognoscat  suam  propriam  operationem  [33]. 

30.  Utrum  sensibile  agat  in  sensum  [34]. 

31 .  Utrum  exceilens  sensibile  comimpat  sensum  [35]. 

32.  Utrum  sensus  communis  sit  unus  sensus  [36]. 

33.  Utrum  phantasia  sit  idem  cum  sensu  [37]. 

34.  Utrum  animalia  respirantia  et  non  respirantia  habeant  eumdem  odoratum'^' 
[26]. 

Ce  traité,  l'un  des  plus  fameux  et  des  plus  recherchés  de  Jeau  de 
Jandun,  à  en  juger  par  le  nombre  des  manuscrits  qui  en  subsistent  et 
des  éditions  qui  en  ont  été  anciennement  données''^*,  aborde  quelques- 
uns  des  problèmes  philosophiques  les  plus  discutés  dans  l'École,  tels 
que  celui  de  l'antériorité  des  universaux  ou  des  individus'^',  celui 
du  sens  actif  (II,  i6),  dont  Jean  de  Jandun  avait  fait  précédemment 
l'objet  de  deux  dissertations  spéciales,  celui  de  l'unité  de  l'intellect 
humain  (III,  7,  10). 

L'intellect  est-il  unique  dans  tous  les  hommes?  Sur  cette  question 
capitale  notre  auteur  a  bien  de  la  peine  à  .se  décider  entre  les  raisons 
contraires'*'.  Il  expose  d'abord  la  thèse  d'Averroès,  donne  ensuite  les 
arguments  opposés,  «  qu'il  présente  sous  le  nom  d'Albert  le  Grand. 
«  Puis  il  argumente  très  longuement  contre  ces  raisons,  cherchant 
«  à  prouver  qu'Aristote  a  frayé  le  chemin  dont  Averroès  ne  s'est 
«pas,  comme   on  le  pense,  écarté.  Enfin,  il  aborde  les  objections 


'"'  C'est  à  la  suite  de  cette  dernière  question 
sur  le  livre  II  du  traité  de  l'Ame  que  se  lit  la 
date  de  i3oo,  que  nous  avons  mentionnée  plus 
haut  (p.  529,  note  i3),  et  au  sujet  de  laquelle 
nous  avons  fait  toutes  les  réserves  nécessaires. 

'*'  Karl  Werner  en  a  fait  l'objet  d'une  étude 
spéciale  [Der  Averroismus  in  der  christlich-peri- 
patetischen  Psychologie ,  dans  Siiziingsber.  der 
phil.-hist.  Classe  der  k.  k.  Akad.  der  IVissensch., 
Vienne,  1881,  t.  XCVIII,  i,  p.  366-388 ).  Cf. 


du  même  auteur,  Der  Endausgang  der  mittel- 
alterlichen  Scholastik  (Vienne,  1887,  in-8°). 

'''  Lib.  I,  qu.  8,  9. —  Ici  et  dans  toutes 
les  citations  suivantes,  nous  renvoyons  au  texte 
des  éditions. 

'*'  Voir  dans  Renan  [Averroès,  p.  34i),  et 
mieux  encore  dans  K.  Werner  [Der  Aver- 
roismus, p.  371  et  suiv.),  un  résumé  des 
arguments  de  Jean  de  Jandun  et  de  ses  objec- 
tions sur  ce  point. 


550  JEAN  DE  JANDUN  ET  MAUSILE  DE  PADOUE. 

«  faites  à  cetto  thèse  dans  l'intérêt  de  la  foi  catholique,  les  trouve  sans 
M  valeur  :  il  est  impossible  de  démontrer  l'individualité  native  des 
a  âmes.  Cependant,  il  faut  croire,  ou  se  faire  compter  parmi  les  héré- 
«  tiques.  Il  y  croit  donc,  mais  solajide,  comme  à  un  miracle ''l  Sa  rai- 
M  son  proleste  :  néanmoins  elle  doit  se  soumettre,  et  très  humblement 
«  elle  se  soumet'^'.  » 

À  propos  du  fameux  problème  de  la  pluralité  des  formes  substan- 
tielles, il  nous  donne  le  même  spectacle  de  son  incapacité  à  concilier 
ce  qu'il  croit  être  la  science  avec  la  foi  catholique.  S'il  finit  par  se  ran- 
ger contre  Aristote  du  côté  de  saint  Thomas,  ce  n'est  point  du  tout 
qu'il  juge  la  thèse  thomiste  logiquement  défendable,  c'est  parce  qu'il 
ne  découvre  pas  d'autre  manière  de  sauvegarder  le  principe  d'une  in- 
telligence créée  et  néanmoins  immortelle  :  «  Quelle  que  soit  l'opinion 
«  d'Aristote  et  d'Averroès,  et  bien  qu'ils  ne  puissent  en  avoir  d'autre 
«  d'après  l'observation  des  choses  sensibles,  je  me  sépare  d'eux  sur  ce 
«  point,  écrit-il.  Je  dis  que  l'àme  intellective  de  l'homme  est  une  forme 
«  communiquant  son  être  à  tout  le  corps  humain;  je  dis  qu'elle  est  ab- 
M  solument  indivisible,  qu'elle  n'est  pas  par  elle-même  étendue,  qu'elle 
«  ne  l'est  point  non  plus  par  accident ,  et  qu'elle  parfait  l'ensemble 
«  du  corps  humain ,  ainsi  que  toutes  les  parties  de  ce  corps,  sans  le  con- 
«  cours  d'aucune  autre  forme  substantielle  inhérente  à  la  matière;  je 
«  dis  que  cette  àme  intellective  a  commencé  d'exister,  qu'auparavant 
«  elle  n'existait  point,  qu'elle  n'a  pas  été  engendrée,  mais  qu'elle  a  été 
a  créée  de  rien,  et  que  la  puissance  de  Dieu  la  rendra  désormais  im- 
«  mortelle.  Tout  ce  que  professent  à  cet  égard  les  catholiques  fidèles, 
«je  le  déclare  vrai,  sans  la  moindre  hésitation,  mais  je  ne  saurais  le 
«  démontrer.  S'il  en  est  qui  le  savent,  tant  mieux  pour  eux!  Quant  à 
«  moi,  je  me  bornerai  à  faire  ici  un  acte  de  foi.  Je  répondrai  de  la 
«  même  manière  aux  objections  :  oui ,  sans  doute,  toute  forme  inhérente 
«  à  la  matière  est  corruptible;  cependant  je  dis  qu'il  est  en  la  puissance 
«  de  Dieu  de  rendre  une  forme  perpétuelle  et  de  la  préserver  étemelle- 
«  ment  de  la  corruption.  Comment  cela?  Je  l'ignore.  Lui  le  sait^^'.  » 

'"'  •  Hoc  non  video  possibile  nisi  solum  per  sommes  inspirés  de  sa  traduction.  —  Jean  de 

divinum  miraculum.  •  Jandun  reproduit  la  même  déclaration  presque 

'*'  B.  Hauréau,  Hisl.  de  la  philos,  scolast.,  dans    les    mêmes    termes   un    peu    plus   loin 

a'partie,  11,285.  (lib.  lll,qu.  ag)  :  «Sicdiceretur  adquœstionem 

'''  Lib.  III,  qn.  i a.  Ce  passage  important  a  «secundnm   Arisfotelem   et  Commentatorem. 

été  traduit  par  M.  Hauréau  (p.  a86);  nous  nous  «  Sed  dico  et  indubitanter  assero  quod  anima 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


551 


Plus  loin  encore,  c'est  à  propos  de  la  théorie  du  libre  arbitre  que 
Jean  de  Jandun,  obligé  de  se  séparer  d'Aristote,  déclare  renoncer  à 
faire  usage  de  sa  raison  :  «  J'affirme  simplement ,  dit-il ,  que  la  volonté 
«  humaine  est  tellement  hbre  qu'elle  peut  repousser  ce  qui  lui  est 
€  présenté  comme  un  bien  par  l'intellect  pratique.  Je  ne  saurais  le 
«prouver,  mais  je  le  crois,  par  un  simple  acte  de  foi'*'.  » 

Celte  aflFectation  à  déclarer  les  principes  de  la  philosophie  chré- 
tienne indémontrables  ou,  pour  mieux  dire,  irrationnels,  cette  habi- 
tude constante  d'opposer  à  une  foi  aveugle  et  résignée  une  science 
soi-disant  irréfutable,  la  science  d'Aristote  ou  celle  d'Averroès,  ont 
fait  douter  de  nos  jours  de  la  sincérité  des  déclarations  orthodoxes 
de  Jean  de  Jandun  :  on  l'a  soupçonné  de  ne  tant  insister  sur  le  mérite 
de  sa  croyance  que  parce  qu'il  ne  croyait  guère;  et  dans  sa  façon 
d'étayer  uniquement  sur  la  révélation  les  thèses  de  la  philosophie 
catholique,  on  a  vu  comme  un  parti  piis  de  décrier  celte  philo- 
sophie *'^.  Pour  qui  connaît  la  suite  de  la  carrière  de  notre  auteur  et 
l'évolution  que  marquent  ses  dernières  années,  cette  appréciation 
semble  séduisante.  Il  serait  cependant  téméraire  de  taxer  d'hypo- 
crisie des  actes  de  soumission  aux  enseignements  de  l'Église  qui  pou- 
vaient être  sincères  en  i3io  ou  en  iSao.  On  peut  admettre  au  moins 
que  l'espèce  de  fascination  exercée  sur  l'esprit  de  Jean  de  Jandun  par 
les  doctrines  néo-péripatéticiennes  et  le  trouble  jeté  dans  ses  croyances 
par  ses  études  philosophi([ues  l'ont  prédisposé  à  devenir  l'audacieux 
novateur  et  le  prélat  schismatique  qu'il  fut  dans  la  dernière  période 
de  sa  vie. 


•  intellectiva  humana  non  est  seterna  a  parte 
«  anle ,  sed  incipit  esse  de  novo ,  non  quidem  per 
«  gênera tionem  ab  aliquo  agente  particulari ,  sed 

•  per  creationem  ab  ipso  Dec ,  creatore  omnium  ; 

•  et  tamen  erit  aeterna  in  futurum  Dei  voluntate. 
«  Sed  istas  veritates  demonstrare  aut  verbis  aut 
«  principiis  philosophorum  gentiliiun  concordes 
«esse  ostendere  non  pr;Esumo,  nec  credo  esse 
«  possibile.  Melius  autem  reputo  dicere  eos  esse 
«  deceptos  quam  falso  aliquid  eis  imponere  cujus 

•  contrarium  intellexerunt.  Per  se  enim  menda- 

•  cium  pravum    est  et   fiigiendum,  secundum 

•  Aristotelem,  IV°  Etkic,  Has  ego  conclusiones 


«  assero  simpliciter  esse  veras  sola  fide ,  quia 
«  credo  potentiam  Dei  omnia  posse  facere.  Et 
«  eodem  principio  responderem  ad  omnes  ra- 
«  tiones  quibus  contra  illam  veritatem  arguitur. 
«  Concède  enim  omnia  quae  ex  eis  necessarlo 
«  sequuntur  esse  possibilia  divinae  potentiae. 
«  Quod  si  quis  demonstrare  sciât  et  principiis 
«  philosophorum  concordare ,  gaudeat  in  iflo , 
«et  ego  ci  non  invideo,  sed  eum  dico  meam 
«  capacltatem  excellere.  » 

<'l   Lib.IlI,qu.  41. 

'*'  B.  Haureau,  Hist.  de  la  pliilos.  scolasl. , 
a*  partie,  11,  p.  288. 


552  JKAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

10"  Qu^sTioNES  IIS  Parva  naturalia  Aristotelis. 

Sous  ce  titre  collectif  on  comprenait  d'ordinaire  les  sept  petits  traités 
d'Aristote  De  Sensu  et  sensato,  De  Memoria  et  reminiscentia,  De  Somno  et 
vigilia,  De  Causa  longitudinis  et  brevitatis  vitœ,  De  Juventute  et  senectute 
et  de  inspiratione  et  exspiratione ,  De  Morte  et  vita  et  De  Motibus  animalium. 
Tous  les  sept  ont  fourni  à  Jean  de  Jandun  le  sujet  d'un  certain  nombre 
de  Questions,  qui  se  trouvent  réunies  dans  le  manuscrit  de  la  biblio- 
thèque Bodléienne  Canonici  Miscell.  222,  daté  de  1421*'',  et  qui 
paraissent  avoir  été  publiées,  pour  la  première  et  la  dernière  fois,  à 
Venise,  en  i5o5,  par  les  soins  d'un  éditeur  déjà  souvent  nommé  au 
cours  de  cette  notice,  Boneto  Locatelli.  Le  philosophe  bien  connu 
Marc-Antoine  Zimara  ne  fut  pas  étranger  à  la  préparation  et  à  l'anno- 
tation de  cette  édition,  qui  comprend  également  un  opuscule  do 
lui'^l  A  la  hn  du  volume,  on  lit  un  petit  dialogue,  dans  lequel  Jean 
de  Jandun  est  supposé  remercier  Marc-Antoine  Zimara  d'avoir  tiré  de 
l'oubli  ses  Questions  sur  les  Parva  naturalia,  qui  semblaient  con- 
damnées à  ne  jamais  voir  le  jour. 

In  librum  de  Sensu  et  sensato.  Inc.  :  Utrum  de  communibus  passionibus  animae 
et  corporis  possit  esse  scientia .  .  . 

In  librum  de  Memoria  et  reminiscentia.  Inc.  :  Circa  istum  librum  primo  qu<eritur 
utrum  de  fiituris  possit  esse  scientia .  .  . 

In  librum  de  Somno  et  vigilia.  Inc.  :  Circa  librum  de  Somno  et  vigilia  primo 
quaeritur  utrum  de  somno  et  vigilia  possit  esse  scientia .  .  . 

In  librum  de  Causa  longitudinis  et  brevitatis  vitae.  Inc.  :  Circa  libnim ,  etc. ,  qu;e- 
ritur  primo  utrum  de  longitudine  et  brevitate  vitae  possit  esse  scientia .  .  . 

In  librum  de  Juventute  et  senectute.  Inc.  :  Circa  librum ,  etc. ,  quaeritur  et  primo 
circa  quasdam  suppositiones .  .  . 

In  librum  de  Morte  et  vita.  Inc.  :  Circa  librum,  etc.,  quaeritur  utrum  scientia  de 
morte  et  vita  sit  naturalis .  .  . 

In  librum  de  Motibus  animalium.  Inc.  :  Circa  istum  librum ,  etc. ,  quaeritur  utrum 
de  motibus  animalium  sit  scientia .  .  . 

A  titre  d'exemple,  nous  citerons  cette  question  :  un  homme  sourd 

'•'  Un  autre  manuscrit  du  xv*  siècle ,  conservé  !*  1 7  )  s*  *ur  le  De  Motibus  animalium  (  fol.  a66- 

à  la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de  Venise  (ci.  X,  389). 

76),  contient  seulement  les  Questions  de  Jean  <*'   Qutestio  de  Movente  et  moto,  de  intentione 

(le  Jandun  sur  le  De  Sensu  et  sensato  (fol.  217-  Aristotelis  et  siii  magni  commentatoris  Averroys , 

266),   sur    le    De  Somno  et   vigilia   (fol.   188-  contra  moder nos. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  553 

de  naissance  est-il  nécessairement  muet?  Jean  de  Jandun  ne  manquait 
pas  d'y  donner  une  réponse  affirmative  ''l  Et  cette  autre  :  quelle  langue 
parlerait  un  enfant  élevé  dans  une  forêt,  loin  du  commerce  des 
hommes?  Notre  auteur  repousse  fort  judicieusement  l'opinion  de 
quelques  personnes  qui  supposaient  que  ce  serait  l'hébreu  :  il  conteste 
à  cette  langue  le  titre  de  langue  primitive ,  et  conclut  que  l'enfant  en 
question  émettrait  des  sons  inarticulés'^'. 

Y  a-t-il  une  science  des  choses  futures  contingentes  ?  Non ,  à  propre- 
ment parler.  Il  est  possible  pourtant  de  former  des  conjectures  :  c'est 
à  quoi  s'efibrcent  de  parvenir  les  arts  magiques,  la  nécromancie,  la 
pyromancie.  Jean  de  Jandun  se  montre  assez  sceptique  sur  les  résul- 
tats obtenus;  toutefois  il  n'ose  proclamer  la  vanité  de  ces  procédés'^'. 
Au  moins  les  songes  peuvent-ils  annoncer  l'avenir?  Non,  puisqu'ils 
ne  sont  ni  les  effets,  ni  les  causes  des  événements  futurs'^'.  Si,  pour- 
tant, car  telle  est  l'opinion  d'Aristote;  telle  est  aussi  l'universelle 
croyance,  et  ce  que  tout  le  monde  admet  ne  peut  être  entièrement 
faux.  Cependant  Jean  de  Jandun  estime  que  l'art  d'interpréter  l'avenir 
par  les  songes  n'est  pas  une  science  certaine  à  l'égal  des  mathéma- 
tiques :  il  peut  se  faire  que  les  faits  annoncés  n'arrivent  pas.  On  ne 
devrait  se  servir  que  de  formules  prudentes  :  il  est  possible,  il  est 
probable  que  tel  événement  s'accomplisse.  De  plus,  cet  art  exige  une 
expérience  consommée  et  une  science  presque  universelle.  Il  est  diffi- 
cile de  l'acquérir,  et  peu  de  gens  s'y  essaient'*'.  Autre  difficulté  :  les 
songes  qui  font  prévoir  l'avenir  sont-ils  envoyés  par  Dieu?  Oui,  d'après 
Socrate,  Platon,  Apulée,  Simonide,  Avicenne  et  Al  Farabi;  non, 
d'après  Aristote.  Pour  Jean  de  Jandun,  il  est  de  l'avis  d'Albert  le 
Grand,  c'est-à-dire  qu'il  n'en  sait  trop  rien  :  ce  qui  l'embarrasse,  c'est 

3u'Aristote  est,  sur  ce  point,  bref  et  obscur,  qu'Averroès  l'aban- 
onne,  et  qu'il  y  a  sur  ce  sujet,  pour  ainsi  dire,  autant  d'avis  que  de 
philosophes'^'.  Il  se  demande  encore  si  un  homme  peut  par  des  lu- 
mières naturelles  prophétiser  l'avenir,  et,  cette  fois,  il  répond  affirma- 

'"'  De  Sensu  et  sensato,  qu.  7.  '''  Jean  de  Jandun  se  reprend  un  peu  plus 

Ibid.  loin  :  les  songes  sont  parfois  la  cause  de  laits 

'')  De    Memoria    et    reminiscentia ,    qu.    i  :  qui  se  produisent  postérieurement,  et,  d'autres 

«Pauci  taies  inveniuntur  veridici.  Non  tamen  fois,  ils  sont  amenés  par  la  même  cause  que 

«  puto  esse  impossibile  taies  artes  habere ,  quod  certains  phénomènes  subséquents, 

«quidam  fide  digni  dicunt  se  fuisse  expertes  '*'  De  Somno  et  vigilia ,  cfa.  aa. 

«veritatem  earum.i  <'l  Ibid.,  qu.  aS. 

niST.  LiTTÉB.  —  xxxm.  70 


554  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PAJXUJE. 

tivement,  parce  que  le  monde  sublunaire  subit  l'influence  des  cieux  : 
en  d'autres  termes,  s'il  ne  croit  guère  à  la  divination ,  et  si  les  songes  lui 
paraissent  obscurs,  il  se  montre, au  contraire,  plein  de  confiance  dans 
l'astrologie  '*l 

Les  Questions  de  Jean  de  Jandun  sur  les  Parva  naturalia  paraissent 
postérieures  à  ses  Questions  sur  le  traité  de  l'Ame  :  au  moins  avons- 
nous  relevé  un  passage  de  celles-ci  où  l'auteur  annonce  les  développe- 
ments qu'il  compte  donner  ultérieurement  à  propos  du  livre  de  la 
Mémoire  et  de  la  réminiscence'"^'. 

11°    Qu.^STJONES  IN  LIBRUM  DE  BONA  FORTUNA. 

Le  livre  De  Bonaforlnna,  attribué  à  Aristote,  se  compose  d'extraits 
de  la  Morale  à  Eudème.  Les  sept  questions  que  la  lecture  de  cet  opus- 
cule a  suggérées  à  Jean  de  Jandun  se  trouvent  jointes  à  ses  Qaœstioncs 
in  Parva  naturalia  dans  le  manuscrit  d'Oxford'^'  (fol.  126  v°-i42]  et 
dans  fédition  de  Venise  due  à  Marc-Antoine  Zimara. 

Inc.  :  Circa  iibellum  qui  de  Boua  fortuna  inscribitur,  quœrendum  est  primo 
utrum  de  bona  fortuna  sit  scientia. 

Des.  :  Per  hoc  aulem  patet  solutio  ad  quœstionem;  argumenta  autem  procedunt 
viis  suis ,  sicut  intuitu  patet. 

1 2°  Nouvelle  rédaction  dv  Commentaire  des  Problèmes  d' Aristote 

PAR  Pierre  d'Abano. 

On  se  souvient  que ,  dans  le  préambule  de  ses  Questions  sur  la  Phy- 
sique, Jean  de  Jandun  déplorait  fabsence  d'un  texte  correct  et  d'un 
commentaire  suffisant  des  Problemata  d'Aristote.  Aussi  dut-il  recevoir 
avec  une  singulière  satisfaction,  des  mains  de  son  ami  Marsile  de  Pa- 
doue,  le  texte  d'un  ouvrage  tout  récent  qui  comblait  cette  lacune  :  il 
s'agit  du  Commentaire  des  Problemata  que  le  célèbre  médecin  et  alchi- 
miste padouan  Pierre  d'Abano  avait  commencé  à  Paris  et  terminé  à 
Padoue,  en  i3io'''.  Les  démêlés  de  cet  auteur  avec  flnquisition  ne 
lui  avaient  fait,  paraît-il,  aucun  tort  dans  l'esprit  de  son  compatriote 
Marsile,  non  plus  que  dans  celui  de  Jean  de  Jandun'*'.  Ce  dernier  le 

'"'  De  Soiimo  et  vigilia,  qu.  24-  les  dernières  phrases  de  la  septième  Question. 

'''  Lib.  ni,   qu.   i5  :   «De  hoc  tamen  troc-  '*'  Tel    est,    du    moins,    le    renseignement 

■>  tandum  est  diiTusius  in  De  idemoria  et  remi-  fourni    par    l'édition  donnée   à   Mantoue,   en 

aniscentia.'  li'jb. 

''^'  11   manque  seulement  dans  ce  manuscrit  '')  On  a  cru  à  tort  que  l'ouvrage  de  Pierre 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


555 


qualifiait  de  «  glorieux  docteur»  et  se  vantait  d'être  le  premier  parmi 
les  régents  de  philosophie  de  Paris  à  connaître  ce  précieux  travail. 

Il  le  recopia  de  sa  main;  ou  bien  c'est  Marsile  de  Padoue  qui,  vou- 
lant lui  épargner  le  désagrément  de  lire  Pierre  d'Abano  dans  un  texte 
incorrect,  prit  soin  de  transcrire  lui-même  la  glose  de  son  compatriote  : 
il  est  permis  d'interpréter  de  ces  deux  façons  une  phrase  incorrecte  et 
obscure'^'.  En  tous  cas,  Jean  de  Jandun  se  proposait  de  faire  entrer 
le  livre  de  Pierre  d'Abano  dans  son  enseignement,  se  réservant  de  le 
commenter  ou  de  le  compléter,  devant  les  étudiants  de  l'Université  de 
Paris,  par  des  explications  orales. 

En  attendant,  il  en  donna  un  texte  quelque  peu  abrégé,  qu'il  fit 
précéder  d'une  préface  où  sont  relatées  les  circonstances  qui  viennent 
d'être  rappelées. 

Les  deux  manuscrits  qui  nous  ont  conservé  cet  ouvrage,  et  qui  ont 
peut-être  été  copiés  l'un  sur  l'autre,  se  trouvent  aujourd'hui  à  la  Bi- 
bliothèque nationale  (latin  6642)  et  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal 
(n°  728).  Le  premier  remonte  à  l'année  i385;  le  second,  plus  soigné, 
est  sans  doute  postérieur  et  a  appartenu  aux  artiens  du  collège  de 
Navaire,  c'est-à-dire  aux  successeurs  des  propres  élèves  de  Jean  de 
Jandun*"^'. 

Inc.  :  Jaxta  sententiam  Aristotelis  in  prohœmio  sui  libri  de  Anima,  quanto  res 
humanae . . . 

Des.  :  Caro  enim  rara  vel  densa  talem  colorem  repraesentat  vel  alterum  *^'. 

La  comparaison  de  ces  deux  manuscrits  avec  l'ouvrage  original  de 
Pierre  d'Abano,  dont  il  existe  des  éditions  anciennes''"',  prouve  qu'en 


d'Abano  communique  par  Marsile  à  Jean  de 
Jandnn  était  son  Conciliulor  differenliurnm  (Bald. 
l.abanca,  Marsiglio  da  P(idova,p.  •j4). 

'''  «  Et  ego,  Johannes  de  Genduno,  ^ni.Deo 
«  gratias ,  credo  esse  primus  inter  Parisius  regen- 
«  tes  in  philosophie  ad  quem  predicta  Expositio 
«  pervenit,  per  dilectissimum  meum  magistrum 
«  Marciliiun  de  Padua ,  illorum  Expositionem 
«  manibuspropriis  michi  scribere  dignum  daxit, 
«  ne  malorum  scriptorum  corruptiones  damp- 
•  nose  delectationem  meam  in  istius  libri  studio 
«  minorarent  .librumque  prenominatum ,  secun- 
«  dum  illius  gloriosi  doctoris  sententias  propono , 
«  Deojubente,  scolaribusstudii  Parisiensis  verbo- 
«  tenus  explanare ,  et ,  si  aliqua  per  diiigentiam 


•  considerationis  mee  debilitati  visa  fuerintappo- 
«  nenda,  vel  declaranda ,  ea  non  scriptis  dogma- 
«  tibus  apponere  aut  manifestare  curabo.  »  — 
Dans  cette  phrase ,  que  l'eproduisent  de  même 
façon  les  deux  manuscrits  de  la  Bibliothèque 
nationale  et  de  l'Arsenal ,  quel  est  le  sujet  de 
diixit?  Si  c'est  Marsile  de  Padoue,  il  faut 
transporter  après  Marcilium  de  Padua  le  qui 
qu'on  lit  après  Johannes  de  Gendano.  Si  c'est 
Jean  de  Jandun ,  il  faut  changer  duxit  en  duxi. 

'''  On  lit  à  la  fin  du  volume  :  «  Hic  liber  est 
«  de  libraria  collegii  Navarre  artistarum.  » 

<''  Cette  phrase  est  aussi  la  dernière  du 
commentaire  de  Pierre  d'Abano. 

'*'  Mantoue,  li^jb,  et  Padoue,  i48a. 


70. 


550  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILÉ  DE  PADOUE. 

dehors  de  la  préface ,  la  part  de  Jean  de  Jandiin  s'y  réduit  à  peu  de 
chose.  Son  travail  a  surtout  consisté  en  coupures  et  en  remaniements 
sans  importance.  C'est  en  ce  sens  que  peut  se  justifier  le  titre  placé 
en  tête  du  ms.  6542  :  Expositio  Pétri  de  Ebano. . .  per  excellentissimam 
artiiim  doctorem  magistnim  Johannem  de  Genduno  elacidata  et  declarata. 

13°  QVMSTIONES  IN  DUODECIM  UBROS  MeTAPHYSICM  ArISTOTELIS. 

Cet  important  ouvrage  de  Jean  de  Jandun,  dont  un  exemplaire 
manuscrit  subsiste  en  la  bibliothèque  de  Saint-Antoine  de  Padoue 
(xvii,  366),  nous  est  connu,  en  outre,  par  les  éditions  données  à 
Venise  en  1 525,  en  1 553,  en  i56oeten  1 586,  qui  contiennent  en 
même  ten)ps  des  remarques  du  philosophe  Marc-Antoine  Zimara, 
datées  du  i"  février  i5o5.  Zimara,  tout  en  rendant  justice  à  Jean  de 
Jandun,  «qui,  jusqu'ici,  dit-il,  a  tenu  le  premier  rang  parmi  les 
«commentateurs  d'Averroès » ,  relève  un  certain  nombre  de  passages 
où  notre  auteur  se  serait  indûment  écarté  de  la  doctrine  péripatéti- 
cienne'''. 

Inc.  :  Circa  istum  librum  primo  solet  quîeri  utrum  félicitas  humana  consistât  in 
sapientia. 

Des.  :  Sed  sufïicit  diversitas  in  causatis,  ut  dictum  est.  Et  hoc  de  toto  libro 
Metaphysicae. 

C'est  dans  les  Questions  sur  la  Métaphysique  qu'il  y  avait  chance  de 
rencontrer  l'expression  d'une  doctrine  arrêtée  permettant  d'assigner  à 
Jean  de  Jandun  une  place  précise  parmi  les  philosophes  du  moyen 
âge,  et  c'est  effectivement  de  cet  ouvrage  que  Prantl  a  tenté  de  dégager 
sa  théorie  des  universaux*"^'.  Mais,  à  y  regarder  d'un  peu  près,  on  ne 
trouve,  au  milieu  de  ses  distinctions  multiples  et  de  l'étalage  fatigant 
de  .son  érudition,  aucune  idée  bien  personnelle,  aucun  point  de  vue 
original.  Il  expose  la  théorie  des  idées  de  Platon,  qu'il  rejette  bien  en- 
tendu, et  reproduit  les  objections  d'Aristote  et  d'Averroès.  Quant  à  sa 
propre  réponse  à  cette  question  très  claire  :  les  universaux  sont-ils 
réellement  distincts  des  individus?  elle  peut,  malgré  sa  longueur  et 

'"'  C'est  à  tort  que  Va^uot  {Mèm.  pour  servir        ces  critiques  de  Zimara  aux  Questions  de  Jean 
à  l'hist.  Uttér.  des  d'uc-sepl  provinces  dvs  Pays-         de  Jandun  sur  le  De  Substantia  orhis. 
Ba.« ,  I.ouvain ,  1766,  in-fol.,  I,  48.'i)  rapporte  '''  Gesch.  der  Logik  im  AbendL,   III,  273. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  557 

sa  complexité  apparente,  se  ramener  aux  termes  suivants  :  Oui,  si  l'on 
entend  par  universel  une  conception  de  l'intelligence  humaine;  non, 
si  l'on  entend  l'objet  même  de  celte  conception''^.  Autrement  dit, 
l'universel  homme  est  réellement  distinct  de  Socrate  et  de  Platon  dans 
notre  esprit,  mais  pas  ailleurs.  C'est  le  conceptualisme  classique  de 
beaucoup  de  successeurs  d'Abélard.  Il  est  vrai  que,  dans  un  autre 
chapitre,  Jean  de  Jandun  soutient  que  l'espèce  a  une  unité  réelle  et 
objective  différente  de  l'unité  individuelle.  Mais  il  n'y  a  pas  contradic- 
tion entre  ces  deux  principes.  Notre  auteur  pense  simplement  que,  si 
l'on  pouvait  retrancher  de  Socrate,  par  exemple,  tout  ce  qui  n'est  en 
lui  qu'accidentel,  il  resterait  seulement  l'unité  spécifique,  et  cela 
quand  bien  même  il  n'y  aurait  aucune  intelligence  humaine  pour  le 
concevoir,  en  d'autres  termes,  que  le  fait  d'appartenir  à  une  même 
espèce  suppose  entre  les  individus  des  rapports,  des  liens  qui  existent 
réellement  et  indépendamment  de  l'idée  que  nous  pouvons  nous  en 
faire '^'.  Tout  cela  aurait  pu  être  dit  en  beaucoup  moins  de  mots. 

Ailleurs,  Jean  de  Jandun  confesse  franchement  son  embarras  et  ne 
sait  pas  comment  choisir  entre  les  différents  systèmes.  Il  s'agit  du 
principe  d'individuation.  Les  uns  disent  que  c'est  la  matière  qui  indi- 
vidualise, les  autres  que  c'est  la  forme;  ceux-ci  appellent  ce  principe 
quiddité  indivise,  ceux-là  indivision,  d'autres  encore  eccéilé;  les 
uns  parlent  de  «  forme  individuelle  formellement  distincte  »  ;  d'autres 
de  forme  spécifique;  d'autres  enfin  font  intervenir  les  propriétés  acci- 
dentelles. Pour  conclure,  Jean  de  Jandun  ne  sait  que  développer  deux 
opinions,  dont  il  nous  laisse  le  soin  de  choisir  la  meilleure'"^'.  Cette 
hésitation,  ce  manque  d'originalité,  frappants  en  bien  des  endroits, 
nous  empêchent  de  souscrire  tout  à  fait  au  jugement  porté  sur  Jean 
de  Jandun  par  un  de  nos  prédécesseurs,  qui  loue  chez  lui  précisément 
l'indépendance,  la  résolution''''.  Qu'il  n'ait  voulu  être  «le  disciple 
«  fidèle  de  personne  »,  nous  n'en  disconvenons  pas;  mais  c'était  pour 
devenir  le  disciple  de  tout  le  monde. 

'''  Lib.  VII,  qu.   a4.   Cf.   lib.  I,  qu.    16;  «  Plato  magis  actualiter  conveniunt  et  realifer 

lib.  III,  qu.  7,  9.  «quain  Socrales  et  BruneUus.  » 

f)  Lib.    V,    qu.    12   :   .Dicendum    est    ad  !''  Lib.  VII,  qu.  17.  Cf.  lib.  XII,   qu.   i3  : 

«  qnaestionem  quod  unitas  speciei  est  extra  ani-  «  Tangam   duas    opiniones    cum   suis   rationi- 

«  mam  actu  et  realiter  distincta  ab  unitate  nu-  «  bus ...  ;  et  quilibet  tune  eligat  qu»  sibi  vide- 

•  merali .  .  .  Individua  ejnsdem  speciei  veriori  «  bitur  probabilior.  » 

«modo  habent  unitatem  inter  se  quam  indivi-  <*'  B.   Hauréau,  Hist.  de  la  philos,  scolast., 

«dua  diversarum  specienim,  quia  Socrates  et  a'  partie,  t.  II,  p.  a8i,  a83,  aSg. 


558  JEAN  DE  JANDUN  ET  IMARSILE  DE  PADOUE. 

Au  surplus ,  les  Questions  sur  la  Métaphysique  ne  seraient  pas  l'œuvre 
de  Jean  de  Jandun,  si  l'on  n'y  retrouvait  la  perpétuelle  contradiction 
que  nous  avons  signalée  entre  ses  principes  philosophiques  et  sa  foi 
religieuse,  au  moins  apparente.  Ici,  c'est  à  propos  de  la  puissance  in- 
finie de  Dieu''',  de  la  création  et  de  la  fin  du  monde '^',  de  la  pluralité 
et  de  l'immortalité  de  l'intellect  humain'^'  qu'il  répète  les  déclarations 
déjà  si  souvent  entendues  :  «  Cela  ne  résulte  pas  de  l'observation  du 
«  monde  sensible,  cela  ne  se  démontre  pas;j'y  crois  et  j'ai  du  mérite  à 
«  cela.  L'on  nepeutme  demander  autre  chose.  »  Gesphrases,  auxquelles 
nous  sommes  maintenant  accoutumés,  sont  comme  la  signature  des 
écrits  philosophiques  de  Jean  de  Jandun. 

14°.  Qv^.sTioNEs  SUPER  Rhetoricam  Aristotelis. 

Un  manuscrit  de  la  fin  du  xiv"  siècle,  le  n°  868  de  la  Bibliothèque 
royale  de  Bruxelles,  contient,  sous  le  nom  de  Jean  de  Jandun,  une 
longue  série  de  questions  an  sujet  de  la  Rhétorique  d'Aristote. 

Inc.  :  Rhetorica  est  assecutiva  dialecticiE.  Circa  librum  Rhetoricœ  Aristotelis,  prima 
quaestio  sit  ista  :  utrum  rhetorica  sit  assecutiva  dialectica;. 

Des,  :  Si  vero  omnes  istos  superflue  agere  dicas ,  satis  est  mihi  te  ad  tantae  prœsump- 
tionis  excessum  incontradicibiliter  perduxisse. 

Cet  ouvrage  n'occupe  pas  moins  de  trente  feuillets  d'une  écriture 
très  fine;  il  est  divisé  en  trois  livres  et  comprend  soixante  et  un  cha- 
pitres. 

On  peut  donc  supposer  que,  chez  Jean  de  Jandun,  le  maître  de 
philosophie  était  doublé  d'un  professeur  de  rhétorique  ou,  du  moins, 
que,  à  l'exemple  de  Gilles  de  Rome'"',  il  voulut  porter  son  attention 
sur  un  des  traités  d'Aristote  les  plus  négligés  dans  l'enseignement  de 
l'École. 

15°  ET  16°.  De  Lavdibvs  Silvanecti  et  De  Laudibus  Parisius. 

Nous  avons  suffisamment  parlé  de  ces  ouvrages  en  rappelant  dans 
quelles  circonstances  ils  ont  été  composés. 

Le  texte  en  est  conservé  dans  deux  manuscrits  du  xiv"'  siècle  :  l'un. 


<■'  Lib.  Il,  qu.  4.  c  Lib.  Xn,  au.  4. 

'')  Lib.  Il ,  qu.  5 ,  6 ,  7,  9  ;  lib.  V,  qu.  3-j.  <')   Hist.  liU.  delaFr..  XIII ,  466. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  559 

le  latin  i4884  (fol.  170)  de  la  Bibliothèque  nationale,  provenant 
du  fonds  de  Saint-Victor;  l'autre,  le  n"  lx']b?)  (fol.  209)  de  la  Bi- 
bliothèque impériale  de  Vienne,  qui  seul  fournit  le  nom  de  l'auteur, 
Jean  de  Jandun,  et  seul  contient  la  dissertation  du  «  dictator  »  anonyme 
dont  l'apparition  servit  de  prétexte  à  la  rédaction  du  De  Laudibus  Pa- 

Signalés  par  Michel  Denis,  dès  1 800*^',  ces  curieux  ouvrages  ont  été 
analysés  avec  assez  de  détail,  en  i855,  par  Le  Roux  de  Lincy  ^^\  puis 
publiés,  en  1 856,  par  Le  Roux  de  Lincy  et  Taranne  dans  le  Bulletin 
du  Comité  de  la  langue,  de  l'histoire  et  des  arts  de  la  France^^^  et  enfin,  en 
1867,  par  Le  Roux  de  Lincy  et  Tisserand  dans  le  volume  de  la  col- 
lection de  Y  Histoire  générale  de  Paris  intitulé  Paris  et  ses  historiens  aux 
XIV'  et  XV'  siècles  (p.  1-79).  Cette  dernière  édition  est  accompagnée 
de  notes,  d'éclaircissements,  de  fac-similés  et  d'une  traduction  fran- 
çaise due  à  M.  Alexandre  Bruel. 

Si  nombreux  que  soient  les  ouvrages  de  Jean  de  Jandun  qui  nous 
sont  parvenus,  nous  ne  possédons  peut-être  pas  tous  ceux  qu'il  a 
composés. 

Dans  le  manuscrit  de  Vienne  qui  contient  l'Éloge  de  Paris,  la  note 
marginale  suivante  se  lit  en  regard  d'un  passage  où  il  est  dit  que  le 
gouvernement  de  la  France  est  une  monarchie  héréditaire  :  Quod  mul- 
tipliciter  electiva  inslitutione  melius  esse  monstravi^'^\  On  pourrait  assez 
vraisemblablement  en  conclure  qu'avant  iSaS  Jean  de  Jandun  avait, 
dans  un  écrit  spécial,  ou  peut-être  dans  quelque  commentaire,  par 
exemple  sur  la  Politique  d' Aristote '*^,  célébré  la  supériorité  de  la 
monarchie  héréditaire  sur  la  royauté  élective. 

Au  contraire,  rien  n'oblige  à  attribuer  à  notre  auteur  une  Qaœstio 
super  Epicyclis  et  eccentricis  qui  se  trouve  dans  le  ms.  du  Musée  bri- 
tannique Harley  i  (fol.  i52-i54),  sous  le  nom  de  Jean  de  Gand'^': 


'"'  Voir  la  description  détaillée  de  ces  deux  <''  T.  III  (  i855-i856),  p.  5o5-54o. 

manuscrits  dans  Le  Roux  de  Lincy  et  Tisse-  '*'  Paris  et  ses  histor.,  p.  62. 

rand,  p.  18-20.  '"'  C'est   l'hypothèse   vers    laquelle  semble 

'*'  Codices  mss.  theologici  bibl.  pal.  Vindoho-  incliner  M.  R.  Mûller  [Gôlting.  gel.  Anzcigen, 

nensis  latini  aliarumqne  Occidentis  linguariim ,  i883,  p.  916). 

t.  II,  part.  II,  c.  1648.  '''  •  Hic  incipitquestio  magistriJ.de  Gandavo 

'■'*  Description  de  la  ville  de  Paris  au  xr'  siècle  «  super  Epicyclis  et  eccentricis.  Quoniam  per  ac- 

par  Gtiillebcrt  de  Metz  (in-8°).  «  quisitionem  prime  philosophie  invenitur  homo 


560 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


Jean  de  Jandun  a  traité  le  même  sujet  dans  ses  Questions  sur  la 
Métaphysique'''  et  en  termes  tout  différents. 

11  n'y  a  pas  non  plus  à  se  préoccuper  de  l'attribution  faite  à  Jean 
de  Jandun  par  Goldast*'^'  ou  Fabricius*^'  d'un  traité  De  Potestale  Ec- 
clesiœ,  d'un  Quodlibetum,  d'un  Commentaire  sur  les  quatre  livres  des 
Sentences,  etc.  Le  premier  de  ces  ouvrages  est  probablement  le  De 
Potestate  regia  et  papali  du  frère  Prêcheur  Jean  de  Paris,  surnommé 
Jean  Qui  dort,  dont  il  a  été  question  dans  un  de  nos  précédents 
volumes'*'.  Le  Qnodlibetum'^^^  et  le  Commentaire  sur  les  livres  des 
Sentences  pourraient  bien  être  aussi  du  même  auteur'^'. 

Un  de  nos  prédécesseurs,  E.  Renan,  a  dit  quelque  part  avoir 
examiné,  à  la  bibliothèque  de  Saint-Marc  de  Venise,  la  «  Logique»  et 
les  «Questions  dialectiques»  de  Jean  de  Jandun*^'.  Mais  ces  titres  ne 
correspondent  à  aucun  des  ouvrages  de  notre  philosophe  conservés  à 
Venise,  et  E.  Renan  lui-même  n'a  eu  garde  de  reproduire  cette  indi- 
cation dans  les  pages  qu'il  a  consacrées  plus  tard  à  Jean  de  Jandun'*'. 


III 

La  vie  de  Jean  de  Jandun  va  être  désormais  intimement  mêlée  à 
celle  d'un  personnage  qui,  malgré  sa  célébrité  et  le  nombre  des  mé- 
moires qui  lui  ont  été  consacrés,  est  loin  de  nous  être  encore  suffi- 
samment connu. 

Marsile  de  Padoue  est  désigné  parfois  sous  les  noms  de  Marsilius 
Menandrinas,  Menardinus ,  Mainardinns^^\  de  Maynardino''^'^\  une  fois  aussi 


«  in  sua  perfectione  essentiali ,  ut  dicit  Commen- 
«  tator,  xii°  Meteoram,  ad  cujus  nobilioris  partis 
«  evidentiam  valet  cognitio  diversorum  motuum 
«  corporum  celestium  et  maxime  planetaram...  • 
Le  ms.  Haii.  i  est  du  xiv'  siècle. 

'■'  Lib.  Xll.qu.  20. 

'''  Monarch.,  I,  Praefat. 

")  T.  IV,  p.  219. 

(*'  Hist.  litt.  de  la  Fr.,  XXV,  269. 

'''  Le  ms.  lat.  1457a  de  la  Bibl.  nal.  con- 
tient des  Qiiodlibeta  de  Jean  de  Paris.  Cf. 
Hist.  lia.  de  la  Fr.,  XXV,  a5o, 

'*'  Goldast ,  après  avoir  attribué  aussi  a  Jean 
de  Jandun  \' Infonnatio  de  nullitate  processuum 
Joannis  XXII  papte  conlra  Ludovicam  impera- 
torem,  qu'il  a  publiée  au  t.  I"  (p.  18-21)  de  sa 
Monarchia,   a   reconnu  lui-même  son  erreur 


dans  la  dissertation  sur  les  auteurs  placée  en 
tête  du  volume.  N'empêche  que  cet  ouvrage 
est  encore  parfois  cité  sous  le  nom  de  Jean  de 
Jandun  ( voir  Guill.  Cave ,  II,Suppl. ,  36;  B. 
Labanca,  p.  120). 

'''  Arch.  des  Missions  scientifiques,  I  (i85o), 
p.  397 

"  Averroès ,  p.  339  cl  »"iv- 

'''  Bibl.  impér.  de  Vienne ,  mss.  384 ,  464 , 
809,  5369.  Bernardino  Scardeoni,  Hisloria 
Patavina  (Grxvius  et  Burmann,  Thés,  antiqu. 
ItaL,  VI,  III,  c.  170). 

''"'  Protocole  du  20  mai  i328  (Baluze,  Mis- 
cellanea,  II,  280).  Bulles  du  i4  octobre  i3i6 
(A.  Thomas,  dans  Mélanges  d'archéol.  et 
d'histoire, U,  448)  et  du  5  avril  l3i8  (Denifle 
et  Châtelain,  Chartul.  Univ.  Paris.,  11,  717). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


561 


sous  celui  de  Raymundini''^\  Bien  que  certains  historiens  paraissent 
disposés  à  accorder  la  préférence  à  cette  dernière  forme '"^^  il  nous 
semble  hors  de  doute  que  Marsile  appartenait  à  l'ancienne  famille 
padouane  des  Mainardini*^'.  On  sait  même  le  nom  de  son  père,  Bnon- 
matteo  Mainardino.  C'est  ce  qui  résulte  d'une  bulle  de  iSiô'*'  et 
d'un  vers  du  poète  Albertino  Mussato*^',  qui  nous  apprend,  en  outre, 
que  Marsile  était  de  souche  «  plébéienne  ». 

La  lettre  en  vers  de  Mussato  est,  d'ailleurs,  la  seule  source  qui 
puisse  nous  renseigner  sur  le  début  de  la  carrière  de  Marsile'*^'.  Le 
style  en  est  obscur,  ce  qui  explique  qu'elle  ait  été  fort  mal  inter- 
prétée. Mais,  de  plus, elle  a  été,  croyons-nous,  mal  datée,  et  de  deux 
façons  différentes.  La  date  de  i3o8,  proposée  par  M.  Labanca,  est 
purement  hypothétique^^';  celle  de  i3i6  ou  des  années  suivantes, 
hasardée  par  M.  Ant.  Thomas'®',  ne  repose  que  sur  un  mot  qui  n'ap- 
parlient  pas  au  texte  de  l'épître  '"'.  On  eût  mieux  fait  de  se  reporter  à 
l'hémistiche  suivant  : 

.  .  .Paduœ  duni  régna  manebant. 

Cette  réminiscence  de  Virgile  indique  d'une  façon  claire  qu'à 
l'époque  où  Mussato  écrivait  son  épître ,  Padoue  avait  perdu  son  indé- 
pendance politique.  Or  cet  événement  se  produisit  durant  l'été  de 
i3ii  :  quand  le  roi  des  Romains  Henri  VII  descendit  en  Italie, 
Padoue,  qui ,  depuis  trente-cinq  ans,  jouissait  de  sa  liberté,  fut  obligée 
de  prêter  serment,  de  payer  tribut  et  de  recevoir  un  vicaire  impérial; 
cette  sujétion  dura  jusqu'au  soulèvement  populaire  qui  eut  lieu  au 


'''  Albertino  Mussato,  Ludovicus  Bavarus 
(  Bôhmer,  Fontes  reram  Germanicarum ,  t.  I , 
p.  175). 

'*'  Tiraboschi,  Storia  délia  letterat.  ital. 
(1783),  V,  i5o;  Muratori,  X,  773;  Riezier, 
Die  lit.  Widersacher  d.  Pâpste .  p.  3o;  Alfred 
Huraut,  Elude  $iir  Marsile  de  Padoae  (Paris, 
1892,  in-8°),  p.  !•!. 

'^'  M.  Labanca  (p.  10)  cite  un  membre  de 
cette  lamille  qui  vivait  au  xii*  siècle. 

'*'  Cette  bulle  est  adressée  «  Marsilio  nato 
■  Bonmathei  de  Maynardino  de  Padua».  (A. 
Thomas,  loc.  cit.) 

•^l  Praedilecta  Boni  proies  bene  iausta  Mathaei. 

'*'  GrsBvius  et  Bunnann,  Thés,  aniiqu.,  VI, 


HIST.   LITTEB. 


XXXII 


II,  Suppl.,  c.  48.  — M.  Labanca  (p.  327)  a 
réimprimé  cette  lettre  d'après  l'édition  de 
Venise  de  i636. 

'''  M.  Labanca  suppose,  comme  Tiraboschi 
(V,  1 5a  ) ,  que  Marsile  de  Padoue  se  trouvait  à 
Paris  à  répo(|ue  où  cette  épître  lui  fut  adres- 
sée :  c'est  une  hypothèse  entièrement  dénuée 
de  vraisemblance. 

<*'  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire,  II, 
45o. 

<*'  La  qualification  de  «  magister  »  n'est  attri- 
buée à  Marsile  de  Padoue  que  dans  le  titre  de 
l'épitre  d' Albertino  Mussato  :  ce  titre  a  pu  être 
rédigé  après  coup  ou  même  imaginé  par  un 
copiste  ou  par  un  éditeur. 

7' 


562  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

printemps  de  1 3 1 2  '''.  Est-il  téméraire  d'en  conclure  que  lYpître  de 
Mussato  fut  écrite  durant  le  second  semestre  de  i3ii  ou,  au  plus 
tard,  dans  le  commencement  de  l'année  1 3 1 2  ? 

Ce  premier  point  acquis,  il  serait  intéressant  d'extraire  de  cette 
lettre  les  renseignements  précis  qu'elle  peut  fournir  sur  Marsile  de 
Padoue. 

Antérieurement  au  mois  de  juin  1 3 1 1 ,  Marsile  Mainardino,  qui  se 
trouvait  encore  à  Padoue,  avait  demandé  conseil  à  Albertino  Mus- 
sato :  devait-il  se  tourner  du  côté  du  droit  ou  de  la  médecine? 

Quaesi[s]ti  num  te  leges  audire  forenses 
Maluerim ,  medicœ  potius  intendere  physi  '**. 

La  réponse  n'est  point  claire.  Toutefois  on  peut  comprendre  que 
Mussato,  voyant  son  jeune  ami  dominé  par  la  passion  du  gain^^\  avait 
cherché  à  le  prémunir  contre  une  double  tentation  :  celle  de  vendre 
misérablement  sa  «  parole  essoufflée  » ,  celle  aussi  de  se  confiner  dans 
la  pratique  vénale  de  la  médecine''''.  Était-ce  donc  là  le  but  qu'il  avait 
poursuivi  en  se  livrant  à  l'étude,  à  la  «sainte  étude'^'»?  Mussato  lui 
conseillait  plutôt  d'approfondir,  dans  une  recherche  désintéressée, 
les  secrets  de  la  médecine,  en  cultivant  pour  elle-même  cette  science 
spéculative  qui  le  ferait  presque  l'égal  de  Dieu  et  qui,  par  surcroît, 
lui  procurerait  toutes  les  richesses  désirables  : 

Quantas  fundet  opes  etiam  acceptare  neganti 
Prodiga  !  Non  tantas  Venetum  fert  littus  arenas. 

Marsile  parut  goûter  l'avis.  Il  s'arracha  à  l'affection  des  siens  pour 
aller,  hors  de  Padoue,  savourer,  dans  quelque  école  ou  chez  quelque 
maître  étranger,  la  «coupe  du  divin  nectar».  Il  emportait  ses  livres 


<''  Moratori,  X,  4a  i  ;  G.  Cappelletti,  Storia  V,  i5i  ),  Mussato  n'avait  fait  que  remontrer  à 

di  Padova  (Padoue,  iSyS,  in-8°),  t.  I,  p.  197,  Marsile  les  dangers  du  barreau  et  lui  avait,  au 

lOQ.  contraire,  recommandé  la  carrière  de  la  mé- 

f^'  Il  n'y  a  pas  lieu  de  dire,  comme  M.  La-  decine. 
banca(p.  i4).  que  Marsile  exerçait  à  Padoue  <''  Plusieurs  fois    Mussato,   en   parlant   de 

les  profession»  de  médecin  et  d'avocat.  l'étude,  emploie  l'épithéte  sacer.  Il  ne  faudrait 

'^'  Corcerno  luum  :  tua  viscera  torrent  pas  croire,  comme  on  l'a  fait  (Labanca,  p.  16), 

^^       Auri  sacra  famé»  et  avaro  vivere  quœstu.  qu'y  joit  question  d'tétude»  sacrées  » ,  de  théo- 

;  '*'  Suivant  Tiraboschi  (Stor.  rf. /e«e^a^  ita/.,  logie. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  563 

de  médecine  et  un  trésor  de  connaissances  acquises  qui  lui  présa- 
geait le  succès.  Mussato  lui  souhaita  bon  courage  et  la  gloire  : 

Macte  tua  virtute  !  Sacris  splendoribus  esto 
Clara  lucerna  tu;e  mundo  notissiina  terrae. 

Cependant,  à  peine  parti,  Marsile  se  laissa  séduire  par  les  invita- 
tions de  Cane  Grande  délia  Scala  '*'  et  circonvenir  par  les  caresses  de 
Matteo  Visconti  "^';  en  d'autres  termes,  il  s'attarda  du  côté  de  Vérone 
et  négligea  de  gagner  la  côte  ligurienne ,  où  il  devait  trouver  sans  doute 
l'enseignement  qu'il  cherchait.  C'est  ainsi  qu'on  peut  du  moins  inter- 
préter les  vers  suivants,  assez  énigmatiques'^'  : 

Carpis  iter.  Sed  proh  !  Sors  dira  sub  oniine  laevo  ! 
Calle  quidem  primo,  demuisus  ab  orc  Canino, 
Replesti  faciles  saîvis  hortatibus  aures. 
Inde  répons ,  Ligures  ut  non  migraveris  oras  '*', 
Fama  subit  ipioà  te  sœva  mujcedine  captum 
Impl[icu]it  torta  sa^vissima  Vipera  cauda .  .  . 

A  ce  moment,  l'ambition  inconstante  de  Marsile  lui  fit  rechercher 
divers  emplois  :  il  tâtonna  sans  réussir.  Cela  fit  renaître  en  lui 
l'amour  pur  de  la  science  :  revenant  à  son  premier  dessein,  il  se 
rendit  auprès  d'un  des  célèbres  docteurs  de  l'époque  et,  sous  sa  di- 
rection, approfondit  successivement  les  diverses  parties  de  la  phy- 
sique. Déjà  la  philosophie  naturelle  n'avait  plus  guère  de  secret  pour 
lui  quand  son  ami  Mussato  apprit  que,  de  nouveau,  il  avait  inter- 
rompu ses  études,  cette  fois,  pour  coiffer  le  casque,  pour  endosser 
l'armure,  pour  ceindre  l'épée  germanique  : 

.  .  .  Numquid  vox  improba  lamae 
Vera  refert  quod  tu  studii  de  tramite  sacri 
Lapsus  ad  infandos  hominum  te  verteris  actus? 

'"'  Cane   Grande   venait  de  recevoir,   ainsi  '"'  Cl.   ïiraboschi,    V,    i5i;    Riezler,    3i. 

que  son  frère  Alboino,  le  titre  de  vicaire  im-  M.  Labanca  (p.  ao)  croit  comprendre  que  la 

pénal  à   Vérone   (C.  CipoUa,  Storia  délie  si-  première  station  de  Marsile,  hors  de  Padoue, 

gnorie  italiane  dal  1313  al  i530 ,  Milan,  1881,  fut  Milan. 

in-8°,  p.  3o).  (*)  Tiraboschi  a  fait  à  ces  deux  vers  des  cor- 

'*'  Ex-capitaine  et  vicaire  impérial  à  Milan ,  rections  inadmissibles  : 

Matteo  Visconti,  alors  évincé  du  pouvoir,  s'é-  Impleth  faciles  sœvis  latratibiu  aures. 

tait  retiré  près  de  Vérone  (ibid.,  p.  21).  Inde  repens  Ligures  ut  mox  migraveris  oras. 


564  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

Diceris  ecce  cavo  contectus  tempora  ferro 
Loricam  perferre  gravein ... 
Quidam  aiunt  tibi  quod  germanus  cingitur  ensis , 
Quidam  aiunt  quod  tu  germano  accingeris  ensi  "'. 

Sans  doute  il  avait  pris  service  dans  la  troupe  de  quelque  prince 
allemand,  peut-être  de  Henri  VII  lui-même,  qui  se  trouvait  alors  en 
Italie,  et  auprès  duquel  accouraient  quantité  de  barons  cisalpins. 

Mussato  fut  fort  peiné  de  cette  nouvelle  incartade  :  c'est  l'oc- 
casion de  son  épître  en  vers.  D'abord,  par  un  artilice  littéraire,  il  pa- 
raît abonder  dans  le  sens  de  son  jeune  ami;  il  trouve  que  la  science 
est  vaine,  que  la  richesse  est  tout,  que  la  faveur  du  public  tient  lieu 
de  vraie  valeur,  qu'il  faut  s'accommoder  aux  mœurs  de  son  temps,  que 
la  licence  de  la  guerre  est  préférable  à  l'observation  des  lois,  qu'il  est 
juste  de  chasser  les  gens  de  leur  demeure  et  de  se  faire  concéder  des 
territoires  pontificaux  :  l'important  est  d'avoir  son  loi.  Toute  puis- 
sance est  juste ...  Il  n'y  a  point  que  le  pape. . .  Point  de  piété  ni  de 
bonne  foi  pour  qui  vit  dans  les  camps  ! 

Forsitan  est  melius  vitœ  cessisse  modernœ , 
Pellere  Marte  viros  tectis  et  vivere  rapto , 
Quodlibet  ut  liceat,  scripta  quam  vivere  lege. 
Crédita  de  summo  sit  quaeque  potentia  cœlo 
Justa;  nec  unius  teneantnos  vincula  papa;  : 
Quid  prohibet  multos  hoc  nostro  tempore  papas 
Concessisse  suis  fundos  et  praedia  posse  ? 
Accipiat  sibi  quisque  libens ,  provisus  ut  assit  1 
Nulla  iides  pietasque  viris  qui  castra  sequuntur  ! 

Mais  cette  tirade,  qui  a  pu  donner  le  change,  n'est,  en  réalité, 
qu'un  amer  persiflage,  et,  comme  dit  l'auteur,  le  langage  des  roués  : 
vafer  ait.  Mussato  redevient  sérieux  et  redevient  lui-même  quand, 
dans  ses  derniers  vers ,  il  évoque  l'idée  de  la  Justice  éternelle ,  de  la 
règle  infaillible.  Marsile  est  jeune  encore  :  il  a  l'avenir  devant  lui. 
Rien  ne  l'empêche  donc  de  s'amender,  s'il  a  du  cœur  et  de  la  vo- 
lonté : 

Fertile  tempus  habes,  pulchra  florente  juventa, 

Quo  te  restituas ,  si  te  regat  in$ita  virtus. 

'•'  Imitation  du  mot  prêté  a  Cicéron  (Ma-         Marsile  fut  d'aussi  petite  taille  que  le  mari  de 
crob.,   Saturn.    Il,    3).    Serait-ce  à  dire  que         Tullia ,  P.  Cornélius  Lcntulus  Dolabella  :' 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


565 


Que  faut-il  entendre  pourtant  par  ces  insinuations  au  sujet  d'en- 
treprises sur  les  États  pontificaux  ?  Peut-être  qu'à  l'époque  où  Mar- 
sile  s'enrôlait  sous  la  bannière  impériale,  l'opinion  à  Padoue,  très 
montée  contre  Henri  Vil ,  prêtait  à  ce  prince  des  desseins  menaçants 
contre  les  États  de  l'Église.  Il  suffit  de  lire  le  discours  que  prononça 
Roland  de  Piazzola,  devant  le  Sénat  de  Padoue,  au  retour  d'une  am- 
bassade à  Gênes,  pour  comprendre  l'idée  défavorable  que  conce- 
vaient certains  Italiens  des  projets  impériaux'''.  À  la  vérité,  Mussato 
ne  partageait  pas  ces  préventions,  ou  du  moins,  par  prudence,  il 
essaya  de  représenter  à  ses  concitoyens  f  accord  régnant  alors  entre  le 
pape  et  f  empereur'^'  :  mais,  dans  sa  correspondance  privée,  il  pou- 
vait se  montrer  moins  optimiste  à  cet  égard  et,  en  tout  cas,  désap- 
prouver la  coopération  du  jeune  Marsile  à  des  entreprises  plus  ou 
moins  justifiées'^'. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'éloquence  de  Mussato  fut  sans  doute  persua- 
sive. Presque  aussitôt,  Marsile  de  Padoue  renonça  au  métier  des 
armes  pour  se  replonger  dans  l'étude.  C'est  alors  qu'il  dut  prendre  le 
chemin  de  Paris. 

En  le  voyant  exercer,  le  1 2  mars  1 3 1 3 ,  les  fonctions  de  recteur 
de  f  Université  de  Paris'*',  on  a  supposé  naturellement  que,  depuis 
longtemps,  il  avait  établi  sa  résidence  dans  cette  ville.  Or  on  vient 
de  voir  qu'en  i3i  1  il  était  encore  en  Italie,  oîi  il  se  laissait  distraire 
de  ses  études  médicales  par  toutes  sortes  de  préoccupations  belli- 
queuses ou  autres.  Mais  on  a  vu  aussi  qu'il  avait  derrière  lui  un  long 
passé  d'études,  et  probablement  déjà  une  célébrité  naissante.  Dès  son 
arrivée  à  Paris,  sa  science  put  lui  faire  une  place  à  part  dans  la  Fa- 
culté des  arts.  Il  avait  pris  sans  doute  ses  grades  à  Padoue  :  on  lui  tint 
compte  de  son  stage  dans  cette  Université.  Il  fut  nommé  maître- 


<"'  Muratori,  X,  4i4. 

<•'  Ibid..c.  4 19. 

'^'  M.  Riezier  (p.  3a  )  n'a  point  saisi  le  sens 
de  ce  passage  de  l'épitre  de  Mussato  :  il  le  croit 
corrompu  et  pense  qu'on  n'en  peut  déduire 
que  des  conjectures  incertaines.  Il  suppose  ce- 
pendant, et  c'est  aussi  l'avis  de  M.  F.  Scaduto 
(Stato  e  Chiesa  nelli  scritti  politici  dalla Jîne  délia 
lotta  per  le  Investiture  sino  alla  morte  di  Ladmico 
il  Bavaro,  Florence,  1882,  in-i",  p.  1 15),  que 
Marsile  de  Padoue  songeait  alors  au  service  du 


pape, mais  déjà  combattait  la  puissance  ponti- 
ficale. 

'''  Chartul.  Univ.  Paris..  II,  i58.  —  La 
présence  dans  un  manuscrit  de  Vienne  de 
deux  actes  expédiés  le  1  a  mars  1 3 1 3  par  les 
quatre  Facultés  de  Paris  a  fait  croire  que  Mar- 
sile de  Padoue  avait  été  recteur  à  Vienne. 
Cette  erreur,  qui  se  trouve  notamment  dans 
Fabricius  (V,  33),  a  été  déjà  expliquée  et 
réfutée  plusieurs  fois  (Riezier,  p.  3/i,  note  1  ; 
Labanca,  p.  a3,  note  a). 


566 


JEAN  DE  JANDLN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


régent,  et,  aucune  condition  de  temps  n'étant  exigée  pour  le  rec- 
torat'*', il  parvint,  peu  avant  le  2,5  décembre  i3i2'^',  à  la  plus  haute 


magistrature  universitaire. 


Cependant  il  serait  difificile  de  placer  dans  la  vie  de  Marsile,  avant 
sa  venue  à  Paris,  un  séjour  à  l'Université  d'Orléans,  où  il  aurait  fait 
des  études  de  droit.  C'est  une  légende  maintes  fois  reproduite'^'  :  elle 
repose  sur  un  contresens'*'.  Rien  n'est,  d'ailleurs,  moins  établi  que 
les  connaissances  juridiques  de  Marsile  de  Padoue  :  son  Defensor  pacis 
atteste  plutôt  l'ignorance  où  il  était  du  droit  romain,  et,  quelque 
part,  il  se  plaint  de  la  partialité  des  papes  en  laveur  des  avocats'*'. 

Après  l'expiration  de  ses  trois  mois  de  rectorat,  Marsile  dut  con- 
tinuer d'enseigner  à  Paris,  tout  en  y  exerçant  quelque  peu  la  méde- 
cine'®'. Un  de  ses  élèves,  François  de  Venise,  qui  le  servait  parfois  à 
table,  comme  c'était  l'usage  parmi  les  écoliers  italiens,  témoigna  plus 
tard  qu'il  l'avait,  à  diverses  reprises,  accompagné  dans  la  visite  de 
ses  malades'''. 


'■'  Chartul.  Univ.  Paris. ,  I ,  p.  xxvi. 

'*'  Le  recteur  était  alors  renouvelé  quatre 
fois  par  an ,  notamment  dans  les  jours  précé- 
dant la  Noël.  Or  Emeric  de  Danemark  était 
encore  recteur  le  i3  septembre  i3i2,  et  Mar- 
sile de  Padoue  avait  cédé  la  place  à  Nicolas  de 
Vienne  à  la  date  du  6  mai  1 3 1 3  (  ibid. ,  Il ,  157, 

16a). 

P'  Le  fait  est  affirmé  par  Bayle  {Dict.,  III, 
379),  par  Schwab  {Johaimes  Gerson,  p.  3o), 
par  Friedberg  (Die  mittelalterlichen  Lehren  àber 
lias  Verkâllniss  von  Staat  a.  Kirche;  Aiigastinus 
Triomphas,  Marsilins  v.  Padua.àans  Oove  et 
Friedberg,  Zeitschrifi  fàr  Kirchenrecht ,  VIII, 
111),  par  Le  Roux  de  Lincy  et  Tisserand 
[Paris  et  ses  historiens,  p.  6),  Paul-E.  Meyer 
(  Étude  sur  Marsile  de  Padoue ,  Strasbourg ,  1 870, 
in-S",  p.  7  ) ,  Ad.  Franck  (7oarn.  des  Sav. ,  1 883 , 
p.  ii8),iO.  Lorenz  {Deutschlands  Geschichts- 
quellen  irIMittelalter.  3"  éd.,  III,  348),  Alfr. 
Huraul  [op.  cit.,  i3),  etc.,  et,  avec  quelque 
hésitation,  par  B.  Labanca  (p.  6,    ai,  io4). 

'''  On  a  mal  compris  le  passage  suivant  du 
Defensor  pacis  (U,  xviii,  p.  262)  :  «Sic  etiam 
«  qui  libruni  liunc  in  lucem  deduxit  sludiosorum 
«  Universitatem  Aurelianis  dcgentem  vidit,  au- 
«  divit ,  et  scivit  per  suos  nuncios  et  epi»tolas 
«  reqiiirentem  et  supplicantem  Parisiensi  Uni- 
«vcrsitati,  tanquam  famosiori  et  vénération, 


«  pro  ipsius  habendis  regulis ,  privilegiis  atque 
«  statutis ,  cum  tamen  Parisiensi  Universitati  nec 
«  ante  nec  post  esset  in  auctoritate  apostolica  vel 
«  jurisdictione  subjecta.  «  De  ce  que  Marsile  de 
Padoue  a  eu  connaissance  d'une  démarche  faite 
par  l'Université  d'Orléans  auprès  de  l'Univer- 
sité de  Paris,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  ait  été 
membre  de  la  première.  Cf.  Riezler,  p.  33. 

'''  Def.pac,  II,  XXIV,  p.  372. 

'*'  On  peut  se  demander  si  Marsile  de  Pa- 
doue n'est  point  l'auteur  d'ouvrage»  de  méde- 
cine. Le  ms.  a45  de  Vendôme  contient  (fol. 
194-196)  des  PillulfP  editœ  per  mag.  Petram  de 
Tusiunanu  et  mag.  Marsiliiim  Padaentem.  D'autre 
part,  le  médecin  milanais  Jean  de  Marfiano, 
dans  son  De  Reactione,  composé  en  i444  (bibl. 
de  Saint-Marc ,  cl.  x ,  2 1 9  ;  édité  à  Pavie ,  1 48a , 
in-fol.  ) ,  discute  les  opinions  soutenues  anté- 
rieurement sur  la  matière  par  Marsile  de  Pa- 
doue (  0.  Valentinelli ,  Bibl.  manuscr.  ad  S.  Marci 
Venet.,  FV,  i64)-  Mais  nous  croyons  plutôt 
qu'il  s'agit  là  d'un  autre  médecin  padouan, 
Marsile  de  Sainte-Sophie,  qui  vécut  jusqu'aux 
premières  années  du  xv'  siècle  et  fiit  contem- 
porain du  médecin  bolonais  Pierre  de  To»«- 
gnano. 

'''  •  Quia  idem  Massilius  sciebat  in  medicina 
«  et  interdum  practicabat.  •  (  Baluze ,  Miscetl. ,  Il , 
a8o.) 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  567 

A  un  moment  quelconque,  et  peut-être  pour  des  motifs  peu  désin- 
téressés, Marsile  de  Padoue  fit  le  voyage  d'Avignon.  Cela  lui  permit, 
dans  la  suite,  de  parler  en  témoin  oculaire  de  l'aspect  mercantile  de 
la  cour  pontificale  ('\  Ce  voyage  eut  peut-être  lieu  lors  de  l'avènement 
de  Jean  XXII.  Profitant  d'un  moment  notoirement  favorable  à  l'ob- 
tention des  grâces,  Marsile  Mainardino  se  fit  recommander  au  nou- 
veau pape  par  deux  cardinaux  amis  des  lettres,  Jacques  de'  Stefaneschi 
et  François  Caëtani.  Grâce  à  leur  entremise,  il  obtint,  le  i4  octobre 
1 3 1 6 ,  des  lettres  de  provision  pour  un  des  canonicats  de  l'église  de 
Padoue !^'.  Dix-huit  mois  plus  tard,  le  5  avril  i3i8,  Jean  XXII  voulut 
encore  lui  réserver  le  premier  des  bénéfices  qui  viendraient  à  vaquer 
à  la  collation  de  l'évêque  de  Padoue'^'.  Cette  double  concession  suffit 
à  réfuter  ceux  qui  ont  voulu  faire  de  Marsile  soit  un  frère  Mineur  W, 
soit  un  simple  laïque  '^'.  N'est-il  pas  piquant  enfin  de  voir  Marsile  de 
PadoUe,  comme  d'ailleurs  son  collaborateur  et  ami  Jean  de  Jandun, 
commencer  par  recevoir  les  faveurs  du  pontife  qu'ils  allaient  bientôt 
combattre  avec  tant  d'animosité'®'? 


'"'  «  Qui  vero  vidi  et  affui ,  videre  videor 
«quam  {Dan.  a)  Nabuchodonosor  terribilem 
•  itatuam  in  somnio  recita tur  vidisse.  •  (Def. 
pac,  II,  XXIV,  p.  274.) 

'*'  Ant.  Thomas,  op.  cit. ,  p.  448.  —  L'omis- 
sion du  titre  de  «magister»  devant  le  nom  de 
Marsile  ne  nous  semble  pas  prouver,  comme 
le  croit  M.  Thomas  (p.  45o),  que  Marsile 
n'avait  pas  encore,  en  i3i6,  le  grade  de  doc- 
teur en  médecine  :  l'ancien  recteur  était  sûre- 
ment pour  le  moins  maître  es  arts,  et  cela 
suffisait  pour  lui  donner  le  droit  de  porter  le 
titre  de  «magister».  Il  faut  donc  croire  tout 
simplement  à  une  négligence  du  copiste.  — 
D'autre  part,  les  éditeurs  du  Chartal.  Univ. 
Paris.  (  II ,  1 58 ,  717)  ont  émis ,  à  propos  de 
cette  bulle ,  un  doute  qui  nous  parait  injustifié  ; 
ils  ont  pensé  qu'il  s'agissait  peut-être  d'un 
Marsilio  Mainardino  autre  que  l'ancien  recteur 
de  l'Université  de  Paris,  vu  que  les  exécu- 
teurs désignés  dan»  la  bulle  appartiennent  tous 
au  clergé  d'Italie.  Mais  l'usage  n'était-il  pas 
de  prendre  ces  exécuteurs  dans  le  voisinage  de 
l'église  où  se  trouvait  le  bénéfice  conféré  ?  or 
c'est  un  canonicat  de  Padoue  que  Jean  XXII 
donnait  à  Marsilio  Mainardino. 

'''   Vatikanische    Akten    zur   deutschen    Ge- 


schickte  in  der  Zeit  K.  Ludwigs  des  Bayem 
(Innsbmck,  1891,  in-4°).  p.  66.  —  On  a 
émis,  sans  raison  suffisante,  l'hypothèse  qu'à 
ce  moment  Marsile  avait  dû  s'en  retourner  à 
Padoue  (O.  Lorenz,  loc.  cit.;  S.  Sullivan,  Mar- 
siglio  of  Padua  and  William  of  Ockam,  dans 
The  American  historical  Review ,  t.  II,  1896- 
1897,  p.  4ii). 

''>  B.  Scardeone,  De  Antiqaitate  urbis  Pa- 
tavii  { Bâle ,  1  56o ,  in-fol.  ) ,  p.  1 49  ;  Papadopoli , 
Hist.  gymnasii  Patavini  (  Venise ,  1726,  in-fol.) , 
l.  II,  p.  i54;  Fabricius  (éd.  de  i858),  V,  33; 
Renan,  Averroès,  p.  360;  Le  Roux  de  Lincy 
et  Tisserand,  Pan»  et  ses  historiens,  p.  6. 

'*'  Labanca,  p.  i5;  Ad.  Franck,  Jouni.  des 
Sav.,  i883,  p.  119. 

'*'  Il  est  bien  invraisemblable  que  Marsile 
de  Padoue  soit,  comme  on  l'a  supposé,  le  per- 
sonnage désigné  par  les  mots  «  cet  Italien 
«  appelé  Marcillo  »  dans  une  lettre  de  Jean  XXII 
au  seigneur  Bernard  Jourdain  de  l'Isle,  du 
29  avril  i3i9  :  «Ceterum,  fili,  nosse  te  volu- 
«  mus  nos ,  non  absque  turbatione  grandi  animi , 
«  percepisse  quod  virum  illum  nequam  priorem 
«  Montis  Falconi  et  illum  Ytalicum  qui  dicitur 
«  Marcillo  ad  presenciam  dilecti  filii  nostri  Ca- 
«  roli ,  clare  memorie  régis  Francie  filii ,  comtis 


568 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


IV 

On  sait  maintenant  à  quel  moment  put  se  faire  le  rapprochement  des 
deux  futurs  collaborateurs.  Jean  de  Jandun  n'avait  pas  été,  comme 
on  l'a  écrit  '•',  professeur  à  Padoue.  Marsile  Mainardino  n'était  proba- 
blement jamais  venu  à  Paris  avant  i3i  i.  C'est  à  partir  de  cette  date 
qu'ils  ont  pu  commencer  à  se  lier,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  sup- 
poser qu'ils  habitèrent  la  même  maison  ^^\  ou  que  l'un  ait  été  le  dis- 
ciple de  l'autre.  On  veut  généralement  que  Marsile  ait  servi  de  maître 
à  Jean  de  Jandun  *^^  :  mais  rien  ne  prouve  qu'il  lui  ait  été  supérieur 
même  par  l'âge ''^'.  Ils  se  rencontrèrent;  la  physique  et  peut-être  une 
certaine  communauté  de  vues  les  réunirent;  Marsile,  on  s'en  souvient, 
fit  connaître  à  Jean  de  Jandun  le  précieux  Commentaire  de  Pierre 
d'Abano  sur  les  Problèmes  d'Aristote  :  ainsi  naquit  une  collaboration 
qui  aboutit  à  la  rédaction  du  plus  surprenant  ouvrage  politique  et 
religieux  que  le  xiv"  siècle  ait  vu  paraître. 

Avant  d'analyser  le  livre  connu  sous  le  titre  de  Defensor  pacis ,  cher- 
chons à  préciser  l'époque  de  sa  composition. 

Tout  d'abord  il  faut  faire  justice  d'une  légende  suivant  laquelle  le 
fameux  livre  aurait  été,  d'un  bout  à  l'autre,  compilé  en  deux  mois. 
L'invraisemblance  d'un  pareil  tour  de  force  n'a  pas  empêché  de 
graves  historiens  d'y  croire'^'.  En  remontant  aux  sources,  ils  se  fussent 


«  Marchie,  nd  instanciam  tirannorum  partis  ge- 
«  heline  Ytalie  destinasti ,  ad  traclandum  quod 
«  idem  cornes  capitancatum  partis  gebeline 
«Ytalie  debeat  acceptare.  .  .  »  (Abbé  L.  Gué- 
rard,  Documents  pontificaiiw  sur  la  Gascogne 
d'après  les  Archives  au  Vatican;  Pontificat  de 
Jean  XXII,  t.  I,  p.  j36.) 

("  Fabricius,  111,  363;  Du  Boulay,  IV, 
ao5;  Renan,  Averroès.  p.  SSg.  —  Ce  der- 
nier savant  n'est  pas  éloigné  de  reconnaître  en 
Jean  de  Jandun  le  «  maestro  Giandino  » ,  phy- 
sicien distingué ,  auquel  Dino  Compagni  adressa 
un  sonnet  (F.  Ozanam,  Documents  inédits  pour 
servir  à  l'histoire  littéraire  de  l'Italie,  Paris, 
1 85o,  in-8°,  p.  319) .  et  M.  K.  Mùller  {Gôtting. 
c/clehrte  Anzeigen,  i883,  p.  9i4)  ne  trouve 
aucune  objection  à  faire  contre  cette  hypo- 
thèse. 
gi^i')  C'est  ce  qu'affirment  MM.  P.-E.  Meyer 


(p.  8)  et  A.  Huraut(p.  1 5),  trompés  peut-être 
par  un  passage  du  continuateur  de  Guillaume 
de  Nangis  (éd.  Géraud,  t.  11,  p.  i4)  :  «  Circa 
«  ista  tempora,  de  flore  liiii  l'arisius  studii  exie- 
«  runt  duo  iilii  nequain...  >  Dans  son  style 
imagé,  le  chroniqueur  compare  l'Université  à 
une  fleur  de  lis;  il  n'entend  nullement  dési- 
gner une  maison  spéciale  connue  sous  le  nom 
de  Fleur-de-lis. 

'*'  Labanca ,  p.  1 1 8  ;  Franck ,  p.  119. 

'*'  Dans  la  phrase  de  Jean  de  Jandun,  re- 
produite plus  haut  (p.  555,  note  1) ,  les  mots 
dilectissimam  meum  maqistrum  Marciliuin  de 
Padua  ne  doivent  pas,  croyons-nous,  se  tra- 
duire par  :  «  mon  très  cher  maitre  Marsile 
«de  Padoue  1-  mais  par  :  «mon  très  cher  ami 
«  M'  Marsile  de  Padoue  ». 

'''  Tisserand  et  Le  Rowx  de  Lincy,  p.  9: 
Riezler,  p.  36  ;  K.  Millier,  Der  Kampf  Ludwitjs 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


569 


convaincus  que  l'erreur  provient  d'un  contresens  :  on  s'est  mépris 
sur  la  signification  d'un  passage,  pourtant  parfaitement  clair,  de  la 
déposition  de  François  de  Venise  *''.  La  seule  inspection  du  Dejensor 
pacis  prouverait,  au  contraire,  qu'il  est  le  résultat  de  longues  recher- 
ches, quand  bien  même  la  déclaration  d'un  des  auteurs  ne  nous  ren- 
seignerait pas  à  cet  égard ''^'. 

Dans  la  rédaction  définitive,  le  Defensor  pacis  contient  des  allusions 
à  plusieurs  événements  connus,  à  f excommunication  de  Louis  de 
Bavière'^*,  prononcée  par  bulle  du  2 3  mars  iSa^''*',  et  à  la  circulaire 
adressée  par  le  pape  aux  Electeurs  (^'  le  26  mai  suivant '*''.  D'autre 
part,  il  prévoit  et  annonce  seulement  comme  possible  facte  par  lequel 
Jean  XXII  déclara  Louis  de  Bavière  privé  de  ses  droits  à  l'Empire'^*. 


des  Bayem  mit  d.  rôin.  Carie,  t.  f,  p.  368; 
Scaduto,  p.  !  16;  J.  Sullivan,  The  Americ.  his- 
tor.  Rev. ,U,  4 1 1  • 

'''  «  AucHvit  dici ,  post  recessum  dicti  Massilii 
«  perdiiosmenses,  quod dicti  Massiliuset  Johannes 
«  tantuin  compilaverunt  dictum  libellum  »  (  Ba- 
luze,  Miscell.,  éd.  Maiisi,  II,  180).  Cela  ne 
veat  point  dire  (pe  Marsile  et  Jean  de  .landun 
n'ont  mis  que  deux  mois  à  compiler  leur  ou- 
vrage, mais  qu'ils  ont  été  seuls  à  le  l'aire,  et 
que  le  témoin  a  recueilli  ce  renseignement  deux 
mois  après  le  départ  de  iVlarsile  (cf.  O.Lorenz, 
II,  35 1,  note  a). 

'*'  Def.  pac,  I,  I,  p.  i55  :  «Sequentium 
«sententiarumsummasposttempus  diligentiset 
«  intentai  perscrutationis  scripturse  mandavi.  » 
''*  Def.  pac. ,  II ,  XMv,  p.  27a  :  «  In  supradic- 
«  tum  principem  christianissimnm  venena .  .  . 
t  effudit  et  sparsit ,  dum  ipsum ,  cum  sibi  singu- 
«  lariter  adhœrentibus.excommunicaDit,  et  com- 
«munitatibus  fidelium  eidem,  tanquam  régi 
«Romanorum,  praestantibus  aut  praestituris 
«auxilium,  consilium  aut  favorem  divinorum 
«  officiorum  exercitium  interdixit.  » 

'•'  Thés,  anecd. ,  II,  65a.  —  C'est  à  tort  que 
M.  R.  MûUer  (I,  p.  98,  note  1)  a  soutenu  que 
cette  bulle  ne  prononçait  pas  l'excommunica- 
tion contre  Louis.  Elle  ajourne  seulement  la 
publication  de  cette  sentence. 

'''  Def. pac,  II,  XXVI,  p.  288  :  «  Concitat  ad- 
11  versus  jamdictum  catholicum  principem  in 
«  rebellionem  ejus  subditos  atque  fidèles ,  per 
«saa  qaœdam  scripta  diabolica,  quœ  tamen  apo- 
«  stolica  vocat ,  ipsos  absolvendo  a  juramento 


«  fidelitatis  quibus  sa-pedicto  principi  fuerant  et 
Il  sunt  secundum  veritatem  astricti.» 

<•)   Rinaldi,  V,  269. 

'''  Def.  pac,  II,  XXVI.  —  Il  ne  faut  pas  lire 
ce  passage  dans  l'édition  de  Bàle  ni  dans  celle  de 
Goldast  (p.  283),  où  le  texte  a  été  altéré,  et  où 
^e  mélange  de  futurs  et  de  prétérits  rend  le  sens 
obscur.  Dans  tous  lesnianuscrits  que  nous  avons 
consultés,  les  verbes  pronunciabit  et  privahit 
sont  au  futur,  aussi  bien  que  le  verbe  emittet  : 
«  Demum  vero  sue  malicie  aculeum ,  quem  in  no- 
«  cumento  et  exterminatione  crédit  extremum, 
«  foras  emittet  ^r/aji.«e,  in  predictum  principem 
«  figere  credens ,  biasphemiam  videlicet  suam , 
«  quondam  ab  ipso  vocatamsentenciam ,  licet  re- 
«  vera  supremam  dementiam,  qua  supradictum 
«principem  cum  adherentibus,  obedientibus 
11  aut  faventibus  sibi  omnibus  tanquam  régi  pro- 
ie nunciabit  hereticos  et  Ecclesie  inimicos  sive  re- 
«  belles ,  suorum  temporalium  omni  mobilium  et 
«  immobilinm  jure  privabit,  jam  dictam  senten- 
«tiam  indigne  vocatam  publicando,  ipsaque 
«  occupare  volentibus  aut  occupantibus  conce- 
«  dendo,  et  hoc  licite  fieri  posse  per  suas  voces 
«  atque  menibranasinscriptas  per  se  vel  pseudo 
«  quosdam  predicatores  aliosin  omnibus  provin- 
11  ciis  nunciando,  ipsosque  rursiis  ad  mortem 
«  dampnando ,  et  occidentibus  aut  invadentibus 
«  culparum  atque  penarum  omnium  commisso- 
«ruui  criminum  veniamconcedendo,  et,  si  vivi 
«capiantur,  ubicumque  fuerint,  in  servitutem 
«redigendo.  "  (Bibl.  nat. ,  ms.  latin  )45o3, 
fol.  125  r°;  cf.  ms.  latin  15869,  ^°'-  ^^°' 
Oxford,  Magd.  Coll.  86 ,  fol.  1 36  v"  ;  Bibl.  Bodl. , 


HIST.  LITTER. 


■XXXIII. 


570 


JEAN  DE  JAîNfDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


Cette  pénalité,  dont  le  pape  se  bornait  à  menacer  le  prince  le  2 3  mars 
i32^,  ne  fut  appliquée  que  par  bulle  du  1 1  juillet  suivant'''.  Il  serait 
donc  naturel  de  placer  l'achèvement  du  Defensor  pacis  entre  le  mois 
d'avril  et  le  mois  de  juillet  i324.  Dans  ces  conditions,  il  est  difficile 
de  récuser  le  témoignage  de  deux  manuscrits  du  xiv"  siècle  qui  assi- 
gnent précisément  à  l'achèvement  de  ce  traité  une  date  comprise  entre 
ces  deux  termes  extrêmes  :  le  livre  fut  achevé  le  2^  juin  1 324 ,  lit-on 
dans  le  ms.  464  de  la  bibliothèque  impériale  de  \^enne  f'^'  et  dans  le 
ms.  1 4 1  de  la  bibliothèque  du  chapitre  de  Tortose  '^l  Cette  date  nous 
paraît  extrêmement  vraisemblable'*'. 

Une  lutte  violente  venait  d'éclater  entre  le  pape  et  le  chef  de  l'Em- 
pire. Jean  XXIl  s'était  borné  d'abord  à  citer  devant  son  tribunal  les 
deux  prétendants  au  trône  laissé  vacant  par  la  mort  de  Henri  VII  de 
Luxembourg;  puis,  las  de  voir  Louis  de  Bavière  favoriser  en  Italie  ses 


ms.  Canonici  Miscell.  188,  fol.  SS**,  etc.)  Les 
mêmes  fulm-s  se  rencontrent  dans  les  mss.  464 , 
809  et  45 16  de  la  Bibl.  impér.  de  Vienne; 
seiJ,  le  ms.  5369  de  la  même  bibliothèque 
porte  emittit  et  proniinciavit ,  d'après  les  ren- 
seignements qui  nous  ont  été  fournis  par 
M.  G.  Gutmensch.  Cf.  0.  Lorenz,  II,  349, 
note  1. 

(')   Thes.anecd..n,  660. 

<*'  «  Anno  tricenteno  milleno  quarto  vigeno 
Il  Defensor  est  iste  perfectus,  festo  Baptiste.» 
(Denis,  Cod.  mss.theol.  Vindob.,  II,  i5i8). 

'''  Note  rédigée  exactement  dans  les  mêmes 
termes  (  Denifle  et  Châtelain ,  Inventariam  codi- 
cam  nus.  capitali  Dertnsensis,  Paris,  1 896 ,  in-8°, 
p.  28).  Ces  deux  manuscrits  ont  une  parenté 
certaine. 

'*'  La  date  de  i324  avait  été  admise  par 
Goldast(lI,  i54).  Riezler  (p.  196)  penchait 
pour  l'été  de  i3a4,  tout  en  admettant  que  le 
Defensor  pacis  pût ,  à  la  rigueur,  avoir  été  écrit 
dans  les  années  suivantes,  mais  sûrement  avant 
la  fin  de  i3a6.  MM.  K.  Mùller  {op.  cit.,  I, 
368,    et    Gôtting.    gelehrte   Anzeigen,    i883, 

fi.  919)  et  J.Sullivan  [The  Americ.  histor.  Rev., 
I,  4ii)  admettent  la  date  du  34  juin  i3a4. 
—  Cependant  M.  Rilter  (  Reusch's  Tkeolog.  Lite- 
raturblatt,  1874,  n"  a6;  cf.  Hist.  Zeitschrift , 
1879,  p.  3oa)  avait  cru  apercevoir  dans  le 
préambule  et  dans  le  chap.  xxvi  de  la  H'  partie 
(p.  a86)  des  traces  de  remaniements,  qu'il 
datait  de  i3a8.  Mais  il  n'y  a  rien  de  surpre- 


nant à  ce  que,  dès  i3a4,  et  dans  un  ouvrage 
qui  lui  était  dédié,  le  roi  des  Romains  ait  été 
appelé  empereur  par  anticipation ,  et ,  quant  aux 
légats  mentionnés  au  chap.  xxvi,  il  faut  recon- 
naître en  eux  le  cardinal  Bertrand  du  Poyet  et 
l'abbé  de  Saint-Sernin  Ameilh  de  Lautrec ,  dont 
les  légations  en  Lombardio  et  dans  la  Marche 
d'Ancône  remontent  l'une  à  i3ao,  l'autre  pro- 
bablement à  i324  (cf.  Vatik.  Akten,  p.  a5a, 
Sai).  —  Enfin,  l'on  ne  saurait  s'appuyer  pour 
dater    le   Defensor  pacis   sur  im    passage  (II, 
XXV  )  où  il  est  fait  allusion  à  la  nomination  d'un 
archevêque  de  Lund  languedocien  (cf.  Riezler, 
p.  319):  cet  archevêque  n'est  autre  qu'Isarn 
de  Fontiès  (cf.  Ant.  Thomas,  Annales  du  Midi, 
XVII ,  1 906 ,  p.  5 1 1  et  suiv.  ) ,  dont  la  nomination 
remontait  au  1 1  avril  i3oa.  — Dans  un  article 
tout  récent,  M.  J.  Sullivan   [Tlie  manuscripts 
and  date  of  Marsiglio  of  Padaa's  Defensor  pacis , 
dans  The  English  historical  Review,  avril  1906, 
p.  393  et  suiv.  ),  revenant  sur  cette  question  de 
la   date   du  Defensor,  conclut   de  nouveau  en 
faveur  de  l'été  de  i3a4  (p.  299);  tout  au  plus 
admet-il  que  le  chapitre  1  "  ait  pu  être  ajouté 
postérieurement  au  couronnement  de  Louis  de 
Bavière  (  17  janvier  i3a8),  ou  ffu'au  moins  le 
mot  rex  ait  pu  être,  dans  cette  circonstance, 
remplacé,  à  cet  endroit,  par  le  mot  imperator. 
Cette   dernière    hypothèse    nous    semble   de 
beaucoup  la  plus  rationnelle    si  l'on  veut,  à 
toute  force ,  admettre  une  interpolation ,  ce  qui 
n'est  pas  nécessaire. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  571 

ennemis  les  Visconti,  il  venait  de  le  dénoncer  comme  fauteur  d'hé- 
rétiques, de  le  frapper  d'excommunication,  de  lui  enjoindre  de  se 
désister,  dans  les  trois  mois,  de  l'administration  de  l'Empire,  sous 
peine  d'être  déclaré  déchu  de  tous  ses  prétendus  droits.  Malheureuse- 
ment cette  menace  se  produisait  à  un  moment  où  Louis,  vainqueur 
de  son  rival  qu'il  gardait  prisonnier,  maître  du  Palatinat  et  du  Bran- 
debourg, ne  se  croyait  plus  obligé  de  garder  aucune  mesure.  Aux 
sommations  et  aux  censures  du  pape  d'Avignon  il  avait  répondu  par 
des  provocations  nouvelles,  notamment  par  l'appel  de  Saxenhausen, 
tissu  d'accusations  violentes  contre  l'orthodoxie  de  Jean  XXII. 

Les  auxiliaires  de  Louis  de  Bavière  dans  cette  première  campagne 
menée  contre  le  Saint-Siège  avaient  été  des  Franciscains.  Deux  hommes 
pensèrent  que,  si,  à  leur  tour,  ils  établissaient  par  de  bons  arguments 
la  suprématie  de  l'Empire,  son  indépendance  à  l'égard  du  Saint-Siège 
et  l'inanité  des  prérogatives  «usurpées»  par  les  souverains  pontifes, 
cette  démonstration  instructive,  et  surtout  opportune,  ne  serait  pas 
inutile  à  la  cause  impériale  et  leur  conférerait  peut-être  à  eux-mêmes 
quelque  titre  à  la  reconnaissance  de  Louis  de  Bavière  :  Jean  de  Jandun 
et  Marsile  de  Padoue  se  mirent  à  composer  le  Defensor  pacis. 

On  a  nié  de  nos  jours  cette  collaboration  :  le  rôle  de  Jean  de  Jandun 
s'est  trouvé  réduit  à  celui  de  conseil^'',  ou  même  de  simple  copiste '-). 
A  vrai  dire,  le  nom  seul  de  Marsile  de  Padoue  apparaît  dans  le 
Defensor  pacis.  Nous  ne  parlons  pas  seulement  des  titres  qui  accom- 
pagnent l'ouvrage  dans  quelques  manuscrits;  mais  le  contexte  lui- 
même  semble  déceler  uniquement  la  main  du  physicien  padouan. 
Antenorides  ego,  c'est  par  ces  expressions  que  l'auteur  se  désigne  dès 
le  début  :  or,  Antenorides  équivaut  à  «Padouan»,  car  Anténor,  prince 
troyen,  passait  pour  le  fondateur  de  la  ville  de  Padoue.  Marsile  Mai- 
nardino  se  met  seul  en  avant.  En  maint  passage  on  croit  reconnaître 
l'Italien  P',  le  Gibelin ,  et  aussi  le  médecin ,  qui  emprunte  ses  exemples 
aux  choses  de  la  médecine  <*>. 

'"  Labanca,  p.  121  et  suiv.  <')  Dès  le  début  (I,  i),  voulant  montrer  les 

<''  Friedberg,  p.  11 4.  —  Ceux  qui  ont  émis  inconvénients  de  la  discorde,  il  tire  exemple 

cette  étrange  hypothèse  ignoraient  évidemment  de  la  situation  actuelle  de  l'Italie.  Cf.  I,xix, 

l'importance  littéraire  et  philosophique  de  Jean  et  II,  vin ,  p.  202. 

de  Jandun.  Cf.  Riezler,  p.  igS;  J.   Sullivan,  '*>  II,  vi,  p.  ao8,  210;  II,  ix,  p.  21 4,  217, 

Marsiglio  of  Padaa  a.  W.  ofOckam,  dans  The  218;  II,  xxiv,  p.  280,  etc. 

Americ.hist.  Rev.,  II,  4i2. 


572  JEAN  DE  JAADUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

La  collaboration  de  Jean  de  Jandun  cependant  est  un  fait  avéré  : 
les  contemporains,  qui  savaient  sans  doute  mieux  que  nous  à  quoi 
s'en  tenir,  ne  nomment  jamais  un  des  auteurs  du  Dejensor  f^ans  l'autre. 
C'est  le  pape,  dans  ses  lettres,  ce  sont  les  continuateurs  de  Guillaume 
de  Nangis  et  de  Géraud  de  Frachet,  c'est  le  propre  disciple  de  Mar- 
sile ,  François  de  Venise ,  c'est  le  versificateur  normand  auteur  du  De 
Bavari  apostasia^^\  qui  associent  toujours  le  nom  de  Jean  de  Jandun  à 
celui  de  Marsile  de  Padoue,  et  nomment  assez  souvent  le  Français 
avant  l'autre. 

A  y  regarder  d'un  peu  près,  il  n'est  pas  impossible  de  retrouver 
dans  le  DeJ'ensor  pacis  des  marques  du  style  de  Jean  de  Jandun'^'.  On 
y  reconnaît  surtout  sa  tournure  d'esprit  philosophique'^',  sa  façon  de 
distinguer  le  domaine  de  la  foi  de  celui  de  la  science  *■  et  son  habi- 
tude d'invoquer  l'autorité  d'Aristote.  Une  grande  partie  du  Dejensor 
n'est  qu'un  commentaire  de  la  Politique,  ouvrage  sur  lequel  Jean  de 
Jandun  ne  paraît  pas  avoir  laissé  de  glose,  mais  qu'il  cite  à  plusieurs 
reprises  dans  ses  divers  traités,  notamment  dans  le  De  Laiidibus  Pari- 
sius.  Il  ne  serait  pas  surprenant  que  Marsile  de  Padoue  eût  eu  recours 
à  son  ami  pour  donner  à  son  système  politico-religieux  une  base 
philosophique. 

Au  surplus ,  qu'il  y  ait  contradiction  entre  les  théories  du  Dejensor 
pacis  et  certaines  opinions  émises  ailleurs  par  Jean  de  Jandun,  par 
exemple,  au  sujet  des  avantages  respectifs  de  la  monarchie  élective  et 
de  la  royauté  héréditaire,  ce  n'est  point  là  ce  qui  rendrait  plus  diffi- 
cile à  concevoir  la  collaboration  de  notre  philosophe  :  il  est  certain 
que,  pour  s'engager  dans  la  voie  du  schisme  en  compagnie  de  Louis 
de  Bavière,  le  Français  dévoué  aux  intérêts  de  son  prince,  l'ancien 
protégé  de  Jean  XXII,  le  maître  respectueux  des  enseignements 
de  l'Eglise  se  condamnait  d'avance  à  plus  d'une  palinodie. 

Tout  ce  qu'on  peut  supposer,  c'est  que  la  situation  de  Jean  de 

'"'  Eklité,  en  1899,  par  0.  CarteHieri  [Neues  p.  200)  :  «  Reliqunm  autem  et  his  habitum  est 

Archiv ,  XXV,  71a,  7i3).  «ostendere.  .  .  ». 

'*'  Ainsi,  dans  le  De  Laadibas  Parisius  (II,  <''  Voir  notamment  les  distinctions  psvcho- 

4,  p.  5a),  on  lit  :  t  Hahittim  autem  est  hiis,  si  logiques  qui  se  lisent  au  chap.  viii  de  la  seconde 

«  considerare  non  displicet  de  manu  artificibus  partie. 

«annectere.  .  .  »  dans  le  sens  de  «visuni  est,  '')  A  propos  de  l'institution  divine  du  pon- 

«conveniens  est».  Et  dans  le  Defensor  pacis  (I,  voir  chez  Moïse,  du  sacerdoce  chez  Aaron.l'on 

XV,   p.    175)    :   «Hujus   ergo   partis   elTiciente  lit  au  chap.  ix  de  la  première  partie  :  •  Sed 

•  monstrato,  habitum  est  dicere .  .  .  »  ;  (II,   v,  «simplicicredulitate,absqueratione,tenemus.  • 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSiLE  DE  PADOUE. 


573 


Jandun  au  collège  de  Navarre  le  força  de  garder  une  certaine  réiorve, 
et  l'empêcha  de  mettre,  en  quelque  sorte,  sa  signature  au  bas  de 
l'œuvre  commune. 

Jamais  on  n'a  douté,  au  xiv"  siècle,  de  la  participation  de  Jean  de 
Jandun  à  l'œuvre  de  Marsile  de  Padoue;  mais  une  autre  question  s'est 
posée  dès  le  début  :  n'avaient-ils  pas  d'autres  collaborateurs  ?  Ainsi  le 
disciple  de  Marsile  déjà  mentionné,  François  de  Venise,  fut  soup- 
çonné de  leur  avoir  apporté  son  concours  pour  la  rédaction  ou  la 
compilation  du  Dejensor  pacis.  Interrogé  à  ce  sujet,  en  présence  de 
l'archevêque  d'Arles,  délégué  du  Saint-Siège,  il  protesta  que,  s'il  avait 
eu  connaissance  des  doctrines  erronées  de  ces  deux  hommes,  il  aurait 
fait  part  de  sa  découverte  à  l'évêque  de  Paris.  Jamais,  d'ailleurs,  il 
n'avait  su  ni  entendu  dire  que  personne,  en  dehors  de  ces  deux  maî- 
tres, eût  été  mêlé  à  la  composition  du  Dejensor  pacis'^^K 

De  nombreux  manuscrits  de  valeur  fort  inégale,  mais  dont  la  plu- 
part remontent  au  xiv"  siècle,  nous  ont  conservé  le  texte  du  Dejensor 
pam.  Ce  sont,  à  Paris,  les  n""  1778  (Golbert),  i45o3,  14619,  1^620 
(Saint-Victor),  16690  et  16869  (Sorbonne)  du  fonds  latin  de  la 
Bibliothèque  nationale'-',  à  Auxerre,  le  n°  19  de  la  bibliothèque  mu- 
nicipale, à  Bruges,  le  n°  667,  à  Oxford,  le  n°  86  de  Magdalen  Col- 
lege'^*  et  le  ms.  Canonici  Miscell.  188  de  la  Bodléienne  (fol.  2-66), 
à  Londres,  le  ms.  lo.A.xv  du  fonds  royal  du  Musée  britannique,  à 
Cambridge,  le  ms.  16  de  Caius  Collège,  à  Vienne,  en  Autriche,  les 
n"'  464,  809,  45 16  et  5369  de  la  Bibhothèque  impériale,  à  Turin, 
le  ms.  121   de  la  Bibliothèque  du  Roi'*\  à  Piome,  le  n°  3974  de  la 


'">  hahue ,  Miscellanea  (éd.  Mansi),  II,  380. 

'*'  Les  mss.  lat.  i45o3  (xiv*  siècle),  idGit) 
et  14620  (xv'  siècle)  sont  peut-être  ceux  qui 
présentent  le  texte  le  moins  corrompu.  En  tête 
du  dernier  figure  une  miniature  représentant 
deux  maîtres  (évidemment  Marsile  de  Padoue 
et  Jean  de  Jandun)  qui,  agenouillés  dans  une 
prairie>  et  accompagnes  de  deux  autres  clercs 
également  à  genoux,  offrent  leur  livre  à  une 
assemblée  de  docteurs.  Au  fond  du  tableau, 
l'on  aperçoit,  sur  deux  trônes  qui  se  font  pen- 
dant, le  pape  et  l'empereur,  environnés  de 
leurs  cours.  Quant  au  ms.  latin  1778  (xiv"  siè- 
cle), la  copie  en  est  fort  défectueuse;  dans  le 
latin  16869  ("'V  siècle),  le  premier  feuillet 
manque;  dans  le  n°  16690  (xiv*  siècle),  on  re- 


marque l'absence  des  deux  derniers  chapitres. 
—  M.  K.  Millier  [Gôtting.  gelehrte  Anzeigen, 
i883,  p.  931,  92a)  a  tenté  un  essai  de  classi- 
fication des  manuscrits  de  Paris  du  Defensor, 
mais  en  s'aidant  surtout  des  incipit  et  sans 
pousser  bien  loin  la  comparaison.  —  M.  J. 
Sullivan  (  The  Engl.  histor.  Rev. ,  1 906 ,  p.  296 ) 
estime  que  les  mss.  latins  i45o3  et  14619, 
ainsi  (pe  le  ms.  d' Auxerre ,  dérivent  du  latin 
16690. 

'''  Le  plus  bel  exemplaire  que  nous  ayons 
consulté;  168  feuillets  de  parchemin  sont  cou- 
verts sur  deux  colonnes  d'une  grosse  écriture 
du  xiv°  siècle ,  fort  soignée  ;  les  initiales  sont 
dorées. 

'*'  J.Sullivan,  p.  396,  396,  298. 


574 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


bibliothèque  Vaticane,  à  Tortose  enfin,  le  n"  i4i  àe  la  bibliothèque 
du  chapitre '''. 

L'ouvrage  commence  tantôt  par  les  mots  Omni  (juippe  regno  deside- 
rabilis  débet  esse  trancfuillitas .  .  .  '^',  tantôt  par  ceux-ci  :  Desiderabilis 
débet  esse  tranciaiUitas^^^  ou  Desiderabilis  esse  débet  tran(^uillitas^'*\  sans 
que  cette  différence  d'incipit  corresponde  à  deux  rédactions  dis- 
tinctes. 

La  plupart  des  manuscrits  contiennent  un  dernier  chapitre,  qui  a 
été  supprimé  dans  les  éditions*^',  et  se  termine  de  la  façon  suivante  : 

Ipsumque  corrigendum  atque  determinandum  supponimus  auctoritati  Ecclesiae 
catholicae  seu  generalis  Concilii  fidelium  christianorum.  Explicit  tertia  dictio  Defen- 
soris  pacis,  etc.  Deo  gratias.  Amen. 

D'après  le  préambule,  l'ouvrage  se  divise  en  trois  parties,  dictiones  : 
dans  l'une,  les  arguments  tirés  de  la  raison  humaine;  dans  l'autre, 
les  arguments  tirés  de  l'Ecriture  sainte  ou  des  docteurs  de  l'Eglise; 
dans  la  dernière,  un  certain  nombre  de  maximes  pratiques.  Cette 
division  ne  donne,  d'ailleurs,  qu'une  idée  imparfaite  du  plan  suivi 
par  les  auteurs  :  la  première  partie  est,  en  réalité,  un  exposé  de  leur 
doctrine  de  l'État'^',  la  seconde  une  étude  sur  l'organisation  de  l'Eglise 
et  sur  ses  rapports  avec  l'Etat,  Ja  troisième  une  énumération  des  prin- 
cipales conclusions  de  l'ouvrage. 

La  paix  est  le  bien  indispensable  à  la  société,  comme  la  santé  est 
le  bien  indispensable  au  corps.  En  s'en  instituant  le  «défenseur», 
Marsile  de  Padoue  —  puisque  Jean  de  Jandun  s'efface  derrière  lui 
—  écrit  un  livre  nécessaire  à  qui  veut  jouir  du  bonheur  «civil»,  le 
plus  désirable  de  tous  les  biens  qu'on  puisse  souhaiter  sur  terre. 


'"'  M.  J.  Sullivan  (  The  Americ.  histor.  Rev. , 
II ,  p.  4 1  a  )  fait  remarquer  que  le  inanusciit 
de  Munich  signalé  par  M.  K.  Mûller  (loc.  cit.) 
n'est  qu'une  copie,  faite  au  xvii*  siècle,  de 
l'édition  de  i5aa.  Ailleui-s  [The  Engl.  histor. 
Rev.,  igoS.p.  aggj.un  manuscrit  de  Hanovre 
lui  suggère  la  même  observation.  Quant  au  ms. 
b.  35  de  Brème,  il  ne  contient  qu'un  sommaire 
des  deux  premiers  livres  du  Dejensor. 

*''  Mss.  d'Oxlord  de  Londres  et  de  Tortose. 

'''  Latin  i45o3;  ms.  19  d'Auxerre. 

'*'  Ms.  557  de  Bruges. 


'''  Il  n'a  été  publié  qu'en  1 883 ,  par  M.  Kari 
Mûller  (  Gôtting.  gelehrte  Anzeigen ,  p.  93 S-ga 5 ) , 
d'après  les  mss.  de  Paris  lat.  1778,  1^619  et 
4630.  —  Pour  nos  autres  citations,  nous  avons 
renvoyé  et  nous  renverrons  encore  à  l'édition 
publiée  par  Goldast  en  i6l4. 

'*'  Le  prêtre  y  tenant  une  place ,  même  dans 
la  cité  antique,  il  fallait  expliquer  le  rôle  du 
prêtre  dans  la  société  chrétienne  :  de  là  une 
longue  digression ,  qui  n'est  pas  bien  à  sa  place 
dans  cette  première  partie,  sur  le  péché  ori- 
ginel et  le  dogme  delà  rédemption  (I,  vi). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  575 

Presque  toutes  les  causes  de  discorde  ont  été  décrites  par  Aristote; 
mais  il  en  est  une,  inconnue  de  l'antiquité,  qui  forcément  devait 
échapper  aux  regards  du  plus  grand  des  philosophes  :  c'est  celle-là 
que  Marsile  de  Padoue  se  propose  de  faire  connaître.  Cette  cause  une 
fois  écartée,  la  paix  pourra  renaître  dans  les  cités  modernes. 

L'amour  de  la  vérité,  de  sa  patrie,  de  ses  frères,  la  pitié  à  l'égard 
des  opprimés,  tels  sont  les  sentiments  qui  dictent  ces  pages  à  Marsile 
de  Padoue.  Il  les  dédie  au  roi  des  Romains  Louis  de  Bavière,  qu'il 
qualifie  prématurément  d'empereur,  et  en  qui  il  loue  la  naissance,  la 
vertu,  l'héroïsme,  un  grand  zèle  pour  défendre  la  science  et  la  foi, 
pour  faire  régner  la  paix;  il  voit,  déplus,  en  lui  le  ministre  de  Dieu 
destiné  à  faire  passer  ses  propres  théories  dans  le  domaine  de  la 
réalité*''. 

La  royauté,  qui  est  peut-être  le  meilleur  des  pouvoirs  tempérés, 
s'éloigne  d'autant  plus  de  la  tyrannie  que  la  soumission  des  sujets  au 
prince  est  plus  volontaire  :  les  préférences  de  l'auteur  sont  donc  pour 
la  royauté  élective'"^' —  en  vérité  il  ne  pouvait  guère  tenir  d'autre  lan- 
gage dans  un  traité  dédié  à  Louis  de  Bavière.  —  Il  ajoute  gracieuse- 
ment que  c'est  le  seul  mode  d'institution  qui  puisse  donner  le  pouvoir 
à  un  prince  excellent  :  Hoc  solo  modo  mstitutionis  habetar  principans 
optimas  (I,  ix). 

Suivant  la  doctrine  des  Apôtres  et  des  Pères ,  tout  pouvoir  provient 
indirectement  de  Dieu;  d'autre  part,  le  pouvoir,  chez  Moïse,  était 
d'institution  divine:  sans  contester  des  faits,  qu'il  déclare  indémon- 
trables, Marsile  se  borne  à  étudier  l'origine  humaine  du  pou- 
voir (I,  IX  ). 

L'auteur  véritable  de  la  loi,  le  législateur,  c'est  le  peuple,  c'est-à- 
dire  l'universalité,  ou  du  moins  la  plus  notable  partie  [valentior^  des 
citoyens.  Cette  dernière  formule  est  assez  élastique.  Le  peuple  édicté 
les  lois  par  l'entremise  de  délégués,  ou  en  exprimant  sa  volonté  lui- 
même  dans  une  assemblée  générale  (I,  xii;  III,  ii,  concl.  6);  c'est 
aussi  par  son  autorité  que  les  lois  sont  promulguées,  modifiées, 
interprétées,  abrogées  (I,  xii;  III,  ii,  concl.  8).  Il  serait  peu  sûr  de 
confier  le  pouvoir  législatif  à  un  petit  nombre  d'hommes  sages,  la 
multitude  ayant  mieux  qu'eux  ce  qu'il  faut  pour  discerner  le  bien  de 

'■'  Def.  pac,  I,  I,  p.  i55.  —  '''  H  revient  plus  loin  (I.xvi)  sur  cette  question  et  la  discute  fort 
longuement. 


576  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

l'État  :  et,  à  ce  propos,  Marsile  de  Padoue  énonce  ce  paradoxe  étrange 
que  les  gens  instruits  n'ont  point  d'avantage  sur  la  multitude,  vu  que 
la  multitude  comprend  les  gens  instruits  avec  ceux  qui  ne  le  sont  pas. 
En  dépit  de  ce  beau  principe,  Marsile  de  Padoue  est  disposé  à  charger 
de  la  préparation  et  de  la  proposition  des  lois  quelques  personnages 
compétents,  mais  à  condition  d'en  réserver  le  vote  à  la  multitude,  et 
pourvu  que  chaque  citoyen  conserve  le  droit  de  discussion  et  d'amen- 
dement. 11  estime  que  les  moins  doctes  peuvent  apercevoir  un  défaut 
dans  un  projet  de  loi  qu'ils  ne  seraient  pas  capables  d'élaborer.  Ainsi 
votées  par  tous,  les  lois  n'en  sont  que  mieux  observées  (I,  xiii). 

Le  peuple  élit  lui-même  ou  du  moins  institue  le  chef  du  gouver- 
nement, lequel,  à  son  tour,  détermine,  suivant  les  lois  et  coutumes 
reçues,  la  qualité,  le  nombre  des  personnes  jjropres  à  remplir  les 
fonctions  publiques,  civiles,  militaires  et  même  ecclésiastiques,  choisit 
qui  bon  lui  semble,  règle  les  affaires  de  la  cité  (I,  xv;  III,  ii,  concl.  12). 
La  prudence,  la  vertu,  la  justice  sont  requises  de  ce  détenteur  du 
pouvoir  exécutif,  qui,  pour  n'être  pas  tenté  de  se  mettre  au-dessus 
des  lois,  n'aura  à  sa  disposition  qu'une  force  armée  restreinte,  dont 
l'importance,  d'ailleurs,  sera  réglée  parle  peuple  (I,  xiv).  Cependant 
il  faut  prévoir  une  violation  possible  de  la  loi  divine  ou  humaine.  En 
ce  cas,  le  prince  peut  être  réprimandé  par  l'évêque  ou  le  prêtre,  mais 
en  termes  modérés;  seul  le  peuple  a  le  pouvoir  de  lui  infliger  une 
punition.  H  n'abusera  pas,  d'ailleurs,  de  ce  droit  et  pardonnera  les 
fautes  légères,  de  peur  que  le  prince,  souvent  châtié,  ne  perde  tout 
son  prestige  :  dans  les  cas  graves,  le  peuple  peut  aller  jusqu'à  envoyer 
au  supplice  le  chef  du  gouvernement  (I,  xviii;  II,  xxx,  p.  307). 

On  s'est  étonné,  non  sans  raison,  de  la  hardiesse  avec  laquelle  les 
auteurs  du  Dcfensor  pacis  proclamaient,  en  l'empruntant  d'ailleurs  à 
Aristote,  le  principe  de  la  souveraineté  populaire'''.  Il  ne  faudrait  pas 
cependant  perdre  de  vue  la  restriction  contenue  dans  les  mots  valentior 
pars  civium.  La  souveraineté  appartient-elle  à  la  majorité  des  citoyens, 
ou  aux  plus  capables,  ou  aux  plus  riches.^  Les  auteurs  gardent  sur 
ce  point  un  silence  qui  prête  à  bien  des  interprétations ''■'^.  Leur  Etat 

'■'  L.  .lourdan,  Etude  sur  Marsile  de  Padoue  '*'  M.  Labanca  (p.  87)    voit  dans  cette   ex- 

(Montauban,  1893 ,  in-S"),  p.  76;  Aug.  Nimis,  pression  un  emprunt  aux  statuts  de  la  répu- 

Marsilias'  von  Padua  republikanische  StaaUlehre  blique  de  Padoue.  M.  Scaduto  (p.  119)  conclut 

(Manheiin,  1898,  in-8°).  que   les  auteurs  n'avaient  peut-être  pas   eux- 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


J77 


idéal  ne  difiFère  peut-être  pas  autant  qu'on  pourrait  le  croire  de  cer- 
taines républiques  que  Marsile  de  Padoue  avait  vues  fonctionner 
en  Italie. 

L'audace  de  nos  auteurs  ne  fait  que  croître  à  mesure  qu'on  avance 
dans  la  lecture  du  Defensor  pacis.  Dans  le  dernier  chapitre  de  la  pre- 
mière partie,  ils  dénoncent  cette  cause  nouvelle  de  discorde  à  laquelle 
ils  avaient  fait  allusion  au  début,  qui  trouble,  notamment  dans  le 
royaume  d'Italie,  l'action  du  pouvoir  civil,  y  ruine  la  paix  et  y 
engendre  mille  calamités  :  elle  n'est  autre  que  la  papauté.  Cette  puis- 
sance «  fictive  »  est,  suivant  eux,  d'institution  humaine,  à  la  différence 
du  sacerdoce ,  qui  avait  été  fondé  par  Jésus-Christ.  Et  ils  esquissent  déjà 
l'histoire  de  la  série  d'usurpations  par  lesquelles  les  papes  seraient 
parvenus  à  établir  leur  prééminence  sur  tous  les  autres  prêtres  et 
évêques,  puis  à  étendre,  en  dernier  lieu,  leur  autorité  jusque  sur  les 
peuples,  les  communautés,  les  princes  et  l'empereur  des  Romains  : 
la  prétention  des  souverains  pontifes  serait  d'avoir  hérité  de  la  pléni- 
tude de  pouvoir  et  de  juridiction  que  Jésus-Christ  avait  sur  tous  les 
hommes.  Ici  sont  visées  directement  les  théories  théocratiques  de 
Boniface  VIII,  de  Clément  V  et  de  Jean  XXII'''.  Quant  à  la  politique 
des  papes,  elle  consisterait  à  s'immiscer  dans  les  affaires  temporelles, 
sous  prétexte  d'assurer  la  paix  parmi  les  hommes,  à  frapper  d'ex- 
communication ceux  qui  n'obtempèrent  pasà  leurs  ordres,  surtout  les 
moins  redoutables,  tels  que  les  communautés  ou  princes  d'Italie; 
enfin  à  empiéter  lentement  et  sournoisement  sur  la  juridiction  des 
souverains  plus  puissants.  Mais  Marsile  de  Padoue  a  reçu  de  Dieu  le 
pouvoir  de  saisir  et  de  dévoiler  le  sophisme  sur  lequel  se  fonde  la 
fausse  puissance  des  évêques  de  Rome  (I,  xix). 

En  commençant  la  seconde  partie,  notre  auteur  nous  annonce  — 
et  cela  ne  surprend  pas  après  ses  précédentes  déclarations  —  qu'il 


mêmes  une  idée  bien  précise  de  ce  (ju'ils  enten- 
daienlparlà.  Cf.  Riezler.p.  2o3,(;tOttoGierke, 
Johannes  Althasias  u.  die  Entwicklang  der  natur- 
rechtlichen  Staatstheorie ,  dans  le  t.  VII  des  Un- 
tersuchangen  zur  deatschea  Staats-  a.  Rechls- 
geschichte {Breiïau ,  1880,  in-8°),  p.  54,  note  3. 
'''  On  peut  voir  dans  le  passage  suivant  une 
allusion  à  la  bulle  du  3 1  mars  1 3 1 7  (  Thés, 
anecd. ,  II,  64 1)  :  «Quorum  novissime  atque 
•  manifestissime  niodernus  jam  dictorum  epi- 

HIST.    r.ITTÉR.  —  XXXIIl. 


«  scopus  ad  Romanorum  principem ,  tam  in  Ita- 
«licorum  provinciis  quam  Germanorum,  ad 
«  omnes  quoque  jam  dictarum  provinciarum 
«  inferiores  principes ,  communitates ,  collegia  et 
«  pcrsonas  singulares ,  cujuscumque  dignitatis 
«  et  conditionis  existant ,  ac  super  omnia  ipso- 
«  rum  feudalia  et  reliqua  temporalia  supremam 
«jurisdictionem  se  scripsit  habere»  [Def.  pacis, 
I,xix,p.  188).  Cf.  ifciVi. ,  Il ,  XX ,  p.  269;  II,  XXI, 
p.  261. 

73 


578  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

s'attend  à  avoir  contre  lui  le  Saint-Siège  et  ses  partisans,  les  routiniers 
et  les  jaloux  (II,  i).  En  effet,  après  avoir  énuméré  les  textes  favorables 
à  la  juridiction  apostolique  (II,  m),  il  en  cite  d'autres  à  l'aide  desquels 
il  prétend  établir  que  l'évêque  de  Rome  n'a  aucune  juridiction  coactive 
sur  les  prêtres,  princes,  communautés  ou  personnes  quelconques.  Il 
ne  s'agit  pas,  en  effet,  de  rechercher  ce  que  le  Christ  a  pu  trans- 
mettre de  pouvoirà  ses  apôtres,  mais  ce  qu'il  avoululeuren  transmettre 
et  ce  qu'il  leur  en  a  transmis  en  effet  (II,  iv).  Or,  il  résulte  de  l'ensei- 
gnement des  Apôtres  et  des  saints  que  tout  homme,  de  quelque  con- 
dition qu'il  soit,  doit  obéir  aux  princes  de  ce  monde  en  tout  ce  qui 
n'est  pas  contraire  à  la  loi  du  salut.  Les  évêques  et  le  pape  ne  sauraient 
donc  avoir  ici -bas  de  juridiction  coactive  ni  sur  les  clercs,  ni  sur 
les  laïques,  à  moins  qu'elle  ne  leur  ait  été  concédée  par  le  peuple, 
auteur  de  toute  loi*'',  et,  dans  ce  cas  même,  le  peuple  resterait  le 
maître  de  révoquer  sa  concession  pour  une  cause  qu'il  jugerait  rai- 
sonnable (II,  v;  III,  II,  concl.  7). 

De  là  une  curieuse  conséquence.  L'excommunication  entraîne  des 
dommages  matériels.  Son  efficacité  au  point  de  vue  surnaturel  laisse 
nos  auteurs  sceptiques: ils  n'y  voient  guère  qu'un  acte  d'intimidation, 
dont  l'utilité  est  d'arrêter  le  pécheur  sur  la  voie  de  la  perdition;  c'est 
ainsi  que  les  médecins,  par  exemple,  prononcent  d'alarmants  pro- 
nostics pour  décider  leurs  clients  à  suivre  une  meilleure  hygiène 
(II, VI, p.  210).  Mais,  au  point  de  vue  temporel,  les  suites  de  l'excom- 
munication consistent  dans  la  diffamation  et  dans  l'exclusion  de  la 
société  civile.  Pour  cette  raison,  l'on  ne  doit  point  abandonner  aux 
prêtres  le  maniement  dune  arme  aussi  redoutable.  Contre  les 
princes,  il  va  de  soi  que  le  clergé  ne  saurait  procéder  par  censures  ; 
ce  serait  vouloir  détourner  les  sujets  de  leurs  devoirs  et  s'arroger  le 
droit  de  disposer  des  couronnes.  Mais  même  contre  de  simples  parti- 
culiers le  clergé  ne  peut  lancer  d'excommunication.  Il  faut  que  cette 
mesure  soit  approuvée  par  les  fidèles  de  la  ville,  de  la  communauté, 
ou  par  le  Concile  général  ou  par  le  supérieur  de  l'intéressé.  En 
somme,  le  rôle  du  prêtre  ne  consistera  guère  qu'à  définir  dogmati- 
quement les  cas  susceptibles  d'entraîner  l'excommunication,  puis  à 


'''  Si  une  juridiction  coactive  a  été  concédée         toujours  en  appeler  au  pouvoir  civil  (III,  il, 
à  un  évêquo  ou  à  un  prôtre,  l'intéressé  pourra         concl.  87  ). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  579 

prononcer  la  sentence,  en  tant  qu'elle  peut  intéresser  l'àme  et  la  vie 
future (II,  VI,  p.  207-209).  Il  en  est  de  même  de  l'interdit:  le  clergé 
ne  le  prononcera  qu'avec  l'assentiment  du  peuple  (III,  11,  concl.  16). 

Au  moins  les  clercs  transgresseurs  de  la  loi  ont-ils  le  droit  de  ne 
comparaître  que  devant  une  juridiction  spéciale?  Nullement.  Il  fau- 
drait, en  ce  cas,  autant  de  tribunaux  qu'il  y  a  de  catégories  de  justi- 
ciables, autant  de  médecins  qu'il  y  a  do  conditions  différentes  parmi 
les  malades.  Qui  l'oserait  soutenir.^  Tous  les  coupables  seront  jugés 
parle  pouvoir  séculier.  S'il  y  a  une  différence  à  faire,  le  crime  sera, 
chez  le  prêtre,  plus  sévèrement  puni.  Quant  à  la  prétention  actuelle 
des  papes  de  se  soustraire  et  de  soustraire  tous  les  clercs  à  la  juri- 
diction civile,  elle  n'aboutirait  à  rien  de  moins  qu'à  l'annulation 
complète  des  tribunaux  séculiers.  C'est  à  quoi  les  prélats,  dans  une 
pensée  de  lucre,  travaillent,  à  grand  renfort  d'excommunications, 
et  nos  auteurs  citent  les  derniers  accroissements  du  privilège  du 
for,  invoqué  désormais  même  par  les  clercs  mariés,  même  par  les 
«Frati  Godenti'*'»  (II,  viii,  p.  212;  II,  xxiii,  p.  270). 

Mais  n'v  a-t-il  pas  toute  une  catégorie  de  fautes  contre  la  loi  divine 
dont  les  ministres  de  Dieu  doivent  seuls  connaître?  La  réponse  de 
nos  auteurs  est  encore  des  plus  nettes.  Suivant  l'esprit  de  l'Évangile, 
suivant  la  doctrine  des  Pères,  nul  ne  peut,  ici-bas,  être  contraint 
d'accomplir  les  préceptes  de  la  loi  divine  ^^'.  L'infidèle  ne  doit  pas  être 
forcé  d'embrasser  la  religion,  encore  moins  le  fidèle  de  la  pratiquer. 
Le  Christ,  souverain  juge,  fait  crédit  au  pécheur  jusqu'au  jour  de  sa 
mort  :  appartient-il  aux  prêtres,  aux  évêques,  de  se  montrer  en  cela 
plus  exigeants?  Les  schismatiques,  les  hérétiques  seront  donc  punis 
par  Jésus-Christ,  non  pas  dans  ce  monde,  mais  dans  l'autre.  Le  rôle 
des  prêtres  ne  consistera  qu'à  les  instruire,  à  les  exhorter,  à  les  répri- 
mander, à  les  épouvanter  même  par  l'annonce  des  peines  qui  les  atten- 
dent, non  pas  à  les  contraindre.  C'est  ainsi  que  les  médecins  avertissent 
leurs  malades:  telle  chose  vous  guérira  ;  telle  autre  vous  donnera  la  mort. 
Les  peines,  ici-bas,  d'une  manière  générale,  ne  sont  applicables  qu'aux 
transgresseurs  de  la  loi  humaine.  Au  surplus,  dans  certains  pays,  on 

'''  Sur  cette  sorte  de  congi'égalion  laïque ,  de  la  Loi  nouvelle ,  joints  à  ceux  de  la  morale 

voir  Du  Gange,  v°  Fratres  Gaudentes.  rationnelle;  il  ne  nous  est  aucunement  néces- 

'*'  Dans  l'intérêt  même  de  notre  salut,  nous  saire  d'observer  tous  les  préceptes  de  l'ancienne 

ne  sommes  tenus  d'observer  que  les  préceptes  Loi  (II,  ix;  III,  11,  concl.  3,4). 


580  JK\N  DE  JANDUN  ET  VIARSILE  DE  PADOUE. 

interdit  la  résidence  aux  hérétiques,  aux  infidèles  :  mais  cette  inter- 
diction est  le  fait  de  la  loi  civile;  et,  si  les  transgresseurs  de  cette  loi 
encourent  un  châtiment,  voire  un  supplice,  c'est  aux  juges  de  l'in- 
fliger, aux  juges  civils  investis  de  l'autorité  par  le  peuple.  Si,  au  con- 
traire, la  loi  civile  tolère  la  présence  de  tels  hommes,  personne  n'a  le 
droit  de  les  molester.  Supposons  maintenant  un  procès  d'hérésie  : 
aux  prêtres,  aux  docteurs,  appartient  de  déterminer  si  tel  acte  ou  tel 
discours  est  hérétique;  quant  à  la  culpabilité  du  prévenu,  elle  pourra 
être  établie  par  des  témoignages  de  toutes  sortes  ;  après  quoi  la  sentence 
sera  prononcée  par  le  pouvoir  civil,  s'il  a  reconnu  que  l'hérésie  est, 
en  effet,  interdite  par  la  loi  (II,  x,  p.  217-219;  III,  11,  concl.  i4, 
i5,  3o).  On  le  voit,  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  ne  sont 
pas  ces  défenseurs  résolus  de  la  liberté  de  conscience  dont  on  a  tant 
admiré  la  tolérance  précoce'*'  :  ils  se  bornent  à  récuser  les  tribunaux 
ecclésiastiques,  mais  admettent  fort  bien  que  la  loi  civile  prononce 
le  châtiment  des  hérétiques. 

Abordant  ensuite  une  question  qui  était  à  l'ordre  du  jour  en  182  4, 
les  auteurs  du  Defensor  pacis  reconnaissent,  comme  Jean  XXII  ^^'  et 
comme  l'Université  de  Paris '^',  que  le  Christ  et  les  Apôtres  ont  exercé 
le  droit  de  propriété.  Ils  ajoutent  cependantque  qui  veut  observer,  à  un 
degré  parfait,  la  pauvreté  évangélique,  ne  doit  garder  aucun  immeuble 
en  sa  possession,  si  ce  n'est  avec  la  ferme  intention  de  s'en  défaire 
le  plus  vite  possible  et  d'en  distribuer  le  prix  aux  pauvres;  il  ne  doit 
même  pas  chercher  à  se  défendre  devant  les  tribunaux  contre  ceux 
qui  auraient  envie  de  s'approprier  ses  biens'*'  (II,xiii,xiv;  111,  11, 
concl.  38).  Ce  conseil,  notons-le,  s'adresse  non  seulement  aux  reli- 
gieux qui  font  profession  de  pauvreté,  mais  aux  évêques  et  surtout 
au  pape,  bien  que  ce  ne  soit  pas  pour  celui-ci  une  obligation  rigou- 
reuse de  conformer  ainsi  sa  vie  à  l'idéal  évangélique'^'.  Le  peuple,  de 

■  ;*''  Ad.   Franck,  Journ.    des    Sav.,     i883,  priété  des  chose»  (De/",  pnci».  Il,  Xiv,  p.  a 36). 

p.  135,129.  '*'   "Status  paupprtalis  et  mundi  contemptus 

'''Constitutions  du   a6  mars  et  du  8  dé-  «  decet    omnem   perfecluin,  pr.Tcipue  Christi 

cembre    1 3a a,  du   la  noYembre  i3a3  et  du  «discipulumetsuccessorem  inofficiopastorali.  » 

10  novembre  i3a4.  (II,  xi,  p.  aao.) —  «Si  temporalia  j)ossidcre 

<''   Cliartal.  Univ.  Paris. ,  Il ,  274.  «quarit  [papa  vel aller  episcopus]  hisque  domi- 

'''  Nos  auteurs  dévcIop[)pnt  ici  une  théorie  «  nari,  hoc  licite  fortasse  potest,  etiam  in  statu 

compliquée  d'après  la(|uelle  le  «  parfait  »  serait  «  salutis  existens ,  non  tamen  summ<E  paup<'r- 

frappé  d'une  sorte  d'incapacité  d'acquérir  et  de  «  tatis  seu  perfectionis,  instar  Christi  et  Ajwsto- 

conserver,  sinon  la  jouissance,  du  moins  In  pro-  ilorum,  statum  observons.  »  (11,  xiv,  p.  338). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE.  581 

son  côté,  est  obligé  do  fournir  aux  ministres  de  Dieu  le  nécessaire, 
non  pas  le  superllu  :  il  n'est  nullement  tenu,  par  exemple,  de  leur 
payer  la  dîme  (III,  ii,  concl.  Sq).  Une  fois  pourvus  suffisamment  du 
vivre  et  du  couvert,  les  prêtres  peuvent  être  contraints  par  le  pou- 
voir civil  de  célébrer  l'office  divin  et  d'administrer  les  sacrements 
(concl.  4o).  Ailleurs,  nous  apprenons  qu'une  fois  la  part  faite  au 
culte,  aux  prêtres  et  aux  pauvres,  le  prince  ou  le  peuple  ont  le  droit 
d'user  de  tous  les  biens  ecclésiastiques  pour  la  défense  du  pays,  pour 
le  rachat  des  prisonniers,  pour  tontes  sortes  de  dépenses  d'intérêt 
public  (II,  xvii,  p.  201  ;  III,  n,  concl.  27). 

Ainsi  dépouillé  de  ses  richesses,  de  ses  privilèges,  de  sa  juridic- 
tion, le  clergé  va  se  voir,  en  outre,  privé  de  son  indépendance.  Il  ne 
se  recrute  plus  lui-même  :  c'est  à  l'ensemble  des  fidèles  ou  à  leur 
délégué,  le  prince,  qu'il  appartient  de  choisir  les  sujets  destinés  à 
recevoir  les  ordres  (II,xvii,  p.  2^8;  III,  11,  concl.,  21).  Au  peuple,  de 
nommer  son  pasteur;  au  peuple  également  ou  au  prince,  de  distribuer 
les  bénéfices,  ceux  au  moins  dont  les  fondateurs  n'ont  pas  la  libre  dis- 
position'"'(p.  249,  2  53),  de  fixer  le  nombre  des  églises,  celui  des  des- 
servants (concl.  22),  d'autoriser  les  établissements  religieux,  les 
ordres  (concl.  29) ,  de  conférer  tous  les  notariats,  de  donner  la  licence 
d'enseigner (II,  xvn,  xxi,  p.  261,  262;  III,  11,  concl.  28,  2^,  2  5),  de 
déposer  les  prêtres  indignes,  d'accorder  des  dispenses  de  mariage'^', 
de  légitimer  les  enfants  naturels  (concl.  20,  21), 

L'autorité  suprême  dans  l'Eglise,  c'est  le  Concile.  En  principe,  il 
comprend  l'universalité  des  fidèles;  dans  la  pratique,  il  se  compose 
de  leurs  délégués.  Que  ces  délégués  soient  des  clercs  ou  ^es  laïques, 
peu  importe,  pourvu  qu'ils  soient  dignes  et  instruits,  ce  qui  n'est 
pas  toujours  le  cas  des  clercs  :  Marsile  de  Padoue  ou  Jean  de  Jandun 
connaissent  des  prélats  incapables  de  s'exprimer  correctement;  ils 
citent  un  jeune  homme  de  vingt  ans,  fort  ignorant  de  la  religion,  qui, 
sans  être  même  sous-diacre,  s'est  vu  placé  à  la  tête  d'un  diocèse  (II, 
XX,  p.  256,  258). 

Mais  qui  convoquera  le  Concile  général.^  Celui  que  nos  auteurs, 
dans  leur  langage  volontairement  obscur,  appellent  «  le  fidèle  légis- 

''*  On  admet  seulement  c[ue  le  prince  devra  <''  Seulement  dans  les  cas  prohiljés  parla  loi 

consulter  des  docteurs,  des  prud'hommes  civile;  car  nul  ne  peut  accorder  de  dispense 
(p.  360).  pour  les  cas  prohibés  par  Ja  toi  divine. 


582  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

(dateur  humain  qui  n'a  personne  au-dessus  de  lui,  fidelem  legisla- 
n  torem  humanum  superiore  carentemn.  C'est  sans  doute  (Je  l'Empereur 
qu'ils  veulent  parler''',  et  c'est  ainsi  qu'on  l'a  compris'^'.  En  tout  cas, 
si  d'antres  que  ce  puissant  personnage  ou  que  ses  délégués  se  mêlaient 
de  réunir  un  Concile,  les  décrets  de  cette  assemblée  n'auraient  au- 
cune valeur'^'  (II,  xxi,  p.  253,  268;  III,  11,  concl.  33). 

Quel  sera  donc  le  rôle  du  Concile  général  légitimement  convoqué? 
Il  instituera  des  rites;  il  édiclera  des  règlements  obligatoires  pour 
tous  les  fidèles;  il  prescrira  les  jeûnes  et  les  abstinences;  il  accor- 
dera des  dispenses;  il  réglementera  le  célibat  des  prêtres;  il  canonisera 
les  saints;  il  déterminera  les  cas  dans  lesquels  les  princes,  les  pays,  les 
cités  peuvent  être  frappés  d'excommunication  ou  d'interdit;  il  inter- 
prétera enfin  d'une  façon  décisive  les  passages  douteux  de  f  Ecriture 
sainte  (II,  xxi,  p.  203,  263;  III,  il,  concl.  2,  5,  33-36);  car,  si  nos 
auteurs  proclament  qu'il  suffit  de  croire  ce  qui  est  contenu  dans  la 
Bible  ou  ce  qui  en  découle  nécessairement,  ils  ajoutent  que,  pour  fin- 
telligence  des  Livres  saints,  il  est  nécessaire  de  suivre  finterprétation 
des  Conciles  (II,  xxi,  p.  254;  HI,  n,  concl.  1  ). 

On  se  demande  peut-être  ce  que,  dans  cette  république  chrétienne, 
subordonnée  à  un  pouvoir  laïque,  devient  l'autorité  du  pape.  Marsile 
de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  nous  ont  déjà  fait  pressentir,  à  cet  égard, 
leur  réponse.  Laissant  bien  loin  derrière  eux  les  auteurs  qui  avaient 
déjà,  en  quelque  manière,  appliqué  à  f  Eglise  le  principe  de  la  souve- 
raineté populaire,  les  Jean  de  Paris,  les  Guillaume  Durand'*',  ils  ad- 
mettent sans  doute  finstitution  divine  du  sacerdoce,  mais  non  pas 
de  la  hiérai;chie  ecclésiastique'*'  (II,  xv).  Pour  eux,  tous  les  évêques 
ont  une  autorité  égale,  qu'ils  tiennent  immédiatement  de  Jésus- 
Christ  :  la  subordination  des  uns  aux  autres  ne  résulte  point  de  la  loi 
divine  (III,  11,  concl.  17).  Pierre  n'a  reçu  du  Christ  aucune  autorité 
.il/ 
I  <  )oil)  nu  Iv  ji'jt  fe!  ^  .     . 

<"'  La  même  expression  se  rencontre  p.  365  :  •''  M.    I-.    Jourdan  [Et.  sur  Marsile  de  P., 

«Generalis  Concilii  aut,  secundum  ejus  dicta-  p.  71)  va  un  peu  loin  en  disant  que,  d'après 

«  men ,  fidelis  legislaloris  humani  superiore  ca-  Marsile  de  Padoue ,  c'est  l'Etat  qui  nomme  les 

«  rendis ...»  On  pourrait  croire  que  le  mot  legis-  membres  du  Concile. 
iator  désigne  ici,  comme  en  beaucoup  d'autres  '*'  CI.  Scaduto,  p.  126,  ia8. 

passages,  une  collectivitë,  l'ensemble  clés  fidèles,  '*'  En  marge  de  ce  chapitre,  un  contempo- 

si,  dans  la  phrase  suivante,  il  n'était  appliqué  rain  a  écrit,  dans  le  ms.  latin    15869  ^^  '^ 

à  l'empereur  Constantin.  Bibl.  nat.  (fol.  36  r")  :  «  Istud  capituium  vide- 

'*'  Bulle  de  Jean  XXII  du  a3  octobre  iSay.  «  tur  loqui  angelice.  • 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  583 

spéciale  sur  les  autres  apôtres.  Tout  ce  qu'on  peut  concéder,  c'est  qu'il 
fut  le  premier,  ou  par  l'âge,  ou  par  l'importance  des  fonctions,  ou  en 
vertu  de  la  désignation  de  ses  compagnons,  bien  qu'on  ne  trouve 
dans  l'Ecriture  aucune  trace  d'une  élection  semblable  (II,  xvi, 
p.  2^42).  Cette  audacieuse  explication  n'est  pas,  à  vrai  dire,  de  l'in- 
vention de  Marsile,  ni  de  Jean  de  Jandun.  Hervé  Nédellec,  qui 
mourut  en  182 3,  en  avait  déjà  connaissance  et  la  signalait  comme 
une  nouveauté  dans  son  De  Potestate  Papœ^^K  Jamais,  ajoutent  nos 
auteurs,  Pierre  n'exerça  sur  les  autres  apôtres  de  juridiction  coactive. 
Son  successeurne  devrait-il  pas  en  user  de  même?  Qui  est,  d'ailleurs, 
son  successeur?  L'évêque  de  Rome,  ou  celui  d'Antioche,  ou  celui  de 
Jérusalem?  Pierre  a  successivement  occupé  ces  trois  sièges  (II,  xvi, 
p.  244)-  Ou  plutôt,  de  ces  trois  sièges,  le  seul  qu'il  n'ait  peut-être 
jamais  occupé,  c'est  Rome.  Sait-on  seulement  s'il  y  est  venu?  En 
tout  cas,  on  ne  pourrait  le  prouver  par  des  textes  de  l'Ecriture;  et  aux 
récits  légendaires  des  Apocryphes,  Jean  de  Jandun  et  Marsile  de 
Padoue  opposent  le  silence  de  saint  Paul  dans  les  Epîtres,  de  saint 
Luc  dans  les  Actes  des  apôtres  (p.  2  45). 

Ils  reconnaissent  pourtant  que  la  suprématie  de  l'Eglise  de  Rome 
remonte  aux  premiers  temps  du  christianisme.  Ils  l'expliquent  par  le 
consentement  spontané  des  autres  Églises,  et  ils  y  voient,  sinon  un 
droit,  du  moins  un  usage  respectable,  utile  même  en  ce  qu'il  assure 
l'unité  de  l'Église  militante  (II,  xxiii,  p.  266,  267). 

Qu'un  évêque,  celui  de  Rome,  conserve  donc  une  certaine  préémi- 
nence, qu'il  puisse  signaler  au  prince  les  circonstances  graves  ou 
urgentes  propres  à  motiver  la  convocation  d'un  Concile  général,  que, 
dans  cette  assemblée,  il  occupe  la  première  place,  qu'il  y  mette  les 
questions  on  délibération,  qu'après  avoir  fait  recueillir,  recopier  et 
sceller  les  décisions  des  Pères,  il  les  notifie  aux  différentes  Eglises , 
et  que  même  il  punisse  d'excommunication  les  transgresseurs  de  ces 
décrets,  pourvu  que  ce  soit  au  nom  du  Concile  :  Marsile  de  Padoue  et 
Jean  de  Jandun  n'y  voient  pas  grand  inconvénient;  mais,  une  fois  ces 
concessions  faites,  ils  pensent  avoir  suffisamment  sacrifiéà  l'unité  de 
l'Eglise  et  aux  traditions  romaines  (II,  xxii,  p.  264,  265). 

Ils  déclarent  que  l'évêque  de  Rome  ne   saurait  exercer,  sur  les 


") 


Impr.  par  J.  Barbier,  en  i5o6,  in-4°. 


584 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PA1X)UE. 


autres  Églises,  que  l'autorité  qui  lui  est  dévolue  par  le  Concile  général 
ou  par  le  «fidèle  législateur  humain  qui  n'a  personne  au-dessus  de 
«lui»  (II,  xviii,xxii,  p.  253,  265). Ils  lui  dénient  le  droit  d'interpréter 
rÉcriture  sainte,  de  définir  le  dogme,  de  distribuer  les  bénéfices  et 
de  courber  les  autres  Eglises  sous  sa  juridiction  coactive  (II,  xxii, 
p.  2  63).  Le  choix  des  prêtres  destinés  à  l'assister  de  leurs  conseils  ap- 
partient au  Concile  général  ou  au  «  fidèle  législateur  humain  qui  n'a 
«  personne  au-dessus  de  lui  »  ^''.  Lui-même  ne  doit  être  élu  que  par  le 
peuple  chrétien,  ou  par  le  délégué  du  peuple,  le  prince,  ou  encore 
par  le  Concile;  ces  mêmes  autorités  ont  également  le  pouvoir  de  le 
châtier,  de  le  suspendre  et  de  le  déposer,  lui  et  les  membres  du  collège 
qui  forme  son  conseil  (n,xxii,  p.  2  66;Il,ii,  concl.  42)'^'.  En  somme, 
le  pape,  si  réduitque  soitson  rôle,  nel'exerceque  parla  volonté  et  sous 
le  contrôle  d'une  autorité  vague  et  mal  définie  qui  s'appelle  tour  à  tour 
Concile  général,  «législateur  fidèle»,  «  principant  »,  ou  «fidèle  légis- 
«lateur humain  n'ayant  personne  au-dessus  de  lui»;  à  travers  ces 
formules  élastiques  ou  obscures ,  nous  croyons,  le  plus  souvent,  recon- 
naître l'Empereur,  absorbant  en  lui,  grâce  aux  délégations  multiples 
dont  on  le  suppose  investi,  la  puissance  spirituelle  suprême  avec  le 
gouvernement  temporel  du  monde '^'. 

La  réalité  ne  correspondait  guère  à  l'idéal  imaginé  par  les  auteurs 
du  Defensor  pacis.  Aussi,  pour  expliquer  l'état  actuel  de  l'Eglise  et 
l'importance  de  la  papauté,  entreprennent-ils  de  développer  l'histoire, 
qu'ils  n'avaient  fait  qu'ébaucher  au  début,  des  empiétements  succes- 
sifs des  évêques  de  Rome.  Ils  montrent  le  souverain  pontife  s'afFran- 
chissant  peu  à  peu  de  la  tutelle  impériale  (II,  xxv,  p.  276  et  suiv.}, 


!■     'l'iK 

'"'  P.  265.  Ici  encore  les  auteurs  usent  de 
la  périphrasey/rfe/iJ  Icgislalor  htimaims  superiore 
carens. 

'''  Cf.  la  concl.  18  :  le  consentement  du 
«législateur  lidèle  »  (du  peuple  chrétien)  per- 
met aux  évêques,  ensemble  ou  séparément, 
de  châtier,  d'excommunier  l'évêque  de  Rome , 
et  réciproquement. 

'"'  Ad.  Franck  a  bien  fait  comprendre  le 
vague  de  la  pensée  de  Marsile  de  Padoue:  «  Tan- 
«  lot,  s' appuyant  sur  l'exemple  des  temps  pri- 
«  mitifs  de  l'Eglise ,  il  semble  croire  que  prêtres 
«  et  évêques  doivent  être  nommes  par  le  suflrage 


«  des  populations  au  milieu  desquelles  ils  sont 
«  appelés  à  exercer  leur  ministère.  Dans  d'autres 
«  moments ,  il  laisse  supposer  que  la  dignité 
«  épiscopale  et  la  prêtrise  elle-même  doivent 
0  otre  conférées  par  les  représentants  du  législa- 
"  leur  fidèle ,  c'est-à-dire  par  le  Concile.  Enfin , 
<  d'après  plus  d'un  passage ,  toute  la  hiérarchie 
«ecclésiastique,  depuis  le  pape  jusqu'aux  sim- 
«ples  prêtres,  est  laissée  à  la  discrétion  de  celui 
«  qui  commande  par  l'autorité  du  législateur 
«  fidèle ,  per  sulum  fidetein  legislatorem  aat  cjtis 
«aiicloritate  principantem ,  à  la  discrétion  de 
H  l'Empereur.  »  [Joum.deiSav.,  i883,p.  i^'y.) 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  585 

pour  en  arriver  à  se  proclamer  seul  vicaire  de  Jésus-Christ  sur  terre, 
roi  des  rois  et  seigneur  des  seigneurs;  d'où  résulterait  que  tous  les 
royaumes  du  monde  lui  appartiennent,  qu'il  peut  les  distribuer,  les 
reprendre  à  son  gré  (II,  xxii,  p.  268).  Ils  critiquent  également  l'im- 
portance excessive  des  diacres,  décorés  du  nom  de  cardinaux,  qui 
prétendent  occuper  dans  la  hiérarchie  ecclésiastique  un  rang  supé- 
rieur à  celui  des  évêques  et  des  prêtres. 

Les  abus  de  la  cour  de  Rome  n'ont  pas,  bien  entendu,  de  plus 
sévères  censeurs.  En  ce  qui  concerne  le  droit  de  dépouille,  nos  au- 
teurs assurent  que  le  souverain  pontife  défend  aux  bénéficiers  do 
tester  sans  sa  permission,  puis  s'attribue  les  biens  des  bénéficiers  in- 
testats :  remarque  qu'il  conviendrait  peut-être  de  ne  point  généra- 
liser, Jean  XXII,  ainsi  qu'il  resuite  des  plus  récentes  recherches, 
semblant  s'être  borné  à  se  réserver,  dans  des  cas  isolés,  la  succes- 
sion de  certains  prélats'''.  H  ne  revendiquait  pas  non  plus,  d'une  ma- 
nière générale,  la  disposition  des  legs  faits  pour  des  œuvres  pies  : 
c'est  cependant  ce  que  lui  reprochent  amèrement  nos  auteurs*^'.  La 
cour  de  Rome,  à  les  entendre,  n'est  qu'une  maison  de  commerce  : 
au  milieu  des  intrigues  de  simoniaques  et  des  criailleries  d'avocats,  on 
ne  s'y  soucie  guère  du  salut  des  âmes;  il  n'y  est  question  que  d'en- 
vahir les  Etats  chrétiens  et  d'en  dépouiller  par  les  armes  les  posses- 
seurs légitimes  (II,  XXIV,  p.  27/4).  Les prélatures  sont  distribuées  à  des 
ignorants  et  à  des  illettrés,  grâce  à  la  recommandation  ou  par  l'effet  de 
la  simonie  (p.  2  78)  :  autre  critique  à  laquelle  nos  auteurs  se  gardent 
sans  doute  de  donner  un  sens  trop  général,  puisqu'ils  ont  été  eux- 
mêmes  (ils  s'en  souviennent  peut-être)  pourvus  de  canonicats  par 
Jean  XXII.  Mais  ici  la  diatribe  dépasse  toute  mesure.  Le  pape  n'est 
plus  que  «le  grand  dragon,  le  vieux  serpent,  digne  d'être  appelé 
«  diable  et  Satan  »  (II,  xxvi,  p.  286).  Et  Marsilede  Padoue,  enflant  sa 
voix,  s'adresse  à  toute  l'humanité  :  «Je  vous  le  dis  et  je  vous  le  crie, 
«comme  un  héraut  de  vérité:  Rois, princes, peuples, tribus  de  toutes 
«  langues .  .  . ,  ces  évêques  de  Rome  cherchent  à  vous  réduire  en  leur 
«  sujétion  !»  (II,  XXIV,  p.  280.) 

'"'  L.   Kônig,  Die  pâpstliche  Kammer  miter  cale  en   matière  de   droit  de   dépouille  dans   la 

Clcmens   V  a.  Johann  XXII    (Vienne,    iSgd,  seconde  moitié  da  xir'  siècle,  dans^  \es  Mélanges 

in-8°),  p.  42;  Kirsch,  Die  pâpstlichen  Kollekto-  d'archéol.  et  d'hist.,  ig02,  p.  i42,  i43. 
rien  in  Deutschland  (Paderborn,   1894,  in-8°),  '^'  Def.pacis,  II,  xxiv,  p.  274;  cf.  II,    xvi, 

p.  XXIX;  Ch.  Sainaran,  La  jurisprudence  pontifi-  p.  243;  III,  11,  concl.  28.  Cf.  Kirsch,  p.  xxx. 


HIST.  LITTER. XXXIII. 


74 


586  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 

Nos  auteurs  se  souviennent  cependant  que  leur  ouvrage  est  destiné 
spécialement  à  Louis  de  Bavière,  et  ils  s'attachent,  en  terminant,  à 
prouver  que  les  usurpations  pontificales  intéressent  particulièrement 
l'Empire.  Les  papes  soutiennent  que  nul  ne  peut,  sans  leur  assenti- 
ment, prendre  le  titre  de  roi  des  Romains  :  par  là  ils  annulent  le  droit 
des  Electeurs  de  l'Empire,  qu'ils  prétendaient  sauvegarder.  Ils  veu- 
lent que  l'élu  leur  prête  serment  de  reconnaître  leur  juridiction  et  de 
leur  conserver  la  jouissance  des  provinces  italiennes  qu'ils  détiennent 
injustement.  En  cas  de  vacance ,  ils  se  figurent  succéder  aux  droits  de 
l'Empereur,  ce  qui  entraînerait  pour  eux  la  faculté  de  recevoir  les 
serments  de  tous  les  princes  et  feudataires  de  l'Empire  (II,xxvi, 
p.  281  et  suiv.  ;  cf  p.  3o8).  Rappelant  alors  les  démêlés  de  Clément  V 
avec  Henri  VII  de  Luxembourg  (II,  xxiii,xxiv,  p.  270,  279),  nos  au- 
teurs insistent  plus  longuement  et  plus  acrimonieusement  sur  le 
conflit  actuel  de  Jean  XXII  avec  Louis  de  Bavière.  Le  pape,  aidé  de 
ses  complices,  a  semé  déjà  la  division  en  Italie  :  il  s'apprête  à  faire 
subir  le  même  sort  à  l'Allemagne.  Il  profite  des  différends,  il  les  sus- 
cite au  besoin,  pour  que  la  partie  la  plus  faible  en  soit  réduite  à 
implorer  son  secours.  Que  les  autres  princes,  instruits  par  cet 
exemple,  sachent  bien  ce  que  cet  évêque  leur  prépare!  (Il,  xxvi, 
p.  283  et  suiv.) 

La  troisième  partie  du  Defensor  pacis  se  termine  par  une  déclara- 
tion qui  semblerait  presque  ironique,  si  les  auteurs  ne  nous  avaient 
prévenus  dans  quelles  conditions  seulement  ils  admettent  l'autorité 
des  Conciles  :  «  Si  l'on  découvre  dans  ces  pages  quelques  propos  ou 
«conclusions  peu  catholiques,  loin  de  les  soutenir  avec  obstination, 
«  nous  les  soumettons  à  la  correction  et  à  la  décision  souveraine  de 
«  l'Eglise  catholique  et  du  Concile  général  des  fidèles  chrétiens  *'l  » 

Tel  est  ce  fameux  ouvrage,  plein  d'obscurités,  de  redondances  et 
(le  contradictions,  où  le  fil  de  la  pensée  se  perd  parfois  dans  le  dédale 
des  raisonnements  et  des  citations  profanes  ou  sacrées '"^\  mais  qui 
énonce  cependant,  tant  en  religion  qu'en  politique,  des  idées  si  auda- 

'''  K.  Mùller,  GôU.  gel.   Anzeigen,    i883,        connaître  dans  un  passage  du  chap.  xvi  de  la 
p.  q;i5.  première  partie  une  allusion  à  la  Monarchia  de 


"  On    trouve   dans  l'ouvrage    de    Riezler        Dante  ( iiiV/. ,  p.  2o5;  F.-X.  Kraus,  Da/ite,  sci'/i 
).    197)   la  nomenclature  des  sources   citées         Leben    u 
dans  le  Defensor  pacis.  En  outre,  on  a  cru  re-        p.  759). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  jM\RSILE  DE  PADOUE.  587 

cieuses  ou  si  neuves  qu'on  a  pu  y  reconnaître  comme  une  première 
ébauche  des  doctrines  développées  avec  éciat  aux  époques  de  la 
Réforme  et  de  la  Révolution  française.  Théorie  purement  démocra- 
tique, mais  déjà  toute  prête  à  se  transformer,  grâce  à  une  série  de 
fictions  et  de  sous-entendus,  en  doctrine  impérialiste;  plan  chimé- 
rique de  réformes,  qui  aboutit,  non  pas  à  la  séparation  de  l'Eglise  et 
de  l'Etat,  mais  à  l'asservissement  de  l'Église  à  l'Etat  :  la  hiérarchie 
ecclésiastique  bouleversée,  le  clergé  dépouillé  de  tous  ses  privilèges, 
le  pape  ravalé  au  rang  de  président  d'une  sorte  de  république  chré- 
tienne qui  se  gouverne  elle-même,  ou  plutôt  qui  se  laisse  gouverner 
par  César  (^'  :  tel  est  le  rêve  que  forment,  en  iSs^,  deux  maîtres  de 
l'Université  de  Paris.  11  sert  trop  bien  la  cause,  il  flatte  trop  les  pas- 
sions de  Louis  de  Bavière,  auquel  il  est  communiqué,  pour  qu'on  le 
suppose,  comme  on  l'a  fait'"^',  conçu  a  priori,  en  dehors  de  toute  pré- 
occupation actuelle.  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  ne  sont  pas 
tant  qu'on  se  l'imagine  des  «  scolastiques  incliiférents  à  la  réalité'^'». 


Lorsque  le  Defensorpacis  fut  achevé,  il  est  probable  que  les  auteurs 
cherchèrent  à  le  faire  passer  sous  les  youx  du  roi  des  Romains,  mais 
qu'ils  n'eurent  garde  de  le  répandre  dans  Paris,  ni  de  divulguer 
autour  d'eux  leurs  thèses  aventureuses.  Interrogé  à  ce  sujet,  un  des 
disciples  de  Marsile  de  Padoue  se  défendit  plus  tard  d'avoir  con- 
tribué à  publier  ce  libelle  en  France,  et  il  ajouta  qu'il  ne  croyait  pas 
que  son  maître,  non  plus  que  Jean  de  Jandun,  eût  osé  hasarder  de 
telles  doctrines  à  Paris**'. 


'*'  Cf.  Ad.  Franck,  p.  ia8  :  ■  De  telles  doc-  '''  E.  Gebhart,  Revue  historique,    t.  XXV, 

«  trines  mettent  le  clergé ,  et  avec  lui  la  religion ,  p.  1 67. 

«  les  matières  de  dogme  et  de  foi  aussi  bien  que  '*'  Baiuze,  MwceWanea,  II,  280. — C'était, 

«  de  hiérarchie  et  de  discipline ,  dans  la  plus  en-  à  ce  qu'il  semble ,  l'opinion  de  Jean  XXII  lui- 

«lière   dépendance    d'une    assemblée    laïque,  même    (bulle    du  3  avril    1337)    :    «  Dum  in 

«  nommes  par  le  saiTrage  du  peuple  et  dominée  «  eodem  studio ,  cum  in  eo  catholici  principis 

•  par  l'Empereur,  c'est-à-dire  par  la  polititpie.  »  «  actoritas  vigeat,  ac   studium  ipsum  orthodo- 

Voir    aussi   Otto  Gierke,   Johannes  Althusius,  «  xorum  theologorum  et  canonistarum  copia  sit 

p.  328.  «munilum,  vesanie  sue  virus  efFundere  nonau- 

'''  Labanca,  p.  i45.  «derent. .  .  »  (Chartul.  Univ.  Paris..  II,  3o3.) 

74- 


588 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


À  cet  égard,  un  document  d'archives  fournit  une  précieuse  indica- 
tion sur  l'attitude  et  les  projets  de  Jean  de  Jandun  au  moment  même 
où  s'achevait  la  rédaction  du  Defensor  pacis.  Le  1 9  juin  1824,  comme 
il  résulte  d'une  charte  de  l'officialité  de  Paris,  une  maison  du  Gloître- 
Saint-Benoit,  aboutissant  à  la  rue  de  Sorbonne'''  et  appartenant  aux 
maîtres  et  écoliers  de  Sorbonne,  fut  louée  à  M"  Nicolas  de  Vienne,  dit 
Amyel,  clerc  du  roi,  pour  toute  la  durée  de  sa  vie,  et,  après  lui,  à 
M"  Jean  de  Jandun,  chanoine  de  Senlis,  également  pour  la  durée  de 
sa  vie.  La  location  fut  faite  moyennant  le  payement  de  18  livres  pa- 
risis  de  cens  annuel  et  l'obligation  d'entretenir  l'immeuble  en  bon 
état.  Les  deux  preneurs  furent  présents  devant  l'official  et  s'obligèrent 
par  serment  à  exécuter  les  clauses  du  bail''^l  Ainsi,  Jean  de  Jandun 
croyait,  à  ce  moment,  ou  paraissait  croire  sa  situation  en  France 
si  peu  compromise,  qu'il  projetait  de  s'installer  à  demeure  à  Paris; 
il  faisait  choix  d'une  maison,  au  cœur  du  quartier  des  écoles,  et 
comptait  l'occuper  après  la  mort  de  Nicolas  de  Vienne,  un  maître  sans 
doute  plus  âgé  que  lui  ^^'.  Cela  tendrait  à  prouver  qu'il  n'avait  nulle- 
ment l'intention  d'ébruiter  sa  collaboration  avec  Marsile  de  Padoue. 

Quant  à  ce  dernier,  rien  ne  transpirait  non  plus  de  ses  secrètes 
doctrines.  11  paraît  s'être  tourné  vers  les  études  sacrées.  Un  jour,  il 
annonça  l'intention  d'ouvrir  un  cours  de  théologie,  et  ce  lui  fut  une 
occasion  d'emprunter  de  l'argent  à  ses  amis ,  9  florins  d'or  à  Robert 
de'  Bardi.  alors  simple  étudiant'*',  10  livres  parisis  à  André  de  Rieti, 
chirurgien,  10  livres  ou  10  florins  à  Pierre  de  Florence,  l'égent  en 
médecine'^',  une  autre  somme  encore  à  André  de  Florence,  qu'un 
témoin  qualifie  de  «  maître  du  roi  de  France  m'®'.  Cependant,  ce  besoin 
d'argent  avait  une  autre  explication.  Un  ou  deux  mois  plus  tard,  les 
prêteurs  eurent  le  désappointement  d'apprendre  la  disparition  sou- 


'"'  Elle  était  contiguë ,  d'un  côté ,  à  la  maison 
de  M'  Jean  de  Villerose ,  de  l'autre ,  à  la  mai- 
son dite  À  la  Rose,  et  se  trouvait  située  au- 
dessous  des  écoles  du  futur  cardinal  Annibaldo 
de  Ceccano,  alors  proviseur  de  Sorbonne. 

'*'  Arch.  nat. ,S  6iig,  n°  i3. 

'''  Nicolas  de  Vienne  avait  été  recteur  en 
i3i3  (Charlul.  Univ.  Paris.,  II,  162). 

'*'  Le  texte  imprimé  par  Baluzc  porte  : 
«  Roborto  de  Baris.  »  Los  éditeurs  du  Chartul. 


Univ.  Paris.  (II,  719),  en  transcrivant  ce  pas- 
sage, impriment  :  ■  Roberto  de  Bardis.  »  Il 
s'agirait  d'un  futur  docteur  en  théologie  qui 
devint,  en  i336,  chancelier  de  Paris  (ibid., 
p.  43i). 

'''  Sur  lui,  voir  ibid.,  p.  287,  35o,  454. 

'*'  Il  s'agit  sans  doute  d'André  Ghini  Mal- 
pigli ,  secrétaire  du  roi, plus  tard  évéque  d'Arra», 
de  Tournai,  enfin  cardinal  [Gall.  christ.,  III, 
336;  Baluze,  Vitte  paparum,  I,  844). 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PAIX)UE. 


589 


daine  de  Marsile  de  Padoue.  En  compagnie  sans  doute  de  son  ami 
Jean  de  Jandun^'',  il  était  parti  ponr  l'Allemagne'^'. 

Que  s'étail-il  passé?  Avaient-ils  reçu  l'assurance  que  leurs  semces 
seraient  largement  récompensés  par  Louis  de  Bavière?  Avaient-ils  lieu 
de  craindre  quelque  indiscrétion  qui  rendît  dangereuse  la  prolongation 
de  leur  séjour  à  Paris  '^>?  Toujours  est-il  que  leur  départ  semble  avoir 
précédé  l'éclat  qu'ils  étaient  en  droit  de  redouter.  Ce  n'est  qu'environ 
deux  mois  après  la  fugue  de  Marsile  que  François  de  Venise  entendit 
des  religieux  de  l'ordre  des  Ermites  et  des  maîtres  de  l'Université  de 
Paris  prononcer,  pour  la  première  fois,  les  noms  de  Jean  de  Jandun 
et  de  Marsile  de  Padoue  comme  ceux  des  auteurs  du  Defensor  pacis^''\ 

C'est  à  la  date  de  i326  qu'un  des  continuateurs  de  Guillaume  de 
Nangis  rapporte  en  ces  termes  l'exode  de  nos  deux  philosophes  :  «  Vers 
«  ces  temps-là,  ces  deux  fils  du  diable  vinrent  à  Nuremberg  **l  »  D'autre 
part,  la  première  bulle  lancée  par  Jean  XXll  contre  Jean  de  Jandun 
et  Marsile  de  Padoue  doit  être  du  mois  de  juillet  ou  du  mois  d'août 
1 3  2  6  :  car  elle  fut  publiée  dans  le  diocèse  de  Passau  avant  le  6  sep- 
tembre de  cette  même  année '*^'.  Cette  circonstance  rend  vraisemblable 
la  date  fournie  par  le  chroniqueur.  Nous  savons,  en  elïet,  par  le 
témoignage  de  François  de  Venise,  que  la  divulgation  du  nom  des 
auteurs  du  Defensor  pacis  suivit  de  près  leur  départ  de  Paris  ;  leur 
citation  en  cour  de  Rome  ne  put  se  faire  longtemps  attendre;  par 
conséquent,  leur  arrivée  à  la  cour  de  Bavière  dut  à  peu  près  coïncider 


'"'  Jean  de  Jandun  n'entra  jamais  en  jouis- 
sance de  la  maison  du  Cloitre-Saint-Benoit  : 
Nicolas  de  Vienne  l'habitait  encore  à  une 
époque  où,  depuis  longtemps,  notre  philo- 
sophe avait  pris  le  chemin  de  l'étranger  {Char- 
tul.  Univ.  Par.,  n,  669). 

''*  Déposition  de  François  de  Venise  (Ba- 
luze,  Mhcellaneu,  II,  280). 

''•  Rien  de  vrai,  d'ailleurs,  dans  ce  qu'on  a 
semblé  croire  [Paris  et  ses  histor.,  p.  1 1  )  que 
les  théories  du  Defensor  pacis  avaient  été  cen- 
surées dans  les  conciles  provinciaux  d'Avi- 
gnon ,  de  Marciac ,  de  Ruiîec  et  de  Toulouse. 

'*'  Balnze,  Miscellanea ,  II,  a8o. 

'*'  Ed.  Géraud,  t.  II,  p.  74.  La  traduction 
française  qui  se  trouve  dans  les  Grandes  Chro- 
niques a  permis  de  reconstituer  le  texte  altéré 
du  continuateur. 


'''  À  cette  date,  l'évêquc  de  Passau  adressa 
pour  la  seconde  fois  à  la  cour  pontificale  les 
procès -verbaux  de  la  publication  faite  dans 
les  principales  localités  de  son  diocèse.  Il  avait 
envoyé  à  Avignon  ces  documents  une  première 
lois ,  mais  craignait  qu'ils  ne  se  fussent  égarés  en 
chemin  (W.  Preger,  Auszûge  ans  den  Urkun- 
(len  des  Valikanisclien  Archivs,  dans  Abhand- 
langen  der  histor.  Classe  der  bayerisch.  Aka- 
demie  der  Wissenschaften ,  t.  XVII,  1,  p.  199). 
—  Henri  de  Rebdorff  se  trompe  en  faisant 
remonter  la  condamnation  des  deux  auteurs  à 
i3a/i.  H  commet  une  erreur  également  fla- 
grante en  attribuant  à  leur  inspiration  l'appel 
de  Saxenhausen  (Bôhmer,  Fontes  rerum  Ger- 
manicarum ,  ]\ ,  554).  Une  confusion  analogue 
est  à  relever  dans  la  chronique  de  Villani 
(Muralori,  XIII,  56 1). 


590  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

avec  cette  bulle  de  Jean  XXII  que  nous  croyons  devoir  dater  de  l'été 
de  i3u6(". 

M  Pour  Dieu,  qui  vous  a  engagés  à  quitter  un  pays  pacifique  et  gio- 
«  rieux  et  à  venir  dans  une  contrée  désolée  par  la  guerre  ?  »  C'est  en  ces 
termes  que  Louis  de  Bavière  aurait  apostrophé  les  auteurs  du  De- 
Jensorpacis,  suivant  le  continuateur  de  Guillaume  de  Nangis.  «  L'er- 
«  reur,  répondirent-ils,  à  laquelle  nous  voyons  que  l'Eglise  est  en  proie 
«  nous  a  forcés  de  prendre  le  chemin  de  l'exil.  Incapables  de  tolérer 
«  plus  longtemps  cet  état  de  choses  la  conscience  en  repos,  nous  recou- 
«  rons  à  vous.  L'Empire  vous  appartient  de  droit  :  à  vous  aussi  de 
«  redresser  l'erreur,  de  rétablir  l'ordre  légitime  !  »  Ils  présentèrent 
alors,  s'ils  ne  l'avaient  déjà  fait,  leur  ouvrage  à  Louis  de  Bavière,  et 
s'offrirent  à  défendre  les  principes  de  ce  livre  contre  quiconque  les 
attaquerait,  au  besoin  jusqu'au  supplice  et  à  la  mort '^l 

L'esprit  qui  régnait  alors  à  la  cour  de  Bavière  n'était  rien  moins 
que  favorable  au  Saint-Siège;  la  présence  d'un  grand  nombre  d'ad- 
versaires de  Jean  XXII  y  entretenait  chez  le  prince  une  animosité 
violente  à  l'égard  du  pape  d'Avignon.  Cependant  les  théories  de  Mar- 
sile  de  Padoue  et  de  Jean  de  Jandun  dépassaient  tellement  en  audace 
les  conceptions  des  Franciscains  dits  Spirituels,  qu'elles  produi- 
sirent, au  premier  abord,  sur  le  roi  des  Romains,  une  impression 
déconcertante.  Il  réunit  des  personnes  compétentes;  on  lui  remontra 
que,  s'il  acquiesçait  à  ces  doctrines  empoisonnées,  il  encourrait  le 
reproche  d'hérésie  et,  déchu  par  là  même  de  ses  droits  à  l'Empire, 
fournirait  ainsi  au  pape  le  moyen  de  procéder  contre  lui.  On  lui 
conseillait  d'appliquer  simplement  aux  deux  maîtres  le  châtiment 
réservé  aux  hérétiques'^'. 

Cependant  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  avaient  retrouvé 
à  la  cour  de  Nuremberg  des  lettrés  qui  se  souvenaient  les  avoir 
connus  à  Paris**'.  Il  répugnait,  d'autre  part,  à  Louis  de  Bavière  d'en- 

C    Ce»     considérations     ont     échappé     à  Univ.  Paris.,  II,  3oi  )  et  du  33  octobre  i5ti 

M.J.Sullivan  {The  Americ.  histor.  Rev.,  Il,  (Rinaldi,    V,    343).  Cf.   K.   Millier,   p.  i63, 

p.  4 1  a  ) ,  qui  croit  devoir  placer  le  départ  pour  note  a . 

1  Allemagne  peu  après  le  mois  de  juin  i3a4.  '*'  Nangis,  loco  cit.  —  Cette  opposition  est 

Cependant   M.   K.  Mùller   plaçait   l'arrivée   à  rappeléejusquedanslesbuUesde  Jean  XXII  des 

Nuremberg  vers  l'été  de  i3a6   (t.  I,  p.  i6a,  3  avril  et  a3  octobre  1337,  et  dans  celle  de 

368).  Clément  VI  du  13  avril  i343  (Riezler,  p.  39). 

'''  Nangis,  II,  75.  Bulles  du  3  avril  (Chartul.  <*'  Voir  Rie/Jer,  p.  35. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


591 


vover  au  bûcher  des  hommes  qui,  pour  suivre  son  parti,  avaient 
abandonné  une  situation  honorable  et  prospère.  Etranger,  comme  il 
l'allégua  plus  tard  pour  son  excuse"',  aux  subtilités  de  la  littérature, 
il  laissa  donc  les  deux  auteurs  du  Dejensor  pacis  s'établir  près  de  lui. 
Bientôt  même,  il  les  retint  au  nombre  de  ses  familiers,  les  combla 
d'honneurs  et  de  présents,  leur  permit  d'exposer  plusieurs  fois  leurs 
doctrines  publiquement  devant  lui  ^'.  Marsile  de  Padoue  devint  son 
médecin  *^l  Ce  Gibelin  contribua  peut-être  à  inspirer  la  politique 
italienne  de  Louis  de  Bavière.  Il  se  retrouve  aux  côtés  du  roi  des 
Romains  à  Trente  *',  durant  les  mois  de  janvier,  de  février  ou  de 
mars  1827,  lors  de  cette  brillante  assemblée  des  Gibelins  d'Italie  où 
la  marche  du  prince  sur  Rome  fut  résolue,  et  où  le  «prêtre  Jean» 
(c'est  en  ces  termes  qu'on  désignait  désormais  Jean  XXII)  fut  déclaré 
hérétique  et  pape  indigne.  Plus  tard,  probablement  quand  le  Bava- 
rois ceignit  la  Couronne  de  fer  (3i  mai),  Marsile  de  Padoue  fut  de 
ceux  qui  prêchèrent  ou  répandirent  des  libelles  contre  le  pape  dans 
la  ville  et  dans  le  diocèse  de  Milan  ^^K 

Emerveillé  de  ses  succès,  son  vieil  ami  Albertino  Mussato  lui 
adressa,  de  Chioggia,  une  nouvelle  épître  en  vers,  pleine  de  compli- 
ments et  d'encouragements'®';  il  comptait  maintenant  sur  lui  pour 
venir  au  secours  de  l'Italie,  et  il  exhortait  les  Padouans  à  se  réjouir 
de  l'élévation  glorieuse  de  leur  concitoyen  : 

Hic  patronus  erit  vere  certissimus  ;  hic  est 
Unus  qui  nobis  cunctando  restituet  rem. 
Ergo  vale ,  bene  fauste  !  Deus  te  dirigat  atque 
Regem  istum ,  sibi  quem  totus  desiderat  orbis  ! 

Prévoyant  que  Marsile  allait  suivre  les  camps,  il  le  priait  de  noter 
les  marches,  les  rencontres,  les  actions  d'éclat  dont  il  serait  témoin. 


'''   Vatikanische  Akten,  p.  64o,  780. 

'''  Nangis,  II,  74,  75.  Bulles  du  3  avril  et 
du  a3  octobre  1337. 

'''  C.  Gewold,  Defensio  Ludovici  IV  impe- 
ratoris  ratione  ekclionis  contra  Abr.  Bzovium 
(Ingolstadt,  1618),  col.  187. 

■''  Bulle  du  3  avril  1327.  —  M.  K.  Millier 
(  [ ,  p.  1 70 ,  note  5  )  suppose  que  Jean  de  Jandun 
se  trouvait  aussi  à  Trente,  bien  que  la  bulle 
ne  fasse  mention  que  de  Marsile  de  Padoue. 


'''  Supplique  des  ambassadeurs  Milanais  : 
«  Multaque  erronea  tani  per  dictum  Marsilium 
«  quam  plures  alios  diversis  temporibus  praedi- 
«  dicari  et  iibellos  diflamatorios  conscribi ,  divul- 
«  gari  et  in  publico  appendi  in  civitate  et  diœcesi 
«  praedictis  mandavit.  •  (Rinaldi,  V,  533.) 

''*  Graevius  et  Burmann ,  Thés,  antiq. ,  VI ,  11 , 
Suppl. ,col.  5i.  —  M.  Labanca  (p.  229)  réim- 
prime cette  lettre  et  la  date  d'environ  i3a6. 
Cf.  Riezler,  p.  43. 


592  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOCE. 

ayant  envie  lui-même  de  s'en  faire  l'historien  et  tout  disposé  à  consa- 
crer par  sa  prose  ou  ses  vers  l'immortalité  du  Bavarois.  Mussato  écrivit, 
en  effet,  dans  la  suite,  mais  sur  un  autre  ton,  l'histoire  de  Louis  de 
Bavière  :  on  ignore  si  Marsile  de  Padoue  lui  avait  fourni  des  rensei- 
gnements''l 

Cependant  l'attention  du  pape  s'était,  pour  la  première  fois, 
comme  on  l'a  vu ,  portée  sur  les  auteurs  du  Defensor  pacis  durant  l'été 
de  i326.  Par  bulle  du  3  avril  iSay,  il  reprocha  à  Louis  de  Bavière, 
entre  autres  faits  pouvant  motiver  une  condamnation  nouvelle, 
d'avoir  accueilli  deux  «  hommes  méchants  »,  deux  «  fds  de  perdition  » 
qui  «  se  faisaient  appeler  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  »  :  le 
rang  qu'il  leur  avait  laissé  prendre  parmi  ses  familiers,  la  permission 
qu'il  leur  avait  donnée  de  publier  des  erreurs  manifestes  et  déjà  con- 
damnées indiquaient  suffisamment  qu'il  partageait  leurs  doctrines'"-'. 

Une  des  bulles  fulminées  le  jeudi  saint  suivant  (9  avril  iSay)  vise 
également  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun,  en  même  temps 
que  d'autres  personnages  qui  avaient  accompagné  Louis  de  Bavière 
en  Italie  :  ils  étaient  frappés  de  suspense  et  d'excommunication,  dé- 
clarés déchus  de  leurs  bénéfices  et  cités  à  comparaître  en  personne, 
dans  le  délai  de  quatre  mois,  pour  présenter  leur  justification'^'. 

En  même  temps,  une  série  de  propositions  extraites  du  Defensor 
pacis  furent  soumises  à  l'examen  d'une  commission  constituée  à  Avi- 
gnon et  composée  de  cardinaux,  de  prélats  et  de  docteurs,  (anq  de  ces 
propositions  furent  retenues,  et  le  Saint-Siège  ne  dédaigna  pas  de  les 
réfuter  longuement  dans  une  bulle  datée  du  28  octobre  1327''''.  La 
première  intéressait  le  temporel  de  l'Eglise  :  de  ce  que  le  Christ, 
d'après  saint  Mathieu  (xvii,  26),  avait  consenti  à  payer,  pour  lui  et 
pour  saint  Pierre,  le  tribut  à  César,  nos  auteurs  avaient  conclu  que 
tous  les  biens  de  l'Eglise  étaient  soumis  à  l'Empereur,  qui  pouvait  se 
les  approprier.  Le  pape  faisait  observer  que  l'impôt  du  didrachme,  en 
admettant  qu'il  fût  dû  par  saint  Pierre  et  par  le  Sauveur,  constituait 
une  contribution  personnelle  et  n'impliquait  pas  la  sujétion  de  leurs 

''1  Cf.  Riezler,  p.  44,  noie  a.  portes  de  Notre-Dame-des-Doms,  et  il  fui  décrété 

'*'   Chartnl.  Univ.  Paris.,  II,  3oi.  que  cette  publication  équivaudrait  à  une  cita- 

'''    Thés.  nov.  anecd.,  II,  692.  —  Les  circon-  tien  personnelle  (Rinaldi.V,  343). Cf.  Nangis, 

stances  empêchant  que  cette  huile  fût  signifiée  II,  76. 

aux  intéressés,  on  se  contenta  de  i'ailicher  aux  '*'  Rinaldi,  V,  347. 


.JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  593 

biens  aux  exigences  du  fisc.  La  seconde  proposition  était  la  négation 
de  la  primauté  de  saint  Pierre  :  ici  la  réfutation  prenait  une  grande 
ampleur,  s'appuyant  sur  les  textes  de  fEcriture  et  sur  les  aveux  des 
Empereurs.  Suivant  la  troisième  proposition  relevée  dans  le  Defensor 
pacis,  le  droit  d'élire,  de  destituer,  de  punir,  au  besoin,  l'évêque  de 
Rome  appartenait  à  l'Empereur  :  .lean  XXII  objectait  qu'un  tel  droit 
n'avait  pu  se  fonder  dans  les  premiers  temps  du  christianisme,  alors 
que  les  Empereurs  étaient  païens;  que,  dans  la  suite,  les  Empereurs 
chrétiens  n'avaient  pu  hériter  d'un  droit  que  ne  possédaient  pas  leurs 
prédécesseurs;  il  discutait,  avec  plus  ou  moins  d'à-propos,  les  cas 
embarrassants  fournis  par  l'histoire  du  moyen  âge,  et  il  rappelait  que 
les  lois  impériales  interdisaient  à  fEmpereur  de  destituer  même  un 
simple  clerc.  Aux  termes  de  la  quatrième  proposition,  qui,  dans  sa 
forme  absolue,  dépasse  peut-être  un  peu  la  pensée  de  nos  auteurs, 
pape,  archevêques,  évêques  et  simples  prêtres  étaient  égaux  de  par 
l'institution  du  Sauveur;  ils  ne  devaient  le  plus  ou  moins  d'autorité 
qu'ils  exerçaient  qu'à  une  concession  de  l'Empereur,  l'évocable  à  sa 
volonté''^:  Jean  XXII  établissait,  au  contraire,  l'origine  divine  et 
l'ancienneté  de  la  hiérarchie  ecclésiastique.'  Enfin  une  cinquième 
proposition  extraite  du  Defensor  pacis  contestait  à  fEglise,  fût-elle 
assemblée  tout  entière,  le  droit  d'infliger  une  peine  de  nature  coactive 
sans  la  permission  de  l'Empereur''^':  l'exemple  d'Elymas,  celui d'Ana- 
nie  et  de  Saphire,  d'autres  encore,  servaient  au  pape  à  démontrer 
que  l'usage  de  la  contrainte  corporelle  avait  été  permise  par  Jésus- 
Christ  à  ses  apôtres.  Cette  réfutation  terminée,  le  pape  constatait 
que  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  n'avaient  point  comparu 
dans  les  délais  fixés  :  déclarés  contumaces,  ils  ne  demandaient 
point  à  rentrer  dans  le  giron  de  l'Église,  ils  cherchaient  plutôt  à 
entraîner  d'autres  malheureux  à  leur  suite.  En  conséquence,  Jean  XXII 
les  déclarait  hérétiques  et  hérésiarques,  évoquant  à  ce  propos  le  sou- 
venir d'Arius,  de  Manès,  de  Nestorius  et  de  Dioscore,  les  condamnait, 

■''  Jean  XXII  généralise  ici  re  que  Marsile  duit  toujours  par  «  l'Empereur  »  les  expressions 

de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  disent  des  évê-  de    «legislator    humanus»    et  de    «principans 

ques.  De  plus,  là  où  la  bulle  ne  fait  allusion  «auctoritate  legislatoris  humani»   qui  se  ren- 

qu'à   la  volonté  impériale ,    nos    auteurs   font  contrent  dans  le  Defensor  pacis  ;  en  cela ,  nous 

aussi  intervenir  le  consentement  des   églises,  avons  dit  (p.  b8A)  qu'il   ne  dénaturait  pas  la 

on  même  le  vote  d'un  Concile  général.  pensée  véritable  de  Marsile  de  Padoue  et  de 


'*'  On  le  voit ,  le  rédacteur  de  la  bulle  tra-        Jean  de  Jandun. 


HISÏ.  LITTKR.  XXXIII 


75 


594  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

ainsi  que  leur  livre,  défendait  de  les  recevoir,  de  leur  prêter  appui, 
ordonnait  qu'on  les  arrêtât,  partout  où  l'on  pourrait  les  prendre,  et 
qu'on  les  livrât  à  l'Église. 

A  l'époque  où  cette  bulle,  transmise  en  des  copies  multiples  aux 
archevêques  de  la  chrétienté,  parvenait  à  la  connaissance  dxi  clergé 
et  des  fidèles''',  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun,  montés  au  plus 
haut  degré  de  la  faveur  impériale,  croyaient  presque  voir  s'accomplir 
la  révolution  qu'ils  avaient  rêvée  :  les  événements  donnaient  raison  à 
quelques-unes  de  leurs  plus  folles  utopies. 

Le  7  janvier  1 3  28,  le  roi  des  Romains  était  entré  dans  Rome.  Le  1 7, 
il  s'était  fait  couronner  empereur  par  Sciarra  Colonna,  député  à  cet 
effet,  avec  trois  autres  Romains,  comme  syndics  du  peuple.  C'était, 
au  moins  en  apparence,  l'investiture  populaire  substituée,  suivant  la 
théorie  du  Defensor  pacis,  à  l'investiture  pontificale. 

Le  18  avril  suivant,  Louis,  revêtu  des  insignes  impériaux,  prit 
place  sur  un  trône,  entouré  de  ses  prélats  et  de  ses  chevaliers,  au 
milieu  de  l'assemblée  du  peuple.  Un  religieux  appela  trois  fois  l'avocat 
chargé  de  défendre  «le  prêtre  Jacques  de  Cahors,  qui  se  faisait 
«  nommer  Jean  XXII  ».  Après  quoi  lecture  fut  donnée  d'une  proclama- 
tion impériale  :  sur  la  demande  des  syndics,  mandataires  du  clergé 
et  du  peuple  de  Rome,  Louis  déclarait  le  pape  déchu  de  toutes  ses 
dignités  et  soumis  à  la  juridiction  du  pouvoir  séculier.  La-  vacance 
du  Saint-Siège  était  ouverte,  et  l'Empereur  promettait  de  pourvoir 
le  plus  tôt  possible  à  la  nomination  d'un  pasteur  légitime'^'.  Cejour-là, 
le  fidelis  legislator  humaniis  superiore  carens,  comme  l'appelaient  les 
auteurs  du  Defensor  pacis,  inaugura  son  rôle  de  représentant  de 
la  chrétienté  et  de  juge  des  évoques  de  Rome.  On  a  remarqué,  d'ail- 
leurs, que  les  motifs  invoqués  en  faveur  de  la  déposition  du  pape 
n'étaient  plus  les  doctrines  hétérodoxes  qu'on  lui  reprochait  naguère, 
au  temps  où  Louis  de  Bavière  subissait  l'influence  exclusive  des  Fran- 
ciscains révoltés,  mais  des  considérations  d'ordre  politique,  emprun- 
tées pour  la  plupart  au  livre  de  Marsile  de  Padoue  :  l'usurpation  de 

'''  Voir  une  lettre  du   a3  janvier  iSaS  or-  la  publication  de  la  sentence  du  aS  octobre 

donnant  à  l'évêque  de  Sien  de  faire  publier  iSay  dans  la  ville  de  Rome  et  aux  environs 

dans  son   diocèse    ce  procès,    qui    avait   été  [Thés.  nov.  anecd..  Il, -j-ji). 

transmis   notamment  à   l'archevêque  de    Be-  <*'  J.  Villani  (Muratori,  XIII,  64i  )  ;  Balme, 

sançon  (VatikanischeAkten,p.  364).  Une  lettre  Vitœ  papanim ,  II,  Sia.  Cf.  K.  Mûller,  I,   i83 

postérieure,  celle  du  5  mai   iSag,  mentionne  et  suiv. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  M\RSILE  DE  PADOUE.  595 

la  puissance  séculière,  le  gaspillage  des  biens  de  l'Eglise,  la  mauvaise 
distribution  des  bénéfices,  etc. '^'. 

Enfin,  le  12  mai  suivant,  fête  de  l'Ascension,  l'Empereur  de  nou- 
veau trôna  dans  une  assemblée  populaire  tenue  sur  la  place  Saint- 
Pierre.  On  introduisit  le  frère  Mineur  Pierre  de  Gorbara;  Louis  se 
leva  et  lui  fit  prendre  place  sous  le  baldaquin  qui  abritait  son  trône. 
Après  un  discours  où  le  souvenir  des  excès  du  pontife  déchu  faisait 
d'autant  mieux  ressortir  la  noble  figure  du  candidat  présent,  l'évèque 
de  Castello  demanda,  par  trois  fois,  au  peuple  s'il  voulait  de  Pierre  de 
Gorbara  pour  pape.  Bien  qu'on  eût  espéré  le  succès  d'un  Romain, 
■  des  acclamations  approbatives  se  firent  entendre.  Aussitôt  fut  donnée 
lecture  du  décret  impérial  qui  confirmait  la  prétendue  élection  po- 
pulaire. Louis  imposa  au  nouveau  pape  le  nom  de  Nicolas  V,  lui 
remit  ses  insignes,  lui  confirma  les  possessions  dont  les  papes  jus- 
.  qu'alors  avaient  joui,  disait-il,  par  la  permission  de  l'Empereur.  Gette 
journée  fut  le  plus  beau  triomphe  des  idées  développées  dans  le 
Defensor  pacis  :  le  prince  et  le  peuple  concourant  à  l'élection  du  pape, 
à  l'exclusion  des  cardinaux;  le  pouvoir  temporel  reçu  des  mains  de 
l'Empereur;  un  religieux  Mendiant  élevé  sur  la  chaire  de  Saint- 
Pierre  pour  rappeler  que  le  vicaire  de  Jésus-Ghrist  devait  donner  le 
premier  l'exemple  de  la  pauvreté  évangélique'^'. 

Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun  n'avaient  pas  seulement 
reconnu  avec  orgueil  l'influence  de  leurs  doctrines  dans  cette  série 
étrange  d'événements  imprévus  :  ils  y  avaient  joué  leur  rôle. 

Venus  à  Rome  avec  Louis  de  Bavière,  ils  y  avaient  prêché  ouverte- 
ment leurs  doctrines  révolution naires'^'.  Investi  du  titre  de  vicaire  im- 
périal, Marsile  de  Padoue  avait  abusé  de  cette  commission  pour  per- 
sécuter les  clercs  romains  qui  observaient  l'interdit  mis  sur  la  ville 
par  Jean  XXII;  il  s'en  était  pris  même  aux  parents  et  aux  alliés  de 
ces  ecclésiastiques'*'.  On  cite  un  prieur  des  Augustins  de  San  Trifone 
qui,  pour  ce  motif,  avait  été  exposé  à  la  dent  des  lions  du  Gapitole*^'. 

'''  K.  Millier,  I,  187.  écouter  les  deux  maîtres  (Thés.  nov.  anecd. ,  II, 

••'  Riezler,   p.  48;  R.  Millier,!,    \(jk.  Cf.  7^1  )•  Le  même  fait  est  rappelé  dans  les  bulles 

Ritter,  Historische  Zeitschrift,  XLIl,  3o3.  du  i5  avril  iSaS  (  Vatikanische  Aklen,  p.  378) 

'''  Le  fait  est  déjà  mentionné  dans  la  bulle  et   du    5    mai    1329    [Thés.   nov.    anecd.,   11, 

du  3i  mars  1828, qui  maintient  l'interdit  mis  773). 

sur  la  ville  de    Rome,   et    reproche    aux  Ro-  '*'  Bulle  du  i5  avril  i328. 

mains  la  laveur  avec  laquelle  ils  semblaient  '5)  D'après  le  récit  de  Gilles  de  Viterbe  (C. 

75. 


596 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


Si  Marsile  de  Padoue  est  l'auteur  de  ce  jeu  cruel ,  il  poussait  un  peu 
loin  les  conséquences  de  son  principe  que  nul  interdit  ne  peut  être 
prononcé  sans  la  permission  de  l'Etat. 

Si  l'on  en  croit  Albertino  Mussato,  l'ami  de  Marsile,  celui-ci  aurait 
été,  avec  Ubertino  de  Casale,  l'instigateur  et  le  rédacteur  du  réquisi- 
toire prononcé  le  18  avril  contre  Jean  XXII,  dans  lequel  on  a  cru  re- 
connaître tant  d'emprunts  au  Defensor  pacis^'^K  C'est  Jean  de  Jandun 
qui,  d'après  le  témoignage  d'un  chroniqueur  français,  aurait,  avec  le 
frère  Mineur  Buonagrazia,  ameuté  la  foule  romaine  et  provoqué  une 
manifestation  en  faveur  de  l'élection  d'un  nouveau  pape^^'.  Enfin, 
Marsile  de  Padoue  et  Jean  Colonna,  fils  de  Sciarra,  paraissent  avoir 
composé  de  clercs  de  leur  choix  une  sorte  de  Comité  de  salut  public 
(^pro  bono  statu  Urbis),  qui,  sous  leur  influence,  approuva  le  projet 
d'élection  de  Pierre  de  (>orbara'^'. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  lettres  de  Jean  XXII  qui  n'attestent  l'impor- 
tance du  rôle  joué  par  nos  deux  maîtres  dans  la  révolution  romaine. 
Le  i5  avril,  le  pape  écrivit,  à  leur  sujet,  à  son  légat,  Gian-Gaetano 
Orsini,  cardinal  de  Saint-Théodore  :  les  circonstances  empêchaient 
celui-ci  de  se  rendre  à  Rome;  mais  il  devait,  par  un  édit  auquel  serait 
donnée  toute  la  publicité  possible,  exhorter  le  peuple  et  les  magistrats 


Hôfler,  Beitràge  zur  Gesch.  Kaiser  Ladwigs  IV, 
dans  Oberbayerisches  Archivf.  vaterlânJ.  Gesch . , 
I,  iSSg,  p.  109),  il  semble  l)ien  que  le  pauvre 
religieux  en  ait  été  quitte  pour  la  peur.  11  y 
avait ,  à  cette  époque ,  au  pied  du  Capitole , 
une  sorte  de  fosse  aux  lions  destinée  à  l'amu- 
sement des  promenevu"s.  Le  prieur  de  San  Tri- 
fone  fiit  attaché ,  au-dessus  de  cette  l'osse ,  à  une 
poutre  qui  s'abaissait  progressivement,  de  façon 
à  le  rapprocher  de  plus  en  plus  de  la  gueule 
des  lions.  Ceux-ci ,  en  bondissant ,  déchiraient 
les  pans  de  son  vêtement. 

'"'  «In  personam  et  actus  ejus  [Johan- 
«nis  XXII],  prout  jam  dicti  Marsilius  et  Uber- 
«tinus,  consultores  ac  etiam  processuum  dicta- 
«  tores,  conscribcre  atque  componere  multo 
«studio  sciverunt,  edicta  a  senatu  populoque 
«  Romano  promulgata  snnt.  »  (  Albertiiii  Mussati 
Ludovicus  Bavaras ,  dans  Bôhmer,  Fontes  rer. 
Germanie,  1,  175.)  Cf.  Riezler,  p.  5a;  K. 
Millier,  1,  369,  II,  16,  189;  L.  .lourdan, 
p.  18.  —  A  certains  indices,  M.  K.  Mûller croit 
plutôt  reconnaître  dans  ce  document  la  trace 


de  la  collaboration  de  Marsile  de  Padoue  et  de 
Sciarra  Colonna. 

'''   «  Ludovicus  de  Bavaria  et  rives  Romani , 

•  convocato  consilio  contra  sanctam  Ecclesiam , 
«  hortamento  duonim  clericorum  quorum  unus 
«  erat  cordiger  et  vocabatur  Bona  Gratia,  et  alter 
«  magister  Johannes  Gendini ,  qui  erat  nacione 
«  Normannus,  qui  commoverunt  populum  taiiter 
«quod  omnes  pariter  clamabant  quod  papam 
«vellent  habere,  elegerunt  ergo.  .  .  »  [Chrono- 
graphia  regam  Francor.,  I,a65.)  —  Nul  doute 
que  le  chroniqueur  ait  en  vue  .lean  de  Jandun , 
bien  qu'il  le  qualifie  à  tort  de  Normand. 

'''  C'est  ce  que  déclarèrent  plus  tard  nu 
pape  lés  ambassadeurs  romains  :  «  Clerus  etiam 
«  dictae  urbis  per  Joannem,  dicti  Jacohi  Sciarra 

•  fdium ,  et  Marsilium  de  Padua ,  haereticum ,  ad 
«  eiigendum  certos  clericos  urbis  ejusdem  pro 
«bono  statu,  sicut  fmgebant,  ipsius,  fraudu- 
«lenter  et  deceptorie  fuit  inductus;  quos  qui- 
«  dem  clericos  prsefati  Johannes  et  Marsilius 
«  procurarunt  electioui  dicti  Pétri  de  Corbario 
«  in  antipnpani  consentire.  •  (Rinaldi,  \',  485.) 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  P.ADOUE. 


597 


à  s'emparer  de  Jean  de  Jandun  et  deMarsilc  de  Padoae  pour  les  livrer 
sans  pitié  à  la  justice  ecclésiastique*''.  Le  pape  chargea  encore,  le 
2  1  mai  suivant,  d'une  commission  semblable  le  chanoine  Jacques 
Colonna'^',  qui,  quelques  semaines  auparavant,  avait  eu  le  courage 
de  lire  et  d'afficher  une  de  ses  bulles  en  pleine  ville  de  Rome. 

En  même  temps,  à  Avignon,  Jean  XXII  faisait  interroger,  dans  son 
palais,  par  l'archevêque  d'Arles,  camerlingue,  le  jeune  François  de 
Venise,  élève  de  Marsile  de  Padoue,  soupçonné,  on  l'a  vu,  d'avoir 
collaboré  au  Defensor  pacis,  d'avoir  exécuté  ensuite  plusieurs  copies 
de  cet  ouvrage,  porté  des  livres  à  Marsile,  eu  Allemagne,  et  entretenu 
avec  lui  toute  une  correspondance.  L'accusé  fournit  sur  les  circon- 
stances du  départ  de  son  maître  un  certain  nombre  de  renseigne- 
ments, que  nous  avons  utilisés,  mais  prétendit  avoir  cessé,  à  partir 
de  ce  moment,  toutes  relations  avec  lui^^'. 

On  s'explique  sans  peine  qu'un  clerc  des  environs  de  Coutances, 
désireux  de  se  concilier  la  faveur  de  Jean  XXII,  auprès  duquel  il  se 
rendait  alors,  n'ait  cru  pouvoir  mieux  y  parvenir  qu'en  composant, 
sur  «fapostasie  »  de  Louis  de  Bavière,  un  poème  latin  dans  lequel  il 
flétrissait  les  doctrines  perverses  de  Jean  de  Jandun  et  de  Marsile  de 
Padoue'*'.  Il  se  souvenait  d'avoir  suivi  autrefois  les  leçons  des  deux 
maîtres  sur  les  sciences  naturelles'*'  :  il  n'en  jugeait  pas  moins  ces 
«serpents  jumeaux»  dignes  des  pires  châtiments  et  faisait  des  vœux 
pour  que  le  pape  en  débarrassât  l'Eglise  '"'  : 

Sicut  sub  nequani  Nerone    defecit  Symon  impius 
Et  Jannes  sub  Pharaone     ac  Mambres ,  ejus  socius  t", 
Ita  sub  isto  praedone    Johannes  et  Marsibus 
Deficiant ,  Jesu  bone ,    ne  sequatur  deterius  ! 


<"'  Vatikaiiische  Akten,  p.  378.  —  M.  J.  Sul- 
livan (  Ï7ie  Americ.  histor.  Rev.,  II,  b(jA)  croit 
à  tort  qu'un  ordre  semblable  avait  été  déjà 
donné  par  lettres  du  ai  janvier  et  du  27  fé- 
vrier i3a8  [Thés.  nov.  anecd.,  II,  716,  723). 
M.  Labanca  (p.  37)  doit  faire  aussi  confusion 
en  parlant  d'une  lettre  adressée,  le  16  fé- 
vrier, à  Ange,  evêque  de  Viterbe. 

'''  Lettre  citée  sans  indication  de  date  par 
Rinaldi  (V,  366),  à  laquelle  M.  K.  MûUer  (1, 
ao3 ,  note  1  )  assignait  par  conjecture  une  date 
comprise  entre  le  26  février  et  le  7  mars 
iSaS,  et  qui  est,  en  réalité,  du  21   mai  sui- 


vant (W.  Preger,  Die  Vertràge  Ladwigs  des 
Baiera  mit  Friedrich  dem  Schônen  in  den  J. 
J325  a.  1326,  dans  Abhandlungeii  der  hist. 
Cl.  der  bayerisch.  Akad.  d.  Wissensch.,  XVII,  1, 
p.  257)/ 

C  Interrogatoire  du  20  mai  l328  (Baluze, 
Miscellanea ,  II,  280). 

'*'  De  Bavari  apostasia,  strophes  5-7,  i3-20, 
22  (Neues  Archiv ,  XXV,  712-713). 


Vos  audivisse  mcmïni  legentes  naturalia. 


(•) 

Dignum  est  illos  destrui  hœresiarcharum  more. 

<')  2  r™.  111,8. 


.  Pro  tam  stupendo  errore 


598  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 

A  Moyse  légifère    Janes  et  Mambres  devicti 
Fiuctu  fuerunt  aspero    cum  ^Egyptiis  amicti  : 
Sic ,  dante  Rege  supero ,     a  Papa  magi  piiïdicti , 
Ut  a  Moyse  altero ,    cum  suis  erunt  afflicti. 

La  faveur  dont  jouissaient  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Janduu 
auprès  de  Louis  de  Bavière  les  mettait  à  même  de  braver  les  menaces 
de  Jean  XXII.  Par  une  curieuse  application  des  principes  du  Defensor 
pacis,  Jean  de  Jandun  venait  d'obtenir  de  l'Empereur  l'évêché  de 
Ferrare  (i"  mai  iSaS)^''.  Ce  n'est  pourtant  pas  du  peuple,  mais 
de  Dieu  que  Louis  de  Bavière,  dans  cet  acte,  déclarait  avoir  reçu  le 
gouvernement  de  l'univers;  mais  il  s'appuyait  sur  le  prétendu  consen- 
tement de  tout  le  clergé  et  de  tout  le  peuple  de  Rome  pour  prononcer 
la  déchéance  de  l'évêque  actuel  de  Ferrare,  Gui  de  Capello,  et,  à  sa 
place,  il  nommait  Jean  de  Jandun,  son  «conseiller»,  auquel  il  don- 
nait, par  surcroît,  le  titre  de  «docteur  en  théologie»'^*.  Bien  que  le» 
pouvoirs  qu'il  conférait  au  nouvel  évêque  fussent  fort  étendus ,  il  est 
à  remarquer  qu'il  laissait  au  clergé  et  au  peuple  «  fidèle  »  le  droit  de 
pourvoir  par  élection  aux  bénéfices  et  prélatures  ayant  charge  d'âmes, 
ne  reconnaissant  à  Jean  de  Jandun  que  la  faculté  de  confirmer  de  tels 
choix.  La  moindre  désobéissance  ou  opposition  au  nouvel  évêque  en- 
traînait une  amende  dont  le  montant  se  partageait  entre  Jean  de  Jan- 
dun et  le  fisc  impérial.  On  ne  pouvait  appeler  des  sentences  du  prélat 
ni  de  celles  de  ses  officiers,  si  ce  n'est  en  la  cour  de  l'Empereur.  Ses 
actes  d'administration  épiscopale,  collations,  translations  de  béné- 
fices, etc. ,  pouvaient  aussi  être  annulés  par  l'Empereur;  l'Empereur 
enfin  demeurait  maître  de  révoquer,  quand  il  le  voudrait,  la  com- 
mission d'évêque  décernée  à  Jean  de  Jandun.  C'était  bien  là  le  type 
d'épiscopat  subordonné  au  pouvoir  laïque  dont  le  Defensor  pacis  avait 
préconisé  les  avantages'^'. 


1''  Déjà,  peu  après  son  départ  de  Milan, 
Louis  avait  osé  nommer,  de  sa  propre  autorité, 
trois  évéques ,  à  Crémone ,  à  Côme  et  à  Castello 
(Muratori,  XIII,  620;  XVIII,  M-])- 

<*'  A  la  suite  d'une  enquête  faite ,  plus  tard, 
à  Paris,  il  fut  reconnu  que  Jean  de  Jandun 
n'avait  jamais  été  maître ,  ni  même  gradué  en  la 
Faculté  de  théologie.  On  suppose  donc  que  ce 
titre  lui  fut  conféré  par  l'Empereur  (Cnarlnl. 
Univ.  Paris. ,  111,  aaS). 


''>  Theiner,  Cod.  diplomal.  dominii  temp.  S, 
Sedis,  I,  356;  Vatikanische  Akten,  p.  376. 
—  Si  cet  acte  était ,  comme  on  l'assure  (  Giartul. 
Univ.  Paris.,  II ,  7 1 8),  conservé  en  original  dans 
les  archives  du  Château-Saint-Ange  (Arch.  du 
Vatican,  Armar.  xv,  caps.  6,  n*  5i),  nous  ne 
comprendrions  pas  l'altération  que  le  texte  a 
subie  :  l'Empereur  s'adresse  d'abord  à  Jean 
de  Jandun  lui  même ,  et  ensuite  parle  de  lui 
à  la  troisième  personne.  Le  plus  probable  est 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MÂRSILE  DE  PADOUE. 


599 


Ayant  ainsi  pourvu  d'un  évêché  Jean  de  Jandun,  l'Empereur  ne 
pouvait  moins  faire  que  de  procurer  un  archevêché  à  Marsile  de 
Padoue.  Ce  dernier,  effectivement,  ne  tarda  pas  à  être  nommé  arche- 
vêque de  Milan,  si  l'on  en  croit  un  historien  contemporain'"'.  L'acte 
de  nomination  ne  nous  est  point  parvenu;  mais,  l'antipape  Nicolas  V 
ayant  été  élu  dans  l'intervalle,  il  est  probable  que  cette  nomination 
fut  expédiée  sous  la  forme  d'une  lettre  apostolique  plutôt  que  sous 
celle  d'un  acte  impérial.  En  tout  cas,  il  ne  semble  pas  qu'il  y  ait, 
comme  on  l'a  cru,  contradiction  entre  cette  nomination  et  celle  de 
Jean  Visconti  comme  cardinal-légat  de  l'antipape  en  Lombardie'^'. 

Cependant  ni  Jean  de  Jandun  ni  Marsile  de  Padoue  n'allaient 
jouir  des  hautes  prélatures  qu'ils  devaient  à  la  munificence  impériale. 
Le  rêve  qu'ils  avaient  conçu,  et  que  Louis  de  Bavière  s'était  si  bien 
mis  en  devoir  de  réaliser,  n'allait  pas  tarder  à  s'évanouir. 

Aussi  bien  nous  touchons  à  la  fin  de  la  carrière  de  Jean  de  Jandun. 
Mais  la  date  de  sa  mort  est  difficile  à  déterminer.  L'embarras  dans 
lequel  se  sont  trouvés  plongés  les  historiens,  en  présence  de  textes  en 
apparence  contradictoires,  va  nous  obliger  à  entrer  ici  dans  quelque 
détail. 

Si  l'on  s'en  tenait  aux  documents  de  provenance  avignonnaise,  on 
serait  tenté  de  prolonger  la  vie  de  Jean  de  Jandun  de  plusieurs 
années  encore  :  des  lettres  de  Jean  XXII  du  5  *^'  et  du  3o  mai  1 329'*', 
du  25  juin  suivant,  du  6  septembre  i33o,  du  4  janvier  i33i*'*' 
nomment  Jean  de  Jandun,  en  compagnie  de  Marsile  de  Padoue, 
comme  s'ils  étaient  tous  deux  vivants.  Cela  prouve  simplement  que  la 


que  la  pièce  des  Archives  vaticanes  est  une 
copie  ancienne  où  l'on  aura  amalgamé  le  texte 
de  l'acte  de  nomination  adressé  au  prélat  avec 
celui  du  mandement  envoyé  au  clergé  ou  aux 
autorités  de  Ferrare. 

'■'  Galvaneus  Flamma ,  auteur  du  Manipulas 
Florum  :  «Hic  [Nicolaus,  antipapa]  dédit  in 
«  archiepiscopum  Mediolanensem  quemdam 
«  M arsilium  Paduanum ,  multosque  episcopos  in 
«  aliis  civitatibus  lecil.  »  (  Muratori ,  XI ,  ySa .)  Le 
même  fait  parait  avoir  été  aussi  attesté  par 
certaines  Annales  padouanes  que  cite  Bernar- 
dino  Scardeone  [Historia  Patavina,  dans  Grae- 
vius  et  Burmann ,  Tkes.  antiquit.  Ital. ,  VI ,  m , 
170);  elles  le  rapportaient  à  l'année  i328.  On 
s'explique  mal  l'opinion ,  citée  par  Papadopoli 


[Hist.  gymnasii  Patavini,  II,  p.  i65),  d'après 
laquelle  Marsile  de  Padoue,  s'étant  réconcilié 
avec  l'Eglise ,  aurait  été  nommé  archevêque  de 
Milan  par  Jean  XXII. 

'''  M.  Riezler  (p.  55,  note  a),  comprenant 
que  Jean  Visconti  fut  nommé  par  l'antipape , 
au  mois  de  janvier  iSag,  à  la  fois  cardinal  et 
archevêque  de  Milan ,  en  concluait  que  la  no- 
mination de  Marsile  de  Padoue  par  l'Empereur 
n'avait  point  eu  d'efifet.  Mais  Galvaneus  Flamma 
dit  expressément  que  Jean  Visconti  fut  nommé 
légat  de  l'antipape  en  Lombardie  et  non  ar- 
chevêque de  Milan. 

'*'   Tkes.  7101).  anecd.,  II,  778. 

'')   Chartal.  Univ.  Paris..  II,  3a6. 

'*'   Tkes.  nov.  anecd.,  II,  778,  8i3,  817. 


600 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


cour  d'Avignon  était  mal  renseignée  au  sujet  de  la  fin  d'un  hérétique 
sur  lequel  le  silence  avait  dû  se  faire  après  sa  mort.  Il  est  plus  malaisé 
de  justifier  les  termes  dont  se  sert  Louis  de  Bavière  dans  un  acte  du 
28  octobre  i336  :  «Nous  extirperons  les  hérétiques  et  schismatiques 
«désignés  par  l'Eglise,  spécialement  Jean  de  Jandun,  Marsile  de 
«Padoue,  etc.'*'.  >«  Cependant  ce  document,  comme  on  l'a  fait  remar- 
quer*^', est  une  sorte  d'amende  honorable  dictée  à  l'Empereur  par  la 
cour  pontificale  elle-même  :  il  ne  prouve  pas  nécessairement  que 
Louis  de  Bavière  crût  Jean  de  Jandun  vivant  en  i336. 

Ce  qui  empêche  de  faire  survivre  notre  philosophe  à  l'année  i32  8, 
c'est  le  témoignage  formel  de  Michel  de  Césène,  le  célèbre  Francis- 
cain révolté  contre  l'autorité  du  Saint-Siège  :  «Tu  mens,  écrivait-il 
«  en  i332  au  général  des  frères  Mineurs,  tu  mens  quand  tu  prétends 
«que  j'ai  communiqué  avec  M"  Jean  de  Jandun.  On  sait  qu'il  était 
«  mort  à  Todi,  avant  que  je  vinsse  à  Pise.  Or  je  n'ai  jamais  mis,  je 
«  n'ai  jamais  songé  à  mettre  le  pied  à  Todi'^'.  »  Or  Michel  de  Césène, 
s'étant  enfui  d'Avignon,  parvint  à  Pise  dès  le  8  juin  i328''''  :  par 
conséquent,  c'est  avant  cette  date  qu'il  faudrait  placer  la  mort  de  Jean 
de  Jandun. 

H  y  a  bien  une  difficulté.  Les  archives  du  Vatican  renfermaient 
autrefois  une  pièce  qui  semble  aujourd'hui  égarée'^',  mais  qui  nous 
est  connue  par  une  analyse  faite  lors  du  séjour  de  ces  archives  à 
Paris  au  commencement  du  xix"  siècle'**'  :  il  s'agit  d'un  acte,  daté  du 
i4  juillet  1328,  par  lequel  Louis  de  Bavière  retenait  Jean  de  Jandun 
au  nombre  de  ses  familiers.  Jean  de  Jandun  n'aurait  pu  être  l'objet 
de  cette  faveur,  s'il  était  mort,  comme  le  prétend  Michel  de  Césène, 
avant  le  8  juin  i32  8.  Cependant  on  fait  remarquer  que  le  répertoire 


'"'   Vatikaiiische  Akten,  p.  643- 

m  RieïJer,  p.  58. 

''1  Chronica  fr.  Nicolai  Glassberger  [Analecta 
Franciscaiiu ,  IF,  Quaracchi,  1887,  in-4°), 
p.  157. 

<*'  Croiiica  Sanese  (Muratori,  XV,  81  ). 

'''  La  recherche  que  feu  le  P.  Denifle  avait 
bien  voulu  faire  à  notre  demande  est  demeurée 
infructueuse. 

'*'  Cette  analyse  est  ainsi  conçue.:  tCapsule 
«  199 ,  n°  25.  Lettres  de  Louis  do  Bavière ,  qui 
«accorde  son  amitié,  et  qui  prend  au  nombre 


«  de  ses_yaHiih'ares,  courtisans,  Jean  de  Geniluno, 
«  homme  de  mérite  et  dont  il  fait  beaucoup  de 
«  cas.  Parchemin  signé  à  Home ,  le  1 4  juillet 
«  i3a8.  »  (Arch.  nat.,  L  873,  liasse  8.)  VVaitz 
et  Bôhmer  [AcUlitamentum  primum  ad  Regesla 
Imppiii ,  i84i.  p-  376)  n'ont  connu  l'acte 
de  Louis  de  Bavière  que  par  cette  analyse, 
qu'ils  ont ,  du  reste ,  assez  inexactement  citée  :  ils 
impriment  «  Jean  de  Gelduno  >.  De  là  le  doute 
de  M.  Riezler  (p.  67),  qui  hésite  naturellement 
à  identifier  ce  «  Jean  de  Gelduno  •  avec  Jean  de 
Jandun. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  601 

d'où  est  tirée  cette  analyse  fourmille  de  fautes'^',  et  que  Louis  de 
Bavière,  d'après  Villani*'^',  n'étant  retourné  de  Tivoli  à  Rome  que  le 
20  juillet,  n'aurait  pu  expédier  en  cette  dernière  ville  un  acte  sous 
la  date  du  i^.  Nous  ajouterons  que  Jean  de  Jandun  est  déjà  qualifié  de 
«  conseiller»  de  l'Empereur  dans  le  diplôme  du  i"  mai  qui  le  nomme 
évêque  de  Ferrare,  que  l'on  conçoit  mal  une  retenue  de  «familier» 
succédant  à  une  retenue  de  conseiller,  et  qu'enlin  le  prétendu  acte 
du  1 4  juillet  ne  paraît  pas  attribuer  à  Jean  de  Jandun  ce  titre  d'évêque 
de  Ferrare  qu'il  portait  sans  nul  doute  depuis  le  1"  mai.  Pour  toutes 
ces  raisons,  il  y  a  lieu  d'écarter  l'objection  fondée  sur  cet  acte  suspect, 
il  fut  probablement  expédié  à  imc  date  très  antérieure  à  celle  que  lui 
assigne  l'analyse  fautive  conservée  aux  Archives  nationales. 

Le  témoignage  de  Michel  de  Césène  demeure  donc  inattaquable, 
et  Ton  peut  supposer,  par  exemple,  que  Jean  de  Jandun  périt  à  Todi, 
dans  le  courant  du  mois  de  mai  i328,  en  se  rendant  de  Rome  dans 
son  nouvel  éyéché  de  Ferrare. 

Toutefois  nous  serions  tentés  d'accorder  la  préférence  à  une  se- 
conde hypothèse.  La  présence  de  Jean  de  Jandun  à  Todi  est  encore 
plus  facilement  explicable  au  mois  d'août  suivant.  A  ce  moment,  on 
vit  s'abattre  sur  Todi  Louis  de  Bavière,  chassé  de  Rome  avec  toute 
sa  cour,  y  compris  l'antipape  et  sa  suite  *^*.  Rien  de  plus  naturel  que 
d'admettre  que  Jean  de  Jandun,  entraîné  dans  la  commune  déroute, 
suivit  à  Todi  l'Empereur,  dont  il  n'eût  guère  été  prudent  à  lui  de 
s'éloigner  dans  des  circonstances  aussi  critiques.  Quelques  jours  plus 
tard,  Louis  de  Bavière  repartit  avec  tout  son  monde,  pour  Viterbe, 
de  là  pour  Corneto,  et  de  Corneto,le  10  septembre,  pour  Pise.  Ici, 
laissons  la  parole  au  chroniqueur  Jean  Viliani  :  «  Ils  partirent  de 
«Corneto  le  10  septembre  1828,  et,  en  route,  mourut  à  Montalto  le 
«  perfide  hérétique,  et  maître  et  inspirateur  du  Bavarois,  M"  Marsile 
«  de  Padoue*'*'.  »  Ces  quelques  lignes  renferment  une  erreur  manifeste  : 
comme  on  le  verra  plus  loin,  Marsile  de  Padoue  vécut  au  moins 
jusqu'en  iS^a*^'.  Mais  il  se  pourrait  fort  bien  qu'un  «pel-fide  héré- 
tique», confident  de  Louis  de  Bavière  et  facile  à  confondre  avec 

'■>  K.  MûUer,  I,  i63 ,  note  4-  '''  Muratori,  XIII,  664- 

'•'  Muratori,  XIII,  6d6.  C  Km.  Friedherg  (Zeitschr,  f.  Kirchenrecht , 

'''  J.  VUiani  (Muratori,   XIII,  660);    Cro-         VIII,    117)    admettait  pourtant    que  Marsile 

nica  Sanese  (Muratori,  XV,  83).  était  mort  à  Montalto,  le  i4.  septembre  iSaS. 

HIST.  I-ITTÉR.  XXXIII.  76 


602 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSU.E  DE  PADOUE. 


Marsile  de  Padoue,  fût  mort  effectivement,  à  Montalto ,  vers  ie  i  o  sep- 
tembre'*' :  ce  serait  Jean  de  Jandun,  et  ainsi  cette  simple  erreur  de 
nom  vme  fois  corrigée,  le  renseignement  du  chroniqueur  pourrait 
être  accueilli  avec  une  certaine  confiance '"^\ 

Cependant  comment  concilier  cette  hypothèse  avec  le  témoignage 
de  Michel  de  Césène?  Celui-ci  ne  se  sera  souvenu,  en  i332  ,  que  du 
séjour  fait  à  Todi  par  l'Empereur  et  sa  suite  :  partant,  sachant  que 
Jean  de  Jandun  était  mort  à  un  moment  où  il  accompagnait  Louis  de 
Bavière ,  il  aura  supposé  que  cette  mort  avait  eu  lieu  à  Todi.  Il  la  place 
avant  sa  propre  arrivée  à  Pise  :  autre  confusion.  C'est  avant  l'arrivée 
de  Louis  de  Bavière  à  Pise  qu'il  aurait  dû  dire,  soit  avant  le  21  sep- 
tembre 1828.  Mais  l'important  pour  lui  était  de  se  disculper  du  re- 
proche d'avoir  frayé  avec  Jean  de  Jandun,  et,  de  fait,  cette  rencontre 
n'avait  pu  avoir  lieu,  puisque  la  mort  de  l'hérétique  avait  précédé  le 
moment  où  était  parvenue  à  Pise  la  troupe  fugitive  des  schismatiques 
escortés  par  Louis  de  Bavière. 

En  résumé,  l'on  peut  choisir  entre  deux  dates  pour  la  mort  de 
Jean  de  Jandun  :  au  mois  de  mai  ou,  plus  probablement,  du  10  au 
i5  septembre  1828. 

VL 

La  vie  de  Marsile  de  Padoue  ne  présente  plus  guère  d'incident 
connu  à  partir  de  la  disparition  de  son  collaborateur. 

Il  est  peu  probable  qu'il  ait  pu  exercer  les  fonctions  d'archevêque 
à  Milan.  Azzo  Visconti,  qui  gouvernait  la  ville,  bien  qu'il  eût  accepté 
le  titre  de  vicaire  impérial,  n'attendait  qu'un  moment  favorable  pour 
traiter  avec  le  pape  d'Avignon  *^l 

Marsile  de  Padoue  demeura  sans  doute  à  la  suite  de  Louis  de  Ba- 
vière '*'.  On  a  relevé  encore  un  emprunt  au  préambule  du  Defensor 


'*'  Montalto  est  situé  un  peu  au  nord  de 
Corneto,  sur  la  route  de  Grosseto,  où  l'armée 
de  Louis  de  Bavière  campa  le  1 5  septembre 
(J.  Villani,  c.  664;  Cronica  Sanete,  c.  84). 
Par  conséquent ,  la  mort  de  l'hérétique  se  place- 
rait entre  le  lO  et  le  i5. 

<•>  Cf.  R.  Mûller,  1,  10-],  note  4. 

'''  Il  est  vrai  que  l'archevêque  légitime  Ai- 


cardo  da  Intimiano  était  exilé  et  ne  put  rentrer 
en  possession  de  son  siège  qu'en  i335  (Galva- 
neusFlamma,  Muratori,  XI,  73a).  Mais  d'autres 
membres  du  clergé  exilés  étaient  rentrés  à  Mi- 
lan dès  le  1  février  i33i  (Annales  Mediolan., 
Muratori,  XVI,  706). 

'*'  Le  fait  qu'un  nommé  Matteo  da  Pergamo 
est  désigné  comme  médecin  de  l'Empereur  le 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


603 


pacis  dans  des  lettres  que  l'Empereur  adressa,  de  Crémone,  le  27  oc- 
tobre iSag,  aux  villes  de  Spire  et  de  Worms*'l 

Dans  la  suite,  Marsiie  dut  retourner  avec  Louis  en  Allemagne.  Nous 
parlerons  bientôt  du  nouveau  service  qu'il  lui  rendit  vers  1 3  4  2 .  Ce 
fut  la  fin  de  sa  carrière.  Sa  mort  est  mentionnée  dans  un  discours  du 
pape  Clément  VI  du  lo  avril  i343*^'. 

Mais  il  nous  reste  à  parler  d'écrits  de  Marsiie  de  Padoue  posté- 
rieurs au  Defensor  pacis.  L'un  surtout,  inédit  et  qui  n'a  point  été 
encore  étudié ^'\  mérite  d'attirer  tout  spécialement  notre  attention. 


1°  De  Translatione  Imperii  Romani. 

On  lit  au  chapitre  xxx  de  la  seconde  partie  du  Defensor  pacis  :  «  Il 
«  est  écrit  dans  la  décrétale  de  Jurejurando^'^\  et  dans  certaine  épître 
«du  prétendu  pape  de  Rome  à  l'illustre  Louis,  des  ducs  de  Bavière, 
Il  élu  roi  des  Romains,  que  l'Empire  romain  fut  raisonnablement  et 
«justement  transféré  des  Grecs  aux  Germains,  en  la  personne  de 
«  Charlemagne,  par  le  Siège  apostolique,  autrement  dit  par  le  pape  de 
«Rome,  soit  seul,  soit  avec  le  concours  du  collège  de  ses  clercs **'. 
«  Supposons  cela  exact  quant  à  présent,  bien  que  le  pape  et  ses 
«  clercs  n'aient  point  pu  le  faire  de  leur  autorité  propre.  Mais  com- 
«  ment  cette  translation  fut  accomplie  de  fait,  c'est  ce  que  nous 
«  comptons  dire  dans  un  autre  traité  spécial  '"'.  » 


36  mars  i33o  [Zeitschrift  far  Kirchen-Ge- 
fchichle,  VI,  87)  ne  prouverait  peut-être  pas, 
comme  on  l'a  dit  (0.  Lorenz,  II,  35o),  que 
Marsiie  de  Padoue  eût  cessé,  à  cette  date, 
d'exercer  ces  fonctions. 

'■'  Bôhmer,  Fontes,  I,  2o4-  Cf.  K.  Millier, 
1,373. 

<*'  «  Ipse  enim  [Ludovicus  Bavarus]  Marsilium 
«de  Padua  etJohannem  de  Janduno,  heresiar- 
II  chas  et  de  heresi  condempnatos ,  sustinuit  et 
II  secum  traxit  usque  ad  mortem  eorum.  »  (  Hôfler, 
Aas  Avignon,  dans  Abhandlangen  der  k.  bôhm. 
Greselbchaft  d.  Wissensch.,  6*  série.  II,  1869, 
p.  ao.)  —  M.  H.-J.  Wurm  (Z«  Marsilius  von 
Padua,  dans  Historisches  Jahrhach,  1893, 
t.  XIV,  p.  68)  a  vainement  cherché  à  faire  re- 
monter beaucoup  plus  haut  la  mort  de  Marsiie 
de  Padoue.  La  date  de  1 342-1 343  est  aujour- 
d'hui généralement  admise. 


'''  Ces  liifnes  étaient  écrites  avant  la  publi- 
cation du  dernier  article  de  M.  J.  Sullivan, 
The  maniiscripts  and  date  ofMarsiglio  of  Padua' s 
Defensor  pacis  (The  English  historié.  Review , 
avril  1 906  ) ,  dans  lequel ,  d'ailleurs ,  n'est  étudié 
que  le  dernier  chapitre  du  Defensor  minor.  Dès 
le  mois  de  novembre  1 903 ,  nous  avions  fait  de 
cet  ouvrage  de  Marsiie  de  Padoue  l'objet  d'une 
communication  à  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles-lettres  (voir  Comptes  rendus,  i  goS,  p.  60 1  ). 

'*'  Clémentines,  II,  9. 

<''  La  bulle  citée  ici  est  celle  du  8  octobre 
iSaS,  qui  contient  les  mots  suivants  :  «trans- 
«  lato  ab  oliin  per  Sedem  apostolicam  prsedicto 
«  Imperio  de  Graecis  in  personam  magnifici  Ca- 
«  roli  in  Germanos .  .  .  »  (  Thés.  nov.  anecd. ,  II , 
64 1). 

'°'  «  De  hac  enim  translatione  quantum  de 
«  facto  processerit ,   dicturi  sumus    in    altero 

76. 


604 


JEAN  DE  JANDUN  ET  M.ARSILE  DE  PADOUE. 


-'«'Cet  autre  traité,  que  l'on  suppose  avoir  été  composé  en  Allemagne 
à  la  demande  de  Louis  de  Bavière'"',  est  conseiTe  en  divers  manuscrits 
de  Vienne''^',  d'Erfurt  (in-4°,  i25),  de  Londres  (Harley  2^92), 
d'Oxford  (Bodl.,  Canonici  MiscelL  188,  fol.  67-70)  et  d'Épinal  (n°  8), 
et  a  été  plusieurs  fois  publié  :  à  Bàle,  en  i555 ,  dans  YAnthologia  papœ 
de  Flacius  Illyricus  et  de  W.  Weissembôurg;  à  Bàle,  de  nouveau  en 
i566,  dans  le  De  Jarisdictione ,  auctoritate  et  prœeminentia  imperiali  de 
Simon  Schard  (p.  234-237);  à  Heidelberg,  en  1599,  avec  le  De/é«sor 
pacis;  à  Francfort,  en  i6i4,  dans  le  t.  II  de  la  Monarchia  sacri  Imperii 
de  Goldast*^'  (p.  147-1 53),  enfin  à  Londres,  en  1690,  dans  le  t.  II  du 
Fasciculus  rerum  expetendarum et  fugiendarum  deBrown  (p.  55  et  suiv.). 

Inc.  :  Primum  capituium  est  de  intentione  n.irrandorum .  .  . 
Des.  :  .  .  .  patet  rationabiliter  intuenti  et  attendent!. 

C'est  une  imitation  ou,  pour  mieux  dire,  une  reproduction  presque 
littérale  du  traité  composé  sur  le  même  sujet,  vers  le  commencement 
du  XIV*  siècle,  par  Landolfo  Colonna'*'.  Marsile  de  Padoue  n'a  puisé 
à  aucune  source  nouvelle;  il  reproduit  de  confiance  les  mêmes 
récits,  les  mêmes  légendes,  se  bornant  à  supprimer  les  citations  de 
textes  juridiques,  qu'il  remplace  par  des  renvois  au  Defensor  pacis ,  et 
à  corriger  ce  qui  lui  paraît,  dans  le  livre  de  Colonna,  attentatoire  aux 
droits  et  à  l'indépendance  de  l'Empire'*'.  Ainsi  il  admet  fort  bien, 
ce  que  ne  faisait  point  Arnaud  de  Brescia,  la  donation  constanti- 
nienne  :  mais  il  supprime  la  phrase  par  laquelle  Colonna  justifiait  ce 
prétendu  acte  de  déférence  envers  le  vicaire  de  Jésus-Christ**''.  II 


«  quodam  ab  hoc  tractatu  seorsuiii.  »  (  Bibl.  nat., 
ms.  latin  1A619,  fol.  i  18  v";  passage  inexacte- 
ment reproduit  dans  l'édition  de  Goldast, 
p.  3o8.) 

'■'  Rieder,  p.  1 79  et  suiv. — Tout  ce  qu'on  peut 
dire ,  c'est  qu'il  est  postérieur  au  Defensor  pacis . 
auquel  il  renvoie  fréquemment.  Ces  citations, 
audiredeM.O.Lorenz  (II,  3^9 ,  note  3),  sont 
m6me  plus  nombreuses  dans  les  manuscrits 
que  dans  l'édition  de  Goldast. 

(''  Bibl.  impér. ,  mss.  lat.  464  (  fol.  117-123) 
et  384  (fol.  3a-37);  ms.  197  du  couvent  de 
Sainte-Marie  ad  Scntos  (fol.  i83-i88). 

(^>  Goldast  assigne  à  ce  traité  la  date  inad- 
missible de  i3i3. 


'*'  Le  De  Translatione  Imperii  de  Landolfo 
Colonna  a  été  imprimé  par  S.  Schard  (De  Jaris- 
dictione .  .  .imperiali,  p.  a84  et  suiv.)  et  par 
Goldast  (t.  II ,  p.  88  et  suiv.).  Cf.  Riezler,  p.  1 7 1 
et  sq. 

'')  •  Ejus  scripturae  in  quibusdam  nostra  sen- 
«  tentia  dissonat,  prxsertim  in  quibus  jura  leesit 
«  Imperii  secundiun  sententiam  propriam ,  abs- 
«  que  demonstratlonc  suiricienti.»  (Chap.  i  ;  Gol- 
dast, U,  i48.) 

'*'  Voici  cette  phrase  :  t  Indignum  judicans 
Il  religiosus  Imperator  ibi  terrenum  Imperatorem 
«  digiiitateni  et  potestatem  habere  ubi  caelestis 
«Imperatoris  vicarius  morabatur.  »  (Goldast,  II, 
p.  89;  cf.  p.  i48.) 


JEAN  DE  JANDUN  ET  M\RSILE  DE  PADOUE. 


605 


glisse  le  plus  qu'il  peut  sur  les  marques  de  respect  données  par  Pépin 
le  Bref  au  pape  Zacharie'''.  Dans  l'acte  d'Etienne  II  transférant  en 
principe  des  Grecs  aux  Francs  l'autorité  impériale,  il  ne  voit  que  de 
l'ingratitude  à  l'égard  des  Empereurs  et  un  calcul  ambitieux^'^l  II  sup- 
prime l'énumération  des  défauts  de  Constantin  Copronyme'^',  l'éloge 
d'Adrien  I"'*',  ainsi  qu'un  passage  expliquant  la  chute  des  Carolin- 
giens par  le  refroidissement  de  leur  zèle  à  l'égard  du  Saint-Siège*^'.  Il 
prétend  enfin  que  Charlemagne  reçut  du  pape  Adrien  I"  le  pouvoir 
d'élire  l'évêque  de  Rome  et  de  donner  l'investiture  aux  archevêques 
et  aux  évêques  de  toutes  les  provinces '®l  Voici  encore  un  passage  qui 
peut  bien  faire  comprendre  le  genre  de  travail  enfantin  auquel  Mar- 
sile  s'est  livré  sur  le  texte  de  Landolfo  Colonna.  Il  s'agit  des  démêlés 
de  Grégoire  III  avec  Léon  l'Iconoclaste  : 

Landolfo  Colonna,  p.  91  :  Marsile  de  Padoue,  p.  i5o  : 

Ipsum  Imperatorem  solenniter  ana-  Propter  quod  dictus  Gregorius  pra»- 

themate  condeinnavit ,  Apuliam  ei  abs-        dictum     Leonem    anathematizare    prœ- 


tulit,  tuncque  Italiam  ab  ejus  dominio 
et  obedientia  recedere  fecit ,  ei([ue  vecti- 
galia  solenniter  interdixit. 


sampsit ,  et  totam  Apuliam  totamque  Ita- 
liam et  Hispaniam  ab  ejus  obedientia 
separari  suasù,  et,  quantum  in  ipso  fuit, 
hoc  opus,  quamvis  minus  débite,  adim- 
plevit.  Eidem  etiam  vectigalia ,  nescio 
qua  auctoritate,  sed  bene  qua  temeritate, 
solenniter  interdixit. 


En  somme,  ouvrage  de  polémique,  dont  le  mérite  n'est,  certes, 
pas  celui  de  l'originalité.  On  a  dit  avec  raison  de  Marsile  de  Padoue, 
que  l'histoire  n'était  point  son  fait'''.  C'est  même  ce  qui  a  donné  lieu 
de  croire  que,  pour  satisfaire  à  un  désir  de  Louis  de  Bavière,  il  avait 
abordé,  tant  bien  que  mal,  une  tâche  à  laquelle  ses  études  ne  l'avaient 
aucunement  préparé  *^'.  ( 


'"'  Goldast,  II,  p.  i5o;  cf.  p.  93. 

'''  «  His  autem  beneQciis  Stephanus  papa 
«allectus,  et  videns  illius  lemporis  Imperatoris 
«  imbecillitatem ,  procura  vit  Ronnanuin  Impe- 
«  rium  de  Gnecis  transferri  in  Francos,  minime 
«  reminiscens  beneQcioruin  per  Imperatores  Ro- 
«  manae  Ecclesiae  concessorum ,  in  aliènes  atque 
«remotos  Iraperium  Iransferre  satagens,  ut, 
«  Graecis  oppressis ,  Galiicis  haec  parum  curan- 
«tibus,  posset  papa  Itaiia;  liberius  dominari.  » 
(Goldast,  p.  i5i;  cf.  p.  92.) 


'''  Goldast,  p.  i5o;  cf.  p.  91. 

'*'  Goldast,  p.  i5i  ;  cf.  p.  93. 

<*'   Goldast,  p.  i5a;  cf.  p.  g4. 

'°'  Goldast ,  p.  1 5 1 .  —  Sur  le  succès  qu'eut 
cette  légende  au  moyen  âge,  voir  P.  Viollet, 
Hist.  des  institut,  polit,  et  administr.  de  la 
France,  1,  266,  note  3. 

'''  Riezler,  p.  177. 

'*'  La  phrase  citée  plus  haut  (p.  6o3)  prouve 
cependant  qu'en  écrivant  le  Defeiisor  pacis, 
c'est-à-clire  dés  i3a4,  Marsile  de  Padoue  proje- 


606 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


2°  Defensor  minor. 

Tout  autre  est  l'intérêt  de  l'ouvrage  inédit  qu'il  convient  à  présent 
de  faire  connaître. 

Le  manuscrit  de  la  Bodléienne  Canonici  Miscell.  188,  d'une  écri- 
ture italienne  très  fine,  qui  peut  remonter  à  la  dernière  moitié  du 
XIV*  siècle,  contient,  comme  on  l'a  vu''',  divers  ouvrages  de  Marsile 
de  Padoue.  Les  dix  derniers  feuillets  (70  v°-8o  r°)  sont  remplis  par  la 
transcription  d'un  traité  dont  aucune  autre  copie  n'a  été  signa- 
lée, et  qui  est  précédé  de  ce  titre  :  Incipit  liber  intitulatus  Defensor 
minor,  editns  a  magistro  Marsilio  Paduano  post  Defensorem  pacis  majo- 
rem.  Ainsi,  Marsile  de  Padoue,  après  avoir  publié,  en  collaboration 
avec  Jean  de  Jandun,  son  fameux  Defensor  pacis,  aurait  composé  un 
autre  traité,  plus  court,  sur  le  même  sujet,  le  Petit  défenseur,  Defensor 
minor. 

Tout,  en  effet,  tend  à  prouver  l'exactitude  de  cette  attribution. 
Dès  les  premiers  mots,  fauteur  dit  :  «Nous  avons  exposé  précédem- 
«  ment,  suivant  l'esprit  du  Maître  des  Sentences,  que  le  prêtre  possède 
«  certain  pouvoir  de  lier  et  de  délier. . .  *^'.  »  C'est  une  allusion  au  chap.  vi 
de  la  dernière  partie  du  Defensor  pacis  (p.  2o5) ,  où  la  théorie  du  pou- 
voir des  clefs  est  accompagnée  de  fréquents  renvois  au  livre  de  Pierre 
Lombard*^'.  Les  citations  du  Defensor  pacis  se  succèdent  ensuite 
presque  à  toutes  les  phrases.  Mais  bornons-nous  à  relever  les  passages 
où  l'auteur  se  donne  expressément  comme  l'auteur  du  Defensor  :  De 
quibus  omnibus  et  aliis  plarimis  et  paupertate  Christi  et  apostolorum  seriose 
tractavimus  12",  13" et  là"  II'  (fol.  7  1  v"). . .  Qnid  autem  dijferant  prœcepta 
tam  ajffirmativa  (juam  negativa,  qiiœ  prohibita  vocari  soient,  et  cjiiœ  permissa 
legibus  atfjiie  consilia,  sujficienter  diclum  est  nobis  II"  Defensoris,  cap.  8" 
at(jne  12°  (fol.  78  v")...***'.  Dico  prioritatem  B.  Pétri  ab  alioriim  aposto- 


tait  la  composition  du  De  Translatione  Imperii. 
Il  est  difficile  de  supposer  qu'à  cette  date  il  ait 
pu  recevoir  les  instructions  du  roi  des  Romains. 

'''  Voir  plus  haut,  p.  SyS  et  6o4. 

<*'  C'est  ïincipit  de  l'ouvrage  :  «  Quoniam 
«autem  in  prioribusrecitavimus, juxtaMagistri 
«  Sententiarum  intentionem ,  potestotem  quam- 
•  dam  ligandi  atqne  solvendi  sacerdotem  ha- 
«  bere ...» 


'''  «  Secundum  mentem  Magisfri  Senlen- 
«  tiarum . . .  dicamus  quod . . .  Quod  autem  prœ- 
«  dicta  Christus  operetur  probnt  Magister... 
«  Quod  autem  hoc  facint  Deus  ante  omnem  sa- 
<<  cerdotis  actionem ,  deducit  Magister  ex  dictis 
Il  Augustini . . .  Consequenter  autem  repetit  Ma- 
il gister  auctoritates  Psalmistœ  atque  sanctorum 
«  prius  adductas.  » 

w  Cf.Goldast,  II,  ail,  322,  223. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  607 

lorum  electione  processisse  sive  consensu,  cjnemadmodam  dixit  Anacletus, 
et  ejus  seriem  induximus  16°  II'. . .  '''  Aut  eorum  valentwr  pars,  guemad- 
modiim  diximus  et  demonstravimns  12''I'^^\..  De  reliqiiis  vero  ex  (juibus 
integrari  seu  constitai  deheat  générale  Concilmm  jidelinm  christianorum , 
dictum  est  nobis  21"  IV  (fol.  76  v°)...  Quorum  etiam  diffinitio  et  diffe- 
rentia  sujficienter  dicta  sunt  nobis  in  Defensore  pacis,  divisione  II",  capi- 
tulo  12'  (fol.  76  v°).  Enfin  le  traité  se  termine  par  cette  dernière 
phrase  qui  reproduit  le  titre  dont  a  fait  choix  Marsile  de  Padoue  :  De 
(juibus  omnibus,  siippositis  vel  probatis,  et  commemorata  et  etiam  expîicata 
suntplura  in  hoc  tractatu,  ex  majori  Pacis  Defensore  pro  necessitate  tam 
secfuentia  (jiiam  dedncta  :  propter  (jiiod  Defensor  minor  deinceps  vocabitur 
tractatus  iste.  Amen.  Laus  Deo! 

La  question  d'authenticité  étant  ainsi  tranchée,  il  est  à  peine  besoin 
de  faire  observer  que  la  forme  et  le  fond  du  Defensor  minor  dénotent 
une  étroite  parenté  avec  le  Defensor  pacis.  On  y  remarque  seulement 
l'absence  presque  complète  de  citations  d'Aristote'^';  c'est  peut-être  que 
Marsile  était,  cette  fois,  privé  de  la  collaboration  de  Jean  de  Jandun. 
En  tout  cas,  il  est  évident  qu'à  un  moment  qu'il  reste  à  préciser,  Mar- 
sile de  Padoue  éprouva  le  besoin  de  compléter  son  grand  ouvrage 
par  un  certain  nombre  d'éclaircissements  sur  plusieurs  points  parti- 
cuhers. 

Ces  points  sont  les  suivants  :  la  juridiction  ecclésiastique;  la  péni- 
tence, les  indulgences,  les  croisades  et  les  pèlerinages;  les  vœux;  l'ex- 
communication et  l'interdit;  la  primauté  du  pape;  le  pouvoir  légis- 
latif suprême  du  peuple  romain  et  de  son  prince;  le  Concile  général; 
le  mariage  et  le  divorce. 

Après  avoir  de  nouveau  distingué  la  loi  divine,  émanée  de  Dieu  et 
n'ayant  de  sanction  que  dans  l'autre  monde,  et  la  loi  humaine  édictée 
par  le  peuple,  munie  de  sanctions  dès  cette  vie,  Marsile  de  Padoue 
déclare  qu'il  n'est  au  pouvoir  d'aucun  homme  de  rien  changer  à  la 
première,  soit  par  des  retranchements,  soit  par  des  additions.  Ainsi, 
d'une  part,  aucun  homme  ne  saurait  accorder  de  dispense  au  sujet  de 
l'application  de  la  loi  de  Dieu;  d'autre  part,  aucun  homme,  fût-ce 
le  pape,  ne  saurait  intimer  aux  fidèles  de  commandement  ou  de  dé- 


<"'  Cf.  Goldast,  n,  a 44-  '''  Nous  en  avons  relevé  une   cependant, 

(')  Cf.  Goldast,  II,  169,  170.  fol.  76  r°. 


608 


JEAN  DE  JANDUN  ET  M\RSILE  DE  PADOUE. 


fense,  par  exemple,  prohiber  l'emploi  de  certains  mets,  interdire  les 
œuvres  serviles  en  vue  de  la  célébration  d'une  fête ,  etc.  '*^. 

En  ce  qui  concerne  la  loi  humaine,  Marsile  de  Padoue  dénie  à  tout 
membre  du  clergé,  fût-il  évêque,  le  pouvoir  d'en  rien  retrancher  ou 
de  dispenser  de  son  application  :  ce  droit  n'appartient  qu'au  roi  des 
Romains,  en  tant  que  «  législateur  humain  »'^l  Ni  le  pape,  au  moyen 
de  ses  bulles  et  de  ses  décrétales,  ni  aucun  évêque,  prêtre  ou  diacre, 
ni  aucune  assemblée  d'ecclésiastiques  ne  sauraient  s'arroger  un  tel 
droit.  Marsile  de  Padoue  répète  ici,  ce  qu'il  avait  dit  déjà,  que  le 
pape,  non  plus  qu'aucun  membre  du  clergé,  ne  peut  exercer  en  ce 
monde  de  juridiction  coactive  sur  aucun  homme,  clerc  ou  laïque,  cet 
homme  fût-il  un  hérétique.  Ses  déclarations  à  cet  égard  n'ont  jamais 
été  plus  nettes  :  se  plaçant  dans  l'hypothèse  où  soit  la  majorité,  soit 
l'universalité  des  fidèles,  soit  le  prince  lui-même,  voudraient  renier  la 
foi  de  Jésus-Christ,  il  se  demande  si  les  prêtres  devraient  les  en  em- 
pêcher, et  il  répond  hardiment  :  non'^M  Quant  à  l'évêque  de  Rome  et 
aux  autres  ministres  de  Dieu,  ils  sont  eux-mêmes  personnellement  et 
réellement  soumis  à  la  juridiction  séculière  de  ceux  qui  tiennent  leurs 
pouvoirs  du  «législateur  humain  ».  Ces  considérations  amènent  Mar- 
sile à  protester  vigoureusement  contre  les  prétentions  contraires  du 
clergé:  «  C'a  été  depuis  longtemps  une  cause  de  discordes  perpétuelles 
«  entre  les  chrétiens,  et  cela  continuera  de  l'être,  tant  qu'on  n'aura  point 
«  dépouillé  entièrement  les  clercs  de  cette  puissance  usurpée  '''l  » 

Dans  le  Dejensor  pacis^^\  Marsile  avait  seulement  manifesté,  au 
sujet  de  la  pénitence,  quelque  disposition  à  restreindre  le  rôle  du 
prêtre,  en  s'appuyant  sur  Pierre  Lombard  et  sur  Richard  de  Saint- 


'*'  Voilà,  ajoute-t-il,  —  et,  en  cela,  il  n'est 
plus  bien  conséquent  tivec  lui-même,  —  qui 
serait  du  ressort  du  «  léL'islateur  humain  » ,  du 
Concile  général  de  tous  les  fidèles  chrétiens  ou 
de  leurs  représentants  (fol.  73  v"). 

'''  «  Unde  per  necessitatem  sequitur  quod 
«  nullus  pra;fatorum  ministrorum  ecclesiastico- 
«Tum  auctoritatem  habet  dispensandi  aut  rela- 
«  xandi  aliquid  in  contrarium  prœceptoruni  aut 
«  prohibitorum  humana  lege,  sed  talem  dis- 
«  pensationem  seu  relaxationem  ad  Romanum 
«principem,  in  quantum  legislatorcm  huma- 
«  num  et  auctoritatem,  solummodo  pertinere.» 
(Fol.  70  V".) 


P'  «  Interrof,'aati  vero,  si  tota  nmltiludo  fide- 
«  lium  aut  ejus  valentior  pars  vel  princeps  decli- 
«  nare  a  fide  Christi  vellent,  aut  declinarent  de 
«  facto,  utrum  por  sacerdotes aut  ipsorum  coHe- 
«  giuin  in  contrarium  deberent  aut  ])oss«nt  ar- 
»  ceri  ,  dicendum  utiquequod  non.  »  (  Fol.  7 1  r°.  ) 

'*'  «  Et  dudum  hactenus  fuit  et  erit  causa 
»  dissensionis  perpetai;  inter  Christi  fidèles,  nisi 
«  a  prii'Iatis  clericis  hujusmodi  usurpata  potestaa 
«  sive  auctoritas  totalitcr  auferatur.  »  [Ibid.) 

('1  11,  VI,  p.  ao5,  ao6.  Cf.  H.-Ch.  Lea, 
A  Ilistory  of  atiricular  confession  and  indal- 
yences  in  tlie  latin  Ckurdi  (Philadelphie,  1896, 
in-8°),  t.  1,  pviSg. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


609 


Victor.  Cette  fois,  il  énonce  des  idées  toutes  nouvelles  sous  sa  plume. 
A  s'en  tenir  aux  textes  de  l'Ecriture,  dit-il,  l'accusation  des  péchés  à 
un  prêtre  n'est  pas  nécessaire,  mais  seulement  utile  pour  le  salut, 
rentre,  en  un  mot,  dans  la  catégorie  non  des  préceptes,  mais  des  con- 
seils: il  suffit  de  se  confesser  à  Dieu,  avec  le  repentir  et  le  ferme  pro- 
pos. C'est  ce  qu'il  établit  à  l'aide  de  citations  des  Psaumes,  de  saint 
Mathieu  et  de  saint  Jacques,  en  interprétant  à  sa  manière  les  témoi- 
gnages embarrassants  de  divers  Pères  de  l'Eglise,  notamment  de  saint 
Jean  Chrysostome  et  de  saint  Augustin''*.  Cependant  la  jîortée  pra- 
tique de  cette  doctrine,  qui  semblait  conduire  directement  à  l'aboli- 
tion de  la  confession,  comme  le  voulaient  les  (îathares  etlesVaudois, 
se  trouve  restreinte  singnlièrement  par  la  concession  que  Marsile  croit 
devoir  faire  :  la  confession,  sans  être  un  précepte  divin,  peut  être  une 
institution  humaine;  c'est-à-dire  qu'elle  peut  avoir  été  prescrite  par 
le  Concile  général  ou  par  l'Eglise  universelle,  et  les  commandements 
de  cette  sorte  obligent  les  fidèles,  même  sous  peine  de  péché  mortel, 
tant  qu'ils  n'ont  point  été  révoqués'^'.  Voilà  donc  la  confession  main- 
tenue dans  l'Eglise,  au  moins  à  titre  provisoire  :  Marsile  s'incline  de- 
vant la  pratique  consacrée,  notamment  par  la  décision  du  quatrième 
(Concile  de  Latran'^l 

En  dépit  de  l'autorité  de  Pierre  Lombard,  notre  auteur  conteste 
aux  prêtres  le  droit  d'imposer  des  pénitences.  On  peut,  dit-il,  proba- 
biliter  s'écarter,  sur  ce  point,  de  l'opinion  du  Maitre  des  Sentences, 
en  présence  du  silence  de  l'Ecriture.  Le  pécheur,  ajoute-t-il,  qui  con- 
fesse sa  faute  et  qui  s'en  repent  est  visiblement  absous  de  la  damna- 


'■'  iNos  autem  dicamus  secundum  Sacram 
«  Scripturam  nequaquam  posse  convinci  talem 
«  confessioneiu  peccatorum  fiendam  sacerdoti- 
«  bus  esse  de  necessitate  salutis  aeternae ,  sed  uti- 
•  lem  et  fortasse  expedîentem ,  sicut  Sacrae  Scrip- 
«  turae  consiiiuni ,  non  praeceptum  :  sed  sufficit 
«  soli  Deo  confiteri  peccata  ipsa  in  recognoscendo 
«  et  de  ipsis  pccnitendo ,  cum  proposito  taie 
«  ulterius  non  committendi.  Sic  enim  legimus 
«  Psalmistam  dixisse  atque  fecisse  [ix,  a]  :  Con- 
«fitebor  tibi.  Domine,  ex  tolo  corde  meo;  et  rur- 
«sum  psalmo  [cv,  i  ]  :  Confitemini  Domino  qui 
«  honiis,  etc.  Amplius,  sic  Christum  dixisse  legi- 
«  mus  atque  fecisse ,  cuin ,  Matth.  xi ,  dixit  : 
«  Confiteor  tibi.  Domine,  patri  cœliet  terrœ,  cum 


«  reliquis  similibns  plurimis  quae  in  Scriptura 
Il  reperiuntur  intuentibus  eam.  Nec  obstat  etiam 
«quod  inducunt  ex  Jacobi  idtima.  Non  enim 
Il  dixit  Jacobus  :  Confitemini  sacerdoti;  sed:  Confi- 
«  temini  alleratrum  peccata  ve.stra,  indiflFerenter 
Il  loquens  ad  Christi  fidèles;  et  fuit  verbum 
«consilii,  non  priecepti.  Ubi  glossator  quidam 
«  dicit  :  Coiifitemini  alterutrum  peccata  vestra  ad 
usuperhiam  evitandam.  .  .  »  (fol.  72  v"). 

'''  «  Obligantur  Christi  fidèles  ad  hujusniodi 
«  praecepta  et  humana  statuta  per  Concilium 
t  générale ,  quamdiu  revocata  non  fuerint,  prop- 
«  ter  quod  liumanie  leges  sunt ,  et  propter 
ocommunem  utilitateni»  (fol.  78  r°). 

'''  Can.  21  :  Oninis  atriusque  sexas.  .  . 


IlIST.  LITTEH.  XXXIII. 


77 


610 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


tion  éternelle,  quand  bien  même  il  n'effectuerait  en  ce  monde  aucune 
satisfaction.  11  est  vrai  que,  suivant  la  croyance  universelle,  il  serait 
puni  plus  gravement  ou  plus  longuement  dans  l'autre  monde,  mais 
non  pas  éternellement*'*. 

La  question  des  indulgences  entraîne  Marsile  de  Padoue  à  dire  son 
sentiment  sur  les  croisades  et  les  pèlerinages.  Il  déclare  illicite  d'ame- 
ner de  force  les  infidèles  à  la  foi  (ce  dont  on  convenait  volontiers, 
mais  ce  qu'on  n'énonçait  pas  toujours  aussi  franchement'"^')  ;  partant, 
un  voyage  d'outre-mer  ayant  pour  but  de  convertir  les  infidèles  par 
le  glaive  ne  serait  nullement  méritoire,  necjuacjaam  meritorius.  Au  con- 
traire, il  admet  la  légitimité  et  même  le  caractère  méritoire  d'une 
expédition  guerrière  qui  aurait  pour  but  de  soumettre  les  infidèles  à 
la  domination  du  prince  et  du  peuple  de  Rome,  parce  que  ce  serait, 
suivant  lui,  une  œuvre  tendant  à  la  paix  et  à  la  tranquillité  du 
monde  ^^K  Ainsi  il  proclame  le  droit  de  conquête  s' exerçant  en  faveur 
de  son  prince  (le  roi  des  Romains);  mais  il  réprouve  formellement 
toute  guerre  ayant  un  caractère  de  prosélytisme  religieux. 

Quant  aux  pèlerinages  entrepris  par  les  pécheurs  à  tel  ou  tel  sanc- 
tuaire, comme  témoignage  de  respect  envers  les  saints,  ils  peuvent 
être  méritoires;  pourtant  ce  serait  amasser  cent  fois  plus  de  mérites, 
aux  yeux  de  Dieu,  de  distribuer  aux  veuves,  aux  orphelins,  aux  ma- 
lades et  aux  pauvres  l'argent  que  coûtent  ces  voyages.  D'ailleurs,  ni 
évêques  ni  prêtres  ne  peuvent  mesurer  l'effet  de  telle  ou  telle  oeuvre  : 
cela  regarde  Dieu  seul,  qui  connaît  les  sentiments  du  pécheur,  sonde 
le  cœur  du  pénitent,  et  apprécie  la  quantité,  la  qualité  de  ses  mérites, 
comme  de  ses  démérites.  Il  pourrait  bien  y  avoir  là  une  négation  du 
principe  des  indulgences,  différente  du  simple  doute  qu'émettaient 
timidement  un  Guillaume  Durand***  ou  un  Durand  de  Saint-Pour- 


çain 


(5) 


Le  vœu  étant  une  promesse  solennelle  librement  faite  à  Dieu  ou 


'''  «  Unde  satisfactionem  facere  in  hoc  seculo 
«  pro  peccatis  est  consilium ,  non  prseceptum  » 
(fol.  73  V'). 

'•'  Pour  une  autre  raison ,  Raymond  Lulle 
déconseillait  ia  guerre  contre  les  infidèles  : 
c'est  qu'il  en  reconnaissait  l'inefficacité  ,  et  qu'il 
se  flattait  d'obtenir  de  meilleurs  résultats  par  la 
persuasion  [Hist.  Utt.  de  la  Fr..  XXIX,  a 33). 

'■'''  •  Sed ,    si  fieret  talis  transitas  ultrama- 


0  rinus  pro  cogendis  infidelibus  ad  obedien- 
«  tiaui  principis  et  populi  Romani  in  praeceptis 
ncivilibus  et  tributis  debitis  exhibendis .  .  . , 
«  talis  transitus ,  ut  puto ,  meritorius  esset  cen- 
«  sendus,  quoniam  ad  pacem  et  tranquillité tem 
«  omnium  universaliter  viventium  ordinatus  » 
(fol.  73  V'). 

<*'  Spectil. ,  lib.  IV,  partie,  iv,  n"  1  a . 

I*)  In  IV  Sentent.,  dist.  XX,  qu.  nr,  $  i-g. 


JEAN  DE  JANDLN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  611 

aux  saints,  l'accomplissement  en  doit  être  sanctionné  par  une  peine  : 
peine  civile,  si  cette  promesse  comporte  une  obligation  envers  d'au- 
tres hommes,  peine  réservée  à  l'autre  vie,  si  cette  obligation  ne  re-/ 
garde  que  Dieu.  En  tout  cas,  si  le  vœu  est  simple,  non  conditionnel, 
c'est-à-dire  non  subordonné  à  l'assentiment  de  tel  ou  tel,  il  n'est  au 
pouvoir  d'aucun  évêque,  fût-ce  celui  de  Rome,  de  dispenser  de 
l'exécution.  Ici  Marsile  songe  peut-être  au  pape  Clément  V,  à  qui  les 
Spirituels  avaient  contesté  le  droit  de  dispenser  de  l'exécution  stricte 
du  voeu  de  pauvreté.  Mais  il  ajoute  aussi  qu'aucun  religieux,  moine 
ou  Mendiant,  ne  saurait  être  tenu  d'observer  une  promesse  ou  un 
vœu  faits  par  ses  frères  en  religion  relativement  à  la  règle,  et  que  lui- 
même  n'aurait  point  faits  lors  de  sa  profession,  à  moins  que  ce  ne 
soit  une  conséquence  nécessaire  de  la  règle  qu'il  s'est  engagé  à  ob- 
server'•';  et,  cette  fois,  on  se  demande  s'il  ne  se  prononce  pas  contre 
les  Spirituels,  qui  voulaient  imposer  à  tous  les  frères  Mineurs  les  aggra- 
vations de  discipline  qu'ils  jugeaient  plus  conformes  à  l'esprit  de  Saint- 
François. 

Marsile  répète  ici,  ce  qu'il  avait  dit  déjà  dans  le  Defensor  pacis ,  que 
l'excommunication,  entraînant  un  préjudice  civil,  ne  saurait  être  pro- 
noncée par  un  prêtre  ou  un  évêque ,  ni  par  une  assemblée  de  prêtres 
ou  d'évêques,  ni  même  par  le  pontife  de  Rome,  sans  le  consentement 
de  la  multitude  des  fidèles  du  lieu  ou  de  la  partie  la  plus  notable  de 
cette  multitude.  Mais  il  insiste  aussi  sur  d'autres  points  :  l'impossi- 
bilité de  justifier  parla  Sainte  Ecriture  le  châtiment  de  l'excommuni- 
cation,  ce  fait  de  priver  un  pécheur,  quels  que  soient  son  péché  ou  son 
crime,  du  bénéfice  des  prières  de  l'Église,  des  suffrages  des  saints, 
l'impossibilité  également  d'établir  sur  des  textes  sacrés  le  droit  pour 
les  évêques  ou  les  prêtres,  ensemble  ou  isolément,  do  frapper  d'in- 
terdit des  cités  qui  refusent  de  leur  obéir  f"^'.  Enfin  il  déclare  catégori- 
quement :  tout  évêque  ou  prêtre  commet  im  péché  mortel  quand  il 
prive  de  la  célébration  du  saint  sacrifice,  de  la  prédication  de  la  parole 
de  Dieu  ou  de  tout  autre  secours  spirituel  une  population  chrétienne 
désireuse  d'entendre  cette  parole ,  d'assister  à  ces  messes,  de  recevoir 
ces  sacrements'^'. 

Sur  la  question  de  la  primauté  de  saint  Pierre ,  il  renvoie  à  ce  qu'il 

<''  Fol.  74  r°.  —  (')  Fol.  74  v°.  —  I»)  Fol.  -jb  r°. 

77- 


612  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 

en  avait  dit  dans  le  Defensor  pacis.  Mais  il  y  ajoute  ces  curieuses  ré- 
flexions : 

«  Je  dis  que  cette  croyance  peut  être  admise  par  tous  ies  fidèles 
«  comme  une  coutume  et  une  tradition,  mais  non  comme  un  dogme 
«  nécessaire  au  salut  éternel.  Ainsi  l'Église  universelle  dit  et  peut 
«dire,  suivant  une  coutume  et  une  tradition  auxquelles  l'évéque  de 
«Rome  et  le  collège  de  ses  clercs  ont  donné  ou,  du  moins,  ont  pu 
H  donner  naissance,  que  saint  Pierre  et  l'Eglise  romaine  ont  eu  cette 
«  prééminence  sur  le  reste  des  évêques  et  des  prêtres  et  sur  toutes 
«les  autres  Églises,  soit  qu'on  se  soit  imaginé  que  tel  était  le  sens 
«  de  l'Écriture  sainte,  soit  qu'on  ait  voulu,  dans  une  intention  pieuse, 
«  favoriser  f  unité  de  l'Église  par  cette  exacte  subordination.  Mais  je 
«  ne  me  souviens  d'avoir  lu  aucun  passage  de  fÉcriture  qui  prouve, 
«  directement  ou  indirectement,  que  Jésus-Christ  ait  fait  lui-même 
«  cette  concession  de  prééminence  à  saint  Pierre  ou  à  l'Eglise  de  Rome. 
«  Or,  il  n'est  pas  nécessaire  pour  le  salut  de  croire  ce  qui  n'est  pas 
«article  de  foi,  ce  qui  n'est  pas  ordonné  par  la  Sainte  Ecriture. 
«Rachetés  par  Jésus-Christ,  qui  a  toujours  été  le  chef  de  f  Église, 
«  les  fidèles  peuvent  faire  leur  salut  sans  croire  que  saint  Pierre  ait 
«  été  le  chef  de  l'Église ,  ou  que  l'Église  de  Rome  soit  à  la  tête  des 
«  autres  Églises.  Si  saint  Pierre  avait  eu  quelque  supériorité  sur  les 
«autres  apôtres,  cela  pourrait  s'expliquer  par  une  raison  de  conve- 
«  nance,  saint  Pierre,  le  plus  respecté  des  apôtres,  ayant  siégé  en  qua- 
«  lité  d'évêque  à  Jérusalem. . .  De  même  la  primauté  de  l'Église  romaine 
«  s'expliquerait  par  cette  même  convenance,  ou  par  la  tradition ,  ou  par 
«  une  constitution  du  Concile  général  des  fidèles  chrétiens,  ou  par  la 
«volonté  du  suprême  législateur  humain,  bien  qu'à  vrai  dire,  cette 
«primauté  semble  plutôt  convenir  à  l'Église  de  Jérusalem,  où  ont 
«siégé,  comme  évêques,  d'abord  le  Christ,  le  premier  des  pasteurs, 
«puis,  avant  de  siéger  à  Rome,  le  plus  illustre  des  apôtres...  11  en 
«  est  donc  de  cette  primauté  concédée  en  fait  à  l'évéque  et  à  l'Église 
«  de  Rome  par  le  suprême  législateur  humain  fidèle,  comme  de  tous 
«  les  règlements  des  Conciles  généraux  concernant  la  discipline  ecclé- 
«  siastique,  la  paix  et  la  tranquillité  des  chrétiens  :  les  fidèles  doivent 
«  les  observer,  mais  ne  sont  nullement  tenus,  sous  peine  de  damnation 
«éternelle,  de  les  croire  utiles  et  convenables  pour  tous  les  temps, 
«  attendu  qu'ils  peuvent  fort  bien  être  révoqués,  en  totalité  ou  en  partie. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


613 


a  par  le  même  Concile,  quand  les  circonstances  viennent  à  se  mo- 
«  difier  ■'•.  » 

11  était  souvent  arrivé  à  Marsile  de  Padoue  de  parler,  dans  le  De- 
fensor  pacis,  du  «suprême  législateur  humain»,  et  l'on  comprenait 
par  là  le  plus  souvent  le  peuple,  l'universalité  ou  la  fraction  la  plus 
notable  des  citoyens.  Mais  de  quel  peuple  s'agissait-il?  C'est  ce  qu'il 
n'expliquait  pas  clairement,  et  l'on  pouvait  croire  qu'il  parlait  de  n'im- 
porte quel  peuple  indifiFéremment.  Ses  déclarations  ici  sont  bien  plus 
nettes.  Il  n'y  a,  décidément,  qu'un  peuple  qui  compte  à  ses  yeux,  il 
n'y  a  même  qu'un  homme ,  celui  qu'il  se  plaît  à  considérer  comme  le 
délégué  de  ce  peuple.  Ecoutons-le  plutôt  :  «  Depuis  l'avènement  du 
«  Christ,  et  peut-être  depuis  une  époque  quelque  peu  antérieure,  »  — 
Marsile  semble  songer  ici  à  l'établissement  de  l'Empire  romain, —  «le 
li  suprême  lécjislateur  humain  n'est  autre  que  l'universalité  des  hommes 
«auxquels  s'appliquent  les  dispositions  coercitives  de  la  loi,  ou  la 
«partie  la  plus  notable,  valentior,  de  cette  multitude,  dans  chaque 
«pays,  dans  chaque  province.  Mais,  comme  l'universalité  des  pro- 
«  vinces,  ou  la  partie  la  plus  notable,  valentior,  des  provinces,  a  trans- 
«féré  cette  autorité  législative  au  peuple  romain,  à  i-aison  de  la 
«  supériorité  de  sa  force  ou  de  sa  valeur,  propter  excedentem  virtutem 


'"'  «  Dico  talia  posse  credi  a  tidelibus  omnibus 

•  propter  consuetudinem  seu  fainositatein  jain 
«  dictam ,  non  tamen  de  necessitate  salutis 
«  aetemae.  Ex  hoc  modo  dico  quod  dicit  et  dicere 
«  potest  Ecclesia  universalis ,  secundum  consue- 

•  tudinem  et  famositatem  quae  ortum  habuit  seu 
«  habere  potuit  a  Romano  episcopo  et  suorum 
«  collegio  clericorum ,  quod  B.  Petrus  et  Ecclesia 
«  Romana  prioritates  praefatas  habuerint  super 

•  reliquos  omnes  episcopos  et  sacerdotes  et  Ec- 
«  clesias  universales ,  hoc  forte  credentes  Scriptu- 
«  ram  sentire ,  vel  fortasse  pia  quadam  intentione , 

•  ut  ad  unitatem  Ecclesias  Christi  deducerent 

•  facilius  observandam  et  reliquas  Ecclesias  ad 
«obedientiam  superiorum  facilius  induce[rent]. 
«  Unde  per  Scripturam  non  memini  me  legisse , 
«  neque  per  aliquid  quod  ad  Scripturam  per  ne- 
«  cessitatem  sequatur,  praefatas  prioritates  B.  Pe- 
«  tro  aut  Ecclesiae  Romanae  per  Deum  sive  Chris- 
«  tum  immédiate  concessas ,   propter   quod  ea 

•  crederem  :  quoniam  non  sunt  articuli  fidei  atque 
«  praecepta  Scripturae ,  non  est  de  necessitate  sa- 

•  lutis  aetemae.  Redempli  namque  per  Christum 


«  fidèles ,  qui  caput  fuit  et  est  semper  Ecclesiae , 
«  salvari  possunt  absque  eo  quod  credant  B.  Pe- 
«  trum  fuisse  caput  Ecclesiae  aut  Romanam  Eccle- 
«  siam  aliarum  principaliorem  et  caput.  Et  si 
«  aliquaprioritas  B.  Petro  super  apostolos  conve- 
«  niret  aut  convenisset ,  et  Ecaesiae  Romanae  super 
«  rehquas,  ex  congruentia  quadam,  quia  B.  Pe- 
«  trus,  qui  reverentiorinterapostoloshabebatur, 
B  Jherosolimae  sedit  episcopus,  dico  prioritatem 
«  B.  Pétri  ab  aliorum  aposlolorum  electione  pro- 
■  cessisse  sive  consensu. . .  Sic  igitur  prioritatem 
«  Romanae  Ecclesiae  super  reliquas  a  congruitate 
ajam  dicta  fortasse  vel  a  traditione  seu  constitu- 
«  tioneConciliigeneralisfideliumchristianorum, 
«  vel  ab  humano  et  supremo  legislatore  dicimus 
«proce8sisse;qunmvis,secundumcongruentiam, 
«  talis  prioritas  Ecclesiae  Jerosolomitanie  luagis 
«  videtur  deberi,  uno  quidem  quoniam  princeps 
«pastorum,  videlicet  Christus,  ibidem  sedit 
utanquam  episcopus,  et  apostolorum  famosior, 
«cum  reliquis  duobus  famosioribus  apostolis, 
«  priusquam  Romac ,  ibidem  rexit  et  officium 
1  pastoris  exercuit. . .  p  (fol.  7.")  v°). 


614 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


«  ipsius,  le  peuple  romain  a  eu,  et  a  aujourd'hui  encore  le  droit  d'édicler 
II  des  lois  pour  toutes  les  provinces  du  monde.  Enfin,  si  le  peuple 
«  romain  a  transféré  à  son  prince  le  pouvoir  législatif,  il  faut  dire 
«  également  que  ce  pouvoir  appartient  au  prince  des  Romains.  Cette 
«  autorité  législative  du  peuple  romain  et  de  son  prince  doit  durer 
«  et  durera,  suivant  toute  raison,  tant  que  l'universalité  des  provinces, 
«  d'une  part,  le  peuple  romain ,  de  l'autre,  n'auront  pas  révoqué  les 
«  pouvoirs  par  eux  transmis  :  et  j'entends  une  révocation  régulière, 
«faite,  après  délibération,  soit  par  l'universalité  des  provinces  ou 
«  par  leurs  délégués  ou  par  la  partie  la  plus  notable  des  provinces, 
«soit  par  le  peuple  romain'^'.  »  En  somme,  ce  que  nous  n'avions  fait 
que  présumer,  avec  grande  vraisemblance,  à  la  lecture  du  Defensor 
pacis,  est  énoncé  ici  avec  une  clarté  parfaite  :  la  théorie  démocra- 
tique de  Marsile  de  Padoue  aboutit  à  la  proclamation  de  l'omnipo- 
tence impériale'^'.  C'est  l'idée  chère  aux  partisans  de  l'Empire,  que 
le  monarque  allemand  est   le  légitime    successeur  des  Empereurs 


romains 


(3) 


Quant  au  «  Concile  général  des  fidèles  chrétiens  » ,  Marsile  renvoie 
ici  à  ce  qu'il  en  avait  dit  dans  le  Defensor  pacis ,  et  cite,  de  plus,  une 
opinion  vers  laquelle  il  semble  incliner,  suivant  laquelle  aucun  Con- 
cile ne  mériterait  le  titre  de  «  général  » ,  à  moins  que  l'Eglise  grecque 
n'y  eût  été  convoquée.  En  réalité,  fait-il  observer,  la  croyance  des 
Grecs  au  sujet  de  la  procession  du  Saint-Esprit  ne  diffère  point  de 
celle  des  Latins  :  c'est  une  simple  querelle  de  mots.  Les  Grecs  ne  doi- 
vent donc  pas  être  rangés  parmi  les  schismatiques,  —  c'est  «  parmi  les 
«  hérétiques  »  qu'il  devrait  dire ,  — bien  que  févêque  de  Rome  et  son  col- 
lège de  cardinaux  ne  se  fassent  point  faute  de  leur  appliquer,  sans 
grand  profit,  cette  épithète.  C'est  à  quoi  doivent  mettre  ordre  le  peuple 
romain  et  son  prince  :  il  faut  convoquer  un  Concile  des  Grecs  et  des 
Latins,  comme  a  fait  le  premier  Constantin;  il  faut  que,  par  le  moyen 


'*'  Fol.  75  v°.  —  11  définit  encore,  au  fol. 
77  r",  le  législateur  de  la  façon  suivante  :  «  Est 
«  etiam  similiter  secundum  legem  humanam 
«  legislator,  ut  civiutn  universités  aut  ejus  pars 
«  valentior,  vel  Romanus  princeps  summus,  Im- 
«  perator  vocatus.  » 

C  Ce  sont  presque  les  derniers  mots  du 
Defensor  minor  :  «  Et  quod  factorum  anctoritas 
«  et  coactiva  potestas  sit  universitatis  civium 


«aut  imperantis  primi  principis,  Romanorum 
«  Imperatoris  vocali ,  et  per  veras  raciones  hu- 
i<  manas  et  per  Sacram  Scripturam  sive  legem 
a  divinam  christianam  ac  dicta  sanctorum  expo- 
«  nentium  ipsam,  necnon  per  cronicas  et  appro- 
«  bâtas  historias,  evidenter  monstratum  est  in 
n  Defensore  pacis  »  (fol.  80  v°). 

'^  Cf.  P.  Viollet,  Hist.  des  institut,  polit,  et 
administr.  de  la  France,  II,  aa5,  3a6. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE.  615 

de  ce  Concile,  ce  schisme  ou,  du  moins,  cette  apparente  division 
prenne  fin,  et  que  l'Église  soit  ramenée  à  l'unité  chrétienne,  non  seu- 
lement de  doctrine ,  mais  de  symbole  '''. 

A  propos  du  mariage ,  Marsile  se  demande  à  quel  juge  appartient  de 
prononcer  l'annulation  requise  par  un  des  deux  conjoints  ou  par  l'un 
et  l'autre  en  même  temps.  Il  laisse  aux  évêques,  aux  prêtres,  aux  doc- 
teurs en  droit  canon  le  soin  de  statuer  théoriquement  sur  telle  ou  telle 
cause  de  nullité,  en  d'autres  termes,  de  décider  si  le  mariage  dans 
telles  ou  telles  conditions  est  prohibé  par  la  loi  divine,  si,  par  exemple, 
l'impuissance  constitue  un  motif  suffisant  de  «  divorce  »;  mais  il  reven- 
dique pour  le  pouvoir  séculier  le  droit  de  trancher  les  questions  de 
fait  et  de  prononcer  sur  ces  matières  des  jugements  coactifs''^'. 

Après  avoir  remarqué  que  les  empêchements  inscrits  dans  la  loi 
mosaïque  ne  subsistent  pas  tous  dans  la  loi  de  Jésus-Christ,  il  essaie 
de  prouver  que  les  empêchements  actuellement  invoqués,  par  exemple 
ceux  qui  proviennent  de  la  consanguinité,  font  partie  de  la  loi  hu- 
maine, et  il  en  conclut  que  le  droit  d'accorder  des  dispenses  à  ce  sujet 
n'appartient  qu'au  «  législateur  humain  »  ou  à  celui  qui  gouverne  par 
son  autorité,  au  prince  des  Romains,  à  l'Empereur.  Il  déclare,  d'ail- 
leurs, pur  sophisme  le  raisonnement  consistant  à  dire  que,  les  mariages 
prohibés  par  la  loi  divine  entraînant  à  des  péchés  mortels ,  la  connais- 
sance en  doit  appartenir  aux  ministres  de  Dieu  '^'. 

Nous  en  avons  dit  assez  pour  qu'il  soit  possible  de  déterminer,  avec 

uelque  vraisemblance,  la  date  de  la  composition  du  Defensor  minor. 

e  n'est  pas  avant  d'être  entré  effectivement  au  service  de  Louis  de 
Bavière  que  Marsile  de  Padoue  a  pu  donner  d'une  façon  aussi  nette  à 
sa  conception  du  «  législateur  humain  »  cette  forme  concrète  :  «  l'Em- 
«pereur».  D'autre  part,  ce  n'est  pas  après  tous  les  déboires  essuyés 
dans  la  seconde  partie  de  l'année  iSsS,  et  alors  que  le  Bavarois,  ex- 
pulsé de  Rome  et  retourné  piteusement  en  Allemagne,  n'avait  plus 
grand  fond  à  faire  sur  l'amitié  des  Romains,  que  notre  auteur  aurait 
développé  ce  système  paradoxal  du  peuple  romain  seul  dépositaire 
depuis  treize  siècles  de  la  puissance  législative  universelle  :  singulier 
rêve  qui  avait  déjà  pris  corps  au  xii*^  siècle  dans  l'imagination  d'Ar- 
naud de  Brescia,  mais  auquel  la  réalité  n'avait  point  cessé  d'infliger 

Cl  Fol.  76  T".  —  (•)  Fol.  77  v».  —  (')  Fol.  80  r°. 


? 


616  JEAN  DE  JANDUN  ET  M.\RSILE  DE  PADOUE. 

le  plus  continuel  démenti.  L'idée  de  reconnaître  aux  habitants  des 
Sept  collines  le  pouvoir  de  donner  des  lois  à  l'univers  n'a  pu  germer 
dans  l'esprit  de  notre  auteur  qu'au  moment  où  son  protecteur  Louis 
de  Bavière  se  flattait,  avec  l'appui  apparent  des  Romains,  de  renverser 
le  pape  régnant  et  de  fonder  un  nouveau  gouvernement  de  l'Eglise. 
Cela  nous  reporte  aux  premiers  temps  du  séjour  de  Louis  à  Rome, 
époque  de  succès  faciles  et  d'espérances  sans  limites.  En  proie  aux  plus 
folles  illusions,  Marsile  de  Padoue  a  pu  alors  concevoir  aussi  le  projet 
d'un  Concile  œcuménique  se  réunissant  à  la  voix  de  l'Empereur  pour 
terminer  le  schisme  grec,  et  même  d'une  expédition  d'outre-mer 
aboutissant  au  couronnement  de  Louis  comme  roi  de  Jérusalem  :  de 
là  l'approbation  donnée,  dans  le  Defensor  minor,  à  ce  genre  de  croisade 
intéressée.  Il  n'est  pas  jusqu'à  cette  déclamation  violente  contre  l'usage 
de  l'interdit,  dont  nous  avons  cité  quelque  traits,  qui  ne  convienne  à 
une  époque  où  Marsile  de  Padoue,  vicaire  impérial  à  Rome,  pour- 
suivait impitoyablement  les  clercs  coupables  d'observer  l'interdit  mis 
sur  la  ville  par  le  pape  Jean  XXII.  Les  premiers  mois  de  1828  sem- 
blent donc  être,  suivant  toute  apparence,  la  date  de  la  rédaction  de  ce 
traité,  ou  du  moins  de  la  majeure  partie  de  ce  traité,  qui  complète, 
d'une  façon  si  curieuse,  les  développements  depuis  longtemps  connus 
du  Defensor  pacis. 

En  ce  qui  concerne  seulement  le  dernier  chapitre,  consacré  au 
mariage  et  au  divorce,  on  peut  concevoir  un  doute.  Ce  chapitre 
contient  des  théories  qui  trouvèrent  leur  application  quatorze  ans 
plus  tard,  en  i342;  si  bien  qu'on  peut,  à  la  rigueur,  admettre  qu'il 
ne  fut  rédigé  qu'en  vue  de  circonstances  dont  il  va  être  question. 
Toutefois,  comme  ce  chapitre  servit  en  i342,  ainsi  qu'on  va  le  voir, 
à  composer  un  autre  mémoire  spécialement  adapté  aux  circonstances 
du  moment,  il  nous  paraît  plus  naturel  de  supposer  que,  dans  sa 
forme  originale,  il  remonte  à  l'époque  où  furent  rédigées  les  autres 
parties  du  Defensor  minor,  c'est-à-dire  à  iSaS  *''. 

'"'  M.i.Sviliyan{TheEngliskhistoricalReview,  s'être  portée  que  sur  ce  dernier  chapitre,  a  cru 
1905,  p.  3o5),  <|ui,  a  pris  connaissance  du  devoir  assigner  la  date  de  i3/i2  il  la  composi- 
DefensoT  minor,  mais  dont  l'attention  ne  semble        tion  de  tout  l'ouvrage. 


JEAN  DE  .I\ND11N  ET  MAHSir.K  DE  PVrM^liË. 


017 


3"  De  jvRisnicTioNE  Imperatoris  m  causa  matrimonial!. 

A  quelques  années  de  là,  Louis  de  Bavière,  convoitant  pour  son 
fils  Louis,  margrave  de  Brandebourg,  l'héritage  du  Tyrol,  lui  fit 
épouser  la  comtesse  Marguerite  à  la  Grande  bouche,  dont  le  mariage 
avec  Jean ,  (ils  du  roi  de  Bohême,  avait  dû  être  préalablement  annulé 
ou  plutôt  considéré  comme  nul  (  lo  février  iS^^)-  Ce  fut  l'occasion 
de  divers  mémoires,  dont  fun  porte,  notamment  dans  le  ms.  b  35 
de  Brème,  antérieur  à  i  36o,  le  nom  de  Marsile  de  Padoue. 

Inc.  :  Ad  ainpiiorem  i-videntiani  tani  dictoium  quam  ot  dicendorum,  ad  ledar- 
guendum  quoque  voces. . . 

C'est  une  sorte  d'apologie  mise  dans  la  bouche  de  fEmpereur, 
établissant  qu'à  lui  seul  appartient  de  statuer  sur  les  causes  matri- 
moniales''l  Elle  est  accompagnée  de  deux  actes  impériaux  non  datés, 
l'un  prononçant  le  divorce  entre  la  comtesse  de  Tvrol  et  Jean,  fils  du 
roi  de  Bohême,  pour  cause  d'impuissance  de  ce  dernier'""',  l'autre  ac- 
cordant dispense  de  consanguinité  à  Marguerite  à  la  Grande  bouche 
et  à  Louis,  margrave  de  Brandebourg'^'. 

L'opinion  la  plus  vraisemblable  veut  que  ces  actes  soient  de  simples 
projets,  composés  par  Marsile  de  Padoue  antérieurement  au  second 
mariage  et  présentés  par  lui,  en  même  temps  que  son  mémoire, 
à  Louis  de  Bavière,  qui,  d'ailleurs,  n'adopta  point  la  procédure  qu'ils 
indiquaient,  jugée  sans  doute  trop  radicale'*'. 

En  ce  qui  concerne  l'authenticité  de  ces  écrits,  il  est  impossible  de 
soutenir,  comme  on  l'a  fait  jadis,  qu'ils  sont  de  la  fabrication  de  l'édi- 
teur Goldast.  On  y  a  reconnu  sans  peine  les  idées  et  jusqu'aux  ex- 
pressions favorites  de  Marsile  de  Padoue.  Mais  ce  qu'on  ignore,  c'est  la 


'"'  Elle  a  été  publiée  une  première  fois  par 
Freher,  en  1598  (in-d"),  sou»  le  titre  Ludo- 
vicilIII  senleittia  separationis  inter  Margaretnm, 
ducissam  Caiintliiœ , et  Johannem .régis  Bohemite 
Jilium..,,  cuiii  consaltationibus  et  responsis . . . 
Menandrini  de  Padiia  et  Giiilbelmi  Occami .... 
puis  par  Goldast,  op.  cit.,  t.  Il,  p.  1286- 
lagi. 

(')  Goldast,  ][,  1283. 

P'  Ihid..  p.  1285. 

HIST.    I.lTTRIl.  ■ XXXIII. 


'*'  Bôhmer.  Regesta  Impeni,Die  Urkund.  K. 
Ludwigs  des  liaiern  (1839),  p.  iSg;  Riezler, 
op.  cit.,  p.  234-24o,  et  llistorische  Zeitschrijï , 
1878,  p.  328;  P.  Sclipirer-Boichorst,  Jenaer 
Litteratiirzeitniig ,  i884,  n"  43,  p.  674  etsuiv.; 
K.  Millier,  t.  II,  p.  iSg,  160;  H.  Tlieobald, 
Neues  Archiv,  XXUI,  1898,  p.  772;  cf.  Sul- 
livan, The  Americ.histor.  Rev.,U,  p.  4i2;  Tlie 
Engl.  histor.  Rev.,  190.5,  p.  3o5;  A.  Huraut, 
p.  2 1 . 

78 


618  JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PAIX)DE. 

façon  dont ,  pour  les  composer,  Marsile  s'est  servi  d'un  de  ses  ouvrages 
antérieurs  :  nous  parlonsde  ce  traité,  jusqu'ici  inconnu,  dont  la  rédac- 
tion, si  nos  conjectures  sont  exactes,  remonterait  à  i3'i8.  Le  projet 
d'acte  de  dispense  pour  le  mariage  de  Marguerite  et  de  Louis  margrave 
de  Brandebourg  est,  en  grande  partie,  composé  d'extraits  du  Defcnsor 
minor.  On  en  trouve  de  plus  longs  encore  dans  la  dissertation  elle- 
même.  C'est  presque  tout  son  chapitre  relatif  au  mariage  que  Mar- 
sile a  replacé  ici,  en  en  modifiant  à  peine  quelques  tournures  de 
ph 


rases 


(1) 


VII 


L'influence  exercée  par  Jean  de  Jandun  et  Marsile  de  Padoue  s'est 
prolongée  longtemps  après  leur  mort. 

C'est  principalement  comme  philosophe  que  le  premier  a  survécu. 
Le  succès  de  ses  commentaires  d'Aristote  et  d'Averroès,  particuliè- 
rement en  Italie,  est  attesté  par  le  grand  nombre  de  copies  qui  en 
subsistent,  par  le  soin  que  prirent  des  philosophes,  tels  que  Vemia  et 
Zimara,  de  les  publier,  parla  multitude  des  éditions  qui  en  parurent, 
surtout  à  Venise,  dès  les  premiers  temps  de  l'imprimerie  et  pendant 
toute  la  durée  du  xvi"  siècle'"^'.  Les  éditeurs  lui  décernaient  les  titres 
d'«  homme  très  perspicace  ^^'  »,  de  «  philosophe  clarissime  ''*'  »,  «  très  ex- 
«  cellent  *^'  »  ou  «  très  pénétrant'^'  » ,  ou  bien  encore  de  •  très  éminent*'^  » 
et  «  très  perspicace  péripatéticien *"*  ».  Encore  au  xvii®  siècle.  César  Cre- 
monini,  le  dernier  représentant  de  la  scolastique  averroïste,  faisait  de 
Jeande  Jandun  un  usage  journalier  et  volontiers  lui  empruntait  le  texte 
de  ses  leçons '^^. 

Mais  ce  succès  d'école  obtenu  par  les  écrits  philosophiques  de  Jean 
de  Jandun  n'approche  pas  du  retentissement  prolongé  qu'eut  la  publi- 

'"'  Au  sujet  de  la  part  qxie  Marsile  de   Pa-  orhis ,  éd. de  Vicence,  i486;  le»  Qaœstiones  sii- 

douea  pu  prendre  à  la  rédaction  du  document  per  III  lihros  de  Anima,  éd.  de  Venise,  iiii)3- 
commençant  par  les  mots    Fiilem   catholicnm  '''  Même  ouvrage,  éd.  de  Venise,  1497. 

publié  par  Louis  de  Bavière  le  6  août  i338,  '*'  Quœstiones  saper  VIII  librns  PhYsicorum, 

voir  J.  Sullivan,  The  Engl.  histor.  Rev.,  190.^,  éd.  de  Venise,  i55a. 
p.  3o6,  307.  '''   Qaœstiones  super  III  Ubrof  de  Anima ,  éd. 

<*'   Voir  plus  haut,  p.  537,  542.  543,  54fi .  de  Venise,  1497. 
55a,  554,556.  '*'   Quteslioncs  super  Parvis  naittralibiis ,  éd.  de 

'''  Qntestiones  de  Cielo  el  niando,  éd.  de  Ve-  Venise,  i5o5;  Qnœstiones  in  XII  libros  Meta- 

nise,  i5oi.  physicoram,  éd.  de  Venise,  i553. 

'•'  \oiT]eiQnœstionessttperlibrodeSnbstanlia  <*'  Renan,  v4renw,«,  p.  4io. 


JE.\N  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOUE. 


619. 


cation  du  Defensorpacis.  Nous  ne  parlons  pas  du  Defensor  minor,  qui 
semble  avoir  été  vite  oublié. 

Ouvrage  presque  sans  précédent,  —  car,  quoi  qu'en  ait  dit  le  pape 
Clément  VI'*',  nos  auteurs  ne  devaient  rien  à  Occam<'''\  — ■  le  Defensor 
imcis,  écrit  en  i324,  provoqua,  à  partir  de  1826,  un  scandale  à  peu 
près  ininterrompu.  On  se  souvient  des  condamnations  portées  contre 
le  livre  et  les  auteurs  par  la  cour  d'Avignon. 

La  mort  de  Jean  (le  Jandun,  qui,  d'ailleurs,  semble  avoir  passé 
inaperçue  en  France,  n'interrompit  pas  l'effet  du  ressentiment  de 
Jean  XXII.  Il  nomma  les  deux  maîtres  et  rappela  leur  rôle  dans  des 
lettres  du  3  mai  et  du  25  juin  i^ag*^',  du  22  juillet  i33o'"'  et  du 
/(  janvier  i33i  '^K  Le  3o  mai  1829,  il  avait  ordonné  au  chantre  de 
Paris  de  faire  de  nouveau  publier  le  procès  de  Jean  de  Jandun 
el  de  Marsile  de  Padoue,  ces  «  détestables  hérétiques  » ,  en  même  temps 
que  ceux  de  Louis  de  Bavière  et  de  Pierre  de  Corbara  '*'.  L'ordre  fut 
exécuté  le  1 1  juin,  et,  à  l'issue  de  la  cérémonie,  le  provincial  des  frères 
Mineurs  de  France  prit  la  parole,  au  nom  du  chapitre  général  alors 
assemblé  à  Paris,  pour  donner  aux  sentences  pontificales  son  entière 
approbation'*''.  On  a  prétendu,  en  s'appuyant  sur  un  passage  de 
Du  Boulay,  que  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  avait  montré  peu 
d'empressement  à  s'associer  à  cette  censure ,  et  qu'elle  n'avait  finalement 
condamné,  en  i33o,  que  quatre  des  propositions  relevées  par 
Jean  XXII  '*'.  Mais  il  est  reconnu  aujourd'hui  que  le  document  cité 
])ar  Du  Boulay,  d'après  le  premier  volume  des  Conclusions  de  la  Fa- 
culté, se  rapporte   à  l'année   1375'"',  et  que  les  théologiens  de  Paris 


î''  IMscours  du  1 1  jïiillet  1 343  :  •  Hoc  dicl- 
«  mus  propter  illum  Wilhelnmm  Occam ,  qui 
«  diverses  errores  contra  polestatem...S.  Sedis 
«  docuit  et  docet.  Et  ab  illo  Guillebiio  didicit 
«  et  recepit  errores  ille  Marsilius  et  multi  alii  » 
(Hôfler,  Ans  Avignon,  p.  ao). 

'''  Voir  la  dissertation  très  concluante  de 
M.  Sullivan,  The  Aiiieric.  histor.  Rev.,  II, 
p.  di8  et  suiv. 

'''   Thés.  nov.  anecd..  Il,  773,  778. 

f  Rinaldi ,  V,  48o. 

'^'   Thés.  nov.  anecd.,  II,  817. 

W  Chwtul.  Univ.  Paris..  II,  3a6;  Eubel, 
Ballarittm  Frauciscanum  ,  V,  397. 

'''  Contin.  de  Guill.  de  Nangis,  II,  109. 


'*'  Paris  et  ses  histor.,  p.  7,  8. 

'*'  Le  registre  cité  par  Du  Boiday  (IV,  a  16) 
n'est  autre  <[ue  le  Liber  censuraruin  sacrée 
Facultatis  récemment  acquis  en  Angleterre 
par  la  Bibliothèque  nationale  (Nouv.  acq.  lat. 
i8a6);  il  ne  contient  que  le  procès- verbal  de 
l'enquête  conunencée  le  1"  septembre  1376, 
qui  avait  été  publié  une  première  fois  par 
d'Argentré  [Collect.  judic.  de  nov.  errorib., 
I,  397),  d'après  ce  registre, et  qui  l'a  été  une 
seconde  fois,  d'après  l'original,  dans  le  Char- 
tal.  Univ.  Paris.  (III,  aa3).  C'est  ce  que  les 
savants  éditeurs  du  Chartularium  n'avaient  pas 
bien  aperçu  d'abord  (II,  3o3),  mais  ce  qu'ils 
ont  reconnu  dans  la  suite  (III,  327,  note  5). 

78. 


020 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOIE. 


n'eurent  point,  en  i33o,  à  se  prononcer  d'une  façon  spéciale  au  sujet 
fies  erreurs  de  Marsile  de  Padoue. 

Lorsque  l'antipape  se  soumit,  il  dut  déclarer  hérétique,  conformé- 
ment au  jugement  de  Jean  XXII,  la  proposition  extraite  du  Defensor 
pacis  qui  reconnaissait  à  l'Empereur  le  droit  de  déposer  et  d'instituer 
les  papes**'.  Le  -i  i  janvier  1 33 1 ,  le  pape ,  s'adressant  aux  prélats  et  aux 
inquisiteurs  de  Provence,  prescrivit  encore  des  poursuites  contre  les 
frères  Mineurs  ou  autres  qui  professaient  les  doctrines  condamnées 
du  Defensor  pacis  ''^'.  Vers  i  3  3 1 ,  le  général  des  frères  Mineurs  nommé  en 
remplacement  de  Michel  de  Césène  reprocha  à  celui-ci  ses  relations 
sacrilèges  avec  les  deux  maîtres  condamnés'^'.  Enfin,  vers  i334,  le 
cardinal  Napoléon  Orsini  ne  projuit  de  seconder  les  projets  de  Louis 
de  Bavière  au  sujet  de  la  réunion  d'ini  Concile  général  que  dans  le  cas 
où  l'Empereur  remettrait  entre  ses  mains  Marsile  de  Padoue  "l  Cepen- 
dant les  doctrines  du  Defensor  pacis  étaient  vivement  prises  à  partie 
])ar  Alvaro  Pelayo  dans  son  Collynum  advenus  hœreses^^^  et  dans  son 
De  Pldnctu  Ecclesiœ,  par  Alexandre  de  Sant'  Elpidio  dans  son  De  Juris- 
dictione  Imperii  et  aucloritate  Summi  Pontijicis.  Elles  le  furent  encore, 
plus  tard,  par  Conrard  de  Megenberg  dans  ses  Œconomica^^K 

Sous  Benoit  XII,  il  est  encore  beaucoup  question  de  nos  deux  maî- 
tres dans  une  procuration  datée  de  Nuremberg,  le  28  octobre  i336, 
sorte  d'amende  honorable  dictée  à  Louis  de  Bavière  par  la  cour  d'Avi- 
gnon elle-même.  On  y  fait  dire  à  l'Empereur  que,  s'il  a  retenu  auprès 
de  lui  Marsile  de  Padoue  et  Jean  de  Jandun,  ce  n'était  point  qu'il  vou- 
lût se  mêler  de  leurs  opinions  hétérodoxes,  mais  parce  que  c'étaient 
de  bons  clercs,  qui  prétendaient  en  savoir  long  sur  lesdroits  de  fEm- 
pire  :  il  désirait  se  servir  d'eux  et  voulait  les  réconcilier  avec  l'Eglise. 
11  avait  eu  tort  de  les  laisser  parler  contre  le  pape;  mais,  vivement 
attaqué,  il  avait  usé  de  représailles,  il  désavouait  les  cinq  erreurs  du 
Defensor  pacis  et  jurait  d'exterminer  les  hérétiques,  s'ils  refusaient 
de  rentrer  dans  le  giron  de  TEglise  ''l 

Benoit  XII  jugea,  d'ailleurs,  insuffisante  la  censure  du  livre  de  Mar- 
sile et  de  Jean  de  Jandun  faite  par  son  prédécesseur.  Il  chargea  de 


'''  Thés.  iioi\  aiiecd..  Il,  81 3. 

C  Uinal.li,  V,5oo. 

*"»  7W.,p.  50"). 

<*'  Hôfler,  .4(1.»  Aviijnon,  ^i.  12. 


(•)  Voir  Rinaldi.V,  353. 
<*'  O.  Lorenz , Deulschlaiids  Gcchicliisqiielleii , 
11,  359. 

<''   Vatikaiiischc  Aklen ,  p.  64o. 


JEAN  DE  JANDDN   ET  M.\RSILE  DE  PADOLE.  021 

l'examiner  à  nouveau  le  cardinal  Pierre  Roger  (le  futur  Clément  VI), 
(lui  réussit  à  y  relever  plus  de  deux  cent  quarante  erreurs  *''. 

Plus  tard,  devenu  pape,  ce  même  Clément  VI  déclarait  qu'il  n'avait 
jamais,  dans  ses  lectures,  rencontré  de  pire  hérétique  que  Marsilede 
'Padoue(^). 

En  i343,  une  ambassade  reçut  de  Louis  de  Bavière  la  mission  de 
se  rendre  à  Avignon,  d'y  confesser  ses  torts,  au  nondjre  desquels  figu- 
rait l'appui  donné  à  Marsile  de  Padoue  et  à  Jean  de  Jandun,  et  d'y 
maudire,  en  son  nom,  les  erreurs  professées  par  les  deux  hérétiques'^'. 

Assez  tôt,  une  traduction  française  du  Defensor  pacis  dut  être  mise 
en  circulation ,  car  ce  texte  français  fut  lui-même  traduit  en  italien 
dès  i363.  Il  subsiste  un  exemplaire  n)anuscrit  de  la  version  italienne 
dans  la  bibliothèque  Laurentienne  de  Florence'"'.  Cependant  l'exis- 
tence de  la  traduction  française  ne  fut  révélée  qu'assez  tard  au  Saint- 
Siège.  C'est  seulement  en  i375  que  Grégoire  XI,  recevant  une  délé- 
gation de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris,  se  plaignit  fort  de  la 
publicité  ainsi  donnée  à  un  ouvrage  depuis  longtemps  condamné,  qui 
pouvait  fournir  des  armes  aux  ennemis  de  l'Eglise;  ses  soupçons 
paraissaient  se  porter  sur  quelque  théologien  de  Paris.  Au  retour  de 
la  délégation,  la  Faculté  s'assembla,  et  une  commission  fut  chargée  de 
rechercher  le  coupable.  Du  i"  septembre  au  3i  décembre  iSyô, 
quatre  réunions  se  tinrent  chez  le  chancelier  Jean  de  La  Chaleur,  et 
trente  et  un  maîtres  en  théologie,  parmi  lesquels  les  fameux  traduc- 
teurs Nicolas  Oresme  et  Jean  Golein,  furent  successivement  inter- 
rogés sous  la  foi  du  serment  :  étaient-ils  auteurs  de  la  traduction 
française  du  Dejensor  paris?  ou  du  moins  savaient-ils  qui  en  était  l'au- 
teur.^ Tovitesles  réponses  furent  négatives.  L'un,  Jean  de  Dieudonne, 
exprima  même  son  étonnement  et  prétendit  qu'il  n'avait  jamais  rien 
su  de  cette  traduction.  Cependant  Richard  Barbe  avait  entendu  dire 
que  l'auteur  du  livre  était  aussi  celui  de  la  traduction  française.  Pour 
mieuxdégager  encore  leurresponsabilité,  quelques  maîtres  affirmèrent 
qu'ils  tenaient  de  leurs  anciens  que  ni  Marsile  ni  Jean  de  Jandun 

<"'  Souvenir    rappelé    par    Clément    VI    le  pacie  e  tranqiiillità  dedicalo  a  Laigi ,  travaleiite  e 

lO  avril    1343  (Hôfler,  Ans  Avif/non,  p.   ao).  tiaiiobile    Imperadore  de'  Romani,  Iraslatato  di 

*"'  Ibid.  franciescoinJiorentinol'annoiStiS.   (xv' siècle; 

P'    Vulikanische  Aklen,  p.  780.  266  feuillets.)  Cf.  F.  Scaduto,  Stato  e  Chiesa , 

'*'  Ms.  xi.iv  a6  : //  libro  del  Difenditore  délia  p.  lia. 


622 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADOLE. 


n'avaient  jamais  pris  aucun  grade  en  la  Faculté  de  théologie  de 
Paris'"'.  p 

On  pourrait  suivre  encore  longtemps  l'influence  exercée  par  le 
Dejensor  pacis ,  et  M.  James  Sullivan,  auteur  d'un  mémoire  inséré  dans 
ï American  historical  Review,  serait  ici  le  guide  le  mieux  informé.  Sans 
parler  de  Guillaume  d'Occam,  qui  ne  se  rencontre  guère  avec  Marsile 
et  Jean  de  Jandun  que  sur  le  terrain  politique'^',  on  verrait  les  em- 
])runts  faits  au  célèbre  ouvrage  par  l'auteur  anonyme  du  Songe  du 
Fermier''',  par  Wicliff*''*,  par  Thierry  de  Niem'*',  par  Grégoire  Heim- 
hurg'''',  par  Nicolas  de  (îusa,  par  Mathias  Dôring,  par  Luther'^', 
peut-être  même  par  (îalvin**'. 

Eni52  2 ,  un  Allemand  qu'on  a  identifié  avecValentinCurio'*' donna, 
à  Bàle,  sous  le  pseudonvme  de  Licentius  Evangelns,  la  première  édition 
à\i  Dejensor  pacis  ^^^\  Son  intention,  comme  il  ressort  clairement  de  sa 
préface,  était  de  mettre  entre  les  mains  des  Réformés  la  meilleure 
arme  contre  l'Eglise  catholique. 

En  Angleterre,  lors  du  conflit  de  Henri  Vlll  avec  Home,  un  certain 
William  Marshall,  voulant  servir  la  cause  royale,  traduisit  en  anglais 
l'édition  de  Licentius  Evangelus,  non  sans  en  retrancher  les  chapitres 
imprégnés  d'un  esprit  trop  démocratique;  il  réussit  à  intéresser  à  son 
entreprise  le  chancelier  de  l'Echiquier,  Thomas  Cromwell.  Terminée 
vers  le  i"  avril  i533,  cette  traduction  ne  parut  pas  avant  le  27  juillet 
i535'*'';  quatre  jours  après,  le  chapelain  du  roi,  Thomas  Starkey,  en 
conseillait  la  lecture  à  Reginald  Pôle,  le  futur  cardinal*'"^'. 

Quand  com  mença ,  soit  à  Louvain ,  soit  à  Paris ,  soit  à  Rome ,  la  publi- 


O   Charlal  Univ.  Paris..  III,  2a3. 

'''  J.  Sullivan,  The  Americ.  histor.  Rev. , 
p.  417  et  siiiv. 

''>  Voir  K.  Mûller,  Dos  Somniuin  viridarii, 
dans  ZeitschriJÏ  f.  Kirchenrecht ,  XIV  (1878), 
p.  189  et  suiv. 

'*'  Cf.  une  bulle  de  Grégoire  XI  du  a  a  mai 
1377  (Rinaldi,  VII,  a94)  et  Walshingham , 
Hist.  Anglic.  (éd.  Riley),  I,  345. 

''•  H.  Finke,  Zii  Dielrich  von  Niem.  u.  Mar- 
silius  von  Padua,  dans  Rômiscke  Quartahchrift , 
VII,  aa6.  J.  Sullivan,  p.  599. 

'*'  P.  Joachimsohn ,  Gregor  Heimburg,  dans 
Historische  Abhandluiigen  aas  dem  Mânchener 
Seminar,  1  (Bamberg,  1891,  in-8°),  p.  a  33. 

'''  Cf.   B.  Labanca,  Mwsilio  da  Padova  e 


Martino  Lutero,  dans  Nuova  Anlologia ,  XIA 
(i883),  p.  ao9-3a7. 

<"  Cf.  Pastor,  Gesch.  d.Pâptte,l{i^oi),  84. 

'•'  Kiezler,  p.  igS;  O.  Lorcnz,  II,  35 1, 
note  4;  cf.  J.  Sullivan,  p.  600,  note  3. 

'"'  Sous  le  titre  :  Opiis  insigne  cai  tituhnn 
fecit  aulor  Defensoreni  pacis,  quod  queslionem. 
illam  jam  olini  conlroversam  de  polestate  Papœ 
et  Imperatoris .  .  .  tractât.  (  In-fol.  ) 

<"'  The  Défense  of  Peace.  lately  translated 
out  of  laten  into  engfysshe.  R.  Wyer,  [  London  ] , 
i535,  in-fol. 

'"'  Letters  and  papers. . .  of  the  reign  of 
Henry  VIII.  I.  Vil,  n"  4aa,433;t.  VIII. 
n"  il56;  cf.  1.  IX,  n"  5a3;  f.  XI,  n"  i355; 
.1.  Sullivan,  loco  cit. 


JEAN  DE  JANDUN  ET  MARSILE  DE  PADODE. 


(i23 


cation  des  listes  de  livres  prohibés,  l'ouvrage  de  Marsile  de  Padoue  y 
trouva  naturellement  place.  En  i538,  Albert  Pigghe  consacra  à  la 
réfutation  du  «  rival  de  Luther  »  une  grande  partie  de  sa  Hiérarchise 
ecclesiasticœ  assertio.  En  i545,  Max  Mûller,  de  Westendorll',  publia,  à 
Neuboiirg,  une  traduction  abrégée  du  DeJensor^^\  qu'il  dédia  à  Othon- 
Henri,  comte  Palatin.  Puis  ce  fut,  en  lôga,  le  tour  du  calviniste 
bien  connu  Francis  Gomar,  qui,  en  rééditant,  à  Francfort,  le  Defen- 
sor  pacis,  le  recommanda,  comme  particulièrement  utile,  au  roi 
de  France  Henri  IV,  pour  établir  l'indépendance  de  son  royaume  à 
l'égard  du  Saint-Siège'^'.  D'autres  éflitions,  également  copiées  sur 
celle  de  1622,  se  succédèrent  ensuite,  en  lôgg,  à  Heidelberg,  en 
i6i2  ,  en  ]  61 3'^*,  en  1614'*',  en  1622'^ ,  en  162 3'®'  et  enfin  en  1692, 
à  Francfort. 

Ces  quelques  indications  sullisent  à  faire  mesurer  le  grand  succès 
posthume  de  Marsile  de  Padoue  et  de  Jean  de  .Jandun.  11  n'y  a  rien 
d'excessif  à  prétendre  que  le  Defensor  pacis  a  eu  sa  part  d'influence 
dans  le  mouvement  de  la  Réforme'^'. 

N.  V. 


-  '  '"'  Sous  ce  titre  :  Ain  kartzer  Atisziig  des  iref- 
fenUchen  Wercks  tind  Fridschirmbuches  Mar- 
sili  von  Padua.  (  In-lbl.  ) 

(*'  Voici  le  titre  entier  de  cette  édition  :  De- 
fensor pacis  I  sive  ||  Advenus  |  asarpatain  Rom. 
pontijtcis  jaridictio  \\  nem  Marsilii  Patavinipro  j] 
invictiss.  et  constantisf .  Bow.  Imperatore  Lu  ||  do- 
ricoIV  Bavai  ico,  a  tribus  ||  Rom.pontijtcibus  in- 
digna Il  perpesso  \\  Apologia  [|  Qua  politicœ  et 
ecclesiasticœ  potestatis  limites  \\  doctissime  expli- 
cantar  :  circa  annam  |]  Domini  m  ccc  xxir  || 
contcripta.  \\  Nunc  vero  ad  omnium  principum, 
magistratuum  et  ||  ecclesiœ  catholicœ  ac  nomina- 
tim  ckristianiss.  \\  Galliarum  et  Navarrœ  Régis, 
etc.  Henrici  IV,  ||  (a  tribus  etiam  Rom.  Pontiji- 
cibns  inique  oppa  \\  gnali],  ejnsqne  regni  et  eccle- 
siarnm  anctorita  |(  iem  ac  libertatem  demons- 
trandam  ntilissima.  ||  Franciscus  Gomarus  Bru 
Il  gensis  recensuit  :  capitam  argamentis  et  {{  notis 
ad  marginaiii  illustravil.  {{  Francofurti  |{  Excu- 
debat  Joannes  Wechelus.  ||  Vœnit  in  ojficina  Vigno- 
nania.  \\  c/a  lo  xcii.  Suit  une  dédicace  en  vers 
à  Frédéric  IV,  comte  Palatin. — Certains  auteurs 
(Labanca,  p.  112;  A.  Hnraiit,  j).  23,  note  1) 
citent  une  prétendue  édition  du  Defensor  pacis. 


de  Krancfort,  i/iga  :  d'autres  pensent  (ju'il  y 
a  eu  confusion  avec  l'édition  de  1692  (MûUer, 
Gôtting.  gel.  Anz. ,  i883,  p.  921  ;  J.  Sullivan, 
p.  4 1 3  ). 

'''  Ces  deux  dernières  éditions  (in-8°)  sont 
données  par  Daniel  Patterson ,  de  Dantzig ,  la 
seconde  sous  le  titre  de  Legislator  Romanus  de 
jurisdictione  et  potestate  tam  seculari  quam 
ecclesiastica. 

'*'  Goldast,  à  cette  date,  comprend  le  De- 
fensor pacis  dans  sa  grande  collection ,  Monar- 
chiœ  S.  Romani  Imperii  sive  tractatuum  de  Juri- 
dictione  imperiali  seu  regia  et  pontiftcia  seii 
sacerdotali ,  tomus  secundns,  qui  fut  réimprimée 
en  l6ai  et  en  1668.  Il  édita  séparément  dans 
son  tome  I"  (p.  647-653  )  la  préface  de  Llcentius 
Evangelus. 

'''  Sous  le  titre  :  Opus  insigne  Defensor  pacis. 
(In-fol.)  —  Le  P.  Lelong  (1,475)  mentionne, 
sous  le  même  titre ,  une  édition  de  1 5 1 5 ,  qu'il 
a  peut-être  confondue  avec  celle  de  1622. 

'*'  Sous  le  titre  singulier d'/ze/i/rMinno/i/icH;/! 
(in-8-). 

'''  Cf.  Ad.  Franck,  Journal  des  Sav. ,  i883 , 
p.  ng. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

Page  17,  ligne  6,  à  partir  du  bas.  —  Dans  les  pages  consacrées  ci- 
dessus  (p.  17-22)  à  la  traduction  française  des  Otia  imperia'ia  de 
Gervais  de  Tilbury  par  Harent  d'Antioche,  nous  n'avons  pu  compa- 
rer celte  traduction  avec  celle  que  donna  Jean  du  Vignai  dans  la 
première  moitié  du  kiy*"  siècle.  C'est  après  coup  que  nous  avons  pu 
consulter  le  seul  manuscrit  connu  de  la  traduction  de  Jean  du  Vi- 
gnai qui  ait  été  jusqu'à  présent  signalé.  Ce  manuscrit,  qui  a  fait  partie 
jusqu'en  1901  de  la  collection  Barrois  chez  le  comte  d'Ashburnham, 
est  passé  depuis  dans  les  mains  de  M.  Gh.  Fairfax  Murray,  qui  a  bien 
voulu  nous  le  communiquer.  C'est  un  exemplaire  copié  avec  soin , 
du  temps  de  Philippe  de  Valois  ou  de  Jean  le  Bon.  H  est  orné  de  nom- 
breuses et  assez  médiocres  miniatures,  dont  nous  ne  citerons  que 
celle  du  frontispice  ;  elle  est  flivisée  en  deux  compartiments  :  dans 
celui  de  gauche,  Gervais  de  Tilbury  est  représenté  offrant  son  livre 
à  l'empereur  Olhon;  dans  celui  de  droite,  nous  voyons  Jean  du  Vi- 
gnai remettant  sa  traduction  à  un  clerc  ou  à  un  religieux,  peut-être 
au  prieur  de  sa  maison.  Le,  nom  du  traducteur  ne  nous  est  révélé  que 
par  les  rubriques  des  folios  5  et  9  :  «  Cy  commence  le  livre  des 
«  Oisivetez  des  emperieres  translaté  de  latin  en  françois  par  Jehan  du 
«  Vignay,  frère  de  Haut  pas.  »  —  «  Ci  commencent  les  chapitres  de  la 
«division  du  livre  descript  et  translaté  du  latin  en  françois  par  Jehan 
«  du  Vignay,  frère  de  Haut  pas.  » 

Dans  le  manuscrit  la  traduction,  précédée  d'une  table  des  199  cha- 
pitres, est  absolument  dépourvue  de  préface  et  de  dédicace.  Nous 
manquons  ainsi  de  renseignements  sur  les  conditions  dans  lesquelles 
l'infatigable  traducteur  Jean  du  Vignai  mit  en  français  les  Olia  impe- 
rialia.  Vraisemblablement,  il  ignorait  que  l'ouvrage  eût  déjà  été  tra- 
duit. Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  n'a  point  fait  usage  de  la  traduction 
de  Harent  d'Antioche. 

Pour  en  être  convaincu,  il  suffira  de  se  reporter  aux  deux  chapitres 
que  nous  avons  imprimés  (p.  19  et  2  1)  comme  exemples  du  style  de 
Harent  d'Antioche,  et  de  les  comparer  au  texte  de  ces  deux  mêmes 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  625 

chapitres  traduits  par  Jean  du  Vignai,  que  nous  allons  publier  d'après 
le  manuscrit  de  M.  Fairfax  Murray. 

...  Et  la  tierce  merveille  que  je  vi  et  esprouvai  a  Naples,  je  la  vous  dirai  ci- 
après.  Et  si  ne  l'esprouvai  pas  pour  ce  que  je  l'eusse  oï  avant  dire,  mais  dioitement 
par  cas  de  fortune  ;  car  se  je  ne  l'eusse  esprouvé ,  je  ne  l'afermassc  jamès. 

L'anée  que  Acre  fu  assisse,  environ  la  fesle  Saint  Jehan  Baptiste,  que  je  estoie  en 
la  cité  de  Salerne,  soustement  il  me  sorvint  un  mien  hoste,  pour  la  venue  duquel 
je  fui  moult  lié,  tant  pour  ce  que  il  estoit  mon  cousin  que  pour  ce  que  je  l'amoie 
moult,  car  nous  avions  esté  longuement  ensemble  a  l'escolle,  et  hanté  en  la  court 
de  monseingnor  le  roy  Henry  d'Engleterre,  vostre  ayeul''',  très  noble  prince,  et  li 
et  moi  estions  tout  un  et  d'une  volenté ,  et  mon  cuer  s'esjoï  moult  de  s;i  venue ,  pour 
la  grant  affeccion  que  je  avoie  de  li  veoir  et  de  oïr  des  nouvelles  de  nos  amis;  car 
je  ne  peusse  avoir  plus  certain  mesage.  Et  quant  nous  eusmes  ensemble  délivré  nos 
besongnes,  nous  venismes  d'ilueca  Naples,  pour  passer  la  mer  a  venir  en  nos  par- 
ties. Et  celui  mien  ami  avoit  non  Phelippe,  et  estoit  filz  du  noble  conte  de  Sale- 
bieres.  Et  a  Naples  nous  venismes  en  l'ostel  d'omme  honnorable  et  discret  inestre 
Jehan  Pynatel,  arcediacre  de  Naples,  qui  avoit  esté  mon  auditeur  a  Boulongne  en 
droit  canon,  cpii  nous  reçut  moult  joieusement,  comme  celui  qui  estoit  noble  et 
sage.  Et  quant  il  nous  ot  demandé  l.t  ctiuse  de  nostre  venue,  et  nous  li  avions  dit  que 
nous  avion  trop  grant  hastede  passer  la  mer,  et  ii  nous  mena  au  port,  et  la,  sanz 
demeurer,  par  l'espace  d'une  heure,  nostre  nef  pour  passer  fu  alouéea  si  dou[s]  pris 
con  nous  vousismes,  et  fu  tantost  incontinent  aprestée  de  passer,  tant  comme  l'eu 
atourna  le  disner,  et  puis  nous  revenismes  a  l'ostel  pour  disner.  Nous  commençâmes 
a  parler  de  ce  que  nous  avions  toutes  nos  choses  trouvées  a  point  a  nostre  volenté, 
et  en  avions  si  grant  merveille  de  ce  que  si  bien  nous  en  estions  pris.  Et  adonc  l'arce- 
diacre  nous  demanda  par  quel  porte  de  la  cité  nous  estion  entrez  en  la  ville.  Et 
cpiant  nous  li  eusmes  dit  par  laquole,  il  nous  demanda  de  quel  costé  de  la  porte 
nous  estions  entrez.  Et  nous  li  deismes,  quant  nous  feusnies  avisez  de  ce  :  «  Nous  vou- 
«  lions  entrer  en  la  ville  par  le  senestrc  costé  de  la  porte ,  mes  nous  encontrasmes  un 
«  asne  chargié  en  nostre  voie,  si  tournasmes  a  la  destre  partie,  et  par  la  entrasmes 
«  en  la  cité.  »  Et  dont  nous  dit  il  :  «  Je  vueil  que  vous  sachiez  quel  merveilles  Virgile 
«  establi  en  celé  porto.  »  Et  après  disner  nous  mena  a  la  porte,  et  nous  monstra  ii  testes 
de  marbre  entailliées  de  diverses  manières  :  car  la  teste  qui  estoit  au  destre  costé 
estoit  belle  et  plaisant  et  rioit,  et  celle  qui  estoit  au  senestre  estoit  laide  et  ploroit 
et  faisoit  trop  laide  chiere,  et  dont  nous  dist  l'arcedyacre  la  merveille  :  car  touz  cens 
qui  entroient  en  la  ville  par  devers  le  costé  de  la  teste  noire,  qui  est  a  senestre,  il 
ne  feront  ja  riens  en  la  ville  de  chose  que  il  quierent,  ne  leurs  choses  ne  pueent  ve- 
nir a  point;  et  ceus  qui  entrent  par  devers  la  partie  destre,  la  ou  la  belle  teste  est, 
font  volentiers  ce  que  il  quierent ,  et  leur  choses  leur  viennent  bien  a  point.  Et  ce , 
se  nous  <*'  dist  il ,  que  nous  avions  entrelessié  qui  nous  fist  tourner  a  la  destre  partie , 

'''   Henri  H,  aïeul  de  l'empereur  Olhon  IV.  —  '■'''   Le  ms.  porte  :  «  Et  ce  se  non  dist.  .  .  >• 

HIST.   LlTTÉn.  XXXIII.  "jg 


626  A1)I>ITI0NS  ET  CORRECTIONS. 

nous  estoit  il  bien  pris  de  nostre  besongne.  Et  je  ne  vous  escri  pas  cesle  nierveille 
comme  la  ligniée  de  Saducciens,  qui  disoient  que  toutes  vertus  de  choses  cstoient  en 
Dieu  et  en  marmene*'',  c'est  a  dire  en  destinée  et  en  fortune,  mes  toutes  choses  sont 
en  l'ordenance  et  en  la  volenté  de  Dieu.  Et  je  vous  ramembre  ceste  meneille,  car  je 
la  vi ,  et  Virgille  la  fist  par  art  magique. 

Des  provinces  et  des  citez  de  France. 

Après  nous  deviserons  les  villes  et  les  citez  des  Frances  et  deviseron  Gallie ,  France , 
Bourgoigne  en  la  manière  que  l'eglyse  de  Romme  les  devise  et  ordenne.  Et  premiè- 
rement France  si  a  vu  archeveschiez  et  ses  suffraganes.  Et  premièrement  Lyon,  et 
fu  le  premier  siège  des  Gallies,  c'est  à  dire  de  toutes  les  Frances,  et  sont  ses  suEfra- 
ganes  Otun  ,  Mascon,  Chalon  et  Lengres.  —  Rainz  a  ces  suffraganes  :  Soissons,  Cluia- 
lons,  Cambrai,  Tornai,  Teroenne,  Arraz,  Amiens,  Noion ,  Sanliz ,  Biauvès ,  Laon. — 
Neibonne'^'  est  i  archeveschié  de  Gascoigne,  et  a  ces  evesques  soz  lui:  Quarcas- 
sone,  Biterre,  Agathenseium,  Lodoveum,  Tholouse,  Magalonne,  Nemausen.,  Uti- 
cen. ,  Elnen.  ou  Arelen.  '''.  —  Sens  est  i  archeveschié  en  France,  qui  a  ces  suffra- 
ganes et  evesques  souz  lui  :  Paris,  Chartres,  Orliens,  Nevers,  Aucerre,  Troies, 
Miaus.  —  L'archevesqué  de  Bourges  a  ces  suffraganes  souz  lui  :  Clermont  en  Aur 
vergne,  Ruthenen. ,  Caours,  Limoges,  Mende,  Abbigois,  Avicenen.'*',  cjui  est 
du  pape.  —  Bordiaus  si  a  ces  evesques  souz  lui  :  Poitiers,  Saintes,  Engoulesme, 
Pierregort,  Agien.  —  Tours  si  a  ces  evesques  souz  lui  :  Le  Mans,  Angicrs,  Nantes, 
Venues,  Cornoaille,  Léon,  Trigier,  Saint  Briot,  Resnes,  Saint  Malou,  Dol.  — 
Rouen  a  ces  evesques  souz  lui  :  Avrenches,  Constances,  Baiex,  Ses,  Lisuies,  Evreus. 

—  En  Gascoigne,  si  a  ii  archevesqués.  L'archevesqué  d'Aus,  qui  a  ces  evesques 
souz  lui  :  Aquen.,  Lectore,  Couvenaz,  Cousurarer,  Bigorre,  Tarvien.  ou  Aduren. , 
Oloten. ,  Lascuren. ,  Balacen.  (iicj,  Bayonne.  —  En  Bourgoigne  a  vi  archevesqués,  et 
Besençon  est  le  premier,  et  a  ces  evesques  desouz  lui  :  Basilien. ,  Larisane  (51c),  Be- 
licen.  — Tarentasien.  est  archeveschié ,  et  a  ces  evesques  souz  lui  :  Sedunen.,  Au- 
gustien.  —  Ebredunense  a  ces  evesques  souz  lui  :  Dignen.,  Nicien.,  Antipolitan. , 
Glandeten.,  Seneren.  (^sic^,  Vencien.  —  L'archevesqué  d' Aqueuse  en  Borgoigne  a 
ces  evesques  souz  lui  :  Apiense  [sic),  Regen. ,  Foroben.  {sic),  Vapinen. ,  Cisteriten. 

—  L'archevesqué  d'Arelate  en  Bourgoigne  est  le  ch'ief  de  la  province.  Si  a  ces  suf- 
fraganes souz  lui  :  Masilien.,  Avignon,  Aurasiten.,  Calleliten.,  Tricastrinen.,  Car- 
pentras,  Tolonen.  —  Vienne  en  Borgoigne  est  archeveschié,  et  est  le  chief  du  règne 
et  chancelier,  et  a  en  sa  description  de  sa  digneté  le  très  grant  siège  des  Gallies; 
qui  est  apelé  charre  '^'  de  l'Empire,  et  jadis  i  fu  dampné  Ponce  Pylate  de  Tyberio ,  qui 
adonc  estoit  emperiere.  Et  a  ces  evesques  souz  lui  :  Valentinen.,  Viviers,  Dionen., 
Greinnoble,  Maurianen. ,  Gebennen. ,  et  a  de  la  cité  de  Gebennen.  xiui  mille  jusques 
au  lac  de  Losane  '*',  et  queurt  le  Rosne  parmi  le  lac,  et  est  assis  entre  les  Alpes,  dii- 

'"'  Les  dernières  lettres  de  ce  mot  ont  été  O   Le  traducteur  avait  sous  les  yeux  un  des 

surchargées;  le  copiste  avait  dû  écrire  marbre,  manuscrits  qui  donnent  ici  la   leçon  :  Elnen- 

leçon  que   nous   trouvons  dans  le   manuscrit  sein  vel  Arlensem. 
de  Harent  d'Antioche ,  et  qui  est  la  bonne.  <*'   Ponv  Aniciensem. 

'''  Jean  du   Vignai  a  interverti  l'ordre  des  <*'  Carcer. 

provinces  ecclésiastiques.  <•)  A  capite  Lemanni  lactu.  Texte  latin. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  627 

quei  lac  il  est  leu  en  la  vie  des  Thebeiens ,  que  Mauximien  emperiere  se  tenoil  a  tra- 
vaillié  de  l'errer  en  viii  jours'''  entour  ce  lac,  et  la  compaignie  des  Thebeiens  s'aresta 
par  angoisse  desus  ce  lac ,  et  le  commun  l'apele  le  lac  Saint  Morise  de  Cambials  ; 
jagaite  (ja  soit?)  ce  que  le  chaste!  des  Solodeiens  est  sus  le  flueve  d'Arule,  non  pas 
ioing  du  Rin ,  ou  aucuns  de  celé  compaignie  souffrirent  mort. 

On  ne  peut  lire  les  deux  traductions  du  chapitre  relatif  aux  en- 
chantements virgiliens  d'une  des  portes  de  la  ville  de  Naples,  sans  re- 
connaître que  la  version  de  Harent  d'Antioche  est  bien  supérieure  à 
celle  de  Jean  du  Vignai.  Elle  suit  de  beaucoup  plus  près  le  texte  origi- 
nal. Jean  du  Vignai,  en  supprimant  ou  en  abrégeant  un  certain  nombre 
de  phrases,  a  singulièrement  diminué  la  clarté  et  la  vivacité  du  récit. 
Si  on  examine  le  chapitre  où  sont  énumérés  les  archevêchés  et  les 
évêchés  de  la  Gaule,  l'avantage  reste  également  à  Harent  d'Antioche. 
Les  deux  traducteurs  ont  piteusement  échoué  quand  il  s'est  agi  de 
trouver  la  forme  française  des  noms  des  cités  mentionnées  en  latin 
par  Gervais  de  Tilbury.  Assurément  Jean  du  Vignai  connaissait  mieux 
que  son  devancier  la  géographie  des  provinces  septentrionales  de  la 
France.  Il  a  su  quelles  formes  françaises  correspondaient  aux  formes 
latines  Tomacensem ,  Morinensem,  Silvanectensem ,  Redonensem ,  Corisopi- 
tensem,  Venetensem,  Briocensem,  Trecorensem,  Leonensem,  Sagienscin, 
Lexoviensem ,  que  son  devancier  avait  rendues  comme  il  suit  :  Doay, 
Monnence,  Silvanence,  Redone,  Corisopience ,  Vendosme,  Briençon  (ou 
Briosence] ,  Tegrorene ,  Leonence,  Sagience,  Lizionence.  Mais  les  deux 
traducteurs  ignoraient  absolument  la  géographie  du  midi  de  la 
France. 

Ce  qui,  pour  le  second  chapitre,  donne  incontestablement  l'avan- 
tage à  Harent  d'Antioche,  c'est  qu'il  n'a  point  commis  les  non-sens 
et  les  contre  sens  dont  Jean  du  Vignai  s'est  rendu  coupable  et  dont 
les  exemples  suivants  permettront  d'apprécier  la  gravité  : 

Gervais  de  Tilbury.  Harent  d'Antioche.  Jean  du  Vignai. 

Vienncnsis ,    Burgundie  L'arcevesque  de  Vienne  Vienne     en     Borgoigne 

archiepiscopus  ,     et    regni  souloit  tenir  ung  des  grei-  est  archeveschié ,  et  est  le 

canceilarius ,  cujus    numis-  gneurs  sièges  de  France ,  si  chief  du  règne  et  chance- 

matis     inscriptio     habet    :  comme  il  contient  en  l'es-  lier  ;  et  a  en  sa  descripciort 

Maxima    sedes    Galliaram,  cripture  de  la  monnoie  qui  do  sa  digneté  :  le  très  giant 

'"'  Circa  Oclodnnim  ilinere  fessai:. 

79* 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS. 

que  et  ipsa  carcer  dicitur  dit    ainsy    :    Le   siège    de  siège    des    Gallies,   qui   est 

oiim   fuisse   imperii ,  unde    Vienne  est  très  grant  siège  de  apelé  charre  («c)  de  l'em- 

Pontium  Pilatum ,  a  Tyl)e-   France.  Et  aussy  dit  on  que  pire  ;  et  jadis  i  fii  dampné 

rio  dampnatum ,  in  carcere  la  cité   de   Vienne  souloit  Ponc(î  Pylate  de  Tyberio , 

tcnuit.                                       estre  pièce  [a]  la  prison  de  qui  adonc  estoit  empcriere. 

i'empeieur ;  et  la  fut  Ponce 
Pylate    en    prison,    (juant 
Tliibere  César  le  chaça  hors 
de  Jérusalem. 
Maximianus    iuiperator,        C'est  le  lac  [de  Lozenne] ,  Duquel  lac  il  est  leu  en 
circa    Octodurum,    itinere   dont  nous  lisons,  en  la  vie  la  vie  des    Thebeiens  que 
fessus,    se    tenebat;    legio   des  Theheyens ,  (|ui  dit  que  Mauximien    emperiere    se 
vero  in   Agauncnsibus  an-   l'empereur  Maximien  estoil  tenoit  a  travaillié  de  l'errer 
gustiis  substitit  quas  vulgo  las  du  chemin  ;  si  demoura  en  vin  jours  entour  ce  lac  ; 
sanctum      Mauritiuni      de   près  du  chastel  Ottoidoire ,  et  la  compaignie  des  The- 
Camblais  nominant.  Porro   ou  Seledoire,  et  en  ce  chas-  beiens  s'aresta  par  angoisse 
Solodorum ,  ubi  quidam  de  tel  y  en  eut  aulcun  d'ycelle  desus  ce  lac  ;  et  le  commun 
legione  ista  passi  sunt,  cas-  compaignie  qui  soullrirent  l'apelelelacSaintMorisede 
trum  est  super  Aruram  flu-   martire.  Ce  chastel  est  sur  Cambia  s.  Jagaite  (ja  soit.^) 
vium,  non  longe  a  Reno.      la   rivière  d'Arule   qui  est  ce  que  le  chastel  des  Solo- 
près  du  Rosne.  deiens  est  sus  le  llueve  d'A- 
rule, non  pas  loing  du  Rin. 

Nous  ne  croyons  pas  que  Jean  du  Vignai  ait  ajouté  beaucoup  dol)- 
servations  personnelles  au  texte  dont  il  avait  entrepris  la  traduction. 
En  parcourant  rapidement  le  manuscrit  de  M.  Fairfax  Murray,  nos 
yeux  se  sont  arrêtés  sur  une  phrase  qui  a  été  intercalée,  dans  la  des- 
cription de  Rome  (ch.  xxxi) ,  en  tête  du  paragraphe  relatif  aux  théâtres  : 
«  De  rechief  il  y  a  places  communes,  aussi  comme  seroil  h  place  Mau- 
«  bert.  La  place  Tyti  et  Vaspasien,  assise  en  catecombes.  .  .  » 

La  mention  de  la  place  Maubert  à  propos  des  théâtres  de  Rome 
est  une  interpolation  parisienne  qu'on  peut  bien  attribuer  à  Jean  du 
Vignai.  L-  D- 

Page  65.  Cette  traduction  française  et  des  fragments  importants 
d'une  traduction  normande  ont  été  édités  par  M.  Joseph  Tardif,  sous 
ce  titre  : 

Contumiers  de  Normandie T.  J" ,  Deuxième  partie.  Le    Très 

ancien  coutumier  de  Normandie.  Textes  français  et  normand.  Rouen  et 
Paris,  1900  (Société  de  l'histoire  de  Normandie). 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  029 

La  traduction  française  est  intercalée  dans  le  manuscrit  de  Sainte- 
Geneviève  1743,  entre  la  traduction  du  recueil  des  Assises  et  celle  de 
la  quatrième  compilation  des  Jugements  de  l'Echiquier.  L'éditeur 
modifie  sur  l'âge  de  cette  traduction  française  des  Statuta  et  consuetu- 
dincs  son  opinion  première  :  il  estime  qu'elle  n'a  pu  être  commencée 
que  dans  les  premiers  mois  de  l'année  12  48. 

Dans  le  même  volume  M.  J.  Tardif  a  publié  une  traduction  de 
lenquête  de  i2o5.  P.  V. 

Pages  69  et  1 1 1 .  En  1 3 1 7,  un  Guillelmus  Chapus  est  qualifié  reclor 
parochialis  ecclesiœ  Sarmesiis  (Sermaise)  jaxta  Durdanum  (Dourdan), 
Carnotensis  diocesis  (Mollat,  Jean.  XXII,  Lettres  communes,  n°  4 1  60].  Ce 
Guillaume  Chapus,  recteur  de  Sermaise,  est  très  probablement 
l'auteur  de  la  traduction  en  vers  du  Grand  Coutumier  normand. 

P.  V. 

Page  74-  L'enquête  de  1809  dont  nous  parlons  en  cet  endroit  n'avait 
pas  jusqu'à  ces  derniers  temps  été  éditée  tout  entière.  Elle  a  été  publiée 
intégralement  par  la  Société  jersiaise  sous  ce  titre  :  Rolls  uftlie  asshes 
held  in  the  Ckannel  islands  in  the  secondyear  ofthe  reign  ofKimj  Edward  II, 
anno  Domini  1309,  Jersey,  igoS,  iu-4".  Cf.  un  compte  rendu  impor- 
tant par  M.  Léopold  Delisledans  le  Journal  des  Savants,  1 906,  p.  457- 
463. 

Dans  le  passage  de  cette  enquête  auquel  nous  faisons  allusion,  les 
éditeurs  ont  lu  Mancael  (p.  73)  au  lieu  de  Maucael.  P.  V. 

Page  190.  Dans  notre  article  sur  les  Coutumiers  de  Normandie, 
nous  n'avons  point  parlé  d'une  grande  charte  de  Henri  II  relative  aux 
franchises  et  aux  coutumes  du  duché  de  Normandie,  (iette  pièce  a 
été  publiée,  en  1727,  par  Brussel,  dans  le  Nouvel  examen  de  l'usaçie  des 
fiefs,  t.  II;  Appendice,  p.  i-vi,  qui  l'intitule  «Lettres  patentes  en  forme 
«  de  charte  de  Henri  II,  roi  d'Angletex-re  et  duc  en  Normandie  ».  L'édi- 
teur ne  dit  pas  à  quelle  source  il  l'a  puisée.  Bréquigny,  en  1783,  a 
simplement  enregistré  la  pièce  dans  sa  Table  chronologicjue ,  parmi  les 
actes  de  l'année  1 155.  Elle  a  été  employée  par  les  continuateurs  du 
Glossaire  de  Du  Cange  (au  mot  Bidelus). 

Ce  document,  dont  il  n'y  a  pas  de  trace  ancienne,  doit  être  consi- 


63«  ADDI'IMONS  ET  CORRECTIONS. 

déré  comme  non  avenu.  11  a  été  calqué  sur  la  Giamle  charte  promul- 
guée par  Henri  III  à  Westminster,  le  1 1  février  1227.         L.  D. 

Page  327.  La  compilation  du  xv*  siècle  que  nous  avons  men- 
tionnée d'après  le  manuscrilB.  N.  fr.  2291 1,  daté  de  i/igô,  se  trouve 
encore  dans  un  très  beau  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  natio- 
nale de  Turin ,  qui,  heureusement,  n'a  pas  beaucoup  souffert  de  l'in- 
cendie de  janvier  1904.  Ce  manuscrit,  actuellement  coté  L.  i.  2 
[Catalogue  de  Pasini,  t.  II,  p.  482),  est  l'exemplaire  de  présentation 
oiïért  au  cardinal  Charles  de  Bourbon,  archevêque  de  Lyon  (1447- 
i488),  dont  les  armes  sont  peintes  au  bas  du  premier  feuillet  du 
texte.  C'est  pour  ce  personnage,  ami  des  beaux  livres''',  que  cette 
compilation  fut  faite.  On  lit,  en  effet,  en  tête  d'un  prologue  du  trans- 
lateur, qui  manque  au  manuscrit  de  Paris  :  «Ci  après  s'ensuit  très 
«dévote,  très  louable  et  recommandable  vye  des  anciens  saintz  pères 
«hermites,  nouvellement  translatée  de  latin  en  françois  et  diligem- 
«  ment  corrigée  en  la  cité  de  Lyon,  l'an  de  Nostre  Seigneur  mil  .iiij". 
«  .iiij**.  et  six,  sur  ce  que  en  ont  escript  et  aussi  translaté  de  grec  en 
«latin  Mons*'  saint  Jerosme,  très  dévot  et  approuvé  docteur  d'Eglise, 
«  et  autres  solitaires  religieus  après  lui.  »  P.  M. 

T'Page  34o.  Barbe  (Sainte).  Une  vie  de  sainte  Barbe,  en  2  1  sixains 
de  vers  décasyllabiques ,  se  trouve  dans  le  ms.  B.  N.  nouv.  acq.  lat.  61 5 
(fol.  124),  de  la  fin  du  xv*  siècle.  Premier  vers  : 

Vierge  excellant,  de  haulte  dignité. 

Page  342.  Catherine  d'Alexandrie  (Sainte).  Une  douzième  vie 
versifiée  de  cette  sainte  vient  d'être  reconnue  dans  un  manuscrit  exé- 
cuté en  Angleterre  et  appartenant  à  un  savant  bibliophile  anglais, 
M.  F.-W.  Bourdillon.  Cette  version,  qui  contient  près  de  900  vers 
octosyllabiques  assez  irréguliers,  paraît  avoir  été  composée  par  un 
écrivain  anglais  du  xiii'"  siècle.  Premier  vers  : 

A  loenge  lui  gtoriose  père.  '  liiyniMlqmi<*. 

P.M. 

'"'  On  sait  qu'il  avait  fait  composer  une  vie         possède  deux  manuscrits  faits  pourlui  (Delisle, 
de  saint  Louis,  et  la  Bibliothèque  nationale         Le  Cabinet  des  manuscrits,  I,  Q^,  169-170]. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS.  631 

Page  359.  Joseph.  Une  nouvelle  édition,  fort  améliorée,  du  poème 
sur  Joseph  vient  de  paraître  comme  dissertation  de  doctorat.  En  voici 
le  titre  :  luEstoire  Joseph.  Inaugural-Dissertation  zur  Erlangung  der 
Doktorwûrde  genehmigt  vor  der  philosophischen  Fakultât  der  Fried- 
rich-Wilhelms-Universitat  zu  Berlin,  von  Ernst  Sass.  19  mai  1906. 
Buchdruckerei  des  Waisenhauses  in  Halle  a.  S.  ln-8",  1 19  pages. 

P.  M. 

Page  369.  Martin  (Saint).  On  aurait  pu  noter  ici  qu'il  existe  une 
rédaction  en  prose  de  la  vie  de  saint  Martin ,  par  Péan  Gatineau  ,  dans 
le  manuscrit  1026  de  Tours  (xv"  siècle).  P.   M. 

Page  3 80.  Parmi  les  anciens  traducteurs  français  de  vies  de  saints 
on  aurait  pu  mentionner  Lambert  le  Bègue,  prêtre  du  diocèse  de 
Liège  et  fondateur  de  Tordre  des  Béguines,  qui,  au  rapport  d'Aubri 
de  Trois-Fontaines  (Pertz,  Scriptores ,  XX.[ll ,  855),  «  multos  libros,  et 
«maxime  vitas  sanctorum  et  Actus  apostolorum,  de  latino  vertit  in 
«romanum».  Cf.,  pour  plus  de  détails,  Roinania,  XXIX,  535. 

P.  M. 

Page  434,  ligne  2.  Ajouter,  entre  «saint  Paul  l'ermite»  et  «saint 
André  »,  un  n"  4 1  bis  «  saint  Adrien  ».  P.   M. 

Page  44o,  ligne  4  du  bas.  La  vie  de  saint  Nazaire  est  comprise 
aussi  dans  le  ms.  de  Saint-Pétersbourg;  voir  p.  436. 

Page  445,  ligne  i4-  Supprimer  les  mots  «et  saint  Mammès»  :  on 
possède  en  effet  une  version  française  de  la  légende  de  ce  saint  dont 
on  a  indiqué  une  copie  p.  436  et  deux  copies  p.  44o. 

P.  M. 

Pages  466,  467.  Un  manuscrit  du  xv*"  siècle  conservé  à  la  Biblio- 
thèque Vaticane,  le  Palat.  lat.  119,  contient  (fol.  1-201)  un  ouvrage 
intitulé  :  «  Jacobi  de  Lausanna  reportacio  in  Sapientie  et  Proverbio- 
rum  libros.  »  N.  V. 

Page  473.  Aux  manuscrits  qui  contiennent  sous  le  nom  de  Jacques 
de  Lausanne  le  recueil  des  maximes  commençant  par  les  mots  :  Ab- 


632  ADOniONS  ET  CORRECTIONS. 

jicit  mundiis  pauperes ,  il  convient  do  joindre  le  manuscrit  5i  1 3-5 120, 
de  la  Bibliothèque  royale  de  Bruxelles,  le  manuscrit  291  de  Prague 
et  le  manuscrit  5o^  de  l'Université  de  Pavie.  Toutefois  le  même  ou- 
vrage a  été  attribué  aussi  à  jNicolas  Biart  (voir  une  note  du  xvii'' siècle 
en  tète  du  manuscrit  latin  16490  de  la  Bibliothèque  nationale),  à  un 
certain  frère  Maurice  (^Script,  ord.  Prœd.,  I,  124)  que  Daunou  (Hist. 
lltt.  de  la  Fr.,  XXI,  182  et  suiv.)  inclinait  à  croire  Anglais  et  domini- 
cain, enfin,  dans  un  manuscrit  de  Melk,  en  Autriche,  à  Nicolas  de 
Lire.  Toutes  ces  attributions  sont  douteuses.  On  remarquera  que  ce 
même  recueil  porte,  dans  le  manuscrit  latin  16490,  le  titre  iVAbicius 
mnndi  et,  dans  le  manuscrit  de  Melk,  celui  d'Abyssus  mundi,  étranges 
déformations  des  premiers  mots  de  fouvrage  :  Abjicit  miindas.  C'est 
d'ailleurs  par  erreur  qu'on  a  signalé  dans  cet  ouvrage  de  nombreux 
emprunts  à  un  recueil  qui  figurerait  dans  le  tome  II  des  Œuvres 
de  Hugues  de  Saint-Victor.  N.   V. 


TABLE  DES  AUTEURS  ET  DES  MATIERES. 


Abacac.  Voir  Maiiiu. 

Ahano  [Pierre  d'). 

Àhbreriatio  ou  Siunma  de  ritu  sanctorwn ,  43o- 
hhi. 

Abdallah  ibn- Almoyajfa ,  traducteur  arabe  du  livre 
lie  Kalilah  et  Dimnah,  a  i  4. 

Abdioj  [T^e  Pseado-).  Ses  Apoitolica  Hiatoriie  mises 
en  français.  SpS. 

Acarin  [(iuiltuume). 

Adam  de  liot.  auteur  d'une  traduction  en  vers  de 
la  Vision  de  saint  Paul,  3'y3. 

Adgar.  dit  Guillaume,  auteur  d'un  poème  sur 
Théophile,  S^fi. 

Idoralion  des  maget.  Voir  Apparition, 

Adrien  (5aint),  vie  en  prose,  63 1  ;  version  lyon- 
naise, 445. 

Adton  de  Montieriînder.  Son  traité  de  l'Antéchrist 
rais  en  vers,  SJg;  en  prose,  Sga. 

Agapet  (.Saint),  vie  en  prose,  434,  436,  44o. 

Agathe  (Sainte],  vie  en  vers,  337;  vies  en  prose, 
4oî,  407,  4iJ,  419,  4^3,  433,  434,  437,  446-, 
>ersion  lyonnaise,  44à. 

Agnès  [Sainte),  vie  en  vers,  337;  vies  en  prose, 
'103,407,  4ii,  4i8,  4i3,  433,  434,  437,  446. 

Aide-chevel .  5o. 

Aides.  Voir  Auxilia. 

Aimeri  Picaad,  auteur  d'une  compilation  latine 
sur  les  miracles  do  saint  Jacques,  38 1. 

Aine,  ses  droits  de  justice  en  Normandie,   1^10. 

Aic-en-Provence.  Archevêques,  487. 

Alban  (Saint),  vie  en  vers,  337. 

Albert  le  Grand.  Ouvrages  de  lui  recommandés 
par  Jean  de  Jandun.  538.  —  Cité  par  Jean  de  Jan- 
dun,  54g,  553. 

Albertino  Mussato,  poète,  ami  de  Marsile  de  Pa- 
doue,  56i-565,  591,  693,  596. 

Alboino  délia  Scala,  563. 

Alexandre  (Saint),  vie  en  prose,  433. 

Alexandre  de  Sant'  Elpidio,  620. 

Alexis  (Saint),  vies  en  vers,  337;  vie  en  prose, 
4i3, 4a3,  436,  44o,  44^. 

Alfred,  traducteur  français  de  la  vie  de  saint  An- 
toine, 38o,  noie  5. 

Alleu  roturier,  i36,  137. 

Alva  y  Attorga  (Pierre  it),  igi,  igâ,  496,  5oo. 

Aharo  Pelayo,  620. 

Ami  et  Amite,  vies  en  vers,  338. 


IIIST.   I.ITTKB. 


XXXIII. 


Amieie  de  Courtenai .  é|)ouse  de  Robert  II,  comte 
d'Artois,  166,  167,  172,  173. 

Amiens  (Lie  bourgage  d'),  i38. 

Amyel  (Nicolas), 

Anastasie  (Sainte),  vies  en  prose,  407,  419,  423. 

André  (Saint),  vie  en  vers,  339;  vie,  passion, 
miracles,  398,  3g9,  4o4,  4o8,  4og,  4i3,  417, 
43o,  43i,  434,  435;  version  lyonnaise ,  444,  445. 

André  de  Coutances ,  auteur  d'une  \ersioii  en  >ers 
de  l'Evangile  de  Nicodème,  357. 

André  de  Florence,  «maître  du  roi  de  France», 
588.  Peut-être  le  même  qu'André  Ghini  Malpigli. 

André  de  Rieti,  chirurgien,  588. 

André  Ghini  Malpigli,  secrétaire  du  roi,  évé(|U(' 
d'Arras,  puis  de  Tournai,  enfin  cardinal,  588. 

Angleterre,  La  Conception  de  la  Vierge  y  est 
fêtée,  4g3. 

Annibaldo  de  Ceccano ,  |)i'oviseur  de  Sorlionne, 
cardinal,  588. 

Annonciation  Notre-Dame,  sermon  français,  iti, 
'i4i. 

Antéchrist,  époque  de  son  avènement,  5i4. 

Antéchrist  (Traité  de  1'),  par  Adson,  moine  dc^ 
Montiercnder,  mis  en  vers,  33g;  en  prose,  3g2, 
4o3,  4o8,  4i4,  43o,  443. 

Antioche  (Jkas  d'). 

Antoine  abbé  (.S'oint),  vie  traduite  par  Wauchier 
de  Denain,  aSg,  260,  263-364,  3g8,  436,  44o; 
autres  versions,  297,  422,  43o,  433,  439, 

Antoine  de  Chourse  (Manuscrit  d'),  17. 

Antoine  de  Padoue  (Saint),  vie  en  vers,  339. 

Antonini  ItinerariunH  Voir  Itinerarium. 

Apocalypse  (Commentaire  suri'),  472,  5i3,  51/1. 

Apollinaire  (Saint),  vie  en  prose,  44o. 

ApiMrition  ou  Epiphanie  (Homélie  sur  1'),  4i0, 
427,  43g. 

Arbitrage,  ])ar  Robert  <l'Artois,  entre  Mahaut  et 
Philippe  d'Artois,  172. 

Archives  des  vicomtes  en  Normandie,  i83. 

Aristote.  La  Métaphysique,  la  Logique  et  la  Rhé- 
torique citées  par  Jean  d'Antioche,  5,  6,  8.  — 
Le  sort  de  son  âme  d'après  Pierre  Auriol,  535. 
—  Emploi  que  Jean  de  Jandun  conseille  de  faire 
des  traités  d'Aristote,  537-ô3g.  —  Commentaires 
sur  le  traité  de  l'Ame,  Sag,  53o,  5 46-55 1;  sur  le 
De  Bona  Jortana,  554  ;  sur  le  traité  du  Ciel  et  du 
monde,  54 1-543;  sur  la  Métaphysique,  556-558; 

80 


634 


TABLE  DES  AUTEURS 


sur  les  l'arva  nalaralia,  55a-ôô/i^  '<ur  la  Physique, 
536-54  ■;  sur  ia  Politique,  559,  571;  sur  le  livre 
des  Problèmes,  539,  554-556;  sur  la  Rhétorique, 
558. 

Arnaud  de  Brescia ,  6o4  ,  6 1 5 . 

Arnoul  [Saint),  évéque  de  Tours,  vie  en  prose, 
4o4,  4o8,  4ii,  di8.  433. 

Arresta  communia  de  Scaccario,  i8a-i86. 

Akrêtsde  l'Ilcuiqdier  de  Normandie,  175-183. 

^rjène  (6'ain(i,  vie  en  prose,  407,  4io,  417. 

Assises  ns  Normandie,  186-190. 

Assomption  Notre-Dame  (L'),  poème  attribué  à 
Gautier  de  Coinci,  366;  récit  en  prose,  4o3,  4o8, 
4i3,  4i8,  443. 

Assomption  [ou  Trespaisement)  Notre-Dame .  poème 
par  Wace,  365. 

Astrologique  (Doctrine)  de  Jean  de  Jandun.  543 , 
554. 

Attourné,  147. 

Audijax.  Voir  Marius. 

Audrée  [Sainte),  en  latin  Etheldreda,  sa  vie  mise 
en  vers,  34o. 


Aagmento  [De),  traité  de  Jean  de  Jandun,  54'i. 

Augustin  (Saint),  vie  en  prose,  443. 

Aumône  (Don  en),  55.  Voir  Franche  aumône. 

Aurigny,  i64. 

Auriol  (Pierre). 

Auriol  [Raimond), 

Auxilia  [Tria),  189,  190. 

Avantparlier,  avocat,  i48. 

Aventin  [Saint),  vie  en  vers  perdue,  34o. 

Averroès  ,81;  cité  par  Pierre  Auriol ,  5o4  .  5o8 , 
509;  imité  par  le  même,  539;  admiré,  suivi  ou 
cité  par  Jean  de  Jandun,  53i,  538,  54o,  544. 
549-551,  553,  556.  —  Son  traité  De  Substantia 
orhis,  commenté  par  Jean  de  Jandun,  543,  54 '1. 

Avicenne,  cité  par  Pierre  Auriol,  5o4. 

Avignon.  487,  488,  567.  Concile,  589. 

Avocat  [L'),  d'après  le  Très  ancien  Coutumier 
de  Normandie,  i48. 

Avranchin.  79,   161,  186. 

j4zo,  jurisconsulte,  66,  81,  116,  117. 

Azto  Visconti,  603. 


B 


Babylas  [Saint),  vie  en  prose,  407,  4io,  436, 
439. 

Baconthorpe  [Jean  de). 

Bailli  en  Normandie,  i4i.  Bailli  de  Gisors,  de 
Caux,  170. 

Bailli  [Thomas  de). 

Banlieue,  5i. 

Baptême  (Traité  du)  attribué  à  Pierre  Auriol, 
519. 

Barbe  [Sainte),  vie  en  vers,  34o. 

Barbe  [Richard). 

Bardi  [Robert  de). 

Barlaam  et  Josaphat,  vie  en  vers,  34o;  en  prose , 
313,391,  4i8,433,  436,  443,  445.  —  Le  conte 
des  Deux  frères  tiré  originairement  de  cette  lé- 
gende, 3  '  8. 

Barnabe  [Saint) ,  vie  en  prose,  409,   417,  435, 

44i.  .        .  .         ' 

Barthélemi  [Saint),  vies  en  prose,  393,  395  ,  397, 
399,  4oi,  4o6,  409,  4i3,  417,  43o,  43i,  433, 
434,  435,  44 1;  version  lyonnaise,  444,  445. 

Barzoûyah,  auteur  de  la  rédaction  peldvie  de  Ka- 
Itlah  et  Dimnah,  303,  3o5,  349. 

Bathilde  [Sainte),  vie  en  prose,  433,  435. 

Baudouin,  empereur  de  Constantinopic,  389. 

Baume  [Pierre  de). 

Bayeux ,  64  ,  186. 

Beaamanoir,  75,    136. 

Belle  (Extraits  de),  traduits  en  français,  309. 

Belet  ou  Beleth  [Jean  de). 

Bnié/ices  ecclésiastiques.  Droit  d'en  disposer  attri- 
bué au  peuple  ou  au  prince  par  le  Defensor  pacis, 
58i. 


Benêt  [Frire),  auteur  d'une  vie  en  vers  de  saint 
Thomas  de  Cantorbéry,  377. 

Benoit  [Saint),  vie  traduite  par  Wauchier,  a-jS , 
379,  381-383,  4i3,  433,  43o,  436,  438;  trans- 
lation, 4i4.  433. 

Benoit  XII.  pape,  6ao. 

Bernard  [Saint).  Apparition  de  ce  saint  portant 
une  tache  sur  la  poitrine,  499.  Sa  doctrine  sur  la 
conception  de  la  Vierge,  499,  5oo.  —  Vie  en  prose, 
435,  438. 

Bernard  du  Chemin ,  trésorier  des  Hospitaliers , 
33,  34. 

Bernardin  de  Sienne  (.Saint),  493. 

Berri  [Jean,  duc  de). 

Bertille  (Sainte),  vie  en  prose,  435. 

Bertrand  de  la  Tour,  provincial  des  fi-ères  Mineurs 
en  Aquitaine,  484,  486. 

Biart  [Nicoltti). 

Bible  (Classification  des  livres  de  la),5ii,  5i3. 

BienJ'ete  [Etienne  de). 

Biens  ecclésiastiques.  Droit  pour  le  prince  ou 
pour  le  peuple  d'en  user  d'après  le  Defensor  pa- 
cis, 58 1. 

Biaise  (5aint),  vie  en  prose,  433.  434;  version 
lyonnaise,  445. 

Blanche  de  Bretagne ,  166. 

Blanche  de  Navarre,  épouse  de  Thibaut  III,  comte 
de  Champagne.  Version  en  prose  des  Vies  des  Pères 
qui  lui  est  adressée,  393,  395. 

Blanchelande ,  79. 

Boccafuoco  (Cottanzo), cardinal  de  Samano,  5o3, 
5o4,  536. 

Bois  [Vente  des),  63. 


ET  DES  MATIERES. 


635 


Bon  ou  Bonet  (Saint),  vie  en  vers,  31 1. 

Boniface  VIII,  pape,  g»,  577. 

Botti,  tradiicleur  syrien  de  Kalilah  et  Dimnah. 
JOi,  }od-ioS. 

Bouillon  [Gode/roi  de), 

Bourbon  [Charles  de). 

Bourbon  [Louis,  duc  de). 

Bourdons  dans  les  manuscriU  du  Grand  Coutu- 
mier  de  Normandie,  9S,  99,  110. 

Bourgage,  106,  i36-i38,  i56. 

Bourses,  46 1. 

Bourgogne  (Coutume de),  imprégnée  de  droit  nor- 
mand, 157-160. 

BoutiUier,  ses  emprunts  au  Grand  Coutumier 
normand,  i33,  iSl.Cité,  lig,  i54-i56. 

Bo.on  [Nicole). 

Brubant  [Siger  de). 


Bracton,  66,  67. 

Brandebourg  [Louis,  margrave  de),  617,  618. 

Brefs  dans  la  procédure  normande ,  1 5 1 . 

Brendan  [Saint) ,  vie  en  vers,  34 1  ;  en  prose,  387, 
'io3,  4o8,  417,  4u.  438. 

Brescia  [Arnaud  de). 

Bretagne  (Coutume  de),  i46. 

Bretagne  [Blanetie  de). 

Brice  [Saint),  vie  traduite  par  Wauchier,  278, 
■!79,  !i85,  4i3,  4îî,  43o,  434. 

Bris  (Droit  de),  75. 

Bruer  Temple,  maison  de  l'ordre  du  Temple, dans 
le  comté  de  Lincoln,  237. 

Brunetto  Latini,  il. 

Brunner.  Ses  vues  sur  le  Très  ancien  Coutumier 
de  Normandie,  44.  45.  Cité,  63. 

Buonagratia,  frère  Mineur,  482,  596. 


Cuen.   169,  186-188. 

Caëtani  (François). 

Caitani  [Jacgaes). 

Calvin  [Jean).  6îî. 

Cane  Grande  délia  Scala,  563. 

Canon  [Jean). 

Cantique  des  cantiques  (Commentaire  sur  le), 
468,  47». 

Capreotus  [Jean),  dominicain,  5^6. 

Cardinaux.  Leur  importance  excessive  d'après  le 
Defensor  pacis,  585.       * 

Carentan,  161. 

Casai  [  Ubertino  de). 

Cassien.  Voir  Excerpta. 

Cassiodore  (Extraits  de),  traduits  en  français, 
3 1  o ,  3 1 1 . 

Catalla,  biens  meubles,  i33. 

Catherine  d Alexandrie  [  Jointe) ,  vies  en  vers ,  3  '1 3  , 
63o;  en  prose,  4i3,  4 18,  4»3. 

Caux  (Pays  de),  187. 

Ceccano  [Annibaldo  de). 

Cécile  [Sainte),  vie  en  prose,  407,  4n,  4i8, 
4î3,434. 

Césène  [Michel  de). 

Cession  de  biens,  i84. 

Chaire  de  saint  Pierre  (Homélie  sur  la),  417, 
43i,  44i. 

Chambellenc  [Renaut  le). 

Champagne  (Province  de),  53o.  Voir  Blanche  de 
Navarre. 

Chandelle  d'Arras  (ta),  légende  en  prose,  iig. 

Chapu  [Guillaume). 

Charles  de  Bourbon,  archevêque  de  Lyon.  Manu- 
scrit exécuté  pour  lui,  639. 

Charles  le  Bel,  roi  de  France.  Offres  de  service» 
que  lui  adresse  Jean  de  Jandun,  535. 

Charles  V,  roi  de  FVance ,  possè<le  une  copie  de  la 


traduction  de«  Otia  imperialia  de  Gervais  de  Til- 
bury, 17,  18. 

Charles  II,  roi  dp  .Sicile.  Projet  de  croisade, 
36. 

Charondas  Le  Caron,  76,  77. 

Charte  aux  Normands,  73-74.  / 

Chartres.  Saints  du  diocèse,  456. 

Chemin  [Bernard  du). 

Cherbourg,  79. 

Cheraliers  pauvres,  i83,  i84. 

Chourse  [Antoine de). 

Chrestien ,  auteur  d'une  version  en  vers  de  l'Evan- 
gile de  Nicodème,  356. 

Chrestien  de  Troyes.  Voir  Cligès  et  Perceval. 

Christine  [Sainte),  vie  en  vers,  344;vies  en  prose, 
àoi ,  407,  4i  3  ,  4 18,  433,  434  ;  version  lyonnaise, 
445. 

Christophe  [Saint),  vie  en  vers,  344;  en  prose, 
398,  4o3 ,  407,  4 10,  4i3,  417,  436,  439;  version 
lyonnaise,  444. 

Chrysant  [Saint)  et  Daire  [Sainte),  vie  en  prose, 
4io,  433,  433,  434;  version  traduite  de  Jacques 
de  VaraEze,  898. 

Cicéron.  Ses  ouvrages  cités  par  Guillaume  de 
Saint-Etienne,  35-39.  —  Traduction  française  par 
Jean  d'Antiocbe  de  la  Rhétorique,  comprenant  le 
De  Inventione  [Rhetorica  vêtus)  et  la  Rhetorica  ad 
Herennium  [Rhetorica  nova),  3-16.  Titre  donné  dans 
les  manuscrits  à  ces  deux  ouvrages,  3. —  Premières 
traductions  françaises  de  la  Rhétorique  et  d'autres 
traités  du  même,  12,  i3. 

Clarendoii  (Constitutions  de),  53. 

Clément  [Saint),  vie  en  vers,  345 ;  en  prose,  409 , 
4i2,  433,  433,  434;  version  faite  à  Lyon  ,447. 

Clément  V.  pape,  476,  482,  491,  577,  586, 
611. 

Clément  T/.pape,  6o3,  619,  63  i . 

80. 


mê 


TABI.E  DES  AUTEURS 


clément  [Mailiurin). 

Clément  de  Tours,  76,  77. 

Clerc  suicidé,  n8. 

Clerijé.  Son  recrutement  d'après  le /Je/êiworpacw, 
581.  Voir  For. 

Cligès,  |x>èmc  de  Chreslien  de  Troyes  cité  par  nn 
éi'rivain  du  .\iii°  siècle,  3g3,  Jigb. 

CloitreSaint-Benoit  {Le  ) ,  i  Paris,  588,  689. 

Cojurateura,  io3,  io4. 

Colonna  [Jacquet). 

Colonna  [Jean). 

Colonna  [Sciarra). 

Came  et  Damien  [Saints),  vie  en  prose,  Sgg , 
Aoo,  4o3 ,  407,  l'île,  417,  /|35,  ''137,  Og. 

Commendatio  ou  Recommendatio  sacra  Scripturie , 
473. 

Compagni  [Dino). 

Compendium  tlicoloyicw  veritalis,  ouvrage  attribué  à 
saint  Thomas  d'Aquin,à  Alltert  le  Grand, etc.,  ô'Jo. 

Comput,  traité  attribué  à  tort  à  Pierre  Auriol, 
5îo. 

Conception  de  la  Vierge.  Controverse  à  ce  sujet, 
h8t ,  491-600. 

Conception  Notre-Dame,  poème  sur  l'établissement 
de  celte  fcle,  363;  mis  en  prose,  455. 

Conches,  166-168,  173. 

Concile  général.  Sa  composition  et  son  roie  dans 
le  Dejensor  pacis ,  381;  dans  le /)e/«nior  minor  de 
Marsile  dePadoue,  6i4. 

Conciles.  Voir  Avignon,  Paris,  Vienne. 

Confession.  Opinion  de  Pierre  Auriol  sur  le  secret 
de  la  — ,  5^5.  Opinion  de  Marsile  de  Padoue  sur 
l'utilité  de  la  — ,  609. 

Conrard  de  Megenberg,  6ao. 

Consorce  [Sainte),  vie  en  prose,  447. 

Consultations  sdr  la  co0tcme  de  Normandie, 
166-175. 


Contareno  [Seconda)  revise  le  texte  d'un  traité 
de  Jean  de  Jandun,  543. 

(îonteur,  avocat,  i48. 

Conversion  de  saint  Paul,  homélie  en  prose  fran- 
çaise, 409,  4 1 6,  437,  43 1.  A 

Corhara  [Pierre  de). 

Cotentin,  78,  79,  169. 

Coar  de  liome.  Abus  d'après  le  Defensor  pacis . 
585. 

Courtois  [Mathurin).  Voir  Mathurin  Clément. 

Coutanres,  78,  7g,  161,  i8s. 

Coutume,  définition  dans  le  Grand  Coutumicr 
normand,  118,  1  ig. 

Coutume  de  Bourgogne,  imprégnée  de  droit  nor- 
mand, 157-160. 

CouTvuiEits  DE  Normandie  (Les),  4i-igo.  618- 
629.  —  Voir  Grand  Coutumikr.  Thîb  ANcmN  Coi- 

TCMIER. 

Crète  [Elle  de),  auteur  d'additions  et  d'annota- 
tions à  un  traite  de  Jean  de  Jandun ,  537. 

Croisade  (Projet  de)  par  Charles  II,  roi  de  Si- 
cile, 26. 

Croisades.  Opinion  de  Marsile  de  Padoue, 
610. 

Croix.  Légende  del'arbre  dont  elle  iîit  faite.  Voir 
Seth. 

Croix  [Invention  de  la). 

Crucifiés  [  I^s  Dix  mille  ] ,  légende  mise  en  vers , 
345. 

Cucufat  [Saint) ,  vie  en  prose,  SgS,  434,  430, 
439,  i-'io- 

Curés  (Élection  des)  d'après  le  Defensor  pacis. 
58i. 

Cario  [Valentin),  6iJ. 

Cursus,  observé  par  Jean  de  Jandun  dans  le  De 
laudibus  Parisius,  533. 

CttJO  [Nicolas  de). 


D 


Daire  [Sainte).  Voir  Chrysant. 

Damien  [Saint).  Voir  Come. 

Daniel  (Commentaire  sur  le  livre  de),  469. 

Daniel  de  Saint-Etienne ,  hospitalier  de  Saint-Jean 
de  Jérusalem,  3  3. 

Dauphiné,  i46. 

David  (Saint),  vie  en  prose.  4î8. 

Débiteurs  du  roi.  184. 

Décalogue  (Traite  du)  attribué  à  Pierre  Auriol, 
519. 

Defensor  pacis ,  ouvrage  de  Marsile  de  Padoue  et 
de  Jean  de  Jandun,  568-587,  ^^9'  ^g^-^Q'i  :  ''^'^ 
de  sa  composition,  569-570;  ses  théories  poli- 
tiques, 575-577;  religieuses,  578-585;  son  reten- 
tissement prolongé ,  619-633;  ses  traductions,  6ti- 
6i3;  ses  éditions,  633. 

Denit  (5oint),  vie  en  vers,  345;  vies  en  prose, 
385-387,  ^99'  i^"-  402,407,  409,  '117,  434. 
437,  438. 


Denis  Pirumus ,  poète  anglo-normand,  346. 

Denis   Tavernier,  vicomte  de  Montivilliers,  16g. 

Dépouille  (Abus  du  droit  de)  d'après  le  Defensor 
pacis,  585. 

De  quo  warranta  (Action),  163,  i63. 

Descente  de  Jésus  au.r  enfers,  poème  francai'-, 
356. 

Desconfis ,  1 2  3. 

Desperati  en  Normandie,  1 3  3-135,  139. 

Desresne,  un  des  trois  groupes  de  procéduri' 
dans  le  Grand  Coutumier  normand,  io5,  i48, 
.49. 

Deutéronome  (Commentaire  sur  le),  i65. 

Diaita  salutis ,  ouvrage  attribué  à  tort  i  Pierre 
Auriol,  530. 

Dieudonne  [Jean  de). 

Dieudonnée  [Sainte),  vie  en  ver»,  345. 

Dimc  (Obligation  de  payer  la)  contestée  <lans  le 
Defensor  pacis,  58 1. 


ET  DES  iMATlÈUES. 


oy, 


Dino  Compagni,  568. 

Direcloriiun     vite    humane,    de  Jean  de  Capoue, 

Dispenses  de  mariage.  Droit  de  les  accorder  attri- 
bu'  au  prince  par  le  Defcnsor  pacis ,  58 1. 

Dispate  tic  saint   Pierre.  Voir  Pierre  {Saint). 

Doctor facandns ,  surnom  qui  aurait  été  attribué 
à  Pierre  Aurioi,  5  a  7. 

Dominique  {Saint),  vie  en  vers,  346. 

Domitilla  (Sainte),  vie  en  prose,  '|3,'$. 

Dôring  {Mathias),  6 a. 

Dormants  (Les  Sept),  légende  en  vers,  346;  en 
|>i'use,  3gg,  dSg. 


Dot.  Voir  Mariage. 

Douaire,  55. 

Droit.  Différentes  espèces  de  ilroit  suivant  Guil 
laume  de  Saint-Etienne,  32. 

Droit  positif,  locution  empruntée  à  Averroès 
81. 

Duel  judiciaire ,  47,  6a,  84,  i33,  i83. 

Dufour  {Michel). 

Dans  Scot  {Jean). 

Durand  {Guillnanie). 

Durand  de  Mende.  Voir  Guillaume  Durand. 

Durand  de  Sninl-Pourrain  ,  '160,  5o4  ,  610. 


E 


EccUtiaste  (Commentaire  sur  l"),  467,  47». 

Ecclésiastiiiue  (Commentaire  sur  1'),   468,  475. 

Echéance  de  côté ,  168,  170. 

Échiquier  de  \ormandie,  5 1,64,  i4i.  Recueils 
de  jurisprudence,  175-186. 

Edmond  {Saint),  archevêque  de  Cantorbéry,  vie 
en  vers,  340. 

Edmond  {Saint),  roi  d'Kstanj^ie.  vie  en  vers, 
346;  en  prose,  4 18. 

Edouard  le  Confesseur  {Saint),  roi  d'Angleterre, 
vie  en  vers,  346. 

Edouard  III ,  roi  d'Angleterre,  i63. 

Egalité  parfaite  entre  certains  cohéritiers  en 
droit  normand,  i3i. 

Egards,  esgards,  statuts  de  l'ordre  de  l'Hôpital, 
•»6,  S7. 

Eleutlwrias,  Voir  Lehire  (  Saint  ). 

Elisabeth  de  Hongrie  {Sainte),  vie  en  vers,  347; 
en    prose,  4î3,  438. 

fc'/oi  (Saint),  vie  en  vers,  347;  *"  prose,  4î3, 
44o,  44î. 

Empereur.  Son  rôle  d'après  le  Defensor  pacis , 
58 1,  582,  584,  5g3;  d'après  le  Defensor  minor. 
6i3-6i5. 

Empire  (Immixtion  des  papes  dans  les  affaires 
de  1')  d'après  le  Defensor  pacis,  586. 

Enfance  {Evangile  de  C). 

Enfants  naturels.  Droit  de  les  légitimer  attribué 
au  prince  par  le  Defensor  pacis,  58 1. 

Bnçu^te  ( Procédure  d'),  53,  54,  iSi. 

Enthymème  (ms.  Entremène)  en  logique,  8,  9. 

Epicycles  et  ercentriqnes  (Question  sur  les),  55(). 

Epiphanie.  Voir  Appnrition. 

Epitres  (Commentaires  sur  les),  471. 

Esclaeonic  {Georges  d').  Voir  Georqes  de  hayn. 

Elahlissrments  de  saint  iMuis ,  cités,   1  56. 


Etampes,  132. 

Etheldreda,  Voir  Andrée. 

Etienne  {Saint),  vie  en  prose,  409,  417.  43i, 
436, 44o,  446. 

Etienne  de  Bienfete,  169. 

Etienne  de  Saint-Luc,  5i. 

Eudes  liigaud,  archevêque  de  Rouen,  18-!. 

Eugénie  {Sainte),  vie  en  prose  ,  version  lyonnaise  , 
445. 

Eulalie  [."iainte) ,  version  lyonnaise,  445. 

Euphémie  {Sainte),  version  lyonnaise,  445. 

Euphrasie  {^ainte),  vies  en  prose,  4i4,  438. 

Euphrosyne  {Sainte),  vie  en  vers,  348;  en  prosr, 
307,  3i4,  439,  442. 

Eustache  (.Snint),  vies  en  vers,  348;  vies  en  prose, 
382-384,  4io,  4i4,  442  ;  version  française  faite  à 
Lyon,  447. 

Evangélistes.  Animaux  symboliques  les  représen- 
tant, 5 12. 

Evangile  de  l'Enfance,  version  en  vers  français. 
356. 

Evangile  de  Nicodème,  version  en  vers  français, 
356;  en  prose,  appelée  dans  certains  manuscrits 
< la  Passion  de  Notre-Seigneur»,  893,  394,  4i6. 
427,  439,  44 1,. 

Evêques  à  l'Échiquier  de  Normandie,  i84,  i85. 

Evrea.r,  5i. 

Evroul  {Saint),  vie  en  vers,  349. 

Excerpta  de  Cassien  et  de  Sulpice  Sévère  tra- 
duits en  français,  3o2-3o4,  3o6 ,  3i4. 

Excommunication  (Théorie  de  1')  dans  le  Defensor 
pacis,  578;  dans  le  Defensor  minor,  611. 

Exmes,  186. 

Exode  (Commentaire  sur  1'),  464,  472. 

Exposition  ou  Glose  du  Grand  Coutnmier  de  Nor- 
mandie. Voir  Glose. 


638 


TABLE  DES  AUTEURS 


Fabien,  vie  en  prose,  iio. 

Falaise,  i86.  ,,^\ 

Famille.  Droit  de  correction  du  chef,  ilio.    ,<' 

Fanuel  {Saint),  légende  en  vers,  S/ig,  364. 

Félice  ou  Félicité  (Sainte),  vie  en  prose,  iot, 
Ito-j ,  4ij,  4i8,  4»3,  434.  437.  \ oir  Perpéta«,i\ 

Félicien  (Saint).  \o\r  Prime.  ,',1 

Felicula  [Sainte),  vie  en  prose,  407,  4j8. 

Félix  de  Noie  (Saint) ,  vie  en  prose.  '107.  4io, 
4ï3,  436. 

Femme.  Faiblesse  de  ses  droits  successoraux  en 
Normandie,  i3i.  Soumise  au  droit  de  correction 
du  mari,  i4o. 

Feodvan.  traduit  par  ferre  dans  le  Grand  Cou- 
tumier  normand,  88,  89. 

Fetrare  (Evêqne  de),  698. 

Fiacre  (Saint),  vie  en  vers,  35o. 

Fief,  sens  divers  de  ce  mot  en  droit  normand , 
i33,  1 36.  Fief  et  aumône,  loa.  Voir  Feotium. 

Fieschi  (Laça),  cardinal,  487. 

Firmin  (Saint),  vie  en  prose,  4î5. 

Flaijrant  délit .  i4i,  i4î. 

Florence  (André  de). 


Florenct  (Pierre  de). 

Foi  (Sainte),  vie  en  vers,  3&o;  en  proie,  4i3. 

Foires  (Régime  des),  476. 

For  (Privilège  du),  71,  i4i,  li^;  attaqué  dans 
le  Dffensor  pacis ,  679. 

Formalisme,  i/i-j. 

Formes  substantielles  (Pluralité  des).  Opinion  de 
Jeau  de  Jandun,  55o. 

Foulifue  de  ['illaret.  maître  de  l'Hôpital  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem,  33,  a 4. 

Fournival  (Itichard  de). 

Franche  aumône ,  i35. 

François  Caëtani,  cardinal,  567. 

François  d'Assise  (Saint),  vie  en  ver».  35o;  en 
prose,  435. 

Frnnro'is  de  Venise,  élève  de  Marsile  de  Padouc, 
566,  569,  573,  589,  597. 

Frères  jumeaa.f  (Les  trois).  Voir  Jumfau.v. 

Fronton,  Frontin ,  tFrontoniust  (Saint),  vie»  l'n 
prose,  3o8,  3'!6. 

Fursi  ( .Saint ) ,  vie  en  prose ,4>4,4>3,43o,438. 

Ftueien  et  Victorique  (Saints),  vie  en  prose,  44o. 


G 


Cnillard,  évêque  de  Toulouse ,  483. 

Gand  (Jean  de]. 

(iandone,  Gandono,  Ganduno  (Jokannesde),\<àT 
,Iean  DR  Jandun. 

Gannat  (Guillaume  de). 

Garde  des  mineurs ,  b6-58,  i56,  171.  18Ô. 

Garnier  de  Pnnt-Sainlc-Maxence ,  auteur  d'une 
vie  en  vers  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry,  376. 

(ioud'er  de  Coinci,  auteur  présumé  d'un  poème 
sur  l'Assomption,  366;  d'un  poème  sur  Théophile, 
376. 

Gavreio  (Radidfus  Gillanus  de). 

Gefrni  des  Nés ,  auteur  de  la  vie  en  vers  de  saint 
Magloire,  36 1. 

Gendini  (Johannes),  Voir  Jean  DE  Janddn. 

Gendinio ,  Genduno  (Johannes  de).  Voir  Jean  de 
Jandun. 

Généalogie  Notre-Dame  (La),  poème,  366. 

Gènes,  565. 

Genèse  (Commentaire  sur  la),  463,  47». 

Geneviève  (Sainte),  vie  en  vers,  35o;  en  prose, 
4îa ,  4^3,  435. 

Georges  (.Saint),  vies  en  vers,  35 1  ;  vies  en  prose, 
4oi,  4>o,  4i3,  417,  433,  436,  439,  436;  version 
lyonnaise,  445. 

Georges  de  Hajn  ou  d'Esclavonie,  5 10. 

Germer  (Saint),  vie  en  ver»,  35 1. 

Gervais  et  Protnis  (iSom(i),  436,  44o. 


Gervais  de  Tilbitry.  Ses  Otia  imperialia .  traduits 
par  .Tean  d'Antioche,  17-23.  Autre  tracjjartion  par 
Jean  duVisnai,  18,634. 

Geufroi  de  Paris ,  auteur  d'une  traduction  en  vers 
du  Purgatoire  de  saint  Patrice,  373;  remanie  une 
version  en  vers  de  la  Vision  de  saint  Paul,  371. 

Ghandoni  (Johannes).  Voir  Jban  de  Janddn. 

Ghini  Malpigli  (André). 

Gilbert  de  La  Porrée,  cité  par  Pierre  Auriol, 
5o4. 

Gilbert  de  Vascceuil,  5i. 

Gillanus  (Radulfus). 

Gilles  (Saint),  vie  en  vers,  35a;  en  prose,  4i3, 
433,  434,  436,  443;  version  abrégée,  3 18. 

Gilles  de  Rome,  558. 

Girart  de  Rotissillon ,  traduction  française  de  s» 
légende  faite  en  Bourgogne,  437. 

Glanville,  auUnirdu  Tractaius  de  legibus ,  49. 

Glose  du  Grand  (x>utumier  de  Normandie,  du 
xv'  siècle,  69,  91,  96,  137,  laS,  161. 

Godefroi  de  liouillon.  Charte  fausse,  36,  39,  3o. 

Godefroi  III ,  duc  de  Lothier.  Charte  de  lui  attri- 
buée A  Godefroi  de  Bouillon,  39,  3o. 

Godric  (Saint),  vie  en  prose,  433. 

Golein  (Jean), 

Grand  Coctumier  de  NoRMANniE  ou  Summa  de 
legihut  Normannie.  6,5-i65,  639.  Auteur  et  tra- 
ducteur; critique  du  texte,  65-1 16.  Analyse  de  l'ou- 


ET  DES  MATIERES. 


639 


vrage,  116-157.  Coutume  de  Bourgogne  appa- 
rentée au  Grand  Coutuniier  normana ,  157-160. 
Cité,  5o,  173,  i85,   189. 

Grec*.  Opinion  de  Marsile  de  Padoue,  6i4. 

Grégoire,  saint  apocryphe,  vie  en  vers,  35ï. 

Grégoire  le  Grand  [Saint].  Le  Dialogue,  traduit 
par  VVauchier,  iSg,  269-172;  traduction  du  Pasto- 
rale,  4iï ,  4^3,  44o  (note  8)  ;  vie  en  vers,  35a  ;  vie 
en  prose,  ha,  433,  434,  'i38,  44o,  44». 

Grégoire  XI,  pape,  631. 

Grive  [Philippe  de). 

Gripeel  [  Guillaume  du  ). 

Guernesey,  74,  76,  165-16D. 

Guerre  privée,  4^. 

Gtiido,  scribe,  77. 

Guillaume.  Voir  Adi/ur. 

Guillaume,  clerc  normand,  auteur  présumé  du 
|>oème  de  Tobie,  377. 

Guillaume,  évéque  de  Coutances,  177. 

Guillaume,  prieur  de  kenilworth,  377, 

Guillaume,  roi  d'Angleterre,  saint  a|M}crypbe,  vie 
en  vers,  353. 

Guillaume  (  Frère) ,  de  l'ordre  de  l'Hôpital  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem  ,3. 

Guillaume  Acarin ,  attaché  au  grefife  de  l'Echi- 
quier, 181. 

Guillaume  Chapu,  auteur  de  la  traduction  en 
vers  du  Grand Contumier  normand .  iii-ii5,  639. 

Guillaume  de  Bordigni ,  168. 

Guillaume  de  Cayeux ,  l'un  des  protecteurs  de 
Pierre  [de  Beauvaisl,  38 1. 


Guillaume  de  Gannat,  frère  Prêcheur,  auteur 
du   traité    De    nera    innocentia    matris    Dei.   496, 

*97-  .  ,  .      .  . 

Guillaume  de  Saint-Etienne ,  hospitalier  de  Saint- 
Jean  de  Jérusalem,  i-3,  a3-4o;  commandeur  dans 
l'ile  de  Chypre,  34,  3  5.  Ses  statuts  de  l'ordre  de 
Saint-Jean  de  Jérusalem,  a3-3o;  sa  lettre  à  Guil- 
laume de  Villaret,  3i.  Son  sens  critique,  37.  Ses 
idées  sur  le  gouvernement  de  l'ordre  de  l'Hôpital, 
3o.  Sa  connaissance  de  la  littérature  ecclésiastique , 
34 ,  35.  Emploi  fait  par  lui  de  textes  empruntés  à 
Cicéron,  35-39. 

Guillaume  des  Nés,  traducteur  de  la  vie  de  saint 
Teliau,  438. 

Guillaume  de  Villaret,  maître  de  l'Hôpital  de 
.SaintJean  de  Jérusalem,  16.  Lettre  à  lui  adressée, 
3i. 

Guillaume  de  PVare,  527. 

Guillaume  dOccam,  533,  619,  632. 

Guillaume  du  Gripeel ,  vicomte  de  Caen,  169. 

Guillaume  Durand,  i33,  583  ,  610. 

Guillaume  Fils  Raoul,  sénéchal  de  Normandie, 
âi.  Sa  ,  53,  54. 

Guillaume  le  Bâtard,  duc  de  Normandie,  43, 

Guillaïune  te  Maréchal,  65. 

Guillaume  le  Rouillé,  d'Alençon,   161. 

Guillaume  le  Roux,  roi  d'Angleterre,  4i. 

Guillaume  Patri ,  46. 

Guillaume  fVarron,  maître  de  Ouns  Scot,  493, 
499,  5o4. 


H 


Harens  [De),  surnom  de  maître  Jean  d'An- 
tioche,  3. 

//nro(Cride),  <43. 

Heimburg  [Grégoire),  622. 

Hélie  (  Thomas  ). 

Henri  K  empereur,  133. 

Henri  V,  roi  d'Angleterre,  45 ,  46. 

Henri  H,  roi  d'Angleterre,  63,  64,  78. 

Henri  UI,  roi  d'Angleterre,  i63,  477. 

Henui  d'Ahci,  auteur  d'une  traduction  en  vers 
des  Vies  des  Pères,  257-358;  de  la  Vision  de  saint 
Paul ,  373. 

Henri  VH  de  Luxembowij ,  roi  des  Romains ,  56 1 , 
564,565,586. 

Hérétiques.  Droit  de  les  juger  réservé  au  pouvoir 
civil  dans  le  Defensor  pacis ,  58o. 

Herman  de  Valenciennes ,  auteur  d'un  poème  sur 
la  Passion,  358  ;  de  L'Assomption  Notre-Dame ,  366. 

Hervé  Nedellec ,  général  des  dominicains ,  46 1 , 
5o4. 

Heures  canoniques ,  en  français ,  4  'i  1 . 

Hiérarchie  ecclésiastitiue  attaquée  dans  le  Defensor 
pacis,  593, 

Hilaire  [Saint),  vie  en  prose,  423. 


Hilarion  [Saint),  sa  vie  traduite  par  Wauchier, 
359,  365-a66,  43o,  434;  autres  versions,  3ii, 
3i4. 

Hildevert  [Saint),  vie  en  vers,  353. 

Hilduin,  abbé  de  Saint-Denis,  sa  vie  de  saint 
Denis  traduite  en  prose,  385. 

Hippolyte  [Saint),  vie  en  prose,  4o3,  4o8,  4 10, 
4i3,  417,  434,  437,  43g. 

Histoire  ancienne  jusqu'à  César,  compilation  dé- 
diée à  Roger,  châtelain  de  Lille,  et  attribuée  à 
Wauchier  de  Denain ,  389,  391. 

Histoire  de  Jésus  après  son  enfance,  poème  fran- 
çais, 357. 

Histoire  de  Jésus  jusqu'à  son  baptême,  poème 
français,  p.  358. 

Histoire  de  Jésus  jusqu'à  la  Passion,  poème  fran- 
çais, 357. 

Histoire  de  Marie  et  de  Jésus,  poème  français, 
355  ,  364. 

Histoire  des  Trois  Maries,  poème,  364. 

Historia  Monachoram.  Voir  Ru/in  d'Aquilée. 

Homicide  dans  le  Très  ancien  Contumier,  61. 

Hommage.  i34,  i35,  i46,  i55,  i56;  sans  con- 
cession de  terre ,  i33,  i33. 


(i40 


I ABLE  DES  AUTEURS 


Hôpital  de  Saint-Jean  de  Jéimulcin.  Statuts  «le 
l'ordre,  3  3-35.  Addition  faites  aux  statuts,  4o.  Ori- 
i;ines  fabuleuses  de  l'ordre,  37.  Droit  suivi  dans 
l'ordre,  Sî. 

Hospitaliers  de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  Voir  Hô- 
pital. 

Hoidlebec,  127. 


Hue  de  Paris,  76,  77. 

Huyues  de  Morville ,  étèque  de  Coutanres,  78. 

Hugues  de  Saltrey,  auteur  du  Purgatoire  de  saint 
Patrice,  Sgi. 

Huijues  de  Vaucemain,  prieur  de*  dominirains, 
46i. 

Hymnes  intercalées  dans  des  sermons,  5 18. 


Ignace  {Saint),  vie  en  prose,  133,  433. 

lldejonse  [Suint),  miracle  en  vers,  353. 

Iles  Normandes ,  70  (note),  74,  76,  i63-i65. 

Indulgences.  Opinion  de  Marsile  de  Padoue,  G 10. 

Infaillibilité  du  pape  (Doctrine  de  T),  494. 

Innocents  [I^s),  martyre,  en  prose,  4'lo,  443. 

Institutes  de  Justinien,  76.  Mises  en  vers  fran- 
çais, 1 13. 

/n(e//ec(  (Unité  de  1').  Opinion  de  Jean  de  Jandun, 
549. 


Intestat,  n3-i36,   129. 

Invention  de  la  Sainte  Croix,  légende  en  vers, 
345;  en  prose,  4o3,  407,  4io,  4>8,  435,  44i, 
443;  version  lyonnaise,  445. 

Irène  (Sainte),  vie  en  prose,  4i3. 

Irénée  [Saint],  vie  en  prose,  447- 

haïe  (Commentaire  sur),  469,  473,  5i6. 

Ilinerarium  Antonini  martyris ,  version  en  prose, 
3«3,  3i4. 


Jacobns  de  Osanna,  469. 

Jacques  Caëtani,  cardinal,  487. 

Jacijues  Colnnna,  597. 

Jacques  de  Ladsanse,  frère  Préclieur,  auteur  de 
commentaires  sur  l'Ecriture  et  de  sermons,  45g- 
479,  63i;  provincial  de  France,  46>;  son  goût 
pour  les  traits  plaisants,  46i,  4O3,  466,  471; 
ses  satires  contre  le  clergé  séculier,  463,  464,  468, 
469,  475  ;  sa  façon  de  prêcher,  474-I79. 

Jacques  de  .Stefaneschi ,  cardinal,  567. 

Jacques  de  Varazze  (ou  de  Vorayinc),  4oo,  436, 
448. 

.Jacques  le  Majeur  (Saint),  vie  en  prose  r.'digée 
d'après  un  poème  français,  353,  388,  SgS;  tra- 
duite du  latin,  397,  399,  4oi,  4o6,  4>o,  4i3, 
417,  43o,  43i,  433,  434;  version  lyonnaise,  4^4. 
446.  Voir  Liber  de  miraculis  .S.  Jacobi. 

Jacques  le  Mineur  (.S'oint),  vies  en  prose,  397, 
399,401,  4o'i,  409,  4i3,  4i3,  417,  433,  434; 
version  lyonnaise,  444. 

Jandun,  commune  du  déparlement  des  Ardennes, 
5a  9. 

Jandun  (Jkan  de). 

Janvier  (.Saint),  vie  en  prose,  433. 

Jean ,  diacre.  Les  Verba  seniorum  traduits  en 
latin  par  cet  écrivain,  puis  mis  en  français,  3o6. 

Jean ,  <luc  de  Berri ,  1 3, 

Jean  XXII,  pape,  036,  069-573,  577,  58o, 
585-587,  694  ,616.  Faveurs  accordées  à  Jacques  de 
Lausanne,  4 60;  à  Pierre  AurinI,  485,  487;  à  .lean 
de  Jandun,  53o,  536;  a  Marsile  de  Padoue,  567. 
Bulles  dirigées  contre  Jean  de  Jandun  et  Marsile 
de  Padoue,  58g,  5go,  5g3-594, 596-5gg,  619,  630. 


Jean,  prêtre  de  Larcliant,  auteur  d'une  vie  en 
vers  de  saint  Matliurin,  369. 

Jean,  roi  d'Angleterre,  i63. 

Jean-Baptiste  (Saint),  vie  en  vers,  354;  vies  en 
pro^e,  393,  409,  44 1. 

Jean  lielel.  Sa  Snmma  traduite  en  français,  45o. 

Jean  lielet  ou  Beleth ,  auteur  inconnu  à  qui  cer- 
tains mss.  attribuent  un  recueil  de  vies  de  saints 
en  prose  française,  43  6. 

Jean  Bouche  d'or  [Saint).  Sa  légende  introduite 
dans  celle  de  sainte  Dieudonnée,  345,  354. 

Jean  Canon  ,536. 

Jean  Colonnu,  596. 

Jean  d'Axtiocue  (  Maître) ,  1-33;  surnommé  de]  la- 
rens,  3;  appelé  maiire  Harent  d'Antioclie,  18,  19; 
réside  à  Saint-Jean-<rAcre  en  1383,  3,3,  i3.  Ses 
idées  sur  la  façon  de  traduire  les  auteurs  anciens, 
7.  Sa  traduction  de   la   Rhétorique  de  Cicéron,  3- 

1  6.  Comment  il  a  fondu  ensemble  le  De  Inventione 
et  le  traité  Ad  Ilerenniuin,  4.  Prologue  et  annexes 
ajoutés  par  le  traducteur,  4.  Gloses  comprises  dans 
la  traduction  de  la  Rhétorique,  et  parfois  indùni/nt 
insérées  dans  le  texte ,  9 ,  1 6 , 1 7.  Le  manuscrit  de  la 
traduction  de  la  Rhétorique  conservé  à  Chantilly, 

2  1.  Son  caractère  d'originalité  et  corrections  qu'il  a 
subies,  i3-i6.  Exemple  du  style  de  la  traduction  di' 
la  Rhétorique,  9.  Auteur  d'un  traité  élémentaire  de 
logique,  8.  Traduction  des  Otia  imfierialia  de  Cer- 
vais  de  Tilbury,  18-23.  Exemple  du  style  de  cette 
traduction  des  Otia  imi>erialia,  19. 

Jean  de  B<iconthorpe ,  5o5,  607,  5o8.  5»6. 
Jean  de  Capoue,  auteur  du  Dirrctorium  rite  hu- 
mane,  308,  319,  330. 


ET  DES  MATIERES. 


641 


Jean  de  Chanteloii ,  1 68. 

Jean  de  Dicadnnne ,  621. 

Jean  de  Forest ,  169. 

Jean  de  Gand,  ronfondu  avec  Jean  de  Jaiulun, 
338,  529,  539. 

Jean  de  Janduk,  maitre  es  arts  et  maitrc  de  phi- 
losophie au  collège  de  Navarre,  528.  Oiiyiiif  de 
son  nom,  339.  Ses  écrits  philosophiques,  329.  536- 
558.  Son  traité  de  rhétorique,  538.  Chanoine  de 
Senlis,  53o.  Ses  éloges  de  Sentis  et  de  Paris,  5.3 1- 
536 ,  538-56o.  Ses  rapports  avec  Marsile  de  Padoue , 
i^^  ,  555,  568.  Sa  collaboration  au  Defensor  imcis , 
571-573.  Son  projet  d'étahlissementau  Cloîlre-Saint- 
Benoit,  588.  Son  séjour  en  Allemagne,  389-591; 
à  Rome,  596.  Nommé  évéque  de  Ferrare  par  Loui^ 
de  Bavière ,  5g8,  601.  Lieu  et  date  de  sa  mort. 
399-602.  Succès  de  ses  ouvrages  philosophiques, 
618. 

Jean  de  La  Chaleur,  chancelier  de  l'église  de 
Paris,  611. 

Jean  del  Primo ,  frère  Mineur,  48». 

Jean  de  Mai-liano,  médecin  milanais,  366. 

Jean  de  Paris,  48 1. 

Jean  de  Paris,  ou  Jean  Qui  dort,  56o,  582. 

Jean  de  Saint-Lyenart ,  bailli  de  Caen,  169. 

Jean  dEssei,  évéque  de  Coulaiices,  182. 

Jean  de(oudu)  FiV/nai.Sa  traduction  des  Otia  inipe- 
rialiade  Gervais  de  Tilbury,  18,  62.4-627; de  la  Ijé- 
gcnde  dorée,  45o.  Son  ignoi'anrc  de  la  géogiapliie 
de  la  France ,  î  1 . 

Jean  du  Fay,  168. 

Jean  Duiu  .Scot,  48 1,  493,  Su,  5i3,  326,  327, 
539. 

Jean  du  Viijnai.  Voir  .Jean  de  Vignai. 

Jean  Golein ,  621. 

Jean  l'Aumonier  (Saint) ,  vie  en  vers,  353. 

Jean  l'Evangélislc  (Saint),  vie  en  ver»,  354;  vie  et 
passion  en  prose,  393,  397,  399,  4oi,  4o6,  4og, 
in,  417,  424,  43 1,  433,  434,  435,  443;  mar- 
tyre, 4oi,  4o6,  409,  4i2  ,  417.  435;  version  lyon- 
naise, 444.  Commentaire  sur  l'évangile  de  —  ,  '171. 

Jean  Patdiu  [Saint),  vie  en  vers,  354;  la  même 
vie  mise  en  prose,  448. 

Jeanne  de  Flandre,  fille  de  Baudouin,  empereur 
<le  Constantinople;  écrits  de  Wauchier  de  Denain 
composés  à  sa  requête,  289,  291. 

Jeanne  de  Navarre,  femme  de  Philippe  le  Bel;  la 


traduction  castillane  de  Kalilali  et  Dimnah  lui  est 
offerte,  191.  Mentionnée,  53o. 

Jérôme  [.Saint].  Sa  vie  tra<luile  |>ar  Wauchier, 
378,  381,  4i3,  423,  43o,  436,  438,  438,  44o, 
44 1.  Pierre  Auriol  commente  une  de  ses  épîtres  à 
saint  Paulin  et  sa  préface  à  la  traduction  du  Penta- 
leuque,  517. 

Jersey,  7'!,  75,  162-165. 

Jérnsalem.  Voir  Hôpital. 

Jésus-Christ,  poèmes  français  sur  sa  vie,  355. 
Voir  Histoire  de  Jésus. 

Job  (Le  livre  de)  mis  en  vers,  359. 

Joh  (Commentaire  sur),  465,  472,  020. 

Josaphat.  Voir  Barlaam  et  .Josaphal. 

Joseph,  lils  de  Jacob,  vie  en  vers,  SSg,  63o. 

Jossc  (.S'oint),  vie  en  vers,  339. 

Josué  (Commentaire  sur),  466, 

Judas,  vie  en  vers,  36o. 

Jude.  Voir  Simon, 

Jugement.  Théorie  do  l'auteur  du  Grand  Coutu- 
niier  normand,  130. 

Jui]es  (Comnientaira  sur  h's),  466. 

Julien  [Saint)  et  liasilisse  [.Sainte],  vie  en  prose, 
44o. 

Jidien  de  Brioude  ou  l'Hospitalier  (Saint) ,  vie  en 
vers  par  aRogieri,  36o;  rédaction  en  prose  de  ce 
poème,  388,  4o3,  4o8,  '117.  43i,  433,  435, 
437,443,443. 

Julien  du  Mans  (5aint),  4i4,  433. 

Julienne  [Sainte),  vie  en  vers,  36o;  en  prose, 
i 33,  433,  434. 

Jumeaux  (Les  trois  Jrères),  vie  en  prose,  407, 
'110,  436,  439. 

Jurés  dans  les  îles  de  Jersey  et  Guernesey,  i63. 

Juridiction  coactive  déniée  au  pape  et  au  clergé 
par  Jean  de  Jandun  et  Marsile  de  Padoue,  078, 
608. 

Juridiction  ecclésiastique  d'après  le  Defensor  jMcis , 
579,  58 1,  593;  d'après  le  Defensor  minor  de  Mar- 
sile de  Padoue,  607,  608. 

Jurisprudence  normande,  174-190. 

Jurypn  Normandie,  i'i3,  i44.  Laïque, mixte, 82. 

Jus,  définition  dans  le  Grand  Coutumier  noi- 
mand,  io5 ,  117. 

Justice  du  duc  de  Normandie,  42. 

Justitia.  Sens  de  ce  mot  d'après  le  Grand  Cou- 
tumier normand  ,117. 


Kaldak  et  Dimnah  [Le  livre  de),  traduit  en  cas- 
tillan, 191,  198-199;  de  castillan  en  latin,  par 
Kaimond  de  Béziers,  192;  les  deux  exemplaires 
de  celte  traduction,  192-197;  version  syriaque, 
201;  version    arabe,    202,   2i3-2i5;   version   hé- 


braïque, 220;  la  vei-sion  de  Raimond  de  Béziers 
comparée  avec  le  Directorium  vite  Aumône  de 
Jean  de  Capoue,  228-243. 

Klimra'h.    .Son  opinion    sur  l'origine  du  Grand 
<]outumier  normand,  76-77. 


iST.  i.rnKR. 


81 


642 


lABT.K  DES  \tTEURS 


La  Chaleur  (Jean  de). 

Im  Foy  [De).  Critique  de  son  opinion  sur  l'au- 
U'iir  (lu  Grand  coutumier  normand,  yâ,  76. 

Lambert  (Saint),  vie  en  prose,  4o3 ,  4o8,  4>o, 
4ia,  417,  434  ,  437,  439. 

Ijimhrrt  le  Bègue  traduit  en  français  des  vie»  des 
saints,  63o. 

[Mndolfo  Colonnn .  60  r,  6o5. 

Landri  de  fVahen,  auteur  d'une  version  perdue  du 
Cantique  des  cantuiues ,  38o. 

La  Porrée  (Gilbert  de). 

Tjiiini  (Brunetto). 

La  Tour  [BerOand  de). 

Laurent  (Saint),  vie  en  ver»,  36o;  en  prose, 
4oa ,  4o8,  4io,  4i2,  417,  433,  437,  439,  44i. 

Lausanne.  Couvent  de  SaintrDominique ,  459- 
Évéques,  459,  461. 

Lausanne  (Jacques  de). 

Lazare  (Saint).  Compilation  française  sur  — , 
438. 

LÉGENDES  MAGldGRAPHIQUES  EN  PROSE,  378-458. 
LÉGKNDF.S  HAGIOGRAPHIQUES  EN  VERS,   339-378. 
Légemlier  de  Chartres,  455-456. 
Léfjendiers  manuscrits.  Liste,  457. 

LÉGENDIERS  CLASSES  SELON  l'ORDRE  DE  l'aNNÉE 
LITURGIQUE,  448-456. 

Léger  (Saint),  vie  en  vers,  36 1. 

Lehire  (Saint),  Ëleutherius,  vie  en  vers,  36 1. 

fjéocttdie  (Sainte),  vie  en  vers,  36 1. 

Jjéonard  (Saint),  vie  en  prose,  4^8. 

Le  Rouillé  (  Guillaume  ),  1 5 1 . 

Leu  (Saint),  vie  en  vers,  36 1. 

Lévitigue  (Commentaire  sur  ie),  464,  à^i. 

Lex  apparens,  i48,  i5o. 

Lex  probabilis  oa  monstralis,  i48-i4g. 


Le.c  simple.!-,  i48. 

Liber  de  miraculis  .S'.  Jacobi ,  traduit  m  l'rauiai'*, 
38i. 

Lieux  (Les)  en  logique,  9. 

Ligier,  cité,  119,  110. 

Lille.  i54. 

Lire  (Nicolas  de). 

fjogicn,  attribuée  à  Pierre  Auriol,  5 18. 

Logique.  Ses  caractères  selon  Jean  d'Antiochp,  8. 

Loi.  DéGnition  du  Grand  Coutumier  normiind . 
118,  ii9< 

Lombard  (Pierre). 

Ijongastre  (Rogier  de).  ^■ 

fjongin  (Saint) ,  vie  en  prose,  398,  399,  40»V 
407,  4io,  4u,  4i8,  439,  44i.      '  "        '■ 

Lonque  évangile  (  [m)  ,  en  pTn}ie ,  fn'i. 

Lothicr  (  Godejroi  IIÏ,  duc  de  ). 

Loui'j  (5aint),  roi  de  France,  73,  83,  89. 

fjouis  X,  roi  de  France,  75-74. 

Louis  de  Baviire,  empereur,  536 ,  569-57«  ,  586  , 
594.  61 5,  616;  ses  relations  avec  Marsile  de 
Padoue  et  Jean  de  Jandun,  571,  SSg-Sga,  696 , 
600,  60 a,  6o3 ,  6o5,  617,  6i8,  610,  631;  li' 
Defensor  pacis  lui  est  dédié,  576,  586,  587. 

Louis  le  Bon,  duc  de  Bourbon,  i3. 

Luc  (Saint),  vie  en  prose,  4o4 ,  407,  409,  417. 

Lac  (Commentaire  sur  l'évangile  de  saint),  470. 

Lucie  ou  Luce  [Sainte),  vie  envers,  36i  ;  vies  en 
prose,  4o2,  407,  4i',  4»3,  434,  437,  438; 
version  lyonnaise,  445. 

Luther  (Martin),  6a». 

Lyon.  Légendier  en  dialecte  de  — ,  443;  légen- 
dier  français  composé  à  — ,  446;  fête  de  la 
Conception  de  la  Vierge  célébrée  à  — .  Voir  j|f«r- 
tjrs. 


M 


Madeleine.  Voir  Marie-Madeleine. 

Magloire  (Saint),  vie  en  vers,  36i. 

Mahaut  i Artois ,  épouse  d'Othon  IV,  comte  de 
Bourgogne.  Procès  avec  son  frère  Philippe,  i66- 
174. 

Mainardino  (Bannmatteo  ). 

Manardino.  Mainardinus  (Marsilius).  Voir  Mar- 
sile DE  Padode. 

Maître,  son  droit  de  correction,  i4o. 

Majorité.  Vues  de  l'auteur  du  Grand  Coutumier 
normand,  110. 

Malckas    (Saint),    vie  traduite   par    Wauchier, 


259,  266-267,  'i3o;  autres  versions,  3i2,  3i4, 
325. 

Mamertin  (Saint),  vie  en  prose,  4i4. 

Mammis  (.'iaint) ,  vie  en  prose,  398,  436,  44o; 
version  lyonnaise,  445. 

Mantucrits  des  légendes  hagiographiques  en  prose . 
457-458. 

Manuscrits  des  traductions  françaises  des  Vies  des 
Pires  et  de  quelques  vies  de  saints ,  faites  par  Wauchier 
deDenain,  269,  278-279. 

Manuscrits  des  traductions  françaises  des  Viei  des 
Pères,  327-328. 

Marc  (Saint),    vies  en   prose,   398,  399,  4oi  . 


ET  DES  MATIERES. 


643 


407,  àog,  4i2,  iisS,  /i3i ,  433,  434  ,  44i  ;  version 
lyonnaise,  445. 

Atarciac  (Concile  de),  589. 

Margat  (Etablissement  du),  partie  des  statuts  de 
l'ordre  des  Hospitaliers,  24  ,  2g. 

Marguerite  (Mainte),  vies  en  vers,  36î;  en  prose, 
4i4.  423,  433,  44o,  443. 

Marguerite  à  la  Grande  Bouche ,  617,  618. 

Mariage.  Idées  de  Marsile  de  Padoue,  61 5. 

Mariage  ou  dot  en  droit  normand,  168-170. 

Mariaqe  Noire-Dame  (Ay«),  poème  français,  366. 

Marie,  mère  du  Sauveur,  célébrée  en  divers 
poèmes,  363.  Voir  Annonciation ,  Astomption ,  Con- 
ception ,  Histoire  des  Trois  Maries .  Purification. 

Marie  la  pécheresse,  nièce  de  l'ermite  Abraham, 
vie  en  pro"«>,  307,  3i^i,  442- 

Marie  l' Égyptienne  [Sainte),  vieen  Ter»,  367 ;  vies 
en  prose,  4o4 ,  4o8,  4i4.  4i8,  423,  438,  44i' 

Marie-Madeleine  (Sainte),  vie  en  vers,  368;  vies 
en  prose,  389-3go,  3g3,  4o4,  4o8,  4i8,  423, 
437,438,43g,  44i,  443;  version  lyonnaise,  445. 

Marie*  [Les  Trois),  poèmes,  367. 

Wan'ne  [Sainte),  vie  en  vers,  36g;  en  prose, 
.307,  3i4,  423,  44». 

Warijojfiani.  55,  60,  167,  187,  188.  Voir  Ma- 
riage. 

Marins  [Saint),  sainte  Marthe  et  leurs  fils  Andifa.r 
et  Abacuc,  vie  en  prose,  407,  4  10,  436,  439. 

Marliano  [Jean  de). 

Marsile  de  Padode  ou  Mainardino,  528.  Son 
origine,  561;  ses  premières  aventures,  563-565; 
ses  études  de  médecine  et  de  physique,  56»,  563; 
recteur  de  l'Université  de  Paris,  565,  566;  cha- 
noine de  Padoue,  567;  ses  rapports  avec  Jean  de 
Jandun,  554,  555,  568;  auteur  du  Defensor 
imcis,  568-587;  son  séjour  en  Allemagne,  58g- 
ôgi;  à  Rome,  595-5g7,  616;  nommé  arclie- 
\ëque  de  Milan,  5gg,  602;  son  De  Translatione 
htiperii  iiomani ,  6o3-6o5;  son  Dejensor  minor, 
606-616,  618;  son  De  jurisdictione  Imperatoris 
in  causa  matrimoniali ,  617-618. 

Marsile  de  .Sainte-Sophie ,  médecin  padouan,  566. 

Marthe  [Sainte),  vie  en  vers,  36g;  vies  en  prose, 
288-28g,  2gi,  423,  438,  439,  443. 

Marthe  [Sainte),  Voir  .Wari'iu. 

Martial  [Saint),  vies  en  prose,  3g8,  4i3,  423, 
43o,  436,  44o;  version  lyonnaise,  444. 

Martin  de  Tours  [Saint),  vie  traduite  en  vers  par 
Péan  (ou  Paien)  Gastineau,  36g;  traduite  en  prose 
par  Wauchier  de  Denain,  278,  27g,  282-285, 
'112,  417,  422,  43o,  434,  443;  version  en  prose 
faite  à  Lyon,  44?. 


Martinien  (.Saint).  Voir  Procès  et  Martinien 
[Saints). 

Martyrs  (Le*  quarante-huit)  de  Lyon,  447. 

Mathias  [Saint),  vie  en  prose,  4» 7,  433,  44 1. 

Matliieu  (.Saint),  vies  en  prose,  3g7,  3gg,  4oi, 
4o6,  4og,  4i2,  417,  43o,  43i,  433,  434,  435; 
version  lyonnaise,  444,  446. 

Mathieu.  (Commentaires  sur  l'évangile  de  saint), 
470,  472. 

Mathurin  (.Saint;,  sa  vie  mise  en  vers  par  Jean, 
prêtre  deLarchanl,  36g. 

jValAurin  Clément  ou  Courtois .  doyen  de  la  Fa- 
culté de  théologie  de  Paris,  4g  1. 

Matteo  Visconti ,  563. 

Maucael,  auteur  probable  du  Grand  Coutumier 
normand,  74,  75,  78,  79,  81,  16». 

Maur  [Saint),  vie  en  prose,  4i4,  422. 

Maurice  (Frère),  63 1. 

Maurice  [Saint),  vie  en  prose,  427. 

Maynardino  [Marsilius  de).  Voir  Marsile  de  Pa- 

DOCE. 

Megenberg  [Conrard  de). 

Melaine  [Saint),  vie  en  vers,  370. 

Menandrinus ,  Menardinus  [Marsilius).  Voir  Mar- 
sile DE  Padoie. 

Metz.  Légendes  de  saints  appartenant  à  ce  diocèse , 
45i. 

Meyronnes  [François  de). 

Michel  de  Césène ,  général  des  frères  Mineurs, 
484,  600-602,  620. 

Michel  Du  four,  dominicain,  470. 

Milan,  563,  Sgi. 

Milan  (Archevêque  de),  Sgg,  602. 

Mineurs  [Les Jrhes) ,  61g,  620. 

Mitinm ,  groupe  de  personnes  liées  par  une  obli- 
gation de   pleigerie,  147. 

Modwenne  [Sainte),  vie  en  vers,  370. 

Moïse  [Saint),  vie  en  vers,  370. 

Malins  [Bocfer  de  y 

Monetagiuni,  121,  122. 

Monnaie  (Droit  de    battre),  en  Normandie,  4». 

Montalto,  601,  602. 

Montmorency  [Le  connétable  de),  manuscrit  lui 
ayant  appartenu,  17. 

Mont:Saint-Micbel ,  7g. 

Moralités  (Recueils  de).  Recueil  extrait  des  Pos- 
tiiles  de  Jacques  de  Lausanne,  472.  Recueil  disposé 
par  ordre  alphabéti(|ue ,  472,  473. 

Moretas  [Théodore),  492. 

Mortain,  78. 

Morville  [Hugues  de). 

Mussato  [  Albertino). 


N 


Na/iles.  Chapitre  de  l'ordre  de  .Saint-Dominique, 
460.  Chapitre  de  l'ordre  de  Saint-Franrois,  484. 


Napoléon  Orsini,  cardinal,  620. 

Nativité  Notre-Dame  [La),  poèmf^  français,  366. 

81. 


644 


TABLE  DES  AUTEURS 


Nativité  de  Jésus  (£a),  poème  français,  35?; 
sermon  français  sur  la  — ,  4i5,  /|i6,  .'137,  ASg, 
Ui. 

Nararre  (Collège  de),  53o,  by'i. 

Sataire  (.Saint),  vie  en  proso,  4»o,  436,  Mo. 

Nédellec  [Hervé]. 

Néel,  év<^(|HO  <\'VA),  \6. 

Nicaite  (Saint)  dr  Heims .  vie  en  prose,  i^o, 
/i4i. 

Nicaise  (Saint)  de  lioaen .  vie  en  prose,  4 3. S. 

Nicodème  (Evangile  de). 

flicolas  (Saint),  vie»  en  vers,  370;  en  prose, 
398,  4i3,  417,  432,  43o,  434,  436,  44o. 

Nicolas  V,  antipa))e.  Voir  Pierre  de  Corbara. 

Nicolas  Biart ,  63 1. 

Nicolas  de  Casola .  auteur  présumé  d'un  poème 
sur  la  Passion,  359. 

Nicolas  de  Casa  ,622. 

Nicolas  de  Lire,  frère  Mineur,  .ist,  63 1. 


Nicolas  de  Véroiie .  auteur  d'un  poème  sur  la  Pas- 
sion, 3.Î8. 

Nicolas  de  Vienne,  dit  Amycl,rlercdu  roi,  588,  589. 

Nicolas  de  Vilters ,  l>ailli  de  Cotentin,  169. 

Nicolas  Oresme ,  622. 

Nicole  Boton ,  francisrain  anglais,  auteur  de  vies 
de  saints  en  vers,  336,  337,  344.  368,  37», 
373. 

Niem  [Thierry  de),  622. 

Nombres  (Commentaire  sur  les),  465,  472. 

Nomincoart ,  166-169,   173. 

Normandie,  durs,  42,  .57,60,  83,  121,  I23, 
1  29.  —  F^a  Conception  de  la  Vicr<;e  y  est  fêtée ,  493. 

V9ir   AlU<E.STA  (:OMML."IIA    OF.    SCACCARTO;  ArRÊTS 

DB  l'Echiquier  dk  Normandif.;  (^onsui.tatioxs  sir 
LA  coiTiMF.  oE  Normandie;  Cram)  Coutumier   i>f. 
NoRtiANDiE;  Recueils  de  jurisprideuce normande; 
Très  anc.ik»!  Coutcuier. 
Nuremberg,  589,  590. 


0 


Occam  [Guillaume  d'\. 
Olive  (Pierre- Jean  d'). 
Onuphre  (Saint),  vie  en  vers,  370. 
Onze  mille  rierges    [  f^es),  légende  en  prose,  4  '  9 . 
423,  439. 

Opportune  (.Sainte),  vie  en  vers,  3-i. 
Oresme  (Nicolas). 
Orléans ,  122. 


Orléans  [ Université  d') ,  566. 
Orsini  [Ginn  Gaetano),  rardinal.  ^87,  596. 
Orsini  [Napoléon). 
Osanna  (.Jacobas  de). 
Ositka  (Sainte) ,  vie  en  vers,  371 . 
Oswald  (Saint),  vie  en  prose,  427. 
Otion  IV,  comte  de  Bourgogne,  époiu  de  Maliaiit 
d'Artois,  166,  172,  173. 


Padoue,  56i  ,  562,  565,  567,  568,  591. 

Padoue  (Marsile  de). 

Palerme  (Paul  de)  révise  le  texte  d'un  traité  de 
Jean  de  Jandun,  543. 

Palestre  (Im)  eu  temps  de  Jean  d'Antioche , 
9,  10. 

Pancrace  (.Saint),  vie  en  prose,  433. 

Pantaléon  (Saint),  vie  en  prose,  4 11,  4i2, 
43o. 

Pape.  Ses  droits  et  ses  devoirs  d'après  Pierre  Aii- 
riol,  526.  Hôle  subordonné  qui  lui  est  attribué  par 
le  Defensor  pacis ,  584.  Ses  usurpations  d'après  le 
Drfensor  pacis. 

Parages,  i35,  i56. 

Paris.  Concile  de  1212,  n6.  Assemblée  du 
clergé,  488.  Chapitre  de  l'ordn-  de  Saint-Domi- 
nique, 46o.  Couvent  de  Saint-Jacques,  459,  46o. 
Sermons  prêches  dans  les  églises,  46o.  Eloges  de 
cette  ville  par  un  dictator  anonyme,  532  ;  par  Jean 
de  Jandun,  532-535,  558.  5,59.  Université,  48o, 
482,  484,  486,  493,  528,  5.3o,  555,  565;  sa 
description  par  Jean  de  Jandun ,  533 ,  534  ;  Fa- 
culté de  théologie,  611,  622. 


Paris  [Jean  de). 

Pnscltasius.  Les  Vrrba  seniorum  traduits  en  latin 
par  cet  écrivain,  pnis  mis  en  français,  3o5.  3o6. 

l'dssau,  589. 

Passemer  (Raimon). 

Passion  du  Christ  (Poèmes  français  sur  la),  355. 
358,  359,  364.  Voir  Evangile  de  Nicodhne. 

Patri  [Guillaume). 

Patrice  [  Le  Purgatoire  de  saint  ) ,  par  Hugues  de 
Salfrev,  mis  en  vers,  371;  en  prose,  391,  <o3. 
'108,  4i3,  4i8,  ^22,  43o,  437.  438.  'M3. 

Patronage.  81,  82,  i43-i45. 

Paul,  apâtre  [Saint),  passion,  en  prose,  itf'i, 
394,  397,  399,  4oo,  4o6,  409,  4  12,  il 7.  4.3o. 
43i,  433,  434.  —  Voir  Pierre  (.Saint). 

Paul  (Vision  de  saint),  composition  apocryphe 
mise  en  vers,  372. 

Paul  Fermilc  (Saint),  vie  en  vers,  372;  vie  en 
prose,  parWauchier,  259,  260,  363,  398;  «ntri's 
traductions  en  prose,  296-297,  4i3,  422,  434. 
436. 

Paul  le  Simple,  sa  vie  tra<luite  par  W aiirhier, 
259.  267-268.  43o. 


ET  DES  MATIERES. 


(')'ir> 


l^aule  (Sainte) ,  vie  en  vers,  373. 

l'aulin  de  fiolr  [Saint'.  Sa  vio  tivro  II  <lu  Di<i- 
Inijiie  Je  saint  Grégoire)  traduite  par  Wanchicr, 
■f-i-jyî,  43o;  vie  en  ver»,  873. 

l'aalus  (Jean). 

Pauvreté  évanijéliijtie  (Controverse  sur  la),  A81, 
'iSi,  489-491,  58o. 

Péan  (ou  Paien  )  Gatineatt .  auteur  d'une  vie  en  vers 
(II'  saint  Martin,  369. 

Peinture  à  l'huile  (C^oninioncements  de  la    .  476. 

Pelage  (IjC  diacre).  Verlia  seniorum  traduits  par 
lui  du  grec;  version  française  partielle,  3o4-3o7, 
3i'i,  317,  319;  versions  complètes,  3as-354,  397. 

Pélagie  (.S'oinlc),  vie  en  prose,  037,  note  2,  4i4  , 
44i. 

Pelayo  (Alvaro). 

Pèlerinages.  Idées  de  Marsile  de  Padoue ,  610. 

Pénitence.    Idée»  de   Marsile    de   Padoue,   (io8. 

Percerai,  poème  de  Chreslien  de  Troyes  continué 
par  Wauchier  de  Denain,  290;  cité  par  un  écrivain 
du  lin'  siècle,  jgS,  îgS.  —  Voir  Chrestien  de 
Troyes. 

PÈRES  (Vies  des),  \ersion  eu  vei-s  par  Henri 
(l'Arri,  3,17158;  versions  en  prose.  !ii>8-3j8;  ver- 
sion de  Wauchier  de  Denain,  3.18-378;  version 
cliani|>enoise,  392  Si'i- 

Perpétue  et  Félicité  [Saintes),  vie  en  prose, 
433. 

Pétronille  ou  Péronelle  [Sainte) ,  vie  en  prose,  407, 
'118,  423,  433. 

Philippe  (Saint),  vies  en  pros»!,  397,  899,  4oi, 

'106,   409,   4l3,    423,    43o.    'l3l,     433,    434,     ^3.1; 

version  lyonnaise.  444,  446. 

Philipi>r ,  comte  de  Namur,  protecteur  de  Wau- 
chier de  Denain ,  3,58,  360,  381,  386,  391. 

Philippe  Auguste,  roi  de  France,  47,  63,  64,  83, 
97,  i43. 

Philippe  d'Artois,  époux  <le  Blanche  de  Bretagne. 
Procès  avec  sa  sœur,  Mahaut  d'Artois,  166-173. 

Philippe  de  Dreu.r,  évoque  de  Beauvais,  fait  com- 
poser divers  écrits  par  Pierre  de  Beauvais,  38i. 

Philippe  de  Grire .  chancelier  de  Nolre-Danie, 
478. 

Philippe  le  Bel ,  roi  de  France,  70,  71.  i44. 

Philippe  le  Hardi,  roi  de  France,  76,  77,  167. 

Philippe  le  Long,  roi  de  France,  s'intéresse  à 
Jacques  de  Lausanne,  46o. 

Philosophie.  Son  origine  et  son  caractère  selon 
Jean  d'Antioclic,  5. 

Philosophie  naturelle.  Programme  d'enseignement 
dans  Jean  de  Jandun,  .S37  oSi). 

P'tazzola  (Roland  de). 

Picaud  [Aimeri], 

Pierre  (Saint).  Dispute  de  —  et  de  saint  Paul 
contre  Simon  le  magicien,  897,  4oo,  4ifi,  409, 
4  1 3 ,  417,  43o,  43 1,  433;  passion,  3g3 ,  897,  899, 
4oo,  4o6,  409,  4 13,  417,  43o,  43i,  433,  434, 


435;    version    lyonnaise, 
saint  Pierre,  Pierre  h  tiens. 


Voir    Chaire    de 


Pierre  Aurioi..  l'rère  Mineur,  auteur  de  sermons, 
de  commentaires  sur  l'Kcrilure,  d'ouvrages  de  théo- 
logie et  de  philosophie,  479-537.  Sa  vie,  479- '189. 
Intervient  dans  la  controverse  sur  la  pauvreté  évan- 
gélique,  48i,  483,  489-491;  dans  le  débat  sur  la 
conception  de  la  Vierge,  483-48'i,  491-500.  Son 
enseignement  à  Paris,  484-480.  Provincial  d'Aqui- 
taine, 48(i;  areheièqiK^  d"Ai\,  '187.  Ses  ouvrages, 
489-527.  Il  prend  à  partie  Thomas  de  Wilton, 
Ô07.  Il  entreprenil  de  concilier  le  péripatélisme  et 
le  christianisme,  309.  Il  l'ait  l'application  des 
visions  di-  l'Apocalypse  aux  différentes  périodes  de 
l'histoire  de  l'Kglise,  5i3;  n'ose  se  prononcer  sur 
l'époque  de  la  lin  du  monde,  5i4.  Son  mauvais 
goi'il ,  5i4.  Sa  manière  de  prêcher,  5 18.  Ses  doc- 
trines philosophiques,  521-Ô34;  tliéologiques,  530- 
530.  Son  opinion  sur  le  sort  des  non-clirétiens , 
524.  535;  sur  les  droits  et  les  devoirs  du  pape, 
536.  Jugements  de  la  postérité  sur  lui,  53C,  537. 

Pierre  dAbano ,  commentateur  des  Problèmes 
d'Arislole,  554-556,  568. 

Pierre  de  Baume,  général  des  Dominicains,  467. 

Pierre  (de  Beauvais),  auteur  d'un  po«;me  sur  les 
Trois  Maries,  367;  de  traductions  en  vers  de  plu- 
sieurs vies  de  saints,  348,  35 1,  359;  •'"'•■'f'  version 
en  prose  du  Lilier  de  miraeulis  sancti  .facobi ,  38 1. 

Pierre  de  Carvilte,  maire  de  Rouen,  169. 

Pierre  de  Corbara,  antipa|)e,  SgS,  596,  tiig. 

Pierre  de  Courtenai  (de  la  branches  des  seignetiis 
deChampignolles).  Débat  avec  Marguerite,  sa  sœur. 
173,  i7'i. 

Pierre  de  Florence,  régent  en  médecine,  588. 

Pierre  de  Fontaines ,  75-77. 

Pierre  de  Houssemagne ,  168. 

Pierre  de  Pommerucl ,  168. 

Pierre  des  Prés,  archevêque  d'Aix,  puis  cardinal, 
i87,  489. 

Pierre  de  Tossignano ,  médecin  bolonais,  560. 

Pierre  de  Verberie,  religieux  de  l'ordre;  du  Val- 
des-f>oliers ,  confondu  avec  Pierre  Auriol,  48<i, 
5  00. 

Pierre  es  liens  (Fête  de  la  Saint-),  homélie  fran- 
çaise, 425. 

Pierre-Jean  dOlive,  48i. 

Pierre  l'acolyte  (.Saint),  vie  en  prose,  433,  430. 

Pierre  le  Petit,  jurisconsulte!  normand  du 
\v*  siècle,  cité,  i36. 

Pierre  Lombard.  5o6,  608,  609.  Voir  .SVii- 
tcnces. 

Pierre  Roger,  Voir  Clément  VI. 

Pilate  (Légende  de),  en  vers,  378. 

Pise,  600-601. 

Placide  (Saint) ,  vie  en  prose,  4 1  4  ,  'i35. 

Plainte  de  Notre-Dame,  version  en  prose  du 
Planctus  beatie  Mariœ  attribué  i«  saint  Be^niurd  ou  à 
saint  Anselme,  44  1,  440. 

Planctus  beatœ  Mariw.  Voii'  Plainte  de  Notre- 
Dume. 

Platon.  Opinion  de  Pierre  Auriol  sur  le  sort  tle 
son  4me,  52  4. 


6/l6 


r\HLE  DES  \IJTEURS 


l'ififirrir  du  vassal  poiii-  le  suzoï'aiii,  i.'iO,  147. 

PoùU  et  mesures .  n  1 . 

Pnmmercl  [Pierre  de). 

Pons  (Couvcnl  de),  46 1. 

Pont-Audemer,  16g. 

Préaujc  (Abbé  de),  178. 

Prés  [Pierre des). 

Prescription,  72-74,  107,  108. 

Preuve,  à  la  charge  du  défendeur,  liig,  i5o. 
Preuve  écrite  des  jugements,  i53. 

Primauté  de  l'Eglise  de  Rome  niée  dans  le  De- 
fensor  jiacis ,  .iSa-ôSS,  SgS;  dans  Ir  Drjensor 
minor,  611,  6 m. 

Prime  et  Félicien  [Saints),  vie  en  prose,  433. 


Primo  [Jean  detj. 

Priscien.  cité  par  Jean  d'Antioclif.  6. 

Procédure  dans  le  Grand  Coutumier  normand, 
i48-i5î. 

Procès  et  Martinien  [Saints),  vie  en  prose.  4ic), 
43o,  43 1. 

Procureur,  147. 

Protais  (5omt).  Voir  Gervais. 

Proverbes  (Commentaire  sur  les),  466,  472. 

Pui  (Raimond  du). 

Purgatoire.  \oir  Patrice  [.Saint], 

Purification  \olre-l)nnie ,  sermon  français,  4iâ, 
4i6,  427. 


Q 


Quentin  [.Saint  1,  vie  en  vers,  .^73;  en  prose,  SgS, 
436,  439. 

Qui  dort  [Jean).  Voir  Jean  de  Paris, 
Qaintilien,  cité  par  Jean  d'Antiocbe,  (j. 


Quiriaifue  [Saint),  vie  en  prose,  -ios,  '107,  4  10, 
430,  439. 

Quo  warraiilo  (Plaid /)(■) ,  163. 


R 


Radulfus  Gillanus  de  Gaereio .  176,  177. 

Raimond  Auriol,  488. 

Raimond  Auriol,  frère  Mineur,  482. 

Raimond  de  Béziers  ,  traducteur  et  compilateur, 
igi-îSS. 

Raimond  du  Pui,  fie  l'ordre  des  Hospitaliers  de 
Saint-Jean.  Sa  Règle,  25,  26,  29. 

Raimond  Passemer,  vicomte  de  Pont-Audemer, 
169. 

Raimond  ini  [Marsilins).  Voir  Marsile  de 
Padoue. 

Raoul  dEstrées ,  1 73. 

Rayn  [Georges  de). 

Record,  91-96,  io5,  i53.  Record  d(^vue,  90. 

UeCUEILS  DR  JURISPRUDENCE  NORMANDE,    174-190. 

Reginald,  moine  de  Durham,  auteur  de  la  vie  de 
saint  Godric,  423. 

/Jcinu ,  synode ,  439. 

Reine  [Sainte) ,  vie  en  ler»,  374. 

Relief,  5o.  Relief  de  fief,  quinze  livres,  177, 
178. 

Rémi  (5oinf) ,  vie  en  vers,  87'!  ;  en  prose,    <22. 

Renaut  du  Mesnil ,  168. 

Renaut  le  Chambellenc ,  169, 

René  [Saint),  vie  en  vers,  874. 

Représentation,  en  droit  successoral,   i3o,    i3i. 

t  Requenoissant  de  fié  et  de  gage  t,  63. 

t  Requenoissant  de  jieu  ou  daumosnet,  52-53. 

Retrait  lignager.  iSS-iSg. 

Rex  Anglia  vel  Gtdliie,  48-49- 

Rex  Gallia,  48-49- 


Rhétorique,  Son  caractère  selon  Jean  d'Anlioclie , 
6,7.  —  Voir  Âristote,  Cicéron. 

Richard  [.Saint),  vie  en  vers,  374. 

Richard  Barbe,  621. 

Richard  Coeur  de  Lion ,  roi  d'Angleterre,  63-64. 
73-74. 

Richard  de  Bois-Yvon ,  180-181. 

Richard  de  Fournival.  3. 

Richard  Dennebanlt,  Donebault,  ou  Dourbault . 
111-112. 

Richard  de  Saint-Denit,  177. 

Richard  de  Saint-Victor,  5o4  ,  608. 

Richart  le  Gualois.  168. 

Richart  Rufaul .  1 68. 

Rieti  [André  de), 

Rigaud  [Eudes), 

Robert  II,  comte  d'Artois,  époux  en  premières 
noces  d'Amicie  de  Courtenai ,  en  secondes  noces 
d'Agnès  de  Bourbon,  i66,  172. 

Robert  dArtois,  fils  de  Philippe  d'Artois,  rival 
de  Mahaut,  173, 

Robert  Courte-Heuse ,  dur  de  Normandie.  4i. 

Robert  de  Bardi.  588. 

Robert  de  Bois—Yvon ,  1 80- 1 8 1 . 

Robert  de  Courçon,  statuts  de  iïi5,  i4o. 

Robert  du  Mesnil  fVares ,  douaire  de  sa  femme, 

>79- 

Robert  Gerart,  168. 

Robert  le  Normand,  77. 

Roger  (Pierre).  Voir  Clément  VI, 

Roger,  châtelain  de  Lille,  289,  agi. 


ET  DES  MATIERES. 


ùfi: 


Hoqer  de  Molins,  grand  maître  de  l'ordre  de 
Saint^Iean  de  Jrrusalem.  Ses  statuts,  i5. 

Roger  de  Saint- André,  5i. 

Rogertu  de  Brottona ,  178. 

Rotjier,  auteur  de  la  vie  en  vers  français  de  saint 
Julien  l'Hospitalier,  36o. 

Rogier  de  Courçon,  168. 

Rogier  de  Longa^tre,  auteur  d'une  \ie  de  saint 
Léonard  en  prose,  4 3 8. 

Roland  de  Piazzola,  565. 

Rôles    dans  les  tribunaux  normands,  i53,  i54> 

Romberch  [Jean],  auteur  de  passages  interpolés 
dans  un  ouvrage  de  Jean  de  Jandun,  o.Sy. 

Rome,  584-597,  601,  616. 


Rome  [Gilles  de). 

Ros  [Adam  de). 

Ros(e  distinctiones ,  traité  attribué  à  Pierre  Au- 
riol  ,519. 

Rouen,  ni,  ia5,  169;  archevêque,  i4i,  i'i2; 
corps  de  ville,  85. 

Ravier  de  Portes ,  168. 

Ruffec.  Concile,  589. 

Rufin  d'AtjaiUe.  Son  Historia  monachoram  tra- 
duite par  WaHchier,  aSg,  273-276.  Autres  traduc- 
tions, 297-802,  3i4,  3i5-32o,  324-325.  Verhn 
seniorum  traduit»  par  Wauchier,  276-278. 

Ruttt  (Commentaire  sur) ,  466. 


■Sa^cMC  (Commentaire  sur  le  livre  de  la),  467, 
47a. 

Sainte-Sophie  [Marsile  de). 

Saint-Etienne  (Daniel,  Guillaume  de). 

Saint-James,  78. 

Saint-Jean-d Acre .  a,  3,  i3,  17;  manuscrit 
probablement  copié  dans  cette  ville,  18. 

Saint-Luc  [Etienne  de). 

Saint-Oaen  de  Rouen ,  i44. 

Saint- Pourçain  [Durand  de). 

Saint-Qaentin ,  i4o. 

Saints.  Ijégendes  traduites  en  français.  Voir  Char- 
t)es,  IJgendes ,  Ugendier,  Metz  et  les  noms  des 
saints. 

Saint-Sauveur-le- Vicomte ,  7g. 

Suint-Victor  [Richard  de). 

Salerne  (Archevêque  de),  486. 
,     Salvaing ,  cité,   i46. 

Sant'  Elpidio  [Alexandre  de). 

Sarnano  (Cardinal  de).  Voir  Boccafaoco  [Cos- 
tanzn). 

Sarrasins  (Commerce  illicite  avec  les),  476. 

Saterian  ou  Satterian ,  nom  donné  au  recueil  des 
statuts  de  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  en 
souvenir  de  la  I^ex  satariana,  33,  34. 

Sauveur  [Saint),  miracle  mis  en  vers,  875. 

Saxenhaasen  (Appel  de),  589. 

.Scala  [Alboino  délia). 

Scala  [Cane  Grande  délia). 

Sciarra  Colonna,  bgh,  696. 

.S'cot  [Jean  Dans). 

.Scriptum  générale ,  cité  par  l'auteur  du  Très  an- 
cien Coutumier  normand,  58,  59,60. 

Sébastien  (.Saint),  vies  en  vers,  376;  en  prose, 
397,  4oi,  407,  4io,  4i2,  4i8,  432,  433;  version 
lyonnnaise,  444,  446. 

Sénéchal  de  Normandie,  83,  97-98. 

Senlis,  53o,  53i;  éloge  de  cette  ville  par  Jean 
de  Jandun,  53i,  532,  558,  559. 

Sens  (Province  de),  53o. 

Sens  actif.  Dissertations  de  Jean  de  Jandun  sur 
ce  sujet,  545,  546,  549. 


Sentences  (Commentaires  sur  le  Livre  des),  463, 
487,  499-504 ,  5o5. 

Sergents  du  roi  instrumentant  sur  les  terres  des 
hauts  justiciers,  i84. 

.Sermons  de  Jacques  de  Lausanne,  473-479;  de 
Pierre  Auriol ,  517,  5 1 8. 

Seth,  Jils  d'Adam,  récit  apocryphe  concernanl 
l'arbre  dont  fut  faite  la  Croiï,  en  vers,  373. 

.S'iuer  de  lirabant ,  34 <• 

Silvestre  [Suint],  vie  en  vers,  875;  en  prose, 
4o3,  4o8,  4i8,  422,  433,  438. 

Siméon  [Saint],  vie  en  prose,  4i4,  423. 

Simon  et  Jade  [Saints],  vies  en  prose,  897,  899, 
4oi,  4o6,  409,  4i2,  417,  43o,  43i,  434.  435; 
version  lyonnaise,  444- 

Simon  de  fValsingham,  auteur  d'une  vie  en  vers  (le 
sainte  Foi ,  35o. 

.Simon  dOumoi,  177. 

Sixte  [Saint] ,  vie  en  prose,  4o2  ,  4o8,  4io  ,  417, 
434.437.  439. 

.Sixte  Quint,  pape,  5o3. 

Somme  de  Maucael,  i63-i63. 

Songe  du  Vergier  [Le],  622. 

.Songes.  Opinion  de  Jean  de  Jandun  sur  l'ait 
(le  les  interpréter,  553. 

Souveraineté  populaire.  Théorie  du  Defensor  pacix , 
575-577. 

Spinetam,  fief,  178. 

5pire  .122. 

Spiridion  [Saint],  évêque  en  Chypre,  3i  1. 

Spirituels  [  Les  ),  611. 

Stejaneschi  [Jacques   de']. 

Successions,  i3o,  i3i,  i55,  168-170. 

Suicide,  i23,  126-128. 

Snlpice  Sévère.  Vie  de  saint  Martinet  Dialogues, 
traduits  par  Wauchier,  278,  279,  286-287,  4i3. 
Voir  Excerpta. 

Summa  de  legibus  Normannie.  Voir  Grand  Coi- 
TCMiER  DE  Normandie. 

.Suzanne  (.Soinfe),  récit  en  prose  d'après  le  livre 
de  Daniel,  442. 

.Symon  de  Aneseio ,  177. 


()'i8 


TABI.K  DES  AUTEURS 


Tardif  (Joseph) ,  cité,  44-48,  ,'>9,  63,  7O,  78, 
79,  85,  92,  97,  99,  (iî8,  629. 

Tavernage  (Droit  de),  84. 

Tavernier  [Denis), 

Teliau  (Saint),  vie  en  prose,  4 a 8. 

Terrien  ,  cité ,  1 36 ,  1 38 ,   1 G 1 . 

l'hais  (Sainte),  vie  en  vers,  307,  370;  en 
prose,  3o8,  3i4,  3ai,  fi'm. 

Théodore  (Saint),  vie  en  prose,  4 10. 

Théophile,  sa  légende,  mise  en  vers,  376. 

Théroudc ,  127. 

Thibaut  de  Provins  (Saint),  vie  en  vers,  376; 
en  prose,  4 18. 

fhieni  de  Vaucouleurs .  auteur  d'une  vie  en  ver» 
(le  saint  Jean  l'évangélistc ,  355, 

Thomas  d'Aquin  (Saint),  combattu  par  Pierre 
Auriol,  53  1. 

Thomas  de  liailli ,  chancelier  de  Notre-Dame, 
'itio. 

Thomas  de  Cantorbérj  (.Saint),  vies  en  vers,  376; 
homélie  sur  ce  saint  traduite  en  français,  4o3, 
'108,  4  10,  4 18;  vie  en  prose,  44o. 

Thomas  de  Wilton,  chancelier  de  Londres,  007, 
5o8. 


Thomas  Elie  de  Biville  (Le  bienheiu'eux) ,  sa  \ie 
mise  en  vers,  377. 

Thomas  l'apôtre  (.Sain(),viesen  prose,  39g,  4og,  417, 
434,433,  434,  435,  44o;  version  lyonnaise,  44'i. 

Tilbury  (Gervais  de), 

Tobie,  poème  français  altrihué  à  Guillaume, 
clerc  normand,  377. 

Todi ,  600-602. 

Tossignano    (Pierre  de), 

Toulouse,  480,  482-484,  ^92,  '198.  Concile, 
589. 

Tournaisis ,  1 3  '1 . 

Traductions,  Règles  suivies  |)ai'  Jean  d'Antioche 
pour  traduire  en  français  les  ouvrages  latins,  7,  8. 
Scrupules  occasionnés  aux  traducteurs  par  le  carac- 
tère des  textes  liturgiques,  21.  Traduction  delà 
Rhétorique  de  Cicéron,  1-17;  d'autres  ouvrages 
de  Cicéron,  i3;  «les  Otia  imperialia  de  Gervais  de 
Tilbury,  17-23,  624;  des  Statuts  de  l'Hôpital  de 
Saint-Jean  de  .Jérusalem,  23. 

Trente,  Sgi. 

Très  a\c.ikn  (JoiiriiMiKH  de  Normandie,  43-65. 
Cité,  i5'i,  188,  189. 

Trespas  \ostre-Dame  (fjt),  poème,  367. 


u 


Ubcrtino  de  Casai,  frère  Mineur,  483,  096. 
Uniicrsaux,  Théorie  de  Jean  de  Jandun ,  556 ,  557. 
Usage,  Définition  de  l'auteur  du  Grand  Coutu- 
mier  de  Normandie,  118-119. 


Vsances    de    l'ordre    de    l'Hôpital    de    Jératalem , 
'}.  27. 
Usure ,  "jci,  83  ,  85,  133,  1  39. 


Vaine  pâture,  120,  i3i. 

\'alentin  (.Saint),  vie  en  prose,  4io,  432. 

Valoijnes ,  78,  79,  161. 

Varazze  [Jacques  de), 

Vascœuil  (Gilbert  de). 

Vassaux  liges  du  duc  de  Normandie,  121. 

Vast  (.S'oint),  vies  en  prose,  Sgs,  43o,  448. 

Vauiemain  (Hugues de), 

Vavasseur,  58. 

Vengeance  de  Notre-Scigneur ,  légende  en  prose, 
ii8. 

Venise  (François  de), 

Verba  seniorum.  Voir  Paschasitts,  Pélagie,  fiujin 
il'  iquilée, 

Verberie  (Pierre  de). 

Veriscutn ,  121. 

Vermandois,  i54. 


Vrrnia  (Nicnleto),  de  Chieti,  revise  le  texte  d'un 
ouvrage  de  Jean  de  Jandun,  543. 

Vérone,  563. 

Véronique  (Histoire  de  la),  en  prosi!,  3g'i. 

Victor  (Saint),  vie  en  prose,  4i  1 ,  433. 

V'ictoriijue  (Saint),  Voir  Fuscien. 

Vie  des  Pères ,  recueil  de  contes  dévots  en  vers , 
356-257. 

Vienne  en  Autriche,  565. 

Vienne  en  Dauphiné,  466.  Concile,  124,  1^3, 
ii5,48i. 

Vienne  (JSirolas  de). 

Vies  de.s  Pèbes.  Voir  Pkrk.s. 

Vies  des  saints,  traduites  en  vers,  328-378;  en 
prose,  378-458.  Voir  au  nom  de  chaque  saint. 

Vignai  (Jean  de  ou  du), 

Villaret  (Foulque,  GuUlaume  de). 


ET  DES  MATIERES. 


649 


Villefranche ,  en  Provence  (Couvent  de),  48». 

Vincent  [Saint) ,  \\e  en  prose,  4oi,  407,  409, 
4)2  ,  417,  43a,  433,  44i. 

Virçjile.  Traduction  de  la  légende  de  Virgile  rap- 
portée par  Gervais  de  Tilbury,  10,  6î5.  Cité,  5î. 

Visconti  [Atzo), 

Visconti  (Matteo). 


Visio  languoris .  go ,  91. 
Vision  de  saint  Paul,  î58. 

Vitm   (ou  Vitas)  Patrum,   titre  de  diverses  con>- 
piiations  manuscrites  ou  imprimées,  a45-a55. 
Vœux.  Idées  de  Marsile  de  Padoue,  610,  611. 
Forajine.  Voir  Jacques  de  Varazze. 
Vues,  enquêtes  en  Normandie,  i83,  184. 


w 


fVaben  (Landri  de). 

fVace,  auteur  du  poème  de  la  Conception  Notre- 
Dame,  364;  de  VAssomption,  365;  des  vies  de 
sainte  Marguerite ,  36a,  saint  Nicolas,  370.  Manu- 
scrit de  la   Conception,  aSg. 

fVare  (Guillaume  de). 

Warron  (Guillaamt). 

VVacchier    de    Demain,    traducteur    en    prose 


des  Vies  des  Pères,  de  diverses  vies  de  saints, 
des  Dialogues  de  Sulpice  Sévère,  a58-a92,  38o, 
4i3,  43o,43i,  434. 

fViclif  {Jean) ,  61  a. 

fVill.  le  Normant,  77. 

fVilton  (Thomas  de). 

fVimpfelinif  (Jacques),  5ii. 


lY 


Yolant,  comtesse  de  Saint-Pol,  fait  faire  une  tra- 
duction du  Liber  de  miraculis  sancti  Jaeobi,  38 1. 


Yves  (Saint),  vie  en  ver»,  378. 


Zimara  (Marc-Antoine),  5î8,  55a,  556. 


HIST.  LITTER.  • 


XXXIII. 


82 


TABLE 

nES  ARTICLKS  CONTENUS  DANS  CE  TRENTE-TROISIEME  VOLUME. 


Page'. 

AvEHTISSEMBNV Ill 

Notice  sur  Gvstos  Paris  (P.  M.) vu 

Ql'ATORZlÈME    SIÈCLE. 

Maitre  Jean  d'Antioche ,  traducteur,  et  frère  Guillaume  de  Saint-Etienne  (L.  D.) i 

Les  Coulumiers  de  Normandie  (P.  V.) 4i 

Kaimond  de  Béziers,  traducteur  et  compilateur  (G.  P.  j 191 

Versions  en  vers  et  en  prose  des  Vies^des  Pères  (P.  M.) a54 

Légendes  hagiographiques  en  frnnçais  (P.  M.)  : 

I  Légendes  en  vers 3a8 

II  Légendes  en  prose 378 

Jacques  de  Lausanne,  frère  Prêcheur  (B.  H.) 45g 

Pierre  Auriol,  frère  Mineur  (ÏS.  V.) 479 

Jean  de  Jandun  et  Marsile  de  Padone,  auteurs  du  Defensor  pacis  (iN.  V.) 528 

Additions  et  cobrectioxs 624 

Table  des  auteurs  et  des  matières 633 


n 


PUBLICATIONS 


DE 


L'ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES. 


MÉMOIRE?  DE  l'Académie.  Tomes  1  à  XII  épuisés;  XIII 
à  XXXVII;  chaque  tome  en  a  parties  ou  volumes 
in^"-  Prix  du  voimne lô  fr. 

Le  tome  XXII  (  demi-volume  ) ,  contenant  la  table 
des  dix  volumes  précédents 7  fr.  5o 

À  la  prcmièi'e  partie  du  tome  XXXll  est  joint 
un  atlas  in-fol.  (le  1 1  planches ,  qui  se  vend     7  fr.  5o 

Table  des  tomes  XLV  à  L  de  l'ancienne  série 
des  Mémoires 1 5  fr. 

mémoihes  piiésentés  pau  divers  savants  étrangers 
.\  l'Académie  : 

1"  série:  Sujets  divers  d'érudition.  Tomes  I 
à  IV;  tomes  V  à  XI,   1"  et  a*  parties. 

2"  série  :  Antiquités  de   la  France.  Tomes  I 
à  ni;  tomes  IV  à  VI,  1"  et  3*  parties. 
À  partir  du  tome  V  de  la  1"  série  et  du  tome  IV 
de  la  1'  série,  chaque  tome  forme  deux  parties  ou 

volumes  in-4°.  l'rix  du  volume 10  fr. 

La  première  partie  du  tome  XI  (1"  série)  se 
vend ua  fr. 

Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  Bi- 
bliothèque nationale  et  autres  bibliothèques, 
publiés  par  l'Institut  de  France.  Tomes  I  à  X 
épuisés;  XI  à  XXVI;  XXVII,  1"  et  2°  fascicules 
delà  i"  partie,  et  XXVII,  a*  partie;  XXVIII  à 
XXX,  i"et  2"  parties  (contenant  la  table  des  tomes 
XVI  à  XXIX);  XXXI  à  XXXVI,  1"  et  2"  parties; 
tome  XXXVII;  tome  XXXVIII,  i"  et  2'  parties. 

À  partir  du  tome  XIV  jusqu'au  tome  XXXVIII 
(sauf  le  tome  XXXVII,  qui  est  en  un  seul  volume), 
chaque  tome  est  divisé  en  deux  parties;  du 
tome  XIV  au  tome  XXIX,  la  première  partie  de 
chaque  tome  est  réservée  à  la  littérature  orien- 
tale. Prix  des  tomes  XI,  XII,  XIII  et  de  chaque 
partie  des  tomes  suivants i5  fr. 

Le  tome  XVIII,  2*  partie  (Papyrus  grecs  du 
Louvre  et  de  la  Bibliothèque  nationale],  avec 
atlas  in-fol.  de  02  planches  de  fac-similés,  se 
vend 45  fr. 

Le  premier  fascicule  de  la  première  partie  du 
tome  XXVII  (  Inscriptions  sanscrites  du  Cambodge), 
avec  un  atlas  in-fol.  de  17  planches  de  fac-similés, 
se  vend 20  fr. 


Notices  et  extratis  des  manuscrits  de  la  Bi- 
bliothèque nationale,  etc.  (suite)  : 

Le  second  fascicule,  avec  un  atlas  in-fol.  de 
28  planches  de  fac-similés,  se  vend 3o  fr. 

DIPLOMATA,  CHART*,  EPISTOLjE,  LEGES  ALIAQUJJ 
instrumenta  ad  RES  GALLO-FRANCICAS  SPECTANTIA, 
nunc  nova  ratione  ordinata,  plurimumque  aucta, 
jubente  ac  modérante  Acadeinia  inscriptionum  et 
humaniorum  littcrarum.  Instrumenta  ab  anno 
CDXVii  ad  annum  dccli.  2  volumes  in-fol.  Prix  du 
volume 3o  f r. 

Table    chronologique    des    diplômes,    chartes, 

TITRES  et   actes  IMPRIMES  CONCERNANT  L'HISTOIRE 

DE  France.  Tomes  I  à  IV  épuisés;  V  à  VIII, 
in-fol.  (L'ouvrage  est  tcmiiné.)  l'rix  du  vo- 
lume      3o  fr. 

Ordonnances  des  rois  de  France  de  la  troisième 
RACE,  l'ecueillies  par  ordre  chronologique.  To- 
mes I  à  XXI  (tomes  I  à  XIX  épuisés),  et  volume 
de  table,  in-fol.  Prix  du  volume 3o  fr. 

Recueil  des  historiens  des  Gaules  et  de  la  France. 
Tomes  I  à  XXUI  (épuisés),  in-fol.  Tome  XXIV,  en 

3  parties.  Prix  du  volume 60  fr. 

Nouvelle  série  in-4°  du  même  Recueil  : 

1.  Documents  financiers.  Tome  I.  Inventaire 
(Tanciens  comptes  royaux  dressé  par  Robert 
Miçjnon ,  soas  le  règne  de  Philippe  de  Valois,  Prix  du 
volume 20  fr. 

2.  Obitoaires  Tome  I.  Obitaaires  de  ta  province 
de  Sens.  1"  et  2'  parties.  Prix  de  chaque  demi- 
volume  20  fr. 

—  Tome  II  prix 20  fr. 

3.  Fouillés.  Tome  I.  Pouillés  de  la  province  de 
Lyon.  Prix  du  volume i5  fr. 

—  Tome  II.  Pouillés  de  la  province  de  Rouen, 
Prix  du  volume 20  fr. 

• —  Tome  m.  Pouillés  de  la  province  de  Tours. 
Prix  du  volume 20  fr. 

—  Tome  IV.  Pouillés  de  la  province  de  Sens. 
Prix  du  volume 3o  fr. 

Recueil  des  historiens  des  croisades  : 

Lois.  {Assises  de  Jérusalem.)Tomes  I  et  II,  in-fol. 
épuisés. 


IlISr.    I.ITTKB. 


2  PUBLICATIONS 

Recueil  des  historiens  des  croisades  (suite)  : 

Historiens  occidentaux.  Tome  I,  en  2  parties,  in- 
fol.  Prix  (lu  volume 45  fr. 

—  Tomes  II,  111  et  IV,  in-fol.  Prix  du  vol.     3o  fr. 

—  Tome  V,  en  2  parties ,  in-fol.  Prix  du  vol.    55  fr. 
HLftoriens  arabes.  Tome»  I  et  III,  in-fol.  Prix  «du 

volume /|5  fr. 

—  Tome  II,  i"  et  a' partie»,  in-fol.  Prix  de  chaque 
demi-volume 33  fr.  5o 

—  Tome  IV,  in-fol.  Prix  du  volume 5o  fr. 

—  Tome  V,  in-fol.  Prix  du  volume 35  fr. 

Historiens  arméniens.  Tome  I,  in-fol.  Prix  du  vo- 
lume      45  fr. 

Historiens  grecs.  Tomes  I  et  II,  in-fol.  Prix  du 
volume 45  fr. 

Histoire  littéraire  de  la  France.  Tomes  XI  à 
XXXni  (tomes  XI  à  XXIX  épuisés),  in-4°.  Prix  du 
volume 30  fr. 

Gallia  CHRisTlAifA.  Tomc  XVf,  in-fol.  Prix  du  vo- 
lume      37  fr.  5o 


DE  L'ACADEMIE. 

CEuvRBS  DE  BoRGHESi.  Tome»  VU  et  VIII,  in-'i°.  Prix 
du  volume ao  fr. 

—  Tome  IX,   1"  partie.  Prix  du  demi-vol.     13  fr. 

—  Tome  IX,  3* partie.  Prix  du  demi-volume.     8  fr. 

—  Tome  IX,  3*  partie  (contenant  la  table  de»  tomes 
VI,  VII  et  VIII).  Prix  du  fascicule 4  fr- 

—  Tome  X,  1"  et  3*  parties.  Prix  de  chaque  demi- 
volume  i5  fr. 

COKPUS  mSCniPTIOflVM  SBMITICAnVU. 

i"  partie.  Inscriptions  phéniciennes  : 

—  Tome  I,  fasc.  i  et  11,  io-fol.  Prix  du  fasci- 
cule      a5  fr. 

—  Tome  I.fasc.iii  et  IV.  Prix  du  fascicule.  37fr.5o 

—  Tome  II,  fasc.  1.  Prix  du  fascicule 35  fr. 

—  Tome  II ,  fasc.  11.  Prix  du  fascicule  —     5o  fr. 

2"  partie.  Inscriptions  araméennes  : 

—  Tome  I,  fasc.  i  et  11.  Prix  du  fascicule.     5o  fr. 

—  Tome  I,  fasc.  m.  Prix  du  fascicule.. .     60  fr. 

4*  partie ,  Inscriptions  himyarites  : 

—  Tome  I,  fasc.  i.  Prix  du  fascicule.     37  fr.  5o 

—  Tome  I,  fasc.  11.  Prix  du  fascicule 35  fr. 

—  Tome  I,  fasc.  m.  Prix  du  fascicule. . .     5o  fr. 


EN  PRÉPARATION 


MÉMOIRES  DE  l'Académie.  Tome  XXXVIII,  i"partie. 
(Une  3" partie  du  tome  XXXIII  contiendra  la  table 
des  tomes  XXIII  à  XXXIII.) 

MÉMOIRES  PRÉSENTÉS  PAR  DIVERS  SAVANTS  ÉTRANGERS 

À  l'Académie.  Tome.  XII,  1"  partie. 

Notices  et  extraits  des  manuscrits.  Tome  XXXIX  , 

i"  partie. 
Chartes  et  diplômes.  Tome  I.  Recueil  des  actes  de 

Philippe  r. 


Recueil  des  historiens  des  Gaules  bt  de  la  France. 
Nouvelle  série,   in-4°  :    Documents  financiers, 
Obituaires,  Pouillés,  eU:. 

Recueil  des  historiens  des  croisades.  Historiens 

arméniens.  Tome  II. 
Histoire  littéraire.  Tome  XXXIV. 

Corpus  iHscuiPTioifun  Semiticarum,  1"  partie, 
tome  II,  fasc.  m;  —  2*  partie,  tome  I,  fasc.  iv 
—  4'  partie,  tome  I,  fasc.  iv. 


TIRAGES  A  PART 

DES 

PIBLICATIOAS  DE  L'ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 

EN  VENTE 
À  LA  LIBMIRIE  C.  KLINCKSIECK.  RUE  DE  LILLE,  11,  A  PARIS. 


AMELINEAU  (E).  Notices  des  luanusciits  coptes 
de  la  .Bibliothèque  nationale  renfermant  des 
textes  bilingues  du  Nouveau  Testament,  avec 
six  planches  (iSgô) 'i  fr.  70 

BABIN  (C).  Rapport  sur  les  fouilles  de  M.  Schlie- 
mann  à  Hissarlik  (Troie),  avec  deux  planches 
(189a  ) 3  fr. 

BARTHELEMY  (A.  de).  Note  sur  l'origine  de  la  mon- 
naie tournois  (  1896) o  fr.  80 

BERGER  (Ph.).  Mémoire  sur  la  grande  inscription 
dédicatoire  et  sur  plusieurs  autres  inscriptions 
néo-puniques  du  temple  d'Hntor-Miskar  à 
Maktar  (1899) 4  fr. 

—  Mémoires  sur  les  inscriptions  de  la  fondation  du 

Temple  d'Esmoun,  à  Sidon  (190a) . .     3  fr.  30 

BERGER  (S.).  Notice  sur  quelques  textes  latins 
inédits  de  l'Ancien  Testament  (iSgS).     1  fr.  70 

—  Un  ancien  texte  latin  des  Actes  des  Apôtres,  re- 

trouvé dans  un  manuscrit  provenant  de  Perpi- 
gnan (1895) a  fr. 

—  Les   préfaces  jointes    aux   livres   de    la    Bible 

dans  les  manuscrits  de  la  Vulgate  (mémoire 
posthume)  [190a] 3  fr.  20 

GAGNAT  (R.).  Les  bibliothèques  municipales  dans 
l'empire  romain  (1906) 2  fr.  10 

CARRA  DE  VAUX  (Baron).  Le  livre  des  appareils 
pneumatiques  et  des  machines  hydrauliques 
par  Philon  de  Byzance,  édité  d'après  les  ver- 
sions arabes  d'Oxford  et  de  Constantinopie  et 
traduit  en  français  (1903) 8  fr.  5o 

CARTON  (D').  Le  théâtre  romain  de  Dougga,  avec 
dix-huit  planches  (1902) 10  fr. 

—  Le  Sanctuaire  de  Tanit  à  El  -  Kénissia 

(1906) y  fr.  30 

CHABOT  (L'abbé).  Synodiconl  orientale  ou  recueil 
de  synodes  nestoriens  (  igoS) 3o  fr. 

CHAVANNES.  Dix  inscriptions  chinoises  de  l'Asie 
centrale ,  d'après  les  estampages  de  M.  Ch.- 
E.  Bouin  (190a  ) 6  fr. 

CUQ  (Ed.).  Lé  colonat  partiaire  dans  l'Afrique  ro- 
maine, d'après  l'inscription  d'HenchirMettich 
(1897) 3rr. 


DELABORDE  (H.-F.).  Les  inventaires  du  Trésor  des 
chartes,  dressés  par  Gérard  de  Montaigu 
(1900) 3  fr.  5o 

DELISLE  (L.).  Notice  sur  un  psautier  latin-francais 
du  xii'  siècle  (ms.  latin  1670  des  Nouvelles 
acquisitions  de  la  Bibliothèque  nationale,) 
avec  fac-similé  (1891) 1  fr.  10 

—  Anciennes  traductions  françaises   du   traité  de 

Pétrarque  sur  les  Remèdes  ie  l'une  et  l'antre  for- 
tune (i8gi ) 1  fr.  40 

—  Notice    sur  la    chronique    d'un    anonyme    de 

Béthune    du    temps     de    Philippe    Auguste 
(1891) 1  fr.  70 

—  Fragments  inédits  de  l'histoire  de  Louis  XI  par 

Thomas  Basin,  tirés  d'un  manuscrit  de  Gœt- 
tingue,  avec  trois  planches  (1893). .     a  fr.  60 

—  Notice  sur  les  manuscrits  originaux  d'Adémar  de 

Chabannes,  avec  six  planches  (1896).     6  fr.  5o 

■ —  Notice  sur  la   chronique   d'un   dominicain   de 

Parme,  avec  fac-similé  (1896) a  fr. 

—  Notice  sur  un  livre  annoté  par  Pétrarque  (ms. 

latin  3201  de  la  Bibliothèque  nationale  ),  avec 
deux  planches  (1896) 1  fr.  70 

—  Notice  sur  les  Sept  psaumes  allégorisés  de  Chris- 

tine de  Pisan  (1896) o  fr.  80 

—  Notice  sur  un  manuscrit  de  l'église  de  Lyon  du 

temps  de  Charlemagne,  avec  trois  planches 
(1898) 1  fr.70 

—  Notice  sur  une  Summa  dictuminis  jadis  conservée 

à  Beauvais  (1898) i  fr.  70 

—  Notice  sur  la  Rhétorique  de  Cicéron,  traduite 

par  maître  Jean  d'Antioche,  avec  deux  plan- 
ches (1899) 3  fr.  5o 

^  Notice  sur  un  registre  des  procès-verbaux  de  la 
Faculté  de  théologie  de  Paris,  pendant  les 
années  i5oo-i.533  (1899) 3  fr.  80 

—  Notice  sur  les  manuscrits  du  «Liber  Floridus» 

composé  en  1 1  ao  par  Lambei-t  chanoine  de 
S'  Omer 8  fr.  60 

DELOCHE  (M.).  Saint-Remy  de  Provence  au  moyei} 
âge,  avec  deux  cartes  (189a) 4  fr.  4o 

—  De  la  signification  des  mots  pax  et  honor  sur  les 

monnaies  béarnaises  et  du  s  barré  sur  des 
jetons  de  souverains  du  Béarn  (i8g3).     1  fr.  10 

I . 


PUBLICATIONS  DE  L'ACADEMIE. 


DELOCHE  (M.).  Le  port  des  anneaux  dans  l'antiquité 
et  dans  les  premiers  siècles  du  moyen  âge 
(1896) 4fi-.  40 

Des  indices  de  l'occupation  par  les  Ligures  de 

la  région  qui  fut  plus  tard  appelée  la  Gaule 
(1897)   ofr.  80 

Pagi   et   Vicairies  du    Limousin    aux  ix*,  x"  et 

XI*  siècles,  avec  une  carte  (1899).. .     3  fr.  5o 

DEVÉRIA  (G.).  L'écriture  du  royaume  de  Si-Hia  ou 
Tangout,  avec  deux  planches  (i8g8). .     2  fr. 

DIEULAFOY  (M.).  Le  Château  Gaillard  et  l'architec- 
ture militaire  au  xiu*  siècle,  avec  vingt-cinq 
figures  (1898) 3  fr. 

—  La  bataille  de  Muret  (1899) 2  fr. 

EUTING.  Notice  sur  un  papyrus  égypto-araméen  de 

la  Bibliothèque  impériale  de  Strasbourg 
(1903) »  fr-4o 

FERRAND  (G.).  Un  texte  arabico-malgache  du 
xvr  siècle  (  1904  ) 5  fr. 

FOUCART  (P.).  Recherches  sur  l'origine  et  la  na- 
ture des  mystères  d'Eleusis  (1895)..     3  fr.  5o 

Les  grands  mystères  d'Eleusis.  Personnel.  Céré- 
monies (1900) 6  fr.  5o 

Formation     de    la    province     romaine    d'Asie 

{i9o3) afr. 

—  Le  culte  de  Dionysos  en  Attique  (igoi). .   8  fr. 

—  Sénatus-consulte  de  Thisbé  (170),  1906 .     2  fr. 

—  Étude  surDidymos,  d'après  un  papyrus  de  Berlin 

(1907) '^'■'■• 

FOUCHER  (A.).  Catalogue  des  peintures  népalaises 
et  tibétaines  de  la  collection  B.-H.  Hodgson 
à  la  bibliothèque  de  l'Institut  de  France 
{1897) »  fr-70 

FUNCK-BRENTANO  (Fr.).  Mémoire  sur  la  bataille  de 
Courtrai  {11  juillet  iSoa)  et  les  chroniqueurs 
qui  en  ont  traité,  pour  servir  à  l'historiogra- 
phie du  règne  de  Philippe  le  Bel  (  1 89 1  ).    4  fr.  /(O 

(llRï(A.).Étudecritiquedequelquesdocumenls  ange- 
vins de  l'époque  carolingienne  (i  900).    3  fr.  5o 

GRAUX  (Ch.).  Traité  de  tactique  connu  sous  le  titre 
HepJ  xaxaaiaaeat  «»Ai)xTo«,  Traité  de  castranw- 
talion,  rédigé  par  ordre  de  Nicéphore  Phocas, 
texte  grec  inédit,  augmenté  d'une  préface  par 
.Mbert  Martin  (1898) 2  fr.  60 

HAURÉAU  (B.j.  Notices  sur  les  numéros  3i43, 
14877,  16089  et  16409  des  manuscrits  latins 
de  la  Bibliothèque  nationale,  quatre  fascicules 
(18901895).     o  fr.  80,  1  fr.40,  1  fr.70  et  2  fr. 

—  Le  poème  adressé  par  Abélard  a  son  fils  Astra- 

labe  (1893) 2fr. 

—  Notices  sur  les  inanuscrils  n"'  583,  657,  1249, 

2945,  2900,  3i45,  3i46,  3437,  3473,  3482, 

3490,  3498, 3653,  3702,  3730  (1904).     a  fr.3o 

HELBIG     (W.).     Sur     la     question    Mycénienne 

(1896) 3  fr.  5o 

—  Les  vases  du  Dipylon  et   les  Naucraries,   avec 

vingt-cinq  figurés  (1898) 1  fr.  70 


HELBIG     (W.j.  Les  î)nr£«  athéniens  (1903].      5  fr. 

—  Sur  les  attributs  des  Saiiens  (  1906) . . .     3  fr.  20 
JOULIN  (L.).  Les   établissements  gallo-romains   de 

Martres-Tolosanes  (1901  ) 18  fr.  80 

LANGLOIS  (Ch.-V.).  Formulaires  de  lettres  du  xii*, 
du  xiii'  et  du  xiv"  siècle,  six  fascicules,  avec 
deux  planches  (1890-1897) 8  fr.  10 

LASTEYRIE  (Comte  R.  de).  L'église  Saint-Martin 
de  Tours,  étude  critique  sur  l'histoire  et  la 
forme  de  ce  monument  du  v*  au  xi*  siècle 
(1891) 2  fr.6o 

—  La  déviation  de  l'axe  des  églises  est-elle  symbo- 

lique ? I  fr.  70 

LE  BLANT  (Edmond).  De  l'ancienne  croyance  à 
des  moyens  secrets  de  défier  la  torture 
(1892) o  fr.  80 

—  Note  sur  quelques  anciens  talismans  de  bataille 

(1893) o  fr.  80 

—  Sur  deux  déclamations  attribuées  à  Qnintilien , 

note  pour  servir  à  l'histoire  de  la  magie 
(1890) 1  fr.  10 

—  700    inscriptions    de    pierres   gravées    inédites 

ou  peu  connues,  avec  deux  planches 
(1896) 8fr.  70 

—  Les  commentaires  des  Livres  saints  et  les  artistes 

chrétiens  des  premiers  siècles  (1899) . .      1  fr. 

—  Artémidore  (  1899) *  '■'• 

LUGE  (  S.  ).  Jeanne  Paynel  à  Chantilly  (1 892  ).     4  fr.  70 

MAS-LATRIE  (Comte  de).  De  l'empoisonnement 
politique  dans  la  république  de  Venise 
(1893) 2  fr.  90 

MENANT  (J.).  Kar-Kemish,  sa  position  d'après  les 
découvertes  modernes,  avec  carte  et  figures 
(1891) 3fr.  5o 

—  Éléments  du  syllabaire  hétéen  (1892).     4  fr-  4o 
MEYER  (P.).  Notices  sur  quelques  manuscrits  fran- 
çais de  la  bibliothèque  Phillipps  à  Cheltenham 
('1891) 4  fr.  70 

—  Notice  sur  un  recueil  d'Exempla  renfermé  dans 

le  ms.  B.  IV.  19  de  la  bibliothèque  capitulaire 
de  Durham  (1891  ) 2  fr. 

—  Notice  sur  un  manuscrit   d'Orléans  contenant 

d'anciens  miracles  de  la  Vierge,  en  vers  fran- 
çais, avec  planche  (  1893) i  fr.  70 

—  Notice  sur  le  recueil  de  miracles  de  la  Vierge, 

ms.    Bibl.    nat.    fr.    818(1893) 1  fr.  70 

—  Notice  de   deux  manuscrits  de   la   vie  de  saint 

Rémi ,  en  vers  français ,  ayant  appartenu  à 
Charles  V,  avec  une  planche  (1896).     1  fr.  4o 

—  Notice  sur  le   manuscrit  fr.    24862   de  la  Bi- 

bliothèque nationale,  contenant  divers  ou- 
vrages composés  ou  écrits  en  Angleterre 
(1895) 2fr. 

—  Notice  du  manuscrit  Bibl.  nat.  fr.  6447  :  traduc- 

tion de  divers  livres  de  la  Bible  ;  légende  des 
saints  (1896) 3  fr.  20 


PUBLICATIONS  DE  L'ACADÉMIE. 


MEYEB  (P.).  Soiice  sur  les  Corrogationes  Promethei 
d'Alexandre  Neckam  (1897) 2  fr. 

—  Notice  sur  un  Légendier  français  du  xm*  siècle, 

classé    selon  l'ordre    de   l'année   liturgique 
(1898) 3fr. 

—  Le  LivreJournal  de  maître  Ugo  Teralh ,  notaire 

et  drapier  à  Forcalquier  (  1 33o- 1 333  ),  avec  une 
planche  (1898) 3  fr.  5o 

—  -Notice  sur  trois  Légendiers  français  attribués  à 

Jean  Belet  {1899) '. 3  fr.  5o 

—  Notice  d'un  Légendier  français  conservé    à  la 

Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg, 
avec  planche  (1900) q  fr.  5o 

—  Notice  d'un  manuscrit  de  Trinity  Collège  (Cam- 

bridge) contenant  les  vies  en  vers  français  de 
saint  Jean  l'aumônier  et  de  saint  Clément, 
pape  (1903) a  fr.  5o 

MORISSE  (G.).  Contribution  préliminaire  à  l'é- 
tude de  l'écriture  et  de  la  langue  Si-Hia 
(1904) 3fr.5o 

MORTET  (V.)  et  TANNERY  (P.).  Un  nouveau  texte 
des  traités  d'arpentage  et  de  géométrie  d'Epa- 
phroditus  et  de  Vitruvius  Rufiis,  avec  deux 
planches  (1896) a  fr.  60 

MONTZ  (E.j.  Les  collections  d'antiques  formées  par 
les  Médicis  au  xvi*  siècle  (  1895) ...     3  fr.  5o 

—  La  tiare  pontificale  du  vin*  au  xvi*  siècle,  avec 

figures  (1897) 3  fr.  80 

—  Le  Musée  de  portraits  de   Paul  Jove,   contri- 

bution pour  servir  à  l'iconographie  du  moyen 
âge  et  de  la  Renaissance,  avec  55  portraits 

(1900) 3fr.  80 

NOLHAC  (P.  de).  LeDeviris  illustribus  de  Pétrarque  , 
notice  sur  les  manuscrits  originaux ,  suivie  de 
fragments  inédits  (1890) 3  fr.  80 

—  La  Vii^ile  du  Vatican  et  ses  peintures,  avec  une 

planche  (1897) /,  fr.  70 

OMON"!  (H.).  Journal  autobiographique  du  cardinal 
Jérôme  Aléandre  (i48o-i53o),  publié  d'après 
les  manuscrits  de  Paris  et  Udine,  avec  deux 
planches  (1895) 5  fr.  3o 

—  Notice  sur  un  très  ancien  manuscrit  grec    de 

l'évangile  de  saint  Matthieu  en  onciales  d'or 
sur  parchemin  pourpré  et  orné  de  minia- 
tures, conservé  à  la  Bibliothèque  nationale, 
avec  deux  planches  (1900) 4  fr. 

—  Notice  du  ms.  nouv.  acq.   franc,  looôo  de  la 

Bibliothèque  nationale,  contenant  un  nouveau 
texte  français  de  la  Fleur  des  histoires  de  la 
terre  d'Orient  de  Hayton  (  1903) ■>.  fr.  60 


OMONT  (IL).  Notice  du  ms.  nouv.  acq.  lat.  763  de 
la  Bibliothèque  nationale  et  de  quelques  au- 
tres mss   provenant  de   Saint-Maximin   de 

Trêves  (i9o3) 2  fr.  60 

PÉLISSIER  (L.-G.).  Sur  les  dates  de  trois  lettres 
inédites  de  Jean  Lascaris,  ambassadeur  de 

France  à  Venise,  i5o4-i5o9  (1901) 2  fr. 

RAVAISSON  (F.).  La  Vénus  de  Milo,  avec  neuf 
planches  (1892) 6  fr. 

—  Une  œuvre  de  Pisaneilo,  avec  quatre  planches 

(1895) 2fr.  3o 

—  Monuments   grecs   relatifs   à  Achille,  avec  six 

planches  (1895) 4  fr. 

ROBIOU  (F.).  L'état  religieux  de  la  Grèce  et  de 
l'Orient  au  siècle  d'Alexandre,  deux  fascicules 
(1893-1895) 4  fr.  et  4  fr.  4o 

SCHWAB  (M.).  Vocabulaire  de  l'Angélologie ,  d'après 
les  manuscrits  hébreux  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale (1897) la  fr. 

—  Le  manuscrit  n°  i38o  du  fonds  hébreu  à  la 

Bibliothèque  nationale.  Supplément  au  Voca- 
bulaire de  l'Angélologie  (1899) 2  fr.  3o 

—  Le  manuscrit  hébreu  n°  i388  de  la  Bibliothèque 

nationale,  Haggadah  pascale  [igo^) .      i  fr.  5o 

SPIEGELBERG  (W.).  Correspondances  du  temps  des 

rois-prêtres,  publiées  avec  d'autres  fragments 

épistolaires  de  la  Bibliothèque  nationale ,  avec 

huit  planches  (  1895) 7  fr.  5o 

TANNERY  (P.).  Le  traité  du  quadrant  de  maître  Ro- 
bert Angles  (Montpellier,  xiii'  siècle);  texte 
latin  et  ancienne   traduction  grecque,   avec 

figures  (1897) 3  fr.  5o 

TANNERY  (P.)  et  CLERVAL.  Une  correspondance 
d'écolàtres  du  xi"  siècle  (1900) 2  fr.  60 

TOUTAIN  (J.).  Fouilles  à  Chemtou  (Tunisie),  sept.- 
nov.  1893 ,  avec  plan  (1893) i  fr.  70 

—  -  L'inscription  d'Henchir  Mettich.  Un  nouveau  do- 

cument sur  la  propriété  agricole  dans  l'Afrique 
romaine, avecquatreplanches  (1897).     3  fr. 80 

VIOLLET(  P.).  Mémoire  sur  la  Tanistry  (1891).     2  fr. 

—  La  question  de  la  légitimité  à  l'avènement  de 

Hugues  Capet  (1893) 1  fr.  4o 

—  Comment  les  femmes  ont  été  exclues  en  France 

de  la  succession  àla  couronne  (1893).     2  fr.  60 

—  LesÉtatsdeParisenfévrieri358  (1894).     1  fr.  70 

—  Les    communes     françaises     au     moyen    âge 

(1900) • 6  fr.  00 

VVEIL  (H.).  Des  traces  de  remaniement  dans  les 
drames  d'Eschyle  (1890) i  fr.  10 


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